cepdivin.org imaginaires de la vigne & du vin /
bibliothèque en ligne

retour accueil
accueil | CEPDIVIN association | ressources | Club Cepdivin | dégustations littéraires | actualité | événements | des livres & du vin | bibliothèque en ligne | bibliographie
conférences thématiques | anthologie | galerie | annuaire | liens culturels | liens de partenariat | sites hébergés | mentions légales, statistiques | devenir partenaire ?

>> bibliothèque en ligne


Mieux comprendre le champagne

par Philippe Margot



Que la fête commence ! (Photo CIVC - Epernay)
La champagnisation est l'opération qui consiste à effectuer une seconde fermentation alcoolique en bouteilles à partir de vin AOC champagne, après ajout de sucre exogène. Cette deuxième fermentation en bouteilles est appelée prise de mousse. Ce procédé, propre à la Champagne pour créer des vins effervescents, suit la vinification traditionnelle des vins tranquilles. Il a fallu beaucoup d'astuces et de savoir-faire aux Champenois pour surmonter par cette technique la faiblesse initiale d'un raisin qui a du mal à mûrir complètement chaque année. Pourtant, le procédé met en valeur la finesse du fruit et rend son acidité supportable.








































































La champagnisation selon la méthode classique ou traditionnelle dans la vaste appellation de la Champagne est soumise aux règles d'une sévère législation spécifique. Elle n'autorise que l'assemblage de vins provenant de trois cépages: deux cépages noirs, vinifiés en blanc (vin blanc de raisins noirs = blanc de noirs), le pinot noir, ce cépage fin par excellence, qui s'épanouit pleinement sur les sols calcaires de la Montagne de Reims. Il apporte au champagne charpente, longévité et générosité, corps et puissance. Très implanté dans le vignoble de l'Aube, il couvre environ 38% du vignoble champenois. Le pinot meunier, deuxième cépage noir moins fin mais plus résistant aux gelées, s'adapte parfaitement aux terres de la Vallée de la Marne. Il doit son nom à la couleur blanchâtre de la face intérieure de ses feuilles qui évoque la blancheur de la farine. Il occupe environ 35% du vignoble de la Champagne. De manière générale, les producteurs de champagne, qui n'oublient pas le rôle essentiel des deux cépages nobles en Bourgogne (pinot noir et chardonnay), n'insistent pas sur celui que le pinot meunier joue dans les cuvées. Son principal avantage est le fruité, une fraîcheur juvénile et sa rondeur. En revanche, moins fin, moins alcoolique, il vieillit moins bien et peut même déployer des arômes trop exubérants pour un bon champagne. Seul cépage blanc, le chardonnay produit les vins blancs tout en finesse, élégants et racés (vin blanc de raisins blancs = blanc de blancs). Occupant environ 27% de l'appellation Champagne, le chardonnay exprime sur les sols crayeux de la Côte des Blancs une typicité qui convient admirablement au champagne. Il est vinifié seul (blanc de blancs) ou en assemblage avec les blancs de noirs auxquels il apporte finesse et légèreté. Cas unique en France, il peut intervenir dans l'élaboration des champagnes rosés, dont la couleur peut être apportée par un simple ajout de vin rouge des coteaux champenois, généralement par assemblage avant fermentation en bouteille, privilège exclusif des champenois.

En revanche, tous les vins tranquilles rosés de France ne peuvent être élaborés qu'à partir de raisins noirs dont le jus est prélevé par saignée, au premier stade de la vinification du vin rouge. Par un très bref cuvage, on obtient ce vin peu coloré.

L'autre méthode, dite par saignée, consiste à presser le raisin rouge juste assez pour que le moût se colore, puis la vinification se poursuit comme pour le vin blanc.

En aucun cas un vin tranquille rosé ne peut être obtenu par du vin blanc dans lequel il serait ajouté une fraction de vin rouge. La grande exception c'est justement le champagne rosé. Historiquement, les premiers champagnes avaient une robe rosée, car le pressurage manuel et lent teintait les moûts au contact prolongé avec les pellicules de raisins noirs. Avec l'évolution des techniques, le pressurage gagnant en rapidité, en douceur, en finesse, permet la production de champagnes de plus en plus blancs.
Ce tableau de la collection Ruinart à Reims décrit parfaitement l'extraction du calcaire dans les crayères et leur étendue de galeries qui servent maintenant de caves aux maisons de champagne. (Champagne Ruinart, Reims - Photo PhM)

Caves Moët & Chandon
ZOOM
Les caves creusées dans la craie chez Moët & Chandon s'étendent sur 28 km sur les 110 creusés dans le sous-sol d'Épernay. La longueur totale des galeries entre Reims et Épernay totalise plus de 300 kilomètres. (Photo Moët & Chandon - Épernay)


