Islam et Musulmans - Page d'accueil du site IQRI MIEUX COMPRENDRE L'ISLAM ET LES MUSULMANS En séparant le politique du religieux, la laïcité place chaque individu et chaque famille face à leur responsabilité de pratiquer ou non une religion. On ne peut pas à la fois jouir de la liberté religieuse et reprocher à la société qui offre cette liberté de ne pas imposer aux individus une « charia »sensée les préserver de la délinquence. Christian Bibollet * English * Français Facebook Twitter Google Plus LinkedIn Syndiquer le contenu Accueil › Crimes d'honneur et émancipation Crimes d'honneur et émancipation Soumis par Christian Bibollet le mer, 2014-04-02 19:44 * Femmes et familles en islam * Étude * Christine Schirrmacher * Islam * Charia Tweet IFRAME: http://www.facebook.com/plugins/like.php?href=http://www.iqri.org/artic les/crimes-d-honneur-et-emancipation&locale=&layout=button_count&show_f aces=false&width=86&action=like&font=trebuchet+ms&colorscheme=light&hei ght=21 « A Şanliurfa, une femme a été assassinée. Il a d’abord semblait qu’il s’agissait d’un accident de la route mais la vérité est apparue ensuite : Semse Kaynak, avait été assassinée. Après leur arrestation, son frère et son père ont expliqué qu’elle avait souillé l’« honneur » de la famille et que c’était la raison pour laquelle ils l’avaient précipitée sous les roues de leur tracteur. » « Avant d’être tuée, le dernier vœu de Naime Selman a été d’avoir les yeux bandés. Elle n’a pas essayé de se défendre lorsque ses trois frères l’ont jetée d’un pont. Elle savait que la punition qu’elle encourait pour s’être enfuie de la maison était la mort, et cela depuis des milliers d’années. « L’honneur » venait encore de coûter la vie à une autre femme. » [1] Les crimes d’honneur n’arrivent pas seulement dans les régions orientales de la Turquie. Des femmes sont tuées pour des « motifs d’honneur » en Allemagne ainsi que dans les pays voisins. Les statistiques criminelles n’ont pas de catégories spéciales pour les crimes d’honneur, mais les organisations des droits de l’homme nous ont communiqué que huit femmes avaient perdu la vie pour cette raison entre octobre 2004 et juin 2005. Sept de ces cas se sont produits à Berlin. Quarante-neuf meurtres ou tentatives de meurtre ont été commis entre 1996 et 2005, dont 77% des victimes et des auteurs étaient originaires de la communauté turque [2]. D’après les Nations Unies, le nombre de crimes d’honneur dans le monde est d’environ cinq milles [3], mais il est probable que leur nombre réel soit bien plus élevé. Kofi Annan, Secrétaire Général des Nations Unies, a modifié l’expression « crimes d’honneur » en « crimes de honte » [4], une formule née lors d’un débat initié par la CDU/CSU au Parlement allemand sur la protection des femmes face à de tels crimes. Beaucoup de ces crimes sont précédés de violents conflits au sein des couples, mais le concept d’honneur et de honte, dont l’ancrage culturel est profond, empêche beaucoup de femmes de se séparer d’un conjoint violent. En fait, beaucoup de ces crimes arrivent parce que les femmes veulent quitter leur partenaire ou l’ont déjà quitté. L’ex-conjoint est souvent le meurtrier [5]. Dans le cas d’un crime d’honneur en Allemagne, au début de 2005, une jeune femme turque est morte après avoir reçu des coups de feu dans une rue de Berlin. La famille d’Hatun Surucu lui reprochait d’avoir vécu seule, « comme une allemande » (un commentaire fait par certains élèves d’une école turque après que la nouvelle se soit répandue). Elle a été tuée dans la rue par son plus jeune frère parce que son mariage en Turquie avait échoué et qu’elle était revenue en Allemagne avec son fils. Sa famille ne voulait plus d’elle et elle avait commencé une formation en électricité. Sa détermination et sa résistance aux traditions lui ont coûté la vie. Ses frères « ont voulu effacer ce qu’ils considéraient comme une tâche honteuse sur leur famille » [6]. Des crimes d’honneur sont commis dans les régions kurdes de l’Est de la Turquie, parmi les populations kurdes des régions limitrophes de la Jordanie, en Syrie, au Pakistan, en Indes, au Bengladesh, en Iran, Irak, Israël/Palestine, au Liban, en Ethiopie et au Kosovo ainsi que dans d’autres pays tels que le Mexique, l’Equateur, le Brésil, l’Afrique de l’Est, la Malaisie, la Papouasie-Nouvelle Guinée, le Cambodge, et même dans les pays occidentaux accueillant des immigrants comme la Suisse et l’Italie [7]. Silvia Tellenbach ajoute à cette liste le Magreb et le Yemen, pour lesquels elle a relevé, en 1997, pas moins de quatre cents crimes d’honneur, selon la presse en langue arabe [8]. Ces statistiques n’existent cependant que dans quelques pays. Amnesty International au Pakistan relève que plusieurs centaines de crimes d’honneur ont eu lieu en 2004 [9]. Le nombre de mille cinq cents meurtres par an est aussi évoqué pour le Pakistan [10]. Partout, cependant, le nombre de morts pour crime d’honneur est plus élevé, ces crimes étant souvent déguisés en suicide ou en accident. La mondialisation fait que les sociétés occidentales – d’un point de vue culturel, traditionnel ou religieux – sont aussi confrontées à la question de la définition patriarcale coutumière du rôle de l’homme et de la femme dans les sociétés tribales et à leur compréhension de l’honneur et de la honte. Les normes religieuses et les évolutions sociologiques doivent aussi être prises en compte, c’est-à-dire l’adaptation et le renforcement de la tradition dans la diaspora qui va à l’encontre des perceptions et de la sensibilité modernes. Les concepts d’honneur et de honte Dans les cultures du Proche et du Moyen-Orient, la forme « commune » de l’honneur (en arabe : sharaf) est importante. Ce sens de l’honneur, qui caractérise chaque individu, est fait de force, de courage, de générosité et de solidarité et constitue la colonne vertébrale de la société. C’est un moyen de gagner respectabilité et honneur. L’honneur peut être perdu en raison de comportements sociaux inacceptables mais peut être reconquis par des actions convenues, plus particulièrement par des actes de générosité ou par des actes approuvées par la société. Cependant la langue turque a un autre mot pour « honneur » (saygi) qui désigne l’honneur que les jeunes doivent à leurs aînés, ou les enfants à leurs parents. Saygi désigne les attitudes respectueuses que l’on doit manifester envers son père, et que celui-ci peut exiger à tout instant en tant que chef de famille. Dans