Pour Baidu, l'intelligence artificielle est un combat bien réel

Après le départ de la star des chercheurs, qu'il avait recrutée en fanfare, le «Google chinois» tente de conforter sa réputation sur ce secteur d'avenir et dans la compétition avec les Etats-Unis.
Baidu, le «Google chinois» fondé en 2000 par Robin Li, actuelle 7e fortune de Chine selon Forbes, prévoyait encore récemment de devenir l’un des héros du virage de la Chine vers l’intelligence artificielle (IA). Mais depuis quelque temps, la firme dégringole plutôt aux enfers. Elle se remet mal du départ, le 21 mars, d’Andrew Ng, un chercheur star que Robin Li avait recruté en 2014 pour incarner son investissement dans ce domaine. La vedette avait pris tout le monde de court en annonçant sur Twitter qu’il quitterait le navire courant avril.
Un mauvais signal qui s’ajoute à d’autres. Le bénéfice de Baidu a plongé de 14 % l’année dernière, ses recettes publicitaires fondent comme neige au soleil et la firme paie le rachat controversé, en février, de Raven Tech, une start-up chinoise de l’intelligence artificielle «extrêmement dysfonctionnelle, avec des employés surpayés qui ne faisaient strictement rien», comme le résume une source bien informée à Pékin… Plus rien ne semble arrêter la déferlante des mauvaises nouvelles. Le magazine Caixin affirme ainsi que deux autres piliers de Baidu ont également fait défection.
La «nouvelle électricité» du XXIe siècle
Le départ d’Andrew Ng, Britannique d’origine hongkongaise, gourou de l’IA diplômé de Berkeley et professeur à Stanford, a fait l’effet d’une bombe en Chine. Roi du marché avec un quasi-monopole du fait de la censure de Google par Pékin, Baidu cherchait depuis des années à s’internationaliser et à monter en puissance sur l’IA. Le recrutement de cet ancien de Google, que Time avait mis dans sa fameuse liste des 100 personnes les plus influentes de la planète, était le symbole même de cette double stratégie, amorcée en 2012. Ng dirigeait sous sa coupe 1 300 chercheurs.
A peine son départ connu, le titre Baidu a aussitôt été sanctionné au Nasdaq : l’action du groupe pékinois a décroché de 4 % le 22 mars par rapport au pic enregistré deux jours plus tôt. A suivi une pluie de spéculations dans les journaux chinois sur la capacité réelle de la deuxième économie mondiale à devenir, avec les Etats-Unis, l’autre grande puissance de l’IA, la «nouvelle électricité» du XXIe siècle, comme l’avait baptisée Andrew Ng.
Pour faire taire la polémique, Baidu a contre-attaqué avec une rapidité suspecte, en annonçant qu’il allait ouvrir le 31 mars un deuxième laboratoire dédié à l’IA, au cœur même de la Silicon Valley et en plus de celui qu’il possède déjà à Sunnyvale depuis 2014. Selon Caixin, ce nouveau centre accueillera 150 chercheurs. Baidu n’est pas le seul chinois de la Valley. Début mars, Didi Chuxing, le «Uber chinois», avait lui aussi lancé son premier centre californien de R&D consacré à l’intelligence artificielle, et à Mountain View par-dessus le marché, là où se trouve le siège de Google.
Car «Baidu a décidé de se transformer pour devenir une entreprise d’intelligence artificielle», croient savoir Chi Tsang et Qin Wang, analystes à Hongkong chez HSBC et auteurs d’un récent rapport sur le groupe chinois. Pour cela, début 2017, Robin Li avait même donné la présidence de la firme à un Shanghaïen de 55 ans formé aux Etats-Unis, Lu Qi. Une «figure faisant autorité dans le domaine de l’intelligence artificielle», avait alors dit le milliardaire en parlant de sa nouvelle recrue et des 40 brevets attachés à son nom.
Rivaliser avec les géants américains
Et d’une manière générale, en Chine, les géants du Web montent tous en puissance sur l’intelligence artificielle, avec plus ou moins de succès, notamment, comme on le voit, pour retenir les cerveaux. Rien d’étonnant : «L’intelligence artificielle va être le facteur de compétitivité numéro 1 dans le monde industriel, quelle que soit la thématique. Pas un domaine ne lui échappe», explique Antoine Petit, mathématicien et actuel PDG d’Inria, l’Institut de recherche français sur les sciences du numérique. La Chine rattrape donc son retard, y compris dans la recherche fondamentale. Le pays détient en particulier les deux supercalculateurs les plus puissants de la planète.
En misant sur l’IA, Baidu mais aussi Tencent et Alibaba, veulent d’abord améliorer leurs produits respectifs (search, messagerie instantanée ou e-commerce) mais aussi ouvrir de nouveaux marchés, comme celui de la voiture autonome sans conducteur. A plus long terme, se profile aussi la vente de services d’IA. «C’est le Graal pour toute entreprise dans ce secteur, affirme Thomas Graziani, fondateur d’une start-up à Pékin. Des sociétés chinoises ou internationales pourront leur louer ou leur acheter du pouvoir cérébral, par exemple pour réaliser des tâches simples, comme la tenue de leur comptabilité, mais aussi des tâches trop complexes pour les humains.»
Un plan d’investissement gigantesque est prévu pour déployer dans les prochaines années un nouveau réseau mobile 5G, qui promet d’être jusqu’à 1 000 fois plus rapide que la 4G. La tech chinoise entend bien rivaliser avec les GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazon) américains, partis avant tout le monde dans la course à l’IA. Le gouvernement la soutient activement, avec une stratégie baptisée «Internet Plus» annoncée en 2015 par le Premier ministre, Li Keqiang. Enfin, la NDRC, la puissante agence chinoise de planification économique, a dévoilé un programme sur trois ans visant à créer un marché local de l’IA pesant plus de 15 milliards de dollars (plus de 14 milliards d’euros) d’ici à 2018. Cette année-là, la Chine devra «être alignée avec la technologie mondiale de l’intelligence artificielle».
Cette ambitieuse feuille de route a provoqué une pluie d’investissements dans ce secteur. A tel point que certains craignent déjà la formation d’une bulle… Selon les chiffres du Wuzhen Institute, un think tank chinois cité récemment par le South China Morning Post, la Chine est dorénavant le deuxième pays au monde attirant le plus de capitaux dans l’IA, derrière les Etats-Unis, mais devant le Royaume-Uni.
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