Abel Ferrara proteste contre la version expurgée de son film sur DSK, qui sort aux Etats-Unis Il sera dit que Welcome to New York, le film qu'a inspiré au réalisateur américain Abel Ferrara (Bad Lieutenant, The Addiction, New Rose Hotel…) l'affaire Dominique Strauss-Kahn, n'en finit pas de faire couler de l'encre. Projeté symboliquement le 17 mai 2014, en marge du Festival de Cannes dans une salle de la ville, puis, plus confidentiellement, en présence de son acteur principal, Gérard Depardieu, ce film sulfureux fut concomitamment proposé au grand public sous forme de vidéo à la demande (VOD) par son co-producteur, distributeur français et vendeur international, la société Wild Bunch.Lire aussi : « Welcome to New York » : DSK-Depardieu-Ferrara pour un grand film maladeLe scandale ne fut pas à la mesure de ce que l'on craignait, en dépit de quelques voix scandalisées par le film, ainsi que l'annonce d'une action en justice portée par l'avocat de Dominique Strauss-Kahn, Maître Jean Veil. Mais le producteur Vincent Maraval, fomentateur de ce double coup de force (une affaire concernant un homme d'Etat fictionnalisée à chaud par un maître provocateur, un film qui bouscule les convenances nationales en occultant la sortie en salles), voit aujourd'hui cette affaire se retourner contre lui.Entrer dans la nomenclature de la censureAlors que la société de distribution IFC doit sortir le film en salles aux Etats-Unis, vendredi 27 mars, Abel Ferrara vient de la menacer de la poursuivre en justice, ainsi que Wild Bunch, qui a procédé sans son accord à cette version expurgée, plus courte d'un quart d'heure. Wild Bunch se défend en rappelant que la version destinée à l'exploitation du film aux Etat-Unis était contractuellement définie pour entrer dans le cadre de ce que la nomenclature de la censure américaine nomme le « R Rated » (mineurs accompagnés d'un adulte).Mais cet accord est visiblement nul et non avenu pour le cinéaste qui aurait refusé de participer à ce remontage. Il a déclaré, jeudi 26 mars, dans le New York Times, au sujet de Vincent Maraval, patron de Wild Bunch : « Le crime, c'est le droit que s'accorde ce gars de couper mon film. C'est moi, réalisateur, qui ai le “final cut”. C'est une question de liberté d'expression. » Pour apporter de l'eau à son moulin, le cinéaste précise que « la version faite par Maraval change complètement le contenu politique du film, qui porte sur la violence commise contre une femme ».Vincent Maraval, lassé par une polémique qui a déjà largement défrayé la chronique aux Etats-Unis, nous répond, quant à lui, laconiquement : « En gros, nous ne faisons qu'appliquer notre contrat avec Abel, qui fait son show habituel pour la plus grande joie des médias ». Le producteur et distributeur évoquait le cinéaste plus longuement et avec plus de virulence, le 5 mars, sur le site spécialisé américain Indiewire : « Comme toujours, il utilise les médias pour bâtir la légende de l'artiste persécuté par le système. En vérité, Abel Ferrara est un homme pitoyable qui a perdu l'esprit durant ses années d'addiction à la drogue, et qui a besoin de faire du bruit et de la provocation pour exister. Nous avons passé dix ans et cinq films à tenter de l'aider, mais il est son premier ennemi. Son talent est intact mais il prend plaisir à détruire son œuvre. » Jacques Mandelbaum Wild Bunch poursuit ses expériences en VOD Le premier volet des Enquêtes du département V, polar danois signé Mikkel Norgaard, connu pour avoir créé la série « Borgen », est accessible, à partir de vendredi 27 mars, sur les plateformes françaises de VOD. Le deuxième sortira de manière classique, en salles, le 8 avril. Un an après avoir distribué directement sur le Web le film d’Abel Ferrara, Welcome to New York, la société Wild Bunch continue donc de tester le potentiel d’Internet pour exploiter directement les films, sans passer par la salle. « La salle doit rester un lieu spécifique, dit Vincent Grimond, le président de Wild Bunch. Au-delà d’un certain nombre de films, un distributeur ne peut plus bien les sortir, leur accorder l’attention dont ils ont besoin. Du coup, ils sortent mal… De toute façon, on ne peut pas s’attendre à ce que les gens soient prêts à débourser 11 euros pour les 17 films qui sortent chaque semaine. »Les résultats de Welcome to New York n’ont pas été à la hauteur des espérances. Au moment de le lancer, Brahim Chioua et Vincent Maraval, les associés de Vincent Grimond, imaginaient toucher un public bien plus large qu’ils ne l’auraient fait en salles, où ils évaluaient le potentiel du film à 300 000 entrées. Malgré l’audience de 20 millions de personnes que leur offraient les plateformes de VOD sur lesquelles ils distribuaient le film (d’Orange à Free en passant par TF1 et beaucoup d’autres), malgré un gros buzz et une campagne de pub tapageuse, Welcome to New York n’a été acheté que 200 000 fois. Mais l’exercice a été profitable, et a permis d’affiner la stratégie.Lire aussi : l’entretien avec Brahim Chioua et Vincent MaravalSortie simultanée en salles et sur InternetConvaincu du bien-fondé de sa démarche, Wild Bunch s’inspire des pratiques des distributeurs indépendants américains, qui sortent de plus en plus souvent leurs films en salles et sur Internet simultanément. « Harvey Weinstein a sorti Snowpiercer de cette manière, avec sa société Radius, spécialement créée pour ce type d’exploitation. Le film a très bien marché en salles et rapporté 15 millions de dollars en VOD ».Aux Etats-Unis, la distribution en ligne a constitué, ces dernières années, un véritable ballon d’oxygène. Le marché de la VOD et de la SVOD (vidéo à la demande par abonnement, sur le modèle Netflix) représente aujourd’hui 4,7 milliards d’euros, soit plus que le marché de la vidéo physique (DVD et Blu-ray). Le réalisateur américain Mark Duplass, qui vient de signer un contrat avec Netflix, a récemment lancé, au cours d’une conférence qu’il donnait dans le cadre du festival South by South West : « Dieu bénisse la VOD ! », enjoignant les jeunes réalisateurs à « oublier la salle ». Pour diffuser un film en VOD les plate-formes comme Netflix proposeraient selon Marc Duplass de 50 000 à 500 000 dollars. Ce qui n’est pas négligeable dans l’économie paupérisée qui est celle du cinéma indépendant américain.Mais le système américain n’est pas transposable en l’état en France. Conçue pour protéger l’exploitation des films sur les différents supports, et tout particulièrement la salle, la réglementation connue sous le nom de « chronologie des médias » exige de laisser passer trois mois entre les sorties en salles et en VOD. Si un distributeur souhaite sortir un film directement en VOD, il lui faut donc sacrifier la salle. Aussi, jusqu’à récemment, le « direct-to-VOD » était-il associé à des films ratés ou jugés sans potentiel commercial. Tout le pari de Wild Bunch consiste à revaloriser symboliquement ce type d’exploitation, avec l’idée qu’elle pourra représenter, pour certains films, le moyen de toucher un public le plus large possible.Cinq films en « e-cinéma » d’ici fin 2015La double sortie d’Enquêtes du département V, en VOD et en salles, va permettre à l’entreprise de comparer la réponse des spectateurs. D’ici la fin de l’année, cinq autres films Wild Bunch sortiront ainsi en « e-cinéma », pour reprendre la terminologie maison : un film de vampires (What We Do in the Shadows, de Taika Waititi et Jemaine Clement) ; un film d’auteur international (99 Homes, de Ramin Bahrani, en compétition à Venise en 2014) ; le biopic d’une star de la téléréalité britannique (Un Incroyable Talent, de David Frankel) et deux films d’horreur (The Green Inferno, d’Eli Roth et Sinister 2, de Cirian Foy).Lire aussi : Avec « The Green Inferno », Wild Bunch se lance dans l’« e-distribution » Très différents dans leur positionnement, ces films ont valeur de test. Wild Bunch ne cherche pas seulement à vérifier le potentiel commercial des genres, la spécificité des différentes plateformes de VOD, mais aussi à « éduquer le marché », comme le formule Vincent Grimond, qui compte bien se poser en intermédiaire pour tous les indépendants qui seraient tentés par l’expérience. « Il faut arriver à positionner le e-cinéma comme un lieu de valeur ».Wild Bunch n’est pas seul sur le créneau. A l’automne dernier, Warner a organisé une projection de presse en salles pour Tammy, anoblissant par là cette comédie qu’elle destinait au seul marché VOD. Quant à Netflix, elle en fait un de ses arguments commerciaux, préemptant tous les droits des films qu’elle achète en exclusivité pour ne les exploiter qu’en ligne. Cette année, ses abonnés français ont ainsi pu découvrir The Disappearance of Eleanor Rigby, de Ned Benson, un film en trois volets dont les deux premiers ont été présentés à Toronto et le dernier à Cannes (section Un certain regard), mais qui n’ont jamais touché les salles, et St. Vincent, de Theodore Melfi, une comédie américaine avec Bill Murray et Melissa McCarthy.En France, le marché de la VOD et de la SVOD est encore embryonnaire, mais son potentiel est jugé énorme. Une récente étude commandée par Unifrance au cabinet EY estime qu’il pourrait représenter jusqu’à 75 millions d’euros en 2020. Alors que les investissements dans le cinéma ont baissé de 21,7 % en 2014, cette manne paraît providentielle. Certains, comme George Berman, fondateur de la société Partizan, estiment que le marché ne pourra pas décoller tant que la législation française ne sera pas plus ferme sur le piratage. L’étude considère, au contraire, que le défi réside du côté de l’offre, de la création d’une plateforme européenne concurrente de Netflix, à même de proposer un catalogue suffisamment attractif, où le cinéma d’auteur serait valorisé. Et de la promotion de formes de distribution alternatives. Isabelle Regnier Dix raisons de sortir ce week-end Théâtre« En attendant Godot » : le rêve d’un ailleurs Ce « Godot » que nous offrent Jean Lambert-Wild, Lorenzo Malaguerra et Marcel Bozonnet, co-auteurs de la mise en scène de la pièce de Samuel Beckett, pourrait se situer en Afrique, sous un arbre isolé, planté dans un sol pauvre et caillouteux. A ses pieds devisent chaque jour Vladimir et Estragon, joués par deux comédiens ivoiriens, Michel Bohiri et Fargass Assandé, dont le destin pourrait être celui de deux migrants attendant le départ vers un ailleurs rêvé. Ils ne quittent pas la scène de toute la pièce et c’est un régal.Théâtre de l’Aquarium, à Paris.Lire aussi : « En attendant Godot », sous un arbre à palabres Cinéma« A trois on y va » : les jeux de l’amour et du mensongeCharlotte aime Micha qui aime Mélodie qui aime Charlotte… Sur le thème inépuisable du triangle amoureux, Jérôme Bonnell réalise une fiction réjouissante portée par un trio de comédiens au charme réel, Anaïs Demoustier, Sophie Verbeeck et Félix Moati. Film générationnel ancré dans son époque, A trois on y va ne se prive pas cependant d’utiliser certains ressorts du théâtre classique. Avec bonheur.Film français de Jérôme Bonnell avec Anaïs Demoustier, Félix Moati, Sophie Verbeeck (1 h 26).Lire aussi : « A trois on y va » : deux filles et un garçon dans le tourbillon de la vie ArtsMarc Lewis : des images ensorcelantes du quotidien Difficile de ne pas être hypnotisé par les vidéos du Canadien Mark Lewis, qui, en une petite dizaine de minutes, vous emportent comme sur les ailes d’un oiseau au-dessus d’une forteresse italienne perchée sur une montagne, ou le long d’une autoroute urbaine qui défigure la ville de Sao Paulo au Brésil. Le silence règne, qui rend les mouvements de caméra d’autant plus fascinants. Les micro-événements de la vie – des joggeurs qui transpirent, un homme qui fume tranquillement dans un café – prennent tout à coup un relief étonnant. L’artiste présente ses œuvres au BAL à Paris ainsi qu’au Louvre où il a réalisé des films à l’intérieur du musée.BAL et Musée du Louvre, à Paris.Lire aussi : L’extra ordinaire de Mark LewisMusiquesLes Songhoy Blues : du rock métissé d’Afrique Ils ont quitté le nord du Mali en 2012 lors de l’invasion de leur terre par les groupes islamistes et ont migré à Bamako, où ils ont composé le groupe Songhoy Blues. La musique, le quatuor s’en est saisi pour à la fois atténuer la douleur de l’exil et faire passer des messages, susciter des débats. En tournée en France, ils présentent leur premier album, Music in Exile, qui mêle influences rock américaines et traditions du nord du Mali.Le Plan, à Ris Orangis (Essonne). Samedi 28 mars à 20 heures.Lire aussi : Les Songhoy Blues, l’air de l’exil ArtsArt Paris Art Fair : un parfum d’Asie Singapour et l’Asie du Sud-Est sont les invités d’honneur de l’édition 2015 de Art Paris Art Fair, l’occasion de découvrir une création foisonnante et en plein essor. Plusieurs galeries singapouriennes exposeront des œuvres d’artistes nationaux mais aussi du Cambodge, de Birmanie, de Malaisie, d’Indonésie, des Philippines, du Vietnam et de la Thaïlande. L’artiste singapourien Chen Sai Hua Kuan a réalisé pour l’occasion une installation monumentale intitulée Ling Ting n°2 (« L’écoute »), qui accueille les visiteurs à l’entrée du Grand PalaisGrand Palais, à Paris.Lire aussi : Art Paris, l’Asie près de chez vous Les enfants terribles du « Nanny State » Cinéma« La Sapienza » : un voyage salvateurRetour gagnant de l'excentrique Eugène Green, amoureux du baroque venu au cinéma, après le théâtre, en 2001. Fidèle à son style antinaturaliste, le cinéaste français originaire du pays de « Barbarie », comme il aime à appeler les Etats-Unis, entraîne un couple à bout de souffle dans un voyage en Italie. Ce cinquième long-métrage met en scène la découverte du berceau de l'art baroque comme une révélation, un éblouissement qui réchauffe les âmes engourdies, et va régénérer l'amour du couple.Film français et italien d’Eugène Green avec Fabrizio Rongione, Christelle Prot Landman, Ludovico Succio (1 h 44).Lire aussi : « La Sapienza » : l’Italie, pays de toutes les renaissances ArtsVélasquez et ses disciples : une leçon d’histoire de l’art Bien que les toiles les plus volumineuses n’aient pas quitté le Musée du Prado, l’exposition consacrée à Diego Vélasquez (1599-1660) au Grand Palais réunit des merveilles, parmi lesquelles la Vénus au miroir, venue de la National Gallery de Londres. Ces œuvres sont environnées de tableaux d’autres artistes de la même époque comme Francisco Pachedo, qui fut le maître de Vélasquez à Séville ou Juan Bautista Martinez del Mazo, qui fut un de ses disciples, et auquel on attribue des toiles qui seraient peut-être de la main de son maître… Une exposition précieuse à découvrir jusqu’au 13 juillet.Grand Palais, à Paris.Lire aussi : Vélasquez peint d’abord des énigmes Théâtre« La Loi du marcheur » : la confession testamentaire de Serge Daney En janvier 1992, le critique de cinéma Serge Daney (1944-1992) se confie, face à une caméra, à l’intellectuel et écrivain Régis Debray. Serge Daney, malade du sida, savait qu’il allait bientôt mourir. L’entretien donne lieu à deux émissions du magazine « Océaniques », produit par Pierre-André Boutang sur Arte. C’est cette matière audiovisuelle que le comédien Nicolas Bouchaud a travaillée, avec le metteur en scène Eric Dridy. Le spectacle, donné déjà en 2010, est repris jusqu’au 18 avril au Carreau du Temple à Paris. Une belle traduction scénique de la confession testamentaire de Daney.Carreau du Temple, à Paris.Lire aussi : Au théâtre avec Serge Daney et les films de sa vieDanse« M. & Mme Rêve » : en musique et en 3D Le Grand Rex à Paris, temple du cinéma sur écran XXL, ouvre son plateau à l’art chorégraphique. Un espace qui convient parfaitement au spectacle proposé par la danseuse étoile et chorégraphe Marie-Claude Pietragalla et son époux Julien Derouault. M. & Mme Rêve est une fiction choré-cinématographique qui ne lésine pas sur les effets spéciaux en 3D, portée par une musique du DJ Laurent Garnier.Le Grand Rex, à Paris.Lire aussi : Au Grand Rex, un rêve choré-cinématographiqueMusiquesThe Dø : un duo qui dureD pour Dan Levy, multi-instrumentiste, et O pour Olivia Merilahti, chanteuse et guitariste, cela donne le duo The Dø avec cette petite fantaisie typographique qui cadre bien avec leur approche pop. Avec un troisième album publié à l'automne 2014, Shake Shook Shaken, le duo, accompagné de deux musiciens, est parti en tournée. Celle-ci se termine au Zénith de Paris, vendredi 27 mars, avant un retour dans nombre de festivals printaniers et estivaux. L'une des plaisantes sensations scéniques du moment.Zénith de Paris. Vendredi 27 mars à 20 heures.Lire aussi : Pour The Dø, « l’histoire d’a… » finit bien édition abonné Pixels. La France cherche à attirer les tournages de films étrangers Le tournage de films étrangers en France était jusqu’à présent un « produit de luxe ». Il est en passe de devenir plus accessible. Grâce à une nouvelle tranche de crédit d’impôt, qui entrera en vigueur au 1er janvier 2016, les sociétés de production pourront récupérer l’équivalent de 30 % des dépenses faites pendant la réalisation d’un film dans l’Hexagone (contre 0 % actuellement). Le plafond est en outre passé de 20 à 30 millions d’euros et le dispositif est désormais ouvert aux productions dont le budget total est inférieur à 1 million d’euros, sous réserve que 50 % de la somme soit affectée au tournage en France. La France présente désormais l’un des meilleurs rapports qualité-prix pour venir y « faire du cinéma ». C’est le message porté par les représentants français du secteur lors de Filmart, le plus grand salon asiatique du film, qui s’est tenu à Hongkong du 23 au 26 mars. « A ce tarif-là, certains studios américains pourraient envisager la traversée », a-t-on entendu lors de cette manifestation. Les tournages étrangers (cinéma et autres productions audiovisuelles) en France pèsent... Le Festival de Cannes ressuscite « Mad Max » La rumeur courait depuis quelques semaines, le Festival de Cannes vient de la faire taire : Mad Max : Fury Road n’ouvrira pas les festivités. Le film événement, qui réactive, trente ans après sa création, la saga mythique des années 1980, sera bien montré sur la Croisette, mais le 14 mai, lendemain de l’ouverture, hors compétition.C’est Tom Hardy, l’acteur britannique remarqué dans Inception (2010), de Christopher Nolan, La Taupe (2011), de Tomas Alfredson ou encore Locke (2013), de Steven Knight, qui reprendra le rôle du justicier de la route, jadis tenu par Mel Gibson. Face à lui, dans les traces de Tina Turner, Charlize Theron jouera celui d’une guerrière répondant au nom d’impératrice Furiossa.Comme les trois premiers films, ce blockbuster dont la sortie est prévue le jour même dans toute la France a été réalisé par George Miller, dont la carrière avait pris, à partir du milieu des années 1980, un surprenant virage vers le cinéma pour enfants. On lui doit, entre autres, la comédie gothique Les Sorcières d’Eastwick (1987), Babe 2, le cochon dans la ville (1998), et plus récemment les films d’animation Happy Feet (2006) et Happy Feet 2 en 3D (2011).Climat post-apocalyptiqueLe communiqué de presse du Festival de Cannes précise que le film réactive le climat post-apocalyptique de la saga, et le contexte de guerre pour l’eau et l’essence qui le caractérisait – qui a depuis irrigué tout un pan du cinéma d’anticipation. En cette année commencée sous le signe de la violence et des catastrophes, le délégué général Thierry Frémaux a peut-être eu envie de donner une tonalité plus riante à son festival.Pour le film d’ouverture, les pronostics se resserrent désormais sur quelques films à la tonalité plus « feel good » comme Vice Versa (Inside Out), le nouveau film d’animation des studios Pixar, A la poursuite de demain (Tomorrowland), de Brad Bird, transfuge du même Pixar (et réalisateur en 2011 de Mission impossible : Protocole Fantôme), avec George Clooney dans le rôle principal, ou encore Belles familles, comédie de Jean-Paul Rappeneau avec un casting français aux petits oignons (Mathieu Amalric, Karine Viard, André Dussollier, et beaucoup d’autres). Jérôme Bonnell, réalisateur : « Mon dieu reste Renoir » Dans A trois on y va, Jérôme Bonnell met en scène deux personnes qui se trompent l'une l'autre… avec la même femme. Le cinéaste explore avec finesse l'émoi d'êtres en proie à la confusion des sentiments. Chaque film est-il pour vous une aventure en soi, différente des précédentes ? J'essaye de bifurquer mais je finis toujours par creuser le même trou, comme disait Jean Renoir. J'ai l'envie, un peu illusoire, d'explorer des terrains inconnus, de changer de genre, de tonalité. Mais, à chaque fois, quelque chose me rattrape et me replonge dans des histoires qui ont à voir avec le lien qu'on entretient avec notre enfance, dans une certaine sentimentalité, une certaine mélancolie, un certain burlesque, des liens amoureux, familiaux, des personnages en devenir, au bord de franchir une étape. D'où vous est venue l'envie de réaliser « A trois on y va » ? Il y a une dizaine d'années, j'ai eu envie d'écrire l'histoire de deux personnes qui se trompent l'une l'autre avec la même personne. Plus tard, en parlant avec mon producteur, Edouard Weil, cette idée m'est revenue. Il a insisté pour que je l'écrive. Je me suis alors rendu compte que, pour des raisons un peu mystérieuses, c'était pour moi le moment de faire ce film. Moderne et contemporaine, l'écriture de « A trois on y va » renvoie à certains ressorts du théâtre classique. On pense à Marivaux, mais aussi à Feydeau. Le film pourrait s'appeler « Le jeu de l'amour et du mensonge »… Je suis d'accord. Chez Marivaux, les personnages ont ceci de merveilleux que, à force de chercher à manipuler, ils se font rattraper par la vérité de leurs sentiments et de leurs émotions. Dans le film, Anaïs Demoustier est parvenue, je crois, à trouver cette frontière hyperfine qui sépare le mensonge de la fourberie. Elle ne tombe jamais dans la fourberie parce qu'elle est elle-même dépassée par sa situation de mensonge. Ses sentiments sont toujours vrais, elle est tout le temps déchirée. Elle souffre toujours autant d'aimer et de mentir. Par ailleurs, c'est exact, certaines scènes s'apparentent à du vaudeville. C'est un côté Feydeau que j'adore. Curieusement, peut-être tout simplement parce que votre film se passe à Lille et que les trois personnages sont deux femmes et un homme, on pense à « La Vie d'Adèle ». « A trois on y va » pourrait en être la suite… Oh mon dieu ! Je peux être franc ? Je déteste La Vie d'Adèle même si ses deux actrices sont extraordinaires. C'est le regard de quelqu'un qui déteste tout le monde, qui filme les corps comme il filme un plat de spaghettis. Il déteste les prolos qui regardent « Questions pour un champion », comme il déteste les bobos qui vont voir une expo de peinture. Les scènes d'amour sont des punitions pour les spectateurs. On n'a qu'une hâte, c'est qu'elles finissent tant on souffre pour les actrices. J'ajoute que j'avais adoré L'Esquive et qu'Abdellatif Kechiche a beaucoup de talent. Je n'aime pas dire du mal. Je préfère vraiment dire du bien des films que j'aime… Par exemple ? Parmi les collègues dont j'apprécie le travail, il y a Mathieu Amalric, Alain Cavalier, Emmanuelle Bercot, Valeria Bruni Tedeschi, Pascale Ferran… Il y a de l'amour dans leurs plans. Mais mon dieu reste Renoir, et La Règle du jeu mon film préféré. On n'a jamais fait mieux. Il me bouleverse chaque fois que je le vois. J'aime le regard humaniste de Renoir, sa manière d'envisager la paix là où devrait surgir le conflit. La paix possible entre Marcel Dalio et Roland Toutain, qui pourtant aiment la même femme. La paix possible entre Gaston Modot et Julien Carette, qui eux aussi aiment la même femme. La paix possible entre Erich von Stroheim et Pierre Fresnay dans La Grande Illusion, autre film de Renoir… C'est magnifique, cette idée que le conflit puisse être remplacé par autre chose. Dans les films comme dans la vie. A trois on y va, de Jérôme Bonnell avec Anaïs Demoustier, Félix Moati, Sophie Verbeeck (1 h 26). En salles le 25 mars. Franck Nouchi Ingrid Bergman, égérie du 68e Festival de Cannes L'affiche officielle du 68e Festival de Cannes, qui se déroulera du 13 au 24 mai, a été dévoilée, lundi 23 mars. L'événement rendra hommage à la Suédoise Ingrid Bergman, l'année du centenaire de sa naissance. Elle succède donc à l'Italien Marcello Mastroianni. « Icône moderne, femme libre, actrice audacieuse, [elle] fut à la fois star hollywoodienne et figure du néoréalisme, changeant de rôles et de pays d'adoption au gré de ses passions, sans jamais perdre ce qu'elle avait de grâce et de simplicité », souligne l'organisation dans un communiqué expliquant son choix. La comédienne a tourné avec d'illustres réalisateurs, Alfred Hitchcock, Roberto Rossellini ou Ingmar Bergman, et a donné la réplique à Cary Grant, à Humphrey Bogart ou encore à Gregory Peck. « Synonyme de liberté, d'audace et de modernité », Ingrid Bergman a présidé le jury du Festival de Cannes en 1973. Sa fille, Isabella Rossellini, a fait part de son émotion à l'annonce de cette décision. Un documentaire inédit A partir d'une photographie de David Seymour, cofondateur de l'agence Magnum, Hervé Chigioni et son graphiste, Gilles Frappier, signent l'image de cette 68e édition, dont le jury sera présidé par les réalisateurs américains Joel et Ethan Coen.  Pendant l'événement, un documentaire inédit sur la comédienne, In Her Own Words, de Stig Björkman, sera également projeté dans le cadre de Cannes Classics. Le Festival s'associera au Ingrid Bergman Tribute, un spectacle à partir de la correspondance échangée entre l'actrice et Roberto Rossellini, que leur fille, Isabella Rossellini, proposera en septembre. Du « loser » au super-héros, trente ans de hackeurs au cinéma A l'occasion de la sortie du film « Hacker », de Michael Mann, retour sur la figure emblématique du hackeur au cinéma et de ses clichés, qui, peu à peu, commencent à se fissurer. Il est beau, fort et charismatique : Nicholas Hattaway, le personnage principal du film Hacker, sorti le 18 mars, a tout du cliché du héros américain. A ceci près qu'il s'agit, comme le titre du film l'indique, d'un hackeur, type de personnage peu habitué à ce genre de représentation. « C'est une nouvelle manière de représenter les hackeurs, non plus comme maladroits, mais comme des leaders et des héros », se réjouit Damian Gordon, chercheur à l'Institut de technologie de Dublin, auteur de recherches sur la figure du hackeur au cinéma. Avec la démocratisation de l'informatique et d'Internet, le hackeur est devenu une figure récurrente à Hollywood, avec ses stéréotypes et ses clichés, qui tendent – un peu – à se fissurer ces dernières années. Retour sur l'évolution de l'image du hackeur au cinéma. Le hackeur, ce magicien Le cliché le plus tenace chez les hackeurs made in Hollywood est sans doute la facilité déconcertante avec laquelle ils pénètrent dans des systèmes ou accèdent à des données confidentielles, comme le souligne Damian Gordon, par ailleurs ingénieur en informatique : « Ils sont dépeints comme des magiciens. Ils ont la capacité de contrôler n'importe quel ordinateur de n'importe où et n'importe quand. Ils ont des super-pouvoirs. En comparaison, moi, j'ai parfois du mal à réussir à démarrer mon ordinateur. » Une vision bien éloignée de la réalité. « En vrai, c'est du travail ! » explique « Arroway », ingénieure en sécurité informatique, qui préfère utiliser son pseudonyme. « Cela nécessite plusieurs jours, il faut avoir recours à plusieurs techniques différentes… On n'accède pas aux serveurs de la NSA comme ça. » Pour elle, qui a rédigé plusieurs articles sur la question, le personnage du hackeur au cinéma a quelque chose d'« omniscient » : « J'ai l'impression qu'on poursuit toujours la figure de Neo dans “Matrix”. Le hackeur a accès à la matrice, au programme, et donc il a accès au monde. » Un truc d'ados Seize ans plus tôt, le hackeur faisait sa grande entrée au cinéma avec Wargames, après une première incursion moins remarquée, en 1968, dans Hot Millions. Dans ce film, le tout jeune Matthew Broderick, petit génie de l'informatique, s'amusait à changer ses notes sur le serveur de son école… Et se connectait au système de l'armée américaine, risquant de déclencher par erreur une guerre nucléaire. A cette époque, l'informatique au cinéma est associée aux adolescents, et les hackeurs avec. « C'étaient des adolescents ou de jeunes adultes qui pouvaient faire de mauvaises choses accidentellement », explique Damian Gordon. On peut aussi citer le tout jeune John Connor, qui, dans Terminator 2, piratait – tout à fait sciemment – des distributeurs automatiques de billets. Si les premiers hackeurs des années 1980 sont plutôt ados et « cool », les années 1990 vont changer la donne. La figure du hackeur connaît un pic de popularité, soutenu par la démocratisation de l'informatique et d'Internet, mais aussi par l'actualité : des arrestations spectaculaires ont lieu aux Etats-Unis, et en Europe, le Chaos Computer Club fait plusieurs fois les gros titres. Le cinéma suit, avec un premier film au titre explicite : Hackers, de Iain Softley, sorti en 1995. Contrairement à Matthew Broderick, le personnage principal est plutôt dépeint comme un « loser », qui va finir par se faire accepter par un groupe de jeunes hackeurs plus ou moins « nerds ». « C'est un film de teenagers limite parodique, un cliché de la subculture des années 1990 », analyse Selim Krichane, assistant chercheur à l'université de Lausanne, auteur de travaux sur les hackeurs au cinéma. « Ça a d'ailleurs fâché de vrais hackeurs, qui ont piraté le site du film et détourné l'affiche. Ils trouvaient que ça ne donnait pas une image représentative de leur pratique. » Pour lui, ce film marque un tournant dans la représentation de cette figure au cinéma : « C'est là que se met en place le système d'opposition entre bon et méchant hackeur. » Ici, les héros doivent combattre un virus capable de plonger le monde dans le chaos. Beaucoup de films suivent avec le même type de scénario, comme Traque sur Internet, Intraçable, Johnny Mnemonic ou Les Experts, « dans lesquels la technologie est la cause du drame mais aussi son unique solution, avec un hackeur coupable, et un autre qui va rétablir la situation ». Hackeurs, hackeuses Dans les années 2000, le hackeur se détache de l'adolescent. Il vieillit, occupe un travail, souvent dans l'informatique. La figure du hackeur, généralement un homme blanc hétérosexuel, va aussi se diversifier, avec l'apparition de personnages féminins forts. Lisbeth Salander, héroïne de la trilogie suédoise Millénium, marque un tournant. Même s'il ne s'agit pas de la première hackeuse du cinéma, elle casse les clichés qui y sont habituellement associés. Un symbole enthousiasmant pour Arroway : « C'est un des personnages les plus cool de ces dernières années. C'est une femme courageuse, débrouillarde, bisexuelle, à forte personnalité. En plus, la façon dont elle fait ses recherches pour s'introduire dans des systèmes est assez cohérente. » Ce qui change des rares personnages féminins qu'on avait pu voir auparavant, répondant souvent aux clichés sexistes encore trop courants dans l'industrie cinématographique. C'est le cas du personnage interprété par Angelina Jolie dans Hackers. Un film qu'Arroway juge « horrible », déplorant une hackeuse « sexualisée, objectifiée ». « Au début, elle est montrée comme très compétente, mais au final, elle est évidemment moins forte que le héros. C'est pénible. » Dans le film, un autre hackeur lui lance un défi informatique : si elle perd, elle devra accepter de sortir avec lui. Les séries, en revanche, offrent une variété plus large de hackeuses, avec des personnages tels que Chloe O'Brian (24), Abby Sciuto (NCIS), Felicity Smoak (Arrow) ou encore Willow (Buffy contre les vampires). La normalisation du hackeur Lisbeth reste néanmoins un personnage socialement inadapté, punkette sauvage et renfermée. Un cliché qui a la vie dure quand il s'agit d'évoquer les hackeurs et les génies de l'informatique en général, souvent carrément dépeints comme des « losers ». On pense par exemple au personnage interprété par Alan Cumming dans GoldenEye, informaticien stressé à petites lunettes et chemise bariolée. L'association entre loser et informatique est même devenue un running gag, à la base du scénario de séries comiques comme The Big Bang Theory ou encore Silicon Valley, qui mettent en scène une bande de geeks caricaturaux socialement inadaptés. « On montre les hackeurs comme asociaux, et pourtant, ils passent beaucoup de temps dans des conférences ou des hackathons. C'est un processus très important, c'est là qu'on apprend. Et ça, on ne le voit jamais dans les films », souligne Arroway, qui regrette que les hackeurs soient souvent dépeints comme des individus isolés « qui codent dans leur cave ». Mais les choses évoluent. « La figure du hackeur se normalise, elle devient acceptable, voire cool », assure Selim Krichane. Beaucoup de hackeurs des années 1980 et 1990 se sont « rangés » en entrant dans le monde de l'entreprise, voire du renseignement. Bill Gates, Steve Jobs et Mark Zuckerberg sont devenus des icônes, et la Silicon Valley fait rêver les jeunes du monde entier. Avec le film de Michael Mann sorti mercredi, le hackeur s'éloigne encore plus des clichés de l'asocial un peu gauche pour devenir un héros hollywoodien super-viril. Une dimension politique édulcorée Néanmoins, si la représentation du hackeur tend à se diversifier, reste un aspect du hackeur encore laissé de côté par l'industrie du cinéma : sa dimension politique. C'est en tout cas ce que regrette Selim Krichane : « On le voit notamment avec Snowden et WikiLeaks : le hackeur est une figure de contre-pouvoir, contestataire. Au cinéma, ce potentiel subversif est édulcoré par la machine hollywoodienne. Dans les films, le hackeur rétablit l'ordre social plutôt que de révéler les secrets du gouvernement. Le héros est celui qui va punir le méchant hackeur qui vole des informations sensibles. » Cette dimension commence tout de même à apparaître sur grand écran, inspirée, justement, par l'actualité. Sorti en 2013, Le Cinquième Pouvoir raconte l'histoire de WikiLeaks et de Julian Assange. Et les révélations d'Edward Snowden ont également donné des idées à l'industrie du cinéma, puisque deux films, dont l'un réalisé par Oliver Stone, sont actuellement en préparation. Morgane Tual Les États-Unis s’attaquent à la réglementation de la fracturation hydraulique La fracturation hydraulique va commencer à être encadrée par le gouvernement américain. Celui-ci a effectivement annoncé, vendredi 20 mars, une série de règles contraignantes concernant cette technique de forage notamment utilisée dans l’extraction du gaz et du pétrole de schiste. Cette régulation, vivement contestée par les entreprises du secteur, était en cours de discussion depuis 2012.La fracturation hydraulique, qui consiste à injecter de l’eau, du sable et des produits chimiques dans le sous-sol pour y récupérer le pétrole et le gaz difficiles à extraire, suscite de plus en plus d’opposition aux États-Unis. « Il y a beaucoup de crainte et d’inquiétude de la part du public, particulièrement à propos de la sécurité de l’eau souterraine et de l’impact de ces opérations », explique Sally Jewell, la secrétaire à l’Intérieur, c’est-à-dire la responsable de l’exploitation des ressources naturelles et de la gestion des terres publiques aux États-Unis.Le Bureau de gestion des terrains (BLM) du département de l’Intérieur a reçu des contributions de plus de 1,5 million de particuliers et d’associations. « Nous pensons que ces normes sont essentielles », ajoute-t-elle soulignant que la réglementation actuelle date d’il y a 30 ans et qu’elle n’est plus adaptée à la situation actuelle.Secrets industrielsLes mesures annoncées vendredi vont obliger les groupes pétroliers et gaziers à renforcer l’étanchéité de leurs puits et des tests seront systématiquement effectués pour vérifier la qualité des parois en ciment censées empêcher la contamination des nappes phréatiques. Les sociétés devront aussi publier dans un délai des 30 jours quels produits chimiques elles injectent dans le sol pour permettre l’extraction.Ce sujet est une question sensible pour les compagnies pétrolières, qui sont très jalouses de leurs secrets industriels. Ainsi, récemment, en Caroline du Nord, Halliburton a fait un intense lobbying pour faire passer une loi, qui condamne toute personne qui divulguerait la liste des produits chimiques utilisés pour la fracturation hydraulique.Avant de commencer un forage, les compagnies pétrolières et gazières devront également fournir davantage d’informations concernant le stockage des fluides toxiques utilisés. Elles devront par ailleurs sécuriser les eaux usées dans des réservoirs couverts, au lieu de les évacuer, comme c’est parfois le cas, dans des fosses creusées à même le sol.Les compagnies devront aussi détailler comment elles comptent éliminer ces produits toxiques. Enfin, elles auront à fournir plus d’informations concernant les réserves d’eau situées à proximité du forage afin que celles-ci soient protégées.Un impact limitéCe premier pas vers une réglementation est toutefois limité dans la mesure où elle ne vise que les terrains qui sont la propriété de l’Etat fédéral. Cela ne représente que 11 % du gaz naturel exploité et 5 % des gisements de pétrole. Environ 100 000 puits sont concernés au total. La grande majorité de l’extraction se déroule en effet sur des espaces privés ou appartenant aux États fédérés, qui restent libres d’appliquer leurs propres règles.Certains, comme New York, ont interdit totalement la fracturation, tandis que d’autres, comme le Colorado, ont commencé à réguler le secteur. Mais beaucoup sont encore muets sur le sujet.Cela n’a pas empêché les compagnies pétrolières de protester vigoureusement contre cette nouvelle réglementation. Elles craignent notamment que ces mesures commencent à inspirer certains États pour mettre en place des règles plus contraignantes. Elles dénoncent également les coûts que cela va engendrer.Même si les mesures interviennent à un mauvais moment pour l’industrie, alors que le prix du baril a chuté de 50 % en un an, l’impact financier serait relativement limité. Le montant global pour le secteur a été évalué par le gouvernement à 32 millions de dollars (29,5 millions d’euros) par an, soit à peine 1 % du coût d’exploitation moyen d’un puits.Protestations du lobby pétrolierLa réaction du lobby pétrolier a néanmoins été immédiate. Quelques minutes après la publication des nouvelles règles, l’Independent Petroleum Association of America a déposé plainte, qualifiant ces mesures de « réaction à des préoccupations non fondées ».Pour Barry Russell, le responsable de l’organisation, « De la Californie à la Pennsylvanie, l’industrie du pétrole et du gaz naturel a joué un rôle crucial dans la relance de l’économie américaine, et la fracturation hydraulique a été la clé de cette renaissance. Cette nouvelle réglementation fédérale va ajouter des coûts pour nos producteurs indépendants », proteste-t-il, pronostiquant que le dispositif va conduire à faire fuir les investissements et peser sur les créations d’emplois.Vingt-quatre heures auparavant, le sénateur républicain de l’Oklahoma, James Inhofe, a tenté de couper l’herbe sous le pied du gouvernement en proposant une législation visant à interdire à l’Etat fédéral de réguler la fracturation hydraulique, laissant le champ libre aux Etats fédérés. En annonçant cette nouvelle réglementation, Barack Obama a ouvert un nouveau front avec les Républicains, désormais majoritaires au Congrès.Lire aussi : Obama veut réduire de 40 % les émissions de méthane d’ici à 2025 Stéphane Lauer (New York, correspondant) Correspondant à New York Abdellatif Kechiche condamné à verser 180 000 euros à MK2 Le réalisateur Abdellatif Kechiche a été condamné à verser 180 000 euros à la société de production de Marin Karmitz, MK2. Dans une décision rendue le 16 janvier, mise en ligne sur le site BFMTV.com, qui révèle l'information, les juges du tribunal de grande instance de Paris ont estimé que le cinéaste avait « commis des manquements à ses obligations » dans le contrat le liant à la firme. Selon les termes de ce document, signé en avril 2008, Abdellatif Kechiche s'était engagé « à proposer en exclusivité à la société MK2 (...) ses trois prochains films, dont Vénus noire, alors en cours de réalisation ». Le tout contre une rémunération de 270 000 euros. Mais les relations entre le réalisateur et la firme se brouillent autour de la question de la durée de ce long-métrage.  