cet article, nous parlons, pour l’essentiel, d’une autre forme d’honneur (en arabe : ‘ird, en turc : Namus) en rapport avec la pureté sexuelle et l’attitude irréprochable exigées des femmes de la famille. Sur celles-ci repose l’honneur de tout un clan. En d’autres termes, l’attitude des sexes l’un envers l’autre est une affaire d’honneur et, dans une société tribale, cette attitude est comprise dans un sens très étroit. Pour une femme, préserver l’honneur de la famille signifie éviter les contacts avec un homme n’appartenant pas à la famille au sens large, et quand c’est inévitable, montrer de la bienséance, par un vêtement correct (qui la couvre), en évitant tout contact visuel, toute parole inutile et en se montrant d’une extrême modestie. Chaque famille et chaque clan assurent leur honneur en exigeant que leurs femmes se conforment à ces normes. Dans une société fondée sur les valeurs tribales, cette sorte d’honneur a plus de valeur que la vie humaine, car personne ne peut vivre privé de son honneur. Pourquoi des crimes d’honneur ? Une fille ou une femme est tuée « pour raison d’honneur », par un membre de sa propre famille, quand on considère qu’elle a franchi les limites d’un comportement convenable au sein de la communauté, qu’elle a compromis ou détruit sa bonne réputation et, ainsi, traîné l’honneur familial dans la boue. Perdre sa virginité avant le mariage est un sujet très sérieux car la virginité, quel qu’en soit le prix, doit être conservée (ou retrouvée par une opération chirurgicale) avant le mariage. Est également « déshonorant » ce que la famille et la société désapprouvent, en particulier tout contact visuel et toute conversation avec un homme en dehors du cercle familial. « Dans les pays où s’exerce une domination extrême des hommes, une grossesse hors mariage se traduit par une mort certaine » [11]. Si la femme accouche, son enfant aussi sera tué. Dans la culture de la honte du Proche et du Moyen-Orient, la famille doit réagir dès que l’attitude incriminée est connue de tous et que la famille – soit qu’elle en ait été témoin soit qu’elle en ait été informée par une tierce personne – a été mise en face de la violation de son honneur. Si la liaison d’une femme demeure secrète, il est fort possible que la famille ne réagisse pas, même si elle est au courant. Des attitudes moralement inacceptables ne seront généralement punies que si elles deviennent connues de tous (une grossesse, par exemple). En conséquence, la réputation sans tache d’une femme doit être constamment protégée, en particulier en ce qui concerne son comportement sexuel. Cela signifie que le risque d’être victime d’un crime d’honneur débute à la puberté mais pèse aussi sur les femmes plus âgées. Si une jeune fille ne peut préserver sa bonne réputation, elle aura très peu de chances de se marier, et comme femme mariée ou divorcée, elle aura de graves difficultés. Les femmes plus âgées sont les gardiennes de la moralité des femmes plus jeunes. Certaines mères « parfois poussent elles-mêmes leur propre fille sous un tracteur, ou ‘comprennent’ ce crime » [12]. Ainsi, l’honneur est intimement lié à toutes les phases de la vie d’une femme. La respectabilité d’une femme se juge essentiellement à sa sexualité qui est vue comme une menace. Son attrait sexuel peut en effet causer des dégâts dans sa famille et dans la société. Sa dextérité, sa personnalité, ses centres d’intérêt, son éducation sont en effet des aspects bien moins importants que sa bonne réputation qui reste le premier critère sur lequel la société la juge. Quand une femme quitte sa maison, elle n’entre pas en « territoire neutre ». Son activité hors de chez elle doit être utile et servir un but pratique (travailler aux champs, faire des achats indispensables), sinon elle sera soupçonnée d’immoralité si, par exemple, si elle sort marcher dans le village pour se détendre. C’est pourquoi le simple soupçon ou une rumeur concernant une attitude qui s’éloignerait de la norme acceptée peut être suffisante pour salir la réputation d’une femme. Il n’est pas question de savoir si elle s’est réellement rendue coupable d’inconduite. Elle a pris le risque de susciter les critiques et cela suffit. En quittant la maison ou en tenant une conversation, elle s’est éloignée du contrôle légitime de l’homme et peut donc être accusée de mauvaise conduite, intentionnelle ou non. Des suppositions ou des rumeurs d’indécence sont vues comme aussi déshonorantes que si elle avait vraiment enfreint le code étroit d’un comportement acceptable. De même, si une femme s’oppose à la décision de sa famille de la marier avec l’homme qu’ils ont choisie pour elle, mariage qui a pu être arrangé dans son enfance, la famille peut conclure qu’elle a perdu la face et que l’honneur familial a été outragé. « Il est particulièrement choquant que le simple désir de gérer sa propre vie, ou l’affirmation de sa propre opinion, puisse avoir de graves conséquences pour une telle femme » [13]. Par conséquent, une jeune femme n’a que le choix entre un mariage arrangé, la fuite (rarement réussie) ou la mort. Une tentative de se séparer de son mari ou d’en divorcer après coup peut faire « perdre la face » à sa famille qui considérera cela comme un déshonneur. Une grossesse hors mariage constitue une autre raison aux crimes d’honneur. Une mère célibataire risque fort d’être victime d’un tel crime. On recherche rarement la cause de la grossesse. Quoi qu’il en soit, une grossesse hors mariage est synonyme de honte et de culpabilité, qu’elle résulte d’une liaison volontaire ou d’un acte criminel, car la femme s’est placée elle-même en position de vulnérabilité en s’affranchissant de la protection des hommes de la famille. Si elle est violée, elle n’est généralement pas considérée comme victime mais comme responsable, car c’est la personne violée qui amène le déshonneur sur sa famille et non le violeur. Elle doit alors se marier avec son violeur. Dans ce cas, l’enquête de police est évitée et le déshonneur placé sur la famille considéré comme lavé. L’homme a toutefois le droit de renvoyer cette femme de la maison peu après le mariage mais elle courra le risque d’être tuée pour l’honneur, même si elle est enceinte [14]. D’autre part, quand une grossesse survient à la suite d’un inceste, c’est toujours la femme qui est tuée, jamais l’homme. On rapporte qu’au Pakistan, après le meurtre d’une femme dont on avait découvert la relation illégitime, son amant a pu échapper