
Parmi les œuvres du parcours 2016 de Nuit Blanche, il y a, comme de coutume maintenant, bon nombre de performances. Sans qu’il puisse expliquer pourquoi, Jean de Loisy, directeur artistique de l’événement en convient : « Même si le programme est exigeant, il faut que Nuit Blanche reste un parcours spectaculaire, vivant, qui suscite des réactions et des débats. La performance est une forme qui cadre bien avec le décor d’une déambulation nocturne. »
Nous avons rencontré cinq artistes programmés par Nuit Blanche pour qu’ils nous expliquent leurs performances :
Abraham Poincheval a passé cinq jours en haut d'un mât de 20 mètres...
Estelle Delesalle installe un atelier de construction et de destruction de coeurs en bois...
Pierre Delavie retourne et «perce» la façade de la Conciergerie...
Laurent Tixador longe les quais dans sa maison mobile escamotable…
Oliver Beer nous fait écouter les sons subaquatiques de la Seine...
Le point commun de ces cinq artistes ? Ils ont bien galéré pour organiser ou réaliser leurs performances. En même temps, ils l’ont un peu cherché. A-t-on idée de passer cinq jours sur une plateforme de trois mètres carrés perchée à vingt mètres de haut ? Pour son expérience de stylite contemporain, déjà menée à deux reprises « mais moins haut », Abraham Poincheval ne se faisait pas trop de soucis. Après tout, il a déjà passé une semaine dans un trou dans le centre-ville de Tours, et quinze jours dans un ours empaillé du Musée de la chasse et de la nature à Paris. « L’aspect logistique est un peu toujours le même. On me demande toujours comment je fais pour mes déchets, disons, organiques. ça interroge toujours les gens. Disons que je m’organise. Me coltiner les aspects concrets de l’expérience, ça me permet d’aller au-delà du concept. Mais je ne sais pas à l’avance ce que je vais vivre, c’est pour ça que je le fais d’ailleurs. »
Des tronçonneuses dans Paris
Estelle Delesalle a, elle, convié quatre bûcherons champions de France à débiter toute la nuit une trentaine de troncs pour en faire de petits cœurs en bois.
« Il y a des questions de sécurité assez complexes, bien sûr. On amène quand même des haches et des tronçonneuses… » L’artiste britannique Oliver Beer a également eu de petits soucis avec les forces de l’ordre. Son installation sur le pont des Arts propose de capter et de restituer avec des haut-parleurs les sons subaquatiques de la Seine.
« Je suis venu faire des essais pour savoir à quelle profondeur il fallait immerger les micros pour obtenir des sons intéressants. Mais à peine trente secondes après avoir commencé, des policiers sont venus me demander ce que je fabriquais. Vous pouvez avoir confiance en votre police ! Ils ne laisseront jamais un Anglais bizarre faire n’importe quoi dans la Seine. »
Pierre Delavie pour sa part s’est mis en tête de couvrir la façade sur Seine de la Conciergerie avec une bâche de 1.200 m2. « Je fais des créations in situ donc c’est toujours un peu nouveau. Mes œuvres ne sont pas transposables à d’autres endroits. Mais bien sûr, je m’améliore d’un point de vue technique, je connais mieux la distance du regard par exemple. » La vraie gageure de son œuvre est de créer l’illusion. Le passant aura l’impression folle de voir l’intérieur du bâtiment retourné, avec le haut des voûtes médiévales inondées… Mais finalement, l’aspect technique n’est pas ce qui cause le plus de souci à l’artiste. « Je sais que je n’y peux pas grand-chose mais j’aimerais qu’on n’utilise pas trop le terme de « trompe l’œil » pour parler de mon travail, je trouve que c’est un concept désuet et facile, je préfère l’expression "mensonge urbain". Je revendique le mensonge. »
Le contact humain
Laurent Tixador est un habitué des performances avec de fortes contraintes. Il essaye régulièrement de rallier un point A à un point B, soit nu soit en ligne droite soit uniquement armé d’une boussole. Pour Nuit Blanche, il a inventé une maison mobile escamotable… Compliquée à créer puis à utiliser, sa maison lui fournira un abri pour passer plusieurs nuits sur les quais parisiens où il ne craint pas les mauvaises rencontres. « Ce n’est pas le Bronx non plus. Mais c’est vrai que d’habitude je travaille plutôt caché. Là, des gens vont venir nous voir, on sera en contact avec différentes populations. »
C’est finalement l’autre point commun de ces cinq artistes de Nuit Blanche. Tous ont hâte de pouvoir échanger avec les passants et jauger leur réaction. « Si quelqu’un passe, me voit et se demande pourquoi je me suis perché comme ça à vingt mètres de haut, mon contrat est rempli » explique Abraham Poincheval. Pierre Delavie espère qu’avec son œuvre « les gens pensent un peu à ce qui les entoure, c’est peu et c’est tout à la fois. » peu importe l’énergie déployée, Estelle Delesalle et Oliver Beer veulent créer un instant hors du temps. Que ce soit en découvrant la richesse du monde sous-marin ou en prenant le temps de s’interroger sur ce que signifie le sentiment amoureux.
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