Dès lors, la collaboration semble caduque. Le cinéaste a proposé, « sans l'évoquer préalablement avec la société, de nouveaux projets de film à d'autres producteurs », constate le jugement. C'est notamment le cas de La Vie d'Adèle, auréolée de la Palme d'or au Festival de Cannes en 2013, qui a été produit par Wild Bunch et Quat'sous films. « Préjudice matériel, artistique et professionnel » Joint par l'Agence France-Presse, l'avocat d'Abdellatif Kechiche, Me Guillaume Le Lu, a démenti ses allégations : « Plusieurs synopsis [ont] été proposés par [mon client]. » Aucun n'a été jugé recevable. « Après Vénus noire, MK2 n'avait en réalité aucune envie de faire un autre film avec M. Kechiche. » Le cinéaste, qui réclamait de son côté 6,5 millions d'euros « en réparation du préjudice matériel, artistique et professionnel », a été débouté. Il estimait notamment que lorsqu'il était en contrat avec la société, la pression exercée par celle-ci l'avait empêché de travailler durant quatre ans. Opéra« Les Stigmatisés » : un électrochoc musical Présenté en ouverture du festival Les Jardins mystérieux et programmé à nouveau samedi 21 mars, Les Stigmatisés, opéra de l’Autrichien Franz Schreker (1878-1934), fait l’effet d’un électrochoc. Plénitude musicale, haute tenue littéraire du livret, performance des chanteurs, direction d’acteurs d’une parfaite justesse… Cette création scénique est une absolue réussite.Opéra de Lyon. Une fête païenne sur fond de nihilisme Cinéma« Selma » : la longue marche pour le droit de vote des Noirs américainsJusqu’à présent, Hollywood ne s’était pas intéressé à cet épisode crucial de l’histoire des Etats-Unis que constitue le combat de Martin Luther King pour les droits civiques des Noirs américains. C’est désormais chose faite grâce à ce film d’Ava DuVernay, pédagogique, efficace et remarquablement interprété, qui rend un juste hommage au pasteur et à ses compagnons de route.Film américain d’Ava DuVernay avec David Oyelowo, Tom Wilkinson, Carmen Ejogo, Tim Roth et Oprah Winfrey (2 h 02). « Selma » : un film pédagogique, efficace et nécessaire David Oyelowo, d’Henri VI au docteur King MusiquesFaada Freddy : créateur de sons Le temps d’un album solo, Gospel Journey, le Sénégalais Faada Freddy a abandonné son groupe de hip-hop, Daara J. Il le présente en tournée, déployant une palette sonore inouïe en faisant vibrer sa voix et son corps comme s’ils étaient des instruments de musique. Soul, gospel, rap, rock, world music, le chanteur et musicien passe d’un genre à l’autre avec une aisance confondante.La Luciole, à Alençon. Samedi 21 mars à 21 heures. Faada Freddy, un corps instrumental Théâtre« En route-kaddish » : un dialogue inter-générationnel sur la Palestine Premier spectacle du comédien David Geselson, En route-kaddish est une conversation imaginaire menée avec son grand-père. Né en 1914 en Lituanie, celui-ci est parti en 1934 pour la Palestine, avec un rêve : construire un pays. Il y a cru dur comme fer, s’est engagé sur tous les fronts, puis il a déchanté, est allé vivre aux Etats-Unis avant de revenir en Israël, où il est mort en 2009. David Geselson, trentenaire, s’est lui aussi cherché une terre. Il a vécu un temps au Japon après une rupture amoureuse, et a décidé d’écrire sur son grand-père. Nourri de lectures, de témoignages, de légendes familiales et de fiction, le spectacle ne cherche pas la vérité documentaire. Il se penche sur la question de la mémoire, et de son héritage.Théâtre de la Bastille, à Paris. La Palestine, une terre, deux regards ArtsPierre Bonnard : un virtuose des couleurs Il faut courir au Musée d’Orsay, où l’ensemble de peintures réunies pour l’exposition Pierre Bonnard. Peindre l’Arcadie est époustouflant. L’accrochage fait fi de la chronologie, et c’est heureux : on peut voir à la fois l’évolution du peintre (1867-1947), comme ses permanences. Le peintre à la palette d’une virtuosité et d’une complexité étourdissantes utilisait la peinture pour tordre le réel : « Il ne s’agit pas de peindre la vie, il s’agit de rendre la peinture vivante », écrivait-il.Musée d’Orsay, à Paris. Bonnard vivant à Orsay ArtsEd Ruscha : l’ironie sur la toile L’artiste américain a fait des livres de photos en forme d’inventaires, et porté sur des toiles de grand format des lieux ordinaires, des choses banales. Il est aussi célèbre pour ses œuvres dans lesquelles apparaissent des mots, des phrases entières ou incomplètes, superposées à des paysages, des objets, un rideau – ou juste écrites sur un fond. La galerie Gagosian, à Paris, présente un ensemble considérable d’estampes, dessins, photos et livres des années 1960 à aujourd’hui : l’occasion de mesurer la subtilité d’une œuvre pleine d’ellipses et de décalages.Galerie Gagosian, à Paris. Ed Ruscha, maître de l’ironie pop américaine Cinéma« Les Contes de la mer » : laissez-vous mener en bateauCe sont trois courts-métrages enchanteurs que réunit cette proposition de cinéma à destination des très jeunes enfants, trois petits films sans parole réalisés avec différentes techniques d’animation. Ils ont en commun l’univers maritime, évoqué avec poésie, simplicité et charme.Programme de trois courts-métrages d’animation allemand, estonien et chilien de Aleksandra Zareba, Ignacio Ruiz, Gabriela Salguero, Sand Guy, Pärtell Tall. (45 min). « Les Contes de la mer » : trois historiettes du bord de l’eau Théâtre« Gaudeamus », l’absurdité de la vie C’est l’histoire d’une bande de conscrits en folie, qui passe en revue, avec une énergie fracassante, l’absurdité et la trivialité de la vie militaire, et de la vie tout court. Créé en 1991, montré déjà en 1992 et en 1994 à la MC93 de Bobigny, ce spectacle (en russe, surtitré en français), qui fit avec succès le tour du monde, revient en France au TGP de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Il a gardé toute sa force satirique et théâtrale et se révèle toujours très pertinent sur l’analyse des maux qui rongent la Russie d’aujourd’hui.Théâtre Gérard Philipe, à Saint-Denis. Réjouissance soviétique Exposition« Les Cahiers dessinés » : le trait sous toutes ses formes La petite maison d’édition parisienne Les Cahiers dessinés, créée en 2002 afin de redonner ses lettres de noblesse à cette discipline injustement négligée qu’est le dessin, réunit à la Halle Saint-Pierre à Paris les travaux d’une soixantaine d’artistes, aussi différents que Siné, Topor ou Victor Hugo. Quelque six cents pièces sont ainsi présentées au fil d’un parcours dépourvu de ligne directrice, où stars du dessin de presse côtoient d’illustres inconnus.Halle Saint-Pierre, à Paris. Le dessin, du crobard à l’œuvre d’art Théâtre« Tartuffe ou l’imposteur » : Molière toujours d’actualité Encore un Tartuffe ? Oui. La pièce résonne plus fortement que jamais, en nos temps où le fanatisme religieux fait son lit sur une forme de faiblesse morale, de perte de substance généralisée. Et la mise en scène de Benoît Lambert, qui éclate de vie et d’intelligence, est bien plus réussie que les dernières versions que l’on a pu voir, signées par Luc Bondy et Galin Stoev. La distribution, excellente, est emmenée par Marc Berman (Orgon), Martine Schambacher (Dorine) et Emmanuel Vérité (Tartuffe). Irremplaçable Molière.La Commune, à Aubervilliers. Tartuffe, un « gueux » dans une famille bourgeoise ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* Une fois n’est pas coutume, c’est par un film français, un film d’auteur, un film social, un film de femme, que s’ouvrira le 68e Festival de Cannes, le 13 mai. La Tête haute, d’Emmanuelle Bercot, suit le parcours d’un jeune garçon qui tombe dans la délinquance, tandis qu’une juge pour enfant et un éducateur s’évertuent à le sauver de sa condition. Année de trauma national oblige, Thierry Frémaux a choisi de déroger à la règle tacite qui réserve cette soirée de gala à des films spectaculaires, souvent américains… et pas nécessairement fulgurants sur le plan artistique – qu’on se souvienne de Grace de Monaco, en 2014, ou du Da Vinci Code (2006)…« Cette année, on a voulu commencer par un bon film », annonce le délégué général du Festival, qui se félicite de présenter une œuvre qui « relève d’un certain engagement ». Il ajoute : « C’est un film universel, qui exprime bien les questions qui se posent sur nos modèles de société ; un film qui parle de la jeunesse, de transmission, du rapport entre la justice et la société, des mécanismes sociaux et éducatifs mis en place dans un pays comme la France pour traiter des cas de délinquance… »La Tête haute n’est sans doute pas un brûlot, et son casting – Catherine Deneuve, Benoît Magimel, Sara Forestier – garantit au Festival un niveau de glamour acceptable. « C’est un film très émouvant », ajoute le délégué général du Festival, qui ne doute pas de sa capacité à séduire le grand public.Sortie parallèle en sallesDistribué par Wild Bunch, grand pourvoyeur de la sélection officielle, il sortira en France dès le 13 mai, les cinémas qui le souhaitent étant encouragés à lancer le film en même temps que la projection cannoise, et à retransmettre en direct la soirée d’ouverture.On a beaucoup parlé de Mad Max : Fury Road pour l’ouverture, mais Warner ne le souhaitait pas, et le Festival ne l’a jamais envisagé, assure Thierry Frémaux. La Tête haute lui est apparue, dit-il, comme une opportunité de donner au Festival une tonalité de départ qui résonne avec le climat de la France post-attentats, mais aussi « d’exprimer une confiance dans le cinéma français, dans son modèle fructueux de soutien à la création, dans le cinéma d’auteur, dans la mise en scène ». Sa sélection n’est pas terminée, mais il assure qu’il y a de nombreux « très bons candidats français ».Venue à Cannes pour la première fois en 1997 avec son court-métrage Les Vacances, puis en 1999 avec La Puce (Cinéfondation), en 2001 avec son premier long-métrage Clément (Un certain regard), en 2011 comme coscénariste du Polisse, de Maïwenn (Compétition), Emmanuelle Bercot avait présenté Backstage (2004) et Elle s’en va (2013) au Festival de Berlin. Deuxième femme à avoir un film en ouverture de Cannes, après Diane Kurys, pour Un Homme amoureux (1987), la réalisatrice aura-t-elle les honneurs de la compétition ? Contribuera-t-elle à améliorer la représentation des femmes dans la section reine, et éteindre la polémique qui enfle chaque année sur le sujet à la même période ? Réponse le jeudi 16 avril, à l’issue de la conférence de presse. ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* Le corps social chinois éparpillé façon puzzle « Black Coal » mêle à une intrigue de polar un propos politique et métaphysique (vendredi 24 avril, 20 h 50, sur Canal + Cinéma). Black Coal démarre avec la découverte progressive des membres d’un cadavre éparpillés dans toute la Mandchourie. Le corps appartenait, selon toute vraisemblance, à l’employé d’une carrière. Voilà d’emblée un exemple de l’intelligence du cinéma de Diao Yinan, qui redouble un motif classique d’intrigue criminelle (la pièce à conviction horrifique) par un constat politique et métaphysique (le démembrement de la classe ouvrière, l’atomisation de l’individu dans la Chine actuelle).Là-dessus, il faut enquêter. Un homme, qu’on a vu se séparer lamentablement de sa femme sur un quai de gare, se révèle être celui de la situation. L’inspecteur Zhang Lili est sur l’affaire. Renseignements, suspects, filatures, surveillance en bagnole : on est ici dans l’ordinaire du polar.Et malgré tout, pas tout à fait. Un tempo de tango empêche la partition prévue, trouble la routine. Le cinéma asiatique est coutumier de ce travail plastique et narratif. Selon toute apparence, l’enquête n’a pas abouti. Zhang a cessé d’être flic, il boit, il semble en piteux état. Le hasard le fait tomber sur son collègue de l’époque, qui travaille sur une affaire impliquant de nouveau l’assassinat de deux mineurs. C’est reparti. Et Zhang s’immisce.Arme de séduction obscureUne piste se fait jour du côté d’une teinturerie où travaille la veuve, désirable, de la première victime. Zhang va la hameçonner, à moins que ce ne soit le contraire.Séance de patins à glace, par ailleurs armes d’un crime. Séance de cinéma, par ailleurs arme de séduction obscure. Séance de Luna Park triste, par ailleurs idéale pour s’envoyer en l’air. Un mec, apparemment dangereux, les suit, lui-même suivi par un flic. Et puis une autre piste s’ouvre du côté d’un bar nommé Feu d’artifice en plein jour, où officie une maîtresse femme en bottes vertes. On aimerait pouvoir dire aux téléspectateurs que tout s’éclaircira bientôt. Ce n’est pas entièrement le cas.Délicatement déposé dans la boue de la Chine provinciale et industrielle, glacé par la neige, assourdi par le ciel cotonneux, battant d’une poésie dépressionnaire de fête foraine, Black Coal raconte finalement l’histoire d’un crime qui en cache un autre. Une atmosphère et un sujet légitimes pour un film qui en cache un autre.« Black Coal », de Diao Yinan. Avec Liao Fan, Gwei Lun Mei, Wang Jingchun (Chine, 2014, 106 min). Vendredi 24 avril, 20 h 50, sur Canal+ Cinéma. Un film d’ouverture (hors compétition) :La Tête haute, d’Emmanuelle Bercot (France, 2 heures)Un jeune garçon qui vacille au seuil de la délinquance, face aux efforts d’un magistrat et d’un éducateur. Un film d’ouverture aux antipodes de celui de 2014, le Grace de Monaco, d’Olivier Dahan. Avec Catherine Deneuve, Benoît Magimel, Sara Forestier et le jeune Rod Paradot. Sortie le 13 mai.Les dix-neuf films en lice pour la Palme d’or :Dheepan, l’homme qui n’aimait plus la guerre (titre provisoire), de Jacques Audiard (France, 1 h 49)Si les premiers échos de ce film, qui n’est toujours pas tout à fait terminé, le présentaient comme une version contemporaine des Lettres persanes, le synopsis disponible sur le site de son distributeur évoque plus le scénario d’un film d’action américain. Un ancien combattant de la guérilla tamoule réfugié en France et devenu gardien dans une cité va « devoir renouer avec ses instincts guerriers ». Le film est interprété par des comédiens tamouls ainsi que par Vincent Rottiers et Marc Zinga. Date de sortie inconnue.La Loi du marché, de Stéphane Brizé (France, 1 h 32)Vincent Lindon est le seul acteur professionnel de la distribution de ce film à la frontière du documentaire. Il y interprète un ouvrier qualifié au chômage, contraint de prendre un emploi de vigile dans une grande surface. Sortie le 20 mai. Marguerite et Julien, de Valérie Donzelli (France, 1 h 50)Ecrit par Jean Gruault pour François Truffaut (le texte a été publié par Capricci en 2011), ce scénario s’inspire des amours incestueuses de Julien et Marguerite de Ravalet qui furent condamnés en 1603 pour inceste. Jérémie Elkaïm et Anaïs Demoustier en tiendront les rôles-titres. Sortie le 30 septembre.Chronic, de Michel Franco (Mexique, 1 h 30)Le jeune (35 ans) cinéaste mexicain avait déjà présenté Despues de Lucia à Cannes dans la section Un certain regard en mai 2012. Il revient en compétition avec un film tourné en anglais et Tim Roth dans le rôle d’un infirmier qui accompagne des patients en phase terminale.Il Racconto dei racconti (Le Conte des contes), de Matteo Garrone (Italie, 2 h 05)Le réalisateur de Gomorra trouve aussi son inspiration au XVIIe siècle avec un long-métrage adapté du Pentamerone, recueil de contes napolitains de Giambattista Basile. Le film est interprété par Salma Hayek, John C. Reilly et Vincent Cassel et est joué en anglais. Sortie le 1er juillet.Carol, de Todd Haynes (Etats-Unis, 1 h 58)D’après le roman de Patricia Highsmith (Calmann Lévy), l’histoire d’une liaison, dans le New York des années 1950 entre une jeune femme (Rooney Mara) et son aînée (Cate Blanchett). Todd Haynes renoue avec une période déjà explorée dans Loin du paradis en 2002. Date de sortie inconnue. Mia madre, de Nanni Moretti (Italie, 1 h 42)Quand il arrivera sur la Croisette, le film de Nanni Moretti aura déjà passé quatre semaines dans les salles italiennes où il sort le 16 avril. Empruntant une figure chère à Lars von Trier, Moretti s’est trouvé un alter ego féminin en la personne de Margherita Buy qui incarne une réalisatrice travaillée par le doute. Elle aura pour partenaire John Turturro. Sortie le 23 décembre.Saul Fia (Le Fils de Saul), de Laszlo Nemes (Hongrie, premier film, 1 h 47)Forcément inconnu, ce réalisateur hongrois de 38 ans a été l’assistant de Bela Tarr. Son premier long-métrage évoque le sort d’un Sonderkommando dans un camp d’extermination, pendant la seconde guerre mondiale. Thierry Frémaux n’a pas caché qu’il s’attendait à ce que le film ravive le débat sur la représentation du génocide au cinéma.Valley of Love, de Guillaume Nicloux (France, 1 h 31)Le réalisateur réunit deux grands acteurs du cinéma français, Gérard Depardieu et Isabelle Huppert, un quart de siècle après Loulou, de Maurice Pialat. Ils incarnent des parents en deuil de leur fils.Youth, de Paolo Sorrentino (Italie, 1 h 58)D’ores et déjà vainqueur du prix de l’antiphrase, puisque le nouveau film du réalisateur de La Grande Bellezza a pour interprète principal Michael Caine, 82 ans. Il y sera question de clinique suisse destinée à une clientèle qui ne résigne pas à l’écoulement du temps. Date de sortie inconnue. ************************************************************* ************************************************************* Les super-héros à l’assaut du petit écran Douze ans après le fiasco, en 2003, du film éponyme avec Ben Affleck, Daredevil, le justicier aveugle de Hell’s Kitchen (Manhattan) faisait son grand retour, le 10 avril, sur Netflix, dans une série qui a rencontré un vif succès. Au point qu’une deuxième saison a été annoncée par la plate-forme de streaming.Un encouragement pour Netflix qui, en partenariat avec les studios Marvel (à l’origine du super-­héros), a prévu de lancer une vague de quatre autres séries, dont la particularité commune est de mettre en scène des super-héros/héroïnes : « AKA Jessica Jones », « Luke Cage », « Iron Fist » et « The Defenders ». Une façon pour Marvel d’étendre son univers cinématographique au petit écran, et de frapper un grand coup après deux premiers essais : « Agents of Shield » (suite de Avengers, le blockbuster de 2012) et « Agent Carter » (prolongement du film Captain America, 2011).Si Marvel déploie autant d’efforts, c’est pour enfin donner à ses héros la même présence sur le petit écran que celle qu’ils ont su gagner au cinéma. Ce à quoi sont parvenus leurs rivaux de DC Comics. Arrow, le Robin des bois sauce comics, a déjà signé, aux Etats-Unis, sa troisième saison sur le réseau de télévision hertzien américain CW.En France, les aventures de l’Archer vert ont d’abord été diffusées, en janvier 2014, sur Canal+ Family. Puis sur TF1 où la série est parvenue à réunir chaque mercredi, entre le 8 octobre et le 10 décembre 2014, plus de 25 % de part d’audience, soit 1,75 million de téléspectateurs.La première chaîne a d’ailleurs acquis, en janvier, les droits de deux autres super­séries issues du catalogue Warner Bros., dont dépend le studio DC Comics : « The Flash », le héros à la vitesse surhumaine, et « Gotham », la série de la Fox qui retrace les origines de l’univers de Batman.« Ampleur inédite »Avec la venue prochaine de « Supergirl » sur CBS, les équipes de DC Comics ne semblent pas décidées à céder la place aux super­héros des studios Marvel. Mais les nouvelles annonces auxquelles se livrent quasi quotidiennement les deux maisons ne font aucun doute : les surhommes costumés semblent bel et bien représentés une mine prometteuse.Certes, DC a déjà connu le succès avec la série « Wonder Woman » dans les années 1970 et quelques autres séries d’animation à destination des enfants au cours des deux dernières décennies. Le phénomène n’est donc pas tout à fait nouveau. Mais « c’est son ampleur qui est inédite », explique Philippe Guedj, passionné par la culture geek et spécialiste des séries et du cinéma : « Des tentatives récentes ont existé dans les années 2000, avec“Smallville” ou “Heroes”, mais, aujourd’hui, les super­-héros s’exportent en masse et contaminent la télévision comme ils l’ont fait avec le cinéma il y a une quinzaine d’années, quand est sorti, en 2000, le premier “X­Men”,de Bryan Singer. »Pour en arriver là, il a fallu que soient mises en place des structures de production capable de faire travailler ensemble les créateurs, les auteurs et les studios. C’est notamment cette organisation qui a permis au genre d’atteindre cette maturité industrielle dans laquelle il se trouve aujourd’hui.Alors que DC Comics est une propriété des studios de production Warner Bros. depuis 1969, Marvel n’est aux mains de la Walt Disney Company que depuis 2009 ; ce qui explique une présence télévisuelle moins marquée et plus tardive que chez son concurrent. Il y a six ans, la Warner Bros. a d’ailleurs décidé de créer DC Entertainment, une structure consacrée uniquement à leur production audiovisuelle.Depuis quelques années, les studios sont ainsi « mieux imprégnés de cette culture du super­-héros et développent un réel savoir­-faire industriel, explique Philippe Guedj. Nous pouvons nous attendre, dans les années à venir, à un marché qui va être régulièrement alimenté ». Une position nuancée par Bertrand Villegas, cofondateur de The Wit, un site spécialisé dans l’observation de programmes internationaux : « A la télévision, les super­-héros sont encore loin d’occuper la place dominante que détiennent un “Game of Thrones” ou un “Walking Dead”. Les audiences sont bonnes, mais un blockbuster au cinéma ne donnera pas forcément naissance à un blockbuster télévisuel. »« Facile à vendre »Pour Bertand Villegas, la série de super­-héros incarne surtout « un produit facile à vendre qui jouit d’une popularité déjà établie auprès d’une communauté préexistante ». Autrement dit, un excellent moyen pour les networks de rajeunir leur public. « La venue des super-­héros à la télévision répond plus aujourd’hui à une pulsion économique qu’à une pulsion créative. » D’autant que la démocratisation des images de synthèse, devenues bon marché, a permis aux studios d’offrir à un coût raisonnable des productions télévisuelles assez spectaculaires.Seulement voilà, certains personnages sont aujourd’hui devenus la chasse gardée des studios de cinéma. Pas question, donc, de brader les superstars de Marvel ou DC et de dégrader l’image d’un Batman ou d’un Iron Man en diffusant leurs pirouettes à la télévision.C’est ainsi que les studios choisissent de piocher de nouveaux super-héros dans leur catalogue, qui en contiennent des centaines. « La télévision offre l’opportunité de parler de super-héros moins iconiques », commente Philippe Guedj.Des surhommes du quotidien dont les aventures trouvent parfaitement leur cadre à la télévision, comme le héros d’ « Arrow », Oliver Queen, milliardaire play-boy aux talents d’archerie surhumains, ou encore Matt Murdock, le protagoniste de « Daredevil », avocat le jour et redresseur de torts masqué la nuit. Benoît Piraux Alors qu’une fois de plus, l’Afrique allait être aux abonnés absents des sélections majeures du Festival de Cannes, une annonce de dernière minute tente de donner l’impression inverse. Jeudi 23 avril, le festival a fait entrer pour la première fois un film éthiopien dans la section Un Certain Regard. Il s’agit de Lamb, premier long-métrage de Yared Zeleke, sélectionné en 2013 à l’Atelier de la Cinéfondation. Le film relate l’amitié entre un petit garçon et une brebis.La compétition officielle, elle, demeure sans aucun film du continent. Si l’année 2013 avait placé le Tchadien Mahamat-Saleh Haroun et son long-métrage Grigris dans cette sélection très convoitée, 2014 avait mis en lumière Timbuktu d’Abderrahmane Sissako qui, non primé à Cannes, rafla par la suite sept Césars, un million d’entrées en France, un million de dollars au box-office américain et une nomination aux Oscars. Un record pour un film d’Afrique.Cuvée malienneCertes, la cuvée 2015 verra figurer en séance spéciale, hors compétition, Oka du Malien Souleymane Cissé (Prix du jury 1987 avec Yeleen). Traitant, d’après le site MaliWeb, de la spéculation financière au Mali, cette sélection marque le retour du cinéaste six ans après Min Yé, long-métrage également présenté en séance spéciale en 2009, qui avait pourtant rapidement disparu des circuits de distribution. Souleymane Cissé est un habitué de la Croisette, puisqu’il a été membre du jury officiel en 1983 et du jury de la Cinéfondation et des courts-métrages en 2006.Dans le jury, justement, qui sera présidé par les Américains Joel et Ethan Cohen, siégera la chanteuse – malienne elle aussi – Rokia Traoré, Grand Prix Sacem des musiques du monde 2014 avec son dernier album Beautiful Africa. Si le choix d’une chanteuse surprend – le dernier musicien membre de jury étant le compositeur de musiques de films Alexandre Desplat en 2010 – sa nationalité aussi : serait-ce à dire que sur 54 pays d’Afrique, seul le Mali est à l’honneur ?Du côté de la Cinéfondation, le constat est identique : Abderrahmane Sissako, réalisateur mauritanien ayant grandi au Mali, sera président du jury de la Cinéfondation. Heureusement qu’un anglophone (le Sud-Africain Louw Venter) et un lusophone (l’Angolais Joao Viana) se glissent dans l’Atelier de la Cinéfondaton avec leurs projets The Tree et Our Madness, sinon la Croisette aurait donné l’impression de résumer l’Afrique aux anciennes colonies françaises.Deux Marocains en QuinzaineDu côté des sélections parallèles, c’est un zéro pointé en matière de films africains. Aucun film à l’Association du cinéma indépendant dans sa distribution (Acid) qui avait pourtant révélé l’année dernière la Tunisienne Kaouther Ben Hania avec Le Challat de Tunis, primé à l’international.Aucun film africain non plus à la Semaine de la critique, qui sélectionne néanmoins deux longs-métrages européens mettant en scène des acteurs africains ou de la diaspora : Mediterranea de l’Italo-Américain Jonas Carpignano avec Koudous Seihon et Alassane Sy (repéré dans Restless City du Nigérian Andrew Dosumu en 2010) et La Vie en grand du Français Mathieu Vadepied avec Balamine Touré, Ali Bidanessy, Léontina Fall, Adama Camara et Aristide Tarnagda, ce dernier étant directeur artistique du festival Les Récréâtrales au Burkina Faso.Jusqu’en 1946 et au long-métrage Dunia de l’Egyptien Mohamed Karim, l’Afrique n’était présente à Cannes qu’au travers de films français tournés sur le continent. Six ans plus tard, Othello d’Orson Welles avait d’ailleurs remporté le Grand Prix en tant que film… marocain.Cette année, c’est justement au Maroc que reviennent les honneurs de la Quinzaine des réalisateurs, puisque Nabil Ayouch y est sélectionné avec son septième long-métrage, Much Loved. Racontant l’histoire de quatre prostituées à Marrakech, ce film marque le retour de Nabil Ayouch trois ans après Les Chevaux de Dieu, également présenté à la Quinzaine des réalisateurs.Un autre réalisateur, l’Anglo-Marocain Fyzal Boulifa, lauréat 2012 du prix Illy du court-métrage à cette même Quinzaine avec The Curse, reviendra cette année sur la Croisette avec le court-métrage Rate Me.Interviewé au Festival de Namur en 2012, Nabil Ayouch avait souligné l’importance des coproductions pour exister à l’international : « Un film, pour qu’il soit vu et qu’il circule, a besoin de partenaires de différentes régions du monde ». Ceci explique-t-il pourquoi tant de films africains non-coproduits par la France ou l’Europe sont absents des sélections cannoises ? Des réalisateurs comme l’Ethiopien Hailé Gérima ou le Sud-Africain Mark Donford-May préfèrent en effet la Mostra de Venise (Teza, Prix spécial du jury en 2008) ou la Berlinale (U-Carmen eKayelitsha, Ours d’or en 2005).Que faut-il déplorer ? Le manque d’ouverture des sélectionneurs cannois ? Le manque de propositions de la part des réalisateurs et producteurs africains ? Ou la faible qualité des œuvres envoyées ?Que la programmation minimale de films d’Afrique au Festival de Cannes ne trompe pas les spectateurs. La production cinématographique du continent est en plein essor. Il ne lui manque que des fenêtres commerciales, et des sélectionneurs français un peu plus audacieux. ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* CinémaLenny Bruce, première star du stand-up Poursuivant son cycle sur le stand-up, proposé dans le cadre du Nouveau Festival, le Centre Pompidou offre l’occasion de voir ou revoir Lenny, biographie romancée du fantaisiste de music-hall des années 1950-1960, Lenny Bruce, dont les sketches fustigeaient la vie politique et sociale et qui fut persécuté par la justice américaine pour obscénité. Réalisation sur un rythme de ballet par Bob Fosse (Cabaret, All That Jazz), prestation jubilatoire de Dustin Hoffman.Centre Pompidou, à Paris.Lire aussi : Théâtre« Des fleurs pour Algernon » : un rôle sur mesure pour Grégory Gadebois Récompensé en 2014 par le Molière du meilleur acteur seul en scène pour son rôle dans la pièce de Daniel Keyes, Des fleurs pour Algernon, Grégory Gadebois revient sur la scène du Théâtre du Petit Saint-Martin pour une cinquantaine de nouvelles représentations. L’acteur y impose sa présence, forte et singulière, dans le rôle de Charlie qui semble avoir été écrit pour lui. Un garçon « inadapté » qui, à la suite d’une opération médicale à visée scientifique, se retrouve doté d’une intelligence hors norme.Théâtre du Petit Saint-Martin, à Paris.Lire aussi : Grégory Gadebois, poids lourd-légerCinéma« Shaun le Mouton » : une bonne pâteRevoilà le bondissant Shaun, apparu en France sur TF1 en 1997 en héros de série d’animation, et que l’on retrouve avec bonheur dans un long-métrage. La structure dramaturgique et farcesque de la série en pâte à modeler a été conservée, ainsi que ses principaux personnages, son esthétique, et même son générique. Quant à l’intrigue, elle peut se résumer ainsi : un troupeau de moutons qui ne fait que des conneries au nez et à la barbe d’un ex-baba cool de fermier et de son chien de berger à l’avenant. Jubilatoire. A voir, si ce n’est déjà fait, à l’occasion de ce long week-end du 1er mai.Film d’animation anglais de Mark Burton et Richard Starzak (1 h 25).Lire aussi : A travers des vidéos et des photographies, Patrick Zachmann évoque en parallèle le drame des migrants qui quittent leur terre et leur mère, et sa propre histoire familiale, dont il essaie de tirer le fil. Au centre de ce dispositif, la Méditerranée, que les uns traversent dans un sens, du Sud vers le Nord, alors que lui l’emprunte en sens inverse, pour retrouver l’histoire de ses ancêtres, en partie ancrée en Algérie.Musée Nicéphore-Niépce, à Chalon-sur-Saône.Lire aussi : Patrick Zachmann traverse la mer de l’oubli ArtsLe raffinement des Thraces C’est à une exploration de la Thrace antique que nous invite le Musée du Louvre qui propose, jusqu’au 20 juillet, une exposition intitulée « L’Epopée des rois thraces. Découvertes archéologiques en Bulgarie ». Le pays, dont les frontières correspondent à la Thrace du premier millénaire avant notre ère, fut une voie royale du commerce des biens et des idées entre l’Orient et l’Occident. A son apogée, du Ve au IIIe siècle av. J.-C., le royaume thrace, unifié par les Odryses, riche en métaux précieux – or, cuivre, argent –, en céréales et en bétail, est un carrefour marchand entre les grandes steppes du nord, la Grèce, la Perse et le Proche-Orient. L’exposition réunit de nombreux objets témoignant de ce peuple raffiné.Musée du Louvre, à Paris.Lire aussi : Sur les traces des Thraces en Bulgarie DanseLe charme exotique de « Paquita » Danser le rôle de Paquita, entre noblesse de sang et éducation gitane, classe et gouaille, est un exercice de haute école que relève avec brio Laura Hecquet dans cette version chorégraphiée par Pierre Lacotte d’après Joseph Mazilier et Marius Petipa, présentée au Palais Garnier jusqu’au 19 mai. Si l’exotisme et l’aspect kitsch du ballet détonnent aujourd’hui, ces aspects étaient des caractéristiques majeures des grandes chorégraphies classiques du XIXe siècle.Opéra de Paris.Lire aussi : Le tour du monde en quatre-vingts danses ConcertReporters sans frontières fête ses 30 ans en chansons L’organisation non gouvernementale (ONG) Reporters sans frontières fête ses 30 ans d’existence – elle a été fondée à Montpellier en 1985 par les journalistes Robert Ménard, Rémy Loury, Jacques Molénat et Emilien Jubineau. Et ce dimanche 3 mai, Journée mondiale de la liberté de la presse, afin de sensibiliser et informer le public sur son action, elle propose un concert et un spectacle, en accès libre, place de la République, à Paris avec les musiciens et chanteurs Jeanne Cherhal, Arthur H, Hollysiz, Sly Johnson, Cassius et les humoristes Camille Chamoux, Christophe Alévêque et Daniel Morin. Sont aussi attendus l’avocate iranienne Shirin Ebadi, prix Nobel de la paix en 2003, Wu’er Kaixi, l’un des leaders des mouvements étudiants place Tiananmen, à Pékin, en 1989, les journalistes Florence Aubenas, Raphaëlle Bacqué, Didier François, Edwy Plenel, Denis Robert et l’actrice Virginie Ledoyen.Place de la République, à Paris, dimanche 3 mai à partir de 17 heures.Lire aussi : Jeanne Cherhal est « amoureuse »Cinéma« Beyond Clueless » : plongée dans la culture des « teen movies »Réalisé par le très jeune rédacteur du blog britannique Ultra Culture et chroniqueur pour The Guardian, Charlie Lyne, ce documentaire se présente comme un montage de plus de deux cents extraits de « teen movies » regroupés par correspondances thématiques et visuelles. Avec deux fils rouges : une voix off lisant un texte analytique écrit de Charlie Lyne, et une bande musicale pop composée à partir de répliques des films cités.Documentaire britannique de Charlie Lyne (1 h 29).Lire aussi : « Beyond Clueless » : une décennie de « teen movies » à la loupe YouTube ExpositionMichelangelo Antonioni, artiste visionnaire Né en 1912 et mort en 2007, après avoir vécu les dernières années de sa vie diminué par un accident cérébral, le cinéate italien Michelangelo Antonioni a laissé derrière lui l’une des plus grandes œuvres du XXe siècle. La Cinémathèque française lui consacre une riche rétrospective, créée à Ferrare, un défilement d’images (photos, extraits de films, affiches…) enrobant une travée centrale consacrée aux archives manuscrites. Dominique Païni, ex-directeur du lieu, a conçu l’exposition selon une logique chronologique qui met en valeur les différentes formes prises par ce cinéaste-plasticien.Cinémathèque française, à Paris.Lire aussi : Antonioni, éclipse et agrandissement OpéretteUne « Ciboulette » aux parfums nuancés Créée en 1923 au Théâtre des Variétés à Paris, Ciboulette, première opérette de Reynaldo Hahn, séduit par sa musique très mélodieuse, qui appelle un large éventail de nuances. Le livret multiplie les bons mots. Le metteur en scène Michel Fau aborde l’œuvre avec une sobriété bienvenue, tout en respectant l’esprit d’un genre divertissant qui confine parfois au kitsch.Opéra comique, à Paris.Lire aussi : Michel Fau se creuse la ciboulette ************************************************************* Quand le cinéma parlait en Audiard Paris Première propose, jusqu’au 20 août, un cycle consacré au dialoguiste, scénariste et réalisateur mort il y a trente ans (les jeudis à 20 h 45).Michel Audiard (1920-1985) adorait la littérature mais avait un CAP de soudeur ; il aimait le vélo au point de songer en faire sa profession mais ne montait pas les côtes. C’est cependant avec un petit vélo dans la tête qu’il deviendra l’un des forgeurs d’une des langues officielles du cinéma français, une lingua franca très « popu », très imagée, très virtuose, parlée comme si elle leur était native (elle l’était parfois) par les Robert Dalban, Lino Ventura, Bernard Blier, Jean Gabin et autres grandes gueules du grand écran.Audiard est l’un des rares dialoguistes et scénaristes dont le nom comptait autant, sinon parfois davantage, que celui du réalisateur (on a même oublié qu’il avait lui-même réalisé huit longs-métrages, dont quatre sont diffusés par Paris Première à l’occasion des 30 ans de sa mort). Certes, il ne fréquenta que le meilleur de la comédie populaire, collaborant avec André Hunebelle (avec qui il débuta en 1949), Henri Verneuil, Gilles Grangier, Christian-Jaque, Jean Delannoy et, à partir de 1963, pour les célébrissimes Tontons flingueurs, avec Georges Lautner. (C’est pour ce dernier qu’Audiard signera les dernières répliques de sa carrière, pour La Cage aux folles 3, en 1985, qui sortira sur les écrans quatre mois après que le dialoguiste eut succombé à un cancer.) Mais, de beaucoup des longs-métrages auxquels il collabora, ce sont les dialogues qu’on retient ou leur titre.L’accroche à rallongePour ses propres films, Michel Audiard avait l’art de l’accroche à rallonge : Faut pas prendre les enfants du Bon Dieu pour des canards sauvages (1968) ou Comment réussir quand on est con et pleurnichard (1974). Mais ce bibliophile compulsif et ce fin lettré, qui adorait Rimbaud, Proust, Verlaine et pouvait réciter de mémoire des centaines de vers, était capable de trousser un titre en alexandrin « popu » (à condition de respecter l’élision des « e ») : Elle boit pas, elle fume pas, elle drague pas, mais… elle cause ! (1969). Et il est fort possible que Le Cri du cormoran le soir au-dessus des jonques (1970) fasse référence tout à la fois à L’Albatros, de Charles Baudelaire, et à la fable de Jean de La Fontaine, LesPoissons et le Cormoran.Riche (mais ruiné par le fisc), célèbre, sans cesse réclamé par qui voulait faire parler ses personnages « en Audiard », l’auteur de palanquées de saillies délicieusement argotiques gardera toujours une distance avec ce travail auquel il excellait, mais qu’au fond il méprisait. Son fils, le réalisateur Jacques Audiard, rappelait d’ailleurs en 2005 à l’hebdomadaire Télérama la « relation très cynique » qu’entretenait son père avec le cinéma : « [Il] considérait le cinéma comme un métier, et la littérature comme un art. »Evidemment, on a tous un faible pour l’une ou l’autre des répliques-clés des films dialogués par Michel Audiard, et l’on peut se rafraîchir la mémoire en consultant les pages qui se dédient, sur Internet, à leur préservation mémorielle. Mais on recommandera celle-ci, dite par Bernard Blier dans Le cave se rebiffe (1961), de Gilles Grangier, facile à placer à l’apéro au camping comme lors d’un cocktail mondain : « Prenez des petits fours, ça fait passer la boisson… » Retrouvez aussi nos archives : Disparition de Michel AudiardCycle Michel Audiard :  Faut pas prendre les enfants du Bon Dieu pour des canards sauvages (le 30 juillet) ; Quand passent les faisans (le 6 août) ; Comment réussir quand on est con et pleurnichard (le 13 août) ; Elle boit pas, elle fume pas, elle drague pas, mais… elle cause ! (le 20 août). Renaud Machart Panthère était prêt. Il n’attendait que le signal. Le « feu vert », selon ses propres termes, pour que commence la vaste opération que les extrémistes hutu préparaient : le génocide de la minorité tutsi du Rwanda par la majorité hutu, soit plus de 800 000 morts en seulement trois mois, du 6 avril au 4 juillet 1994. Aujourd’hui, deux décennies plus tard et après avoir purgé treize ans de prison pour avoir participé au massacre, Panthère accepte de nous rencontrer dans un bar de la capitale.On l’attendait sans trop y croire, mais le voilà. Pourquoi diable est-il venu au rendez-vous ? Il répond le plus tranquillement du monde : « J’ai déjà donné tous les détails pendant mon procès, j’ai avoué que j’avais aidé aux tueries, tout ça, et j’ai demandé pardon. Je pense que c’est important de raconter, vu ce qui s’est passé… C’est ma petite contribution à l’Histoire. » Panthère porte une chemise à carreaux écossais et des lunettes de forme rectangulaire assez « mode ». Il est désormais DJ, entre autres menus boulots. Il raconte les horreurs qu’il a commises d’une voix tranquille, ni plus ni moins que s’il commentait un match de foot de troisième division.Autour de l’Hôtel des Mille Collines, les victimes étaient particulièrement faciles à trouver. Panthère connaît bien cet îlot de paix miraculeusement préservé de la sauvagerie, d’où 1 268 réfugiés sortirent indemnes. Et pour cause : l’hôtel, à l’époque propriété de la compagnie belge Sabena, est alors l’un des deux seuls établissements luxueux de Kigali. Bien situé au centre-ville, il est le rendez-vous des étrangers et des élites et un repaire si familier qu’il a droit à ses petits noms : on l’appelle « l’hôtel des mille combines », parce que les businessmen viennent s’y entendre sur leurs petites affaires, et aussi « l’hôtel des mille copines », parce que ces messieurs peuvent y rencontrer de jolies dames.Avec ses suites et son bar-restaurant au bord de la piscine entourée de palmiers et de plantes tropicales, à l’abri des bruits de la ville, tout ce que Kigali compte d’important vient dîner ou boire un verre au Mille Collines : hommes d’affaires, diplomates, humanitaires, trafiquants d’armes, employés d’ONG, politiciens, chercheurs de diamants et on en passe.L’apocalypse s’est abattue sur la villeDès les premiers massacres, c’est donc sans trop réfléchir que les notables tutsi et certains hutu modérés – les cibles prioritaires des militaires et des milices génocidaires – tentent d’y trouver refuge. Tout autour, l’apocalypse s’est abattue sur la ville. Les rues offrent un spectacle abominable. Ici ou là, des monceaux de cadavres découpés à la machette, des femmes éventrées, des enfants fichés sur des piques. La mort diffuse partout sa puanteur âcre.Ceux qui pensent y échapper en se rendant au Mille Collines ne se doutent pas qu’en se transformant en centre d’accueil pour les personnes visées par les génocidaires, cette forteresse à peine protégée par la Minuar (Mission des Nations unies pour l’assistance au Rwanda) devient aussi, de ce fait, un vivier potentiel d’ennemis à abattre.La patrouille de Panthère, dans les quelques jours qui suivent le 6 avril, y voit effectivement une aubaine : il n’y a qu’à ramasser les Tutsi en route vers l’hôtel, les emmener au camp et les fusiller en troupeau. Panthère participe à trois opérations de ce genre. « On en regroupait chaque fois plusieurs dizaines dans le camp. C’est difficile de tuer tout le monde à la kalachnikov, alors on commençait à mitrailler et pour finir on lançait des grenades sur le groupe. Après, un camion prenait les corps et les déposait là-haut » – il fait un geste de la tête en désignant le haut d’une des collines de la capitale, où une fosse avait été creusée. Toujours tranquille.Le 6 avril 1994, Panthère, de son vrai nom Khassim Bigirimana, a 22 ans. Il a intégré l’armée et se trouve dans le camp Kigali, le grand centre militaire de la capitale. Vers 20 h 30, l’information circule dans le camp : l’avion de Juvénal Habyarimana vient d’être abattu. Le président rwandais, à la fois représentant de la majorité hutu et s’apprêtant à négocier avec le Front patriotique rwandais (FPR), mouvement rebelle majoritairement tutsi, est autant la cible de ce dernier que des extrémistes hutu, qui refusent tout accord avec les Tutsi.Sauvagerie collectiveAu camp Kigali, les commandants convoquent leurs troupes : « Ça y est. L’opération commence. Vous le savez : notre ennemi, c’est le Tutsi. » L’assassinat du président donne le signal du départ. La RTLM, la radio-télévision propagandiste, qui porte aussi le nom de Mille Collines (à ne pas confondre avec l’hôtel du même nom), diffuse les messages qui exhortent au génocide. L’injonction est d’abord codée : « Il faut couper les grands arbres. » Puis totalement explicite : il faut éliminer « les cafards », « les cancrelats », « les Tutsi ». A l’exception d’esprits éclairés, une grande partie de la population à majorité hutu se mobilise. Civils, militaires et milice (les Interahamwe) s’unissent dans une sauvagerie collective et méthodique.Ce même 6 avril, vers 20 h 30, Paul Rusesabagina reçoit un coup de téléphone de son épouse Tatiana. Paul est hutu et dirige alors l’Hôtel des Diplomates, l’autre établissement de luxe de Kigali. Tatiana est tutsi. Ils habitent avec leurs enfants dans le quartier de l’aéroport et l’énorme détonation qu’elle vient d’entendre l’inquiète. Depuis le 1er octobre 1990, la guerre civile au Rwanda a habitué la population aux bruits d’explosion fréquents et divers. Les grenades lancées dans les maisons ou dans les bars, les vitres brisées, les assassinats en pleine rue sont monnaie courante. Les Tutsi sont les premières victimes, ainsi que certains Hutu politiquement ciblés. Tatiana ne sait pas encore qu’elle a entendu le missile qui a détruit l’avion du président, mais elle a peur. « Dépêche-toi de rentrer », dit-elle à son mari.Jusqu’au 12 avril, Paul Rusesabagina reste manageur à l’Hôtel des Diplomates. Un gouvernement de transition y a établi ses quartiers mais ce jour-là, à l’aube, le FPR oblige les représentants de l’Etat à fuir vers le sud du pays. Quant au manageur néerlandais de l’Hôtel des Mille Collines, il a été évacué la veille. Son établissement est laissé à l’abandon alors que quelques centaines de personnes s’y sont déjà réfugiées. Paul connaît bien le Mille Collines, il y a travaillé jadis. La Sabena encourage sa proposition d’en prendre la direction. « Pour rendre service et sauver les gens », dit-il. « Pour en profiter et s’en mettre plein les poches », rétorquent d’autres…Aujourd’hui, Paul Rusesabagina nous reçoit dans sa petite maison d’un quartier résidentiel de Kraainem, en banlieue de Bruxelles. Pas loin de l’aéroport, comme à Kigali. Il est exilé et a acquis la nationalité belge. Longtemps chauffeur de taxi, il vit maintenant entre la Belgique et les Etats-Unis, où il donne des conférences sur le génocide, la région des Grands Lacs, le Rwanda. « Homme ordinaire »Le monde le célèbre, le décore, l’honore : il est le sage, le héros qui a sauvé les 1 268 personnes réfugiées à l’Hôtel des Mille Collines pendant le génocide. En 2004, l’Américain Terry George s’est inspiré de son « histoire vraie » pour un film à succès, Hotel Rwanda. Pour des raisons qui seraient budgétaires, le tournage n’a pas eu lieu au Mille Collines, mais dans un décor reconstitué en Afrique du Sud. Paul Rusesabagina a participé au film et, dit-il, « entièrement supervisé le scénario ».Son image n’en souffre pas : d’un bout à l’autre, il apparaît comme un amour de garçon. Pas un défaut. Un personnage de rêve comme on les aime à Hollywood. Aussi parfait dans le livre qu’il a écrit ensuite sur le même sujet, An Ordinary Man, publié aux Etats-Unis en 2006, traduit en plusieurs langues, qualifié de « best-seller » par le New York Times, comparé à Un long chemin vers la liberté, de Nelson Mandela (1995), et La Nuit, d’Elie Wiesel (1955).L’ancien manageur du Mille Collines, modestement autodésigné « homme ordinaire », est d’un ordinaire admirable : intelligent, perspicace, courageux, désintéressé, stratège, calme, concerné, patient, généreux, humain.Dès que Paul Rusesabagina prend la direction de l’hôtel, il s’attache autant que possible à maintenir son statut de quatre-étoiles. C’est, selon lui, le seul moyen de maintenir en respect militaires et miliciens. Lui-même étant hutu, il n’est pas directement menacé et il peut exploiter ses bonnes relations avec les officiers. Du temps où il était directeur à l’Hôtel des Diplomates, ils avaient leurs habitudes et il leur payait des tournées. « Tous ces cafés et ces bières que je leur ai offerts m’ont servi énormément ensuite, quand j’ai eu besoin de réseaux, note-t-il. Je connaissais tout le monde, même le vice-président de l’Interahamwe, Georges Rutaganda. » Dans le nouveau contexte, au Mille Collines, il est avec eux aux petits soins, « dans le but de s’assurer leur soutien et de sauver des vies ».Les réfugiés arrivent en continu. Assez vite, ils sont 1 268 à s’entasser dans 113 chambres, à attendre leur tour sur les matelas, à camper dans les couloirs. L’idéologie génocidaire veut distinguer les purs et les impurs, les bons et les méchants, les Hutu et les Tutsi, mais la réalité est comme toujours un grand désordre. La plupart des réfugiés sont tutsi, mais il y a aussi des Hutu opposés au régime. Les familles sont souvent mélangées. Des militaires hutu ont dans l’hôtel des cousins tutsi à qui ils apportent du ravitaillement.Le restaurant tourne, certains se font la cuisine à côté de la piscine. Au bout de quelques jours, il n’y a plus d’électricité ni d’eau. « J’ai dû couper l’eau courante par souci de rationnement », explique Paul Rusesabagina. La piscine sert de réservoir commun. Il corrompt les officiers pour protéger l’hôtel et acheter des produits au marché noir. Les miliciens attaquent à plusieurs reprises. La Minuar, qui a l’ordre de ne pas tirer, laisse le génocide s’accomplir sous le regard passif de la communauté internationale. Le directeur envoie des fax partout dans le monde, appelle la Maison Blanche, le département d’Etat, Paris, Bruxelles. En vain. « Tout est faux »Dans sa maison bruxelloise, Paul Rusesabagina est au téléphone. A l’autre bout du fil se trouve l’un des officiers qui fréquentaient le Mille Collines au moment du génocide. Il est exilé en Belgique et aime autant rester discret. Les deux hommes se parlent comme des frères. Il s’entendait bien avec un autre d’entre eux, le colonel des forces armées rwandaises Augustin Bizimungu, condamné à trente ans de prison par le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) pour « génocide » et « crimes contre l’humanité », en 2011.D’après le scénario d’Hotel Rwanda « supervisé » par Paul Rusesabagina, celui-ci lui avait courageusement fait la leçon au point de l’ébranler. En substance : « Tu ne vois pas que la guerre est perdue ? Aide-nous, ce sera retenu en ta faveur. » Bizimungu aurait contenu l’attaque des miliciens sur le Mille Collines. « Sous sa responsabilité, des gens ont été massacrés mais l’armée rwandaise nous a sauvé la vie, affirme l’ancien directeur. C’est ça que les gens ne comprennent pas. »Cette version passe très bien à Hollywood. Beaucoup moins auprès de ses anciens « clients », réfugiés à l’hôtel à l’époque du génocide. L’ennui, pour Paul Rusesabagina, est qu’il est jusqu’ici très isolé pour clamer qu’il a contribué à sauver du massacre le Mille Collines. Les différents témoins que nous avons interrogés à Kigali le perçoivent au mieux comme un gestionnaire sans états d’âme, au pire comme un traître, et, dans tous les cas, comme un vantard.L’intéressé n’est pas étonné : « Ils sont tous instrumentalisés par le régime. » Le président Paul Kagamé, selon lui jaloux de sa notoriété, organiserait une campagne de dénigrement pour dénoncer son discours jugé « négationniste » – Rusesabagina qualifie de « génocide » (ce que conteste le Rwanda) les exactions massives dont ont été victimes les Hutu, principalement en RDC, lorsque ces derniers ont fui le pays par peur des représailles du FPR.A la sortie d’Hotel Rwanda, en 2004, une projection est organisée à Kigali à l’Hôtel Serena – anciennement Hôtel des Diplomates. Le président rwandais y assiste, aux côtés du premier ministre, Bernard Makuza, et d’autres membres du gouvernement. Il y a dans la salle plusieurs centaines de personnes. A la fin du film, d’anciens réfugiés du Mille Collines échangent des regards gênés. « J’étais choqué, dit Bernard Makuza, maintenant président du Sénat. C’est présenté comme une histoire vraie et tout est faux. » Séparément, les témoins racontent avec leurs mots les commerces du patron avec les militaires, l’argent demandé aux clients de l’hôtel, la coupure volontaire du téléphone et de l’électricité pour les isoler et rester maître à bord. Champagne à gogoBernard Makuza était réfugié au Mille Collines. Il est par ailleurs hutu, ce que personne ne mentionne plus à l’heure où la reconstruction nationale passe par l’oubli des distinctions prétendument ethniques. « Paul Rusesabagina, un héros ? Les militaires et les miliciens venaient boire des coups avec lui, il exigeait que l’on paye les chambres. C’est héroïque d’exiger du liquide, des chèques ou des reconnaissances de dette de la part de réfugiés dont les familles, dehors, se font massacrer ? »Le deuxième personnage de l’Etat rwandais est, selon Paul Rusesabagina, l’exemple même de l’agent « manipulé » par le président Kagamé. Comme Wellars Gasamagera, ancien sénateur, qui s’est retrouvé à dormir dans le couloir de l’hôtel, faute d’avoir eu de quoi payer sa chambre. « Ceux qui n’avaient pas d’argent sortaient sans résistance, raconte-t-il. Les gens étaient hébétés. On s’accrochait à un semblant de sécurité. Dormir dans un couloir quand la mort vous attend, quelle importance ? » Alexis Vuningoma, ancien employé au Mille Collines, ou Cyrille Ntaganira, avocat au barreau du Rwanda, sont-il « manipulés » eux aussi ? « Tous les jours on attendait la mort, dit celui-ci. La seule question était : comment ? Les machettes terrorisaient. Dans l’hôtel, ça ne criait pas, ça ne pleurait pas, ça sentait la mort. On faisait ce qu’on nous disait. Quand Rusesabagina est venu nous dire qu’il fallait payer, j’ai pu rester car on était une quinzaine dans la chambre et l’un d’entre nous lui a signé une reconnaissance de dette. »Ces anciens réfugiés rêvent d’un autre film hollywoodien « qui raconte la vérité ». L’un d’eux, Edouard Kayihura, devenu avocat aux Etats-Unis, mais néanmoins « totalement aux mains du régime », selon Paul Rusesabagina, a publié un livre, Inside the Hotel Rwanda (2014, BenBella Books), qui a pour Hollywood un inconvénient majeur : il est dépourvu de héros. Tous disent cependant retrouver dans ce livre leur vraie histoire. Comme Pasa Mwenenganugye, un entrepreneur de 43 ans, qui était réceptionniste à l’Hôtel des Mille Collines quand le génocide a commencé. C’est à lui que l’ancien manageur néerlandais a confié les clés au moment d’être évacué, avant l’arrivée de Rusesabagina. En découvrant Hotel Rwanda, il a eu une surprise : se voir représenté sous les traits d’un certain Grégoire, personnage veule et vil à qui, précisément, l’ancien manageur confie les clés de l’hôtel. Face au gentil héros Paul, Grégoire est le méchant. Il profite de la situation, occupe la suite présidentielle, consomme prostituées et champagne à gogo.