à son châtiment en prenant la fuite. Mais, par la suite, l’assemblée tribale (jirga) a rendu un jugement fixant le montant de la compensation qu’il devait payer avant de pouvoir réintégrer la société en tant qu’adultère. Il devrait payer une somme d’argent, donner à la famille lésée un lopin de terre ou une femme de sa propre famille pour pouvoir à nouveau faire partie de la communauté. Selon les circonstances, il aura à craindre pour sa vie malgré le paiement d’une indemnité [15]. On rapporte également qu’au Pakistan les crimes d’honneur ont souvent pour origine des questions d’argent comme, par exemple, de retenir une partie de l’héritage [16] ou lorsqu’une femme refuse de se séparer de son héritage [17]. Ces meurtres sont alors qualifiés de « pseudo crimes d’honneur », c’est-à-dire de crimes contre une violation supposée de l’honneur. Cela arrive quand une famille a de grandes dettes et qu’elle tue une femme de la famille en raison d’une conduite immorale supposée (un adultère ou Kari) et qu’elle accuse l’homme à qui elle doit de l’argent d’être l’amant de cette femme. Compte-tenu de la gravité de telles rumeurs, l’accusé est alors obligé de remettre la dette comme compensation pour la perte d’honneur supposée de la famille. Il est également possible qu’un homme tue une femme de sa propre famille et réclame une somme d’argent importante à une autre famille, en accusant d’adultère un homme de cette famille [18]. Au Pakistan, quand un homme désire épouser une jeune femme et qu’elle refuse, cet homme peut accuser le frère de cette femme d’être adultère et réclamer sa sœur en « compensation » du préjudice subi pour sa perte d’honneur mais aussi pour ne pas avoir à tuer le frère [19]. Cela montre bien les craintes immenses qu’ont les membres de cette société de perdre leur honneur et les chantages qu’il est possible d’exercer en répandant des rumeurs. Dans d’autres cas, en Afghanistan et au Pakistan, des femmes sont échangées comme gage pour éviter des conflits intertribaux et des jeunes filles offertes comme gages de paix à une tribu ennemie [20]. Une injustice commise envers une femme, que ce soit un viol, ou une obligation d’agir, sous la contrainte, contre ses souhaits ou sa volonté propre, n’est jamais considérée comme devant être indemnisée. Seul l’homme qui a subi la perte de son honneur demande dédommagement ou punition. C’est la conception tribale de disponibilité de la femme comme bien échangeable (femme qui n’a pas le droit de participer aux décisions concernant son propre sort) qui permet de telles pratiques. Quelle qu’en soit la raison, quand une femme est incapable de prouver sa virginité lors de la nuit de noce, elle risque aussi de perdre la vie pour des raisons d’honneur. Elle aura détruit l’honneur de toute sa famille, humilié son mari et, aux yeux de la société, prouvé que sa conduite avant le mariage était honteuse. Sauf s’ils parviennent à un accord secret, le mari la renverra, déshonorée et honteuse, dans sa famille et celle-ci la mariera ailleurs rapidement ou la tuera. La nécessité absolue de protéger la virginité a d’autres motifs liés à la question de l’honneur. Seule une vierge peut demander une dot importante – celle d’une femme divorcée ou veuve est beaucoup plus réduite. Un mariage ne peut donc être célébré quand la pureté de la femme est mise en doute, sinon la famille du mari se considérera lésée à la fois financièrement et en termes de respectabilité dans la société. Dans un sens « positif » une jeune femme peut retourner ces idées concernant l’honneur et la honte à son avantage. Dans le cas où ses parents ne sont pas satisfaits d’un candidat au mariage, la femme peut s’enfuir avec lui et, s’ils s’arrangent pour passer une nuit ensemble et reviennent le lendemain à la maison des parents, ces derniers accepteront souvent leur union [21]. L’auteur d’un crime d’honneur La personne chargée de commettre le crime d’honneur sera toujours un membre de la famille. Dans les pays du Proche et du Moyen-Orient, il semble que l’on choisisse le frère de la femme, ou son père, pour une telle tâche [22]. Dans les familles d’immigrés, quand des membres de la famille peuvent manquer, c’est souvent au mari que revient la charge de laver l’honneur de la famille [23]. De façon générale, les liens d’un homme avec sa femme sont moins solides que ceux qu’il a avec sa famille d’origine car l’homme peut divorcer de sa femme assez facilement, et l’épouse répudiée conservera toujours des liens avec sa famille naturelle. Cousins ou oncles peuvent aussi commettre ces crimes d’honneur ce qui signifie que la femme, (quand elle déroge aux règles de réserves qui lui sont imposées) n’offense pas seulement un individu mais toute sa communauté et que c’est toute cette communauté qui est appelée à réagir. La mort de la victime Si on découvre que l’honneur a été violé, le conseil de famille décide ce qu’il convient de faire. Dans les cas les moins graves, la fille est retirée de l’école ou, s’il s’agit d’une femme adulte, elle peut être enfermée, battue ou envoyée dans une autre ville pour y être mariée sans qu’elle puisse donner son avis. Dans les cas les plus graves, la famille décide de la mort de la personne sans l’en informer. Un jour, ou une nuit, elle sera tuée par balle, étranglée, poignardée, battue, lapidée, brûlée, poussée sous les roues d’une voiture ou jetée d’un pont. Au Bengladesh, on signale des attaques à l’acide contre des femmes ou des morts par le feu déguisées en accidents domestiques, sous prétexte d’une dot insuffisante, tout cela arrivant pour des raisons d’honneur. D’autres fois ces meurtres sont rapportés comme suicides. Les crimes d’honneur sont des actes d’une violence extrême, planifiés et conduits contre des femmes pour des motifs parfois futiles. Il est extrêmement rare qu’un homme soit victime d’un crime d’honneur quand, par exemple, ses tendances homosexuelles sont découvertes. Par contre, une femme peut être victime d’un crime d’honneur, soit immédiatement, soit des mois, voire des années après « l’offense » qui lui est reprochée. Cette sorte de crime n’est donc pas perpétrée dans le feu de l’action mais est délibérément planifiée et tenue secrète. En fait, il s’agit d’une exécution. La femme disparaît et plus personne n’en parle. S’il n’y a pas de certificat de naissance, comme dans certaines régions rurales, la mort de la femme, ou sa disparition, ne sera même pas enregistrée. Si on retrouve le corps, il sera