L’élection de Trump déchaîne les tensions

Graffiti, insultes, agressions… les actes racistes et haineux se multiplient depuis la victoire du républicain. Certains opposants au président élu contre-attaquent.
Une étudiante de 19 ans qui se fait arracher son voile par un homme, des graffiti haineux contre les musulmans et les Noirs, des enfants réunis dans le réfectoire d’un collège dans le Michigan qui scandent «Construisez le mur !», en référence à la promesse de Trump d’en bâtir un tout au long de la frontière avec le Mexique… Depuis l’annonce surprise de la victoire de Donald Trump à l’élection présidentielle, mercredi, les actes racistes et haineux visant les minorités se sont multipliés aux Etats-Unis, en particulier sur les campus universitaires. Dès le lendemain du scrutin, sur Twitter, le hashtag «Jour 1 dans l’Amérique de Trump» recensait des dizaines de témoignages d’Américains et Américaines ayant subi insultes, menaces, voire agressions, du fait de leur couleur de peau, leur religion ou leur orientation sexuelle. Le Ku Klux Klan (KKK), groupe suprémaciste blanc, s’est réjoui sur son site internet de voir Donald Trump accéder à la Maison Blanche : il annonce même la tenue d’un «défilé de la victoire» en Caroline du Nord le 3 décembre.
Un phénomène qui rappelle cruellement l’effet post-Brexit en Grande-Bretagne. Des Pakistanais, Polonais et musulmans y avaient été la cible de commentaires et d’agressions à caractère raciste, après la victoire du «leave» au référendum sur la sortie de l’Union européenne, le 23 juin. Peu étonnant quand on sait que les leaders des pro-Brexit, en particulier Nigel Farage, ex-président du parti europhobe Ukip, avaient axé leur campagne contre l’immigration. Un mois après le scrutin, le National Police Chiefs’ Council recensait toujours, la dernière semaine de juillet, une hausse de 49 % en un an des crimes haineux.
Même si le Conseil des relations américano-islamiques (Cair) dit déjà recenser les incidents, il est encore trop tôt pour avoir un décompte précis des actes haineux depuis l’élection de Donald Trump. D’autant plus que, selon Human Rights Watch, «certaines études montrent que les crimes haineux contre les musulmans aux Etats-Unis étaient déjà massifs il y a un an». «Il y a d’autres facteurs qui entrent en jeu», estime l’ONG. En outre, la véracité de tous les témoignages publiés sur les réseaux sociaux peut difficilement être confirmée, faute de preuves. D’après le New York Times, le récit d’une étudiante musulmane à l’université de Louisiane, qui affirmait qu’elle avait été attaquée mercredi par deux hommes - l’un portant un chapeau à l’effigie de Trump - s’est finalement révélé faux, la jeune femme ayant avoué à la police avoir tout inventé.
«Une constante dans l’histoire»
Mais pour les spécialistes, ces témoignages n’ont rien d’anecdotique et accréditent la thèse d’un climat de tension dans lequel vivent actuellement les minorités aux Etats-Unis. Ce discours de haine s’est libéralisé durant la course à la Maison Blanche. «Pendant la campagne déjà, plusieurs personnes de différentes origines m’ont dit avoir subi des comportements, des regards, qu’ils n’avaient jamais ressentis auparavant. Parler une langue autre que l’anglais pouvait attirer des regards réprobateurs», se souvient Rokhaya Diallo, journaliste et réalisatrice de documentaires sur les Etats-Unis. A l’instar de l’ex-leader du Ukip, le milliardaire a lui aussi bâti sa campagne sur des promesses anti-immigration. «Je vais construire un grand mur sur notre frontière sud, et le Mexique paiera pour le construire. Prenez-en bien note», avait-il proféré dans un meeting de campagne.
Même volonté affichée concernant les personnes de confession musulmane. Faute de pouvoir bâtir un autre mur, le candidat républicain a promis d’interdire l’entrée des musulmans sur le territoire américain. Une proposition qui a soudainement disparu de son site internet jeudi, officiellement pour «une raison technique», avant de réapparaître quelques heures plus tard. Les experts sont unanimes : cette libéralisation de la parole raciste et xénophobe n’est pas née avec Trump. Elle existait déjà, notamment sous la présidence de Barack Obama. «C’est une constante dans l’histoire américaine. Les mouvements pour les droits civiques des années 50 et 60 ont marginalisé cette parole raciste. Après cela, elle n’était plus possible dans l’espace public,rappelle Nicolas Martin-Breteau, maître de conférences à l’université Lille-III et spécialiste de l’histoire des Etats-Unis.L’élection d’Obama, en 2008, a marqué une rupture en provoquant la résurgence de cette parole raciste enfouie, avec l’accroissement du nombre de "hate groups", comme le KKK, le parti néonazi ou les suprémacistes blancs.»
«Aucune volonté de freiner»
«C’est le résultat de la frustration créée chez beaucoup par l’accès d’Obama, un Noir, à la Maison Blanche. Le racisme se traduit maintenant de manière décomplexée», ajoute Rokhaya Diallo. Andrew J. Diamond, professeur des universités en histoire et civilisation américaines à l’université Paris-Sorbonne ajoute, quant à lui, qu’il y a eu un «accroissement des discours racistes en 2014 avec l’émergence du mouvement Black Lives Matter [«la vie des Noirs compte, ndlr]». «La parole raciste s’ancrait alors dans un soutien aux forces de police», explique-t-il. Interrogé par Libération, le mouvement Black Lives Matter confirme : «Quand vous regardez notre page Facebook ou n’importe quelle autre page d’Afro-Américains célèbres, vous verrez des milliers de commentaires agressifs laissés par des supporteurs de Trump racistes. Ils nous trollent, ils se moquent des hommes et des femmes noirs innocents tués par la police, justifient l’utilisation de la force par les policiers meurtriers, et emploient des insultes racistes.»
La multiplication des incidents inquiète les différentes organisations de défense de communautés. Le Cair a appelé Donald Trump, dans un communiqué, à dénoncer les attaques présumées, commises par certains de ses partisans, sur les étudiants musulmans dans les universités de Louisiane et de Californie. Pour Corey Saylor, directeur du département de la lutte contre l’islamophobie au Cair, cette mouvance raciste pourrait perdurer : «Trump n’a jamais montré aucune volonté à freiner ses partisans. Nous l’avons vu quand il encourageait la haine envers les journalistes lors de nombreux rassemblements. Nous nous attendons à ce que ce type de comportement se poursuive», dénonce-t-il.
Lors de son discours de victoire à New York, Trump s’est posé en président rassembleur. «Je serai le président de tous les Américains», a-t-il promis, rompant avec ses déclarations habituelles. «Trump a la responsabilité de prendre la parole contre les attaques haineuses, et de préciser qu’il poursuivra en justice les responsables de ces crimes. Quel effet cela pourra-t-il avoir sur ses supporteurs ? Nous ne le savons pas, mais il doit être clair sur ces points fondamentaux»,estime dès lors Human Rights Watch. En parallèle, les manifs anti-Trump continuent depuis l’annonce des résultats dans les grandes villes : Portland, Chicago, San Francisco… (lire encadré ci-dessous). «La situation entre les mouvements anti-Trump comme Black Lives Matter et certains supporteurs de Tr ump risque de s’envenimer dans les semaines à venir, prédit Nicolas Martin-Breteau. Même si Trump semble avoir retourné sa veste et se cantonne à un discours très policé, le mal est fait, et il est profond.»
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