Caves Moët & Chandon
ZOOM
Le stockage sur lattes a pour effet de mieux répartir le poids très important sur les bouteilles, tout en relevant la partie antérieure de cette masse. Il n'est pas rare que des bouteilles défectueuses explosent sur pile. Le lattage évite la propagation de l'incident à plusieurs bouteilles. (Photo Moët & Chandon - Épernay)


Alignement de pupitres de remuage dans les caves creusées dans le tuffeau qui occupent des kilomètres du sous-sol champenois. (Photo CIVC - Epernay)


Ce pupitre de remuage pour bouteilles de champagne, inventé par Madame Clicquot en 1816, est un modèle réduit qui explique la technique du remuage. Des ouvriers expérimentés, dont le tour de main reste secret, impriment chaque jour à chaque bouteille un mouvement alternatif très vif de rotation en même temps qu'une trépidation. Une bouteille dans chaque main, ils lui font effectuer un quart de tour à droite ou à gauche, opération facilitée par la présence d'un repère à la peinture blanche sur le corps de la bouteille. Le remuage a pour objectif de rassembler le dépôt dans le col de la bouteille que le remueur a soin de dresser progressivement jusqu'à la verticale, au fur et à mesure des progrès de l'opération. Le remuage dure six semaines à trois mois, à raison de trente mille bouteilles par jour et par remueur. (Photo PhM)


Jéroboams (contenance 4 bouteilles) sur pupitre de remuage. Au-delà du magnum, il est très rare que la champagnisation soit faite dans la bouteille finale. Les grands flaconnages compliquent beaucoup les opérations de mûrissement. Pour cette raison, elles sont souvent remplies par transvasage de magnums, au détriment de la qualité du champagne quelles contiennent. (Champagne Pommery, Reims - Photo PhM)



La démonstration du bouchon de champagne dans toutes ses phases, de gauche à droite, avant bouchage, il n'est qu'un simple cylindre; après bouchage, sous la pression du muselet, le bouchon qui "juponne", lorsque la mise en bouteille est récente, plus loin, un bouchon après quelques années de stockage qui a perdu son élasticité; puis un bouchon qui "cheville", après une longue garde. La boucheuse comprime le bouchon pour le faire pénétrer dans le goulot de la bouteille. La forme particulière provient exclusivement des pressions que sa fermeture (plaque et muselet) occasionne. (Source: Veuve Clicquot Ponsardin, Reims.)


Cette couronne décorative a été conçue par un placomusophile. C'est ainsi que se nomme le collectionneur des protections métalliques. Les plus prisées sont celles qui sont munies d'une impression publicitaire. (Photo PhM)
Les appellations de la Champagne se divisent en 17 villages classés grands crus, dits à 100% (4450 ha), comprenant les villages suivants de la Montagne de Reims: Ambonnay, Beaumont-sur-Vesle, Bouzy, Louvois, Mailly-Champagne, Puisieulx, Sillery, Verzenay et Verzy, dans la vallée de la Marne, Aÿ, Tours-sur-Marne et dans la Côte des Blancs, Avize, Chouilly, Cramant, Le Mesnil-sur-Oger, Oger et Oiry; 41 villages classés premiers crus de 90 à 99% (5620 ha), tandis que le solde de la superficie viticole (262 villages - env. 25'000 ha), classée de 80 à 89%, à droit à l'appellation seconds crus ou autres crus. Ainsi, la Champagne produit plus de près de 300 cents millions de bouteilles par année sous l'unique appellation, champagne. La qualité est donc loin d'être homogène.

C'est par conséquent principalement le privilège des petits propriétaires récoltants-manipulants en appellation 100% de pouvoir faire figurer sur l'étiquette la mention "grand cru". La surface homologuée à 100% est trop limitée pour que les grandes maisons puissent y prétendre. Nous désignerons par "vins de terroirs" les champagnes produits par les récoltants-manipulants et "vins d'assemblages" ceux qui sont élaborés par les grandes maisons.

Le rendement idéal pour produire un champagne de grande qualité est d'environ 1,3 kg de raisin par mètre carré. En réduisant le rendement, comme il est d'usage dans les grandes appellations de vins tranquilles, on obtient des champagnes lourds, perdant en fraîcheur et vivacité, caractéristiques d'un grand champagne. Le rendement maximum à l'hectare est modulé chaque année sur la base de 12'500 kg/ ha, alors que 160 kg de raisin ne permettent pas d'obtenir plus d'un hectolitre de moût (rendement 62,5%), apte à être vinifié sous forme de champagne.

Dans l'appellation Champagne, l'emploi de la machine à vendanger est interdit. La vinification en blanc implique des vendanges manuelles, plus respectueuses envers l'oxydation des moûts mais surtout seule méthode garantissant la non-coloration de ces derniers.