« Je m’étais bien réfugié dans une suite, dit Pasa,mais hélas pas avec du champagne et des prostituées. Il y avait avec moi mes deux frères et une autre famille dont une femme enceinte. Regardez-moi bien : c’est moi, Grégoire, le méchant, les prostituées, oui, me voilà ! Le méchant est à Kigali, et le gentil est en exil. Intéressant, non ? Et le film n’a pas été tourné au Mille Collines mais à Johannesburg. Intéressant, non ? » L’ancien réceptionniste, qui est de père hutu et de mère tutsi, ironise sur « le scénario hollywoodien qui consiste à faire croire que des bouteilles de champagne offertes aux militaires peuvent suffire à arrêter le génocide au Mille Collines ».Elles n’ont certes pas pu « suffire », mais la stratégie de Paul Rusesabagina, consistant à soudoyer les militaires, n’a-t-elle pas contribué à sauver les 1 268 réfugiés ? Ceux-ci, il est vrai, ont bénéficié d’un autre atout objectif : ils représentaient une valeur d’échange dans les pourparlers, alors que des otages hutu se trouvaient, eux, dans le stade d’un quartier de la ville contrôlé par les rebelles du FPR. Lorsque le FPR reprend Kigali, le 4 juillet 1994, l’hôtel est évacué. Et les réfugiés indemnes.Le Mille Collines n’a pas changé depuis le génocide. Les bâtiments sont là, la piscine, le bar, les plantes tropicales, les chambres sans caractère. Il est géré par la chaîne Kempinski, fondée en Allemagne, dont l’objectif est d’en faire un palace. A la hauteur d’un Rwanda moderne qui a intégré le Commonwealth, veut faire concurrence au Kenya comme plaque tournante de l’Afrique de l’Est et se fait violence pour éradiquer son démon : les ethnies.Prochain article : «  Les fantômes de Bretton Woods  »Changer le monde : tel est le thème de l’édition 2015 du Monde Festival qui se tiendra les 25, 26 et 27 septembre à Paris. Retrouvez le programme sur Lemonde.fr/festival/ Marion Van Renterghem « Sharknado », un horrifique nanar au succès tourbillonnant Le troisième volet de la série de films d’Anthony C. Ferrante est proposé sur Syfy 24 heures après sa diffusion aux Etats-Unis. Jeudi 23 juillet à 20h50 sur SYFY. « Les chefs-d’œuvre du cinéma se présentent par trois » assure la voix off de l’une des bandes-annonces de Sharknado 3, d’Anthony C. Ferrante, citant en référence Le Parrain et Star Wars. Si Sharknado en est bien à son troisième volet, présenté en première diffusion mercredi 22 juillet sur la chaîne câblée nord-américaine Syfy et dès le lendemain sur ses filiales dans quelque quatre-vingts pays, l’horrifique et drolatique nanar joue la carte du cinquante-sixième degré et fait montre d’une autodérision dont la teneur a fini par constituer l’intérêt principal du projet, bien au-delà de l’horreur présumée de ses images. Le site Internet de Syfy classe d’ailleurs le film dans la catégorie inédite du « désastre satirique ».Au départ, Sharknado était l’un de ces films de requins à petit budget dont Syfy s’est fait une spécialité. En préparation de la sortie mondiale de Sharknado 3, la chaîne avait invité les téléspectateurs à se faire les dents sur les épisodes précédents de la trilogie, sortis en 2013 et 2014, complétés par les indispensables Mega Shark vs. Mecha Shark (2014), d’Emile Edwin Smith, où un squale gigantesque fracasse une plate-forme pétrolière et croque au vol des avions de ligne, et Les Dents de la neige (2013), de Scott Wheeler, où le monstre quitte les profondeurs aqueuses pour faire le chasse-neige dans une poudreuse qui ne reste pas longtemps immaculée. Après ce premier volet qui voyait Los Angeles inondée par une remontée poissonneuse prête à en découdre, causée par une tornade (d’où le titre, contraction de « shark » – « requin » – et de « tornado » – « tornade »), la rumeur a fini par inonder à son tour les réseaux sociaux qui ont vite fait de Sharknado le film le plus commenté sur Twitter (5 000 tweets par minute lors du premier volet).Des célébrités rapidement croquésAlertés par la réputation croissante de l’affaire, les adultes ont regardé avec leurs enfants Sharknado 2 (cette fois-ci c’était au tour de New York d’être envahie par les squales, et ce jusque dans le métro…) : parmi les quelque 4 millions de téléspectateurs nord-américains, la tranche des 18-49 ans avait triplé en nombre… Et ceux-ci n’ont pas été déçus par la distribution : attirées par le culte voué à ce nanar aux effets spéciaux façon pétard mouillé, des « célébrités » du show-business ont accepté de se produire lors de brèves apparitions, le plus souvent interrompues avant le premier mot par l’implacable couperet d’une mâchoire.Dans le troisième épisode (qui transporte le téléspectateur à Washington), Sharknado continue d’étoffer sa distribution : en sus des deux vedettes récurrentes Ian Ziering (connu pour son rôle dans la série « Beverly Hills 90210 » et par ailleurs strip-teaseur à ses heures) et Tara Reid, on y verra jouer le père et la mère de ces deux derniers par David Hasselhoff et Bo Derek, deux familiers des bords marins qu’ils ont volontiers parcourus en tenue légère. Et, pour la bonne bouche, l’animateur Jerry Springer, la politicienne Michele Bachmann (sic !), deux présentateurs vedettes de l’émission matinale de NBC, Frankie Muniz (jeune héros de la série « Malcolm ») parmi une myriade de visages surtout connus du public nord-américain. Mais les Français reconnaîtront sans doute l’acteur Bruno Salomone…Sharknado 3 risque bien de prendre en ses filets un nombre de téléspectateurs sans précédent. Le succès paraît d’ailleurs tellement assuré qu’un Sharknado 4 est d’ores et déjà annoncé.Sharknado 3, d’Anthony C. Ferrante. Ian Ziering, David Hasselhoff, Tara Reid (EU., 2015, 90 min).Syfy, jeudi 23 juillet à 20 h 50. Adam Driver, charmeur de première classe Vous connaissez Adam Sackler parce que vous regardez « Girls » depuis quatre ans. Adam est le compagnon, intermittent, imprévisible, d’Hannah, l’héroïne qu’interprète la créatrice de la série, Lena Dunham. Les pouvoirs de séduction d’Adam – la géométrie brutale de son visage, la douceur de son regard, son corps d’athlète exposé à chaque occasion – se sont affirmés au fil des ans. Mercredi 22 juillet – quand vous irez voir While We’re Young –, vous ferez la connaissance de Jamie, qui habite lui aussi à Brooklyn, et déploie également un charme irrésistible, auquel succombent Josh et Cornelia Srebnick (joués par Ben Stiller et Naomi Watts), un couple de quadragénaires hypnotisés par la vitalité sensuelle de leur nouvel ami.Lire aussi : « While We’re Young » : Brooklyn comédie Assis tout droit sur une chaise dans le salon d’une suite d’un grand hôtel parisien, Adam Driver, interprète d’Adam Sackler et de Jamie, joue une autre carte, celle du garçon simple, franc et intelligent. En deux phrases, il explique que ces deux personnages n’ont rien à voir, même s’ils vivent dans le même borough new-yorkais, Brooklyn, Mecque des hipsters, Rome de la bohème bourgeoise : « Leurs caractères sont radicalement opposés. Jamie est plus ambitieux, fuyant et gracieux qu’Adam, qui est un instrument contondant et se jette contre les obstacles jusqu’à ce qu’il s’épuise et se tourne vers autre chose. Jamie est capable de mener plusieurs tâches à bien en même temps, et il se projette vers ce qu’il sera dans l’avenir, alors qu’Adam vit dans l’instant. »Avec Eastwood, les Coen, Spielberg et ScorseseCette sûreté d’expression et d’analyse n’est pas commune chez les acteurs. Mais le chemin qui a mené Adam Driver à la célébrité planétaire, au bord du statut de superstar (il a déjà tourné avec Eastwood, les Coen, Spielberg, Scorsese, à Noël on le verra dans Star Wars) n’est pas celui qu’ont emprunté ses contemporains. Avant d’être admis dans le département d’art dramatique de Juilliard, la prestigieuse école d’art new-yorkaise, il était le marine de deuxième classe Adam Driver, un garçon du Midwest qui, à 18 ans (il est né en 1983), s’était engagé au lendemain du 11 septembre 2001.Pendant presque trois ans, il a appris à se battre. Juste avant de partir pour l’Irak, le jeune homme s’est blessé en faisant du VTT, a été réformé, et s’est tourné vers la profession qu’il avait choisie, un soir en manœuvres : « On a tiré accidentellement des obus au phosphore sur nous, qui ont explosé au-dessus de nos têtes. Quand on est à l’armée, on apprend plus tôt que les autres jeunes que l’on n’est pas immortel. Je me suis dit qu’aussitôt que je quitterais l’armée, je me mettrais à fumer et je deviendrais un acteur. » Aujourd’hui encore, Adam Driver regrette d’avoir laissé ses camarades partir au combat sans lui. Il garde un souvenir amer de ce moment : « Quand je me suis blessé et que tous mes amis sont partis là-bas, j’avais du mal à justifier ma vie quotidienne quand je pensais à ce qu’ils faisaient. Je voudrais vraiment y être allé. Une fois qu’on est dans un groupe, les considérations politiques n’importent plus. »L’idée de devenir acteur n’avait pas surgi armée de pied en cap dans l’éclair d’un obus au phosphore. Tout au long de son enfance dans l’Indiana, Adam Driver avait noté « des signes qui m’indiquaient que c’était ça qui m’intéressait. Je ne les ai jamais pris ça au sérieux, comme un métier dont on pouvait vivre, jusqu’à ce que j’aie quitté l’armée ». Parmi ces présages, il y avait le catalogue de 2 500 films, enregistrés sur VHS, que son grand-père avait constitué à partir des versions expurgées que diffusaient les « networks » américains. Dans le désert culturel de l’Indiana ou « le vidéoclub était le seul lien avec le reste du monde », ce trésor a permis au jeune Adam de découvrir d’abord Bruce Willis et Piège de cristal, Mel Gibson et L’Arme fatale, avant de passer à Eastwood et Scorsese.Des tournées aux arméesVingt ans plus tard, il a joué pour l’un et l’autre. Pour son premier rôle au cinéma, il est apparu brièvement dans J. Edgar du premier. Il vient de terminer le tournage de Silence du second, à Taïwan. Il y joue un jeune jésuite qui fait face à la persécution des catholiques dans le Japon du XVIIe siècle. « Il y a trois ans, j’ai enregistré une audition pour Marty [diminutif de Martin Scorsese], raconte-t-il. Il a mis plus d’un an à la regarder. Ensuite, je l’ai rencontré chez lui, et voilà. »Tout est si simple pour Adam Driver. A peine sorti de Juilliard, il attire l’attention des critiques de théâtre new-yorkais en reprenant l’un des principaux rôles d’Angels in America, la pièce épique de Tony Kushner sur le sida. Presque immédiatement, Lena Dunham lui offre le rôle d’Adam Sackler et, dès les premiers épisodes, une succession de scènes amoureuses plus propres à susciter l’embarras que l’enthousiasme font de lui un sex-symbol d’un nouveau genre. Non que les fans confondent les deux Adam : « Personne ne m’a jamais embêté avec ça, assure l’acteur, c’est plutôt avec Lena que les gens ont envie de parler de sujets érotiques. »Ses camarades du corps des marines se moquent un peu de lui, quand ils se parlent au téléphone, de temps en temps. « Mais pas autant qu’au moment où j’étais à l’école d’art dramatique, et que je passais mes journées en pantalon de survêtement à la recherche de la vérité de mes sentiments. »Pour ne pas rompre tout à fait avec ce moment de sa vie, Adam Driver organise des tournées aux armées, d’un genre différent. « Nous jouons des monologues de dramaturges américains contemporains, Steven Adly Guirgis, John Patrick Shanley, David Mamet. Des textes qui n’ont pas forcément un lien avec l’armée. Ce sont des personnages de différents milieux, d’âges divers, que nous jouons devant des soldats. »Du côté obscur de la ForcePour financer son organisation, l’acteur compte désormais sur le soutien de la Force. Les producteurs de Star Wars (Disney, désormais) lui ont donné des éléments de décors ou de costumes qui sont vendus aux enchères pour produire les tournées. Une raison supplémentaire pour Adam Driver de se défendre d’être passé du côté obscur en acceptant de tourner dans Le Réveil de la Force, l’épisode VII de la saga entamée il y a bientôt quarante ans par George Lucas. Bien sûr, « le budget est énorme alors que d’habitude je travaille sur des films où on me dit des choses comme “tu peux ne pas écraser ta cigarette, parce qu’on en aura besoin pour le prochain plan”. Mais J. J. Abrams [le réalisateur] fait passer l’histoire et les personnages avant les effets spéciaux ».Cette défense un peu convenue d’un film autour duquel les producteurs entretiennent le mystère à coups de clauses de confidentialité, précède l’annonce du retour d’Adam Driver sur une scène new-yorkaise, « l’an prochain ». En attendant, il lui faut repartir à New York, terminer le tournage de la saison cinq de « Girls », parce que pour l’instant, Adam reste quand même Adam. Caroline Got, nouveau visage des programmes à France Télévisions A un mois de son entrée en fonction à France Télévisions, l’équipe de la nouvelle présidente, Delphine Ernotte, prend forme. Selon nos informations, la direction de la stratégie et des programmes doit être confiée à Caroline Got, actuelle directrice générale des chaînes TMC et NT1 (groupe TF1). Et, du côté de France 2, la première chaîne en audience du groupe public, c’est Vincent Meslet, actuel directeur éditorial d’Arte France, qui occupera la direction.Ces deux noms viennent compléter ceux de Dana Hastier, qui sera la directrice de France 3, et de Michel Field, qui prendra la tête de France 5. Tiphaine de Raguenel devrait conserver la direction de France 4 et Gilles Camouilly celle de France Ô. La direction de l’information reste à attribuer, selon nos informations.Forte de vingt ans d’expérience dans l’audiovisuel, Caroline Got a notamment travaillé chez TF1 Vidéo, TPS et France 3, à l’unité chargée des fictions étrangères. Mais c’est probablement sa dernière et longue expérience au sein des chaînes de la TNT, TMC et NT1, qui a justifié son recrutement.Elle y a expérimenté une logique de « bouquet », entre les chaînes du groupe TF1 (HD1, NT1, TF1 et TMC). Or la volonté de développer l’identité de chacune des chaînes de France Télévisions (France 2, France 3, France 4, France 5 et France Ô) et leur complémentarité figure parmi les objectifs de Mme Ernotte.Toutefois, le poste promis à Caroline Got n’est pas celui d’un « grand manitou » des programmes comme France Télévisions a pu en connaître par le passé. La nouvelle présidente affirme que les directions des chaînes auront un poids important.Cela concernera notamment Vincent Meslet, qui va donc arriver à France 2 après cinq années chez Arte France, marquées par une progression des audiences et une politique remarquée notamment en matière de fiction. Il dirigeait d’ailleurs la fiction de France Télévisons avant de rejoindre Arte. « Tirez sur le pianiste », polar désinvolte Un an après le triomphe à Cannes des Quatre Cents Coups, François Truffaut réalise avec Tirez sur le pianiste (1960) son film le plus libre et le plus malicieux. Très influencé par la Nouvelle Vague naissante, le jeune cinéaste veut mettre en scène un film léger et le tourner comme un reportage, à la façon d'A bout de souffle, de Jean-Luc Godard. Il s'entoure d'ailleurs de proches de Godard, comme le directeur de la photo, Raoul Coutard, ou le compositeur, Georges Delerue.Brillant, narquois et désinvolte, Tirez sur le pianiste doit se voir comme un pastiche de film de gangsters. Truffaut, grand admirateur du romancier américain David Goodis, s'appuie sur un de ses livres, Down There, publié en 1956. Il abandonne le côté sombre de cette histoire de concertiste de haut vol devenu pianiste de bastringue après le suicide de sa femme pour la tirer vers la fantaisie et le fantastique, avec une dimension poétique. « Tirez sur le pianiste, je crois que je l'ai fait pour une image. Dans le livre de Goodis, à la fin, il y a une petite maison dans la neige, des sapins et une route en pente : on dirait que la voiture glisse sur cette route sans que l'on entende le bruit du moteur. J'ai eu envie de réaliser cette image... », expliquera Truffaut par la suite.Un film sur les femmesLa musique occupe une place prépondérante, oscillant du jazz au classique, avec des détours réjouissants par la chanson, grâce à un Boby Lapointe iconoclaste et un Félix Leclerc plein d'élégance. Pourtant, le film parle essentiellement des femmes. Et filme leurs corps avec une sensualité rare, qu'il s'agisse des seins angéliques de Michèle Mercier ou des mains inquiètes de Marie Dubois.Les gangsters y disent du mal du sexe dit faible, ce qui inspira des dialogues à Scorsese et Tarantino. Quant à l'admirable Charlie, interprété par Charles Aznavour, tout autant timide qu'amusé, il exprime une sensibilité à fleur de peau et une lucidité mêlée de pitié. Hélas, ni son génie musical ni l'amour de plusieurs femmes ne parviendront à lui éviter un destin médiocre... Jouant à la fois sur le désir et l'interdit, Tirez sur le pianiste possède l'insouciance d'un baiser volé.La bande-annonce de « Tirez sur le pianiste »Découvrez la série « La musique à l'écran » sur www.lemonde.fr/boutique 3,3 millions de nouveaux abonnés pour Netflix au deuxième trimestre Netflix a attiré au deuxième trimestre 3,3 millions de nouveaux abonnés, a annoncé l’entreprise, mercredi 15 juillet. Par comparaison, le service de vidéo à la demande par abonnement n’en avait recruté que 1,7 million au cours de la même période en 2014 – une saison de printemps généralement moins dynamique pour le service, en raison du beau temps. Netflix a séduit 15,51 millions clients supplémentaires en un an.72 % des abonnés recrutés à l’internationalAu total, le service américain revendique 65,5 millions d’utilisateurs à la fin de juin. Le gros des nouveaux abonnés du deuxième trimestre (2,37 millions) est venu de l’étranger. Pour le service, l’expansion internationale se poursuit et représente un enjeu central. Netflix affiche toujours l’ambition d’être accessible dans le monde entier d’ici à la fin de 2016.Après l’Australie et la Nouvelle-Zélande à la fin de mars, il s’apprête à se lancer au Japon au troisième trimestre, puis en Espagne, en Italie et au Portugal au quatrième trimestre, et vise en 2016 la Chine où il dit continuer d’explorer ses options.Un bénéfice toujours très faibleCette expansion va gonfler ses coûts. Netflix fait malgré tout miroiter un résultat net à l’équilibre au niveau mondial en 2016, et des bénéfices à partir de 2017.En attendant, les investissements pèsent sur les résultats financiers, qui restent faibles : le chiffre d’affaires total, qui inclut toujours une petite activité historique de location de DVD, a, au deuxième trimestre, bondi de 23 % par rapport à l’année précédente, à 1,64 milliard de dollars. Le bénéfice net en revanche a plongé de 63 % à 26 millions de dollars.Toujours plus d’investissement dans les productions originalesL’autre front crucial pour l’entreprise est la production originale de séries et de films, proposée en exclusivité sur sa plate-forme. Cette activité génère également des coûts, environ 3 milliards de dollars par an. Par ailleurs, Netflix chiffre à 10,1 milliards de dollars ses obligations financières futures pour les contenus achetés.Au second trimestre, la troisième saison d’Orange Is the New Black a, selon le PDG, Reed Hastings, engendré le 14 juin un nouveau record de visionnage sur la plate-forme. Netflix a aussi mis en ligne une nouvelle production appelée Grace and Frankie, avec l’actrice Jane Fonda.L’entreprise a annoncé pour octobre le film Beasts of No Nation avec notamment l’acteur Idris Elba. Sa sortie est prévue sur Netflix et dans certains cinémas en octobre. Le groupe a aussi promis un film avec Brad Pitt, War Machine, pour l’année prochaine. La réalisatrice Laura Poitras porte plainte contre le gouvernement américain La cinéaste Laura Poitras, Oscar du meilleur documentaire pour Citizenfour sur Edward Snowden, qui a révélé l’étendue du système de surveillance américain, a assigné en justice le gouvernement américain après avoir, dit-elle, fait pendant des années l’objet d’interrogatoires aux frontières.La cinéaste, également Prix Pulitzer, demande au ministère de la justice et aux agences chargées de la sécurité aux frontières la publication de six ans de rapports consignant comment, à une cinquantaine de reprises, elle a été interrogée, fouillée ou a dû patienter pendant des heures lors de contrôles dans des aéroports, aux Etats-Unis et à l’étranger.« Menace contre la sécurité nationale »« Je porte plainte parce que le gouvernement utilise la frontière américaine pour contourner la loi », a indiqué la cinéaste à l’Electronic Frontier Foundation (EFF), qui milite pour les libertés sur Internet et représente Mme Poitras dans sa démarche effectuée lundi au nom de la loi FOIA sur la liberté d’accès aux informations personnelles.« Je le fais également en soutien à tous les autres moins connus qui subissent des harcèlements kafkaïens aux frontières. Nous avons le droit de savoir comment marche le système et pourquoi nous sommes pris pour cibles », a-t-elle ajouté. Lors de ces interrogatoires, la cinéaste s’est entendu dire par des agents qu’elle avait un casier judiciaire, ce qu’elle dément, ou que son nom était inscrit dans une base de données de suspects menaçant la sécurité nationale, ajoute l’EFF. Mercredi, c’est sortie : la sélection cinéma du « Monde » Pendant que les dinosaures et les cylindres jaunes se disputent la suprématie sur la planète cinématographique, le rythme estival des sorties s’installe, entre curiosités et attractions pour vacanciers. Dans la dernière catégorie, on signale la présence d’un super-héros (le décevant Ant-Man de Disney/Marvel) sur les écrans. Côté films rares, en cette semaine de crise européenne, les nouveautés s’éparpillent gracieusement sur tout le territoire de l’Europe, du Nord de la Russie à l’embouchure du Guadalquivir en passant par le Brandebourg.Rêve éveillé au soleil de minuit : « Les Nuits blanches du facteur », d’Andreï KontchalovskiLe metteur en scène russe a quitté son Moscou natal pour aller filmer les villageois des rives du lac Kenozero, près d’Arkhangelsk. Il en fait les personnages d’une fiction qui met aux prises un facteur naïf, une beauté provinciale qui aspire à retourner à la ville, un ivrogne au regard d’enfant. Dans la lumière étrange de ces nuits sans obscurité, cette chronique prend une dimension fantastique.Lire la critique : « Les Nuits blanches du facteur » : rêverie aux marches de l’empire russe Film russe d’Andreï Kontchalovski, avec Alexeï Triapitsyn, Irina Ermolova, Viktor Kolobov (1 h 41).Film de sabre à l’allemande : « Der Samurai », de Till KleinertCe premier film plonge un jeune policier d’une bourgade du Brandebourg dans une horreur nocturne hantée par un mystérieux homme de blanc vêtu, armé d’un sabre japonais. Entre parabole un peu trop littérale sur le désir homosexuel et délire plastique, le réalisateur Till Kleinert trouve la voie d’un guerrier de cinéma, qui prend systématiquement à contre-pied les attentes du spectateur.Film allemand de Till Kleinert avec Michel Diercks, Pit Bukowski, Uwe Preuss, Kaja Blachnik (1 h 19).Guerre civile froide en Andalousie : « La isla mínima », d’Alberto RodriguezDans les années qui suivent la mort de Francisco Franco, deux policiers doivent enquêter sur la disparition de jeunes filles dans la région de l’embouchure du Guadalquivir. L’un reste franquiste, l’autre ne l’a jamais été, et l’intrigue tortueuse sert de révélateur aux blessures mal refermées de tout un pays.Film espagnol d’Alberto Rodriguez, avec Raúl Arévalo, Juan Javier Gutiérrez (1 h 44).Splendeur viscontienne de la misère urbaine : « Rocco et ses frères », de Luchino Visconti Magnifiquement restauré par la Cinémathèque de Bologne, le chef-d’œuvre de Luchino Visconti, réalisé en 1960, a gardé toute sa puissance. Certes l’exode rural qui en est ressort n’est plus qu’un souvenir, mais c’est plus encore une lamentation sur la fin de la tragédie dont les rituels s’effacent face à l’industrialisation, à la dissolution de la famille. Alain Delon et Annie Girardot éblouissent dans cette succession de paroxysmes.Film italien de Luchino Visconti (1960), avec Alain Delon, Annie Girardot, Renato Salvatori, Claudia Cardinale, Max Cartier (2 h 57).Une rareté maritime à la Cinémathèque : « The Deep » (copie de travail), d’Orson WellesUn couple qui espère retrouver la passion au cours d’une croisière recueille un mystérieux inconnu. Vous avez reconnu Calme blanc, de Phillip Noyce, avec Nicole Kidman ? Faux, c’est The Deep, l’un des films inachevés d’Orson Welles, adapté de la même nouvelle de Charles Williams. Dans le cadre de la rétrospective Welles que propose la Cinémathèque, on peut en découvrir une copie de travail (non sonorisée), filmée avec des moyens dérisoires à la fin des années 1960, au large de la côte dalmate. Enfin, dérisoires… Le générique du film, s’il en avait eu un, aurait réuni Orson Welles, Jeanne Moreau et Laurence Harvey.Film américain inachevé d’Orson Welles (1967), (2 heures). Samedi 18 juillet, 21 h 30, salle Henri Langlois, Cinémathèque, 51 rue de Bercy, Paris 12e. http://www.cinematheque.fr Compte rendu « Much loved » et ses prostituées devant la justice marocaine Par Ruth Grosrichard Much Loved Crédits : La tradition musulmane veut que, durant le mois béni de ramadan, une trêve – hudna – soit observée entre belligérants. Sauf quand l’islam, aux yeux de ses adeptes, apparaît menacé. Et cette année, aux yeux de l’association marocaine dite de « défense du citoyen », la menace est un film, Much Loved, du cinéaste Nabil Ayouch, qui raconte avec une certaine crudité la vie de quatre prostituées de Marrakech. L’association a donc intenté un procès au réalisateur et à l’une de ses comédiennes, Loubna Abidar, pour « pornographie, attentat à la pudeur et incitation de mineurs à la débauche ».La première audience doit avoir lieu ce 15 juillet à 13 heures, au tribunal de première instance de Marrakech.En mai, suite à sa présentation à Cannes, des extraits du film piratés et publiés sur YouTube avaient provoqué au Maroc un déferlement de condamnations haineuses et de fatwas appelant au meurtre, au nom des valeurs sacrées du royaume. Résultat : le film y a été interdit.Crispations sociales à répétitionNi Nabil Ayouch ni Loubna Abidar ne seront présents à l’audience. « Nous n’avons pas été notifiés de la plainte et n’avons pas reçu de convocation à comparaître », fait savoir le réalisateur. Selon plusieurs sources proches du dossier, le procès a toutes les chances d’être ajourné jusqu’en septembre.Cette action en justice s’inscrit dans un contexte de crispations sociales à répétition. En juin, deux jeunes femmes ont été arrêtées à Agadir pour avoir porté une robe « provocante ». Leur procès vient de conclure à un non-lieu pour vice de forme. Le 22 mai, trois Marocains ont été condamnés à trois ans de prison ferme pour homosexualité. Le 30 juin, une foule déchaînée a lynché un jeune travesti à Fès. Le 7 juillet, cinq jeunes ont été arrêtés à Marrakech, coupables d’avoir rompu le jeûne du ramadan en buvant un jus d’orange par une chaleur de 48 °C.Les associations des droits de l’homme au Maroc se mobilisent contre ce qu’elles estiment être des « atteintes inquiétantes aux libertés individuelles ». Quant aux islamistes actuellement au gouvernement, ils font de la défense des « valeurs morales et religieuses » leur cheval de bataille. A quel prix ? ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* Derrière Promouvoir, qui a fait interdire « Love » aux moins de 18 ans, un homme, André Bonnet Deux patronymes, un seul homme. Le 31 juillet 2015, l’association Promouvoir obtient du tribunal administratif de Paris l’interdiction de Love, le film de Gaspar Noé, aux moins de 18 ans. Derrière ce groupe se cache Patrice André. Ou s’agit-il d’André Bonnet ? Sous l’un ou l’autre nom, c’est bien le même individu, énergique sexagénaire, qui apparaît dans des vidéos, interviewé dans un journal télévisé ou filmé lors d’interventions publiques, où il exprime sa philosophie et celle de l’association dont il est le cofondateur et l’avocat.On le voit ainsi, sur une archive de TVLibertés datant du 30 mai, où il est présenté comme « Me André Bonnet », s’inquiéter que les enfants soient « les premières victimes des films contenant des scènes pornographiques ». On le retrouve lors d’une conférence filmée le 16 mai 2013, cette fois sous le nom de Patrice André, « juriste et essayiste », ironiser sur « la théorie du genre » et accusant le gouvernement de « vouloir subvertir toute idée de différenciation entre les sexes ».Quelques jours plus tôt, il intervenait sous son autre identité à un meeting organisé par les sympathisants de La Manif pour tous, aux côtés de Frigide Barjot, pour dénoncer le mariage homosexuel. Un danger comparable, selon lui, « à la montée du nazisme et du marxisme-léninisme ».« Je suis atterré, triste, et en même temps je trouve drôle que l’on laisse ce monsieur de Carpentras, qui finalement ne représente que lui, dicter sa loi, fulmine, au téléphone, Vincent Maraval, cofondateur de la société Wild Bunch, producteur et distributeur de Love, où, ironie de l’histoire, il incarne un commissaire de police. André Bonnet ferait un bon personnage dans un film de Mocky ou une comédie italienne. Le problème, c’est que son petit numéro marche ! »C’est en 2000 que le nom d’André Bonnet commence à apparaître dans les médias. Il est conseiller à la cour administrative d’appel de Lyon et responsable de l’association Promouvoir, qui vient alors de saisir le Conseil d’Etat pour faire interdire aux moins de 18 ans le film de Virginie Despentes et de Coralie Trinh Thi, Baise-moi. Le magistrat, diplômé de philosophie et de Sciences Po Paris, a fondé cette association à Carpentras (Vaucluse) en 1996. Son but : défendre « les valeurs judéo-chrétiennes dans tous les domaines de la société (…) et faire obstacle à l’inceste, au viol, à l’homosexualité », comme l’expliquait à l’époque la page d’accueil de son site Internet, désormais inactif.Lire le portrait : Virginie Despentes, la fureur dans le sexe « Des réalisateurs sans scrupule »L’association réunirait, selon M. Bonnet, qui reste très vague lorsqu’on lui demande des précisions, « quelques centaines de membres ». Son premier combat vise la Fnac d’Avignon, attaquée pour diffusion de bandes dessinées jugées « pornographiques ». Au cinéma, l’association a obtenu la reclassification de Ken Park, de Larry Clark, en 2002, de Nymphomaniac, de Lars von Trier, en 2013, et, il y a quelques mois, de Saw 3D, film d’horreur sorti en 2010, tous désormais interdits aux mineurs.Lire aussi : L’interdiction de « Saw 3D » aux mineurs laisse craindre un durcissement de la censure En Provence-Alpes-Côte d’azur, André Bonnet n’est pas un inconnu. Ancien villiériste, il a été responsable du Mouvement national républicain (MNR, ex-parti de Bruno Mégret) dans le Vaucluse. Président de la sixième chambre du tribunal administratif de Marseille, le magistrat en démissionne en 2013 « par objection de conscience » et pour « pouvoir parler librement ». Il choisit de s’orienter vers la profession d’avocat fiscaliste et devient le conseil et le porte-parole de Promouvoir. Il a précisé au Monde, par e-mail, « avoir abandonné depuis quinze ans toute activité politique » et « n’aspirer à aucune autopromotion » en médiatisant son combat. « Avocat d’extrême droiture », selon son expression, il est également le conseil d’Action pour la dignité humaine, qui s’était mobilisée, en 2009, au côté de Promouvoir, pour la reclassification d’Antichrist, de Lars von Trier.Dans une longue interview donnée au magazine Première et publiée le 9 juillet, l’avocat explique pourquoi il a décidé de partir en croisade contre « des réalisateurs sans scrupule qui veulent réintroduire la pornographie dans les circuits de diffusion grand public ». Allez vous étonner, après « d’entendre tant de jeunes qui ne croient pas à l’amour avec un grand A et que leur taux de suicide soit en augmentation constante ! », assène-t-il dans un entretien donné au site AlloCiné, le 5 août. Conception large de la « protection de la jeunesse »Selon M. Bonnet, la commission de classification du Centre national de la cinématographie et de l’image animée (CNC), où se retrouve nommé « n’importe qui, sans aucun critère », ne fait pas son travail de manière rigoureuse. Ce père de huit enfants croit détenir les clés de l’équilibre psychique des adolescents : « Il faut connaître les plus jeunes, les aimer et avoir gardé suffisamment de fraîcheur soi-même pour anticiper ce qui peut leur faire du mal, sans tomber dans le puritanisme ni la naïveté », affirme-t-il.« Sur la pornographie comme sur le mariage gay, Promouvoir a le mérite d’agiter le chiffon rouge », estime Atanase Périfan, élu Les Républicains au Conseil de Paris, qui fut, lui aussi, très actif contre le mariage pour tous. « Les mœurs se détendent, le CNC est débordé… Tirer la sonnette d’alarme, notamment pour alerter les parents, me paraît utile. »Déléguée de l’Observatoire de la liberté de la création, Agnès Tricoire s’alarme, au contraire, que l’association obtienne de plus en plus gain de cause, sentiment partagé par une grande partie du milieu du cinéma. De fait, les déclarations d’André Bonnet révèlent une conception très large de la notion de « protection de la jeunesse ». Dans son entretien à Première, il pointe ainsi du doigt le film Pirates des Caraïbes et ses personnages de morts-vivants susceptibles de perturber les petits, avant de s’en prendre aux grosses bestioles de Jurassic World.Lire la critique : Recours de Fleur Pellerin devant le Conseil d’Etat contre l’interdiction de « Love » aux moins de 18 ans Le ministère de la culture va introduire un recours devant le Conseil d’Etat pour contester la décision du tribunal administratif de Paris d’interdire aux moins de 18 ans le film Love, de Gaspar Noé, a indiqué, jeudi 6 août, le ministère. « Nos avocats travaillent sur les arguments juridiques à présenter au Conseil d’Etat. L’objectif est la levée de l’interdiction du film aux mineurs », a indiqué à l’AFP l’entourage de Fleur Pellerin.Le tribunal administratif de Paris avait jugé le 31 juillet que le film Love devait être interdit aux moins de 18 ans en raison de ses scènes de sexe non simulées. Le juge des référés qui, raconte Rue89, a visionné Love le 29 juillet au Centre national du cinéma (CNC) avant de décider la suspension de son visa d’exploitation décrit dans son ordonnance ce qu’il a éprouvé en le regardant. « L’œuvre débute ainsi par une scène de masturbation réciproque des amants qui s’achève par l’éjaculation de l’homme au niveau du visage de sa compagne ; un grand nombre de scènes à caractère sexuel viennent ensuite rythmer le déroulement de l’intrigue (…). Les attributs génitaux du protagoniste masculin sont clairement visibles dans la plupart de ces scènes à l’état flaccide mais aussi en érection ; tel est en particulier le cas à l’occasion d’un gros plan d’une dizaine de secondes centré sur un sexe masculin en érection qui finit par éjaculer face à la caméra, donnant ainsi au spectateur équipé de lunettes “3D” l’impression qu’il est atteint par le sperme. » Sylvie Kerviel « Farinelli », baroque star ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* Hong Sang-soo Léopard d’or à Locarno Le Léopard d’or, récompense suprême du festival de Locarno, en Suisse, dont la 68e édition était organisée du 12 au 15 août, a été attribué à Jigeumeun matgo geuttaeneun teullida (Raison aujourd’hui, tort hier), du cinéaste coréen Hong Sang-soo. L’interprète masculin du film, Jung Jae-Young, a été également distingué par le jury qui comptait parmi ses membres les réalisateurs Jerry Schatzberg et Nadav Lapid.Le prix d’interprétation féminine a été collectivement attribué aux interprètes du très long métrage (cinq heures) japonais Happy Hour de Ryusuke Hamaguchi. Cosmos, le premier film d’Andrzej Zulawski depuis quinze ans, a remporté le prix de la réalisation pendant que Tikkun, de l’Israélien Avishai Shivan, se voyait attribuer le prix spécial du jury. Dans la section Cinéastes du présent, Tithi, de l’Indien Raam Reddy, a reçu le grand prix ainsi que le prix du premier film.Lire aussi : A Locarno, grosses machines et œuvres « radicales » ************************************************************* ************************************************************* N.W.A, des bas-fonds de Compton au sommet de Hollywood N.W.A est de retour, mais cette fois sur les écrans…. Et son succès ne se dément pas. En témoigne le succès du biopic consacré au groupe emblématique de gangsta rap. A peine sorti en salles, Straight Outta Compton caracole en tête du box-office aux Etats-Unis, détrônant le dernier volet de la série Mission impossible pourtant présent dans 1 000 salles supplémentaires. En trois jours, le film, qui raconte la naissance à la fin des années 1980 de la formation originaire de Compton, dans la banlieue sud de Los Angeles, a rapporté 60,2 millions de dollars (soit plus de 54 millions d’euros), bien plus que les estimations les plus optimistes.« Un message social pertinent »Pour Jeff Bock, analyste à Exhibitor Relations spécialisé dans les données liées à l’exploitation des longs-métrages, le succès de Straight Outta Compton s’explique notamment par sa cible : la jeunesse noire. « Il n’y a eu aucun film de studio cet été visant un public afro-américain », détaille-t-il à l’Agence France-Presse. Or, au-delà de sa dimension musicale indéniable, l’histoire de N.W.A met en exergue la violence sociale subie au quotidien par tout un pan de la population des Etats-Unis. Comme le résume Paul Dergarabedian, de la société de mesures d’audiences audiovisuelles Rentrack : « C’est un film très divertissant mais qui comporte aussi un message social pertinent. » Le biopic sort en effet un an après la mort de Michael Brown, un adolescent de 18 ans non armé tué l’an dernier à Ferguson, dans le Missouri, par un policier blanc. Sa mort avait donné lieu à une vague d’émeutes dans cette région marquée par de fortes tensions raciales. Depuis, plusieurs drames similaires se sont produits à travers le pays, ravivant la défiance des Noirs envers les forces de l’ordre, généralement blanches. C’est aussi à la mi-août, il y a cinquante ans cette fois, que les premiers soulèvements du ghetto de Watts, à Los Angeles, dénonçant, là encore, les violences policières, ont débuté. N.W.A est notamment connu pour ses prises de position contre la discrimination dont sont l’objet les populations afro-américaines défavorisées. En témoigne leur chanson au titre explicite « Fuck Tha Police » (1988).Pour la critique cinéma du Los Angeles Times, Amy Nicholson :Ce film aurait pu sortir n’importe quand (…). Si l’on vient voir ce film aujourd’hui parce qu’une génération après que N.W.A a crié « Fuck tha Police », plusieurs quartiers à travers les Etats-Unis – à Ferguson, Cleveland, Staten Island, McKinney, Texas et Baltimore – ont toujours envie de l’écouter. (…) Les mots d’Ice Cube [membre de N.W.A] contre les flics « qui pensent qu’ils ont l’autorité de tuer une minorité » trouvent un écho.