Scolarisation des enfants d'étrangers : Marine Le Pen se justifie et s'enfonce

La présidente du Front national a livré un petit festival d'intox, dimanche, sur RTL.
INTOX Marine Le Pen l’a expliqué la semaine dernière (et dans une certaine confusion) : elle ne veut plus de l’école gratuite pour les enfants étrangers de sans-papiers, et souhaite mettre en place pour les enfants d’immigrés légaux un délai de carence pendant lequel les familles seraient amenées à contribuer financièrement à la scolarité. Au vu des réactions, le Front national a d’abord justifié la mesure en racontant une première intox grossière : la présidente du FN ne ferait qu’appliquer la loi. Laquelle loi dit en réalité le contraire. Dimanche, Marine Le Pen, invité du Grand Jury sur RTL, s’est à nouveau défendue en donnant des nouveaux arguments navigants entre l’approximatif et le faux.
1) Non, le FN ne proposait pas cette mesure dans son projet de 2012
Se défendant de toute évolution de sa position, Marine Le Pen l’affirme : cette proposition «figurait déjà dans son projet de 2012». Ce qui est inexact, comme on peut en juger en lisant ledit programme. Ce qui est vrai, c’est que Marine Le Pen avait abordé ce sujet lors d’une émission sur France 2 le 23 février 2012. Voilà ce qu’elle avait alors déclaré, imaginant une conversation avec un clandestin : «Nous ne scolarisons pas vos enfants car cette scolarisation représente un coût qui est considérable». Cette proposition, plus radicale que celle défendue aujourd’hui, n’a donc pas été intégrée au projet. Peut-être parce qu’elle était de toute évidence inapplicable. D’ailleurs, ce dimanche sur RTL, Marine Le Pen l’a reconnu, quatre ans et demi après : «On ne peut pas empêcher des enfants d’aller à l’école, bien sûr.»
2) Non, la scolarisation des enfants de sans-papiers ne rend pas leur parents inexpulsables
Au détour d’une phrase, Marine Le Pen explique par ailleurs que scolariser les enfants de «clandestins» rend leurs parents inexpulsables. «Ce que je tiens à vous rappeler, c’est que l’obligation de scolarisation des clandestins en France rend leurs parents inexpulsables. […] On scolarise obligatoirement les enfants de clandestins et après on dit "bah comme ils sont scolarisés, leurs parents ne peuvent plus être renvoyés», c’est-à-dire qu’on met en place les conditions de violation de la loi".»
Dans les faits, il est indéniable que les parents d’enfants scolarisés sont moins expulsés. Mais la scolarisation des enfants ne donne en rien un droit au séjour automatique. L’actualité rapporte régulièrement des mobilisations de parents d’élèves et d’association contre des expulsions menaçant précisément de parents dont les enfants fréquentent les bancs des écoles françaises. La semaine dernière, la Dépêche du midi racontait par exemple la mobilisation autour d’une famille kosovare ayant un enfant scolarisé en CP et frappée d’une obligation de quitter le territoire (OQTF).
Le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (Ceseda) fixe les conditions légales d’accès au séjour. L’article L 313-14 rappelle que «des admissions exceptionnelles au séjour» peuvent être accordées selon des «considérations humanitaires ou des motifs exceptionnels». Pour harmoniser les pratiques des préfectures, la circulaire du 28 novembre 2012, dite circulaire Valls, liste des critères d’admission exceptionnelle au séjour, notamment pour «vie privée et familiale». Parmi eux figure donc «les parents d’enfants scolarisés». «Lorsqu’un ou plusieurs de leurs enfants sont scolarisés, la circonstance que les deux parents se trouvent en situation irrégulière peut ne pas faire obstacle à leur admission au séjour», est-il écrit. A ces critères, s’ajoutent des conditions de séjour : «la vie familiale caractérisée par une installation durable du demandeur sur le territoire français, qui ne pourra être qu’exceptionnellement inférieure à cinq ans», mais surtout les enfants doivent être scolarisés depuis au moins trois ans, y compris en école maternelle.
Dans les faits, il est indéniable que la scolarisation des enfants est donc prise en compte dans la régularisation. Mais il est faux de dire qu’elle ouvre un droit à cette dernière. La circulaire ne donne aucun droit automatique au séjour. La valeur juridique d’une circulaire ne sert qu’à donner des orientations aux préfets, elle n’a en aucun cas valeur de loi. Légifrance rappelle d’ailleurs qu’«il faut éviter de confondre la circulaire avec le texte – loi ou décret – qu’elle présente en laissant entendre que telle décision sera prise en application de celle-ci et non de celui-là».
