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    Crimes d'honneur - Les familles immigrantes doivent mieux connaître la société d'accueil

    «Si on approche les familles de façon trop directe, on va les perdre», explique Régine Allende, du Centre d’encadrement pour jeunes femmes immigrantes de Montréal.<br />
    Photo: Jacques Nadeau - Le Devoir «Si on approche les familles de façon trop directe, on va les perdre», explique Régine Allende, du Centre d’encadrement pour jeunes femmes immigrantes de Montréal.
    Le verdict de culpabilité rendu par le jury dans le procès Shafia souligne les conflits culturels vécus à l'intérieur de certaines familles immigrantes. Très au fait de cet enjeu, une intervenante travaillant auprès des jeunes immigrantes de Montréal s'inquiète du sort de certaines d'entre elles.

    Les immigrants devraient être avisés avant même leur arrivée au Québec des différences culturelles qui les attendent dans leur société d'accueil. Cela pourrait éviter par exemple des événements graves comme celui survenu dans la famille Shafia.

    C'est ce que croit Régine Allende, du Centre d'encadrement pour jeunes femmes immigrantes de Montréal. «Je crois que certaines familles décideraient alors de ne pas venir vivre ici», dit-elle.

    Selon Mme Allende, les tensions liées aux différences culturelles au sein d'une même famille sont courantes dans le monde immigrant.

    Les pressions exercées sur une jeune femme qui ne se conforme pas aux règles sociales de sa culture d'origine peuvent provenir autant de sa propre famille que de l'ensemble de sa communauté. Ainsi, un collège québécois avait envoyé au centre une jeune femme originaire du Pakistan qui disait subir de la violence de sa communauté. On lui reprochait de fréquenter des Québécois alors qu'elle était promise à un cousin au Pakistan. «Elle disait que la communauté avait fait augmenter la réaction de la famille», raconte Mme Allende. Après avoir quitté temporairement le foyer familial, la jeune fille, amadouée par des cadeaux, y retourne. La famille prévoit alors un voyage au Pakistan. Quelques mois plus tard, le collège confirme que la jeune fille n'est jamais revenue en classe.

    L'automne dernier, une jeune fille de 14 ans, fraîchement arrivée au Québec, souhaitait sortir le soir, alors que ses parents le lui interdisaient formellement. Pour faire valoir son droit, la jeune fille téléphone à la police, qui signifie aux parents que la jeune fille a le droit de sortir. Peu de temps après, les parents décident de retourner dans le pays du Maghreb d'où ils viennent, en laissant ici la jeune fille de 14 ans.

    «Les parents se sont dit: "elle est sous la protection de la police"», dit Régine Allende. Or, dans plusieurs pays dont proviennent ces immigrants, la famille est la seule garante de la sécurité des enfants. La famille se porte également garante de la virginité des filles envers leur éventuel mari.

    Par ailleurs, les jeunes femmes immigrantes vivent également des pressions de leur milieu d'accueil, à l'école par exemple, pour se conformer aux valeurs communes.

    «Certaines jeunes femmes vont vouloir faire comme tout le monde pour éviter le taxage ou le harcèlement», dit-elle. Elles sont alors prises entre deux feux sans voie de sortie.

    Lors d'une recherche-action menée en 2006 sur la violence faite aux filles dans les familles immigrantes, le Centre relevait que les filles entretenant des relations amoureuses empreintes de violence étaient souvent manipulées par leurs partenaires et forcées à continuer la relation sous peine qu'elle soit révélée à leurs parents.

    «Les femmes et les filles sont souvent dévalorisées par la culture dominante et par celle de leur pays d'origine», lit-on dans la recherche-action.

    Battue pour être sortie trop tard le soir

    Arezina Gnofame, qui a tenu des ateliers portant sur les conflits familiaux pour le Centre d'encadrement des jeunes filles immigrantes, se souvient du cas de cette jeune Africaine de 19 ans, qui disait qu'elle trouvait normal d'être battue parce qu'elle était sortie trop tard le soir. On ne parle pas ici de la traditionnelle fessée, mais de gifles ou même de coups de bâton.

    «Lorsqu'on demande aux familles immigrantes si elles sont d'accord avec les méthodes d'éducation d'ici, 80 % répondent que non», constate-t-elle. Par ailleurs, dans le domaine de la violence survenant dans les familles immigrantes, beaucoup d'expériences demeurent non dites. Il n'est d'ailleurs pas rare que ce soit l'homme de la famille qui prenne contact avec le centre d'encadrement pour discuter du cas de sa femme et de sa fille. Pour ne pas faire fuir la famille, les intervenantes vont souvent d'abord écouter l'homme, puis tranquillement, au fil des rencontres, diriger les questions vers la femme.

    «Si on approche les familles de façon trop directe, on va les perdre, remarque Régine Allende. Il faut les initier progressivement aux valeurs de la culture d'accueil».

    Mme Allende note aussi que plusieurs intervenants québécois sont démunis devant les cas de violence familiale dans une culture qui n'est pas la leur. «Ici, nous représentons 66 ethnies. Nous abordons les femmes dans leur langue maternelle», dit Régine Allende. Il faut aussi, selon elle, prendre autant de temps pour écouter un ou des parents que pour écouter les enfants. Enfin, il faut relever certains signes révélateurs d'un conflit non dit. Il faut être particulièrement attentif lorsqu'une jeune femme pleure beaucoup, par exemple, ou lorsqu'elle est agressive.

    Dans l'exercice de son travail, Régine Allende rencontre aussi des cas de jeunes filles et de femmes qui ont été violées dans des pays en guerre et qui sont complètement déconsidérées dans leur propre famille, après leur arrivée au Canada.

    «Il y a des viols dans à peu près tous les pays en guerre», constate-t-elle. Certaines femmes en payent le prix, jusque dans l'intimité de leur famille, jusqu'à la fin de leur vie.












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