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    Yankees

    Castro et les Etats-Unis, de si proches ennemis

    Par Frédéric Autran, correspondant à New York
    Discours de Fidel Castro en 1963, au théatre Chaplin à La Havane.
    Discours de Fidel Castro en 1963, au théatre Chaplin à La Havane. H Cartier Breson. Magnum Photos

    Pendant un demi-siècle, le dirigeant cubain a gouverné en érigeant les voisins américains en ennemi juré. Sa mort survient dans un moment de flou causé par la victoire de Donald Trump, alors qu'Obama avait amorcé un rapprochement.

    Ni l’âge, ni le chemin du rapprochement emprunté par son frère Raul n’auront fait fléchir le «Comandante». Jusqu’au bout, Fidel Castro a exprimé publiquement son animosité envers les Etats-Unis, l’ennemi de toujours autour duquel le père de la révolution cubaine a bâti sa légende. En août, à l’occasion de son 90e anniversaire, Fidel Castro avait publié une longue lettre au peuple cubain. Il y évoquait pêle-mêle des souvenirs de son enfance dans l’est de Cuba, la mort de son père et le renversement du dictateur pro-américain Fulgencio Batista en 1959. Il y critiquait aussi Barack Obama, lui reprochant notamment d’avoir manqué de «hauteur de vue» lors de sa visite historique en mai à Hiroshima. «Le discours du président américain au Japon était dépourvu d’excuses pour le massacre de centaines de milliers de personnes», écrivait Fidel Castro, en référence à la bombe atomique larguée par l’armée américaine en août 1945.

    Pendant ses 47 ans au pouvoir, Fidel Castro a toujours été considéré comme l’un des ennemis jurés de Washington, honni pour avoir importé le communisme et la guerre froide à moins de deux cents kilomètres des côtes de Floride. Son obsession des Etats-Unis et celle des Etats-Unis à son encontre ont façonné un conflit emblématique du XXe siècle, fait de discours incendiaires, de manœuvres militaires, de rétorsion économique et de tentatives manquées d’assassinat. De Dwight Eisenhower à Georges W. Bush, Fidel Castro a survécu à dix présidents américains au cours de son règne. Onze si l’on ajoute Barack Obama, entré à la Maison Blanche début 2009, quelques mois seulement après la démission du dirigeant cubain au profit de son frère Raul.

    Rapprochement

    Resté influent dans l’ombre de son cadet, malgré sa santé fragile, Fidel Castro n’a toutefois pas pu empêcher le rapprochement entre La Havane et Washington, symbolisé par la visite historique en mars du président démocrate à Cuba. Un séjour au cours duquel les deux hommes ne s’étaient pas rencontrés. Juste après la visite de Barack Obama, Fidel Castro avait pris la plume pour dénoncer les «paroles sirupeuses» de ce dernier. Dans une longue lettre sarcastique intitulée «Le frère Obama», il avait ironisé sur la main tendue de Washington au peuple cubain. «Nous sommes capables de produire des aliments et les richesses matérielles dont nous avons besoin grâce aux efforts et à l’intelligence de notre peuple. Nous n’avons pas besoin que l’empire nous fasse cadeau de quoi que ce soit», avait écrit Fidel Castro. Assurant au passage que Cuba n’oublierait pas ses confrontations passées avec Washington.

    Entretenir le passé et la figure d’une Amérique impérialiste, responsable des souffrances du peuple cubain via l’embargo en vigueur depuis 1962, a toujours été la pierre angulaire de la stratégie de Fidel Castro. «Fidel se délectait de sa confrontation vieille d’un demi-siècle avec l’Amérique, écrit le journaliste du mensuel The Atlantic, Jeffrey Goldberg, qui a longuement rencontré le leader cubain en 2010. Son ressentiment envers les Etats-Unis était toujours féroce, même à son âge avancé.» Selon Goldberg, Fidel Castro a sans doute accueilli «avec chagrin» le rétablissement l’an dernier des relations diplomatiques entre les deux pays. Conscient que l’effritement progressif du mythe de l’ennemi juré risquait de précipiter la fin de la révolution castriste. «Il savait, je crois, qu’il serait beaucoup plus difficile pour Cuba de résister aux bataillons d’hôteliers capitalistes yankees et à l’invasion des navires de croisières de Floride que cela ne le fût de mettre en déroute les hommes débarqués à la Baie des cochons» en 1961, écrit le journaliste américain.