enterré sans cérémonie des lamentations pourtant si importante en islam. Au Pakistan, les adultères supposées sont enterrées dans un espace à l’écart du cimetière ou simplement jetées dans une rivière, sans même avoir droit à une tombe décente. Le crime d’honneur comme un devoir Dans une société tribale, l’honneur est d’une importance capitale. Il est même considéré comme plus important qu’une vie humaine car, dans cet environnement, une famille ne peut même pas exister si son honneur est entaché. C’est pourquoi, l’honneur doit être défendu à tout prix. Comme le dit Tarrad Fayiz, chef d’une tribu jordanienne : « Une femme est comme un olivier. Si l’une des branches est infestée par des vers à bois, elle doit être coupée, afin que la communauté demeure pure et sans défaut » [25]. Si un père ou un frère ne défend pas l’honneur familial, s’il ne lave pas aux yeux de tous l’honneur familial souillé, il sera considéré comme faible, efféminé et sans honneur. Il sera regardé comme incapable de défendre sa famille ou d’en être le maître. Une telle faiblesse revient pour lui à perdre la face et à être exposé au mépris. Il perdra probablement ses biens ou ses moyens de subsistance et deviendra dépendant de la communauté. Dès qu’une rumeur commence à se répandre, il doit donc réagir radicalement et de façon ostensible. Il doit restreindre le champ d’action de sa femme ou de sa fille (en l’enfermant) ou la rabaisser (en la maltraitant) ou même la tuer afin de prouver sa force et sa puissance aux yeux de tous. S’il ne le fait pas, on considérera qu’il est sans honneur et qu’il ne mérite que mépris et moqueries. Il appartient aux membres mâles de la famille de venger l’honneur familial, vengeance exigée par le conseil de famille. Un palestinien de 25 ans dit : « Je ne l’ai pas tuée, mais plutôt, je l’ai aidée à se suicider afin que s’accomplisse la sentence de mort à laquelle elle s’était elle-même condamnée. Je l’ai fait afin de laver dans son sang l’honneur familial que nous avions perdu à cause d’elle et d’accomplir la volonté de la communauté qui, sinon, ne m’aurait montré aucune indulgence … La société nous apprend, dès le plus jeune âge, que le sang est la seule façon de laver l’honneur » [26]. Un autre palestinien déclare: « Je devais la tuer car j’étais l’homme le plus âgé de la famille. Ma seule raison de la tuer était (mon souhait) que les gens cessent leurs commérages. Ils m’accusaient de l’avoir encouragée à adopter une conduite immorale… Je l’ai laissée choisir sa mort : avoir la gorge tranchée ou être empoisonnée. Elle a choisi le poison » [27]. Ainsi, les femmes ne sont pas les seules victimes de ces pratiques ; les hommes aussi doivent se conformer à ce qu’on attend d’eux pour prouver leur force et leur autorité. Une femme peut seulement préserver son honneur. Une fois perdu, elle ne peut pas le retrouver, et ce sont les hommes de la famille qui ont le devoir de le restaurer. Les hommes sont donc tout à la fois auteurs et victimes de ces crimes. Ainsi, l’honneur d’un homme dépend de la conduite des femmes de sa famille. Si elles se conduisent de façon inconvenante et que la communauté l’apprenne, c’est comme si ces hommes avouaient leur incapacité à protéger leurs femmes des avances malhonnêtes d’autres hommes ou à contrôler leur conduite. Ils n’ont alors d’autres possibilités que de s’enfuir ou de montrer leur force en tuant la femme « coupable ». Le crime d’honneur n’est pas considéré par les familles et la société comme un meurtre au sens premier du terme, mais comme l’obligation de restaurer le prestige perdu et comme la contrepartie du « tort » causé par le déshonneur de la famille. Cette façon de penser ne peut exister que dans une société qui place la collectivité au-dessus de l’individu. La collectivité édicte et contrôle les normes, ce qui assure la stabilité de la société. A cause de l’interdépendance économique et familiale, particulièrement en milieu rural, il est très difficile pour des familles individuelles de rompre avec ce code de conduite. Souvent une famille chargera un de ses très jeunes membres mâles d’accomplir l’acte par lequel l’honneur sera restauré afin que si l’affaire venait à être jugée, la condamnation soit légère. L’emprisonnement d’un adolescent de la famille n’a pas la même incidence sur l’économie familiale que celui d’un adulte. Très souvent d’ailleurs, se sont les mères qui, en éduquant leurs fils selon la conception traditionnelle de l’honneur et de la honte, les poussent à accomplir leur « devoir ». Si on découvre un cas de liaison extra conjugale, dans la plupart des cas c’est la femme qui sera punie, car les conséquences financières de sa perte seront moindres. Si l’homme coupable des faits (le violeur, par exemple) était tué, c’est un fils ou un père (qui pourvoit ou qui défend la famille) qui serait perdu et cela, dans le contexte d’une société tribale, provoquerait une vendetta sans fin, ce qui ne se produirait pas pour une femme. A l’origine de ces pratiques, on trouve le droit coutumier arabe mais également la loi islamique qui stipule que le prix du sang pour une femme est toujours inférieur à celui d’un homme, car, dans ce dernier cas, la perte est plus grande [28]. Origines du crime d’honneur ? Bien que la tradition du crime d’honneur soit probablement vieille de plusieurs milliers d’années, très peu de recherches pertinentes ont été menées à ce jour. Il n’y a pas non plus de statistique fiable montrant combien de femmes sont mortes pour cette raison, car les crimes d’honneur sont souvent déguisés ou dissimulés. Le voile de silence qui recouvre cette ancienne tradition n’a été soulevé que récemment, en particulier par des organisations défendant les droits humains. Dans les pays du Moyen et du Proche Orient, le crime d’honneur n’est pas un sujet de conversation à évoquer en public et si, dans des cas isolés, la police effectue des recherches ou si un crime d’honneur est jugé, les autorités se heurtent à un mur de silence. On juge moins de crimes d’honneur qu’il ne s’en produit et ceux qui sont jugés ne sont pas enregistré officiellement et échappent à une évaluation globale. Dans certains pays, comme la Jordanie, des statistiques concernant la criminalité mettent en lumière les circonstances des crimes d’honneur [29]. Au cours d’une conférence organisée à Berlin par « Terre des Femmes », Amnesty International et le Friedrich Ebert Trust, il est apparu que sur quatre-vingt-dix-huit cas de meurtres