Les Pirates islandais, une force politique d'avenir
Enfin un vrai renouvellement sur la scène des idées politiques, avec un programme radical entièrement adapté à l'ère numérique : promotion de la démocratie directe digitale, évolution du droit à la vie privée vers un droit à l'anonymat, protection des données personnelles, extension du champ de la liberté d'expression, reconnaissance du bitcoin comme monnaie officielle...
Il ne s'agit pas d'En marche, mais de « Píratapartyio », le Parti pirate islandais. Même s'il n'a pas saisi le pouvoir en Islande aux législatives du week-end dernier, comme les sondages le prédisaient, cette formation alternative réalise un score sans précédent à des élections nationales : 14,5 % des voix, ce qui lui permettra de tripler le nombre de ses députés, et de devenir la troisième force politique du pays.
Malgré les articles condescendants de la presse européenne, les pirates sont tout sauf des amateurs en politique. Ce mouvement international, fondé il y a une dizaine d'années autour de la question du droit d'auteur sur Internet, rassemble geeks, hackers et activistes du Net, bref l'élite de la société de demain. Les pirates se sont fait connaître en remportant en 2011 près de 10 % des voix aux élections régionales de Berlin. Depuis, ils ont réussi à envoyer des députés au Parlement européen. En Islande, ils siègent déjà depuis quatre ans à l'Assemblée nationale, où ils sont parvenus à faire adopter à l'unanimité l'IMMI (Icelandic Modern Media Initiative), un ensemble de lois renforçant la liberté d'expression pour la presse comme pour les citoyens, et établissant le droit au blasphème. Parmi leurs sujets de prédilection figurent en bonne place l'impression 3D et les drones... Malgré ses mèches vertes, ses drapeaux noirs et ses envolées de « poetician » (contraction de poète et de politicien), Birgitta Jónsdóttir, la chef de file des Pirates islandais, est une femme politique assidue dans les divers comités parlementaires où elle siège.
Contrairement à ce qu'affirment leurs adversaires conservateurs, le Parti pirate garde ses distances par rapport au socialisme. Une de leurs propositions principales, la nationalisation des ressources naturelles, correspond à une définition classique des biens communs, et s'accompagne d'un système d'attribution de permis ouvertement fondé sur les mécanismes de marché. S'agissant de la question sensible en Islande des droits de pêche, le Parti pirate propose, par exemple, de substituer au système des quotas une procédure de mise aux enchères, afin de laisser une place aux nouveaux entrants. De manière intéressante, cette solution a été élaborée par consultation directe des membres du parti et de la population : la démocratie participative s'accommode fort bien du capitalisme. Comme l'explique Ásta Helgadóttir, députée du Parti pirate : « Nous ne voulons pas contrôler le marché dans ses moindres détails : nous voulons protéger d'abord l'individu, ensuite la société, et enfin le marché. »
Le Parti pirate s'inscrit à mon sens dans le sillage des mouvements libertariens, en plein essor aux Etats-Unis et en Europe. Se faufilant entre les Indignés et les Nativistes, entre le corbynisme et le trumpisme, il participe à la construction d'une sorte de centrisme radical et moderne, orientant dans le sens de la liberté la fureur contre les élites traditionnelles. Liberté économique : les Pirates islandais demandent à lever de nombreuses barrières à l'entrée sur le marché du travail. Liberté sociale : ils assument, par exemple, la légalisation de la pornographie ou la décriminalisation des drogues. Liberté politique : ils veulent offrir l'asile à Edward Snowden. Et si les Pirates étaient en passe de redonner un sens à l'Etat de droit et à la démocratie, en définissant un cyberlibéralisme ?
Il est assez naturel que les Pirates émergent dans la plus vieille démocratie au monde, dont l'assemblée populaire, l'Althing, fut fondée en 930. Mais leur ambition est sans frontière : à problèmes mondiaux, réponses mondiales. Il existe des Partis pirates dans plus de soixante pays. Ils offrent ainsi une véritable alternative intellectuelle et politique, empruntant les voies légales du combat électoral. En France, après avoir présenté plus de 100 candidats aux élections législatives de 2012, les Pirates se préparent à accroître leur présence en 2017. Si les Français ont tant envie de changement, qu'ils le prouvent !
Gaspard Koenig
Gaspard Koenig est philosophe et président du think tank GenerationLibre.