    Tentatives d’assassinats

    Aucun dirigeant étranger n’a autant - et aussi longtemps - irrité les Etats-Unis que Fidel Castro. «Inlassablement, que ce soit en armant les révolutionnaires latino-américains, en accueillant des fugitifs poursuivis par la justice américaine ou en déclenchant d’importantes vagues de réfugiés, Castro a enragé son grand ennemi du nord», a écrit samedi le Miami Herald, quotidien de référence du sud de la Floride, où vivent plus d'un million de Cubains Américains, en immense majorité anti-castristes. Des nombreuses poussées de fièvre entre Washington et La Havane, les historiens en retiennent souvent deux en particulier, survenues au début de l’ère Castro : le débarquement manqué d’exilés cubains soutenus par la CIA dans la fameuse Baie des cochons, et surtout la crise des missiles de 1962, qui plongea le monde au bord d’une guerre nucléaire américano-soviétique. Il y en eut beaucoup d’autres, parfois lourdes de conséquences sur la vie politique américaine. En 1980, l’exode de Mariel - 125 000 Cubains, dont plusieurs milliers de criminels, expulsés vers la Floride  - contribua à la lourde défaite du président sortant Jimmy Carter face à Ronald Reagan. En 2000, la bataille autour de l’asile politique et de la garde du jeune naufragé Elian Gonzalez, finalement renvoyé à Cuba, a sans doute pesé dans la défaite d’Al Gore, battu sur le fil par George W. Bush dans la course à la Maison Blanche.

    Fidel Castro a en outre construit sa légende en survivant à de nombreuses tentatives d’assassinat, souvent pilotées ou soutenues par la CIA. Les méthodes envisagées, dont certaines figurent sur des documents déclassifiés de l’agence américaine de renseignement, allaient du plus classique - une bombe placée sous un podium, un milk-shake au chocolat empoisonné - au plus loufoque : offrir au «Comandante» une combinaison de plongée imprégnée d’un produit toxique fatal, empoisonner ses cigares ou déposer des coquillages piégés sur son lieu de plongée préféré. Certaines n’ont jamais été mises en oeuvres. Les autres ont lamentablement échoué. «Si survivre à une tentative d’assassinat était une discipline olympique, je gagnerais la médaille d’or», aimait répéter Fidel Castro dans ses interviews. Dans la lettre publiée lors de son 90e anniversaire, il s’était moqué des «plans machiavéliques des présidents américains» pour l’éliminer. Selon les autorités cubaines, plus de 600 tentatives d’assassinat ont été planifiées contre le dirigeant cubain, un chiffre impossible à vérifier. Mais une chose est sûre : que Fidel Castro soit décédé à 90 ans de causes a priori naturelles tient quasiment du miracle.

    «Bâtir un avenir»

    En même temps qu’elle referme un chapitre d’histoire, sa disparition ouvre une page d’incertitude sur l’avenir des relations entre Cuba et les Etats-Unis. Même si le poids politique de Fidel Castro avait nettement diminué depuis dix ans, certains estiment que l’influence qu’il continuait d’exercer sur la vieille garde du régime entravait le rythme des réformes enclenchées par son frère Raul. Ce dernier aura-t-il désormais davantage de marge de manœuvre pour réformer l’économie et desserrer l’étau exercé par le régime ? En aura-t-il la volonté ? C’est l’espoir de Barack Obama qui a exprimé l’amitié des Etats-Unis au peuple cubain et ses condoléances à la famille Castro. «L’histoire jugera de l’impact énorme» qu’a eu le père de la révolution cubaine, a réagi le président américain dans un communiqué. «Pendant près de six décennies, la relation entre les Etats-Unis et Cuba a été marquée par la discorde et de profonds désaccords politiques, a ajouté Obama. Sous ma présidence, nous avons travaillé dur pour aller de l’avant et bâtir un avenir dans lequel la relation entre nos deux pays ne soit pas définie par nos différences, mais par tout ce que nous partageons en tant que voisins et amis».

    De son côté, sur un ton autrement plus ferme, Donald Trump a qualifié Fidel Castro de «dictateur brutal qui a opprimé son propre peuple» et martelé que Cuba demeurait «une île totalitaire». «Même si les tragédies, les morts et la souffrance provoquée par Fidel Castro ne peuvent pas être effacés, notre administration fera tout ce qu’elle peut pour faire en sorte que le peuple cubain s’engage finalement sur le chemin de la prospérité et de la liberté», a promis le président américain élu.

    Dans moins de deux mois, l’avenir des relations entre Washington et La Havane sera entre ses mains. Cherchera-t-il, comme la quasi-totalité des présidents américains depuis la fin des années 1950, à faire plier Cuba en renforçant à nouveau les restrictions économiques et commerciales ? Ou poursuivra-t-il dans la voie empruntée par Barack Obama ? Après avoir semblé favorable au rapprochement entre les deux frères ennemis, le milliardaire avait durcit le ton au cours de la campagne électorale, menaçant de remettre en cause les mesures d’ouverture adoptées par l’actuel locataire de la Maison Blanche. «L’accord qu’Obama a signé est très faible. Nous n’obtenons rien, le peuple de Cuba n’obtient rien. Et je ferai ce qui est nécessaire pour obtenir un meilleur accord», disait-il en octobre lors d’une interview à une télévision locale de Floride. Outre l’annulation de décrets présidentiels adoptés par son prédécesseur pour alléger l'embargo, Donald Trump avait également menacé de rompre à nouveau les relations diplomatiques avec Cuba. La mort de Fidel Castro changera peut-être la donne. Elle remet, quoi qu’il en arrive, la question cubaine au cœur de l’agenda diplomatique d’un douzième président américain consécutif.

    Frédéric Autran correspondant à New York
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