Pour les majors, un délicat virage à négocier
La montée en puissance des véhicules électriques devrait réduire la demande de pétrole de plusieurs millions de barils par jour à l'horizon 2035.
Au fil des annonces des gouvernements et des constructeurs automobiles sur la fin programmée des modèles essence et diesel, les grands producteurs de pétrole ont pris conscience qu'une part de leurs débouchés allait progressivement s'évaporer. « Sur une demande totale de 95 millions de barils par jour (mb/j) aujourd'hui, la consommation "à risque", c'est-à -dire liée aux voitures, est de 19 mb/j », rappelle Alexandre Andlauer, analyste chez Alpha Value.
Le transport capte plus de la moitié de la demande mondiale de pétrole, mais une bonne part est utilisée pour le transport aérien et maritime et pour les camions, pour lesquels l'électrification est encore lointaine.
Jusqu'à 8 millions de barils par jour déplacés
Selon les différents scénarios à long terme de l'Agence internationale de l'énergie (AIE) ou de BP, la part de marché du véhicule électrique, imaginée autour de 10 % à l'horizon 2035 ou 2040 (contre 0,2 % des véhicules en circulation dans le monde en 2016), réduira ainsi la demande de pétrole de quelques millions de barils par jour. « La pénétration des véhicules électriques élimine 6,5 millions de barils par jour en 2035 ", estime par exemple la société d'études Wood Mackenzie, tandis que Bloomberg New Energy Finance (BNEF) table jusqu'à 8 mb/j déplacés vers de la consommation d'électricité.
Si l'impact est donc loin d'être négligeable pour les producteurs, il sera toutefois atténué par la croissance de la demande mondiale de pétrole. A l'horizon 2035, BP table ainsi sur une consommation de 110 millions de barils par jour, même si ce niveau pourrait alors marquer un pic de la demande. La baisse liée aux véhicules électriques est « significative mais ne compense pas la hausse de la demande en produits pétroliers, soutenue par le développement du parc automobile notamment dans les pays émergents, ainsi que par la croissance de véhicules lourds (camions, bus) et du trafic aérien et maritime ", note ainsi Total. Les pétroliers ont déjà commencé à anticiper le mouvement avec la quête des constructeurs pour améliorer les performances des carburants. Et alors que la part du gaz dans leur mix de production a déjà grossi, certains pétroliers développent aussi le carburant à partir de gaz, à l'instar du gaz naturel véhicule (GNV) chez Total, en visant notamment les flottes de camions.
Plusieurs groupes pétroliers ont aussi mis un pied dans l'électricité, en investissant dans le solaire et l'éolien, mais aussi le stockage. Shell a créé une division dédiée pour les énergies vertes, Statoil investit dans l'éolien en mer et Total a racheté le spécialiste de batteries Saft et dans le fournisseur Lampiris.
A l'aval de la production, la moindre demande de carburants aura aussi une incidence sur l'industrie du raffinage, qui s'est déjà réorientée vers les pays émergents, au détriment des sites européens.