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    Halloween : Hécate, sorcière sans philtre

    Par Emmanuèle Peyret
    Dans l’antre de la sorcière Hécate, lundi, dans le XVIe arrondissement de Paris.
    Dans l’antre de la sorcière Hécate, lundi, dans le XVIe arrondissement de Paris. Photo Patrick Swirc pour «Libération»

    A quelques jours de la fête des morts, «Libération» est tombé sous le charme joyeux de l’ensorceleuse la plus en vue de Paris, qui envoûte et désenvoûte depuis quarante ans à l’aide de poupées de cire.

    C’est peu de dire qu’on n’en menait pas large, ce mardi d’octobre, en se rendant au rendez-vous pris avec la grande sorcière de Paris, Hécate, qui officie depuis quatre décennies. Non pas au fond d’une grotte sombre emplie de chauves-souris, mais au fond du lugubre XVIe arrondissement, dans un immeuble sobre des années 30 avec digicode où on pénètre avec force supputations. Est-ce qu’elle aura un œil maléfique et flippant ? Des ongles crochus et noirs ? Et si le courant ne passe pas, est-ce qu’elle va jeter un sort ? Heureusement, on a un sas avant la rencontre. Jacques, son assistant depuis trente-cinq ans, reçoit dans le minuscule cabinet rempli de bric-à-brac : on a bien une chauve-souris coulée dans un cadre, des statues hindoues, des masques africains, des têtes de mort, de bouc, ça sent furieusement l’encens, les bougies sont allumées et les murs, un peu cracra, ont vécu.

    En bombardant Jacques, vêtu de noir («c’est un hasard», rigole-t-il), de questions tous azimuts, on apprend dans le désordre qu’Hécate ne prend pas plus de trois à cinq consultants par semaine, filtrés auparavant par l’assistant : «On évite les trop excités, les paranos, les gothiques, les adeptes de la sorcellerie tout-venant, les gens en détresse, les chômeurs parce qu’on ne peut pas leur faire de promesses, les moins de 30 ans, encore trop malléables, et les enfants, évidemment.»

    Entretien psychologique

    Il y aurait donc uniquement des gens équilibrés qui viendraient consulter pour des envoûtements-désenvoûtements amoureux, des concurrents à abattre, pour une pratique qui, dans son ensemble, avoisine les 2 400 euros ? Jacques : «Vous savez, on a de tout, des policiers, des magistrats, des mères de famille, des chefs d’entreprise, des footeux, des journalistes…» La sorcière passe au préalable au moins une heure d’entretien psychologique pour savoir à qui elle a affaire. On vient, de tous âges, tous milieux et des deux sexes, lui demander quelque chose de précis, et elle agit. Non, «on n’a pas de statistiques ni de résultats chiffrés, les cas sont très différents, comme les humains sont différents», dit l’assistant avant de s’effacer pour laisser la place.

    «Mistoufles»

    On attend un peu, pas très tranquille. Le rideau rouge s’ouvre, et Hécate apparaît. La sorcière est habillée simplement, en noir et gris, jolis collants un peu brillants, avec de nombreux bijoux. Les cheveux en chignon bouffant sont noirs de jais, le visage très avenant, les ongles noirs, certes, «c’est du Chanel, le rouge noir. Je le fais faire chez la manucure», pouffera-t-elle au terme des trois heures d’entretien, quand on sera devenues copines. Car oui, cette Hécate, malgré son métier un peu bizarre, a tout d’une copine : un sourire hyperchaleureux, un contact ultrafacile, une attention très soutenue envers autrui. On parle philosophie, Levinas auquel elle avoue ne rien comprendre, de l’hébreu qu’elle a appris, de Molière dont elle a un buste sur sa table («il a peint l’homme éternel»), de la chauve-souris dans son cadre, un achat qu’elle ne referait pas parce qu’elle est devenue une fervente défenseure des droits des animaux.

    On évoque Dieu puisqu’elle est d’obédience catholique par son éducation (même si elle a abandonné la religion en découvrant certaines hypocrisies) : «Il me semble qu’il y a un créateur, ce ne serait pas possible autrement. L’idée de Dieu et du Diable, au sens de diabolos en grec, "l’obstacle", les "difficultés", m’intéresse. Nous, les Lucifériens [ah, nous y voilà, ndlr], sommes un peu partisans de cet ange déchu, Lucifer, dont le nom veut dire "celui qui fait la lumière". Notre différence avec l’Eglise catholique, c’est aussi qu’on ne veut pas croire mais comprendre, savoir, chercher quel est le sens de tout ça.» Elle dit de sa voix joyeuse qu’on «est responsable de soi, on ne s’en remet pas à des forces mystérieuses».

    Certes, l’avenir est tracé, Hécate pense que l’heure de la mort est décidée à l’avance, et son travail, «c’est d’agir sur le destin à un moment donné. C’est la grande différence entre la voyance et la sorcellerie : je ne vois pas l’avenir, je dévie un destin. Evidemment, sans certitude».

    Cette avocate qui a exercé deux ans (elle en a 65 qu’elle ne fait pas) a dix années de formation en sorcellerie au compteur avec trois maîtres pour apprendre rituels, incantations, pratiques, histoire, coutumes.

