De gauche à droite, trois femmes victimes de crimes d'honneur dans le Kurdistan irakien. Photos postées sur la page Facebook "Conference to Remember Du’a Khalil".

Mardi, un Marocain vivant dans le nord de l’Italie a poignardé à mort sa fille de 18 ans. Le motif du crime : elle entretenait une relation avec un Italien catholique de 31 ans. Ce type de "crime d’honneur" fait figure de fait divers en Italie, mais il est relativement courant dans certains pays du Maghreb, en Asie du Sud et surtout au Moyen-Orient.

Les "crimes d’honneur" sont ceux commis, selon la définition de l’ONG Human Rights Watch, "par les membres masculins d’une famille à l’encontre de ses membres féminins, lorsque celles-ci sont perçues comme une cause de déshonneur pour la famille tout entière".

Dans un rapport de 2002, le rapporteur spécial de la Commission des droits de l’Homme de l’ONU précise que des crimes d’honneur ont été répertoriés en Egypte, en Iran, en Jordanie, en Syrie, au Liban, au Maroc, au Pakistan, en Turquie, au Yémen, ainsi que dans d’autres pays méditerranéens et du Golfe. Selon ce rapport, des crimes d’honneur sont également commis en France, en Allemagne et au Royaume-Uni au sein des communautés d’immigrants. La liste onusienne n’est pourtant pas exhaustive. On pourrait y ajouter le Kurdistan irakien, les Territoires palestiniens, le Bangladesh, régions où le crime d’honneur est même de plus en plus pratiqué.

Il n’existe pas de statistiques complètes sur ce phénomène, car les crimes d’honneur sont commis dans le cadre privé de la famille et sont souvent maquillés en accidents. Toutefois, chaque année, entre 25 et 50 femmes et jeunes filles seraient victimes de crimes "d’honneur" en Jordanie; près de 200 en Syrie, 500 au Yémen et plus de 1 000 au Pakistan. Dans les Territoires palestiniens, 70 % des crimes perpétrés contre les femmes seraient liés à "l’honneur", bien qu’attribués le plus souvent à d’autres motifs.

Contrairement au crime passionnel, le crime dit d’honneur est prémédité. Pourtant les peines encourues en cas de "crimes d’honneur" sont très légères (de quelques mois à deux ans maximum). L’auteur du crime bénéficie en effet de circonstances atténuantes, voire dans certains cas d’une excuse absolutoire, c’est-à-dire qui le dispense de peine.

En Jordanie, la reine Rania s’est prononcée ouvertement pour un durcissement des peines contre les auteurs de crimes d’honneur. Mais le Parlement jordanien a déjà refusé à deux reprises l’abolition de l’article 340 du Code pénal jordanien et s'est contenté de le modifier : l’auteur du crime d’honneur peut désormais être condamné, mais il n'écope que d'une peine de quelques mois de prison.

Les législations évoluent également dans d'autres pays. En 2006, le Pakistan a voté une loi qui rend les auteurs de crimes d’honneur passibles de la peine de mort. La Turquie qui réduisait, en vertu de l’article 462 de son Code pénal, la peine du coupable au huitième de sa peine normale, voire plus s’il était mineur, le condamne désormais à la perpétuité.

Du'a Khalil, lapidée à mort en 2007

Le 7 avril 2007, Du’a Khalil Aswad a été lapidée à mort à Bashiqa, dans le Kurdistan irakien, par des centaines d’hommes dont son oncle et ses proches parents. Elle était d’obédience yazidi, une petite minorité religieuse syncrétique de langue kurde. Son crime : être tombée amoureuse d’un musulman sunnite. Vidéo publiée sur le site YouTube par HarmanKurdi, le 17 octobre 2008.

"Les crimes dits d'honneur touchent, en Syrie, aussi bien des familles musulmanes que chrétiennes"

Bassam Alkadi est le président de l’Observatoire des femmes syriennes qui a lancé, en 2005, une campagne contre le crime d’honneur en Syrie.

Les femmes sont généralement assassinées pour des raisons comportementales et sociétales, comme le fait de tomber amoureuse – sans même avoir de rapports sexuels – d’une personne d’une autre confession, ou de l’épouser. La famille peut également se débarrasser de la femme car elle n’approuve pas l’homme qu’elle a épousé, ou parce que c’est le moyen le plus simple de la priver de l’héritage.

Contrairement aux clichés largement répandus, les crimes dits d’honneur touchent, en Syrie, aussi bien des familles musulmanes que chrétiennes, selon une étude menée par notre Observatoire. Ce fléau n’est pas non plus limité à une région, une couche sociale ou un niveau d’éducation.

La loi syrienne dans ce domaine a été récemment modifiée (l’article 548 fut abrogé au profit du décret législatif 37). L’auteur du crime ne bénéficie plus, comme par le passé, de l’excuse absolutoire, mais uniquement de circonstances atténuantes. Mais cette modification n’a pas beaucoup de valeur car les juges rendent leur verdict, dans les cas de crimes d’honneur, en s’appuyant sur un autre article - l’article 192 - en vertu duquel l’auteur d’un crime commis pour 'motif honorable' est condamné de six mois à un an de prison maximum.

Il faut également préciser que seuls les hommes bénéficient de ces peines allégées. Une Syrienne avait tué son mari, il y a deux ans, après l’avoir surpris en train de violer ses filles d’un premier mariage. Elle a été condamnée à 12 ans de prison".