
En Italie, les grandes maisons du luxe sont souvent restées aux mains des descendants de leurs fondateurs. Et puis les nouveaux rythmes et les pressions d’une industrie de plus en plus globale ont fini par rattraper la « bulle » milanaise. Sur les podiums, les arrivées et départs de directeurs artistiques (chez Gucci, Moschino, Jil Sander, Emilio Pucci, Philosophy, Salvatore Ferragamo notamment) ont reformaté le paysage italien de la mode avec des succès divers. Pour tenir son rang de capitale de la mode moderne dans un contexte ultra-concurrentiel, il faut dépasser sa qualité de fabricant de « luxe industriel » : le style et l’image doivent être construits avec soin.
C’est le cas chez Bottega Veneta, où le solide designer allemand Tomas Maier a passé les quinze dernières années à ciseler comme un artiste patient le profil pur luxe de la maison, mettant en avant ses matières exceptionnelles et ses savoir-faire dont l’intrecciato, technique de tissage du cuir propre à la griffe. Pour ce quinzième anniversaire – longévité qui au XXIe siècle est en passe de devenir une rareté –, le créateur joue la prudence. Pour la première fois, il présente ensemble ses collections homme et femme, unies par le même souci de l’élégance intemporelle. Ses jupes mi-longues plissées, ses manteaux droits et ses robes évasées se déclinent dans d’infinies variations de coloris distingués et de matières luxueuses (du python à la maille de soie).
Sur le même principe, les blousons patchwork et les pantalons à pinces masculins signent une ligne rétro chic décontractée malgré la sophistication des textures. Cruciaux dans tout business moderne, les accessoires tiennent ici une place de choix parmi lesquels une réédition de la pochette que portait Lauren Hutton dans American Gigolo et que l’actrice faisait défiler samedi 24 septembre au matin, serrée contre son trench, trente-six ans après la sortie du film. « La beauté n’a jamais été une question d’âge, mais d’attitude », dira Maier après le show en précisant que le secret de sa longévité au sein du groupe Kering peut se comparer à un mariage : « Si vous voulez que ça marche, ça marche. » Efficace, l’allure défendue par Tomas Maier a tout pour durer et l’avenir de la maison paraît assuré, dans un registre discret.
Nouveau visage pour allure sexy
En trois saisons, Lorenzo Serafini a réussi à donner un tout nouveau visage à Philosophy, autrefois seconde ligne poussive d’Alberta Ferretti. Avec ses robes en voile de coton et dentelle ceinturées de cuir, cloutées et décolletées juste ce qu’il faut, ses couleurs sorbet, son denim bord franc et ses grandes jupes à fleurs, il invente une nouvelle allure pour cette marque. Désormais fraîche et sexy, sous influence légèrement 1980, elle pourrait devenir une Isabel Marant à l’italienne.
Empire familial spécialisé dans les tissus ultraluxe et ses imprimés saturés, Etro a trouvé la bonne personne pour assurer l’avenir de maison : Veronica Etro, fille du fondateur. Cette jeune femme élégante et peu médiatisée a su insuffler un charme dynamique aux silhouettes classiques de la maison. Sa collection d’été met en scène une sorte d’aventurière voyageuse, entre Ibiza et Marrakech, qui associe pantalon à la coupe motard et grande cape brodée, robe tunique ethnique et veste de soie décorée de pompons. Les mélanges d’imprimés et de couleurs sont opulents mais équilibrés, l’ensemble est parfois un peu littéral mais son raffinement séduit.

Autre institution familiale du luxe italien, Salvatore Ferragamo semble en revanche traverser une période de flottement. Son directeur artistique, Massimiliano Giornetti, a quitté son poste en mars sans avoir véritablement donné une direction forte et claire à la marque. En attendant de retrouver un créateur, la réalisation des collections a été confiée au studio. Avec ses jupes taille haute à godets et ses vestes aux volumes soufflés, ses robes à fleurs froncées et ses tailleurs-pantalons minimalistes, la collection d’été n’a rien à se reprocher, mais on n’y trouve aucun trait stylistique qui indique que l’on est chez Salvatore Ferragamo. Cependant, ce sont les souliers qui sont la spécialité historique de la maison. Elle vient d’annoncer l’arrivée du chausseur anglais Paul Andrew à la direction de cette ligne essentielle pour elle. Très talentueux, déjà adoré par les amatrices de beaux talons qui n’écorchent pas les pieds, il sera le premier à signer officiellement des chaussures de la maison depuis son fondateur : un bel avenir s’annonce donc de ce côté.
Une invisible signature visuelle
Autre maison en quête de nouveaux codes identifiables, Jil Sander a connu diverses fortunes : la fondatrice a quitté la maison deux fois avant de revenir puis de démissionner définitivement ; Raf Simons lui a ensuite donné une allure arty épurée avant de passer chez Christian Dior. C’est désormais Rodolfo Paglialunga qui signe les collections de la griffe. Avec ses tailleurs aux carrures exagérées, ses robes en microplissé aux volumes arrondis ou ses silhouettes monacales volantées sur les omoplates, son vestiaire d’été possède un charme neurasthénique fait de citations éclectiques. Mais le designer n’est toujours pas parvenu à imposer une signature visuelle dans une maison qui n’en a d’ailleurs pas eu depuis longtemps. Or, en 2016, impossible d’imposer durablement une maison sans esthétique identifiable.
Chez Marni, la problématique est ailleurs : l’étrangeté inventée par la créatrice Consuelo Castiglioni s’est un peu édulcorée depuis que la griffe appartient au groupe OTB de Renzo Rosso, également propriétaire de Maison Margiela et Viktor & Rolf. Cet ajustement de ton a fait beaucoup de bien, en éliminant les notes les plus dissonantes esthétiquement. Toute la difficulté aujourd’hui consiste à ne pas trop éteindre et alléger le style Marni car le normaliser serait sans doute dommageable. Les grandes robes aux plissés souples et aux poches géantes posées sur les hanches, les grands manteaux mi-kimonos mi-parkas, la collection d’été est à la limite de l’exercice identitaire mais le vestiaire conserve le charme bizarre et décalé cher à Marni.

Chez Dolce & Gabbana, les créateurs cultivent sans conteste un style extrêmement identifiable : un mélange d’imagerie touristique sicilienne et/ou napolitaine et de glamour rétro. Pas question pour eux de changer de registre, leur idée étant de vendre une atmosphère et une expérience avec leurs créations. L’ouverture du show avec la performance de jeunes danseurs de rue napolitains revisitant la Tarantelle, danse traditionnelle du sud de l’Italie, est la seule nouveauté notable. Leur collection « Tropico Italiano » n’a rien de tropical, c’est juste un cadre dans lequel ils mettent en scène leur répertoire. Vestes brodées de fleurs et de motifs bijoux baroques, jeans recouverts de médailles pieuses, petites robes en dentelles noires, soies imprimées « pâtes », mini-robes en toile de jute vantant les recettes de pizzas, corsets blancs et plateformes imitant les aquariums des poissonniers, couronnes bijoux et talons qui brillent comme à la fête foraine : les collectionneurs de cartes postales italiennes sont ravis, comme chaque saison. Le défi rejoint ici celui de la cuisine italienne si chère aux créateurs : manger tout le temps le même plat, fût-il délicieux, ne finit-il pas par en affadir l’attrait ?
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