Assurance-vie : les épargnants s’inquiètent de la loi Sapin 2
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Économie

Assurance-vie : les épargnants s’inquiètent de la loi Sapin 2

Le texte prévoit plusieurs mesures visant à renforcer la solidité des assureurs. Les épargnants craignent que cela se fasse à leur détriment.

Le Monde | • Mis à jour le | Par

Le Sénat examine, jeudi 3 et vendredi 4 novembre, en deuxième lecture, le projet de loi dit « Sapin 2 », dont l’un des articles vise à adapter à l’environnement de taux nuls, voire négatifs, les règles s’appliquant à l’assurance-vie.

Les taux bas s’invitent à nouveau au palais du Luxembourg. Le Sénat examine, jeudi 3 et vendredi 4 novembre, en deuxième lecture, le projet de loi dit « Sapin 2 », dont l’un des articles vise à adapter à l’environnement de taux nuls, voire négatifs, les règles s’appliquant à l’assurance-vie.

Le projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, adopté le 29 septembre en nouvelle lecture par l’Assemblée nationale prévoit deux mesures controversées visant à renforcer la solidité des assureurs.

On ne touche pas au placement préféré des Français sans susciter beaucoup d’émoi. Les compagnies sont furieuses. Les épargnants, eux, craignent d’être floués. Qu’en est-il ?

La première mesure de l’article 21 bis concerne les rachats de part émanant des assurés. Le texte prévoit que, en cas de grave menace sur le système financier, le Haut conseil de stabilité financière (HCSF), l’autorité de surveillance macroprudentielle, peut suspendre temporairement les retraits sur les contrats d’assurance-vie.

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Eviter un « bank run »

Objectif, prévenir une crise de liquidité chez des assureurs qui feraient face à des demandes de remboursement massives de la part de leurs clients. Un tel scénario pourrait survenir en cas de remontée brutale des taux : dans ce cas, les épargnants auraient alors intérêt à placer leurs économies sur des produits répercutant immédiatement la hausse du loyer de l’argent (comptes à terme, nouveaux contrats d’assurance-vie…). Il s’agit donc d’éviter l’équivalent d’un « bank run », lorsque durant la crise financière les clients faisaient la queue devant les agences pour retirer leur argent.

« Les assureurs sont solides et n’ont rien demandé », Eric Lombard, PDG de Generali France.

Le HCSF, d’ailleurs, dispose déjà de la faculté de geler les retraits sur les comptes courants. En revanche, c’est l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), dans le giron de la Banque de France, qui avait, jusque-là, la faculté de limiter les sorties concernant un assureur chancelant. Eric Lombard, PDG de Generali France, souligne ainsi :

« C’est un simple transfert du pouvoir de suspension temporaire des rachats entre le gouverneur de la Banque de France et le HCSF. »

Reste que le coup de projecteur sur cette faculté du régulateur a laissé planer le doute sur la santé des compagnies d’assurance : « Les assureurs sont solides et n’ont rien demandé », tranche M. Lombard.

Inciter les assureurs à jouer les écureuils

La vraie nouveauté se situe, en fait, dans la seconde mesure. Elle donne au HCSF la possibilité de mieux contrôler les rendements servis aux assurés. Pourquoi ? Pour inciter les assureurs à jouer les écureuils, au cas où les taux restent bas durablement.

Sylvain Coriat, directeur des assurances de personnes chez Allianz France, analyse :

« Le législateur envoie un double message aux assureurs. Il leur dit à la fois : attention, les taux peuvent remonter brutalement en cas de crise – d’où la mesure sur le gel éventuel des retraits. Et en même temps, il prévient que les taux vont très probablement rester durablement bas et demande fermement aux assureurs de diminuer le rendement servi aux assurés pour qu’il soit soutenable. »

La mécanique est implacable. « Le contexte de taux bas exerce une pression sur la rentabilité des organismes : il conduit à une situation où les rendements des titres entrant en portefeuille sont inférieurs aux taux servis sur les polices d’assurance », a rappelé François Villeroy de Galhau, le gouverneur de la Banque de France, dans une conférence le 14 octobre. Et de souligner que les assureurs ont baissé de 25 points de base en moyenne les rendements des fonds euros en 2015, quand l’OAT (obligations assimilables du Trésor) à 10 ans cédait 80 points de base.

Heureusement, les assureurs disposent d’un stock de produits financiers constitué au fil des ans qui leur permet de rémunérer l’épargne au-dessus des quelque 0,5 % que rapporte désormais l’OAT à 10 ans.

« La baisse de rendement des actifs généraux se réalise de manière progressive via la dilution des anciens placements [dont des obligations] par des nouveaux, dont la performance financière est trop faible », détaille Cyrille Chartier-Kastler, expert en assurance, créateur de Good Value for Money.

De fait, les assureurs ont offert 2,26 % de rendement en moyenne en 2015, contre 2,54 % en 2014. Une baisse insuffisante aux yeux du gouverneur qui a appelé ces acteurs « à faire preuve de modération et de réalisme dans la fixation des taux de rendement de leurs contrats d’assurance-vie en euros sur l’année 2016 ».

« En 2016, le rendement offert devrait tourner autour de 1,95 % en moyenne », pronostique M. Chartier-Kastler, qui précise :

« Une baisse annuelle de 0,3 % à 0,4 % des rendements est normale. Les actifs généraux continuent de délivrer des rentabilités de plus de 3 %. »

Pour accélérer ce tempo et surtout mettre la pression sur les récalcitrants, le régulateur a donc demandé plus de pouvoir. Concrètement, l’article 21 bis de la loi Sapin 2 donne au HCSF la possibilité de « moduler les règles de constitution et de reprise de la provision pour participation aux bénéfices (PPB) ».

Variable d’ajustement

Pour bien comprendre, un peu de cuisine d’assureur s’impose. Cette PPB est une réserve dans laquelle les assureurs thésaurisent une partie des produits financiers réalisés dans les portefeuilles auxquels sont adossés les fonds en euros (la grande masse est distribuée aux assurés). Comme ces contrats sont prévus pour durer huit ans, cette cagnotte permet de lisser dans le temps les taux de rendements.

Mais la PPB n’est pas la seule variable d’ajustement : les compagnies peuvent aussi gonfler leurs plus-values en réalisant des cessions d’actions ou d’immeubles. « La disposition de la loi Sapin 2 n’est pas vraiment opérante. Elle ne regarde que par le petit bout de la lorgnette. C’est plus un chiffon rouge pour faire peur aux assureurs, considère M. Chartier-Kastler. Il aurait mieux valu considérer les réserves au sens large. »

« Le cœur du sujet n’est pas traité. La bonne mesure aurait été de s’asseoir autour d’une table, assureurs et pouvoirs publics, pour faire évoluer la règle imposant aux assureurs de distribuer aux assurés 85 % des produits financiers réalisés dans l’année », renchérit M. Coriat.

L’AFER (Association française d’épargne et de retraite), elle, se montre vent debout contre le projet de loi. « On enrichit les compagnies au risque d’appauvrir les épargnants », s’est insurgé Gérard Bekerman, le président de l’AFER dans le quotidien Les Echos.

D’aucuns considèrent, en effet, que le texte vise notamment les contrats proposés par ces associations d’épargnants qui redistribuent l’essentiel des profits. Le régulateur cherche aussi à faire rentrer dans le rang les petites compagnies qui affichent des taux très élevés et tirent le marché vers le haut.

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