« Nos raps sont des documentaires », plaidait Ice Cube en 1989.D’un garage de LA à la reconnaissance mondiale N.W.A (pour « Niggaz Wit Attitudes ») a fait entendre la « bande-son brutale de la rue ». « Un bruit que certains ne voulaient pas écouter », estime Rebecca Laurence de la BBC, qui lui a valu le surnom de « groupe le plus dangereux du monde ». Mais il est aussi pourvoyeur d’espoir : une bande de jeunes d’une vingtaine d’années passés d’un garage d’un des quartiers les plus difficiles de la Cité des anges au rang de stars internationales. Ice Cube est aujourd’hui producteur et musicien reconnu, à l’instar de Dr Dre, qui a vendu à Apple sa société de casques et équipements musicaux Beats. Tous deux sont à la tête de fortunes qui se chiffrent en centaines de millions d’euros, et jouissent d’une très forte popularité. DJ Yella s’est, quant à lui, reconverti pendant un temps dans l’industrie de la pornographie.Mais la success story a aussi ses côtés sombres. Eazy-E, membre fondateur de N.W.A, est mort du sida en 1995. Il avait 31 ans. Autre personnage clé des premiers pas du groupe, le producteur Suge Knight est actuellement incarcéré et risque la prison à perpétuité pour avoir tué un homme en le renversant en voiture. Un accident survenu à la fin de janvier lors d’une altercation en marge du tournage de Straight Outta Compton.Si le film a pour ambition de montrer les débuts de ces « légendes ordinaires », plusieurs éléments ont été lissés, voir évincés, déplore le Los Angeles Times qui liste les neuf « vérités » que le specteur ne retrouvera pas dans le film : « La véritable histoire ne sera connue qu’une fois tous les membres du groupe morts et enterrés. » Et si, d’après Amy Nicholson, le réalisateur F. Gary Gray ne saisit pas complétement le « potentiel politique » du film, il a au moins le mérite d’avoir bousculé (un peu) les diktats des block-busters américains en mettant sous les projecteurs des acteurs noirs et inconnus du grand public.Une étude récente de l’université de Californie du Sud montrait que près des trois quarts des personnages qui avaient au moins une ligne de texte ou étaient nommés dans les cent films ayant eu le plus de succès en 2014 étaient blancs. L’épopée de Straight Outta Compton pourrait ainsi encourager les studios à opter pour plus de diversité. ************************************************************* Le biopic sort en effet un an après la mort de Michael Brown, un adolescent de 18 ans non armé tué à Ferguson, dans le Missouri, par un policier blanc. Sa mort avait donné lieu à une vague d’émeutes dans cette région marquée par de fortes tensions raciales. Depuis, plusieurs drames similaires se sont produits à travers le pays, ravivant la défiance des Noirs envers les forces de l’ordre, généralement blanches. C’est aussi à la mi-août, il y a cinquante ans cette fois, que les premiers soulèvements du ghetto de Watts, à Los Angeles, dénonçant, là encore, les violences policières, ont débuté. N.W.A est notamment connu pour ses prises de position contre la discrimination dont sont l’objet les populations afro-américaines défavorisées. En témoigne leur chanson au titre explicite « Fuck Tha Police » (1988).Pour la critique cinéma du Los Angeles Times, Amy Nicholson :Ce film aurait pu sortir n’importe quand (…). Si l’on vient voir ce film aujourd’hui parce qu’une génération après que N.W.A a crié « Fuck tha Police », plusieurs quartiers à travers les Etats-Unis – à Ferguson, Cleveland, Staten Island, McKinney, Texas et Baltimore – ont toujours envie de l’écouter. (…) Les mots d’Ice Cube [membre de N.W.A] contre les flics « qui pensent qu’ils ont l’autorité de tuer une minorité » trouvent un écho.« Nos raps sont des documentaires », plaidait Ice Cube en 1989.D’un garage de LA à la reconnaissance mondiale N.W.A (pour « Niggaz Wit Attitudes ») a fait entendre la « bande-son brutale de la rue ». « Un bruit que certains ne voulaient pas écouter », estime Rebecca Laurence de la BBC, qui lui a valu le surnom de « groupe le plus dangereux du monde ». Mais il est aussi pourvoyeur d’espoir : une bande de jeunes d’une vingtaine d’années passés d’un garage d’un des quartiers les plus difficiles de la Cité des anges au rang de stars internationales. Ice Cube est aujourd’hui producteur et musicien reconnu, à l’instar de Dr Dre, qui a vendu à Apple sa société de casques et équipements musicaux Beats. Tous deux sont à la tête de fortunes qui se chiffrent en centaines de millions d’euros, et jouissent d’une très forte popularité. DJ Yella s’est, quant à lui, reconverti pendant un temps dans l’industrie de la pornographie.Mais la success story a aussi ses côtés sombres. Eazy-E, membre fondateur de N.W.A, est mort du sida en 1995. Il avait 31 ans. Autre personnage clé des premiers pas du groupe, le producteur Suge Knight est actuellement incarcéré et risque la prison à perpétuité pour avoir tué un homme en le renversant en voiture. Un accident survenu à la fin de janvier lors d’une altercation en marge du tournage de Straight Outta Compton.Si le film a pour ambition de montrer les débuts de ces « légendes ordinaires », plusieurs éléments ont été lissés, voir évincés, déplore le Los Angeles Times qui liste les neuf « vérités » que le spectateur ne retrouvera pas dans le film : « La véritable histoire ne sera connue qu’une fois tous les membres du groupe morts et enterrés. » Et si, d’après Amy Nicholson, le réalisateur F. Gary Gray ne saisit pas complétement le « potentiel politique » du film, il a au moins le mérite d’avoir bousculé (un peu) les diktats des block-busters américains en mettant sous les projecteurs des acteurs noirs et inconnus du grand public.Une étude récente de l’université de Californie du Sud montrait que près des trois quarts des personnages qui avaient au moins une ligne de texte ou étaient nommés dans les cent films ayant eu le plus de succès en 2014 étaient blancs. L’épopée de Straight Outta Compton pourrait ainsi encourager les studios à opter pour plus de diversité. ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* Dernières pépites documentaires de Lussas La nuit est encore plus belle à Lussas (Ardèche), sur les écrans et lors des projections à la belle étoile… Alors que la 27e édition des Etats généraux du film documentaire, organisée du 16 au 22 août, se termine, citons deux pépites nocturnes, choc esthétique et émotionnel de cette manifestation non-compétitive : tout d’abord La Nuit et l’enfant de David Yon, tourné en Algérie sans autorisation, donc à la lumière des ombres de la notte ; ensuite J’avancerai vers toi avec les yeux d’un sourd, de Laetitia Carton, découvert en plein air à 22 heures, commenté jusqu’à point d’heure aux terrasses de café, avec un public qui n’était pas tout à fait le même que d’habitude : il y avait quelques personnes sourdes, et une autre, autiste, qui a lancé des cris déchirants dans le ciel étoilé, à des moments forts du film. Ces deux documentaires, très différents, dans leur forme et leur propos, ont en commun d’être une histoire d’amitié. La Nuit et l’enfant, sélectionné au Festival de Berlin, était projeté, vendredi 21 août, dans le cadre d’un atelier passionnant sur la fable documentaire. Ou comment fabrique-t-on des œuvres à la lisière de la fiction et du réel – dans l’esprit des 1001 nuits de Miguel Gomes, à l’affiche de Lussas également. Né en 1979, David Yon se rend régulièrement à Djelfa, en Algérie, depuis 2006, pour voir ses amis. Ils lui avaient déjà inspiré un précédent film, Les Oiseaux d’Arabie (2009). La Nuit et l’enfant est une traversée, dont chaque plan est un tableau en clair-obscur, qui n’est pas sans rappeler le cinéma de Tariq Teguia. Nul besoin de faire le récit, il faut se laisser emmener par les fragments, les sensations que procurent ces images en forme de peurs enfouies, ou de rêves toujours présents. Le jeune homme Lamine peut avoir peur, il n’est pas seul : l’enfant, Aness, qui n’a pas connu les traumatismes de la guerre, a l’énergie pour le soutenir…Documentaire, fiction ? Après la séance, David Yon, pesant chaque mot, et aussi lunaire que réfléchi, raconte le tournage très particulier. Il connaît tellement bien ses acteurs qu’il leur a laissé dire ce qu’ils voulaient devant la caméra. Quand ses amis parlent arabe, il ne les comprend pas. « Cela a créé d’heureux malentendus », sourit le réalisateur. Et comme il connaît bien leurs gestes, leurs attitudes, il leur a demandé de s’exprimer avec leur corps. Ainsi, Aness adore fouetter les arbustes piquants… Il y a de la peinture là-dedans, du découpage, du rythme, et beaucoup de signes. On croit sans peine David Yon, par ailleurs animateur de la revue Dérives, lorsqu’il explique qu’il est particulièrement attentif à l’image, et au cadrage.Certaines scènes sont tournées avec un appareil photo et une lampe de poche… « C’est en voyant les rushes, qu’un autre ami algérien m’a traduits, que le récit a pu se construire. Lamine et Aness nous sont apparus comme les deux acteurs qui tenaient le film. Entre autres, ils parlent de leur enfance, ou de celle qu’ils n’ont pas eue… On a tressé une histoire entre eux », raconte-t-il, le plus simplement du monde. Donner une telle prise au hasard pourrait laisser perplexe, mais David Yon sait tellement quel genre de cinéma il veut produire que ce lâcher-prise est surtout le signe qu’un cinéaste passionnant est en train de nous arriver.Avec « J’avancerai vers toi avec les yeux d’un sourd », Laetitia Carton, a fait exploser un cri de joie à Lussas, en faisant découvrir aux festivaliers le pays des sourds. Au point que l’équipe du festival s’est dit prête à examiner la possibilité d’une résidence d’écriture avec des réalisateurs sourds, dès 2016. Car il y en a, mais qui le sait ? Les sourds se mobilisent aussi, ne sont pas dans la plainte. Sur place, durant le festival, ils n’ont pas hésité à rencontrer l’équipe qui est en train de monter la plateforme de documentaires de création sur abonnement. Il faut sous-titrer les films, et on vous donne les contacts pour trouver l’argent… J’avancerai vers toi avec les yeux d’un sourd est le récit de quinze ans de militance et de complicité avec des amis sourds, en forme de lettre envoyée à un ami sourd qui s’est donné la mort. La cinéaste n’emploie jamais le mot « malentendant », synonyme de handicap. « Les personnes sourdes ne sont pas des handicapées. Ils sont comme nous, ils ont leur vie, et surtout ils ont cette langue des signes dans laquelle ils se sentent bien. Le problème, c’est qu’ils sont invisibles aux yeux de la société qui les néglige. Il est là, le scandale », résume-t-elle. Laetitia Carton a réussi à transformer la colère qu’elle avait emmagasinée en un film poétique, subversif et « réjouissif » : cela donne même envie d’inventer un mot, puisqu’il est question de langage… Le spectateur suit le parcours de différents groupes : une famille, parents sourds et enfants sourds, qui, après des galères, finit par découvrir une oasis, l’école de Ramonville, toute proche de Toulouse, dotée du personnel nécessaire et compétent pour accueillir des élèves sourds, ou pas d’ailleurs.Il y a aussi ces marcheurs du silence qui parcourent des centaines de kilomètres dans l’espoir que les médias – aie, aie, aie… – finiront bien un jour par s’intéresser à eux. Le film dénonce ceux qui, dans le corps médical, estiment qu’il faut appareiller les sourds, afin qu’ils entendent comme les gens normaux. Mais c’est qui, les gens normaux, interroge le film ? La langue des signes apparaît comme une chorégraphie, un langage du corps. La jeune cinéaste l’a apprise, et signe à l’écran pour tendre une passerelle entre les deux mondes. Le verbe « signer » a pris un autre sens pour beaucoup de spectateurs. La scène finale, en présence de la chanteuse Camille, atteint des sommets de grâce chorale. Disons juste qu’elle nous donne envie d’un dernier jeu de mot : « I am signing in the rain ! »… Clarisse Fabre (Lussas, Ardèche) ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* En Arabie saoudite, la première femme qui... Film sur Cine+ Club à 20 h 45 Haifaa Al-Mansour signe avec « Wadjda » le premier long-métrage saoudien. Un pays où tout est à déchifrer.Que peut-on attendre d’un film surgi du désert ? Cent neuf ans après le premier long-métrage de l’histoire du cinéma (The Story ofThe Kelly Gang, réalisé en Australie), en 1906, Wadjda arrive d’un pays, l’Arabie saoudite, qui n’avait jamais produit de film, pas plus qu’on ne les y regarde.Que pouvait-on attendre en fait de ce premier film ? Une expérience brute ? Une vision distancée, produite par un exilé ? Une œuvre de propagande à la gloire du régime ? Wadjda n’est rien de cela. C’est une comédie teintée d’amertume, qui raconte le choc entre une petite fille rebelle, sur le point de devenir femme, et un ordre établi qui n’a pas prévu d’autre place pour elle que celle d’épouse et mère.Ironie rageuseOn découvre Wadjda (Waad Mohammed) à l’école dans un groupe de fillettes vêtues de longues robes noires, la tête découverte. Elles sont chaussées de souliers vernis, sauf Wadjda, qui est en baskets. Elle se heurte une première fois à l’institutrice. Sur le chemin entre l’école et la maison, son regard est attiré par une bicyclette, dont l’usage est interdit aux filles. Les efforts désespérés de la fillette pour en faire l’acquisition sont mis en scène avec un humour dans lequel on peut sans doute discerner une ironie rageuse.Pour réunir l’argent nécessaire à l’achat du vélo, Wadjda décide ainsi de participer à un concours de récitation et de commentaire du Coran, qu’elle prépare avec un sérieux déconcertant.On découvre la vie quotidienne de la mère de l’enfant (Reem Abdullah), qui affronte tant bien que mal l’annonce du second mariage de son époux. On voit aussi, en arrière-plan, une campagne électorale locale, la vie quotidienne des boutiquiers, des employés de la capitale saoudienne.Wadjda montre l’intimité du foyer, le mélange entre les vestiges d’une vie dont on ne veut pas s’avouer qu’elle a disparu à jamais et la normalité moderne (télévision, consommation…). Et si l’existence même du film, sa réussite et le plaisir qu’il procure sont un sujet d’optimisme, Haifaa Al-Mansour mène son récit jusqu’au bout. Sa conclusion rappelle que l’optimisme est pour l’instant réservé aux observateurs, interdit aux femmes ou aux petites filles qui n’ont pas d’autre perspective que de passer le reste de leur existence dans ce royaume qui produit quelque 10 millions de barils de pétrole par jour et un film par siècle.Wadjda, de Haifaa Al-Mansour. Avec Reem Abdullah, Waad Mohammed, Ahd (Arabie saoudite, 2013, 100 min). Mercredi 26 août, à 20 h 45, sur Cine+ Club. ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* Le ciné-club de Bergman Documentaire à la demande sur OCS GoOCS Go et Vimeo.com donnent à voir deux versions de « Trespassing Bergman », passionnant et singulier hommage au cinéaste suédois.Le grand cinéaste suédois Ingmar Bergman (1918-2007) possédait, dans sa salle de télévision, une collection de 1 711 cassettes VHS, méticuleusement classées par ordre alphabétique, quel qu’en fût le genre. La maison, moderne et austère, légèrement fantomatique mais magnifique, où cet ermite a passé les dernières quarante années de sa vie, sur l’île de Faro, en pleine mer baltique, est conservée en l’état.Six cinéastes ont été invités à la visiter par Jane Magnusson et Hynek Pallas, dans le cadre d’un passionnant documentaire en six parties, « Trespassing Bergman » (2013), que diffuse Orange sur son site de visionnage à la demande OCS Go : Tomas Alfredson, Alejandro Gonzalez Iñarritu, Daniel Espinosa, Claire Denis, Michael Haneke et John Landis.Le principe est invariable : au moins un des films du réalisateur choisi doit faire partie de la collection de Bergman – en particulier quand celui-ci est agrémenté d’une note, de une à cinq étoiles. C’est le cas de La Pianiste (2001), de Michael Haneke, qui récolte quatre macarons – quand Boulevard du crépuscule (1950), de Billy Wilder, atteint le maximum.Cinéphilie gourmandeLe réalisateur suédois regardait tout : des Blues Brothers (1980), de John Landis, à Thirteen (2003), de Catherine Hardwicke, d’Alien (1979), de Ridley Scott, aux films de Woody Allen (avec qui Bergman s’entretenait fréquemment au téléphone), en passant par Emmanuelle (1974), de Just Jaeckin, la comédie musicale ou les films d’horreur des studios Hammer.Chaque numéro est agrémenté d’entretiens avec d’autres cinéastes et acteurs au générique des films de la collection de Bergman. Le tout est passionnant, de par la cinéphilie gourmande et l’émotion que suscite chez presque tous l’évocation de celui qui fut l’un des génies du septième art.On ne s’étonnera pas de propos violemment irrévérencieux de la part de Lars von Trier qui termine son entretien en disant « Fuck Bergman ! », mais ajoute : « Il n’a répondu à aucune de mes lettres, mais je l’adorais. » Claire Denis se sent presque mal et doit quitter l’intérieur de la maison du maître pour poursuivre l’entretien au soleil, devant les pins et la mer. Tomas Alfredson dit deux ou trois choses un peu « limite » mais on sent que son humour pinçant est un garde-fou à l’émotion.John Landis, affectueusement rigolard, ne cesse de relever les incongruités de cette demeure. Mais à la fin de l’entretien de ce sixième numéro – qui est peut-être le plus beau de tous, parce que consacré au cinéaste a priori le plus éloigné de l’univers de Bergman (qui adorait The Blues Brothers) –, il ne parvient pas à retenir ses larmes.Il faut signaler qu’un documentaire homonyme de près de deux heures a été réalisé en 2015 à partir du matériau tourné pour ces six épisodes. Les curieux auront intérêt à le consulter sur le site Vimeo.com : non seulement il ne suit pas la même dramaturgie que celle des six numéros séparés (qui ont chacun un thème : la comédie, la mort, la peur, etc.), mais il donne à voir d’autres extraits d’entretiens et informe davantage sur le cinéaste et son œuvre.« Trespassing Bergman », de Jane Magnusson et Hynek Pallas (Suède, 2013, 6 x 43 min). OCS Go à la demande. Version de 1 h4 7 sur Vimeo.com. Location : 4,52 € (visionnage pendant 48 heures). ************************************************************* Les dégâts liés au feu se sont concentrés sur le multiplexe Pathé, en particulier dans le hall et dans deux salles de projection. Le reste des dégradations est surtout dû à l’eau déversée pour éteindre l’incendie. Un audit du site est en cours pour dresser un bilan complet. « C’est à l’intérieur de notre travée qu’est parti l’incendie – la Cité des sciences n’a pas été endommagée, explique Maurice Bansay. Mais seule l’enquête pourra permettre de déterminer avec précision les causes du sinistre. »La création du complexe installé dans une aile non exploitée de la Cité des sciences a coûté 110 millions d’euros. Les travaux de construction, qui avaient commencé il y a plus de deux ans, étaient presque terminés. ************************************************************* ************************************************************* Bachir Ben Barka : « La colère m’habite depuis cinquante ans » Bachir Ben Barka, 64 ans, maître de conférences en mathématiques appliquées à l’IUT de Belfort-Montbéliard, était présent au Festival des 3 continents de Nantes, samedi 28 novembre, pour participer à une table ronde sur la Conférence tricontinentale, qui s’est tenue en janvier 1966 à La Havane. Il y était invité, en tant que cofondateur de l’Institut Mehdi Ben Barka, parce que son père avait été l’un des principaux organisateurs de cette conférence.Lire aussi : Cinéma et politique : ils se sont tant aimés Leader de l’opposition marocaine, exilé de son pays où sa vie était sérieusement menacée par la justice et les services secrets du roi Hassan II, figure tiers-mondiste ciblée par les services secrets occidentaux, Mehdi Ben Barka n’a jamais assisté à cette conférence. Enlevé à Paris le 29 octobre 1965, où il avait été piégé au prétexte d’un film sur le colonialisme auquel il devait participer comme conseiller historique, il a été très probablement assassiné dans les jours qui ont suivi.Cinquante ans plus tard, nonobstant deux procès, son corps n’a toujours pas été retrouvé, les coupables toujours pas arrêtés, les responsabilités toujours pas établies. La raison d’Etat s’y est opposée, tant au Maroc qu’en France, deux Etats dont il y a lieu de penser qu’ils sont directement impliqués dans cette basse œuvre politique qui a attenté au plus impératif des devoirs humains : la possibilité pour une famille d’entrer en possession du corps de son défunt.Bachir Ben Barka, qui avait 19 ans à l’époque des faits, est un homme pondéré qui a appris à vivre avec sa peine et sa colère, mais qui relance aujourd’hui les activités, interrompues depuis les années 1970, d’un Comité de vérité, notamment rejoint par le magistrat Louis Joinet, l’avocat Guy Aurenche, l’homme politique Pierre Joxe, l’historien Gilles Manceron, le philosophe Régis Debray, l’actrice Josiane Balasko, le cinéaste Serge Le Péron.Vous venez de faire renaître le « Comité pour la vérité dans l’enlèvement et la disparition de Mehdi Ben Barka ». Pourquoi aujourd’hui ?Parce que cinquante ans, ça suffit. Le comité avait suspendu ses activités dans les années 1970, dans l’espoir que justice puisse être faite. Elle ne l’a jamais été. La famille de Mehdi Ben Barka, sa veuve, ses fils et ses filles, ses neveux ont estimé qu’il était temps de passer à une action plus large que la procédure judiciaire, plus médiatisée, plus directement adressée aux gouvernements.Après cinquante ans d’enterrement de l’affaire, avez-vous encore espoir que justice puisse être faite ?Nous estimons justement que cinquante ans sont un délai suffisant pour que la raison d’Etat cesse de nous être opposée. Les éléments d’information existent. Au Maroc, où des témoins et des acteurs directs de cet assassinat sont encore en vie et refusent de parler. Aux Etats-Unis, où les dossiers de la CIA sur l’affaire sont volumineux. En France enfin, où le secret défense a toujours empêché la divulgation des documents permettant d’analyser le degré d’implication de l’Etat et des services secrets. De Gaulle, à l’époque, avait parlé de responsabilités « vulgaires et subalternes » dans les services secrets. Nous avons tout lieu de croire qu’elles ne l’étaient pas tant que cela. On savait en plus haut lieu ce qui se passait, à la fois en amont et en aval de l’affaire.Le piège qui attire votre père à Paris est soi-disant la préparation d’un documentaire sur la décolonisation qui pourra être projeté à la Conférence tricontinentale, votre père étant sollicité comme conseiller historique…Oui. L’idée venait des services secrets marocains. Un agent répondant au pseudonyme de Chtouki a convaincu le journaliste Philippe Bernier, qui était un ami de mon père et qui a toujours protesté de sa bonne foi par la suite, de lui suggérer de participer à ce film. Un ancien malfrat, Georges Figon, qui a ses entrées dans le monde artistique, participe lui en pleine conscience à ce traquenard, en se présentant comme coproducteur et en entraînant dans l’histoire le réalisateur Georges Franju et la romancière Marguerite Duras.Le plan est machiavélique et témoigne indirectement de l’importance que prend le cinéma à l’époque dans le combat politique. Votre père ne s’est-il pas méfié de ce producteur inconnu ?Mon père était à cette époque très impliqué dans la préparation de la Conférence tricontinentale. C’était sa priorité. Il avait donc énormément de travail, et l’opportunité de pouvoir y présenter un documentaire sur le colonialisme, dont l’idée et les collaborateurs lui étaient présentés par un ami, l’a beaucoup séduit. Il était très averti du rôle que jouait alors le cinéma comme vecteur de mobilisation. Il a donc pris la proposition très au sérieux et n’a pas fait preuve de sa prudence habituelle. Il est venu à Paris car il tenait beaucoup à rencontrer Georges Franju, et il a amené à ce rendez-vous Thami El Azemmouri, un étudiant en histoire avec qui il collaborait sur ce projet. Azemmouri était donc présent lorsque mon père s’est fait interpeller en allant rejoindre Bernier, Franju et Figon pour déjeuner au drugstore Saint-Germain. Azemmouri a été le grain de sable. Sans lui, on n’aurait probablement rien su de cette affaire.Votre père était-il cinéphile ?Non, pas particulièrement. Mais nous allions au cinéma en famille. J’ai encore le souvenir du dernier film que nous avons vu ensemble, à Alexandrie où nous habitions : c’était My Fair Lady, de George Cukor.Comment l’orphelin que vous êtes vit-il depuis cinquante ans non seulement l’assassinat de son père, mais encore le déni de justice qui l’accompagne ? La colère vous habite-t-elle ?Oui, la colère m’habite depuis cinquante ans. Mais nous avons tous deux vies dans la famille. Une vie consacrée à notre père, et une vie que je qualifierais de normale. Il ne faut pas concéder aux bourreaux la perte de cette vie normale.Comment avez-vous ressenti, eu égard à l’histoire de votre famille, les attentats qui ont récemment frappé Paris ?Comme tout citoyen d’abord, avec horreur. Ensuite, on peut effectivement être tenté de les resituer dans une histoire longue. Regardez le sort qui est advenu aux principaux acteurs de la conférence tricontinentale. Beaucoup d’entre eux, qui étaient des catalyseurs, des hommes qui pouvaient faire basculer le monde vers un équilibre plus juste, ont été assassinés au nom d’un système qui a causé les principaux dégâts dont nous pâtissons aujourd’hui. Ces hommes constituaient une alternative viable et démocratique aux dictatures qu’on a mis en place ou qui ont perduré après leur mort dans le tiers-monde. Ces mêmes dictatures ont éradiqué toute opposition structurée. La nature ayant horreur du vide, c’est aujourd’hui l’intégrisme qui tire les marrons du feu, en manipulant notamment des jeunes gens déclassés. A cet égard, on ne peut pas être vraiment surpris de ce qui se passe aujourd’hui. Ce drame devrait nous inciter à reconsidérer la manière dont on a accueilli ces populations immigrées, dont l’accès à la citoyenneté et à l’égalité a été trop souvent barré. Il faut regarder notre histoire.Reproduction de la lettre adressée par Mehdi Ben Barka au cinéaste Georges Franju, peu avant son assassinat : Les non-dits de Woody Documentaire sur Arte à 22 h 25Woody Allen, le cinéaste new-yorkais tant aimé des Français – un peu moins de ses compatriotes américains qui ont attendu Minuit à Paris (2011) pour aller voir en masse son travail –, revient, pour le documentaire que lui a consacré Robert B. Weide en 2011, sur ses années de formation, ses débuts d’auteur de blagues et de sketches pour les autres puis de comique de stand-up (« comedian ») dans les petites salles de Manhattan. Un article d’Arthur Gelb, dans le New York Times du 21 novembre 1962, le propulse de l’anonymat à la célébrité : le voici bientôt à la télévision, participant régulier à des talk shows fameux animés par Johnny Carson et Dick Cavett.Un producteur est amené par l’actrice Shirley McLaine là où Allen se produit, et le voici transporté dans le milieu du cinéma, comme scénariste de Quoi de neuf, Pussycat ? (1965), de Clive Donner, où il joue de surcroît. Mais son scénario est considérablement modifié : dès lors, Woody Allen deviendra réalisateur afin d’avoir le contrôle entier sur son travail.Entre veine « bergmanienne » et comiqueRepéré et adoré comme auteur de films au ton burlesque, de Prends l’oseille et tire-toi (1969) à Guerre et amour (1975), Allen casse l’habitude trop ancrée de ses admirateurs en réalisant des comédies mélancoliques (Annie Hall, 1977), voire dramatiques (Intérieurs, 1978). Dès lors, l’œuvre du cinéaste balancera entre veine « bergmanienne » (September, 1987) ou comique (Coups de feu sur Broadway, 1994). Très souvent aussi, elle mêlera habilement les deux, comme dans le récent Blue Jasmine (2013). Mais Allen dit regretter avoir voulu un contrepoint léger au thème dramatique de Maris et femmes (1992) et n’avoir pas osé en faire un vrai film noir…Le documentaire filme le cinéaste sur les lieux de son enfance – son école, ou le cinéma majestueux de son quartier, devenu une clinique. Cependant, on n’apprend pas grand chose qu’on ne sache déjà et Allen se réfugie comme presque toujours derrière une pudeur qui le fait botter en touche ou faire de bons mots, asssez hilarants il est vrai. Dès le début du film, tourné dans sa chambre à coucher où il travaille depuis des lustres sur la même vieille machine à écrire, il raconte à son interlocuteur : « Écrire, c’est la belle vie. On se lève, on travaille dans sa chambre. Et bien sûr, dans sa chambre, tout ce qu’on invente est génial. On a l’impression d’écrire Citizen Kane. » Plus tard, quand un journaliste lui demande, lors d’une des rares conférences de presse auxquelles il ait accepté de participer, quel est son rapport avec la mort – une thématique qui hante sa filmographie –, Allen répond-t-il : « Je suis farouchement contre. » Questionné sur sa peut-être trop prolifique production – au rythme systématique d’un film annuel –, Allen rétorque qu’à rêver du chef-d’œuvre on finit par ne rien produire tandis que « dans le tas, peut-être que… » Le documentaire évoque le « trou » d’inventivité qui marque sa production entre Maudite Aphrodite (1995) et Melinda et Melinda (2005). Mais à ce sujet non plus, Woody Allen ne dit mot, laissant au spectateur la liberté de trier et d’aimer ce qu’il veut dans ce corpus où même les opus mineurs sont le plus souvent réjouissants et se laissent volontiers voir et revoir.Woody Allen : a documentary, documentaire de Robert B. Weide (États-Unis, 2011, 1h47mn, VF/VOSTF). Lundi 30 novembre, à 22 h 25, sur Arte. La justice polonaise refuse d’extrader Polanski aux Etats-Unis L’extradition du cinéaste polono-français Roman Polanski aux Etats-Unis, où il est accusé du viol d’une mineure en 1977, a été définitivement refusée par la justice polonaise, a annoncé, vendredi 27 novembre, le parquet de Cracovie, qui a renoncé à son droit de faire appel de la décision du tribunal favorable au réalisateur.L’analyse des motivations de la décision des juges « permet de reconnaître comme justifiée la décision du tribunal régional de Cracovie de refuser la remise de Roman Polanski aux autorités américaines », selon le parquet. « Ceci met un terme aux procédures judiciaires contre M. Polanski », a déclaré Me Jerzy Stachowicz, un des avocats du cinéaste.Le tribunal de Cracovie avait refusé le 30 octobre l’extradition aux Etats-Unis du cinéaste qui était réclamée par la droite polonaise conservatrice, tout juste victorieuse aux élections législatives. Le parquet polonais qui représentait la requête américaine pouvait toutefois aller devant la cour d’appel.En janvier, les Etats-Unis avaient adressé à la Pologne une demande d’extradition de Roman Polanski, 82 ans, après une apparition publique à Varsovie du réalisateur du Bal des vampires et de Rosemary’s Baby.En 1977, en Californie, Roman Polanski, alors âgé de 43 ans, avait été poursuivi pour avoir violé Samantha Geimer, 13 ans. Après quarante-deux jours de prison, puis sa libération sous caution, le cinéaste, qui avait plaidé coupable de « rapports sexuels illégaux » avec une mineure, s’était enfui des Etats-Unis avant la lecture du verdict, craignant d’être lourdement condamné. « 21 nuits avec Pattie » : spectre, bals et nécrophilie Olivier Clairouin Le nouveau film d’Arnaud et Jean-Marie Larrieu mélange enquête policière, dialogues grivois et fragrances fantastiques. Ils y racontent l’histoire de Caroline, Parisienne venue enterrer sa mère dans un village du sud de la France et qui, alors qu’elle fait la connaissance de Pattie – une femme à la sexualité libérée et plutôt prolixe en la matière –, découvre que le corps de la défunte a disparu. Avec cette trame aux frontières de l’étrange, les frères Larrieu explorent avec justesse les multiples facettes du désir, démontant la mécanique des fantasmes. L’avis des critiques du Monde, Mathieu Macheret et Jacques Mandelbaum. Lire aussi : - la critique : « 21 nuits avec Pattie », à corps et à cru - l’entretien avec les frères Larrieu : « A partir des mots, chacun peut se créer ses propres images » - l’analyse : Sur les écrans, une star est née, la femme de 40 ans, sexy et sexuelle Mathieu Macheret « Out 1 » film-fleuve sublime aux échos infinis Quarante-cinq ans après sa création, le film mythique de Jacques Rivette sort enfin en salles dans sa version longue, d’une durée de près de 13 heures. Bloquez votre week-end comme si vous deviez quitter la ville. Oubliez tout, c’est le moment. Et plongez dans la folie Out 1. Emboîtez le pas aux happy few qui ont découvert au Havre, les 9 et 10 octobre 1971, ce film fleuve – 12 h 40 à l’époque, réparties en huit épisodes –, sur une copie de travail, quand Jacques Rivette venait de finir de le monter. Et à ceux qui les ont suivis en 1989, au Festival de Rotterdam, où on l’a vu pour la première fois ressortir des limbes (dans une version incomplète, contestée par l’auteur), puis à partir de 1990, quand la postproduction fut finalement achevée, lors des projections exceptionnelles qu’en firent, sous le titre Out 1 : Noli me tangere (« Ne me touche pas » en latin), la Cinémathèque française, le Centre Pompidou, le Museum of the Moving Image de New York… Axelle Ropert, cinéaste française « Le plaisir d’être dans un film infini, qui ne s’arrête jamais » « J’ai vu le film en 1997 à la Cinémathèque, où il était projeté en deux fois. Out 1 est associé pour moi aux films de Feuillade, qui étaient aussi projetés en deux fois. J’en garde un souvenir ébloui, le souvenir du plaisir à être dans un film infini, qui ne s’arrête jamais. Rivette a été un cinéaste très important pour moi quand j’étais adolescente, mais je m’en suis un peu éloignée en vieillissant. Si je repense à Out 1, c’est pour le rapport aux acteurs français et à la fiction. L’amour de la fiction s’est un peu perdu dans le cinéma d’auteur français, où domine d’un côté une tendance à l’abstraction, de l’autre un naturalisme hystérique, inspiré de Pialat ou de Cassavetes. L’art du récit, les chausse-trappes, ça n’intéresse plus personne… Dans Out 1, la fiction se construit dans le rapport aux acteurs, ex-nihilo. Cet amour pour les acteurs français, absolu, cette capacité à accueillir des acteurs qui viennent de territoires très différents, même de manière un peu béate, c’est merveilleux. L’idée que faire un film ce soit un coup de dé et un acteur, c’est merveilleux. Quelque chose qui n’est plus du tout possible aujourd’hui en termes de production ». Pour que son film puisse bénéficier d’une sortie commerciale, Rivette en avait monté une version « courte », Out 1 : Spectre, de 4 h 15, qui fut distribuée en 1973. Grâce au travail de Carlotta et des laboratoires Technicolor qui, sous la supervision de Pierre-William Glenn, le chef opérateur du film, en ont assuré une superbe restauration, Out 1 : Noli me tangere peut enfin connaître le même destin. Il sort aujourd’hui en salles dans la plupart des grandes villes françaises, en même temps que paraît un superbe coffret DVD rassemblant les deux versions du film, un documentaire (de Robert Fischer et Wilfried Reichart) sur son histoire, et un riche livret qui le complète avantageusement. Aussi précieux soit cet objet, comme fut longtemps précieuse la VHS du film, c’est sur grand écran qu’il faut découvrir Out 1. Expérience limite photo : Manfred Werner Tsui Nobuhiro Suwa, cinéaste japonais « Jean-Pierre Léaud crée, comme un couteau, une fente dans la réalité et une nouvelle relation entre la fiction et le monde » « Out 1 a longtemps été un film légendaire. La rumeur disait que seuls quelques dizaines de personnes l’avaient vu dans sa version originale. Je n’imaginais pas avoir l’occasion de le voir un jour. Du coup, lorsque je suis tombé sur un jeu de K7 vidéo du film dans un magasin de vidéo de Saint Michel, j’ai sauté dessus avec exaltation. Ça fait déjà un moment. Enfin je n’ai pratiquement rien compris du film sans sous-titres. Il m’a laissé plein d’énigmes. Pourtant je me souviens que le film m’a enveloppé dans une expérience étrange. J’y ai trouvé une poésie cinématographique, liée au jeu de Jean-Pierre Léaud, qui crée, comme un couteau, une fente dans la réalité et une nouvelle relation entre la fiction et le monde. Dans l’université où j’enseigne, nous invitons M. Pierre-William Glenn [le chef opérateur du film, ndlr]. À cette occasion, nous replongerons dans l’étude d’Out 1 ». Comme tous les films qui travaillent à ce point la durée, l’antre obscur de la salle de cinéma, l’expérience collective qu’elle propose, conditionnent l’opération de suspension du temps sans laquelle le contrat de fiction ne peut fonctionner à plein. Expérience limite pour l’auteur, pour les techniciens, pour les acteurs, Out 1 en est aussi une pour le spectateur. C’est un film qui se vit autant qu’il se voit, un shoot de cette liberté inouïe, venue d’un temps englouti par l’histoire, où l’imagination était encore appelée au pouvoir. Voir Out 1, c’est tomber dans le trou du lapin d’Alice au pays des merveilles après avoir gobé les bonbons magiques de Céline et Julie (les héroïnes du film suivant de Jacques Rivette, Céline et Julie vont en bateau, 1974). C’est basculer dans un monde parallèle où tout est possible, mais rien n’est incohérent. Un monde qui ranime, dans un 16 mm splendide, le Paris de 1970, transformé pour l’occasion en un jeu de piste aussi grand que la vie, où s’ébroue une ribambelle de personnages fabuleux, sérieux et drôles comme des enfants, libres et inventifs comme des artistes d’avant-garde. « Liberté jamais égalée » Alex Ross Perry, cinéaste américain « Le film est drôle et totalement libre » « J’ai vu le film deux fois, au Museum of moving image de New York, en 2006, dans le cadre d’une rétrospective Jacques Rivette, et en 2007. C’était colossal. Très puissant. Ces deux jours de projection m’ont rapproché de gens qui occupent aujourd’hui encore une place très importante dans ma vie, à commencer par mon chef opérateur Sean Price Williams. Dans le contexte de la rétrospective Rivette, le film m’a donné l’impression de rassembler tout ce qu’il y avait dans ses autres films. Comme une bible dont auraient essaimé tout le reste de son œuvre. Le film est drôle et totalement libre, tout en restant très informel. Les 13 heures n’ont rien d’une épreuve, au contraire ! Lorsqu’il a présenté L’amour fou, la semaine précédant la projection d’Out 1, Jonathan Rosenbaum a comparé les films de Rivette, et plus spécifiquement Out 1 et L’amour fou, à Thomas Pynchon. Je n’avais jamais lu Pynchon et j’ai immédiatement acheté Gravity’s Rainbow. Ce livre m’a incité à quitter mon travail et à devenir cinéaste ». Avec ce film, Rivette voulait porter au plus loin l’expérimentation commencée avec L’Amour fou (1967), son film précédent. Jeter au feu toutes les règles de narration, de production. Faire un film entièrement improvisé, y compris par les techniciens, s’en remettre au hasard, à l’imprévu. Lancer quelques idées aux acteurs, des points de départ, à charge pour eux de les développer comme bon leur semble. Trouver – avec le concours de Suzanne Schiffman, scénariste créditée ici comme coréalisatrice, et de Jean-François Stévenin, son assistant metteur en scène – les cheminements secrets qui permettront à leurs personnages de se rencontrer pour écrire leur histoire, troquer le statut de maître de marionnettes pour celui d’alchimiste aiguilleur. S’opposer, avec ce titre, « Out », à l’injonction, dominante à l’époque, d’être « in », revendiquer au contraire le fait d’être « à part ». Out 1 est né de questions qui animaient les critiques des Cahiers du cinéma à l’époque – sur la narration, sur la durée, et plus spécifiquement sur le travail de Jean Rouch qui fabriquait, avec les moyens du cinéma direct, de la fiction pure. Rivette voulait faire un serial, à la manière des Vampires de Louis Feuillade. Il y avait aussi en tête L’Histoire des Treize, de Balzac – aucun des acteurs ne l’aurait lu. Et puis, dans un coin, la poésie absurde de La Chasse au Snark, de Lewis Carroll. Mais la liberté « jamais égalée », dont tous, acteurs comme techniciens, se souviennent avec exaltation, innerve leur présence d’une vibration magique, que Juliet Berto, dans un rôle de pie voleuse facétieuse, charnelle, androgyne, enfantine, lutine, porte à un point d’incandescence stupéfiant. Son personnage, et celui de Jean-Pierre Léaud, un sourd-muet gagnant sa vie en distribuant des « messages du destin » qui torture les mauvais payeurs à grands coups de salves d’harmonica, découvrent par hasard l’existence d’une société secrète dormante, laquelle, sous leur influence, ravive ses réseaux. Mark Goldblatt, monteur et réalisateur américain « Out 1 n’a jamais cessé de me hanter » « Je n’ai vu que 6 heures du film, lors d’une projection à Vancouver, en 2006 ou 2007, que présentait le critique Jonathan Rosenbaum. La projection s’étalait sur plusieurs soirées, et comme j’étais en train de monter un film, je n’ai pu assister à toutes. Dommage pour moi. Ce que j’en ai vu était véritablement magique. Et même dans cette forme tronquée, c’est pour moi un des plus grands Rivette. Le film n’a jamais cessé de me hanter depuis. J’ai précommandé le Blu-Ray. Je suis impatient de le voir dans son intégralité ». La bande des quatre L’intrigue met longtemps à se révéler, le premier épisode faisant en quelque sorte office de sas – la dégringolade dans le trou du lapin. Construit autour de longues séquences arides, restituant des sessions de travail de deux troupes de théâtre influencées par les expérimentations du Living Theatre, ou de Peter Brook, il conditionne les spectateurs pour la suite en les plongeant dans une forme de transe – au risque de décourager les moins motivés. Selon le principe énoncé par un exquis homme d’affaires interprété par Jacques Doniol-Valcroze – « C’est le soupçon qui crée le délit » –, la fiction prend le dessus dès l’épisode suivant, à mesure que s’imbriquent intrigues amoureuses, filatures, disparitions mystérieuses, vols spectaculaires, scandales obscurs, traques dans Paris, et même un assassinat. Serge Bozon, cinéaste français « Un film infiniment riche, très concret à regarder » « J’ai vu Out 1 à la Cinémathèque, il y a plus de vingt ans. De tous les films de Rivette, c’est un de ceux qui sont allé le plus loin. Un de ceux que je préfère. La mise en scène atteint dans ce film un point de nudité absolu. C’est un film qui repose sur une seule idée, tellement simple, tellement abstraite, qu’elle provoque une multitude de vies concrètes, des milliers de trucs à voir, chez les acteurs, dans les décors, qui rendent le film infiniment riche, très concret à regarder. C’est lié à l’idée de pauvreté, qui était très importante pour lui. Ça renvoie à cette définition de la mise en scène, qu’il donnait dans un texte sur Preminger : “Ce lien entre quelque chose d’extérieur et de très secret, qu’un geste imprévu dévoile sans expliquer”. Il pousse à sa limite cette idée de Renoir, selon laquelle un film c’est plein de choses – un scénario, des décors, des acteurs, le temps qui fait – alors que la logique industrielle fait que c’est toujours le scénario qui prime. Comment trouver une méthode de travail où le scénario soit à égalité