en Jordanie, 25% étaient des crimes d’honneur [30]. Dans un rapport réalisé pour International Women’s Day en 2000, Carole Bellamy, administratrice de l’UNICEF, pense que deux tiers des meurtres commis dans la bande de Gaza et en Cisjordanie sont des crimes d’honneur [31]. Il est évident que les crimes d’honneur ne peuvent être ni imputés à l’Islam ni justifiés par le Coran ou les traditions islamiques. Mahomet n’a jamais demandé de telles pratiques. Le crime d’honneur n’a aucun fondement dans la théologie islamique et sa tradition est beaucoup plus vieille que l’Islam lui-même. On doit cependant constater que les crimes d’honneur se produisent principalement (mais pas uniquement) dans les sociétés islamiques. Là, et tout particulièrement dans les zones rurales, des structures tribales semi-féodales existent selon lesquelles hommes et femmes doivent respecter strictement un code de conduite qui n’a pas évolué. Les femmes, en fait, sont encore regardées comme une « possession » de l’homme. Ce comportement est largement justifié par l’Islam, contrôlé par le groupe, et utilisé dans divers pays islamiques pour charger les femmes de toutes les fautes en terme d’honneur. Suite aux migrations économiques, les crimes d’honneur se produisent aussi dans les villes à tous les niveaux de la société [32], et ce serait une erreur de croire que cette question se limite aux zones rurales. Dans les pays islamiques, un autre facteur augmente l’inégalité entre hommes et femmes : le fait que le mari exige obéissance de son épouse. Les lois islamiques sur le mariage (Sourate 4,34) et de nombreuses traditions remontant à Mahomet mettent l’accent sur la supériorité de l’homme, à la fois au plan législatif et au plan social; à cela s’ajoute l’opinion traditionnelle et générale des théologiens musulmans qui autorise un châtiment « raisonnable » des femmes en cas de conflits dans le couple (cf. Sourate 4, 34). Certains théologiens rejettent cette interprétation et les familles musulmanes modernes peuvent avoir d’autres pratiques. Néanmoins, les textes traditionnels, et l’interprétation conservatrice qu’en donnent les sociétés islamiques patriarcales, créent une atmosphère où les violences faites aux femmes de même que le principe d’obéissance et la restriction de leurs droits (par exemple dans les domaines de l’éducation, du libre choix d’un style de vie et de la liberté personnelle) sont souvent tolérés comme faisant partie de la vie quotidienne. Les théologiens musulmans mettent particulièrement l’accent sur le devoir d’obéissance sexuelle de la femme comme l’un des fondements de la soumission de la femme mariée; cet élément permet de prendre conscience du statut inférieur des femmes dans la société et de la domination exercée par l’homme. Les avis et la pratique peuvent avoir graduellement changé dans les classes supérieures urbaines, mais ces manières d’être et ces croyances sont toujours données pour vraies dans de larges pans de la société musulmane. Cette société préindustrielle, communautaire, peu développée dans ses structures, au style de vie fondé sur les valeurs patriarcales d’un islam traditionnel, crée un climat où la femme est seule responsable de la protection de l’honneur. Pourtant, le Coran et la théologie musulmane stipulent bien que la lapidation et les coups de fouets punissant des relations extraconjugales s’appliquent tant à l’homme qu’à la femme. Mais, en pratique, dans un contexte où culture et tradition jouent un rôle plus important que celui de la théologie orthodoxe, la femme se retrouve seule gardienne des standards moraux. Une vision traditionnelle et conservatrice du rôle des femmes, fondée sur les valeur de l’Islam, crée donc un climat favorable au contrôle des femmes et légitime l’usage de la violence et, jusqu’à un certain point, les crimes d’honneur. Dans divers pays, des responsables religieux se sont élevés à quelques reprises contre la pratique du crime d’honneur, mais leurs paroles n’ont pas conduit à repenser fondamentalement cette question. Les raisons avancées pour justifier cette pratique continuent malheureusement de prévaloir sur toute autre considération dans ces sociétés. La ségrégation des genres La séparation des sexes dans l’islam traditionnel, c'est-à-dire la distinction stricte des domaines réservés à l’homme et à la femme, fournit le terrain favorable où prospère le crime d’honneur. Le domaine public (cafés, rues, mosquées) est réservé à l’homme, la famille et la maison à la femme. Dans les familles traditionnelles, les femmes restent autant que possible à la maison et ne la quitte qu’en cas d’urgence et toujours voilée et accompagnée d’un chaperon. Dans ce cas, la vie morale d’une société n’est garantie que par une stricte séparation des sexes afin que la femme ne donne pas à l’homme d’occasion d’agir immoralement ou de se détourner du droit chemin. Séparation des sexes et réduction de la sphère d’activité des femmes aux questions domestiques et familiales, montrent bien que la responsabilité du maintien de la morale publique repose sur la femme seule. Sanctions pour les crimes d’honneur Il serait sans doute possible de dissuader les gens de perpétrer des crimes d’honneur en les sanctionnant légalement, mais cela n’arrive généralement pas. Quand une enquête policière est lancée, tous ceux qui savent ce qui s’est en réalité passé lui oppose un mur de silence. Il se peut que l’autreur du crime quitte le village pour un temps afin d’échapper à l’interrogatoire. Il se peut aussi qu’il informe volontairement la police de ses actes, fier d’avoir sauvegardé l’honneur familial [33]. De toute façon, inculpations et procès n’aboutissent pas et la société ne le souhaite pas. Au Pakistan, l’opinion générale considère que les crimes d’honneur ne sont pas dirigés contre l’Etat, mais contre des individus et que, de ce fait, ils rendent inutiles les poursuites criminelles et les enquêtes de police [34]. Si une victime survit, ou si un témoin a vu ce qui s’est passé, il est très probable qu’il ne contribuera pas à faire la lumière sur les faits mais se taira en raison des menaces pesant sur lui. S’il parle quand même, il devra affronter le silence de la société et il peut craindre que certains veuillent se venger de lui. C’est la raison pour laquelle les témoins dans les procès pour crime d’honneur en Allemagne intègrent le programme de protection des témoins. Si une personne redoute d’être la cible d’un crime d’honneur et qu’elle