L’intelligence artificielle, un futur omniprésent

Au salon Microsoft Experiences, les IA «faibles», comme Siri, ont la cote. Elles envahissent nos quotidiens, loin de l’image de conscience anthropomorphe véhiculée par la culture populaire.
A l’image de 2001 l’Odyssée de l’espace, Blade Runner ou Terminator, les œuvres de fictions sont nombreuses à se faire l’écho de la crainte et de la fascination que l’intelligence artificielle (IA) suscite. C’est qu’à l’échelle du temps long, la création par l’homme d’une œuvre capable de logique est l’une des grandes caractéristiques de l’époque.
Pour prendre le pouls de ce mouvement qui s’emballe, nous nous sommes rendus au salon Microsoft Experiences, mardi et mercredi au Palais des congrès de Paris. Lors de cette grand-messe aux allures de keynote, le géant de l’informatique s’adresse aux professionnels. Sur deux jours, environ 15 000 cols blancs, en majorité des hommes, s’affairent au hasard des stands où tout est déployé pour les séduire et les impressionner. Un couloir entier est dédié aux IA faibles, c’est-à-dire spécialisées et non-conscientes qui envahissent notre quotidien. Nous en transportons presque tous une dans la poche : elles s’appellent Siri ou «OK Google», et se multiplient dans les foyers anglo-saxons et allemands sous la forme d’Alexa, l’assistant personnel d’Amazon.
Mais au salon, sont avant tout présentées des IA au service des professionnels : elles peuvent chercher une information sur le Web, traduire un discours à l’oral et en temps réel, organiser un emploi du temps ou repérer des pics d’usagers dans des statistiques de transports en commun. L’usager commande ces IA en dialoguant oralement ou par écrit. Nombreux sont les stands proposant aux entreprises des solutions pour installer sur leur site un chatbot, qui permet de répondre aux questions les plus basiques des clients. Mais s’ils savent construire des phrases simples, ces robots ne comprennent pas le sens réel de leurs paroles. Tay, le chatbot lancé en 2016 par Microsoft que certains utilisateurs de Twitter étaient parvenus à faire tenir des propos racistes, laissa une image telle que l’entreprise préfère ironiser à son sujet devant un amphithéâtre de plus de 3 800 professionnels.
47 mots. Toutes ces IA améliorent leurs services en collectant toujours plus de données parmi lesquelles elles savent identifier des récurrences. Elles posent donc le problème de la collecte et de l’exploitation de nos données personnelles, ainsi que du droit à l’oubli. Pour protéger la vie privée des particuliers, tous les spécialistes que nous avons rencontrés s’accordent sur la nécessité de légiférer. Mais sur ces questions, l’échelle nationale n’est pas adaptée et seule une véritable politique européenne que ne fait qu’ébaucher le règlement européen de protection des données personnelles qui entrera en vigueur en 2018, pourrait se révéler efficace.
Après avoir automatisé, ces cinquante dernières années, certaines tâches mécaniques, l’homme se dote aujourd’hui de la capacité de le faire pour des tâches liées à la gestion de l’information. Dans certains domaines, les IA sont devenues plus fiables et rapides que l’homme. La lecture des chèques ou des déclarations fiscales a été automatisée depuis plus d’une décennie. Dans le domaine de la santé, certains algorithmes sont plus fiables que les spécialistes pour repérer sur des radios certains cancers. Elles peuvent rendre de nombreux services, à la condition qu’on ait le réflexe ou l’envie de les utiliser. Elles pourraient, à l’image des boîtes de vitesse automatiques boudées pour des raisons culturelles par les Européens, ne jamais connaître de réel succès.
Mais nous sommes encore loin de réaliser le vieux rêve romain de confier à une force servile le travail, le negotium pour que l’homme puisse se livrer pleinement à l’otium, au loisir de la réflexion. Au contraire, l’être humain va devoir assurer tout ce que la machine ne peut encore réaliser, à commencer par la manutention. A l’image de ces préparateurs de commandes Lidl récemment mis en lumière par l’émission Cash Investigation . Devenus les chevilles ouvrières de l’IA, avec qui ils sont en liaison par l’intermédiaire d’un casque, ils récupèrent à longueur de journée des colis sur ses ordres et ne peuvent interagir avec elle qu’à l’aide de 47 mots. Dans ces métiers, l’IA peut rendre le travail plus parcellaire, répétitif, hébétant.
Dans le tertiaire, l’IA faible pourrait rapidement faire disparaître des métiers comme secrétaire ou traducteur. Mais totalement ? Pas si certain, car recourir à leurs services pourra demeurer un symbole de luxe. Ainsi, l’apparition de l’imprimerie en 1 453 n’a pas totalement fait disparaître le métier de copiste. Certes, l’immense majorité des livres furent dès lors produits sous presse, mais les ouvrages de prestiges continuèrent à être manuscrits pendant des siècles.
Choix. Comme en témoignent chaque année les évolutions du salon, la technologie évolue à une vitesse jamais vue auparavant. Elle pourrait entraîner des changements socioéconomiques plus rapides encore, mais le mouvement est ralenti par l’inertie des structures sociales. La plupart des entreprises sont lentes à s’équiper et peinent à identifier comment elles peuvent utiliser productivement les IA. Pour les aider à franchir le pas, les sous-traitants spécialisés dans leur déploiement sur-mesure se multiplient. Elles contribuent au fait que le monde du travail évolue de plus en plus rapidement et d’une manière difficile à prévoir. Le rythme de ces évolutions est tel que l’apprentissage professionnel ne peut plus être seulement initial ; elles vont contraindre le travailleur à des adaptations et formations constantes au cours de sa carrière.
Si le temps présent est marqué par l’irruption imminente des IA dans le quotidien, l’IA sensible et anthropomorphe est encore un lointain mirage. C’est au contraire la myriade des assistants personnels contenus dans de petits objets électroniques, nous aidant à nous organiser et réalisant des tâches d’analyse simples mais répétitives qui commence à changer nos vies et nos sociétés. Mais si l’IA peut et doit aider l’homme, notamment lorsqu’il prend des décisions, elle ne doit pas faire seule des choix pour lui. Une ligne rouge déjà franchie par l’algorithme d’admission post-bac, qui choisissait automatiquement l’orientation des bacheliers. Et que l’Etat a été contraint de réviser, sous la pression conjointe de l’opinion et de la Cnil.
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