avec le reste ? Rivette enlève tout background aussi bien social, que moral. Il ne reste plus rien que cette ligne où le péril et le jeu se retrouvent. On ne peut pas être influencé par une telle radicalité, c’est tellement soustractif ! Ou alors on est condamné à faire du “radical moins”. Rivette m’a influencé à une époque, mais dans un mauvais sens. C’était l’idée de la béance, du trou, du truc qui ne se résout pas… Le côté complot, rituel, société secrète. Il y a cela dans mon premier film, L’Amitié. L’idée que fiction égal récit égal secret égal complot. Mais c’est fini aujourd’hui. Rivette est un cinéaste de l’adolescence – ou de la post-adolescence. Son cinéma a quelque chose de livresque, un fanstastique un peu éthéré, qui plaît beaucoup aux adolescents. Parce que lorsqu’on est adolescent, on fantasme sur des choses qu’on n’a pas vécues… » Bouillonnant de vitalité, et d’une forme d’optimisme propre à l’époque, Out 1 (qu’on a longtemps prononcé « Out One », mais qu’il faut désormais, conformément aux directives de Rivette, appeler « Out Un ») annonce en même temps, déjà, l’échec des utopies. C’est un film de deuil, un film de l’après-68, déjà gueule de bois. Un film porteur d’une profonde nostalgie pour la Nouvelle Vague, pour la bande des quatre que formaient, à son origine, Godard, Truffaut, Chabrol et Rivette, et le compagnonnage avec Eric Rohmer (qui joue dans le film, génialement, un grand spécialiste de Balzac). Mais un vent nouveau y souffle, qui apparaît, a posteriori, comme la matrice de tout un pan du cinéma français des années 1970, à commencer par celui de Jean Eustache. Alors qu’un trio amoureux avec Bernadette Laffont, et Jean-Pierre Léaud en embuscade, annonce celui de La Maman et la Putain, les racines d’Une sale histoire se dévoilent à travers la personnalité de Michael Lonsdale, le petit rôle de pornographe que joue Pierre Cottrell, futur producteur d’Eustache, et plus généralement le motif du dédoublement qui sous-tend l’ensemble du film. Robert Cantarella, metteur en scène de théâtre « Les jeunes de 19-20 ans s’y sont totalement reconnus » « J’ai vu l’intégralité d’Out 1 il y a 5 ou 6 ans. Pour ma génération, c’est un film mythique. Rivette est un des rares cinéastes à s’être passionné pour le théâtre, et moi je suis passionné de cinéma. Je voyais là un trait d’union. Je l’ai vu sur internet, dans une version dégueulasse, mais ça a été un choc. Je me suis dit qu’il fallait absolument que je le montre à tous mes étudiants. C’est comme un relevé de la représentation de l’époque. Le théâtre d’avant-garde, avec Michèle Moretti on a le Living Theatre, le théâtre de la communauté… Avec Lonsdale, c’est Brook, le théâtre africain et le théâtre asiatique, qui comptaient beaucoup à l’époque. Out 1 permet de voir comment ces formes de jeu ont vieilli – on n’a plus accès à cela que par les livres sinon ! Il y a aussi dans le film un jeu plus à l’ancienne, style Actors Studio, et puis le jeu amateur, d’Eric Rohmer par exemple. Et il y a Jean-Pierre Léaud, ce jeu très moderne, « de troisième catégorie » comme le désignait Deleuze, qui exige du spectateur qu’il travaille. Avec les étudiants de l’ENSAD de Montpellier, et Stéphane Bouquet qui a écrit une pièce inspirée du film, on prépare un spectacle autour d’Out 1. On a refait le film, en quelque sorte, avec des jeunes de 19-20 ans d’aujourd’hui, qui s’y sont totalement reconnus. La pièce va intégrer des images qu’on a filmées de ce travail, des extraits du film, et d’autres pièces du répertoire classique, de Corneille notamment… La pièce va s’appeler Monstres. Elle sera présentée au prochain Printemps des comédiens, puis au théâtre d’Aubervilliers. Il est aussi prévu qu’on la joue au Havre, où Marcel Bozonnet (qui a joué dans Out 1, ndlr), viendra la présenter ». A la faveur des témoignages – de Stéphane Tchalgadjieff, le producteur, de Pierre-William Glenn, le chef opérateur, de Bulle Ogier, Michael Lonsdale, Jean-François Stévenin et bien d’autres – et des riches archives que rassemble le coffret DVD, la mémoire de ce film spectral remonte à la surface. Mais elle reste nimbée d’un halo de brume, trouée à tous les endroits. Le puzzle est incomplet, empreint d’un vaste mystère. Comme si le trip avait été trop violent. Comme si les secrets devaient rester intacts. Peut-être moins par jalousie, que par respect pour l’auteur, ce grand absent, trop affaibli aujourd’hui pour accompagner la renaissance de son œuvre. « Philomena », la bataille d’une vieille dame tranquille et d’un journaliste Film sur Ciné + Club à 21 h 55Il aura fallu bien du temps à Philomena (Judi Dench) pour montrer sa grande blessure : devenue vieille dame, elle raconte un soir à sa fille l’histoire qu’elle a cachée à tous. Dans les années 1950, après une nuit sous les étoiles irlandaises avec un garçon au joli sourire, elle est tombée enceinte. Placée dans une institution tenue par des religieuses, elle a vu Anthony naître, grandir, et un beau jour… partir. Adopté par des étrangers et emmené vers une destination que l’on n’a jamais voulu lui révéler.Alors que tout espoir de retrouver Anthony semble perdu, Philomena croise le chemin de Martin Sixsmith (Steve Coogan), un journaliste qui, devinant la matière d’un article à succès, accepte de reprendre l’enquête avec elle…Un modèle d’équilibre, de finesseIdéalement incarné par les deux acteurs principaux, ce tandem donne son souffle au film, et sa saveur particulière. A aucun moment, le pathos n’y aura droit de cité. C’est dans un bar à salades populaire que Philomena, tout en remplissant avec délectation son bol, raconte pour la première fois son histoire à un Martin à demi convaincu, et en l’assaisonnant de commentaires satisfaits sur les qualités gustatives du repas. Lui qui a connu les hautes sphères du monde politique, le raffinement ampoulé des belles manières, est d’abord réticent à se laisser désarçonner par l’expérience unique à laquelle cette petite vieille dame si tranquille l’invite.Bien pensé, bien construit, très bien écrit, le scénario de Steve Coogan et de Jeff Pope est un modèle d’équilibre et de finesse, qui s’apprécie tout particulièrement dans son traitement des enjeux pourtant polémiques de l’histoire. Au-delà de la question des mots, ce sont les regards qui s’opposent. Etrangère à toute forme d’acharnement revanchard, Philomena conserve, à mesure que les découvertes se succèdent, une sérénité que Martin est incapable de comprendre. Il voudrait s’approprier le drame, faire dire à la Philomena transformée ces paroles de rancune et de jugement qui ne lui viennent jamais aux lèvres. Mais lentement, sans jamais faire autre chose que demeurer elle-même, avec toute sa finesse cachée et la force extraordinaire de sa tolérance, Philomena ouvre les yeux du journaliste à sa version de l’histoire, celle dont il voulait la priver et à laquelle elle a droit.Arpentés par deux acteurs extraordinaires, les chemins qui se croisent, de la jeunesse à la vieillesse, de la politique à l’intime et de la rancune au pardon, prennent une beauté saisissante.Philomena, de Stephen Frears. Avec Judi Dench et Steve Coogan (GB, 2014, 100 min). Mercredi 18 novembre, à 21 h 55, sur Ciné + Club Pour oublier les heures noires, invitez-vous dans le monde merveilleux d’Out 1 : Noli me tangere de Jacques Rivette – treize heures de folie fictionnelle qui vous emporteront hors du monde. Plus court et plus simple, les frasques outrancières de la fabuleuse Amy, la nouvelle héroïne de Judd Apatow, feront aussi office d’antidépresseur.Dans le trou du lapin d’Alice : « Out 1 : Noli me tangere », de Jacques RivetteBloquez votre week-end comme si vous deviez quitter la ville. Oubliez tout, c’est le moment. Et plongez dans la folie Out 1. La version intégrale du chef-d’œuvre de Jacques Rivette, 12 h 55 pas moins, sort en salles pour la première fois, et en DVD et Blu-Ray. Voir ce film, c’est dégringoler dans le trou du lapin d’Alice au pays des merveilles, basculer dans un monde parallèle où tout est possible, mais rien n’est incohérent. Un monde qui ranime, dans un 16 mm splendide, le Paris de 1970, transformé pour l’occasion en un jeu de piste aussi grand que la vie, où s’ébroue une ribambelle de personnages fabuleux, sérieux et drôles comme des enfants, libres et inventifs comme des artistes d’avant-garde.Avec Out 1, Rivette voulait porter au plus loin l’expérimentation commencée avec L’Amour fou (1967), son film précédent. Jeter au feu toutes les règles de narration, de production. Faire un film entièrement improvisé, y compris par les techniciens, s’en remettre au hasard, à l’imprévu. Lancer quelques idées aux acteurs, des points de départ, à charge pour eux de les développer comme bon leur semble. Trouver les cheminements secrets qui permettront à leurs personnages de se rencontrer pour écrire leur histoire, troquer le statut de maître de marionnettes pour celui d’alchimiste aiguilleur. S’opposer à l’injonction, dominante à l’époque, d’être « in », revendiquer au contraire le fait d’être « à part ». Isabelle RegnierFilm français de Jacques Rivette. Avec Jean-Pierre Léaud, Michèle Moretti, Bulle Ogier, Bernadette Lafont, Françoise Fabian, Juliet Berto (12 h 55).Sex and the city : « Crazy Amy », de Judd ApatowCette nouvelle comédie de Judd Apatow est écrite, interprétée et coproduite par la comédienne de stand-up et vedette de la télévision américaine Amy Schumer, qui a construit son personnage public en parlant de sexe avec une frontalité candide, en alliant subtilement le geste à la parole. Elle y incarne une journaliste new-yorkaise qui enchaîne journées de travail harassantes et soirées alcoolisées, pour généralement finir dans le lit d’un inconnu qu’elle se fait un devoir de quitter avant l’aube, souvent dans un sale état, mais sans états d’âme. Un croisement entre Carrie Bradshaw, l’héroïne graphomane et glamour de « Sex and the City », et Hannah Horvath, l’héroïne hipster et décomplexée de « Girls ». La jeune femme enrichit l’univers du cinéaste en y introduisant un burlesque physique qui vient gentiment subvertir les normes sexuelles et les hiérarchies sociales. I. R.Film américain de Judd Apatow. Avec Amy Schumer, Bill Hader, Brie Larson (2 h 05).Au cœur des ténèbres : « El Club », de Pablo LarrainEntré en cinéma tardivement, le Chilien Pablo Larrain, 39 ans, a réalisé cinq longs-métrages ces neuf dernières années, qui sont autant de jalons d’une œuvre asphyxiante, marchant résolument vers vous avec le sourire de l’épouvante, rayonnant d’une élégance sardonique, imposant l’insidieux dérèglement de sa folle singularité. Trois de ces films (Tony Manero, 2008 ; Santiago 73, post-mortem, 2010 ; No, 2012) composent une fascinante trilogie dont le pivot est le régime fasciste et néolibéral du mal nommé Augusto.Tandis qu’on crédite ce surdoué du cinéma de la préparation, au Chili, d’un film consacré au poète Pablo Neruda, et de la réalisation, à Hollywood, d’une œuvre évoquant Jackie Kennedy après l’assassinat de son mari, nous parlerons aujourd’hui de son cinquième et nouveau long-métrage, El Club. Réalisé en quatrième vitesse, néanmoins cinglant et plus bizarre que jamais, ce film, disons-le tout net, tinte de toutes les breloques pendues ces dernières années au revers de certains dignitaires de la sainte Eglise apostolique et romaine, au premier chef celle de la pédophilie. Et, comme toujours chez Larrain, de la tenue dans le malaise, une atmosphère nimbée d’étrangeté, de la misère percluse d’humanité, une descente aveuglante dans la ouate affective de ceux qui se sont rendus coupables des pires forfaitures. Jacques MandelbaumFilm chilien de Pablo Larrain. Avec Alfredo Castro, Roberto Farias, Antonia Zegers, Jaime Vadell. (1 h 37).La Passion du Christ : « Maesta », d’Andy GuérifAu XIVe siècle, en Italie, le peintre Duccio di Buoninsegna peint un polyptyque monumental (5 mètres de haut) composé de vingt-six panneaux. Ils représentent les principaux épisodes de la Passion du Christ, la Maesta : un labyrinthe pictural, qui semble s’offrir à une lecture chronologique à l’horizontale, mais dont les décors s’ingénient si bien à multiplier portes ouvertes, escaliers et chemins, qu’il est très difficile de ne pas s’y inventer des chemins de traverse.Plus de sept cents ans plus tard, le plasticien et cinéaste Andy Guérif décide de recréer un à un, dans un atelier de 7 mètres de large, les vingt-six panneaux à échelle humaine, pour y filmer des figurants costumés comme les personnages de Duccio. Les personnages entrent, miment des gestes de circonstance jusqu’à se figer soudain tous ensemble, pour quelques secondes d’illusion picturale d’une précision extraordinaire, avant de repartir, pressés, comme l’observateur, de jouer avec la chronologie des Evangiles pour brûler les étapes ou revenir en arrière. Des sept années de ce tournage obsessionnel à tout petits moyens (décors faits à la main et figurants bénévoles), Andy Guérif parvient à tirer un tableau vivant et, mieux encore, un vrai film de cinéma, peignant en gloire et dans le temps la beauté du mouvement, des couleurs et des formes. Noémie LucianiFilm français d’Andy Guérif. Avec Jérôme Auger, Mathieu Bineau (1 heure).Les élucubrations d’un jeune menuisier de province : « La Coupe à 10 francs », de Philippe Condroyer En 1966, Les Elucubrations d’Antoine – protest song à la bonne franquette – portaient sur le devant de la scène un jeune étudiant de Centrale prénommé Antoine, qui s’affichait beatnik, brocardait les culs serrés de son époque et réclamait le droit de porter les cheveux longs. Ce coup juteux et scandale potache des sixties ressortissait de la provocation joyeuse et annonçait à sa manière Mai 1968. La Coupe à dix francs, film réalisé neuf ans après la chanson, à l’heure où Mai est enterré, et tout le reste rentré dans l’ordre, en est l’écho tragique. Oublié depuis sa sortie en 1975, en même temps que son réalisateur Philippe Condroyer (qui signa également Un homme à abattre en 1967), le film est une belle redécouverte.Tout y tient, en vérité, de l’épure. Son tournage, mené de haute lutte en un mois. Son format, super 16 millimètres, et son équipe, réduite. Sa musique improvisée à l’image, excusez du peu, par Anthony Braxton (figure du free jazz) et Antoine Duhamel (compositeur de François Truffaut et de Jean-Daniel Pollet). Sa forme, minimaliste et frontale. Son sujet, découpé à l’os. Inspirée par un fait divers survenu en 1970, l’histoire raconte le destin tragique d’un jeune menuisier travaillant dans une entreprise d’ameublement provinciale, dont le patron anime une féroce campagne de dénigrement et de menace contre ceux de ses employés qui portent les cheveux longs. Le film est l’histoire cruelle, et à peine imaginable, de cette lutte inégale, pied à pied, classe contre classe, où un petit notable local emploie tous les moyens à sa disposition pour faire plier ses jeunes employés récalcitrants. Ainsi poussé à la limite, le différend devient question de morale existentielle, affaire de dignité. J. Ma. Arte expose son panorama du documentaire Douze documentaires inédits à l’antenne pour six jours de festival, ce n’est déjà pas si mal. Pour sa deuxième édition (du 15 au 20 novembre), le Festival du documentaire d’Arte entend mettre en avant l’ouverture sur le monde et l’éclectisme, autant en termes de regards que de formats, des films coproduits par la chaîne, dont plusieurs ont été primés lors des grands festivals internationaux.Parmi ces films documentaires dits « d’auteur », et malgré le caractère événementiel du festival, seuls deux auront les honneurs du prime time : Hitchcock/Truffaut, de Kent Jones et Serge Toubiana (2015, lundi 16 à 20 h 55); et La Maison de la radio (2012 ; mardi 17 à 20 h 55), pour lequel Nicolas Philibert s’immerge dans les coulisses du média radio afin de formuler une réflexion sur le son et l’écoute.« Sessions de rattrapage »Les dix autres documentaires de ce festival – dont le très marquant Austerlitz (2013 ; mardi 17 à 22 h 35), de Stan Neumann ; Les Yeux du silence (2014 ; jeudi 19 à 22 h 25), de Joshua Oppenheimer, ou encore, le captivant Killing Time – Entre deux fronts (2015 ; mercredi 18 à 22 h 25), de Lydie Wisshaupt-Claudel – sont tous relégués en deuxième, voire troisième partie de soirée.Martine Saada promet de ne rien changer au nombre de documentaires d’auteur coproduits ou rachetéspar la chaîneUn regret récurrent auquel Martine Saada, directrice de l’unité société et culture d’Arte France, répond de façon pragmatique. « Le passage du prime vers la troisième partie de soirée des documentaires d’auteur de la case “Grand Format”a eu lieu bien avant les changements au sein des directions chez Arte », dit-elle, consciente de la nostalgie qui règne autour de l’époque, sans doute idéalisée, où Thierry Garrel dirigeait l’unité documentaires d’Arte. « Ce n’est pas une révolution de palais qui viendrait de nouvelles directions, c’est une évolution due au fait que ces films nécessitent une attention et une intention du téléspectateur. La consommation en matière de télévision a changé. On est beaucoup moins tributaires des grilles et des horaires. On se fabrique de plus en plus une grille soi-même grâce aux sessions de rattrapage. Et puis il ne faut pas se voiler la face, la télévision est aussi un média de divertissement, et il faut pouvoir offrir des choses différentes aux gens », poursuit la directrice.« Se repositionner dans un axe » Dans un contexte marqué par l’inquiétude des producteurs et des auteurs quant à la pérennité de l’engagement des diffuseurs, notamment d’Arte, auprès du documentaire d’auteur, Martine Saada tente de rasséréner : « La crainte n’est pas le meilleur des moteurs… La vigilance, oui. La crainte, non. » Ainsi répond-t-elle à la « lettre ouverte » publiée dans Le Monde (5 novembre) dans laquelle de nombreux réalisateurs exprimaient leurs craintes après le départ de Luciano Rigolini, pilier du cinéma documentaire à Arte et responsable de la case « La Lucarne » depuis sa création.Si elle admet qu’il sera difficile de remplacer cet homme de grande culture, au goût sûr et au tempérament vif, la directrice des documentaires société et culture d’Arte promet de ne rien changer au nombre de documentaires d’auteur coproduits ou rachetés par la chaîne. Mais elle affirme aussi sa volonté d’aller de l’avant. « Il faudra de la patience, laisser du temps au nouveau venu. Mais je ne peux pas croire qu’il n’y a pas de nouveaux talents pour prendre la suite de Luciano Rigolini. Toute ma vie, je n’ai fait que des choses pour essayer d’installer de nouveaux talents, quels qu’ils soient », dit encore l’ancienne directrice du pôle littérature générale et documents du Seuil, mais aussi ancienne productrice de documentaires aux Films d’ici. « Je suis plutôt dans l’idée qu’il faut conforter les choses que dans une phase de chantier. Les événements de janvier nous ont tous bousculés dans nos certitudes. C’est quand vous tanguez qu’il faut rechercher du sens, pour se réancrer. Or, le moment où l’on recherche du sens n’est pas toujours celui où l’on est le plus créatif… C’est le moment où l’on se repositionne dans un axe, et il faut en passer par là », explique-t-elle avec franchise.« Eviter tout formatage »« Et n’oubliez pas qu’on ne commande pas ! Je lis ce que je reçois », dit-elle encore, anticipant une autre attaque récurrente selon laquelle on assisterait à une forme de nivellement vers le bas dans l’exigence et l’originalité des documentaires diffusés sur la chaîne franco-allemande. Pour Martine Saada, « c’est par la diversité des producteurs et des auteurs qu’on évitera tout formatage. Parce qu’il y aura toujours quelqu’un d’assez fou dans une chaîne pour croire à un projet, même risqué, l’accompagner, le porter. Et j’espère être cette personne ». Une manière pour elle de responsabiliser et renvoyer certaines questions dans le camp des producteurs et des auteurs.Mais ces relations, souvent houleuses, entre Arte et les producteurs et réalisateurs avec lesquels elle travaille, sont aussi le signe de la vigueur du secteur cinéma documentaire, qui s’exprime, qui reste vigilant sur les évolutions qu’on tente de lui imposer, et qui, en râlant contre Arte, lui dit aussi son attachement. Car rappelons-le, aucune autre chaîne ne porte aussi haut le documentaire d’auteur, malgré tout. Hélène Delye Edith Piaf, l’amour à mort DOCUMENTAIRE, À 23 H 20, SUR FRANCE 3 Philippe Kohly évoque la vie sentimentale de la chanteuse, de Montand à Moustaki ou encore Cerdan...Edith Piaf est morte le 10 octobre 1963, quelques heures avant son ami poète Jean Cocteau. « Regardez cette petite personne dont les mains sont celles du lézard des ruines, écrivait-il. Regardez son front de Bonaparte, ses yeux d’aveugle qui vient de retrouver la vue… » Philippe Kohly commence son documentaire par des images extraites du film La Garçonne, de Jean de Limur, sorti en 1936, où Piaf interprète une chanson, Quand même : « Le bonheur quotidien/Vraiment ne me dit rien/La vertu n’est que faiblesse/Qui voit sa fin dans le ciel/Je préfère la promesse/Des paradis artificiels. »Elle a 21 ans, porte une frange rebelle, son œil a l’air poché sous le fard ; elle a la bouche de guingois, les yeux plissés, malins, éteints et soudain perçants. Enfant, elle a été aveuglée par une kératite mal soignée – elle aurait été guérie de cette cécité passagère grâce aux prières à sainte Thérèse de Lisieux de sa grand-mère, Louise Léontine, qui tenait une maison close à Bernay (Eure).« Un œil d’admiration »En 1936, Edith Piaf appartient encore à la rue, d’où l’avait tirée Louis Leplée, patron du Gerny’s, cabaret chic des Champs-Elysées – il fut assassiné en 1936, et Piaf placée en garde à vue. A cette femme finalement usée par la drogue et la morphine, personne ne résistait, parce qu’elle portait « un œil d’admiration sur celui qu’elle avait choisi d’aimer », explique Philippe Kohly, qui a choisi, parmi ses compagnons, douze hommes « éclairés » par la flamme Piaf.« L’amour révèle à soi-même », disait la fille de Louis-Alphonse Gassion, contorsionniste, saltimbanque, et de Line Marsa, chanteuse et mauvaise mère, elle-même fille d’Emma Saïd Ben Mohamed, Berbère marocaine, dresseuse de puces échouée à Ménilmontant. Edith Giovanna Gassion était née à l’hôpital Tenon en 1915, année de boucherie militaire. Elle devait s’en sortir, et ses amours, toujours liées à son art, l’y aidèrent.En 1937, le parolier Raymond Asso lui enseigne la langue française, le sens des mots, la tenue en scène. En 1939, il écrit Mon légionnaire (musique de Marguerite Monnot), elle devient vedette. Puis elle apprend la bourgeoisie avec le comédien Paul Meurisse, fils d’un directeur de banque, lui le « maître zen » et elle la « boule de feu ». Jean Cocteau écrit pour eux la pièce Le Bel Indifférent. Elle est insoumise, le « maître zen » finit par la gifler. Alors, elle aime Henri Contet, journaliste, poète, ingénieur, marié, qui lui écrit quarante chansons. Il dit : « Nous écrivons pour elle des balbutiements, elle en fait des cris, des appels, des prières. »UséeA la Libération, elle découvre Yves Montand, 23 ans. Elle lui apprend à chanter l’amour. Mais elle part à la conquête de l’Amérique avec Jean-Louis Jaubert et ses Compagnons de la chanson, neuf garçons qui la servent tout en forgeant leur célébrité. Aux Etats-Unis, il y a le bel acteur John Garfield. Puis le boxeur Marcel Cerdan, champion du monde des poids moyens en 1948, mort dans un accident d’avion en 1949. Brisée, elle épouse le chanteur Jacques Pills. Elle divorce. Puis il y a le fantaisiste Félix Marten, Georges Moustaki, Charles Dumont et le beau Théo Sarapo.A 45 ans, elle est usée. Pierre Desgraupes lui demande, sur l’ORTF, avant qu’elle ne s’effondre à Dreux, le 13 décembre 1960, victime d’un coma hépatique : « Votre vie a été désordonnée. Vous ne croyez pas aux économies ? »« Ah, surtout pas ! », dit-elle, se tordant les doigts.« Edith Piaf amoureuse », de Philippe Kohly (Fr., 2013, 110 min). Vendredi 13 novembre, à 23 h 20, sur France 3. La recette d’une bonne « Bond song » De l’action, des poursuites et échanges de coups de feu, un méchant très méchant, des jolies filles en pagaille, dont au moins une sera du côté des gentils, des virées un peu partout sur la planète au gré de l’avancement de la mission, une séquence finale toute en explosions… Autant d’éléments qui constituent le minimum de ce à quoi l’amateur s’attend depuis Dr No (1962), le premier film de la série James Bond, agent 007 des services secrets du Royaume-Uni. Et, tout aussi nécessaire, la chanson-titre. Dernier en date de ses interprètes, Sam Smith, récente sensation pop britannique, avec Writing’s on the Wall, co-écrite et composée par Jimmy Napes pour le film 007 Spectre, vingt-quatrième de la série produite par Eon Productions et vingt-sixième si l’on compte deux dissidences, la parodie Casino Royale en 1967, avec David Niven et Peter Sellers, et Jamais plus jamais, avec Sean Connery, en 1983.Lire aussi : « 007 Spectre » : le grand Bond en arrière Sans préjuger de son futur impact international, elle est arrivée fin septembre, plus d’un mois avant la sortie du film, en tête des classements des meilleures ventes au Royaume-Uni. Tempo lent, avec un chanteur soprano, quand le ténor ou le baryton masculin est plutôt de rigueur chez Bond, relativement aride dans son traitement orchestral, elle ne correspond pas vraiment à ce qu’est supposée être la chanson-type pour le générique d’un James Bond. D’où un accueil critique mitigé. Un archétype de départ très « soul »Les deux premiers films, Dr. No (1962) et Bons baisers de Russie (From Russia With Love, 1963), de Terence Young, avec Sean Connery, n’avaient pas eu recours à des chansons pour le générique. Quoique le passage vers la première séquence de Dr No était accompagné de Kingston Calypso, par Byron Lee and The Dragonaire, une adaptation ska du traditionnel Three Blind Mice. C’est avec Dr. No que l’on découvre le James Bond Theme, durant le générique graphique (autre élément indispensable à la saga), un instrumental composé par Monty Norman, avec son accroche de guitare (mi, fa#, sol). Il est joué par l’orchestre de John Barry, qui l’a partiellement arrangé en se souvenant de sa composition pour la chanson Poor Me, succès début 1960 d’Adam Faith. Avec Bons baisers de Russie, on découvre aussi une future figure obligée, celle de la séquence d’introduction avant le générique.« James Bond Theme » (1962), de Monty Norman, avec le générique du film « Dr. No » :C’est avec le troisième film, Goldfinger (1964), de Guy Hamilton, que la chanson-titre fait son apparition et que s’impose un modèle qui sera régulièrement mis à contribution et auquel il est fait régulièrement référence dès qu’il s’agit de comparer. Une voix puissante, en l’occurrence celle de Shirley Bassey, des orchestrations en accord, avec dramaturgie musicale emportée par une forte présence de vents et violons. La musique, de John Barry, qui composera les partitions de onze Bond, évoque le ou les principaux motifs mélodiques et harmoniques qui seront utilisés durant le film. Le texte, d’Anthony Newley et Leslie Bricusse, résume toute la vilenie de Goldfinger, l’homme au « baiser mortel ». Les grandes lignes sont posées.« Goldfinger » (1964), de John Barry, Anthony Newley et Leslie Bricusse, par Shirley Bassey :Dans le même esprit, Tom Jones (les chanteurs sont en minorité chez Bond) succède à Bassey pour Thunderball (Opération Tonnerre, 1965), de Terence Young. Barry et Bricusse sont aux manettes. Le méchant « observe ce monde/et veut le posséder ». Le chant se déploie tandis qu’à l’écran évoluent en ombre chinoise des silhouettes féminines, la marque visuelle des génériques que l’on doit à Maurice Binder. Shirley Bassey sera à nouveau choisie pour Les diamants sont éternels (Diamonds Are Forever, 1971), de Guy Hamilton, dans une interprétation certes fidèle aux codes, mais avec une composition de Barry et un texte de Don Black un rien en dessous. Puis une troisième fois avec la chanson Moonraker, toujours de Barry avec un texte d’Hal David, moins mémorable pour le film du même nom sorti en 1979 et réalisé par Hamilton.Cette approche spectaculaire trouvera encore avec Gladys Knight, Tina Turner et Adele d’efficaces interprètes. La première avec la chanson-titre Licence To Kill (Permis de tuer) pour le film de John Glen sorti en 1989, le deuxième et dernier avec Timothy Dalton dans le rôle de James Bond. Gladys Knight met toute son expertise de grande voix soul et sauve cette composition assez pataude de Narada Michael Walden, Jeffrey Cohen et Walter Afanasieff qui emprunte très officiellement à une ligne de cuivres tirée de la chanson Goldfinger.« Licence To Kill » (1989), de Narada Michael Walden, Jeffrey Cohen et Walter Afanasieff, par Gladys Knight :Six ans plus tard pour GoldenEye, de Martin Campbell et l’arrivée de Pierce Brosnan pour incarner Bond, il faut frapper fort. Tina Turner, Bono et The Edge sont convoqués. La chanteuse s’empare de la composition des deux membres du groupe U2 avec un savoir-faire évident. Presque trop. Adele, plus « sobre » en collaboration avec Paul Epworth, connaîtra un immense succès avec Skyfall en 2012 pour le film de Sam Mendes, le deuxième avec Daniel Craig. Dans ces trois cas, ce qui est peu commun dans la série, les compositeurs des chansons ne sont pas ceux à qui la partition de la musique du film a été confiée – Michael Kamen pour Permis de tuer, Eric Serra pour GoldenEye et Thomas Newman pour Skyfall.« Skyfall » (2012), d’Adele et Paul Epworth, par Adele :Dans le registre de la popA cet archétype très « soul » s’est progressivement ajouté un deuxième modèle, plus proche du registre qui a cours dans la pop, avec des chansons dont l’orchestration et les arrangements puisent plus clairement dans les modes en cours, faisant appel à des chanteuses moins dans l’emphase, certaines n’en ayant pas les moyens. Au générique, donc, Nancy Sinatra, Carly Simon, Rita Coolidge, Sheena Easton, Sheryl Crow ou K. D. Lang. Cette dernière avec Surrender, chanson du générique final du film Demain ne meurt jamais (Tomorrow Never Dies, 1997). Avoir une chanson différente de celle du générique de début – ici celle de Sheryl Crow bien moins intéressante que celle de sa consœur canadienne – reste une rareté dans la série et n’aura été, à ce jour, le cas qu’à quatre reprises entre 1987 et 1997.Nancy Sinatra et Sheena Easton auront ici notre préférence. En ce qui concerne Nancy Sinatra, elle aurait été, après son père Frank, le second choix de John Barry et Bricusse pour On ne vit que deux fois (1967, You Only Live Twice), le cinquième film de la série avec Sean Connery, réalisé par Lewis Gilbert. On ne sait pas ce que le crooner aurait fait de la chanson mais sa fille amène au catalogue des chansons bondiennes une légèreté caressante qui tranche par rapport à l’ensemble.« You Only Live Twice » (1967), de John Barry et Leslie Bricusse, par Nancy Sinatra :Comme d’ailleurs la musique d’un autre Bond, sorti en avril 1967, un mois plus tôt. Allègre et fantaisiste, elle accompagne, il est vrai, le film parodique Casino Royale, aux multiples réalisateurs, dont John Huston. S’il n’y a pas de chanson au générique de début, c’est l’oublié Michael Redway, sur un texte d’Hal David, qui interprète durant le générique de fin ce Casino Royale composé par Burt Bacharach. « Have no fear, Bond is here (…) He’s going to save the world at Casino Royale » (« N’ayez crainte, Bond est là, il va sauver le monde au Casino Royale »). Et puis, chanson idéale pour un Bond, c’est durant une scène de séduction pastiche que Peter Sellers et Ursula Andress sont accompagnés par la voix de Dusty Springfield sur The Look of Love. A l’origine, un instrumental de Bacharach pour lequel Hal David écrivit des paroles pour l’utilisation dans le film.Sheena Easton intervient pour l’un des films avec Roger Moore dans le rôle de James Bond, Rien que pour vos yeux (For Your Eyes Only, 1981), de John Glen, généralement considéré comme l’un des plus réussis de cette ère avec Vivre et laisser mourir (Live and Let Die, 1973). Composée par Bill Conti avec un texte de Michael Leeson, la chanson, en dépit d’éléments qui identifient l’époque (des sons de claviers, la batterie) reste une plaisante romance pop. Elle est aussi l’occasion, unique pour le moment, de montrer l’interprète de la chanson-titre durant le générique. Sheena Easton est filmée en gros plan, de face et de profil, chantant, tandis que des silhouettes évoluent autour d’elle.« For Your Eyes Only » (1981), de Bill Conti et Michael Leeson, par Sheena Easton :Le recours à un groupeLa troisième catégorie, la moins utilisée, consiste à faire appel à un groupe. Avec le risque que ce dernier ne s’efface pas derrière la chanson, ce que des interprètes qui ne sont pas leurs propres auteurs et compositeurs peuvent plus aisément réaliser. Et, de fait, ni les Britanniques Duran Duran pour A View to a Kill, le Dangereusement vôtre qui sera, en 1985, le dernier Bond avec Roger Moore, ni les Norvégiens de A-ha chargés de la chanson du premier Timothy Dalton, Tuer n’est pas jouer (The Living Daylights, 1987) ne feront autre chose que du Duran Duran et du A-ha, même avec John Barry comme co-compositeur. Un écueil moins sensible chez Garbage dans The World is not Enough (Le monde ne suffit pas, 1999), qui arrive après une scène d’introduction de près de quatorze minutes, la plus longue de la série. Le groupe se met clairement au service du compositeur de la chanson et de l’ensemble de la musique du film, David Arnold, et du parolier Don Black.Et puis il y a le cas Paul McCartney avec son groupe Wings. L’ancien chanteur des Beatles signe avec sa femme Linda ce qui constitue peut-être la chanson la plus réussie pour un film de James Bond, ce Live and Let Die qui emporte l’arrivée de Roger Moore sur la série avec le film réalisé par Guy Hamilton. C’est George Martin, le producteur des Beatles, qui arrange la chanson et compose le reste de la musique.Elle débute par du pur McCartney. Un piano, la voix, une jolie mélodie, des voix harmonisées. Et à une trentaine de secondes une première montée orchestrale, comme un accord de guitare rock. L’emballement ensuite, percussions mélodiques, flûtes, cordes, un contrechant à la guitare électrique, la rythmique rock pour un passage instrumental. Nouveau changement, retour de la voix sur une assise presque reggae, nouvel emballement, retour de la partie romance, emballement, jusqu’à un accord de résolution en suspension. Ouf ! En moins de trois minutes, avec ses rebondissements, ses climats différents, la chanson est presque comme un film dans le film. Elle existe d’ailleurs dans une autre version, sur un mode funk-soul, chantée par B. J. Arnau dans une séquence du film. Bond se rend dans un club de La Nouvelle-Orléans et prend le temps d’écouter la chanteuse, dans son propre rôle, qui se produit sur la scène.« Live and Let Die » (1973), de Paul et Linda McCartney, par Paul McCartney and Wings :On mentionnera enfin, hors-catégorie, le seul musicien de jazz à avoir rejoint musicalement la série des Bond, Louis Armstrong. Ni au générique de début, ni de fin, mais dont la voix se fait entendre durant une longue séquence de promenades amoureuses de Bond et celle qui deviendra sa femme, comme un intermède façon vidéo-clip, dans l’unique film avec George Lazenby, Au service secret de Sa Majesté (1969), de Peter R. Hunt. La chanson, écrite par John Barry et Hal David, s’intitule We Have all the Time in the World (Nous avons tout le temps devant nous), dernière phrase du film prononcée par Bond, qui tient dans ses bras Tracy (Diana Rigg), qui vient d’être tuée sous ses yeux. L’actrice Loubna Abidar : « Pourquoi j’ai décidé de quitter le Maroc » Après des petits rôles au théâtre et dans des films commerciaux, j’ai obtenu le premier rôle dans le long-métrage Much Loved, de Nabil Ayouch. C’était le plus beau jour de ma vie, car j’allais pouvoir travailler avec un réalisateur talentueux et internationalement reconnu, et parce que j’allais donner la parole à toutes celles avec lesquelles j’avais grandi : ces petites filles des quartiers qui n’apprennent ni à lire ni à écrire, mais auxquelles on dit sans cesse qu’un jour elles rencontreront un homme riche qui les emmènera loin… Dès 14-15 ans, elles sortent tous les soirs dans le but de le trouver. Un jour, elles réalisent qu’elles sont devenues des prostituées.Dans ce film, j’ai mis toute mon âme et toute ma force de travail, portée par Nabil Ayouch et mes partenaires de jeu. Le film a été sélectionné à Cannes. J’y étais, c’était magique. Mais dès le lendemain de sa présentation, un mouvement de haine a démarré au Maroc. Un ministre qui n’avait pas vu le film a décidé de l’interdire avant même que la production ne demande l’autorisation de le diffuser. Much Loved dérangeait, parce qu’il parlait de la prostitution, officiellement interdite au Maroc, parce qu’il donnait la parole à ces femmes qui ne l’ont jamais. Les autorités ont déclaré que le film donnait une image dégradante de la femme marocaine, alors que ses héroïnes débordent de vie, de combativité, d’amitié l’une pour l’autre, de rage d’exister.Lire notre récit : Loubna Abidar, agressée, accusée Campagne de haineEt une campagne de détestation s’est répandue sur les réseaux sociaux et dans la population. Personne n’avait encore vu le film au Maroc, et il était déjà devenu le sujet numéro un de toutes les discussions. La violence augmentait de jour en jour, à l’encontre de Nabil « le juif » (sa mère est une juive tunisienne) et à mon encontre. Je dérangeais à mon tour, parce que j’avais le premier rôle, parce que j’en étais fière, et parce que je prenais position ouvertement contre l’hypocrisie par des déclarations nombreuses.Des messages de soutien et d’amour, j’en ai reçu des dizaines. Dans les pays d’Europe où le film est sorti et a connu un bel accueil (j’ai notamment obtenu le Prix de la meilleure actrice dans les deux festivals majeurs de films francophones, Angoulême en France et Namur en Belgique). Mais surtout, et c’était le plus important pour moi, au Maroc. Par des gens éclairés car ils sont nombreux. Et aussi par des prostituées qui ont enfin osé parler à visage découvert pour dire qu’elles se reconnaissaient dans le film.Mais rien n’a calmé la haine contre moi. Sur Facebook et Twitter, mon nom est associé à celui de « sale pute » des milliers de fois par jour. Quand une fille se comporte mal, on lui dit « tu finiras comme Abidar ». Tous les jours, je lis que je suis la honte des femmes marocaines. Chaque semaine, je reçois des menaces de mort. J’ai encore des amis et des proches pour me soutenir, mais beaucoup se sont détournés de moi. Pendant des semaines, je ne suis pas sortie de chez moi, ou alors uniquement pour des courses rapides, cachée sous une burqa (quel paradoxe, me sentir protégée grâce à une burqa…).Ces derniers jours, le temps passant, la tension me semblait retombée. Alors jeudi 5 novembre, le soir, je suis allée à Casablanca à visage découvert. J’y ai été agressée par trois jeunes hommes. J’étais dans la rue, ils étaient dans leur voiture, ils m’ont vue et reconnue, ils étaient saouls, ils m’ont fait monter dans leur véhicule, ils ont roulé pendant de très longues minutes et pendant ce temps ils m’ont frappée sur le corps et au visage tout en m’insultant. J’ai eu de la chance, ce n’était « que » des jeunes enivrés qui voulaient s’amuser… D’autres auraient pu me tuer. La nuit a été terrible. Les médecins à qui je me suis adressée pour les secours et les policiers au commissariat se sont ri de moi, sous mes yeux. Je me suis sentie incroyablement seule… Un chirurgien esthétique a quand même accepté de sauver mon visage. Ma hantise était justement d’avoir été défigurée, de garder les traces de cette agression sur mon visage, de ne plus pouvoir faire mon métier…Nabil Ayouch était là tout le temps pour me soutenir. J’ai fait des déclarations de colère que je regrette. Je ne savais plus où j’étais. Alors j’ai décidé de quitter le Maroc. C’est mon pays, je l’aime, j’y ai ma vie et ma fille, j’ai foi en ses forces vives, mais je ne veux plus vivre dans la peur. On s’attaque à moi pour un rôle que j’ai joué dans un film que les gens n’ont même pas vu. Une campagne de dénigrement légitimée par une interdiction de diffusion du film, alimentée par les conservateurs, nourrie par les réseaux sociaux si présents aujourd’hui… et qui continue de tourner en rond et dans la violence. Au fond, on m’insulte parce que je suis une femme libre. Et il y a une partie de la population, au Maroc, que les femmes libres dérangent, que les homosexuels dérangent, que les désirs de changement dérangent. Ce sont eux que je veux dénoncer aujourd’hui, et pas seulement les trois jeunes qui m’ont agressée…Lire aussi : « Much Loved » : femmes perdues à Marrakech Loubna AbidarLoubna Abidar est une actrice marocaine amazigh, elle a 30 ans et a été élevée à Marrakech. Elle joue le rôle d’une prostituée dans le film de Nabil Ayouch, Much Loved, interdit de projection au Maroc. ************************************************************* Marx sous les sunlights « Le Jeune Karl Marx », de Raoul Peck, raconte les vertes années de l’auteur du « Capital » et de son compère Friedrich Engels. Le tournage, parfois haut en couleur, vient tout juste de s’achever Par Jacques Mandelbaum Après Groucho, Harpo et Chico, se pourrait-il que Karl, moins drôle mais à peu près aussi célèbre, incarne à son tour la famille Marx au cinéma ? Il semble que oui, le cinéaste Raoul Peck ayant achevé de tourner en Allemagne sinon un biopic, du moins le portrait d’un jeune homme en colère. Un film d’avant Le Capital, donc, et d’avant la statue du commandeur rouge à barbe blanche, vieux lutteur épuisé qui nous regarde avec une triste componction. Cela s’appellera donc Le Jeune Karl Marx. Voilà qui n’est pas anodin. On connaît certes des réalisateurs qui se sont plus ou moins durablement inspirés du marxisme (de Dziga Vertov à Jean-Luc Godard), mais on ne voit pas, dans l’histoire du cinéma, beaucoup de réalisateurs que Marx lui-même aura fait rêver en tant que personnage. Tout au plus Sergueï Eisenstein avait-il rêvé d’adapter au cinéma Le Capital, sans suite. Le destin de cet homme qui a sacrifié sa vie et celle de sa famille à la réalisation d’un idéal, au prix de l’exil et du dénuement, a pourtant des aspects très romanesques. En tout état de cause, visez cette scène. Intérieur jour. Nous sommes à Paris, vers 1845, dans l’atelier de Gustave Courbet (en réalité, nous sommes à Ganz, dans l’est de l’Allemagne, le 3 novembre 2015, dans une sorte de hangar délabré mais de belle allure, où le froid pince). Au milieu de quelques modèles nus croqués par des élèves, le peintre est occupé à faire le portrait du proto-anarchiste Pierre-Joseph Proudhon. Autour d’une table, Karl Marx est en train de mettre une pilée aux échecs au libertaire russe Mikhaïl Bakounine, sous le regard amusé de son compère Friedrich Engels et de sa femme Jenny Marx, née von Westphalen et issue de la vieille noblesse teutonne. Marx et Proudhon se toisent en grands fauves, devisent des « partisans allemands de la critique critique », que Marx et Engels viennent d’étriller dans un livre qu’ils ont décidé de nommer « Critique de la critique critique » (rire général sur le titre de cet ouvrage, qui deviendra La Sainte Famille). Sur ces entrefaites entre Moritz Hess, figure tutélaire des hégéliens de gauche, retour du Louvre, accompagné de sa femme Sybille, dont tout porte à croire qu’elle a accordé ses faveurs au jeune et impétueux Engels, et qui approuve en badinant l’avis de Proudhon sur la révolution comme « secousse ». On en restera là de cette scène, qui résume à elle seule les défis soulevés par le film. D’un côté, une ribambelle de « monuments », dont l’œuvre et l’influence mobilisent quelques tonnes de littérature critique. De l’autre, une tentative de les naturaliser dans un récit qui ne renonce ni au trivial ni au romanesque. Au milieu, des acteurs qui luttent pour alléger leur personnage du poids de la reconstitution, de l’idéologie et de l’histoire, tâche ardue tant Raoul Peck, qui aime à se couvrir et à varier les points de vue, éprouve leur spontanéité par un nombre considérable de prises. Nommons-en quelques-uns : August Diehl, acteur réputé en Allemagne, est Marx ; Stefan Konarske, son jeune challenger, est Engels ; Olivier Gourmet, qu’on ne présente plus, est Proudhon. La fin du tournage semble difficile pour certains d’entre eux, contraints par surcroît de se lever tous les jours à cinq heures du matin lors de cette ultime semaine. Diehl, qui semble fraîchement sorti de l’Actors Studio, est rentré en dedans de lui-même, en osmose intellecto-chimique avec le génie ombrageux de son modèle, et semble porter le poids du Capital sur ses épaules. Konarske, à l’opposé, est un blond feu follet, folâtrant sur le plateau et en dehors, vantant à qui veut l’entendre sa lassitude de l’Allemagne, la liberté et la grâce de la France, où il a élu domicile. Gourmet, plutôt solitaire en ces terres germaniques, assouplissant ses muscles entre deux prises, assure l’essentiel comme à l’ordinaire. Tous tombent d’accord pour tenter de rendre vivant leur personnage en oubliant l’histoire intellectuelle, et pour convenir néanmoins que la pensée de ces jeunes hommes en colère contre l’ordre social de leur temps tombe à point dans notre époque. Portrait de Proudhon par Gustave Courbet (1853-1865) Le peintre, dont le réalisme social avait scandalisé, et le socialiste libertaire sont tous deux originaires de Franche Comté, terre anti-cléricale et défiante envers le pouvoir établi. Ils étaient amis depuis la révolution de 1848, et le premier vivra assez longtemps pour devenir communard, abattre avec quelques amis la colonne Vendôme et se faire emprisonner par les Versaillais. Courbet a fait plusieurs portraits de Proudhon. Proudhon, dans Du principe de l’art et de sa destination sociale (1865) cite de son côté Courbet comme un exemple d’artiste moral pour sa Cité future. Au grand effroi du jeune Emile Zola, futur chantre du naturalisme qui n’en conclut pas moins ainsi le texte qu’il consacre à ce livre dans Mes haines : « Je n’ai que faire de résumer le livre de Proudhon : il est l’oeuvre d’un homme profondément incompétent et qui, sous prétexte de juger l’art au point de vue de sa destinée sociale, l’accable de ses rancunes d’homme positif ; il dit ne vouloir parler que de l’idée pure, et son silence sur tout le reste – sur l’art lui-même – est tellement dédaigneux, sa haine de la personnalité est tellement grande, qu’il aurait mieux fait de prendre pour titre : De la mort de l’art et de son inutilité sociale. Courbet, qui est un artiste personnel au plus haut point, n’a pas à le remercier de l’avoir nommé chef des barbouilleurs propres et moraux qui doivent badigeonner en commun sa future cité humanitaire ». Aucun d’entre eux n’entretient toutefois à l’égard de Marx la ferveur et le lyrisme de Raoul Peck. Sans les nécessités du lendemain, alors que nous le rencontrons en début de soirée, il est probable que la nuit entière y serait passée. Son parcours explique en partie cette passion. Naissance à Port-au-Prince (Haïti) en 1953, enfance à Leopoldville (aujourd’hui Kinshasa), au Congo, pour fuir la dictature Duvalier avec ses parents, études d’ingénieur en Allemagne, puis de cinéma. Une œuvre très engagée s’ensuit. L’Homme sur les quais (1993), sur le début de règne de Duvalier ; Lumumba (2000), sur la figure assassinée de l’indépendance congolaise ; Quelques jours en avril (2005), une série HBO sur le génocide rwandais. entre-temps, Raoul Peck aura été ministre de la culture en Haïti. Depuis 2010, il assume les fonctions de directeur de la Femis. Ce Jeune Karl Marx est pour lui une longue histoire : « Marx, c’est d’abord ma propre jeunesse. Je le lis depuis l’université, en Allemagne, où on l’enseigne. C’est un penseur et un théoricien exceptionnel, un puits d’érudition et un génie dans son siècle. C’est une plume incroyable, qui invente une langue. Il n’a rien fait d’autre que d’analyser la société capitaliste, et de montrer que le seul profit la régule. Toute société, pense-t-il, est déterminée par ses modes de production. Voilà qui me semble riche d’enseignements et de conséquences, plus encore peut-être à notre époque qu’à la sienne. Ma première tentative de le mettre en scène date d’il y a dix ans. C’était une commande de docu-fiction pour Arte, mais je n’étais pas content de mon traitement. Le sujet n’est pas simple : c’était trop lourd, trop compliqué… » Il y reviendra donc, avec l’aide de son complice en écriture Pascal Bonitzer, pour un projet cette fois de pure fiction, qui se limite aux années de jeunesse, 1843-1848. La période s’achève avec la rédaction du Manifeste du Parti communiste, qui prône une conception matérialiste de l’histoire et jette les bases d’un mouvement ouvrier unifié international. Roberto Rossellini, comme Peck l’a découvert au cours de ses recherches, avait en son temps entretenu ce projet. Les deux hommes potassent la correspondance, ainsi que les cours de Raymond Aron au Collège de France, le philosophe s’étant intéressé à cette période. But de l’opération : « Tenter non de faire un biopic, qui n’est que la réduction hollywoodienne d’une histoire générale à un destin privé, mais d’incarner par l’émotion une histoire intellectuelle qui regarde encore notre temps. » Même tonalité chez Pascal Bonitzer : « L’enjeu émotionnel était fort : il fallait absolument montrer un Marx différent de l’icône de la maturité, sombre et compassé. Notre Marx est un jeune homme qui cherche, à la fois arrogant et génial. Engels est, quant à lui, une sorte de play-boy intellectuel. Il nous fallait donner un petit coup de jeune à tout ça, parce qu’à relire aujourd’hui Le Manifeste du Parti communiste, on est stupéfait de la modernité de ce texte, qui nous parle plus de la frénésie du capitalisme financier d’aujourd’hui que de celui de son époque. Marx est résolument moderne ! Relisez Lamartine ou Hugo, et comparez. » Car il y a évidemment, derrière ce film, la croyance que la pensée de Marx, par-delà les fléaux politiques qui se sont réclamés de sa pensée, serait toujours utile aujourd’hui : « Le ton a changé depuis la crise financière, précise Raoul Peck. Nous vivons une révolution comparable à celle de l’industrialisation, il y a une résurgence de l’intérêt pour Marx. La recherche, au milieu d’un grand désarroi, d’une méthode d’analyse qui nous permette de penser le monde. » Le film n’aura d’ailleurs pas échappé aux rapports de production : la société Agat Films engage un budget de 9 millions d’euros, avec la société Rohfilm comme coproducteur allemand. Le budget, rapidement ficelé en France, a été « un enfer » à trouver en Allemagne, où Marx n’éveille pas forcément de bons souvenirs. Le tournage s’est également révélé laborieux, dans un pays où, contrairement à la souplesse et à la débrouille en vigueur en France, la hiérarchisation des fonctions et le respect du devis sont appliqués sans égards pour le projet. Il se murmurait enfin qu’une lutte de tempéraments aurait opposé, sur le plateau, le réalisateur à son acteur principal. Ainsi se vérifie qu’en ce bas monde, vouloir l’égalité du genre humain condamne à un éternel exil. Le Manifeste du Parti communiste (1848) Le film de Raoul Peck s’achève sur la rédaction de ce document, promis à une gloire certaine. Il fut rédigé à Londres, en allemand, par Karl Marx et Friedrich Engels, dans le cadre de la Ligue des justes, une société initialement fondée par le tailleur Wilhelm Weitling à paris en 1836, et qui prendra à Londres en 1947 le nom de Ligue des communistes. C’est au cours de son deuxième congrès, cette même année, que commande est passée aux deux hommes de ce texte, qui contient les principaux principes de la pensée et du programme marxistes et deviendra, quarante ans plus tard, le socle idéologique des partis ouvriers dans le monde. Ouvert sur une phrase de film fantastique « Un spectre hante l’Europe : le spectre du communisme », l’ouvrage s’achève sur une formule qui fait date : « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! ». Il faudra attendre qu’il devienne peu ou prou lettre morte pour qu’on l’inscrive, en juin 2013 en compagnie du Capital, au registre Mémoire du monde de l’UNESCO, dédié à la sauvegarde du patrimoine documentaire mondial. Il y a notamment rejoint dans le domaine allemand la Symphonie n° 9 de Ludwig van Beethoven, la Bible de Gutenberg et Metropolis de Fritz Lang, enregistrés depuis 2001. Pionnier du futur, orphelin du temps passé Film sur Canal+ à 15 h 30Christopher Nolan livre une fable spatio-temporelle qui n’a pas le souffle de ses célèbres prédécesseurs.Amateur de scénarios alambiqués (Memento, Le Prestige, Inception), auteur d’une trilogie de « Batman » sombre et sinueuse, Christopher Nolan n’aime rien tant que plier le monde et les hommes à une volonté démiurgique. Le jeu prend avec Interstellar une dimension galactique. Un long prologue en forme d’americana malade situe le film dans le cadre apocalyptico-catastrophiste qui va si bien à notre époque. En un mot, les plantes étant ravagées par une incoercible épidémie, les hommes sont condamnés, à terme, à l’asphyxie.Fort heureusement Cooper, un ex-cosmonaute reconverti fermier (Matthew McConaughey, étoile texane), est choisi par la NASA pour mener une mission de reconnaissance destinée à trouver une planète où l’humanité pourrait survivre.Il doit pour cela traverser un trou noir par une faille spatio-temporelle (le trou de ver) et prendre le risque de ne jamais revoir ses enfants.Suspension du tempsSon épopée, menée avec quelques partenaires, le mènera en une éternelle jeunesse, tandis que, sur Terre, sa fille, inexorablement soumise à la loi de la gravité terrestre (Jessica Chastain), devient, avant de prendre sa retraite, l’une des responsables du programme de sauvetage dont dépend son père.Cette idée de suspension du temps et de rapport filial désynchronisé est de loin la plus saillante et la plus émouvante du film. Il faut en créditer l’auteur, au même titre que certaines visions de l’espace qui ne sont pas sans une étrange beauté. Mais lui accorderait-on, par surcroît, le sens plus que jamais pascalien du divertissement que cela ne suffirait pas à combler les nombreuses faiblesses du film. Un scénario confinant au pompier pour se hisser à la hauteur de son ambition, une héroïsation du personnage principal qui confine au ridicule, des personnages secondaires sacrifiés, des dialogues trop souvent pris dans la gélatine scientifique, une partition musicale assommante (signée du compositeur tayloriste Hans Zimmer), plus que tout une hésitation à terme paralysante entre volonté de vraisemblance et recours à l’imaginaire. Voilà en vérité un film qui, à force de se vouloir visionnaire, s’interdit l’intime et brûlante liberté de la vision.Interstellar, EU-GB., 2014, 170 min. (mercredi 2 sur Canal+ à 15 h 30). Mercredi 2 décembre sur Canal+ à 15 h 30. Spielberg, Moretti, Im Kwon-taek… et les autres (talents) Deux grands anciens, Nanni Moretti et Steven Spielberg, dominent les sorties de la semaine. Le premier avec Mia madre, présenté au dernier Festival de Cannes, variation subtile et bouleversante sur le thème de l’autoportrait. Steven Spielberg, 68 ans, retombe en enfance sans rien perdre de son brio et de son intelligence en replongeant dans la guerre froide. Il revient à un jeune metteur en scène, Nicolas Saada, d’affronter le monde d’aujourd’hui : Taj Mahal met en scène une victime des attentats de Bombay en 2008. En dehors des sorties, on peut rencontrer un géant du cinéma, cette semaine à la Cinémathèque : Im Kwon-taek, le cinéaste coréen aux cent films, ou se plonger dans l’infinie diversité du cinéma d’animation au Forum des images.MÈRES ROMAINES : « Mia madre », de Nanni MorettiC’est un autoportrait, puisque le personnage central réalise des films et voit sa mère quitter ce monde, comme l’auteur. Mais elle élève seule sa fille et lutte contre le machisme du monde du cinéma, ce qui n’a pas dû arriver à Nanni Moretti. L’auteur de Palombella rossa joue avec les barreaux de la cage qu’il s’est construite : sa caméra parcourt les mêmes rues romaines depuis des décennies, son esprit inquiet est agité des rêves brisés qui le taraudent depuis la fin des années 1970. Mais en confiant ces fardeaux à une femme, magnifiquement interprétée par Margherita Buy, Moretti échappe au ressassement, décale avec grâce la perspective et ouvre la voie à de nouvelles émotions, amères et douces, entrecoupées d’éclats de rire sardoniques (grâce à la belle caricature de comédien américain qu’offre John Turturro).Film italien de et avec Nanni Moretti, avec Margherita Buy, John Turturro. (1 h 51.)MONSIEUR TOUT-LE-MONDE S’EN VA-T-EN GUERRE FROIDE : « Le Pont des espions », de Steven SpielbergQuand il était petit, dans les années 1950, Steven Spielberg vivait dans la terreur de l’apocalypse nucléaire, comme tous les écoliers américains. Lorsqu’un jeune scénariste britannique, Matt Charman, lui a proposé un scénario autour de l’échange, en 1962 à Berlin, de l’espion soviétique Rudolf Abel contre le pilote américain Gary Powers, il a été enthousiasmé. Cette opération fut menée par un dilettante du renseignement, l’avocat James B. Donovan, recruté par la CIA pour éviter de négocier directement avec l’ennemi. Dans le rôle de cet homme ordinaire, bon père de famille, précipité dans la tourmente glacée (on est en plein hiver, juste après la construction du mur), Tom Hanks est formidable de grâce et de gaucherie, à la manière de James Stewart. Mêlant sans effort la tragédie, la réflexion politique, la comédie et l’hommage à l’âge classique du cinéma américain, Steven Spielberg flirte ici avec la perfection.Film américain de Steven Spielberg, avec Tom Hanks, Mark Rylance, Amy Ryan. (2 h 21.)Vivre dans la terreur : « Taj Mahal », de Nicolas SaadaLe 26 novembre 2008, un commando venu du Pakistan attaque douze objectifs à Bombay, dont l’Hôtel Taj Mahal. Les clients se terrent dans leurs chambres, certains sont abattus. C’est le personnel qui paie le plus lourd tribut. Frappé par le récit d’une jeune survivante française, Nicolas Saada en a tiré un scénario et un film. Celui-ci décrit minutieusement la nuit de terreur que vit Louise, une jeune fille qui habite le grand hôtel avec ses parents expatriés. Ce soir-là, ils sont sortis, et la mise en scène se concentre sur l’adolescente isolée et les parents tenus à l’écart par la police et l’armée, sans montrer les assaillants ni les autres victimes. L’effet est saisissant et démontre une grande intelligence du cinéma. Ce qui est survenu à Paris le 13 novembre a approché Taj Mahal si près de la réalité que sa vision, que l’on aurait recommandée en d’autres circonstances, peut se révéler insupportable à certains.Film français de Nicolas Saada, avec Stacy Martin, Louis-Do de Lencquesaing, Gina McKee. (1 h 31.)L’homme aux cent films : Im Kwon-taek à la Cinémathèque Au début de sa carrière, dans les années 1960, Im Kwon-taek réalisait environ cinq longs métrages par an. Il s’agissait bien sûr de remplir les quotas de production nationale fixée par le gouvernement de Corée du Sud, mais aussi d’assouvir une inépuisable rage de filmer. Plus tard, le réalisateur, devenu gloire du cinéma international, a empêché la projection de ces films produits à la chaîne, thrillers, westerns mandchous ou films de sabre. Il est revenu sur cette interdiction, et la rétrospective que propose la Cinémathèque permettra de confronter ces œuvres reniées et les chefs-d’œuvre de la maturité (Im Kwon-taek est né en 1936) : Le Chant de la fidèle Chunhyang (2000) ou Ivre de femmes et de peinture (2002). Le 3 décembre, de 19 heures à 21 heures, notre collaborateur Jean-François Rauger sera l’interlocuteur du maître pour une leçon de cinéma intitulée « Im Kwon-taek par Im Kwon taek ».A la Cinémathèque française, du 2 décembre 2015 au 29 février 2016.Poupées lubriques et figurines autistes : Carrefour du cinéma d’animationUne fois par an, le Forum des images (qui continue sans désemparer de montrer des images hors du commun, oublieux des bouleversements à la surface du Forum des Halles) dresse en quelques jours un état des lieux du cinéma d’animation. C’est l’occasion de revenir sur une œuvre ou de découvrir des films encore inédits. Cette année, le héros de la fête est l’Australien Adam Elliot, l’auteur de Mary et Max, qui relatait, à travers des figurines animées, l’amitié épistolaire entre un New-Yorkais atteint du syndrome d’Asperger et une jeune Australienne esseulée. Côté découverte, on pourra voir en avant-première le très étonnant Anomalisa, de Charlie Kaufman (le scénariste d’Eternal Sunshine of the Spotless Mind ou de Dans la peau de John Malkovich) et Duke Johnson, qui prête à ses marionnettes le don (et le fardeau) du désir érotique ou Le Garçon et la Bête, le nouveau film de Mamoru Hosoda, l’auteur des Enfants loups.Du 3 au 6 décembre, Forum des images. ************************************************************* Aucun d’entre eux n’entretient toutefois à l’égard de Marx la ferveur et le lyrisme de Raoul Peck. Sans les nécessités du lendemain, alors que nous le rencontrons en début de soirée, il est probable que la nuit entière y serait passée. Son parcours explique en partie cette passion. Naissance à Port-au-Prince (Haïti) en 1953, enfance à Leopoldville (aujourd’hui Kinshasa), au Congo, pour fuir la dictature Duvalier avec ses parents, études d’ingénieur en Allemagne, puis de cinéma. Une œuvre très engagée s’ensuit. L’Homme sur les quais (1993), sur le début de règne de Duvalier ; Lumumba (2000), sur la figure assassinée de l’indépendance congolaise ; Quelques jours en avril (2005), une série HBO sur le génocide rwandais. entre-temps, Raoul Peck aura été ministre de la culture en Haïti. Depuis 2010, il assume les fonctions de président de la Femis. ************************************************************* Pierre-Joseph Proudhon et ses enfants en 1853 par Gustave Courbet (1853-1865) ************************************************************* ************************************************************* Mort de Jacques Denis, interprète de Tanner et de Tavernier Le comédien Jacques Denis, qui avait été révélé dans La Salamandre, d’Alain Tanner, en 1971, est mort le 2 décembre, à Saint-Quentin (Aisne). Il avait 72 ans et s’était retiré du métier d’acteur depuis une dizaine d’années. Dans le film de Tanner, qui devait marquer le renouveau du cinéma suisse, il incarnait l’un des deux soupirants de l’héroïne que jouait Bulle Ogier. Aux côtés de Jean-Luc Bideau, il imposait une présence à la fois gracieuse et massive. Dans Le Monde, Louis Marcorelles écrivait à son sujet : « La révélation du film reste pourtant Jacques Denis, Paul, l’acteur le plus poétique, le plus pudique apparu depuis John Garfield. Tendresse et lucidité, sourire (pour ne pas avoir à en pleurer), joie d’être malgré tout. » Ce premier grand rôle au cinéma était l’aboutissement d’un apprentissage commencé à Paris, où le jeune homme, né à Fès (Maroc) le 12 mai 1943, avait suivi les cours d’art dramatique dispensés par Tania Balachova, avant d’entamer sa carrière sur les scènes romandes. C’est là qu’Alain Tanner le repère pour « son physique singulier (…) un humour et une intelligence qui lui permettaient d’inventer des personnages à part », comme l’a expliqué le cinéaste à nos confrères du Temps.Aussi acteur de télévision et de théâtreJacques Denis retrouvera Alain Tanner pour Le Milieu du monde (1974) et Jonas qui aura 25 ans en l’an 2000 (1976). Il tourne aussi avec Bertrand Tavernier, qui lui confie un important second rôle dans son premier long-métrage, L’Horloger de Saint-Paul, en 1974. On voit aussi le comédien à la télévision française, dans la série « Le Pain noir », de Serge Moati (1975).En 1977, le jeune (29 ans) réalisateur Laurent Heynemann lui confie le rôle principal de La Question, adaptation du récit que le militant communiste Henri Alleg a fait de sa torture aux mains de l’armée française, à Alger, en 1956. Les dispositions de la loi d’amnistie obligent à changer le nom du personnage principal : Jacques Denis sera Henri Charlègue, mais il imposera la vérité d’un personnage intègre qui résiste à la souffrance et à l’humiliation.Ses apparitions au cinéma s’espacent : chez Bertrand Blier (Calmos, en 1976, Notre histoire, en 1984) ou Claire Denis, qui le fait jouer dans Chocolat, son premier film, en 1988. Jacques Denis travaille ensuite essentiellement à la télévision et au théâtre. On l’a vu une dernière fois sur grand écran en 2003, dans un petit rôle que lui avait confié Raoul Ruiz dans Ce jour-là. ************************************************************* ************************************************************* Le tourisme spatial virtuel, la nouvelle fantaisie de « Star Wars VII : Le Réveil de la force » La NASA a eu beau animer une partie de l’actualité de 2015, le 16 décembre, la planète la plus connue de l’année viendra inéluctablement de la galaxie Star Wars. Depuis la première bande-annonce pour Le Réveil de la force, en avril, Jakku a été placée sous les projecteurs, et Disney a sorti l’artillerie lourde (livres, expériences de réalité virtuelle, jeux vidéo) pour donner vie en quelques mois à cette planète sableuse.La touche finale intervient avec Star Wars Battlefront, le jeu vidéo de tir d’Electronic Arts. Le 8 décembre (le 1er pour ceux qui l’avaient réservé), un contenu additionnel de 1,5 Go permet de télécharger la fameuse « bataille de Jakku », sous forme de deux cartes différentes.« C’était quelque chose que nous voulions faire pour donner aux fans un avant-goût du film », explique au Monde Niklas Fegraeus, chef de projet sur le jeu vidéo. Cette extension permet de fouler de manière virtuelle le sol de Jakku, trente ans avant les événements de Star Wars VII. Et surtout de découvrir cette planète jusque-là inédite.Un nouvel univers étenduJakku est le produit de la réécriture récente de la mythologie Star Wars. Au début de 2014, Disney et LucasArts Studios annonçaient la révocation de l’univers étendu : toutes les œuvres déjà existantes et concernant la période couverte par la troisième trilogie, qu’il s’agisse de livres, jeux de plateau, bandes dessinées ou jeux vidéo, étaient désormais considérés comme de simples « légendes ». A la place, un nouvel univers voit le jour, avec la bande-annonce du 16 avril comme premier indice.« Les gens ont d’abord pensé qu’il s’agissait de Tatooine [la planète où débute l’épisode IV de La Guerre des étoiles]. Mais c’est Jakku », s’était amusé J.J. Abrams, le réalisateur du septième épisode, peu après la première bande-annonce dévoilant les dunes du prochain film.Alors que le très critiqué La Menace fantôme s’était ouvert sur la présentation d’un nouveau lieu guère resté dans les annales, Naboo, le réalisateur de Star Trek et Super 8 a tenu à rappeler la particularité de la saga. « Star Wars est plus proche d’un western et d’un conte de fées que de quoi que ce soit d’autre », avait-il expliqué pour justifier sa recherche de paysages arides à la John Ford.L’histoire de la saga ? Entièrement à réécrire, afin de remplir les trente ans qui séparent les événements de Star Wars VI de ceux du VII. Une série de vingt livres est ainsi annoncée. Deux d’entre eux, sortis aux Etats-Unis le 4 septembre, marquent la naissance officielle de Jakku en tant que planète du nouvel univers étendu.Star Wars Aftermath, de Chuck Wendig, qui raconte la chute de l’Empire, et Star Wars Lost Stars, de Claudia Gray, qui aborde le conflit entre deux personnages rangés dans les camps opposés, évoquent pour la première fois cette planète de la Bordure extérieure, au climat aride, et théâtre cinq ans après les événements du Retour du Jedi de la bataille de Jakku.Celle-ci voit une nouvelle victoire des rebelles contre l’Empire. Ce qu’il en reste, un monde hostile ravagé, couvert de débris et carcasses à l’abandon, servira de point de départ au film, tel que J.J. Abrams, le nouvel homme fort de Star Wars, l’a imaginé.« Première fois que “Star Wars” est raconté de cette manière »Dès lors, Disney et ses partenaires mettent en avant cette lointaine cousine de Tatooine (l’emblématique planète où Luke Skywalker a grandi, désertique elle aussi). Dès septembre, une vidéo postée sur Facebook permet d’en faire le tour en caméra embarquée sur un speeder.Puis début décembre, Disney a également lancé Jakku Spy, une expérience de réalité virtuelle réservée aux possesseurs de Google Cardboard (un système de lunettes à monter soi-même). Le site officiel se gargarise :« Il vous met dans la peau d’un agent secret de la résistance sur Jakku, vous enveloppe dans une réalité virtuelle étourdissante, et dévoile plusieurs aspects narratifs. Tout cela mène à “Star Wars : Le Réveil de la force”, et c’est la première fois que “Star Wars” est raconté de cette manière. »Alexis Blanchet, maître de conférences en études cinématographiques à l’université Paris-III, y voit une évolution du transmédia, la pratique consistant à mêler différents supports. « Depuis les années 2000, la plupart des adaptations de films en jeu vidéo insistent sur les plans larges. Ils ont un caractère de tourisme interactif. Star Wars Battlefront s’inscrit dans cette continuité. Mais avec la réalité virtuelle, on franchit une étape supplémentaire. » Pour l’auteur de Des pixels à Hollywood (Pix’n Love, 2010), cette communication à 360° autour d’une planète de science-fiction a au moins un célèbre antécédent, le film de James Cameron de 2009. « Le slogan d’Avatar, c’était “Enter the world”, et le film avait été qualifié par certains critiques de planet opera. Le lieu était au centre de l’ambition cinématographique de James Cameron, ce qui peut être considéré comme une prémisse à Jakku. » Une approche à la « Avatar »Enfin, en dépit d’une longue histoire en jeu vidéo, c’est la première fois qu’une adaptation de Star Wars converge autant avec le film. « Ce qui est intéressant, relève Alexis Blanchet, c’est qu’au moment de la sortie de La Menace fantôme, le jeu Star Wars Pod Racer proposait des courses sur toute une série de planètes, qui, à part Tatooine, avaient toutes été inventées pour le jeu. Aujourd’hui, nous sommes dans la configuration exactement contraire, celle du retour à une matrice d’univers d’une cohérence totale. » Les développeurs de Star Wars Battlefront ont d’ailleurs pu s’appuyer sur des éléments de première main pour reconstituer le désert de Rub al-Khali, aux Emirats arabes unis, où ont été tournées les scènes du film consacrées à Jakku. « Nous avons eu la possibilité d’aller sur le plateau de tournage à Abou Dhabi et de collecter des tonnes de références et de données photogrammétriques. Cela nous permet d’apporter de l’authenticité au jeu », se félicite Niklas Fegraeus.On y arpente ainsi, blaster en main, une planète désertique jonchée d’ordures et de carcasses d’appareils impériaux détruits, au ciel strié de croiseurs stellaires, et aux dunes dont jaillissent stormtroopers ou rebelles dans une ultime bataille. Celle-ci a demandé des efforts d’adaptation, convient Niklas Fegraeus.« La principale difficulté a été de trouver un équilibre entre les besoins du jeu et ce qui est pour l’essentiel un désert plat. Néanmoins, les épaves et les cicatrices laissées par la guerre dans le décor offrent de nombreuses solutions et des espaces d’amusement très intéressants. Je crois qu’on a réussi à trouver un bon mix entre paysages épiques et champ de bataille avec de nombreux recoins. »Bien sûr, tous ces efforts de communication n’auront de sens que si le film réussit à convaincre. Comme le résume Entertainment Weekly, il y avait Lawrence d’Arabie, il y aura peut-être maintenant Abrams de Jakku. ************************************************************* Une association catholique fait annuler le visa d’exploitation de « La Vie d’Adèle » Le visa d’exploitation du film La Vie d’Adèle, actuellement interdit aux moins de 12 ans avec avertissement, a été annulé par la justice administrative en raison des « scènes de sexe réalistes » du film, « de nature à heurter la sensibilité du jeune public ». Selon les informations du Monde, le ministère de la culture va faire appel de cette décision devant le Conseil d’Etat.Dans une décision rendue publique mercredi 9 décembre, la cour administrative d’appel de Paris a demandé à la ministre de la culture, Fleur Pellerin, de « procéder au réexamen de la demande de visa » du film dans un « délai de deux mois ». L’autorisation administrative est délivrée par la commission de classification, et est nécessaire pour permettre sa diffusion dans les salles de cinéma.Lire aussi : Déboutée en première instanceLa cour a estimé que La Vie d’Adèle : chapitres 1 et 2, sortie en 2013, qui raconte une passion amoureuse entre deux jeunes femmes, comporte « plusieurs scènes de sexe présentées de façon réaliste, en gros plan » qui sont « de nature à heurter la sensibilité du jeune public ». De ce fait, la ministre « ne pouvait, sans commettre d’erreur d’appréciation » au regard de la loi « accorder un visa d’exploitation comportant une interdiction limitée aux mineurs de 12 ans », assortie de messages d’avertissement, ajoute-t-elle.La justice avait été saisie par l’association Promouvoir, proche des milieux catholiques traditionalistes, qui estimait que le film aurait dû être interdit aux moins de 18 ans. Promouvoir avait été déboutée en première instance, en septembre 2014, par le tribunal administratif de Paris de sa demande d’annulation du visa d’exploitation du film. Aventure, classique japonais, film d’animation… tous les goûts sont au cinéma Un bon gros film d’aventures (Au cœur de l’océan, de Ron Howard), un chef-d’œuvre japonais inédit de 1964 (Une femme dans la tourmente, de Mikio Naruse), une fantaisie musicale bien de son époque (Comment c’est loin, d’OrelSan) : cette semaine, il y en aura pour tous les goûts, et toutes les humeurs.AUX SOURCES DE MOBY DICK : « Au cœur de l’océan », de Ron HowardFilm d’aventures, Au cœur de l’océan est aussi l’histoire d’une histoire, et pas n’importe laquelle. Le scénario de Charles Leavitt a recours à un procédé bien connu : un enquêteur fait parler un témoin, et leur conversation fait bientôt place à la traduction cinématographique des souvenirs de l’interviewé. Ici, l’interrogateur s’appelle Herman Melville (Ben Whishaw). Il est venu à Nantucket recueillir les souvenirs de Tom Nickerson (Brendan Gleeson), dernier survivant du naufrage de l’Essex. Trente ans plus tôt, en 1820, ce baleinier d’un port de la Nouvelle-Angleterre a fait naufrage au milieu du Pacifique, éperonné par un cachalot d’une taille hors du commun. Ron Howard met un enthousiasme remarquable à reconstituer non seulement des décors magnifiques – le port de Nantucket, le baleinier –, mais aussi une industrie. L’intrigue principale baigne dans un système économique – la récolte et l’exploitation de la graisse de baleine, principale source d’éclairage en Occident au début du XIXe siècle – comme la mèche d’une lampe baigne dans l’huile. Pendant ce temps, à bord de l’Essex, se joue un drame plus conventionnel, qui ramène encore un peu plus Au cœur de l’océan vers une tradition hollywoodienne que l’on croyait éteinte. C’est dire que l’histoire de l’Essex n’est pas celle du Pequod, que ce film historique néoclassique n’ouvrira pas les abîmes métaphysiques qui engloutissent le lecteur de Moby Dick. Une fois admises les limites de cette entreprise, on est libre de s’abandonner au plaisir qu’elle offre, de partager la griserie qui saisit le réalisateur de cinéma évoquant un monde oublié par l’artifice et par l’effort (une bonne partie du tournage a eu lieu en pleine mer). Thomas SotinelSUBTIL TRÉSOR DU CINÉMA NIPPON : « Une femme dans la tourmente », de Mikio Naruse Compter parmi les films inédits en salles une œuvre de 1964 n’est pas si courant. Son auteur, Mikio Naruse, est au diapason de cette étrangeté, puisqu’il est sans conteste l’élément le moins identifiable parmi le quatuor des grands classiques japonais célébrés par la cinéphilie mondiale. Né en 1905, mort en 1969, auteur d’une œuvre subtile et économe de ses effets, délibérément diluée dans la grisaille du quotidien et le destin incessamment désappointé des gens ordinaires, il n’a ni l’élégance cruelle de Mizoguchi, ni la précision bouleversante d’Ozu, ni la fièvre lyrique de Kurosawa. Qu’a-t-il donc qui justifie le fait d’être ainsi placé au plus haut degré du temple cinéphilique ? Une femme dans la tourmente, poignant chef-d’œuvre de fin de carrière (Naruse réalisera son dernier film, Nuages épars, en 1967), apporterait à lui seul des éléments essentiels de réponse. L’action se situe dans le bourg de Shimizu, dans les années 1960. Reiko – interprétée par la muse de Naruse, Hideko Takamine, une des plus grandes actrices au monde –, une veuve de guerre qui a eu six mois pour jouir de son mariage avant la mort de son mari au front, y gère depuis dix-huit ans l’épicerie de sa belle-famille, qu’elle a sauvée d’une fermeture assurée. Sa belle-mère avait à s’occuper d’un mari malade, ses deux belles-sœurs ont pensé à faire leur vie, et son beau-frère, Koji, frère cadet de son mari défunt, a joint l’indolence à l’affection qu’il lui témoigne. C’est essentiellement entre ces deux derniers personnages que le drame va se nouer, sur fond de mutation rapide de l’économie et plus largement de la société nippone. Jacques MandelbaumORELSAN TROUVE LE BON TEMPO : « Comment c’est loin », d’OrelSan et Christophe OffentsteinA 25  ans, la vie leur promettait du rêve. Orel et Gringe, deux petits gars de Caen qui se retrouvent invités à rapper au micro d’une radio locale, sont repérés par un producteur qui leur propose d’enregistrer un single. Cinq ans plus tard, le premier travaille comme gardien de nuit dans un hôtel pour VRP des faubourgs de la ville. Le second le rejoint régulièrement dans la cuisine pour écluser les bouteilles du bar et tester quelques «  punchlines  » pour ce fameux morceau qui attend toujours d’être écrit. Sans s’en rendre compte, les jeunes rappeurs prometteurs sont devenus des ratés. Leur ambition s’est émoussée, et l’atroce médiocrité de la vie standardisée, contre laquelle ils croyaient être vaccinés, est sur le point de les engloutir dans sa gangue. Dans une ultime gueulante, leur producteur leur pose un ultimatum : s’ils ne pondent pas un morceau dans la journée, il reprend son matériel et les lâche pour de bon. Premier film du rappeur OrelSan, coréalisé avec le chef opérateur Christophe Offenstein, Comment c’est loin suit les deux zozos dans une journée qu’ils passent à repousser indéfiniment le passage à l’acte, tétanisés par ce défi colossal qui est, en même temps, leur heure de vérité : comment faire en une journée ce qu’on n’a pas réussi à faire en cinq ans  ? Les spectateurs du « Petit Journal  » reconnaîtront l’esprit de la pastille Bloqués, qu’OrelSan et Gringe animent depuis la rentrée de septembre, mais l’approche est différente. Le rapport au temps, alternativement étiré ou compressé, selon l’intensité des moments, est au cœur d’une mise en scène qui traduit chez le musicien une véritable intelligence du cinéma. Isabelle RegnierDES MOUTONS ET DES HOMMES : « Béliers », de Grímur HákonarsonSi l’on se référait aux « propres de l’homme » souvent invoqués que sont le rire et la parole, on serait bien en peine de distinguer, dans Béliers, les humains des animaux. Dans une vallée islandaise loin de tout, deux frères célibataires, Gummi et Kiddi vivent l’un à côté de l’autre, chacun avec son élevage de moutons. Cela fait si longtemps qu’ils ne se parlent plus qu’on s’étonne qu’ils parlent encore. A leur consacrer tout leur temps, toute leur énergie, tout leur amour, les éleveurs se sont mis à ressembler à leurs bêtes. L’âge les a rendus aussi blancs les uns que les autres, et on s’étonnerait moins de voir rire les moutons que les hommes, tant les seconds sont grognons. Les « béliers » du titre, ce sont eux, sans doute. Le réalisateur Grímur Hákonarson travaille cette quasi-animalisation de ses héros dans un esprit burlesque mélancolique, où le comique tient plus souvent de l’immobilité que du geste. Mais avant l’humour, il fait la part belle à la tendresse, filmant les gestes doux des grosses mains qui caressent ces bêtes aimées, et dont la perspective de l’extinction de la lignée fait souffler un vent de fin des temps sur leur petit monde. Noémie LucianiLA GRANDE GUERRE, RACONTÉE AUX ADULTES : « Cafard », de Jan BultheelLe 21 octobre sortait Adama, de Simon Rouby, qui racontait à travers un regard d’enfant le voyage des tirailleurs sénégalais jusqu’à Verdun. Quelques semaines plus tard, en ce début du mois de décembre, l’animation s’essaie de nouveau à nous apprendre ou réapprendre l’Histoire. Celle que le réalisateur belge Jan Bultheel a voulu raconter est encore moins connue que celle des tirailleurs sénégalais. Il s’est inspiré d’un livre d’August Thiry et Dirk Van Cleemput, Voyageurs de la Grande Guerre, pour transposer en fiction l’épopée singulière de l’ACM : autos-canons-mitrailleuses, première division blindée du monde et corps d’élite de l’armée belge, envoyée sur le front de l’Est dès l’été 1915 et revenue au pays en juillet 1918, après avoir fait le tour du monde. Cafard fait le pari d’une animation franchement tournée vers les spectateurs adultes ou grands adolescents, susceptibles d’en apprivoiser l’image comme d’en supporter la violence. Si les scènes de combat sont terribles, c’est plutôt aux ravages de la guerre dans l’âme, à la violence intime, que s’intéresse le réalisateur. De la Belgique à la Russie, de la Russie aux Etats-Unis, c’est une longue odyssée qui nous est racontée. Les décors changent, les regards changent, mais la guerre a partout le même visage : pour Jan Bultheel, c’est un combat des ombres contre la lumière. Tourné en prises de vues réelles, Cafard aurait peut-être tablé sur un jeu compliqué de projecteurs et marché sur les traces de Fritz Lang et de l’expressionnisme allemand. L’animation lui permet d’aller plus loin encore dans ses contrastes, jusqu’à ce remarquable paradoxe qui en fait toute la force : faire vrai en travaillant au bord de l’abstraction. N. Lu. ************************************************************* Mort de David Douche, acteur inoubliable de « La Vie de Jésus » Il est probable que le nom de David Douche ne dise plus grand-chose à personne. Cet homme de 43 ans, retrouvé mort par asphyxie, en compagnie de sa compagne, à la suite de l’incendie de leur domicile à Hazebrouck (Nord-Pas-de-Calais-Picardie) dans la nuit du lundi 7 au mardi 8 décembre, aura été l’acteur d’un seul rôle, mais inoubliable. C’était en 1997. Près de vingt ans après, le souvenir est précis, aigu, perçant. Le film s’intitule La Vie de Jésus, c’est le premier de Bruno Dumont, et David Douche, solide blondinet d’une vingtaine d’années à la tête dure et au regard qui vrille, y campe Freddy, un jeune chômeur qui tourne à mobylette avec ses copains dans un paysage du Nord somptueux et déjà abandonné, déjà désolé, déjà tenté par le pire. Un copain qui meurt du sida à l’hôpital, une petite copine qui va voir ailleurs, des tonnes de ciel bas et de calamité sociale et morale sur les épaules. Le drame rôde sourdement, il surviendra, entre un pépiement de pinson et une apparition dénudée de la mère, sous la forme d’un assassinat passionnel à relent raciste. Enfant de la DASS La triple découverte du film, de l’auteur et de l’acteur est époustouflante. Cette âpreté, cette beauté, cette dure poésie flamande, cette pertinence politique du propos, ce sentiment tout à la fois d’authenticité absolue et de transfiguration esthétique : on n’avait, quasiment, jamais vu ça dans le cinéma français. David Douche était le tout premier de ces acteurs non professionnels, comme extraits à la matière brute d’une région à la fois grandiose et paupérisée, qui nourrissent depuis lors le cinéma de Bruno Dumont (de L’Humanité au P’tit Quinquin), auteur viscéralement attaché à sa région natale comme terre d’élection d’un cinéma au vaste horizon, charnel, torturé, tellurique. Enfant de la DASS, élevé en famille d’accueil, David Douche ne sera parvenu, ni avant, ni après ce premier et dernier rôle, à stabiliser une vie éclatée, souffrante, violente. Armée, prison, chômage, sans domicile fixe, sa situation semblait cependant s’être un peu améliorée ces dernières années. Sollicité par nos confrères de La Voix du Nord, Bruno Dumont y a ainsi rendu hommage à son premier acteur principal : « David habitait à Bailleul dans la rue des Foulons, décor principal et rue où habitera Freddy. David fut ainsi recruté parmi d’autres jeunes au casting. Ce fut d’abord peu probant tant David, sans y croire, méfiant naturellement, rechignait à l’exercice : il jouait mal, faux, mais, curieusement, s’y soumettait pourtant et revenait toujours aux autres rendez-vous. Dans tout ce cafouillage, il avait une telle fougue, si contenue, que je fis le pari qu’il serait Freddy et que j’en prendrais mon parti. Il accepta le rôle. Bien m’en a pris : une tête de lard donc, mais un acteur de génie et dès le premier jour jusqu’à la fin. J’ai appris sa mort mardi soir et en suis si triste. Un homme redoutable, par sa vie entière et la force qu’elle lui avait donnée. Son passage au cinéma illumina ainsi tout un film, La Vie de Jésus, et tous les dilemmes obscurs des questions morales. » Bruno Dumont en sept merveilles Cinéma : Coffrets-vous pour les fêtes Andreï Zviaguintsev La décélération brutale du cinéma en provenance de Russie depuis la chute de l’Union soviétique compte parmi les choses les plus désolantes qui se puisse imaginer. La déstructuration profonde de cette industrie, sa tentation des méga-productions voulant concurrencer Hollywood sur son terrain, l’éviction d’une immense personnalité du cinéma mondial en la personne de Naoum Kleinan, directeur de la Cinémathèque de Moscou, la mort récente d’un dernier grand génie tel que Alexeï Guerman, autant d’éléments qui ont contribué à une sorte de tabula rasa de cette cinématographie pourtant exceptionnelle. Les auteurs qui parviennent aujourd’hui à s’imposer dans un tel paysage sont quasiment inexistants, et éprouvent le plus grand mal, après tel ou tel succès d’estime – on pense à Boris Khlebnikov et à son Koktebel de 2003, à Alekseï Fedortchenko et à son Dernier Voyage de Tanya en 2010 – à instaurer une présence pérenne hors de leurs frontières.Il fallait au moins cette précaution introductive pour faire mesurer à quel point Andreï Zviaguintsev est aujourd’hui une rareté dans le paysage. Né en 1964 à Novossibirsk, en Sibérie, ce quinquagénaire a seulement quatre longs-métrages à son actif, mais tous sélectionnés dans des grands festivals, tous distribués en France, tous connus et reconnus dans les rangs de la cinéphilie. En 2003, le Lion d’or à Venise pour son premier long-métrage, Le Retour, entrée en matière tardive dans la carrière, est un gros choc esthétique. Le film met en scène les retrouvailles d’un père absent et de ses deux fils, dans un périple somptueux et inquiétant qui précipite plutôt qu’il ne déjoue la malédiction filiale.Noël, fête de la famille, n’est peut-être pas le moment idéal pour le rappeler, mais on doit à la vérité de dire que toute l’œuvre de Zviaguintsev est, à cette aune, attachée à chroniquer la désagrégation, par le dedans comme par le dehors, de la sacro-sainte cellule familiale, qui prend à mesure que l’œuvre progresse valeur de métaphore nationale. Le Bannissement (2005) décrit ainsi, dans une famille qui a fui la ville, le vertige métaphysique de la jalousie qui s’acharne à faire advenir ce qu’elle redoute. Elena (2012), sous la forme d’un faux film criminel appliqué à la conjugalité, fait émerger dans le cinéma de Zviaguintsev une claire dimension sociale qui réunit une infirmière et son ex-patient, un riche retraité qui l’a épousée et réduite en esclavage.Enfin, Léviathan (2014), peinture au vitriol de la corruption et de la malveillance généralisées régnant dans une ville de la Baltique, est l’histoire de la destruction d’un couple sous les coups redoublés de la mafia officielle et de l’intransigeance de l’homme qui en sera victime. Tout cela, à défaut d’être gai, se révèle d’une beauté follement russe, mise en scène avec style, dans une attention soutenue et inspirée à la puissance esthétique du paysage, à la manière dont il inscrit dans l’espace tant la fatalité