    Alors, après l’entretien psychologique qu’elle fait passer à ses consultants, Hécate (du nom de la déesse de la magie, son prénom c’est Annie mais son pseudo est sur sa carte d’identité, comme «Jean-Philippe Smet a Johnny sur la sienne») passe aux choses sérieuses. «Le consultant doit dire ce qu’il veut, pas avoir une demande vague : "Je veux qu’il/elle revienne, je veux qu’il/elle soit très malheureux, tombe malade, ait des ennuis, je veux que ma boîte se relance, je veux qu’il arrive des mistoufles à mon concurrent"», voilà ce qu’elle entend le plus. Depuis une dizaine d’années, «les requêtes sont de plus en plus violentes : vengeance, mort… Les gens sont beaucoup plus agressifs. Alors, je détourne, je désamorce les souhaits de mort, par exemple en leur disant de faire des choses absurdes comme après l’enterrement d’aller déterrer le cadavre et de prendre le cœur. En général, ça marche», sourit la sorcière. Les gens ont besoin d’être écoutés, parfois même «pratiquent l’auto-envoûtement» en se persuadant de quelque chose. «Cette dame, par exemple, qui tue tous les soirs l’araignée qui la suit dans l’escalier, que son mari ne voit pas et qui revient le lendemain, qu’en penser ?» se demande-t-elle. Et quid de ces «maisons hantées, comme l’ancien siège de la Gestapo, rue des Saussaies, où on ne peut pas rester» ? Il faut bien qu’il y ait quelque chose. «Vous voyez, rigole-t-elle avant de proposer un café, il faut avoir les pieds sur terre mais la tête dans les étoiles.»

    «Dagydes»

    Au supplice, on ose enfin lui demander comment elle fait les rites, les potions. «Ah non, pas de potions ni d’aliments, c’est de l’exercice illégal de la médecine et vous avez trop de plantes comme le datura ou la mandragore qui sont extrêmement dangereuses», explique Hécate qui, non, ne fréquente pas d’autres sorcières. Avant d’ajouter : «Un travail pas trop compliqué, en désenvoûtement par exemple, dure trois lunaisons», trois mois, donc, au cours desquels la sorcière travaille seule, la nuit et jamais devant les consultants. Elle sort d’un placard deux petites poupées de cire, «ce sont des dagydes, auxquelles on donne vie en les personnalisant avec des poils, des cheveux, des rognures d’ongles», et on les place en fonction de la demande et du résultat espéré. On peut la faire fondre, la laisser couler dans l’eau, l’enterrer… Ainsi va la sorcellerie qui peut être, comme une plante, bénéfique ou maléfique. Et dont on ne dévoilera pas les secrets.


     

    Eclairage

    Comment se porte la sorcellerie en France? A en croire Dominique Camus, ethnologue-sociologue et auteur de Sorciers, au cœur du paranormal (1) «elle se porte très bien, comme elle s’est toujours portée». Peut-être parce que la sorcellerie, et ses coutumes ancestrales, pas toujours ragoûtantes, est «une pratique sociétale». « Quelle que soit l’époque, il n’y aucune société sans magie. Le magique est en prise avec la réalité, c’est une question d’air du temps», poursuit l’ethnologue sociologue et historien. Suivant les époques, il y a friction avec le religieux (entre le 15è et le 17è siècle, moult procès en sorcellerie, et 55000 femmes brûlées) ou avec les sciences (de la fin du 19è aux années 60). Les pratiques évoluent, s’enrichissent des progrès techniques, mais les «scientifiques voient d’un mauvais œil que les sorciers s’approprient une partie de leur bagage théorique», souligne Dominique Camus. La sorcellerie, dit-il, est comme un millefeuille: «les pratiques du Moyen Age existent toujours mais on a rajouté des instruments modernes. La sorcellerie est très pragmatique: on ajoute, on ne supprime pas. Etre sorcier, c’est aboutir aux mêmes résultats, quel que soit l’objet». Est-ce à dire que le radar a remplacé le pendule, et la photo du sujet à envoûter/désenvoûter la poupée ? «Remplacé non, on ajoute les détecteurs d’onde, on revoit les incantations, les couches se superposent», détaille Dominique Camus, qui a fait une étude fouillée il y a une vingtaine d’années, qui faisait état d’un marché à plusieurs milliards d’euros.

    Il balaie l’objection (stupide) selon laquelle la sorcellerie se pratique dans nos campagnes : «Les gens ont déserté les campagnes, les sorciers aussi». Oups. On en a gros dans la tête, des clichés. La magie poursuit-il, a deux faces, et on ne parle pas de magie noire ou blanche, «des foutaises. Toute action a une double face: Le sorcier, contrairement au guérisseur qui ne peut pas rendre malade, peut faire et défaire, perturber ou améliorer, envoûter/ désenvoûter: la sorcellerie est réversible. Elle peut commander les éléments, provoquer la disette par sécheresse, ou envoyer de la grêle sur les récoltes, empêcher ou aider à la reproduction animale ou humaine».

    Et qu’on ne vienne pas lui parler d’école de sorcières, il n’y a pas de don, il faut «apprendre à agir sur l’animé et l’inanimé, le vivant et les choses. La sorcellerie se transmet d’un sorcier à un autre». On ne naît pas sorcière, on le devient.

    Sorciers au cœur du paranormal, éditions Ouest France, 25 euros, 141 pages

    Emmanuèle Peyret
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