Bizarre : le jeune Macron séduit les retraités de gauche!

André Ropert, publié le

 

Une étude d’opinion récente a montré que chez les sympathisants de gauche, c’était dans la tranche d’âge supérieure à 60 ans qu’Emmanuel Macron et son mouvement « En marche » suscitaient le maximum d’intérêt. C’est apparemment paradoxal, puisque le ministre de 38 ans est généralement présenté comme un facteur de rajeunissement de la vie politique, mais le fait relève peut-être aussi d’une certaine logique. Ayant avec le temps perdu toute illusion, ces personnes âgées perçoivent plus intensément que les jeunes qu’il n’est plus possible de continuer ainsi et que c’est à une révision complète des références et des programmes qu’il faut procéder. Si le concept de gauche a encore un sens, c’est bien dans cette opposition fondamentale progressistes-conservateurs évoquée par Macron qu’il doit se concrétiser. Au terme de plus de cinquante ans d’échecs répétés, ceux qui ont traversé la seconde moitié du XX° siècle ne s’en laissent plus conter.

 

Les plus âgés ont connu les promesses de « l’avenir radieux » et des « lendemains qui chantent ». Non seulement les lendemains en question étaient régulièrement reportés à la prochaine fois, mais de la découverte de la réalité soviétique à l’effondrement des diverses versions du marxisme-léninisme, du destin du maoïsme chinois au triste résultat des révolutions latino-américaines, le mirage s’est progressivement dissipé.

Aux temps lointains de la IV° République, beaucoup ont espéré qu’une voie nouvelle allait être tracée par Pierre Mendès-France. Etranger aux appareils de partis, lucide face aux potentialités totalitaires du communisme, Mendès-France alliait rigueur et pragmatisme et face au grand problème des années 1950, la décolonisation, il faisait preuve de courage et de clairvoyance et remodelait une pensée de gauche ouverte, affranchie des utopies et soucieuse de résultats immédiats. Il dérangeait évidemment les partis institutionnels : les communistes s’allièrent à la droite pour renverser son gouvernement et les socialistes ne firent rien pour vraiment le soutenir, préférant le phagocyter dans un prétendu Front républicain qui permit à leur secrétaire, Guy Mollet, d’accéder en 1956 au pouvoir.

Que fit alors ce dernier? Elu pour négocier avec les rebelles d’Algérie, il accomplit une complète volte-face et engagea la France dans un conflit de sept ans qui emporta le régime et ramena au pouvoir le général de Gaulle.

Tout en étant reconnaissant au général d’avoir extrait le pays du bourbier algérien, nos citoyens et citoyennes de gauche montraient peu d’attirance pour le régime crypto-présidentiel de la V° République. Ils se raccrochèrent alors, oubliant son passé et ses intrigues, à François Mitterrand qui avait, à la fois, fait le procès de l’état gaulliste et offert un programme de démocratisation en publiant en 1964 « le coup d’état permanent« . Ils soutinrent son action quand il réorganisa en 1971 le vieux parti socialiste, puis noua une alliance avec les communistes, donnant ainsi l’illusion d’une union des gauches. Entre temps, nombre d’entre eux avaient participé à Mai 68 et constaté que son seul résultat politique concret avait été l’élection de l’assemblée la plus à droite de l’histoire de la V° République.

C’est pourtant avec enthousiasme que nos défenseurs de l’idéal de gauche portèrent Mitterrand au pouvoir en 1981, ayant cru qu’il allait « changer la vie » et même (comme il le proclamait) « rompre avec le capitalisme ».

 

Hélas! Il y avait les promesses et il y avait la réalité. Non seulement Mitterrand, oublieux du « coup d’état permanent », se coula dans les institutions et s’en servit même si bien qu’il devint le chef d’état le plus longtemps installé au poste suprême depuis… Napoléon III, mais dès 1983, il se convertit à une pratique de fait libérale tout en continuant d’user d’une rhétorique prétendument socialiste.

Nos gens de gauche n’étaient néanmoins pas découragés. Jacques Chirac ayant été élu président, ils profitèrent de la maladroite dissolution de 1997 pour lui imposer une cohabitation avec le socialiste Jospin. Non content de s’avérer bientôt le champion incontesté des privatisations, ce dernier procéda, avec la mise en place du quinquennat et l’inversion du calendrier électoral, à un renforcement du pouvoir présidentiel jadis dénoncé avant de se faire éliminer, quand il brigua lui-même la magistrature suprême, par une extrême droite que nul n’avait vue progresser.

Cela commençait à faire beaucoup, d’autant que depuis bientôt trente ans, la France vivait une crise rampante et que le chômage ne cessait d’augmenter sans qu’aucun pouvoir, de gauche ou de droite, ne sache le résorber. Quelque chose ne tournait pas rond et chaque tentative de réforme se heurtait à une opposition prompte à mobiliser la rue, précisément au nom de la défense des principes de la gauche. Ceux-ci seraient-ils donc devenus conservateurs puisqu’ils aboutissaient finalement à faire… qu’on ne faisait rien?

Nos vieux électeurs de gauche allaient pourtant une fois encore faire confiance à leur camp et élire, en 2012, François Hollande, l’homme qui assurait « le changement maintenant ».

 

Alors est arrivée l’heure du désenchantement intégral. Entre retournement des uns, radicalisation des autres, gesticulations impuissantes, slogans cent fois entendus, les vieux fidèles de la gauche, recrus de fatigue et las des échecs répétés, se sont interrogés, fort de leur expérience, sur les raisons de ce constant fiasco. Ils ont alors compris que l’erreur constitutive avait toujours été d’imaginer le monde au lieu de l’aborder tel qu’il est réellement, de préférer l’idéologie au pragmatisme et de se condamner ainsi à l’inefficacité. Ils ont réalisé que les appareils de partis fonctionnaient d’abord dans le but de se pérenniser en évitant les turbulences. A l’aube de l’un des plus grands bouleversements qu’ait connu l’humanité, ils ont découvert la médiocrité des propositions et la vanité des utopies. Ils ont assisté, accablés, au retour des illusions gauchistes de leur jeunesse. Ils se sont aperçus qu’il fallait d’urgence tourner la page si on voulait vraiment obtenir un jour des résultats.

Voilà sans doute pourquoi les propos d’un jeune dissident les ont intéressés. Non qu’ils les approuvent nécessairement dans leur totalité, mais Macron a au moins le mérite de dire clairement que le roi est nu et qu’il faut tout reconstruire, sur des bases nouvelles et résolument réalistes.

Pour les plus vieux d’entre eux, il n’est pas impossible que revienne alors, comme un souvenir oublié, l’image de Pierre Mendès-France.

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