de l’intrigue que l’aura sacrificielle des personnages. Jacques MandelbaumCoffret de 4 DVD, Pyramide vidéo, 40 €.L’intégrale Jane CampionOn regrette parfois que Jane Campion ne soit pas plus prolifique, qu’il faille attendre si longtemps entre deux de ses longs-métrages. Le dernier, le très beau et romantique Bright Star, date de 2009. Ce défaut se transforme en avantage avec la publication de ce coffret qui couvre trois décennies de cinéma, des premiers courts-métrages (dont le très inquiétant Peel, présenté à Cannes en 1984) à la brillante série « Top of The Lake », diffusée en 2013, soit la totalité de son œuvre.Entre les deux, il y a huit longs-métrages. Le plus connu reste La Leçon de piano (Palme d’or à Cannes en 1993, la première jamais reçue par une réalisatrice), qui – comme tous les autres films de Jane Campion – exacerbe les sentiments jusqu’aux frontières de la folie. Ce thème est présent dès les premiers films tournés en Nouvelle-Zélande, le troublant et semi-autobiographique Sweetie ou le sublime Un ange à ma table, qui retrace le parcours tourmenté de l’auteure néo-zélandaise Janet Frame. Ce dernier film, long de deux heures et demie, est un enchantement visuel sur fond d’enfer quotidien. L’actrice Kerry Fox suit avec une bravoure hors du commun le parcours de l’écrivain, convaincue de schizophrénie par des psychiatres bien intentionnés et menacée de lobotomie.Ces destins de femmes en danger fascinent la cinéaste, qui reprend le thème dans In The Cut (2003), un thriller sensuel et pervers qui met aux prises Meg Ryan (à rebours de ses rôles de chic fille, ce qui demande un immense effort à l’actrice américaine) et Mark Ruffalo.L’œuvre de Jane Campion, cinéaste de l’espace (les routes rectilignes des antipodes, l’océan infranchissable…), a pour conclusion provisoire une série télévisée, « Top of The Lake », tournée en Nouvelle-Zélande. Elisabeth Moss (Peggy dans « Mad Men ») y joue une policière qui perd ses repères au moment où elle croit revenir chez elle. La cinéaste a réalisé la moitié des six épisodes de cette mécanique infernale qui met en jeu les passions les plus dangereuses dans le cadre exaltant des montagnes de l’archipel. On ne sait ce qui frappe le plus de l’adaptation instinctive de l’auteure au rythme de la série ou de la préservation de ce qui fait l’essence de son cinéma : la fureur du désir et la beauté du monde. Thomas SotinelCoffret de 12 DVD ou 10 Blu-ray plus 1 DVD, Pathé, 99,99 €/119,99 €.Mamoru Hosoda Animation WorksMoins connu en France que Hayao Miyazaki et les autres artistes du studio Ghibli, Mamoru Hosoda, qui a fait ses armes d’animateur sur des séries populaires (Dragon Ball Z, Sailor Moon) et de réalisateur avec les sagas Digimon et One Piece, aurait pu abriter toute sa carrière dans le confort des niches commerciales. L’année 2006 est, pour lui, l’occasion d’une mue spectaculaire : avec La Traversée du temps, adaptation d’une célèbre nouvelle japonaise, il s’impose d’un coup d’éclat dans le paysage de l’animation japonaise, dont il est aujourd’hui l’un des plus beaux talents. Le cours du processus créatif s’inverse. A partir de Summer Wars, ses films ne naissent plus d’autres livres ou d’autres films, ce sont eux qui génèrent des mondes qui s’étendent et s’enrichissent sous forme de mangas notamment – plus ambitieux, plus réussis que le « produit dérivé » dans l’acception occidentale du terme. C’est dans ce sens que Kazé a travaillé cet alléchant coffret. L’éditeur et distributeur français y a regroupé des éditions collector de La Traversée du temps, Summer Wars et Les Enfants Loups avec les mangas, roman, artbook ainsi qu’un story-board pour une immersion prolongée dans les mondes de Mamoru Hosoda. D’une métamorphose à l’autre – les hommes y sont souvent à moitié animaux, les animaux à moitié hommes –, le cinéaste construit ses films par strates ambitieuses de sens et de symboles : derrière la féerie se disent les grandes douleurs et les joies immenses de la vie de famille, et derrière la famille se dessine le portrait résolument moderne d’un Japon formidable et fragile, jouant avec le feu dans la toile dangereuse des réseaux sociaux (Summer Wars) ou rêvant de renouer en paix avec la nature (Les Enfants Loups). A quelques semaines de la sortie du nouveau film d’Hosoda, Le Garçon et la Bête (dont le coffret contient, cerise sur le gâteau, un bon pour retirer le DVD lors de sa sortie en mai 2016), on trouvera difficilement meilleure manière de tromper l’attente, ou de rattraper son retard. Noémie LucianiCoffret de 7 DVD ou Blu-ray, Kazé, 169,96 €/189,95 €.Frederick Wiseman Intégrale volume 1 : 1967-1979C’est à un monument que s’attaque l’éditeur Blaq Out, en proposant rien moins que l’œuvre quasi intégrale du documentariste bostonien Frederick Wiseman, soit près de quarante films, et plus d’une centaine d’heures de programme, regroupés sur trois coffrets aux sorties échelonnées jusqu’à l’automne 2016. Le volume inaugural regroupe les treize premiers films du cinéaste, tournés entre 1967 et 1979, à un rythme stakhanoviste (un film par an) qu’autorisait leur financement par la télévision publique américaine (la chaîne PBS). Dès ce premier ensemble, la méthode Wiseman est posée, qui consiste à s’installer dans un lieu circonscrit pour en éprouver le fonctionnement complet. Pas n’importe quels lieux, évidemment, mais ceux de l’espace public, où le citoyen anonyme rencontre les guichets qui organisent son existence sociale, et qu’on nomme « institutions » : l’asile (Titicut Follies, 1967), le lycée (High School, 1968), le commissariat (Law and Order, 1969), le tribunal (Juvenile Court, 1973) ou encore l’armée (Basic Training, 1971).L’œuvre de Wiseman, qu’on a trop souvent présentée sous l’angle du systématisme et de l’obstination structurelle, est avant tout la plus formidable comédie humaine de son temps, une grande collection de visages et de situations, d’échanges et de rhétorique, de rapports et de crises, d’épreuves et de crispations, éminemment balzacienne en ce qu’elle se situe au niveau d’une « société » dont elle reproduit le mouvement général. Dans Welfare (1975), peut-être le plus beau film du coffret, tourné dans les bureaux des allocations sociales à New York, le cinéaste recueille une infinité de drames domestiques, de naufrages individuels, d’argumentations homériques et autres concerts de mauvaise foi, l’institution exerçant, au corps défendant des fonctionnaires, une autorité presque absurde. Filmer la structure, pour Wiseman, c’est aussi faire sentir la main de fer d’une technocratie aveugle qui, en cette seconde moitié d’un XXe siècle alarmant, se referme doucement sur l’individu. Mathieu MacheretCoffret de 13 DVD, Blaq Out, 75 €.Jean Renoir Partie de campagne, La ChienneA priori, rien de nouveau sous le soleil. Deux titres, pas même inédits en DVD, récemment restaurés et réunis dans un coffret qui nous la fait au « prestige ». Deux raisons pourtant de l’acquérir ou de l’offrir. La première est qu’il s’agit quand même du plus grand des cinéastes français, Jean Renoir, avec le terrifiant La Chienne (1931) et le très sensuel Partie de campagne (1936). La seconde tient à ses bonus, que les renoiriens, et plus généralement les mordus de cinéma, apprécieront. Un petit film intitulé La Direction d’acteur, pilote d’une série avortée daté de 1968, dans lequel Jean Renoir, en 1968, expose sa méthode sur la personne de Gisèle Braunberger, femme du producteur Pierre Braunberger, auquel on doit les deux films contenus dans ce coffret. Ledit producteur avait déposé en 1962 à la Cinémathèque française tout le matériau préparatoire de Partie de campagne. Ces images inédites, palpitantes, sont montrées ici, le visage muet, pâle et dévorant de l’actrice Sylvia Bataille y devenant un paysage que Jean Renoir n’en finit plus d’explorer. J.M.Coffret de 4 DVD, M6 Vidéo, 34,99 €.Nico PapatakisL’intégraleIntimidant personnage que Papatakis, Grec et Ethiopien déménageant au gré des exils politiques, ami de Sartre et de Genet, muse de Warhol, qui mena vingt vies en une pour s’inventer cinéaste sur le tard. Plus intimidante est l’œuvre : cinq longs-métrages inclassables et dissemblables, où l’on parle comme dans les livres et où l’on rit comme on crierait, dont les tragédiennes sont des hystériques aux vraies blessures et les rages ancrées dans le temps, l’histoire, les luttes. Il faut un médiateur pour s’y plonger sans crainte : sa fille Manuela remplit la mission de la plus belle manière à travers ce coffret proposé par Gaumont. Associant aux films de multiples commentaires, documents d’époque et d’aujourd’hui, un livre regroupant les grands textes écrits sur son travail, quatre CDs d’entretiens inédits, ce n’est pas seulement en trésor pour cinéphile qu’il s’offre, mais en témoignage d’amour pour une œuvre intense, qui vieillit comme seuls les très grands crus savent le faire. N. Lu.Coffret de 11 DVD ou Blu-ray, Gaumont, 89,99 € et 99,99 €.Monty PythonSacré Graal ! 40e anniversaireDans ses mémoires tout justes publiés (Gilliamesque, éditions Sonatine, 308 p., 25 €), Terry Gilliam raconte l’horreur qui saisit le public américain en découvrant l’abnégation du chevalier noir qui continue de se battre malgré l’amputation successive de tous ses membres. Il faudrait, pour bien célébrer les quarante ans du premier vrai long-métrage des Monty Python, retrouver l’ignorance bienheureuse des spectateurs de l’époque, étourdis par ce mélange de culture littéraire et picturale (que démontrent les commentaires de cette édition DVD, livrés par MM. Jones, Gilliam, Palin et Idle) et de pulsions destructrices. Même s’il fut l’occasion de combats féroces entre les coréalisateurs (les deux Terry, Jones et Gilliam), Sacré Graal ! plaçait définitivement l’humour absurde des Python sur le terrain du cinéma, avec ses châteaux embrumés, ses paysages désolés enluminés par les dessins délirants de Gilliam, et ses personnages toujours trop grands ou trop petits pour leurs rôles. T.S.Un double DVD ou Blu-ray, Sony, 18 €.Buster KeatonL’intégrale des courts-métrages 1917-1923Ce n’est pas la première fois qu’Arte propose, avec la collaboration de Lobster Films, un coffret de DVD comprenant l’intégralité des courts-métrages de Buster Keaton. Mais cette nouvelle édition marque, indiscutablement, une étape supplémentaire dans la redécouverte d’une des œuvres les plus riches et les plus essentielles du cinéma muet. Nouvelles restaurations, musiques orchestrales inédites et surtout versions plus longues de certains des titres figurant dans un précédent coffret rendent, en effet, indispensable l’acquisition de cette livraison. « Pas une image, pas un seul son, nous préviennent Serge Bromberg et Eric Lange de Lobster Films, ne provient des éditions précédentes ». Edition définitive ou work in progress vers une reconstitution plus complète, le coffret regroupe, en tout cas, 32 titres qui constituent les débuts du génie comique au cinéma. Pure merveille. En débutant au cinéma, Keaton fit d’abord partie de l’équipe des faire-valoir de « Fatty » Arbuckle, comique rondouillard et agile, présent dans treize titres du coffret. Le burlesque de Roscoe « Fatty » Arbuckle est un burlesque volontiers grossier, de mauvais goût, peu sophistiqué et pourtant témoignant dans ses meilleurs moments, d’une roborative vulgarité. The Cook (Fatty cuisinier), réalisé en 1918, est, par exemple, un des chefs-d’œuvre de cette série de films. La trivialité des gags et des situations, où le travestissement est parfois sollicité, liée à l’agilité phénoménale des acteurs est servie par ce que l’on sent être une improvisation permanente. De celle qui rend le spectateur dans l’impossibilité de savoir de quoi la séquence suivante sera faite. En 1920, le producteur Jo Schenck propose à Keaton de devenir la vedette de sa propre série. Jusqu’en 1923, il coréalise, la plupart du temps avec Edouard Cline, dix-neuf comédies où il a le rôle principal et dans lesquelles son art s’affine et se perfectionne. Le burlesque géométrique devient d’une précision millimétrique et l’univers keatonien se construit. Les chefs-d’œuvre s’enchaînent dès lors : One Week (La Maison démontable), Neighbours (La Voisine de Malec), The Haunted House (Malec chez les fantômes), etc. Keaton construit son personnage de jeune homme en quête d’intégration. Les gags sont répétés pour être travaillés perpétuellement tel celui de la façade qui s’écroule sur le personnage principal, sauvé, in fine, par l’embrasure d’une fenêtre (Back Stage en 1918, One Week en 1920), gag enfin intégré dans le long-métrage Stemboat Bill Jr en 1928. Cops (Frigo déménageur) en 1922 inaugure le gag de la multiplication extatique du même avec cette inflation délirante de policiers à la poursuite du héros, situation dont il proposera des variations dans les longs-métrages Go West (Ma vache et moi) et Seven Chances (Fiancées en folie). Après 1923, viendra en effet le temps des longs-métrages géniaux. Jean-François RaugerCoffret Buster Keaton 4 DVD. 40 €.Hong Sang-sooLes Femmes de mes amis, Lost in the MountainsDans ce conte moral sorti en France en 2010, Hong Sang-soo suit un cinéaste en mal de reconnaissance qui traîne ses guêtres de festival art et essai en université d’art, au fil des invitations qui lui sont faites. Les micro-intrigues qui s’y nouent révèlent chez le personnage une répugnance à s’accommoder de la réalité qui le conduit immanquablement, et en particulier avec les femmes, à des situations conflictuelles. On retrouve les ingrédients de base du cinéma de ce coréen obsessionnel – excès d’alcool, ivresse de parole, scénario fondé sur la répétition traduisant l’incapacité du personnage à tirer la moindre leçon de ses actes… –, agencés avec une légèreté enivrante et une drôlerie féroce. Le film est accompagné d’un moyen-métrage inédit de l’auteur, Lost in the Mountains, qui déplie, sur un mode plus resserré qu’à l’accoutumée, un imbroglio d’affects dépressifs. Pour en accompagner la découverte, l’éditeur propose un petit essai rédigé par Romain Lefebvre, critique à la revue Débordements. Isabelle RegnierLes femmes de mes amis + Lost in the mountains. Survivance. 1 DVD. 1 livret. 19,99 euros. Abdellatif Kechiche juge « plutôt saine » l’annulation du visa d’exploitation de « La Vie d’Adèle » « Ça commence à ressembler à un gag », lâche mercredi 9 décembre Brahim Chioua, l’un des dirigeants de Wild Bunch, distributeur du film d’Abdellatif Kechiche La Vie d’Adèle. Plus tôt dans la journée, la cour administrative d’appel de Paris avait rendu publique sa décision d’annuler le visa d’exploitation du film en raison de « scènes de sexe réalistes de nature à heurter la sensibilité du jeune public ». Depuis sa sortie en salles, le 9 octobre 2013, le film, Palme d’or la même année, était interdit aux moins de 12 ans, avec un avertissement formulant mot pour mot cette référence aux scènes les plus explicites. La ministre de la culture, à qui les plaignants reprochaient une « erreur d’appréciation », a désormais deux mois pour déclassifier le film à la hausse, avec une interdiction aux moins de 16 ans ou de 18 ans. « Cette décision me paraît plutôt saine », réagit Abdellatif Kechiche, à contre-courant de son distributeur et du ministère de la culture. « Je n’ai jamais pensé que mon film pouvait être vu par des gamins de 12 ans, et je déconseille personnellement à ma fille de le voir avant qu’elle ait 14 ou 15 ans. » Aussi l’interdiction aux moins de 16 ans ne le « dérangerait pas », a-t-il déclaré au Monde. Cette histoire d’amour n’a-t-elle pas pour héroïne une lycéenne ? « Mes films touchent à l’adolescence, mais s’adressent plutôt à ceux qui ont une nostalgie de l’adolescence. Ça a plus d’intérêt pour les adultes que pour les adolescents qui n’ont pas encore vécu la douleur d’une rupture. C’est avant tout un film sur la rupture », analyse le réalisateur. Catholique traditionnaliste Quoi qu’en pense le cinéaste, cette décision est une nouvelle victoire pour Promouvoir, redoutable d’efficacité dans son combat contre « la violence et le sexe dans la culture ». Au palmarès de cette association implantée en PACA figurent notamment la classification X du film Baise-moi de Virginie Despentes et de Coralie Trinh Thi, en 2000, et l’interdiction aux moins de 18 ans pour Ken Park, de Larry Clark, en 2004. Cette année, Promouvoir a obtenu la même sanction pour le film d’horreur Saw 3D et Love, de Gaspard Noé, un film également distribué par Wild Bunch. Derrière ces succès de procédure de l’association, qui existe depuis près de vingt ans, s’active André Bonnet, son fondateur, un catholique traditionaliste père de huit enfants, ex-militant Front national, période mégrétiste, et ancien président de tribunal, aujourd’hui avocat. Promouvoir avait été déboutée en première instance, en septembre 2014, par le tribunal administratif de Paris. Pour André Bonnet, joint par Le Monde, cette décision en appel « doit alerter la ministre sur les graves dysfonctionnements qui existent au sein de la commission de classification des films. Celle-ci doit être réformée, car ça ne fonctionne plus ». L’entourage de la ministre de la culture, Fleur Pellerin, annonce de son côté qu’elle souhaite porter cette décision en cassation, devant le Conseil d’Etat, tout comme elle l’avait déjà fait pour Love. « La ministre attend par ailleurs un rapport de Jean-François Mary, qui doit remettre ses conclusions sur la classification des films dans quelques semaines », confie son cabinet au Monde. « Il y a une prise de conscience au ministère de la culture sur la nécessité de faire évoluer le texte de la commission des films afin de ne plus permettre à cette association de faire la pluie et le beau temps dans la classification », souligne Agnès Tricoire, déléguée de l’Observatoire de la liberté de création, groupe de travail de la Ligue française des droits de l’homme, qui a fait une demande en ce sens. « Un texte différent doit permettre à la commission de retrouver sa raison d’être, estime Brahim Chioua, de Wild Bunch. Ces jugements sont conformes aux textes, c’est le texte qui est trop contraignant : la part artistique, la volonté de l’auteur doivent aussi être appréciés. » L’auteur, en l’occurrence, n’est pas du même avis : selon Abdellatif Kechiche, ce pourvoi en cassation est une « démarche (qui) n’a pas d’intérêt ». Dans l’entourage de la ministre, en revanche, on précise que « c’est un principe qui dépasse les réalisateurs des films concernés ». Le visa d’exploitation du film La Vie d’Adèle, actuellement interdit aux moins de 12 ans avec avertissement, a été annulé par la justice administrative en raison des « scènes de sexe réalistes » du film, « de nature à heurter la sensibilité du jeune public ». Selon les informations du Monde, le ministère de la culture va faire appel de cette décision devant le Conseil d’Etat.Dans une décision rendue publique mercredi 9 décembre, la cour administrative d’appel de Paris a demandé à la ministre de la culture, Fleur Pellerin, de « procéder au réexamen de la demande de visa » du film dans un « délai de deux mois ». L’autorisation administrative est délivrée par la commission de classification, et est nécessaire pour permettre sa diffusion dans les salles de cinéma.Lire aussi : Déboutée en première instanceLa cour a estimé que La Vie d’Adèle : chapitres 1 et 2, sortie en 2013, qui raconte une passion amoureuse entre deux jeunes femmes, comporte « plusieurs scènes de sexe présentées de façon réaliste, en gros plan » qui sont « de nature à heurter la sensibilité du jeune public ». De ce fait, la ministre « ne pouvait, sans commettre d’erreur d’appréciation » au regard de la loi, « accorder un visa d’exploitation comportant une interdiction limitée aux mineurs de 12 ans », assortie de messages d’avertissement, ajoute-t-elle.La justice avait été saisie par l’association Promouvoir, proche des milieux catholiques traditionalistes, qui estimait que le film aurait dû être interdit aux moins de 18 ans. Promouvoir avait été déboutée en première instance, en septembre 2014, par le tribunal administratif de Paris de sa demande d’annulation du visa d’exploitation du film. ************************************************************* Frédéric Bonnaud prend la tête de la Cinémathèque française La rumeur enflait depuis quelques jours. Un communiqué de presse l’a confirmée ce vendredi 11 décembre : Frédéric Bonnaud succède à Serge Toubiana au poste de directeur de la Cinémathèque française. Il prendra ses fonctions le 1er  février 2016. Choisi par le président de l’institution, Constantin Costa-Gavras, ce journaliste de 48 ans, qui a commencé sa carrière comme assistant de programmation cinéma au Musée du Jeu de paume, a vu sa candidature approuvée à l’unanimité par le conseil d’administration et par la ministre de la culture, Fleur Pellerin. Elle l’a emporté sur celles de Marc Nicolas, le directeur général de la Femis, avec qui il fut un temps en ballottage, d’Edouard Waintrop, l’actuel délégué général de la Quinzaine des réalisateurs, et de François Aymé, le président de l’AFCAE (Association française des cinémas art et essai). Directeur de la rédaction de l’hebdomadaire culturel Les Inrockuptibles depuis 2013, où il fut longtemps critique de cinéma, animateur de débats sur Mediapart et coauteur de l’émission « Personne ne bouge ! » sur Arte, Frédéric Bonnaud a fait une bonne partie de sa carrière à la radio comme chroniqueur et producteur (sur France Inter, Europe 1, Le Mouv’). Dans une déclaration faite après l’annonce de sa nomination, il s’est dit attaché à la « mission de service public » de la Cinémathèque et à son « devoir de transmission ». Il a rendu hommage à l’œuvre accomplie par son prédécesseur : « Je suis heureux et fier de succéder à Serge Toubiana au poste de directeur général. En douze ans, sous sa direction, la Cinémathèque est devenue un véritable musée moderne du cinéma, qui assume pleinement ses missions de conservation et de diffusion du patrimoine cinématographique. En duo avec notre président, Costa-Gavras, j’aurai à cœur de poursuivre l’œuvre déjà accomplie et d’ouvrir en grand la Cinémathèque à des publics toujours plus divers. » Développer le mécénat privé Le nouveau directeur hérite en effet d’une institution florissante. Nommé en 2003, après plusieurs années de crise, marquées par une gestion calamiteuse, au moment où le temple de la cinéphilie parisienne s’installait dans ses locaux de Bercy, Serge Toubiana a fait fructifier l’héritage d’Henri Langlois en l’accompagnant dans une nouvelle ère. Et le succès fut au rendez-vous : une fréquentation soutenue dans les salles (216 000 visiteurs par an en 2014), et de grandes et belles expositions (sur les réalisateurs Renoir, Kubrick, Burton, Demy, Pasolini, Scorsese…) qui ont contribué à redéfinir l’identité du lieu. Il est en outre l’artisan d’une pacification des rapports, historiquement exécrables, entre l’institution et le ministère de la culture. La confiance que Serge Toubiana a su établir avec la tutelle, en imposant notamment des règles statutaires de transparence à tous les échelons, s’est traduite par une constance, depuis 2010, de la subvention publique (20 millions d’euros), sur laquelle repose 75 % du budget de la maison. Cette manne est toutefois appelée à se réduire légèrement en 2016. Dans ce contexte, le nouveau directeur aura à charge de développer le mécénat privé, mais aussi de trouver de nouveaux moteurs pour la fréquentation. En 2014, les expositions et le musée n’ont pas réuni plus de 130 000 visiteurs, alors que deux ans plus tôt, l’exposition « Tim Burton », par l’effet d’une recette que personne n’a encore su reproduire, en rassemblait à elle seule 352 000. Sur un plan plus théorique, il lui reviendra de réfléchir aux missions de la Cinémathèque dans le cadre de la cinéphilie d’aujourd’hui, totalement éclatée, qui se forge largement sur Internet. Aux Inrockuptibles, c’est Pierre Siankowski, âgé de 39 ans, ancien rédacteur en chef au magazine, qui l’avait quitté pour rejoindre Canal+, qui prendra la succession de Frédéric Bonnaud en janvier 2016, a annoncé la société éditrice du magazine culturel, Les Nouvelles Editions Indépendantes. Golden Globes : « Carol », « Mad Max », « The Revenant » et « Spotlight » en pole position Les nominations pour les Golden Globes, la cérémonie de remise des prix qu’organise chaque année la Hollywood Foreign Press Association pour récompenser les meilleurs films et séries télévisées de l’année, ont été annoncées ce vendredi. Côté cinéma, cette liste qui a valeur d’oracle pour les Oscars, fait la part belle à quatre films : Carol, le mélo lesbien d’inspiration sirkienne de Todd Haynes (sortie française le 13 janvier prochain), qui a déjà valu à Rooney Mara le prix d’interprétation féminine à Cannes. Mad Max : Fury Road, la course enragée de George Miller dans le désert de Namibie sorti en salles en mai dernier. The Revenant d’Alejandro Inarritu, survival vengeur interprété par Leonardo di Caprio (sortie prévue le 24 février 2016). Et Spotlight : édition spéciale de Tom McCarthy, un retour sur l’enquête du Boston Globe qui a révélé, en 2002, un vaste scandale de pédophilie au sein de l’Eglise catholique (sortie prévue le 27 janvier 2016). Également dans la course : Room de Lenny Abrahamson (sortie prévue le 9 mars 2016), Les Huit Salopards de Quentin Tarantino (sortie prévue le 6 janvier), Steve Jobs de Dany Boyle (sortie prévue le 3 février). Dans la catégorie comédie, on trouve The Big Short : le casse du siècle d’Adam Mc Kay (sortie prévue le 23 décembre), Joy de David O’Russel (sortie prévue le 3 décembre), Seul sur mars de Ridley Scott, Spy de Paul Feig et Crazy Amy de Judd Apatow. Dans la catégorie du meilleur film en langue étrangère, la France est représentée avec Mustang de Deniz Gamze Erguven, la Hongrie avec Le Fils de Saul de Laszlo Nemes, le Chili avec El Club de Pablo Larrain et la Finlande avec The Fencer de Klaus Haro. Ces nominations font largement écho aux prix qui ont été remis, depuis quelques semaines, par différentes associations de critiques américains. Le cercle des critiques de films new-yorkais, la NYFCC, a ainsi plébiscité Carol, en lui remettant les prix du meilleur film, du meilleur réalisateur, du meilleur scénario et de la meilleure photographie, et récompensé par ailleurs Le Fils de Saul dans la catégorie du meilleur premier film, et Michael Keaton pour son rôle dans Spotlight : édition spéciale. Les critiques de Boston ont élu Spotlight : édition spéciale meilleur film de l’année et lui ont également décerné le prix du meilleur casting. À Carol, ils ont remis le prix du meilleur réalisateur et à Mad Max celui du meilleur montage. Les critiques de Los Angeles ont aussi attribué à Spotlight : édition spéciale le prix du meilleur film, à Mad Max celui du meilleur réalisateur, de la meilleure photographie et des meilleurs décors, au Fils de Saul celui du meilleur film en langue étrangère. Répartie en trois catégories, la liste des séries en compétition aux Golden Globes est très longue. Empire, Game of Thrones, Mr. Robot, Narcos, Outlander se disputent le titre de la meilleure série dramatique. Casual, Mozart in the Jungle, Orange Is the New Black, Silicon Valley, Transparent, Veep celui de la meilleure comédie. American Crime, American Horror Story : Hotel, Fargo, Flesh and Bone, Wolf Hall celle de la meilleure mini-série. Les nominations pour les meilleurs acteurs et actrices ouvrent encore le champ à d’autres œuvres comme Mad Men ou Better Call Saul (John Hamm et Bob Odenkirk sont respectivement nommés parmi les meilleurs acteurs), ou House of Cards (Robin Wright Penn nommée pour le prix de la meilleure actrice). Verdict le 10 janvier prochain, au cours d’une soirée de remise des prix qui sera animée, comme elle le fut ces trois dernières années, par l’inénarrable acteur et humoriste Ricky Gervais. La liste des nominations aux Golden Globes Meilleur film drama­tique Carol Mad Max : Fury Road The Reve­nant Room Spot­light Meilleure comé­die/comé­die musi­cale The Big Short : Le Casse du siècle, d’Adam Mckay Joy, de David O. Russell Seul sur Mars, de Ridley Scott Spy, de Paul Feig Crazy Amy, de Judd Apatow Meilleur réali­sa­teur Todd Haynes, Carol Alejan­dro Gonza­lez Inar­ritu, The Reve­nant Tom McCar­thy, Spot­light George Miller, Mad Max : Fury Road Ridley Scott, Seul sur Mars Meilleur scéna­rio Emma Donog­hue, Room Tom McCar­thy et Josh Singer, Spot­light Charles Randolph et Adam McKay, The Big Short : Le Casse du siècle Aaron Sorkin, Steve Jobs Quen­tin Taran­tino, Les Huits Salo­pards Meilleure actrice dans un film drama­tique Cate Blan­chett, Carol Brie Larson, Room Rooney Mara, Carol Alicia Vikan­der, The Danish Girl Saoirse Ronan, Brook­lyn Meilleure actrice dans une comé­die/comé­die musi­cale Jenni­fer Lawrence, Joy Melissa McCar­thy, Spy Amy Schu­mer, Crazy Amy Maggie Smith, The Lady in the Van Lily Tomlin, Grandma Meilleure second rôle fémi­nin Jane Fonda, Youth Jenni­fer Jason Leigh, Les Huits Salo­pards Helen Mirren, Trumbo Alicia Vikan­der, Ex Machina Kate Wins­let, Steve Jobs Meilleur acteur dans un film drama­tique Bryan Crans­ton, Trumbo Leonardo DiCa­prio, The Reve­nant Michael Fass­ben­der, Steve Jobs Eddie Redmayne, The Danish Girl Will Smith, Seul contre tous Meilleur acteur dans une comé­die/comé­die musi­cale Chris­tian Bale, The Big Short : Le Casse du siècle Steve Carell, The Big Short : Le Casse du siècle Matt Damon, Seul sur Mars Al Pacino, Danny Collins Mark Ruffalo, Daddy Cool Meilleur second rôle mascu­lin Paul Dano, Love & Mercy Idris Elba, Beats of No Nation Mark Rylance, Le Pont des espions Michael Shan­non, 99 Homes Sylves­ter Stal­lone, Creed : L’Hé­ri­tage de Rocky Balboa Meilleur film d’ani­ma­tion Anoma­lisa Le Voyage d’Arlo Vice Versa Snoopy et les Peanuts Shaun le mouton Meilleure chan­son origi­nale Love Me Like You Do, 50 Shades of Grey One Kind of Love, Love & Mercy See You Again, Fast and Furious 7 Simple Sound #3, Youth Writing’s On The Wall, Spectre Meilleure musique de film Carter Burwell, Carol Alexandre Desplat, The Danish Girl Ennio Morri­cone, Les Huits Salo­pards Daniel Pember­ton, Steve Jobs Ryui­chi Saka­moto Alva Noto, The Reve­nant Meilleur film en langue étran­gère Le Tout Nouveau Testament El Club The Fencer Mustang Le fils de Saul TÉLÉVISION Meilleure série télé, caté­go­rie drame Empire Game of Thrones Mr Robot Narcos Outlan­der Meilleure série télé, caté­go­rie comé­die Casual Mozart in the Jungle Orange Is the New Black Sili­con Valley Trans­parent Veep Meilleure mini-série ou meilleur télé­film Ameri­can Crime Ameri­can Horror Story : Hotel Fargo Flesh and Bone Wolf Hall Meilleure actrice dans une série, caté­go­rie drame Viola Davis, Murder Caitriona Balfe, Outlan­der Eva Green, Penny Dread­ful Taraji P. Henson, Empire Robin Wright, House of Cards Meilleure actrice dans une série, caté­go­rie comé­die Rachel Bloom, Crazy Ex Girl­friend Jamie Lee Curtis, Scream Queens Julia Louis-Drey­fus, Veep Gina Rodri­guez, Jane the Virgin Lily Tomlin, Grace and Fran­kie Meilleur second rôle fémi­nin dans une série, mini-série ou télé­film Uzo Aduba, Orange is the New Black Joanna Frog­gatt, Down­ton Abbey Regina King, Ameri­can Crime Judith Light, Trans­parent Maura Tier­ney, The Affair Meilleur acteur dans une série, caté­go­rie drame Jon Hamm, Mad Men Rami Malek, Mr. Robot Wagner Moura, Narcos Bob Oden­kirk, Better Call Saul Liev Schrei­ber, Ray Dono­van Meilleur acteur dans une série, caté­go­rie comé­die Aziz Ansari, Master of None Gael Garcia Bernal, Mozart in the Jungle Rob Lowe, The Grin­der Patrick Stewart, Blunt Talk Jeffrey Tambor, Trans­parent Meilleur acteur dans une mini-série ou un télé­film Idris Elba, Luther Oscar Isaac, Show Me a Hero David Oyelowo, Nigh­tin­gale Mark Rylance, Wolf Hall Patrick Wilson, Fargo Meilleure actrice dans une mini-série ou un télé­film Kirs­ten Dunst, Fargo Lady Gaga, Ameri­can Horror Story: Hotel Sarah Hay, Flesh & Bone Felicity Huffman, Ameri­can Crime Queen Lati­fah, Bessie Meilleur second rôle mascu­lin dans une série, mini-série ou télé­film Alan Cumming, The Good Wife Damian Lewis, Wolf Hall Ben Mendel­son, Bloo­dline Tobias Menzies, Outlan­der Chris­tian Slater, Mr. Robot Cinéma : coffrets-vous pour les fêtes Buster Keaton L’intégrale des courts-métrages 1917-1923 Ce n’est pas la première fois qu’Arte propose, avec la collaboration de Lobster Films, un coffret de DVD comprenant l’intégralité des courts-métrages de Buster Keaton. Mais cette nouvelle édition marque, indiscutablement, une étape supplémentaire dans la redécouverte d’une des œuvres les plus riches et les plus essentielles du cinéma muet. Nouvelles restaurations, musiques orchestrales inédites et surtout versions plus longues de certains des titres figurant dans un précédent coffret rendent, en effet, indispensable l’acquisition de cette livraison. « Pas une image, pas un seul son, nous préviennent Serge Bromberg et Eric Lange de Lobster Films, ne provient des éditions précédentes ». Edition définitive ou work in progress vers une reconstitution plus complète, le coffret regroupe, en tout cas, 32 titres qui constituent les débuts du génie comique au cinéma. Pure merveille. En débutant au cinéma, Keaton fit d’abord partie de l’équipe des faire-valoir de « Fatty » Arbuckle, comique rondouillard et agile, présent dans treize titres du coffret. Le burlesque de Roscoe « Fatty » Arbuckle est un burlesque volontiers grossier, de mauvais goût, peu sophistiqué et pourtant témoignant dans ses meilleurs moments, d’une roborative vulgarité. The Cook (Fatty cuisinier), réalisé en 1918, est, par exemple, un des chefs-d’œuvre de cette série de films. La trivialité des gags et des situations, où le travestissement est parfois sollicité, liée à l’agilité phénoménale des acteurs est servie par ce que l’on sent être une improvisation permanente. De celle qui rend le spectateur dans l’impossibilité de savoir de quoi la séquence suivante sera faite. En 1920, le producteur Jo Schenck propose à Keaton de devenir la vedette de sa propre série. Jusqu’en 1923, il coréalise, la plupart du temps avec Edouard Cline, dix-neuf comédies où il a le rôle principal et dans lesquelles son art s’affine et se perfectionne. Le burlesque géométrique devient d’une précision millimétrique et l’univers keatonien se construit. Les chefs-d’œuvre s’enchaînent dès lors : One Week (La Maison démontable), Neighbours (La Voisine de Malec), The Haunted House (Malec chez les fantômes), etc. Keaton construit son personnage de jeune homme en quête d’intégration. Les gags sont répétés pour être travaillés perpétuellement tel celui de la façade qui s’écroule sur le personnage principal, sauvé, in fine, par l’embrasure d’une fenêtre (Back Stage en 1918, One Week en 1920), gag enfin intégré dans le long-métrage Stemboat Bill Jr en 1928. Cops (Frigo déménageur) en 1922 inaugure le gag de la multiplication extatique du même avec cette inflation délirante de policiers à la poursuite du héros, situation dont il proposera des variations dans les longs-métrages Go West (Ma vache et moi) et Seven Chances (Fiancées en folie). Après 1923, viendra en effet le temps des longs-métrages géniaux. Jean-François Rauger Coffret Buster Keaton 4 DVD. 40 €. Hong Sang-soo Les Femmes de mes amis, Lost in the Mountains Dans ce conte moral sorti en France en 2010, Hong Sang-soo suit un cinéaste en mal de reconnaissance qui traîne ses guêtres de festival art et essai en université d’art, au fil des invitations qui lui sont faites. Les micro-intrigues qui s’y nouent révèlent chez le personnage une répugnance à s’accommoder de la réalité qui le conduit immanquablement, et en particulier avec les femmes, à des situations conflictuelles. On retrouve les ingrédients de base du cinéma de ce coréen obsessionnel – excès d’alcool, ivresse de parole, scénario fondé sur la répétition traduisant l’incapacité du personnage à tirer la moindre leçon de ses actes… –, agencés avec une légèreté enivrante et une drôlerie féroce. Le film est accompagné d’un moyen-métrage inédit de l’auteur, Lost in the Mountains, qui déplie, sur un mode plus resserré qu’à l’accoutumée, un imbroglio d’affects dépressifs. Pour en accompagner la découverte, l’éditeur propose un petit essai rédigé par Romain Lefebvre, critique à la revue Débordements. Isabelle Regnier Les femmes de mes amis + Lost in the mountains. Survivance. 1 DVD. 1 livret. 19,99 euros. Andreï Zviaguintsev La décélération brutale du cinéma en provenance de Russie depuis la chute de l’Union soviétique compte parmi les choses les plus désolantes qui se puisse imaginer. La déstructuration profonde de cette industrie, sa tentation des méga-productions voulant concurrencer Hollywood sur son terrain, l’éviction d’une immense personnalité du cinéma mondial en la personne de Naoum Kleinan, directeur de la Cinémathèque de Moscou, la mort récente d’un dernier grand génie tel que Alexeï Guerman, autant d’éléments qui ont contribué à une sorte de tabula rasa de cette cinématographie pourtant exceptionnelle. Les auteurs qui parviennent aujourd’hui à s’imposer dans un tel paysage sont quasiment inexistants, et éprouvent le plus grand mal, après tel ou tel succès d’estime – on pense à Boris Khlebnikov et à son Koktebel de 2003, à Alekseï Fedortchenko et à son Dernier Voyage de Tanya en 2010 – à instaurer une présence pérenne hors de leurs frontières. Il fallait au moins cette précaution introductive pour faire mesurer à quel point Andreï Zviaguintsev est aujourd’hui une rareté dans le paysage. Né en 1964 à Novossibirsk, en Sibérie, ce quinquagénaire a seulement quatre longs-métrages à son actif, mais tous sélectionnés dans des grands festivals, tous distribués en France, tous connus et reconnus dans les rangs de la cinéphilie. En 2003, le Lion d’or à Venise pour son premier long-métrage, Le Retour, entrée en matière tardive dans la carrière, est un gros choc esthétique. Le film met en scène les retrouvailles d’un père absent et de ses deux fils, dans un périple somptueux et inquiétant qui précipite plutôt qu’il ne déjoue la malédiction filiale. Noël, fête de la famille, n’est peut-être pas le moment idéal pour le rappeler, mais on doit à la vérité de dire que toute l’œuvre de Zviaguintsev est, à cette aune, attachée à chroniquer la désagrégation, par le dedans comme par le dehors, de la sacro-sainte cellule familiale, qui prend à mesure que l’œuvre progresse valeur de métaphore nationale. Le Bannissement (2005) décrit ainsi, dans une famille qui a fui la ville, le vertige métaphysique de la jalousie qui s’acharne à faire advenir ce qu’elle redoute. Elena (2012), sous la forme d’un faux film criminel appliqué à la conjugalité, fait émerger dans le cinéma de Zviaguintsev une claire dimension sociale qui réunit une infirmière et son ex-patient, un riche retraité qui l’a épousée et réduite en esclavage. Enfin, Léviathan (2014), peinture au vitriol de la corruption et de la malveillance généralisées régnant dans une ville de la Baltique, est l’histoire de la destruction d’un couple sous les coups redoublés de la mafia officielle et de l’intransigeance de l’homme qui en sera victime. Tout cela, à défaut d’être gai, se révèle d’une beauté follement russe, mise en scène avec style, dans une attention soutenue et inspirée à la puissance esthétique du paysage, à la manière dont il inscrit dans l’espace tant la fatalité de l’intrigue que l’aura sacrificielle des personnages. Jacques Mandelbaum Coffret de 4 DVD, Pyramide vidéo, 40 €. L’intégrale Jane Campion On regrette parfois que Jane Campion ne soit pas plus prolifique, qu’il faille attendre si longtemps entre deux de ses longs-métrages. Le dernier, le très beau et romantique Bright Star, date de 2009. Ce défaut se transforme en avantage avec la publication de ce coffret qui couvre trois décennies de cinéma, des premiers courts-métrages (dont le très inquiétant Peel, présenté à Cannes en 1984) à la brillante série « Top of The Lake », diffusée en 2013, soit la totalité de son œuvre. Entre les deux, il y a huit longs-métrages. Le plus connu reste La Leçon de piano (Palme d’or à Cannes en 1993, la première jamais reçue par une réalisatrice), qui – comme tous les autres films de Jane Campion – exacerbe les sentiments jusqu’aux frontières de la folie. Ce thème est présent dès les premiers films tournés en Nouvelle-Zélande, le troublant et semi-autobiographique Sweetie ou le sublime Un ange à ma table, qui retrace le parcours tourmenté de l’auteure néo-zélandaise Janet Frame. Ce dernier film, long de deux heures et demie, est un enchantement visuel sur fond d’enfer quotidien. L’actrice Kerry Fox suit avec une bravoure hors du commun le parcours de l’écrivain, convaincue de schizophrénie par des psychiatres bien intentionnés et menacée de lobotomie. Ces destins de femmes en danger fascinent la cinéaste, qui reprend le thème dans In The Cut (2003), un thriller sensuel et pervers qui met aux prises Meg Ryan (à rebours de ses rôles de chic fille, ce qui demande un immense effort à l’actrice américaine) et Mark Ruffalo. L’œuvre de Jane Campion, cinéaste de l’espace (les routes rectilignes des antipodes, l’océan infranchissable…), a pour conclusion provisoire une série télévisée, « Top of The Lake », tournée en Nouvelle-Zélande. Elisabeth Moss (Peggy dans « Mad Men ») y joue une policière qui perd ses repères au moment où elle croit revenir chez elle. La cinéaste a réalisé la moitié des six épisodes de cette mécanique infernale qui met en jeu les passions les plus dangereuses dans le cadre exaltant des montagnes de l’archipel. On ne sait ce qui frappe le plus de l’adaptation instinctive de l’auteure au rythme de la série ou de la préservation de ce qui fait l’essence de son cinéma : la fureur du désir et la beauté du monde. Thomas Sotinel Coffret de 12 DVD ou 10 Blu-ray plus 1 DVD, Pathé, 99,99 €/119,99 €. Mamoru Hosoda Animation Works Moins connu en France que Hayao Miyazaki et les autres artistes du studio Ghibli, Mamoru Hosoda, qui a fait ses armes d’animateur sur des séries populaires (Dragon Ball Z, Sailor Moon) et de réalisateur avec les sagas Digimon et One Piece, aurait pu abriter toute sa carrière dans le confort des niches commerciales. L’année 2006 est, pour lui, l’occasion d’une mue spectaculaire : avec La Traversée du temps, adaptation d’une célèbre nouvelle japonaise, il s’impose d’un coup d’éclat dans le paysage de l’animation japonaise, dont il est aujourd’hui l’un des plus beaux talents. Le cours du processus créatif s’inverse. A partir de Summer Wars, ses films ne naissent plus d’autres livres ou d’autres films, ce sont eux qui génèrent des mondes qui s’étendent et s’enrichissent sous forme de mangas notamment – plus ambitieux, plus réussis que le « produit dérivé » dans l’acception occidentale du terme. C’est dans ce sens que Kazé a travaillé cet alléchant coffret. L’éditeur et distributeur français y a regroupé des éditions collector de La Traversée du temps, Summer Wars et Les Enfants Loups avec les mangas, roman, artbook ainsi qu’un story-board pour une immersion prolongée dans les mondes de Mamoru Hosoda. D’une métamorphose à l’autre – les hommes y sont souvent à moitié animaux, les animaux à moitié hommes –, le cinéaste construit ses films par strates ambitieuses de sens et de symboles : derrière la féerie se disent les grandes douleurs et les joies immenses de la vie de famille, et derrière la famille se dessine le portrait résolument moderne d’un Japon formidable et fragile, jouant avec le feu dans la toile dangereuse des réseaux sociaux (Summer Wars) ou rêvant de renouer en paix avec la nature (Les Enfants Loups). A quelques semaines de la sortie du nouveau film d’Hosoda, Le Garçon et la Bête (dont le coffret contient, cerise sur le gâteau, un bon pour retirer le DVD lors de sa sortie en mai 2016), on trouvera difficilement meilleure manière de tromper l’attente, ou de rattraper son retard. Noémie Luciani Coffret de 7 DVD ou Blu-ray, Kazé, 169,96 €/189,95 €. Frederick Wiseman Intégrale volume 1 : 1967-1979 C’est à un monument que s’attaque l’éditeur Blaq Out, en proposant rien moins que l’œuvre quasi intégrale du documentariste bostonien Frederick Wiseman, soit près de quarante films, et plus d’une centaine d’heures de programme, regroupés sur trois coffrets aux sorties échelonnées jusqu’à l’automne 2016. Le volume inaugural regroupe les treize premiers films du cinéaste, tournés entre 1967 et 1979, à un rythme stakhanoviste (un film par an) qu’autorisait leur financement par la télévision publique américaine (la chaîne PBS). Dès ce premier ensemble, la méthode Wiseman est posée, qui consiste à s’installer dans un lieu circonscrit pour en éprouver le fonctionnement complet. Pas n’importe quels lieux, évidemment, mais ceux de l’espace public, où le citoyen anonyme rencontre les guichets qui organisent son existence sociale, et qu’on nomme « institutions » : l’asile (Titicut Follies, 1967), le lycée (High School, 1968), le commissariat (Law and Order, 1969), le tribunal (Juvenile Court, 1973) ou encore l’armée (Basic Training, 1971). L’œuvre de Wiseman, qu’on a trop souvent présentée sous l’angle du systématisme et de l’obstination structurelle, est avant tout la plus formidable comédie humaine de son temps, une grande collection de visages et de situations, d’échanges et de rhétorique, de rapports et de crises, d’épreuves et de crispations, éminemment balzacienne en ce qu’elle se situe au niveau d’une « société » dont elle reproduit le mouvement général. Dans Welfare (1975), peut-être le plus beau film du coffret, tourné dans les bureaux des allocations sociales à New York, le cinéaste recueille une infinité de drames domestiques, de naufrages individuels, d’argumentations homériques et autres concerts de mauvaise foi, l’institution exerçant, au corps défendant des fonctionnaires, une autorité presque absurde. Filmer la structure, pour Wiseman, c’est aussi faire sentir la main de fer d’une technocratie aveugle qui, en cette seconde moitié d’un XXe siècle alarmant, se referme doucement sur l’individu. Mathieu Macheret Coffret de 13 DVD, Blaq Out, 75 €. Jean Renoir Partie de campagne, La Chienne A priori, rien de nouveau sous le soleil. Deux titres, pas même inédits en DVD, récemment restaurés et réunis dans un coffret qui nous la fait au « prestige ». Deux raisons pourtant de l’acquérir ou de l’offrir. La première est qu’il s’agit quand même du plus grand des cinéastes français, Jean Renoir, avec le terrifiant La Chienne (1931) et le très sensuel Partie de campagne (1936). La seconde tient à ses bonus, que les renoiriens, et plus généralement les mordus de cinéma, apprécieront. Un petit film intitulé La Direction d’acteur, pilote d’une série avortée daté de 1968, dans lequel Jean Renoir, en 1968, expose sa méthode sur la personne de Gisèle Braunberger, femme du producteur Pierre Braunberger, auquel on doit les deux films contenus dans ce coffret. Ledit producteur avait déposé en 1962 à la Cinémathèque française tout le matériau préparatoire de Partie de campagne. Ces images inédites, palpitantes, sont montrées ici, le visage muet, pâle et dévorant de l’actrice Sylvia Bataille y devenant un paysage que Jean Renoir n’en finit plus d’explorer. J.M. Coffret de 4 DVD, M6 Vidéo, 34,99 €. Nico Papatakis L’intégrale Intimidant personnage que Papatakis, Grec et Ethiopien déménageant au gré des exils politiques, ami de Sartre et de Genet, muse de Warhol, qui mena vingt vies en une pour s’inventer cinéaste sur le tard. Plus intimidante est l’œuvre : cinq longs-métrages inclassables et dissemblables, où l’on parle comme dans les livres et où l’on rit comme on crierait, dont les tragédiennes sont des hystériques aux vraies blessures et les rages ancrées dans le temps, l’histoire, les luttes. Il faut un médiateur pour s’y plonger sans crainte : sa fille Manuela remplit la mission de la plus belle manière à travers ce coffret proposé par Gaumont. Associant aux films de multiples commentaires, documents d’époque et d’aujourd’hui, un livre regroupant les grands textes écrits sur son travail, quatre CDs d’entretiens inédits, ce n’est pas seulement en trésor pour cinéphile qu’il s’offre, mais en témoignage d’amour pour une œuvre intense, qui vieillit comme seuls les très grands crus savent le faire. N. Lu. Coffret de 11 DVD ou Blu-ray, Gaumont, 89,99 € et 99,99 €. Monty Python Sacré Graal ! 