Qu’est la chanson francaise devenue ?

 

C’est un phénomène que je ne m’explique pas. Un de plus.

Comment donc la chanson française qui hier encore, et avant-hier plus encore pouvait prétendre à incarner le génie national s’est-elle dissoute dans les vapeurs de notre époque, au point d’avoir presque disparu de notre horizon ?

Je ne prétends nullement être un expert en matière de chanson française, mais pourtant j’ai comme cette intuition que le liminaire de cette chronique possède pour une fois un authentique accent de vérité.

A savoir que oui quelque part la chanson française, qu’elle fut populaire, intello ou à texte ne possède plus ce tranchant, cette universalité et cet impeccable allant qui la rendait unique, véritable exception culturelle, mélange de mélodies et de mots traversant toutes les strates de la société, s’adressant à tous et soudant le pays dans la même ferveur collective.

Ou autrement dit, pourquoi les Brel, Brassens, Ferré, Bécaud, Barbara, Dassin, Aznavour, Trenet, Sardou, Delpech, Souchon, Gainsbourg, Peyrac, la liste est infinie, qui chacun dans leur genre ont incarné avec plus ou moins de brio cette spécificité nationale, n’ont-ils pas connu de successeurs à même de reprendre ce flambeau d’une chanson française capable d’ensorceler notre quotidien à coup de refrains entêtants ?

Alors oui bien sûr, chacun dans son coin ira de sa dénégation outrée en citant l’un Miossec (moi par exemple), l’autre Murat, le troisième Katherine et le quatrième Delerm, etc., etc., là aussi la liste est infinie, autant de chanteurs des plus respectables, mais dont on s’accordera à penser qu’ils ne constituent que des chapelles plus ou moins étriquées où ne viennent se recueillir qu’une frange assez restreinte d’admirateurs.

Qu’il n’existe plus, me semble-t-il, un chanteur-compositeur capable de séduire un public réunissant dans le même enthousiasme collectif et l’employé de bureau, et l’apprenti artiste, et la boulangère de quartier, et le professeur d’université, balayant de la sorte tout le spectre de la société française pour incarner et transcender en une seule chanson ses espoirs, ses tourments, ses rêves.

Brel, Brassens et consorts parlaient vraiment à tout le monde.

Sans esprit de caste.

Sans ne jamais mépriser personne.

Sans tricher surtout.

Et composant des chansons si bien ficelées, poétiques mais pas obscures, populaires mais pas racoleuses, élaborées mais pas chichiteuses, qu’elles parlaient aux gens, à tous les gens, traitant de sujets aussi universels que l’amour, l’amitié, la mort, les femmes, Dieu, auxquels tout le monde pouvait s’identifier sans peine.

Et surtout en s’appuyant sur un champ lexical d’une diversité folle et d’une réelle inventivité qui rendait hommage à la formidable richesse de la langue française.

Une chanson c’est toujours l’intrusion de la poésie dans le quotidien.

Ou du moins ça devrait l’être.

Est-ce parce qu’il y a eu un tel éclatement des moyens de diffusion que domine cette impression d’une chanson française éparpillée, étiolée, rapiécée, produisant encore des compositeurs de talent peinant pourtant à s’imposer comme de véritables phares qui nous réconfortent ou nous rendent plus légers en entendant leurs ritournelles joliment tournées ?

Des chansons qui s’inscrivent d’une manière profonde et inaltérable dans la mémoire collective, traversant les époques, résistant à la mode pour devenir des petits morceaux d’éternité sur lesquels le temps n’a pas de prise ?

Serait-ce nous, public, qui ne sommes plus sensibles à cette mise en scène musicale de nos peines et de nos joies, qui avons perdu en cours de route notre capacité à nous émerveiller d’une chanson qui parvient à parler tout autant à notre cœur qu’à notre esprit ?

Doit-on voir dans cette déperdition réelle une conséquence de notre appétence culturelle qui, ayant tendance à se diversifier à l’extrême, s’intéresse à des courants artistiques qui hier encore nous étaient inaccessibles parce que trop confidentiels ?

Ou bien alors faut-il se résigner à ce que l’avènement des nouvelles technologies, l’omniprésence de l’image, la victoire de l’écran sur le livre et la défaite de la pensée littéraire ou humaniste ait engendré un nouveau tropisme qui exclurait à priori l’expression d’un art aussi basique et consensuel que la chanson ?

Ou le monde est-il devenu trop compliqué à déchiffrer, trop incertain à envisager pour que nous ne soyons plus capables de le transcender ou de l’enchanter, de traduire en couplets cet effarement qui nous saisit devant la vitesse à laquelle il se transforme ?