La législation réglemente sévèrement la manière de presser le raisin. Les normes en vigueur depuis 1990 fixent: par pressurage de lots de 4'000 kg de raisin (cette unité s'appelle un marc), une première presse donnera 2'050 litres de cuvée, suivie d'une pressée limitée à 500 litres qui constituent la taille. Le jus restant (rebêche) n'a pas droit à l'appellation. C'est donc un maximum de 2'550 litres par charge de raisin qui peut entrer dans l'élaboration du champagne. Mais plusieurs maisons soucieuses de qualité se limitent à la cuvée.

Une fois la cuvée assemblée, intervient la mise en bouteilles avec une addition de saccharose ou de fructose (24 g/ litre) et de levures sélectionnées, la liqueur de tirage. Ces levures du type bayanus sont sélectionnées en raison de leur faculté de travailler dans des conditions particulièrement difficiles: température fraîche, milieu anaérobie et alcoolique de l'ordre de 10,5 degrés initial. La liqueur de tirage provoque la prise de mousse et c'est de la lenteur de ce processus de fermentation que dépendront la finesse et la persistance de l'effervescence.

Une autre norme très importante pour la prise de mousse (appelée aussi deuxième fermentation) concerne le temps de mûrissement sur les lies. Les bouteilles doivent séjourner un minimum légal de quinze mois pour le champagne brut sans année (BSA), durée au-delà de laquelle intervient le remuage quotidien pendant deux à trois mois afin de rassembler le dépôt de lies mortes vers le centre du goulot. Les bons producteurs élèvent cette période de mûrissement jusqu'à trois, voire quatre années pour leurs champagnes BSA.

La législation impose un minimum de trois années de mûrissement pour un champagne millésimé. Les bonnes maisons le portent de quatre à sept ans, voir davantage, selon la cuvée et le millésime. Le prolongement de cette période durant laquelle le vin est en contact avec ses lies a un effet important sur la complexité du produit final (autodégradation enzymatique des levures - autolyse) et la qualité des bulles légères et fines qui forment un cordon tenace. C'est notamment à la mousse fine et crémeuse que l'on juge la qualité d'un champagne. On est donc loin de ces grosses bulles qui éclatent en désordre à la surface de certains champagnes que les spécialistes ont baptisé "yeux de crapaud". Les bons champagnes sont donc toujours commercialisés à maturité.

Le dégorgement est immédiatement suivi du dosage. Il consiste à compenser par du vin le volume (environ 0,7 cl) qui correspond au dépôt expulsé. Cet ajout s'effectue par ce que l'on nomme traditionnellement la liqueur d'expédition. Elle est composée d'un vin tranquille et de sucre de canne plus ou moins dosé qui déterminera le style de champagne (voir dosage). Trop souvent, malheureusement, le dosage a pour fonction de masquer la pauvreté de la matière première. À l'inverse, un champagne peu ou pas dosé se présente dans sa vérité authentique, reflétant sincèrement la qualité du raisin dont il est issu. C'est après le dosage qu'intervient le bouchage définitif avec son bouchon de liège, le muselet caractéristiques et enfin l'habillage de la bouteille prête pour l'expédition. Certains producteurs consciencieux indiquent sur l'étiquette la date du dégorgement. Il n'est pas inutile d'attendre une année après le dosage pour que l'ensemble soit bien fondu.

Une fois dégorgé (expulsion des lies rassemblées à proximité immédiate du bouchon), le vin n'étant plus nourri par ses lies, d'où l'intérêt d'anciens champagnes récemment dégorgés, il évoluera en bouteille. Bien conservé, dans des conditions d'hygrométrie et de température idéale mais surtout à l'abri de la lumière, il se transformera avec le temps, comme tous les vins de qualité, des arômes primaires de fraîcheur et de fruit, aux arômes secondaires qui peuvent évoluer vers l'agrume, l'épicé, pour tendre vers les arômes tertiaires à connotation toujours plus évoluée, tirant sur l'humus, la truffe, le cuir, la venaison etc. Contrairement à une idée reçue, selon laquelle un champagne doit être bu rapidement après sa mise sur le marché, les champagnes de bonne structure gagneront largement à l'attente. À chaque amateur, à condition de connaître la date du dégorgement, de déterminer à quel stade d'arômes il donne sa préférence.

En Champagne, pour le reste, la vinification qui précède la champagnisation s'effectue de manière traditionnelle, le plus souvent en cuves mais également chez une proportion plus rare de producteurs, en barriques et fûts de chêne permettant une fermentation douce et lente, avec bâtonnage des lies.