demande aide à la police, elle sera rarement entendue et assistée. On rapporte souvent que de telles femmes sont renvoyées directement à leur famille, qu’elles sont le sujet de moqueries ou qu’elles sont battues, humiliées et même violées par les policiers. On signale que cela arrive souvent dans les régions rurales de l’est de la Turquie, car une femme qui agit de sa propre initiative, porte des accusations ou cherche protection, est considérée, selon le code moral en vigueur, comme ayant perdu son honneur. Dans beaucoup de pays du Proche ou du Moyen Orient, le crime d’honneur fait l’objet de verdicts très cléments, car on présume que l’auteur y a été poussé par la conduite déshonorante de sa femme ou de sa fille. Certains codes pénaux accordent même la liberté sans condamnation. Par exemple, l’article 340 du Code pénal criminel de Jordanie considère que le crime d’honneur ne doit pas être puni quand l’épouse d’un homme a été surprise en flagrant délit d’adultère, et l’article 98 recommande une sanction réduite quand l’auteur a accompli son acte sous le coup d’une colère justifiée par la mauvaise conduite et la mise en danger de son honneur par la victime [35]. En Jordanie, les charges sont souvent celles de meurtre prémédité et planifié, ce qui peut être puni de quinze ans de travaux forcés ou par la peine capitale. Cependant de telles peines n’ont pas été appliquées dans les enquêtes menées ces dernières années. En Jordanie, en 1995, les peines réelles pour un crime d’honneur attesté sont allées jusqu’à un an de prison et dans un cas seulement une peine de dix ans de prison a été requise. Les peines les plus légères ont été prononcées à l’encontre de criminels qui avaient tué une femme célibataire (généralement leur sœur) qui était tombée enceinte [36]. Face à cette injustice, la « Commission nationale jordanienne pour les femmes » s’est battue pour faire supprimer l’article 340 de la loi jordanienne. Le Parlement a rejeté cette demande et a même refusé d’en rediscuter en 2000 malgré l’appui de quinze mille signatures et le soutient de la famille royale de Jordanie. Certains des membres du Parlement ont considéré que cette annulation équivaudrait à « tolérer » l’adultère et l’immoralité et qu’ils ne pouvaient donc pas l’approuver [37]. De plus, la presse a publié les résultats d’un sondage selon lequel 62% de la population considérait que la suppression de cet article conduirait au déclin moral de la société [38]. En 2001, un décret royal a néanmoins modifié l’article 340. Le crime d’honneur, dans le cas d’épouses surprises en flagrant délit d’adultère, ne resterait plus impuni mais serait sanctionné par une peine réduite [39]. Ces peines réduites impliquent toujours la reconnaissance de circonstances atténuantes dans les cas de crimes d’honneur. Une loi visant à changer l’article 340 aurait pu être ratifiée par le Parlement jordanien en 2003 mais elle a été rejetée par la Chambre basse. Ainsi, l’interprétation du statut de l’article 340 est incertaine depuis 2004 [40]. Les partisans des Frères musulmans, représentés au Parlement jordanien, ont qualifié la suppression de l’article 340 de « non islamique » et d’attaque contre la charia. Le supprimer serait se plier aux exigences des Occidentaux (selon certains membres du Parlement) et aurait pour but de détruire « les valeurs islamiques de la société et de la famille » en empêchant les hommes de réagir selon leur nature humaine quand ils surprennent un membre féminin de leur famille en flagrant délit d’adultère [41]. Il est donc clair que la discussion concernant les compromis judiciaires en cas de crime d’honneur ne se limite pas aux classes peu éduquées ou à celles des milieux ruraux sinon le Parlement ne s’occuperait pas de ces questions. Il est également clair que, pour les Autorités islamiques, le crime d’honneur et l’ensemble des positions qui lui sont associées, ont une relation avec l’islam. Il y a d’autres voix islamiques, comme celle du mufti de Gaza, Cheik Abd Al-Karin Kahlut, qui réclament la peine capitale pour les crimes d’honneur, car la charia ne permet pas à des personnes privées de tuer pour se faire eux-mêmes justice [42]. A l’autre extrême, le Front Jordanien Islamique (IAF) dont la majorité des membres sont proches des Frères musulmans, fait du crime d’honneur une quasi obligation pour celui qui est impliqué. Bien sûr, personne n’a le droit de se faire justice [43] mais la vengeance pour un acte immoral commis par les femmes de la famille constitue une exception et, dans ce cas, la vengeance devient un acte islamique [44]. Yotam Feldner est donc probablement dans la vérité quand il déplore que, dans un pays à majorité musulman, le mot « islamique » ne signifie pas seulement ce que définit le Coran ou la tradition écrite mais aussi ce qu’une proportion importante de la population considère comme tel. Quand deux-tiers environ de celle-ci ne voit aucune contradiction entre le crime d’honneur et l’enseignement de l’Islam alors, même s’il trouve son origine dans des sociétés tribales préislamiques, le crime d’honneur ne peut, tout au moins jusqu’à maintenant, être effectivement séparé de la pratique religieuses [45]. Signifier aux auteurs qu’ils ne doivent pas pratiquer leur propre justice ne sera pas suffisant pour convaincre les populations de considérer le crime d’honneur comme « non islamique ». Myria Boehmecke résume bien ce point: « Le clergé musulman nie que le crime d’honneur soit exigé pour raisons religieuses et s’en réfère à la tradition sans utiliser sérieusement son autorité pour soutenir les femmes » [46]. Des peines légères pour crime d’honneur ne sont pas seulement courantes en Jordanie mais aussi en Egypte [47], Iraq (3 ans de prison maximum) [48], au Koweït [49], au Liban [50], en Lybie (2 ans de prison maximum pour des actes relevant du viol de l’honneur) [51], au Maroc [52], en Syrie [53], Tunisie [54] et aux Emirats Arabes Unis [55]. Le code pénal algérien ne punit même pas les meurtriers de femmes surprises en flagrant délit d’adultère [56] et à Oman, il est possible d’éviter la condamnation ou d’en obtenir la réduction [57]. En Syrie, il semble que ce soit quotidiennement que des peines légères soient prononcées [58]. Au Pakistan, la loi actuelle considère le crime d’honneur comme un meurtre mais le juge peut arriver à un compromis aux termes duquel la famille pardonne à l’auteur, permettant ainsi son acquittement [59]. Depuis 1996, le crime d’honneur