
« Des nanars de l'art aux cotés de chefs-d'oeuvres », le projet étrange de Mark Dion.
© Mark Lyon
Plus pompier, c'est difficile, cette bande de succubes, aux corps soudés, guirlande olé-olé de jeunes femmes nues, planant dans les airs d'un ciel d'orage. Un vrai festival de cannes grasses, fesses tentatrices, seins rebondis et cheveux au vent.
L'extase a pour nom Les Sorcières allant au Sabbat, une gravure photographique - une photoglyptie exactement - aux reflets d'argent, qui date des années 1870 et a dû faire fureur à l'époque où s'inventait la reproduction d'art. Qui se souvient de cette sacrée ruée de sorcières aguicheuses ? Elle provient d'un tableau oublié du peintre espagnol Luis Ricardo Falero, aristocrate de Grenade, qui, déniant le projet familial d'une carrière dans le marine, s'enfuira à pied jusqu'à Paris, étudiera la chimie pour se lancer, enfin, dans la carrière de peintre à succès, jusqu'à sa mort à Londres en 1896. en habile metteur en scène de nymphes presque toujours dénudées.
Curiosité du temps fané
Il faut beaucoup de culot pour montrer dans un musée aujourd'hui ce petit maître du symbolisme diabolique qui louche beaucoup vers le kitsch. Il figure pourtant dans l'exposition ExtraNaturel au Palais des Beaux-Arts, un projet de l'artiste américain, Mark Dion, qui revendique de montrer nanars de l'art aux cotés de chefs-d'oeuvres, jouets en plastique et curiosités du temps fané.
Sous-titrée Voyage initiatique dans les collections des Beaux-Arts, son installation est d'abord un hommage aux fabuleux trésors de 450 000 objets, pelote un peu méconnue composée de deux mille peintures, vingt mille dessins, trois mille sculptures, soixante mille photographies et autres moulages pour l'apprentissage du dessin, de l'Ecole.
Menant son enquête, en aventurier de l'art, Mark Dion y a exhumé, avec la complicité des conservateurs, peintures des Prix de Rome, dessin à la pierre noire de Giandomenico Tiepolo, crâne d'oiseau, patte de rapace, momie de panthère, moulage d'un écorché attribué à Michel-Ange, gravures des Caprices de Goya, livre médiéval de Paracelse, photographies primitives, bas-reliefs, et évidemment, les sorcières de notre artiste espagnol. Un vrai bric-à-brac.
© Mark Lyon
Cabinet de curiosité
ExtraNaturel, son installation, est un dédale de pièces dédiées aux quatre éléments, terre, eau, air et feu, tapissées de couleur vert anglais ou rouge pétant, et habitées de tourniquet de bois ou vitrines patinées. Sa mise-en-scène joue à merveille le mimétisme des cabinets de curiosités, ces antres de la connaissance du 17e siècle, pour princes lettrés et collectionneurs. Mais là, où s'accumulaient objets curieux et classifications mouvantes des objets d'art et des monnaies, des racines de mandragores et de la corne de narval, sa réplique contemporaine bouscule les classements, compile le vrai et le factice, le passé et le présent.
Habitué des interventions dans les musées d'Histoire naturelle ou les lieux insolites, comme le grand aquarium de Monaco en 2011, Mark Dion se passionne ici pour le bizarre en convoquant monstres à sept têtes, satyres, êtres hybrides, squelettes, livres de cosmologie, caisses d'os destinés au travail des élèves artistes, cartes de tarot ou traités d'alchimie. Facétieux, il y glisse ses propres oeuvres, une fausse anguille de papier mâché, découpé en petits morceaux, sous vitrine, ou une vraie étagère où s'empilent des bocaux de jouets modernes en plastique plongés dans des liquides colorées, comme des curiosités marines. Et invite même les oeuvres contemporaines de James Lee Bryars (un corne de licorne sur un socle de marbre blanc), de Jimmie Durham, du duo des artistes Art Orienté Objet ou d'Olivier Mosset. Vertige encyclopédique, entre fantasmes et connaissances, son étrange voyage au pays de l'irrationnel, de la curiosité et de la science, est une pure fiction. Une histoire à dormir debout, entre archéologie des Beaux-Arts et fantaisie d'une collection sans fin.