J’avoue ne pas savoir.

Peut-être suis-je un incorrigible nostalgique.

Peut-être est-ce aussi dans la nature humaine que de penser que le temps d’avant brille toujours d’une lumière plus radieuse que celle de l’époque où l’on se retrouve condamné à vivre…

 

( Pour suivre l’actualité de ce blog, c’est par ici : https://www.facebook.com/pages/Un-juif-en-cavale-Laurent-Sagalovitsch/373236056096087?skip_nax_wizard=true )

54 commentaires pour “Qu’est la chanson francaise devenue ?”

  1. Et La Fouine, c’est du mou de veau ?

  2. Exceptionnellement, le point Godwin sur ce post sera supposé atteint au premier qui citera Florent Pagny.

  3. Vous vous faites vieux Saga, j’étais sur cette chanson avec des hoouu et des haaaa http://www.youtube.com/watch?v=LqjktVjkrFk

  4. @baby, suis pas trop fan de Lafouine, mais si vous voulez écoutez un p’tit jeune qui n’en veut et qui a un regard très lucide sur sa génération ET sur lui même, je vous invite à écouter Orelsan et l’album “le chant des sirènes”.
    plus j’écoute ce garçon plus je suis sur que c’est le fils caché de notre bon Laurent.

  5. bon quand j’étais môme, les 3 de la photos étaient vivants et étaient très loin de faire l’unanimité : notamment férré (il était sale) et brassens (anarchiste et moustachu, tjrs la même chose). non, la chanson française universelle c’était sardou en preums, johnny uber alles et verchuren à l’accordéon.
    unanimité de gauche (par gauche j’entends télérama-le masque et la plumme-legrand échiquier) mais moi qui est grandi dans une famille minute-louispauwels-champs élysés) les stars étaient en couleurs délavées, poils apparents et vulgarité assumée (la gpurmette comble du chic).
    c’est toujours le même combat bling bling vs bobo (avec françoise hardy/carla bruni comme point de jonction)

  6. @the red : merci, je répondrai à votre invit dès que possible !

  7. @baby, vous ne le regretterez pas, vous me donnerez votre avis sur la chanson “suicide social”, la chanson la plus énervée que j’ai entendu depuis longtemps!

  8. C’est juste parce que les pieds (peut-être provisoirement) l’ont emporté sur le cervelas, Laurent. Mais comme le dit Iggy, y’avait pas de consensus du tout sur les chanteurs “d’avant”. On se battait comme des chiffonniers entre pro-Ferré ou pro-Sardou, même.
    Aujourd’hui, le consensus mou l’a emporté un peu partout. Résultat, on a de la soupe-qui-fait-danser en tsunami-pour-tous dans les oreillettes.

  9. Et Yves Duteil?

  10. Les explications que vous avancez éclairent le problème d’une chanson française actuellement très affaiblie, en regard de la particulière vitalité qui l’animait et la diversifiait, jusqu’aux années 1990 à peu près. Mais, comme vous parlez tout de même de chansons naguère qualifiées de “à texte”, il est difficile de taire le considérable affaiblissement de la langue française – et pas seulement dans le domaine de la chanson. On ne peut pas impunément, dans les lieux de transmission du savoir (à commencer par la famille), ne plus vraiment exiger – à la différence des exigences scolaires et professionnelles passées – un niveau correct de langue parlée, élégant de langue écrite, et une connaissance assez large du vocabulaire – et constater avec étonnement que la chanson française s’étiole. L’étonnement serait étonnant. L’on en vient même à se demander si l’espèce de béatitude observable sur le visage de maints spectateurs de concerts donnés – simple façon de parler – par des chanteurs ou groupes utilisant la langue anglo-américaine, est due à la parfaite connaissance de ladite langue étrangère, ou bien si seule la musique est cause de cette jouissance se manifestant surtout par le balancement général des corps. Si la connaissance de la langue anglo-américaine surclasse ainsi celle du français chez les Français amateurs de chansons venues d’outre-Manche et d’outre-Atlantique, ils méritent un énorme coup de chapeau. Dans le cas contraire, il faudrait conclure – ce qu’à Dieu ne plaise ! – que la non-compréhension d’un texte de chanson en langue étrangère, singulièrement en anglo-américain, permet aux spectateurs desdits concerts de s’exonérer, avec un plaisir manifestement sans égal, de l’effort de compréhension des paroles qu’ils écoutent. Or, les chansons françaises “à texte” interdisent cette paresse consistant à accorder une exclusive attention à la musique – qui pénètre l’auditeur -, et à faire l’impasse – car cela requiert effort – sur la quête minimale du sens exprimé en un français, sinon recherché, du moins poétique et souvent lexicalement riche. Tout ce que dessus n’est, évidemment, qu’hypothèse.