a été au centre de nombreux débats en Turquie. Jusqu’en 2003, seules des peines légères étaient prononcées contre ce type de crime, une « provocation » (adultère réel ou supposé) de la femme étant considérée comme circonstance atténuante [60]. La loi passée en 2005 fait un pas dans la bonne direction mais il reste à appliquer cette loi pleinement et efficacement. Le problème subsiste cependant car un meurtre résultant d’une vive provocation « dans le feu de l’action » bénéficie toujours de circonstances atténuantes [61]. Dans les régions rurales de la Turquie, aucune sanction n’était prévue et cela n’a pas changé en dépit des nouvelles lois. Le meurtre y est conçu comme un acte communautaire par la famille et la société et la mise à mort de la victime est considérée comme légale. Ensemble elles font retomber la faute sur la femme et protègent ou forcent l’auteur à déclarer son acte. Ainsi, cette vision bien établie du mariage et du crime d’honneur comme juste vengeance est transmise de génération en génération sans qu’aucune autre façon de se conduire ne semble possible. Une autre difficulté réside dans le fait qu’il n’y a pas de Foyers pour Femmes battues dans les pays islamiques (un seul de ces foyers a ouvert en Jordanie en 2003). Une courte incarcération volontaire peut offrir une protection contre la persécution à la femme menacée. Mais quand sa famille négocie pour qu’elle rentre à la maison, c’est en fait un leurre car elle finira par être tuée [62]. Le crime d’honneur parmi les immigrants – un appel à agir Est-ce une coïncidence, ou un processus inévitable, que le problème de crimes d’honneur soit apparu surtout à la troisième génération des immigrés musulmans en Occident ? Est-ce une coïncidence que, contre les mariages arrangés, les actes de vengeance familiale ou l’excision des femmes, des femmes et des jeunes filles recherchent, plus encore qu’avant, la protection des Foyers pour femmes battues ou d’organisations des droits de l’homme ? L’Allemagne a décidé de ne plus attirer les travailleurs turcs à partir de 1973. Si l’on a pensé que les années ‘70 et ‘80 verraient ces personnes retourner dans leur pays d’origine ou s’intégrer rapidement et sans histoire ; si l’on s’est imaginé que les réfugiés de guerre ou les requérants d’asile seraient assimilés, au plus tard à la deuxième ou troisième génération, et continueraient à ne pas voir l’Allemagne comme une destination de choix pour les immigrants, il faut admettre qu’il y a eu, dans la partie de la population immigrée la moins éduquée et la plus repliée sur elle-même, une régression vers des valeurs et des concepts religieux traditionnels. C’est dans ce contexte que les crimes d’honneur se produisent plus souvent qu’il y a 45 ans, lors de la première vague d’immigration vers l’Allemagne. Une identité personnelle incertaine, le sentiment de n’être acceptés ni ici ni dans leur pays d’origine, un vécu de discrimination, une intégration déficiente des deux côtés, l’échec scolaire et peu de chance de trouver du travail, à quoi les réseaux politiques islamistes ajoutent leur appel à se séparer de la société allemande, tout cela contribue à ce retour aux valeurs traditionnelles. A Berlin, le Centre de crise pour migrants anonymes (Anonyme Kriseneinrichtung für Migranten), note : « les familles touchées se débattent souvent avec des problèmes de chômage de longue duré, des difficultés financières, des problèmes d’alcoolisme, de séparation ou de divorce ». Il note également que, vu la marginalisation des groupes de migrants par la société, il n’est pas surprenant qu’ils se replient sur leurs modes de vie traditionnels [63]. Ce serait cependant une erreur de penser que les crimes d’honneur sont un problème lié uniquement à la pauvreté et à un manque d’éducation. On le retrouve en effet à tous les niveaux de la société, mais particulièrement dans les sociétés patriarcales où l’accès à l’éducation fait défaut, où les problèmes économiques et sociaux accentuent les difficultés et où l’honneur familial est vu comme l’ultime valeur à protéger. « Sont particulièrement exposées, les sociétés engagées dans un bouleversement » [64], où les femmes travaillent et, en conséquence, demandent plus de droits et de libertés. Le « passage » à une société post-industrielle individualiste semble pousser certains à se conformer encore plus à la tradition. Dans les pays occidentaux, la conception proche-orientale du rôle des sexes et du crime d’honneur sont également des sujets d’une extrême importance. Tout d’abord, il faut se familiariser avec les normes culturelles et religieuses des groupes de migrants. Ensuite, une définition claire des limites de la tolérance culturelle et une identification précise des atteintes aux droits humains doit être acceptée. La troisième génération des femmes musulmanes considère les mariages arrangés comme des mariages forcés et ne trouve pas son compte dans la manière traditionnelle d’agir qu’on attend d’elles, tout cela sur fond de société occidentale laïque, fortement individualiste et profondément influencée par l’égalité des sexes. Cette troisième génération de migrant(e)s est encore plus fortement partagée entre la tradition des parents et des grands-parents et celle du pays d’origine qui lui est devenue étrangère. Même si, comme dans beaucoup de familles, on pratique un islam culturel plutôt qu’un islam orthodoxe fondé sur les écritures islamiques, il y a toujours de multiples motifs de conflits dans la vie d’un immigrant. Il est donc encourageant de noter que la connaissance et le refus du crime d’honneur augmentent. Traiter de cette question doit aussi amener à une plus grande protection des femmes, en Europe et ailleurs. Il en va de même pour les pays islamiques où le réseau ASUDA (Alliance contre la violence faite aux femmes au Kurdistan iraquien) est actif [65]. Après le meurtre de la druze Huda Abu ‘Asali en Syrie en 2005, une campagne de presse contre les crimes d’honneur a été lancée appuyée par les autorités religieuses musulmanes et chrétiennes et par des intellectuels. Elle a d’abord pris son essor dans des média indépendants et a ensuite été reprise par des journaux proches du pouvoir. Elle contestait la légèreté des peines prononcées à l’encontre des auteurs de crimes d’honneur [66]. D’autres organisations sont également actives, en particulier au Kurdistan turc, où un « Centre pour femmes » appelé Kadin Merzeki, ou Ka-Mer, a été ouvert en 1977. Dans beaucoup