C’est d’ailleurs ce que précisent deux arrêts du Conseil d’Etat de février et mars 2015, après que deux hommes avaient contesté leur obligation de quitter le territoire français (OQTF) devant le tribunal administratif, en faisant valoir la circulaire Valls. Le Conseil d’Etat a jugé que les indications listées par la circulaire ne constituent que de simples «orientations générales». Une autorisation de séjour peut donc être accordée au cas par cas à des parents d’enfants scolarisés en France depuis au moins trois ans au titre de la «vie privée et familiale» mais il ne peut s’agir d’un droit automatique. En 2015, 3 134 parents d’enfants scolarisés ont eu une admission exceptionnelle au séjour selon le ministère de l’Intérieur.
3) Non, il n’existe pas de délai de carence en Grande-Bretagne obligeant les immigrés à payer un ou deux ans la scolarité de leurs enfants
Si Marine Le Pen souhaite faire payer les sans-papiers, elle souhaite aussi mettre à contribution les immigrés réguliers pour la scolarisation de leurs enfants, mais pour une durée limitée. Il s’agirait d’un «délai de carence» d’un ou deux ans durant lequel «ils vont devoir payer leurs soins, leur scolarisation». «Comme en Grande-Bretagne», affirme-t-elle. Se réfugier dans un exemple étranger est un grand classique de la rhétorique politique. En l’espèce, c’est surtout une arnaque. Car il n’existe pas en Grande-Bretagne de délai de carence pour les enfants d’étrangers en situation légale. L’éducation est gratuite pour tous, quel que soit leur statut d’immigration.
4) Non, les Etats-Unis ne font pas non plus payer les enfants d’expatriés
Même stratégie de l’exemple étranger, cette fois pour se défendre de l’argument selon lequel le refus de la scolarisation gratuite contrevient aux textes internationaux : «Pourquoi ces règles [qui interdisent de faire payer la scolarisation, ndlr] ne s’appliquent pas aux expatriés ? Aux Etats-Unis etc. etc. ?» interroge Marine Le Pen. Ainsi, les enfants français d’expatriés devraient payer leurs frais de scolarité aux Etats-Unis ? Encore raté. La scolarité dans les établissements publics est gratuite outre-Atlantique. Une décision de la Cour suprême de 1982, Plyler v. Doe, affirme que tous les enfants ont droit à une éducation gratuite, quels que soit leur citoyenneté ou leurs statuts d’immigration. Les enfants d’expatriés, chers aux yeux de Marine Le Pen, tombe sous le même coup. «L’éducation est gratuite pour tous dans les établissements publics», confirme le département américain de l’Education à Désintox.
Marine Le Pen a probablement fait une confusion : les frais de scolarité pour les enfants d’expatriés ont été rétablis dans les lycées français à l’étranger, mais les enfants qui décident de suivre leurs cours dans un établissement local aux Etats-Unis ont droit à la scolarité gratuite.
5) Non, les sans papiers ne voyagent pas (plus) gratuitement dans les transports en commun en Ile-de-France
Au milieu de son laïus sur la scolarité des enfants étrangers, Marine Le Pen a trouvé le moyen de glisser une dernière contre-vérité, cette fois-ci sur les transports en commun. Elle interpelle le journaliste de RTL Olivier Mazerolle : «Est-ce que vous savez, monsieur Mazerolle, que les clandestins ne paient pas les transports en Ile-de-France, que c’est gratuit ?» Sur ce coup, elle aurait dû mettre ses fiches à jour : le transport des sans-papiers en région parisienne était même un thème central de la campagne de Valérie Pécresse pendant les régionales. La désormais présidente de la région a mis en œuvre sa promesse et supprimé la tarification spéciale de 75% de réduction accordée aux bénéficiaires de l’Aide médicale d’Etat (AME). Non seulement ceux-ci n’ont donc jamais eu les transports gratuits mais une réduction de 75%, mais en plus cette aide aux transports a été supprimée dès janvier 2016. Quant «aux Français qui ont de plus en plus de mal à payer leur navigo», que Marine Le Pen veut défendre, ils bénéficient toujours du dispositif solidarité transports de la région : les bénéficiaires de la CMU-C ou de l’allocation de solidarité spécifique (ASS) bénéficient de la réduction de 75%, et, sous conditions de ressources, les bénéficiaires du RSA et les chômeurs ASS qui bénéficient aussi de la CMU-C peuvent obtenir la gratuité des transports en Ile-de-France.
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