ZOOM

Le remuage manuel s'effectue sur des pupitres de remuage. Il s'agit d'un support sur lequel les bouteilles sont placées en position basse, le goulot vers le bas. Durant 2 à 3 mois, les bouteilles vont être manipulées par rotation, secouées et placées en position de plus en plus verticale. Ceci à pour effet de faire glisser le dépôt dans le col, contre le bouchon. Un bon remueur peut tourner à la main jusqu'à 50000 à 60000 bouteilles par jour, ce qui paraît assez impressionnant, mais une quantité raisonnable si l'on songe qu'il y a 20 ans, la cadence habituelle était de 70000 bouteilles. (Photo Moët & Chandon - Epernay)



ZOOM

Le mûrissement sur lattes soumet les bouteilles à des pressions intérieures et extérieures justifiant la solidité des bouteilles entreposées. Les lattes répartissent la charge, principalement en cas d'éclatement d'une bouteille défectueuse. (Photo CIVC - Epernay)



ZOOM

Le remuage manuel est de plus en plus remplacé par un remuage mécanique sur gyropalettes de 504 bouteilles, moins onéreux. (Photo CIVC - Epernay)
Le champagne est un produit d'assemblage et son élaboration l'apparente à celui des parfums. Les grandes maisons font intervenir dans la composition d'un brut sans année pas moins de 60 crus d'années différentes. Ce type de champagne est plus difficile à réussir qu'un millésimé. On juge une maison, non par son haut de gamme millésimé mais par son champagne sans année, élaboré avec des vins d'années différentes.

Dans les grandes maisons, un temps fort qui débute deux mois après les vendanges et qui s'étale sur plusieurs semaines, au rythme de plusieurs séances hebdomadaires, consiste en la dégustation par un collège d'experts de chaque cru vinifié séparément. Cette cérémonie très privée, ce rituel sévère, se déroule dans l'atmosphère silencieuse, neutre et quasi clinique de la salle de dégustation. Ainsi, au fil des dégustations, naissent les grandes orientations de chaque maison qui sont confrontées en permanence à la réalité mouvante des crus et des millésimes.

Un petit volume de vin tranquille blanc et rouge est élaboré sous l'appellation "coteaux champenois". Commercialisé au même prix que le vin champagnisé, on comprendra, bien qu'il puisse parfois atteindre une grande finesse, qu'il s'agit d'un rapport qualité-prix peu intéressant.

Par cette description de la champagnisation, on réalise mieux les raisons faisant que cette vinification très particulière intervienne pour une grande part dans le prix de la bouteille de champagne. Autrement dit, il faut se méfier des champagnes à petits prix. Le champagne bon marché de qualité n'existe pas!


ZOOM

La finesse crémeuse du cordon de bulles et de la mousse sont un des signes indéniables de qualité. (Photo CIVC - Epernay)





ZOOM

Le dégorgement à l'ancienne est désormais remplacé par l'opération mécanique qui expulse le dépôt de lies mortes, remplacé par la liqueur de dosage ou d'expédition. (Photo CIVC - Epernay)



ZOOM

L'élaboration de la cuvée, sous la haute responsabilité du chef de cave, est une opération délicate demandant un savoir-faire de grande importance pour aboutir à un style particulier de champagne, propre à chaque maison. (Photo CIVC - Epernay)



ZOOM

Les formats usuels des bouteilles de champagne au nombre de 9 sont représentés ici de gauche à droite par les flaconnages suivants: Quart, demie, bouteille, magnum - double-magnum - jéroboam - réhoboam - mathusalem - salmanazar. Non représentés et moins courants, les plus gros contenants, par ordre croissant, se nomment balthazar - nabuchodonosor - salomon - maximus. La bouteille et le magnum sont incontestablement les formats qualitativement les meilleurs, assurant le processus de champagnisation complet dans la bouteille d'origine. Pour les très gros contenant le remplissage s'effectue par tranvasage. (Photo Moët & Chandon - Epernay)
Copyright :
Philippe MARGOT
Quai de la Veveyse 6
CH-1800 VEVEY
10-10-2003
phmargot@freesurf.ch

mise en ligne : 15/11/2003

POUR CITER CET ARTICLE :
Philippe Margot, "Mieux comprendre le champagne", Cepdivin.org, novembre 2003, [En ligne] http://www.cepdivin.org/articles/phmargot03.html (Page consultée le ).



Philippe MARGOT : auteur du livre LE VIN de la Bouteille au Verre aux éditions Ketty & Alexandre, 1063 Chapelle-sur-Moudon (Suisse) - N° ISBN 2-88114-045-9 ; du glossaire des Mots de la Vigne, du Vin et des Alcools mais aussi des Mots de la Cuisine, de la Gastronomie et de l'Oenotourisme, sur le site http://www.cavesa.ch ; du "Florilège de Citations sur la Vigne et le Vin", sur le site http://och.free.fr, rubrique "Citations / Le vin".

Pour en savoir plus : Philippe Margot, journaliste vitivinicolePage perso de Philippe MARGOT

haut de page