  11. Pas faux. Perso je n’écoute jamais les paroles, la musique parle d’elle même ou alors j’estime qu’elle ne vaut rien, c’est pourquoi je n’écoute pas de chanteur dit “à texte”, je préféré lire de la poésie et utiliser le site de La Coccinelle si le besoin s’en fait sentir. D’ailleurs j’ai enchainé la grammaire et l’orthographe à un arbre sur le bord de l’autoroute.

  12. je pense que ce n’est pas pour rien que les chansons dites “pop”, anglo-saxonnes ou américaines ne sont pas sous titrées 😉

  13. @Puycasquier : Balavoine disait qu’il en avait marre qu’on cririque les paroles de ses chansons alors que les paroles des chansons anglo-saxonnes sur lesquelles les jeunes se dandinaient à l’époque étaient d’une nullité crasse.

  14. @Nico : comme vous je n’accorde aucune importance aux paroles. Sauf La Corrida de Cabrel.

  15. @baby <3 <3 <3 Enfin je me sens moi seul!

  16. (tant pis faisons nous honnir)
    j’aime pas la chanson française, je ne l’ai jamais aimé. le piano de barbara, la guitare sèche de brassens, le chauffe-marcel de brel.ça me rappelle mes cours de français, le noir et terne de la france de pompidou et la puanteur de la soupe familiale.
    c’est assez naze le chanté français et ça le sera toujours (higelin, cali, benabar, sérieux)… et le parlé-presque français-avec-des-mots-rigolo : dufresnes, charlebois, vignaut tout ces babas cools avec les fringues du big bazar…
    c’est juste qu’on comprend les paroles( hélas ); mais au fond c’est comme le rock français en moins grotesque, comme le cinéma français pour le côté nombriliste et mal foutu.
    bref, la culture française, lol.

  17. Je fais une exception (celle qui confirme la règle) http://www.youtube.com/watch?v=EdqWVmgprh8

  18. Ferré, Brel et Brassens ont à mes yeux un statut de poètes bien plus que de chanteurs de variétés. Mais sinon, suis comme Iggy, la variété (et le faux rock) m’ennuie(nt) prodigieusement ( à part, moi itou, quelques Cabrel, et tout Sheller, entre rares).

  19. et elmer food beat?

  20. @the red : ça y est, j’ai entendu et vu. Oui, ça décape en effet. Et c’est plutôt bien fait.

    Mais ça manque un peu de mélodie à mon gout.
    Je préfère ça, même si c’est plus calme : http://www.youtube.com/watch?v=fx3W-bV4jp4

  21. @Nico : en parlant d’exception, celle là en mérite une aussi : http://www.youtube.com/watch?v=Z24X13ZQSVQ

  22. Tricheur baby, trois exceptions ça ne fait plus une exception :) Une petite dernière pour la route http://youtu.be/kO0r2eWpwdM j’arrête le tôlier va encore râler!

  23. http://www.youtube.com/watch?v=Nt12X8MiAc8

    Les larmes qui coulent sur ton visage
    Les gens te disent que ça n’fait rien
    Le temps qui passe sur ton visage
    Les gens te disent qu’on n’y peut rien

    Le ciel est un océan, tout, tout rempli de poissons
    Sûr, on les voit pas mais on n’regarde pas au fond

    Le sel qui colle sur ton visage
    Les gens te disent que ce n’est rien

    Le ciel est un océan, tout, tout rempli de poissons
    Sûr, on les voit pas mais on n’regarde pas au fond

    Un sourire passe sur ton visage
    Les gens te disent que ce n’est rien

    Le ciel est un océan, tout, tout rempli de poissons
    Sûr, on les voit pas mais on n’regarde pas au fond
    On ne regarde qu’à la surface
    Et on y voit que des algues
    Parfois quelques poissons morts
    Mais jamais aucun trésor
    Si j’étais toi mon amour
    Je n’me laisserais pas tomber
    Je resterais avec moi
    Pour aller voir tout au fond

  24. comme chacun-e y va de son couplet
    http://www.youtube.com/watch?v=Kl7NY0sBOOg

  25. http://youtu.be/0cnlLaAcVdo

  26. L’Apiculteur de Bashung, découverte le soir de sa mort. Très très émouvant dans l’instant.

  27. Très sombre, elle me fait penser à ces orages dont les nuages sont si noirs qu’il fait nuit le jour.

  28. http://www.youtube.com/watch?v=l-qgum7hFXk
    C’qu’on va prendre quand le taulier va se réveiller !!!!