de pays islamiques, des organisations pour le droit des femmes mettent de plus en plus l’accent sur cette question. En Allemagne, les choses changeraient si des groupes musulmans condamnaient publiquement et avec force les crimes d’honneur comme n’étant pas islamiques [67] et contraires aux droits de l’homme. Contre ces pratiques, ils pourraient aussi présenter des arguments tirés du Coran et de la tradition islamique écrite. Venir en aide aux victimes est une autre étape nécessaire pour que l’information se répande et que le sujet reste d’actualité. Cela commence par prendre les menaces au sérieux, par créer des associations d’aide, par sensibiliser les travailleurs sociaux et les responsables de la sécurité et, en définitive, par être capable d’offrir une protection efficace aux femmes et aux filles. On peut se féliciter que les mariages forcés soient maintenant considérés par la loi comme des crimes passible de sévères sanctions et que le crime d’honneur soit de plus en plus envisagé comme un meurtre, et puni comme tel, plutôt que comme un homicide involontaire trouvant son origine dans la culture [68]. Il en va de même de la possibilité de reconnaître la différence sexuelle comme raison suffisante pour accorder l’asile politique à des femmes originaires de certains pays comme l’Iran, qui ont divorcé et se sont remariées en Occident, et qui pourraient être victimes d’un crime d’honneur ou passible de procès pour adultère à leur retour au pays. Enfin, il conviendrait de ne pas seulement juger celui qui a accompli l’acte – comme cela s’est vu récemment dans le procès d’Hatun Surucu – et donc de ne punir que l’auteur, mais de sanctionner aussi la famille qui a pris la décision de l’accomplir, l’a planifié, a poussé à le faire, l’a aidé, encouragé et caché [69]. La série de mesures ne s’arrête cependant pas au seul jugement mais doit comprendre une formation active et une éducation touchant à l’égalité des sexes et à la reconnaissance de l’autorité de l’Etat. La transmission des valeurs démocratiques devrait commencer dès la maternelle afin que l’intolérance et l’ignorance ne puissent pas s’imposer car, pour les victimes, il s’agit d’une question de vie ou de mort. NOTES [1] IMK, Assassinat 20f. [2] BOEHMCECKE M., Étude 18f & 22, tiré d’un extrait de PAPATYA, crimes. [3] SADIK N., États 9 & 33. [4] Cité du rapport 299. [5] BOEHMCECKE M., Étude 125, tiré d’un extrait de PAPATYA, crimes. [6] Comparer avec le rapport du quotidien arabe Al-Hayat, du 25.5.2005, cité selon Journaux arabes, Crimes d’honneur, 2. [7] STOLLE C., Postface, in : H. GASHI H., Douleur 249, BERICHT 300; SADIK N., Etat 30. [8] TELLENBACH S., Crimes d’honneur, 2. [9] AMNESTY Pakistan. [10] Ce chiffre a été cité par Kai MUELLER à une rencontre de spécialistes des crimes d’honneur. COLLOQUE, Crime 3. [11] STOLLE C., Épilogue dans : GASHI H., Douleur 248. [12] IMK Assassinat 16. [13] STOLLE C., Épilogue dans : GASHI H., Douleur 248. [14] Des cas semblables et d’autres sont cités dans « Crime d’honneur », par TELLENBACH S., extraits de la presse en arabe. [15] NAJAM N., Honneur 4. [16] COLLOQUE, Crime 8. [17] TELLENBACH S., Crime d’honneur 5. [18] A comparer ainsi que des descriptions de cas similaires avec NAJAM N., Honneur 5. [19] Voir NAJAM N., Honneur 6. [20] SCHIRRMACHER C., SPULER-STEGELMANN U., Femmes 85. [21] HEINE P., Honneur 39. [22] Egalement selon une recherche sur les crimes d’honneur en Jordanie où les auteurs de ces crimes étaient les frères à 70%. COLLOQUE, Crime 6. [23] BOEHMCECKE M., Etude 26 + 29. [24] Voir aussi NAJAM N.. Honneur, 3. [25] Tarrad FAYIZ dans : The Jordan Times (Amman) du 5 fév. 2000, cité dans Y. FELDNER, Honneur 1. [26] Al-Ayyam (Ramallah), 1.6.2000, cité par FELDNER Y., Honneur 2. [27] Ar-Risala (Gaza), 11.6. 1998, cité par FELDNER Y., Honneur 2. [28] SCHIRRMACHER C., SPULER-STEGMANN U., Femmes 52. [29] Voir aussi TELLENBACH S., Crime d’honneur 2. [30] COLLOQUE, Crime 6. [31] Selon TELLENBACH S., Crime d’honneur 2. [32] COLLOQUE, Crime 6. [33] Selon TELLENBACH S., Crime d’honneur 5. [34] Selon BOEHMECKE M. au Pakistan & Jordanie, Mobile du crime 25+30. [35] TELLENBACH S., Crime d’honneur 11. [36] COLLOQUE, Crime 6f. [37] Comparer différentes affirmations dans FELDNER Y., Honneur 4. [38] p. ex. le Jordan Times : FELDNER Y., Honneur 3. [39] TELLENBACH S., Crime d’honneur 14. [40] Selon BOEHMCECKE M., Mobile du crime 24. [41] Cité dans TELLENBACH S., Crime d’honneur 13. [42] Ar-Risalah (Gaza), 11.7. 1998, cité par FELDNER Y., Honneur, 5. [43] Voir aussi FADEL M., Honneur 2. [44] Comparer les expressions écrites dans la presse jordanienne in : FELDNER Y., Honneur 5. [45] Selon FELDNER Y., Honneur 5. [46] BOEHMCECKE M., Étude 7. [47] Article 237 du Code Pénal de 1937 (No. 58). [48] Article 409 du Code Pénal de 1966. [49] Article 153 du Code Pénal. [50] Article 562 du Code Pénal de 1942 (différentes modifications en 1983 - 1999). [51] Article 357 du Code Pénal. [52] Article 418+420 du Code Pénal de 1963. [53] Article 548 du Code Pénal de 1949. [54] Article 207 du Code Pénal de 1991. [55] Article 334 des livres juridiques, Nr. 3 du Code Pénal de 1978. [56] Article 279 du Code Pénal de 1991. [57] Article 252 du Code Pénal. [58] Campagne médiatique MEMRI. [59] Selon Majida RIZVI de la Commission nationale sur le statut de la femme au Pakistan (the National Commission on the Status of Women) dans : COLLOQUE, Crime 7. [60] BOEHMCECKE M., Étude 11. [61] BOEHMCECKE M., Étude 11. [62] Comparer la description du cas dans TELLENBACH S., Crime d’honneur 6f. de Jordanie. [63] Selon TER-NEDDEN Corinna dans : COLLOQUE, Crime 12. [64] BOEHMCECKE M., Étude 8. [65] www.asuda.org [66] Campagne médiatique MEMRI. [67] Voir aussi La Ligue des Femmes musulmanes (MUSLIM WOMEN'S LEAGUE), position 2. [68] Le « Système de Valeurs anatolien » de l’auteur d’un crime fut donné comme raison à une condamnation légère dans une décision de la Cour Fédérale de Justice le 18.01.2004, (Référence : 2 StR 452/03; caractères d’un meurtre aux motifs peu importants pour des criminels étrangers). [69] C’est visiblement la pensée exprimée par la Cour de Justice danoise qui a condamné non seulement le frère qui avait accompli l’acte mais aussi son père et deux oncles à de longues peines de prison ainsi que neuf autres membres de la famille à des peines avec sursis, dans le cas de Ghazala Khan, une femme palestinienne. Famille 1, Danemark. 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