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    Yann LeCun, le temps des machines

    Par Amaelle Guiton
    Le chercheur Yann LeCun, employé par Facebook dont il dirige le laboratoire d'intelligence artificielle, le en juin 2015 à Paris.
    Le chercheur Yann LeCun, employé par Facebook dont il dirige le laboratoire d'intelligence artificielle, le en juin 2015 à Paris. Photo Iorgis Matyassy

    «Monsieur Intelligence artificielle» chez Facebook croit benoîtement en un monde meilleur grâce au progrès technologique.

    Au bas de la carte de visite qu’il nous tend après l’interview, une citation inspirée de 2001, l’odyssée de l’espace. Une heure avant, Yann LeCun disait avoir vu le film de Kubrick à l’âge de 9 ans et en être ressorti «absolument fasciné». De là à en déduire que c’est sa rencontre avec HAL, l’ordinateur de bord du vaisseau Discovery One, qui a décidé de son devenir de chercheur, il n’y aurait qu’un pas, qu’on ne franchira pas tout à fait. Parce qu’il y a aussi, au rayon des souvenirs, les «bidules électroniques» bricolés dès l’enfance, les premiers ordinateurs - «il fallait tout programmer soi-même en langage assembleur, c’était assez sportif». Et surtout, en 1981, la découverte du débat qui opposa six ans auparavant le linguiste américain Noam Chomsky au psychologue suisse Jean Piaget, sur la part de l’inné et de l’acquis dans l’intelligence. «Dans l’équipe de Piaget, il y avait un mathématicien du MIT qui décrivait une machine capable d’apprendre, raconte LeCun. C’était la première fois que je lisais des choses là-dessus.» Trois décennies plus tard, les «machines apprenantes» sont toujours sa grande affaire.

    A 55 ans, le Français est le patron de Fair, pour Facebook Artificial Intelligence Research, l’équipe de recherche en intelligence artificielle du géant du Net, qui vient de franchir le cap du milliard d’utilisateurs connectés dans une même journée. Il dirige une cinquantaine de personnes réparties entre New York, Menlo Park en Californie et, depuis juin, une branche européenne à Paris. Dans des locaux hyperclimatisés, perchés avenue de Wagram, on le rencontre entre deux conférences. Le ton est doux, le débit rapide, les mots précis. Quand on lui demande d’expliquer sa spécialité, le deep learning, ou «apprentissage profond», il a un léger éclat de rire. Puis, s’aidant d’un smartphone ou d’une bouteille d’eau, il décrit une machine «constituée d’une série d’étages» : «La première couche détecte des petits contours élémentaires, la seconde assemble ces contours en motifs, puis les motifs sont assemblés en parties d’objets, les parties d’objets en objets, etc.» C’est ce qui permet à Facebook de vous reconnaître sur des photos ou dans des vidéos, mais aussi aux assistants vocaux des smartphones d’interagir avec des humains. Ces réseaux de neurones artificiels dits «convolutifs», le chercheur y a cru dès les années 80 et y a travaillé chez Bell Labs, dans le New Jersey, à partir de 1988. John Denker, ancien camarade de jeu, qui l’avait découvert lors d’un séminaire aux Houches, dans les Alpes, se souvient d’avoir dit à ses collègues : «Soit nous embauchons ce type, soit nous allons passer le reste de nos vies en compétition avec lui.» Las, au milieu des années 90, la technique - déployée pour de la lecture automatique de chèques - tombe en désuétude. Trop complexe, trop de puissance de calcul nécessaire.

    Mais LeCun n’en démord pas. En 2003, avec une poignée de confrères, il démarre, explique-t-il en riant, une «conspiration» pour «relancer l’intérêt de la communauté scientifique». A partir de 2011, le deep learning va vivre un retour en grâce spectaculaire, au point d’être prédominant dans le domaine de la reconnaissance d’image. «Du jour au lendemain, les gens ont abandonné tout ce qu’ils faisaient pour utiliser ces modèles, dit en souriant LeCun. Je n’ai jamais vu ça dans la science.» Il a, du coup, la modestie de ceux qui n’ont jamais douté et ont fini par décrocher la timbale. Il dit avoir «un peu de mal à être fier» de cette «idée des réseaux convolutifs, qui était relativement naturelle». «Quand il a abouti à une conclusion dans laquelle il croit, il est très têtu et déterminé, juge Geoffrey Hinton, qui le côtoie depuis trente ans, et l’a accueilli en post-doc à l’université de Toronto en 1987. Il s’est avéré qu’il avait raison.» «Il a réussi à maintenir un cap, confirme Laurent Najman, professeur dans une école d’ingénieurs parisienne. Il a des intuitions profondes, il est capable de faire des paris.» Y compris avec l’un de ses amis qu’en 2023, on pourra conduire sa voiture depuis son smartphone. «Je le suspecte de s’être fait embaucher par Facebook pour gagner», plaisante Najman. Mark Zuckerberg et son directeur de la technologie, Mike Schroepfer, sont venus le chercher à l’université de New York. «Beaucoup des technologies de l’Internet vont reposer sur l’intelligence artificielle. Avoir une compétence dans ce domaine est vraiment stratégique», juge le Français.

    Faut-il avoir peur de ces machines capables de reconnaître nos visages ou attitudes corporelles ? «Toute technologie puissante a le potentiel d’être dangereuse, admet-il. Bien sûr que ça pourrait être utilisé par des entreprises beaucoup moins scrupuleuses, ou par des gouvernements.» Lui est certain que «les avantages sont potentiellement beaucoup plus importants que les inconvénients». Il parle des applications possibles en médecine, en sécurité routière. Dit vouloir «rendre la vie plus facile, le monde meilleur» grâce au progrès technologique.

    On aimerait être aussi confiant. C’est ainsi : il est un optimiste, de ceux qui croient en la raison, en la «capacité des sociétés à se réorganiser». La vie aux Etats-Unis, où «la religion a une influence très importante», a pourtant fait de cet athée tranquille un «militant rationaliste». Ce qui ne l’a pas empêché, il y a quelques années, d’acquérir la nationalité américaine, comme pour sa femme et ses trois enfants. Depuis, il vote des deux côtés de l’Atlantique. En France, en 2012, c’était pour Bayrou au premier tour. Mais «sur l’échiquier politique américain, je serais à l’extrême gauche, s’amuse-t-il. Je suis un grand fan du système de protection sociale à la française».

    La France, il y est revenu chaque année, pour des vacances dans les Côtes-d’Armor. Il y fait voler des modèles réduits d’avion, un virus familial transmis par un père ingénieur en aéronautique, qu’il a converti, en retour, aux joies de l’imprimante 3D. Quand le chercheur lève le nez de ses travaux, c’est pour «construire des choses physiques avec les mains».

    Son appartement new-yorkais est une «maison de geek», il lit peu de romans, quelques biographies, beaucoup de livres scientifiques, écoute du jazz et, en avion, «des cantates de Bach». Il pense qu’on est encore loin de construire des machines capables de rivaliser avec l’intelligence et qu’il n’y a aucune raison qu’elles aient «les pulsions, les désirs, les défauts des humains». HAL n’est pas pour demain. Avec ses «machines apprenantes», on est déjà, un peu, dans la science-fiction.

    En 5 dates : 8 juillet 1960 Naissance à Paris ; 1987 Soutient sa thèse : «Modèles connexionnistes de l’apprentissage» à l’université Pierre-et-Marie-Curie ; 1988 Embauché chez AT & T Bell Laboratories ; 2003 Professeur à l’université de New York ; décembre 2013 Rejoint Facebook.

    Amaelle Guiton
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