  29. Comme j’ai des goûts de merde je préfère ne pas en faire ici l’étalage.

  30. les commentaires expliquent tout

  31. Un joli papier, merci!

  32. Fut un temps où De Broglie, Einstein, Shrodinger, Dirac et Planck discutaient pendant des heures de la nature de la matière. Aujourd’hui nous avons Julie Gayet, BHL et Alain Soral. Il faut savoir s’adapter.

  33. c’est l’hôte qui donne le ton… mais c’est vrai que ce serait bien qu’il aborde les problèmes fondamentaux de la phénoménologie de temps à autre…

  34. C’est le week end là !

  35. vous n’aimez pas la mer,

    vous n’aimez pas la montagne,

    vous n’aimez pas la campagne,

    allez vous faire foutre!

  36. André Metz. – “En ce qui concerne la physique des quanta elle-même, je crois
    qu’il y a un malentendu dans les discussions entre l’indéterminisme
    et le déterminisme ; du côté indéterministe, en effet, on attache aux
    théories statistiques un caractère «adéquat» ; or, il est certain
    qu’avant la théorie des quanta, jamais on n’a considéré une théorie
    statistique comme «adéquate». Une théorie statistique était
    congénitalement, de par son essence, quelque chose de faux, mais
    qui pouvait donner une certaine approximation de la réalité à une
    certaine échelle. Maintenant on nous affirme : «Voici une théorie
    statistique et elle est adéquate» ; eh bien, elle est adéquate jusqu’à
    une échelle, celle où nous constatons que l’expérience la vérifie,
    mais à l’échelle au-dessous, ce n’est pas vrai, car toute théorie
    statistique est fausse à partir d’une certaine limite.

    M. de Broglie. – Je suis entièrement d’accord.”

  37. Attendez voir quand Polnareff sortira son prochain album!
    Ok,je sors…

  38. http://grooveshark.com/#!/s/Letter+Dub/6EGa9S?src=5
    Sympa ça non ?

  39. comment ils ont marché sur les Danois hier soir, c’était bô!

  40. Guantanamo a tué le rock.

  41. le “Jailhouse Rock”?

  42. et Julio Iglesias a tué la piraterie de haute mer

  43. n’empêche que c’est super cruel d’infliger ça à des pauvres pirates sommaliens, suis pas sur que ce ne soit pas une violation de la convention de Geneve.

  44. Pas compris pour Iglesias.

  45. @ Vince : soit disant que lors d’attaques de pirates au large de la Somalie, les bateaux visés passent du Iglesias ou du B.Spears à tue tête pour éloigner les bandits…

    @the red : effectivement on est au delà du conventionnel au sens de Genève… Saisie du TPI ?

  46. direct!!

  47. @ achtung : ça y est j’me rappelle de ce truc :)

  48. je crois qu’à Guantanamo ils ont le même genre de technique, en appui d’autres joyeusetés…

  49. La seule différence dans l’utilisation de la musique à Guantánamo et dans les centres commerciaux,c’est que dans ces derniers,le niveau sonore est un peu plus bas

  50. @stéphane : oui enfin si vous considérez les odeurs diffusées dans les centres commerciaux pour mettre les clients “en conditions”, je me demande ce qu’il vaut mieux…

  51. Et Goldman ? Si il y en a un qui peut répondre à vos critères, c’est bien lui :
    “Qu’il n’existe plus, me semble-t-il, un chanteur-compositeur capable de séduire un public réunissant dans le même enthousiasme collectif et l’employé de bureau, et l’apprenti artiste, et la boulangère de quartier, et le professeur d’université, balayant de la sorte tout le spectre de la société française pour incarner et transcender en une seule chanson ses espoirs, ses tourments, ses rêves”

    Vous en connaissez beaucoup d’auteurs compositeurs interprètes qui arrivent à caser “inéxorablement” dans une chanson ?.
    Allez, faîtes-vous du bien en l’écoutant !

  52. il a 63 ans ! Et n’a rien sorti depuis des lustres non ?

  53. Oui, parce qu’il a l’honnêteté de reconnaître qu’un auteur compositeur a tout donné en 10 ans et ne se renouvelle plus après.
    Exemple : Aznavour, Polnareff…
    Et ceux que vous citez ne sortent rien depuis des lustres non plus puisqu’ils sont morts !
    Ils sont pourtant bien présents.
    Comme Goldman !

  54. NB : Je découvre votre blog et je suis déjà addicte :-)

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