40e anniversaire Dans ses mémoires tout justes publiés (Gilliamesque, éditions Sonatine, 308 p., 25 €), Terry Gilliam raconte l’horreur qui saisit le public américain en découvrant l’abnégation du chevalier noir qui continue de se battre malgré l’amputation successive de tous ses membres. Il faudrait, pour bien célébrer les quarante ans du premier vrai long-métrage des Monty Python, retrouver l’ignorance bienheureuse des spectateurs de l’époque, étourdis par ce mélange de culture littéraire et picturale (que démontrent les commentaires de cette édition DVD, livrés par MM. Jones, Gilliam, Palin et Idle) et de pulsions destructrices. Même s’il fut l’occasion de combats féroces entre les coréalisateurs (les deux Terry, Jones et Gilliam), Sacré Graal ! plaçait définitivement l’humour absurde des Python sur le terrain du cinéma, avec ses châteaux embrumés, ses paysages désolés enluminés par les dessins délirants de Gilliam, et ses personnages toujours trop grands ou trop petits pour leurs rôles. T.S. Un double DVD ou Blu-ray, Sony, 18 €. ************************************************************* La rumeur enflait depuis quelques jours. Un communiqué de presse l’a confirmée ce vendredi 11 décembre : Frédéric Bonnaud succède à Serge Toubiana au poste de directeur de la Cinémathèque française. Il prendra ses fonctions le 1er  février 2016. Choisi par le président de l’institution, Constantin Costa-Gavras, ce journaliste de 47 ans, qui a commencé sa carrière comme assistant de programmation cinéma au Musée du Jeu de paume, a vu sa candidature approuvée à l’unanimité par le conseil d’administration et par la ministre de la culture, Fleur Pellerin. Elle l’a emporté sur celles de Marc Nicolas, le directeur général de la Femis, avec qui il fut un temps en ballottage, d’Edouard Waintrop, l’actuel délégué général de la Quinzaine des réalisateurs, et de François Aymé, le président de l’AFCAE (Association française des cinémas art et essai). Le nouveau directeur hérite en effet d’une institution florissante. Nommé en 2003, après plusieurs années de crise, marquées par une gestion calamiteuse, au moment où le temple de la cinéphilie parisienne s’installait dans ses locaux de Bercy, Serge Toubiana a fait fructifier l’héritage d’Henri Langlois en l’accompagnant dans une nouvelle ère. Et le succès fut au rendez-vous : une fréquentation soutenue dans les salles (216 000 visiteurs par an en 2014), et de grandes et belles expositions (Renoir, Kubrick, Burton, Demy, Pasolini, Scorsese…) qui ont contribué à redéfinir l’identité du lieu. Il est en outre l’artisan d’une pacification des rapports, historiquement exécrables, entre l’institution et le ministère de la culture. Aux Inrockuptibles, c’est Pierre Siankowski qui prendra la succession de Frédéric Bonnaud en janvier 2016, a annoncé la société éditrice du magazine culturel, Les Nouvelles Editions Indépendantes. Âgé de 39 ans, ancien rédacteur en chef au magazine, il l’avait quitté en 2014 pour rejoindre l’emission « Le Grand Journal », de Canal+. Enfant de la DDASS Enfant de la DDASS, élevé en famille d’accueil, David Douche ne sera parvenu, ni avant, ni après ce premier et dernier rôle, à stabiliser une vie éclatée, souffrante, violente. Armée, prison, chômage, sans domicile fixe, sa situation semblait cependant s’être un peu améliorée ces dernières années. ************************************************************* « Youth » de Paolo Sorrentino, couronné par l’Académie européenne du cinéma Le film Youth, de Paolo Sorrentino, a été désigné samedi 12 décembre à Berlin « meilleur film » lors de la 28e cérémonie de l’Académie européenne du cinéma. L’Italien a aussi décroché le prix du « meilleur réalisateur » pour ce film, fable onirique et optimiste sur le temps qui passe, servie par trois gloires du cinéma, Michael Caine, Harvey Keitel et Jane Fonda. Le premier a d’ailleurs été désigné « meilleur acteur » pour son interprétation dans ce film d’un chef d’orchestre à la retraite. « Youth » : duo de virtuoses à l’hôtel des cœurs fatigués Le prix de la « meilleure actrice » a été décerné à la Britannique Charlotte Rampling pour son rôle dans 45 ans, d’Andrew Haigh. Elle a également reçu un prix pour l’ensemble de sa carrière. Le comédien autrichien Christoph Waltz, à l’affiche récemment du dernier James Bond, Spectre, a, quant à lui, été récompensé pour sa contribution au cinéma mondial. Comment « Star Wars » a étendu son empire Le mercredi  25 mai 1977, Star Wars sortait sur trente-deux écrans aux Etats-Unis. Vendredi 18 décembre 2015, Star Wars  : le Réveil de la force y sera projeté dans 4 000 salles. Deux jours plus tôt, le film occupera un millier de cinémas français, dont 282 classés Art & Essai. Le septième film de la saga imaginée par George Lucas a déjà accumulé, en Amérique du Nord, plus de 50 millions de dollars de recettes en préréservations  ! En 1977, le succès immédiat de La Guerre des étoiles, en version française, a pris tout le monde par surprise, à commencer par l’auteur et le studio qui avait financé et distribuait le film, la 20th Century Fox. Celle-ci restait sur plusieurs échecs d’affilée, et George Lucas, 32 ans à l’époque, n’avait réalisé que deux longs-métrages jusqu’alors. Le public issu de Woodstock allait-il s’intéresser aux aventures d’un paysan de l’espace devenu chevalier errant, courant à la rescousse d’une princesse retenue prisonnière sur une étoile artificielle par un empire maléfique  ? Quatre décennies et six épisodes plus tard, les questions qui tournent autour du Réveil de la force sont d’un tout autre ordre  : le film dépassera-t-il le record, détenu par Avatar, des recettes en salles (2,8 milliards de dollars dans le monde entier) ? Son succès sera-t-il assez colossal pour assurer l’avenir d’une série de films dont les deux prochains ont déjà été mis en chantier  ? Disney, la multinationale qui a racheté La Guerre des étoiles, ses personnages, ses marques et ses planètes à George Lucas pour 4,4 milliards de dollars, va-t-elle établir un monopole sur l’imaginaire terrien, après avoir déjà absorbé Pixar puis Marvel  ? George Lucas et la rébellion du Nouvel Hollywood Rapprocher le premier et le septième épisode de la série, c’est mesurer la mutation de l’industrie du cinéma de divertissement. En 1977, La Guerre des étoiles apparaît comme un fait d’armes des rebelles du Nouvel Hollywood contre l’establishment. George Lucas a imposé ses conditions financières et ses méthodes à la Fox, dirigée par Alan Ladd Jr., comme Coppola a bataillé contre la Paramount pour réaliser Le Parrain, comme Scorsese est en train de faire tourner en bourrique les dirigeants de United Artists depuis le plateau de New York, New York. Personne, même pas le réalisateur, qui n’est pourtant pas dépourvu de capacités visionnaires, ne comprend que La Guerre des étoiles propose à Hollywood un modèle économique qui nécessite des investissements colossaux mais garantit une rentabilité non moins impressionnante. Il faudra plus de trois décennies pour porter ce modèle à sa perfection économique, qu’illustre la sortie de Star Wars  : le Réveil de la force. Cet événement planétaire, dont la première phase se conclura par une sortie en République populaire de Chine, le 9 janvier, est organisé comme une campagne militaire. C’est-à-dire qu’on n’en sait pas grand-chose, tant le secret qui l’entoure est systématique. Du scénario, Disney n’a laissé filtrer qu’une trame très lâche  : l’action est située une trentaine d’années après la fin de l’action du Retour du Jedi. Ce dernier volet de la première trilogie produite par Lucas se terminait par le triomphe de la rébellion démocratique contre l’Empire. «  Je me souviens être allé voir La Guerre des étoiles avec ma fille de 10  ans, le jour de sa sortie, raconte Peter Bart, ancien rédacteur en chef de la publication professionnelle Variety, à l’époque la plus influente de l’industrie cinématographique, où il tient toujours une chronique. Dans l’école de ma fille, personne n’en avait entendu parler, et j’ai dû l’y traîner. Je n’aime pas la science-fiction, mais en découvrant le film je me suis dit  : “Mon Dieu, mais qu’est-ce qu’on nous montre  ?” Il m’a fallu quelques semaines pour assimiler l’importance de ce qui venait de se passer.  » « Notre seul espoir » Ces quelques semaines furent celles qui transformèrent La Guerre des étoiles de succès surprise en phénomène social et économique. Avec le bénéfice du temps, les signes annonciateurs de ce bouleversement apparaissent évidents. Au printemps 1976, George Lucas explique au journaliste du New York Times venu lui rendre visite sur le plateau londonien où le film se fabrique – dans une ambiance délétère, due à la pingrerie du studio et au caractère du réalisateur  : «  A part Disney, personne ne produit plus de films pour les jeunes. La raison pour laquelle je fais La Guerre des étoiles est que je veux donner aux jeunes une espèce d’environnement lointain et exotique dans lequel leur imagination puisse s’ébattre. Je veux qu’ils oublient les stupidités du moment [les Etats-Unis sortent à peine des tempêtes du Vietnam et du Watergate] et qu’ils pensent à coloniser Mars ou Venus. Et la seule façon d’y arriver est de leur montrer un pauvre gamin qui y pense, qui prend son pistolet laser, qui monte dans son vaisseau avec son Wookiee vers l’espace infini. D’une certaine manière, c’est notre seul espoir.  » Dans les années 1960, la désaffection des jeunes pour le cinéma traditionnel a poussé certains producteurs indépendants, voire certains studios, vers une politique favorisant les auteurs contestataires, en prise avec les mouvements sociaux et culturels. Ces œuvres sont destinées aux étudiants, aux jeunes adultes des professions intellectuelles. Les lycéens, les jeunes ouvriers ou employés sont considérés comme perdus pour le cinéma, dévoyés par la musique pop et la télévision. En 1973, un film est pourtant venu démentir cette hypothèse. American Graffiti, réalisé par George Lucas, a failli ne pas sortir, tant Universal, le studio qui l’avait financé, ne croyait pas à son avenir. L’obstination du jeune réalisateur – qui n’avait alors à son actif qu’un film de science-fiction, THX 1138, échec commercial mais succès critique – a garanti la survie du film. Le bouche-à-oreille ­entre jeunes en a fait le succès  : le film, qui évoque l’innocence du début des ­années 1960 sur une bande originale de classiques du rock’n’roll, a rapporté 140 millions de dollars, près de deux cents fois son budget de production. Ce n’est pas assez pour faire de Lucas une valeur sûre  : «  Il n’avait pas la cote dans les studios, raconte Peter Bart. Je me souviens l’avoir vu dans les locaux d’American Zoetrope, la société de Coppola, à San Francisco. C’était un garçon silencieux, que Francis respectait manifes­tement. Mais il n’était pas doué pour les contacts humains.  » Cette rugosité va ­devenir une arme redoutable dans le bras de fer qui oppose George Lucas à la Fox. Malgré les réticences du conseil d’administration de la Fox, Alan Ladd Jr. a accepté de financer le film à hauteur de 7,8 millions de dollars sur la foi d’un ­scénario provisoire, qui a pour héros un pilote spatial nommé Luke Starkiller. Réalisateur avant-gardiste et homme d’affaires avisé A Hollywood, la science-fiction n’a pas bonne réputation. La Warner vient seulement d’amortir la douzaine de millions de dollars investis dans 2001, l’Odyssée de l’espace sept ans plus tôt, en 1968. Un seul élément concret pourrait donner du crédit au pari de Lucas  : le succès dans la jeunesse de la série télévisée Star Trek (1968-1970), autour de laquelle se sont formés des groupes de fans loyaux, les Trekkies, qui se réunissent par milliers dans des conventions. Tout en peaufinant son scénario, George Lucas entreprend la conception, la fabrication et la mise en œuvre des outils nécessaires à la réalisation de sa vision. Il fait construire une caméra dont les mouvements sont contrôlés par ordinateur pour filmer de façon synchrone plusieurs objets se déplaçant dans l’espace. Son ambition est de donner aux vaisseaux spatiaux qui attaquent ou ­défendent l’Empire la fluidité de mou­vement des avions des films de guerre de l’âge d’or d’Hollywood. Pour ce faire, il fonde Industrial Light and Magic, ILM, une firme consacrée aux effets spéciaux cinématographiques qui deviendra bientôt l’une des plus rentables de l’empire George Lucas. Ces innovations coûtent cher  : le budget final du film s’élève à 11  293  000 dollars, soit 45 millions de 2015. C’est beaucoup pour les patrons de la Fox de l’époque, mais les dirigeants actuels de Disney rêveraient d’un coût aussi raisonnable. Même si le budget du Réveil de la force est tenu secret, les estimations les plus modestes l’évaluent à 200 millions de dollars. « Star Wars » : une histoire à la mode Lucas a obtenu ces rallonges parce que La Guerre des étoiles n’est pas une production Fox. Le studio d’Alan Ladd Jr. a financé le film, garde un droit de regard sur sa production et a acquis les droits de ­distribution. Mais Lucasfilm, la société que le cinéaste a montée grâce aux bénéfices d’American Graffiti, en est le pro­ducteur exécutif. Le cinéaste a consolidé cette autonomie lorsqu’il a négocié son cachet  : George Lucas doit toucher seulement 150 000 dollars en tant que scénariste et réalisateur. S’il a accepté une somme aussi modeste (il a travaillé plus de trois ans à temps plein), c’est en échange des droits sur les produits dé­rivés et la bande originale, sans parler d’un contrôle total sur de nouveaux longs-métrages. Lucas a lourdement investi dans les équipements, mais il ne s’est pas ruiné en cachets. A l’exception du vétéran britannique Alec Guinness, payé 15  000 livres par semaine, et qui s’est finalement vu garantir 2 % des profits, les principaux acteurs, Mark Hamill, Carrie Fisher, Harrison Ford, alors pratiquement inconnus, sont payés au minimum. La Fox a accepté ces conditions parce qu’elle n’a aucune idée du potentiel du film. Il faut dire que les exploitants ne se bousculent pas pour accepter Star Wars sur leurs écrans. Dès la première projection, le succès est extraordinaire. Fin 1977, l’œuvre a dépassé le récent record des Dents de la mer et devient la championne du box-office nord-américain avec 220 millions de dollars de recettes. Sitôt acquis le succès de La Guerre des étoiles, l’action de la Fox remonte. Quatre ans plus tard, les financiers Marc Rich et Marvin Davis rachètent le studio, revendu en 1984 à Rupert Murdoch. Les autres majors se lancent avec des fortunes diverses dans la science-fiction. George Lucas, qui a juré de ne plus jamais réaliser de film tant celui-ci l’a épuisé, confie le tournage des deux ­épisodes suivants de la série, L’Empire ­contre-attaque (1980) et Le Retour du Jedi (1983) à Irvin Kershner et Richard Marquand, tout en gardant un strict contrô­le sur les produits finis. Les deux films, s’ils n’atteignent pas les résultats du premier, rapportent respectivement 538 millions et 475 millions de dollars dans le monde entier. Succès en série Pendant deux décennies, les grands studios vont vouloir réutiliser les ingrédients qui ont fait le succès de La Guerre des étoiles, tout en essayant d’éliminer les facteurs de risque qui ont donné des sueurs froides aux dirigeants de la Fox pendant l’élaboration du premier épisode de la saga. Il s’agit, donc, de viser le public des jeunes mâles, en leur pro­mettant action et distraction, sans les ­effaroucher par trop de nouveautés. D’où le recours fréquent à des héros de bande dessinée déjà familiers, Superman, Batman, Spider-Man, voire à des marques de jouets comme les Transformers. Le vocabulaire du cinéma se rapproche de plus en plus de celui de la grande distribution  : les «  franchises  » ne désignent plus des succursales de marques opérées par des commerçants indépendants, mais des héros de fiction que l’on peut recycler de longs-métrages en séries d’animation pour la télévision, décliner de comics en jouets. L’idée selon laquelle le cinéma est une industrie de prototype s’estompe au profit d’un modèle de succès reproductible. Bien sûr, le stock limité de héros déjà universellement connus oblige à une course à la nouveauté  : à peine esquissé le succès du premier livre de la saga Harry Potter, la Warner investit massivement dans le long-métrage tiré des livres de J.K. Rowling. Pour s’assurer des sources d’approvisionnement, ce studio a acquis l’éditeur DC Comics (Superman, Batman…) dès 1989. En 2009, c’était au tour de Disney d’acheter, pour 4 milliards de dollars, un stock de héros en justaucorps grâce à la prise de contrôle de Marvel (Avengers, Hulk, Spider-Man…). Les majors américaines consacrent désormais l’essentiel de leurs ressources à la construction de séries pérennes, laissant la production des films destinés aux adultes – ceux que l’on présente aux Oscars – à des indépendants. Disney met en avant le concept d’« univers  », qui permet d’entrecroiser les intrigues des films, transformant chaque long-métrage en promotion pour le suivant, immergeant le spectateur-consommateur dans un flux d’images et d’objets qui ne s’interrompt jamais. Warner espère imiter Disney avec les prochains longs-métrages écrits par J.K. Rowling, inspirés de l’imaginaire de Harry Potter, dont le premier doit sortir le 16 novembre 2016. Ces univers virtuels sont fréquentés par des citoyens du monde entier. A la fin des années 1970, l’idée de montrer La Guerre des étoiles aux habitants d’un pays à peine débarrassé de la « bande des quatre  » n’aurait même pas traversé l’esprit d’un dirigeant de la Fox. Aujourd’hui, la sortie en République populaire de Chine, devenue le deuxième marché cinématographique mondial après les Etats-Unis, est un enjeu majeur pour Le Réveil de la force. Des milliards de dollars… et de moqueries Ces bouleversements économiques ont pour pendant technologique la conversion numérique du cinéma. C’est elle qui a permis la réalisation d’effets spéciaux. Elle aussi, grâce aux copies sur disque dur, qui permet d’envahir efficacement les écrans des multiplexes de la planète, avec des images impeccables – en relief, sur écran courbe… C’est enfin elle qui ­garantit que le produit se diffusera – licitement ou pas – jusqu’aux derniers ­confins de la galaxie, sur des écrans d’ordinateur, de télévision ou de téléphone. Bien plus que la résurrection d’une série chérie par des millions de spectateurs, Le Réveil de la force est le couronnement de cette mutation du cinéma, entamée il y a trente-huit ans par un jeune homme solitaire. Entre 1999 et 2005, George Lucas est revenu à la réalisation en proposant une seconde trilogie, dont l’histoire est située avant celle des trois premiers films. La Menace fantôme, L’Attaque des clones et La Revanche des Sith ont rapporté des centaines de millions de dollars (plus de 1 milliard de recettes pour le premier volet), tout en suscitant le rejet et la moquerie. Les nouveaux personnages (dont Jar Jar Binks, créature qui évoque dangereusement la représentation des Afro-Américains dans les vieux films hollywoodiens), les scénarios laborieux, les dialogues absurdes n’ont pas suffi à décourager la clientèle. Aussi obstiné et isolé du monde qu’il soit, le cinéaste sexagénaire a cependant bien compris que les fans ne veulent plus de lui sur le trône galactique. En 2012, il cède la direction de Lucasfilm à la productrice Kathleen Kennedy  ; en octobre de la même année, Disney annonce le rachat de la société pour 4,4 milliards de dollars. Dans un premier temps, il est question de mettre en chantier une troisième trilogie d’après des ébauches de scénarios sur lesquelles Lucas travaillait au moment de la cession. Il n’en sera rien. En janvier 2013, Disney annonce que la réalisation du nouveau film sera confiée à J.J. Abrams. Ce réalisateur de 49  ans a débuté sous l’égide de Steven Spielberg. Il a fait ses preuves économiques à la télévision avec les séries Alias et Lost, les disparus avant de redonner vie à des franchises que l’on croyait en voie d’épuisement, Mission  : Impossible et Star Trek. Il a « rebooté  » (mis les compteurs à zéro, en mobilisant de nouveaux interprètes, en réécrivant l’histoire originelle de la série) le vieux space opera télévisé avec succès, et c’est au moment où il s’apprête à mettre en chantier le troisième épisode de cette nouvelle série dans la série que Disney le débauche. L’épisode VII, une démonstration de force Ce que l’on sait du film, dont le tournage a commencé en avril 2014 à Abou Dhabi (l’essentiel se déroulera en Grande-Bretagne), a été savamment distillé par Disney. De la distribution (retour du trio Ford-Fisher-Hamill, apparition d’acteurs inconnus…) aux éléments de scénario, en passant par les accessoires, tout est fait pour donner l’impression que les informations fuitent, alors qu’elles sont scientifiquement diffusées. « Le succès du premier film s’est ­construit sur le bouche-à-oreille des fans, remarque Peter Bart. Cette fois, la machine du marketing s’impose au public. » Chez Disney France, on détaille cette ­articulation entre la communication de la firme et les réseaux sociaux  : « A Paris, nous avons décoré une rame de métro et une station aux couleurs du film. Ce sont les utilisateurs des réseaux sociaux qui font circuler l’information en se prenant en photo, en postant des images  », explique Frédéric Monnereau, directeur du marketing. Lorsqu’il s’est agi de faire le point sur le film, à quelques mois de sa sortie, en juillet, Disney et Lucasfilm n’ont pas convoqué de conférence de presse, préférant se servir de la convention des fans de Star Wars, répondant (ou pas) à leurs questions, comptant sur les pages Facebook et les comptes Twitter pour répandre la bonne parole. « De toute façon, l’enjeu n’est pas le film lui-même  », observe mélancoliquement Peter Bart. Il s’agit en effet de savoir si l’opération sera rentable à court terme pour Disney. La réponse est presque certainement affirmative. Certes, le film sort à un moment de l’année qui n’est pas favorable aux records  : Avatar, qu’on avait aussi découvert en décembre 2009, avait connu un début modeste, avant de conquérir la planète. Le Réveil de la force pourrait changer la donne, peut-être battre le record de recettes établi par Jurassic World l’été dernier avec 209 millions de dollars pour son premier week-end d’exploitation. Le film de J. J. Abrams est fait pour durer en salles. « Notre campagne est divisée en trois phases, explique Frédéric Monnereau. La première se termine avec la sortie en salles, la deuxième se joue dans les jours qui la suivront. Il faut que les gens reviennent et suscitent la curiosité des autres. La troisième se passera en janvier. » Les succès colossaux comme Avatar reposent en effet sur les visions répétées du même film par les mêmes spectateurs. Leur nombre est la seule incertitude, elle dépend du pouvoir de séduction du Réveil de la force. L’action Disney a déjà rebondi On sait déjà que Disney, Abrams et les scénaristes (Lawrence Kasdan, un vétéran de la première trilogie, Michael Arndt, remercié en cours d’écriture, et Abrams) ont pris leurs précautions pour éviter les critiques adressées à George Lucas dans les années 2000. La présence dans les premiers rôles de John Boyega, jeune acteur britannique d’origine nigériane, et de sa compatriote Daisy Ridley garantit la diversité des personnages. Quant à celle des vétérans de la première trilogie, elle pourrait permettre au Réveil de la force de passer la barrière des générations. Dans ce cas, le film serait la fondation d’un nouvel empire, dont les prochaines conquêtes sont déjà programmées  : le prochain épisode de la saga, le huitième, sortira le 26 mai  2017, quarante ans et un jour après le premier. Entre-temps, le 16 décembre 2016, on aura vu Star Wars  : Rogue One, un stand alone. Le succès de cette opération, combiné avec la rentabilité des films Marvel et Pixar, éviterait à Disney les plongées en Bourse qui affectent les sociétés mères des grands studios lorsqu’un film échoue au box-office. Fin novembre, l’action de la firme avait chuté à la suite de l’annonce des mauvais résultats de la chaîne câblée sportive ESPN. Elle a aus­sitôt rebondi lorsqu’on a compris – à ­travers les ­chiffres impressionnants des préventes de tickets pour Le Réveil de la force – que l’acquisition de Lucasfilm pourrait être aussi rentable que celle de Marvel. La force se mesure, tout bêtement, en ­dollars et en cents. « Star Wars VII : le Réveil de la force », film américain (2 h 16) de J. J. Abrams. Avec Daisy Ridley, John Boyega, Oscar Isaac… Sortie le 16 décembre. ************************************************************* ************************************************************* Tout ce qu’il faut savoir sur l’univers étendu de « Star Wars » Star Wars est pour beaucoup une série de films. Mais la saga se décline aussi dans de nombreux livres, bandes-dessinées et jeux vidéo, formant l’univers étendu, que Disney a souhaité largement réécrire après le rachat de la franchise à Lucasfilm en 2012. Qu’est-ce que l’univers étendu ? La sortie des six films de Star Wars, complétés par un film d’animation, s’est étalée sur plus de trente ans, avec plusieurs générations de fans et des recettes astronomiques dépassant les 4,4 milliards de dollars (environ 3,9 milliards d’euros). Mais la saga s’est aussi développée en dehors des films. A travers différents supports, livres, bandes dessinées, jeux de rôle et jeux vidéo s’est formé un véritable univers étendu (Expanded Universe dans la langue de Shakespeare), qui raconte des événements se déroulant avant, pendant, ou après les deux trilogies. De quoi parle l’univers étendu ? De tout ce qui se passe avant, après et entre les films. Si par exemple les premiers jeux vidéo essayent de reproduire des scènes marquantes des films, ceux de la série Knights of the Old Republic ou le jeu en ligne The Old Republic, sortis au début du siècle, situent leur environnement dans le même univers mais 5 000 ans avant la date où sont censés se dérouler les films. Ce décalage permet une plus grande liberté par rapport aux films et de jouer avec le mythe tout en gardant ses éléments phares qui font que le joueur retrouve ses marques et le plaisir d’évoluer dans un univers qu’il aime, mais sous un jour différent. Un autre exemple est l’ensemble de romans et de bandes dessinées, se déroulant bien après les films, centrés sur la guerre contre le belliqueux peuple extraterrestre des Yuuzhan Vong. Que change le rachat par Disney ? Le rachat de la société de George Lucas, Lucasfilm, par Disney en octobre 2012, pour plus de 3,6 milliards d’euros, a eu pour conséquence un véritable big bang dans l’univers étendu. Le 25 avril 2014, la société déclare l’ensemble de l’univers étendu totalement distinct du canon composé par les films et les séries, le plaçant sous une bannière nommée Légendes. La trilogie de romans de Timothy Zahn, très appréciée des fans et considérée jusqu’à cette date comme la suite directe des 6 précédents films, bascule ainsi dans une zone grise non officielle et distincte du « véritable » univers. Les anciennes œuvres sont rééditées mais surmontées d’une bannière dorée indiquant leur nouveau statut de « simples » légendes. Une nouvelle division a été fondée chez Lucasfilm en 2013, le Story Group, en charge de maintenir la cohérence de l’univers canon. Quelle a été la première œuvre de l’univers étendu ? Le premier produit Star Wars n’est pas une œuvre cinématographique mais l’adaptation en roman de La guerre des étoiles : un nouvel espoir parue dès décembre 1976, alors que le film est sorti le 25 mai 1977 aux Etats-Unis. Elle contenait déjà des éléments qui n’apparaissent pas à l’écran. Mais la première œuvre véritablement détachée des films est la nouvelle Splinter of the Mind’s Eye (La Pierre de Kaiburr en version française) écrite en 1978 par Alan Dean Foster. Elle entraîne les héros de la première trilogie dans une nouvelle aventure. Rencontrant la demande des fans avides qui voulaient poursuivre l’aventure hors de l’écran, l’univers étendu a continué à s’agrandir de façon continue, inventant sans cesse de nouvelles planètes, espèces aliens et technologies, de nouveaux ennemis et héros, tuant même ces derniers parfois. Si les éléments fondateurs de la saga sont toujours présents, les nombreux créateurs, romanciers, dessinateurs n’ont eu de cesse d’essayer de renouveler la formule. Que se passait-il quand des œuvres se contredisaient ? Au fur et à mesure que l’univers s’est étendu, la question de sa cohérence s’est posée avec une complexité grandissante. Lucasfilm avait des employés chargés de maintenir celle-ci à travers toutes les différentes œuvres produites. Ainsi, si une planète est détruite en l’an 0 selon le calendrier de l’univers, elle ne peut pas apparaître intacte dans des livres dont l’histoire se déroule après. Une tâche ardue, qui donna lieu parfois à ce qu’on appelle des retcons ou un travail de continuité rétroactive (il s’agit d’expliquer a posteriori une incohérence manifeste, soit par une pirouette scénaristique, soit en désavouant un fait entrant en conflit avec un autre). Une hiérarchisation de l’univers étendu s’était même mise en place. Comment était organisé l’univers étendu ? Il existait six niveaux d’officialité différents basés au départ sur le support d’œuvre et ensuite sur le fait lui-même. Dans les plus hauts, « G » pour les films de George Lucas et « T » pour les séries à la télévision, les faits étaient déclarés incontestables et formaient le canon de la saga : la mort d’un personnage, la destruction d’une planète, l’invention d’une technologie sont officielles et impactent toutes les œuvres se déroulant après. Les autres œuvres (romans, bds, jeux vidéo) se divisaient entre 4 autres niveaux. Aux niveaux les plus bas, « N » et « D », les faits étaient considérés comme « nuls et non advenus ». Dans ce domaine tombaient les parodies, les histoires proposant une variation de l’univers sous la forme d’une hypothèse de la forme « et si… » comme la série de bandes dessinées Star Wars : Infinities, ou les œuvres désavouées après leur parution. Entre ces deux extrêmes figuraient les niveaux « C » et « S » qui constituaient l’univers étendu. Mais les parois n’étaient pas étanches : ainsi George Lucas piocha des éléments de l’univers étendu pour les mettre dans ses films lorsqu’il réalisa sa préquelle, faisant passer ces faits de « C » à « G ». Que réserve le futur ? Le potentiel financier de cette licence n’a pas échappé à la multinationale du divertissement Disney, qui espère bien faire fructifier son acquisition. La mise au placard de l’univers étendu est une manière de faire de la place pour les prochains films qui n’auront pas à s’encombrer de respecter la continuité et la complexité de presque 40 ans de développements, dont de nombreux événements se déroulant déjà après Le retour du Jedi. Sur ce tableau blanc, Disney a lancé la production de deux genres de films : ceux appartenant à une trilogie qui poursuit la trame générale de l’univers, dont le premier épisode, Le Réveil de la Force, sort ce mercredi, et une série de spin-offs qui s’attarderont sur un point particulier de l’univers. Le premier de ceux-ci, nommé Rogue One, est prévu pour le 16 décembre 2016. De plus, de nouveaux romans, comme Tarkin, de James Luceno, sont déjà sortis et font, eux, partie intégrante du « nouveau » canon. Qu’en disent les fans ? La dé-officialisation totale de l’univers étendu est une pilule amère pour certains fans, mais en faisant ainsi place nette, Disney laisse la porte grande ouverte à ses toutes nouvelles séries de films, de jeux, de romans et de bds. L’entreprise a promis que les nouvelles œuvres piocheront allègrement leur inspiration dans l’ancien univers étendu, les fans peuvent donc espérer retrouver des personnages qu’ils aimaient dans cet univers (étendu) très très lointain. Damien Gouteux Pourquoi vous ne lirez la critique du dernier « Star Wars » que mercredi sur LeMonde.fr Comme quelques milliards d’êtres humains, la rubrique cinéma du Monde s’apprête à découvrir le 7e film de la série inaugurée il y a trente-neuf ans par George Lucas. Mais il nous faudra patienter jusqu’au mercredi 16 décembre au matin, comme l’immense majorité des Français. Certes, la maison Disney – qui a racheté Lucasfilm en 2012 – nous a proposé de voir Star Wars : le Réveil de la force, mardi 15 décembre, ce qui nous aurait permis de publier la critique mercredi dans le journal (daté jeudi) et dans La Matinale. Mais les conditions que la firme aux grandes oreilles rondes a mises à la venue des journalistes à cette avant-première nous ont semblé inacceptables. Débauche de précautions Comme il en va de plus en plus souvent pour les grosses sorties hollywoodiennes, il y a d’abord cette débauche de précautions qui confinent au grotesque : obtention d’un « QRcode d’accès personnel » subordonné à la signature d’un formulaire d’accord contraignant, lieu et horaire tenus secrets et communiqués la veille sur téléphone portable, présence annoncée d’agents de sécurité équipés de jumelles à vision nocturne, « embargo critique » jusqu’au mercredi 16 décembre, 9 h 01… Il y a ensuite, plus essentiellement, la volonté affichée par le distributeur de contrôler le contenu des articles rédigés après la projection du Réveil de la force. Le formulaire en ligne que doivent signer les journalistes désireux d’y assister leur demande, en effet, de « ne pas révéler d’éléments-clés de l’intrigue du film afin de laisser intact le plaisir des futurs spectateurs ». Les critiques de cinéma y sont invités à reconnaître « que toute révélation de [leur] part concernant ce film à des personnes n’ayant pas assisté à la projection, constituerait un préjudice pour Disney/Lucasfilm donnant lieu à réparation ». Dans un mail accompagnant ce formulaire, les expéditeurs vont jusqu’à enjoindre de tenir secrets « les liens unissant les personnages ». Mise au pas de la critique De mémoire journalistique, aucune société de production n’avait ainsi prétendu se mêler du contenu des articles de presse et des conversations privées des journalistes avec leurs proches, en brandissant de surcroît la menace de poursuites judiciaires. Tout cela témoigne de la nature de l’entreprise Star Wars : il s’agit de justifier aux yeux des actionnaires de Disney l’investissement colossal, 4,4 milliards de dollars (4 milliards d’euros), qu’a représenté l’achat de Lucasfilm. Chaque décision, y compris la mise au pas de la critique, procède de cet impératif, plutôt que de l’envie de créer ou de distraire. Certes, on peut convenir avec Mickey que « spoiler » est un péché. Mais si l’on ne parle ni de ce qui se passe à l’écran (l’intrigue du film), ni des personnages qui le peuplent, il ne reste que les paysages et les trucages. A mercredi, sur Lemonde.fr ou à jeudi dans La Matinale et dans les pages du quotidien (daté vendredi), pour parler de tout ce qui nous a semblé intéressant, ou pas, dans le film. « Star Wars » : du marketing jusqu’à plus soif Service culture Twit« Star Wars » en avant-première mondiale à Los Angeles L'avant-première du septième épisode de la saga Star Wars, Le Réveil de la force, a actuellement lieu à Hollywood, à Los Angeles. Plusieurs pâtés de maison ont été interdits à la circulation pour permettre aux milliers de fans et d'invités d'arpenter la long tapis rouge installé les jours précédents. Moins de deux semaines après l'attentat de San Bernardino, à une heure de là, l'accent était particulièrement porté sur la sécurité : des centaines de policiers et agents de sécurité étaient mobilisés – Disney ayant payé la ville pour utiliser sa police – et on ne pouvait pas entrer dans le périmètre sans passer au détecteur de métaux. Le Réveil de la force sortira mercredi 16 décembre et deux jours plus tard aux Etats-Unis. Can’t have one without the other. C-3PO and R2-D2 on the the #redcarpet LIVE right now on https://t.co/mVXi17qoJk https://t.co/r5xidmxp0o— Star Wars (@starwars) Entretenir la discussion, partout, tout le temps, et pendant plus d’un an : c’est le défi, relevé avec succès, que s’est imposé Disney pour promouvoir le nouvel épisode de la saga Star Wars, dont la sortie est prévue mercredi 16 décembre en France. Après les premières annonces – celle, en 2012, d’un nouvel épisode en préparation, puis celle, en 2013, du nom du réalisateur J.J. Abrams et de la date de sortie (le 16 décembre en France, le 18 aux Etats-Unis, avec une première mondiale à Los Angeles le 14) –, Disney a sorti la machine de guerre. Le 6 novembre 2014, le titre est révélé, suivi quelques jours plus tard d’un court teaser, présentant les toutes premières images du film. Depuis, la stratégie marketing bien huilée de Disney s’emploie, avec une précision millimétrée, à tenir en haleine les futurs spectateurs au rythme de révélations savamment égrenées sur plus de douze mois : teasers, bandes-annonces (près de 100 millions de vues sur le compte officiel de la franchise), affiches, indices sur l’intrigue ou les personnages… Pas moins de 2,7 millions de tweets contenaient l’occurrence « Star Wars » le mois précédant la sortie du film. Commentaires, spéculations, débats et parodies animent la Toile depuis des mois. C’est que Star Wars n’est pas une marque comme les autres. « La particularité de la stratégie marketing de ce film, c’est qu’elle est quasiment inutile », affirme Renan Cros, journaliste et enseignant en cinéma à Paris-VII. « Pas besoin de vendre le film au public, il est déjà vendu ! Ce qu’on promeut, c’est [l’univers] Star Wars, plus que le film. Le marketing se focalise sur l’univers de la saga et vend l’idée que Star Wars n’est pas un film, mais un rassemblement. En ce moment, le monde entier est connecté à cet univers, il faut vivre dans une grotte au pôle Nord pour ne pas en entendre parler. » Un univers archiconnu, au point d’être familier même aux rares personnes n’ayant vu aucun des films. « C’est l’un des plus célèbres blockbusters de l’histoire », rappelle Frédéric Martel, journaliste et chercheur auteur de Mainstream. Enquête sur cette culture qui plaît à tout le monde (Flammarion, 2010). « Par conséquent, Disney n’a même pas besoin d’acheter trop d’espace publicitaire, puisque ses bandes-annonces deviennent des événements à part entière, relayés par les médias comme une actualité culturelle. Peu de films ont cette capacité à générer de la presse gratuite, c’est un atout immense. » Au point qu’il est parfois difficile de différencier contenu publicitaire et contenu éditorial, plusieurs magazines comme Time mettant en scène sur leur couverture le nouveau robot de la saga. Devinette : laquelle de ces deux (belles) couvertures est une pub ? https://t.co/lQS0wIg2hb— lomigg (@Lomig Guillo) Autre particularité, et pas des moindres, de cette franchise : sa gigantesque communauté de fans, l’une des plus puissantes au monde, vecteur de promotion à grande échelle sur Internet et les réseaux sociaux. « Dans le cinéma, même Batman et Spiderman en sont loin. Il y a bien Harry Potter, mais c’était d’abord lié à des livres », précise Frédéric Martel. Mais c’est là que réside toute la difficulté de cette campagne marketing : comment réussir à concilier les attentes d’une communauté de fans ultra-exigeants et celles du grand public ? « Il y a un dosage subtil à trouver : il faut être dans la continuité, dans les codes de la marque, et rompre en même temps, car il ne faut pas que ce film soit vendu comme un énième épisode, explique Frédéric Martel. Un blockbuster, ce n’est pas une boîte de petits pois, ça doit être différent à chaque fois. » Eléments de langage Pour combler le public le plus pointu, Disney distille de nouveaux éléments très précis de l’univers, par exemple concernant Jakku, la planète sableuse de Rey, un des nouveaux personnages de l’épisode VII. Pour les autres, Disney s’appuie sur l’artillerie lourde : une présence massive sur de nombreux supports. Outre les traditionnelles affiches et bandes-annonces, Star Wars s’impose dans le quotidien de tout un chacun. Des bouteilles d’eau aux céréales, en passant par les rames de métro, la page d’accueil de Google, les émoticones des réseaux sociaux ou les colis de La Poste, impossible d’échapper aux sabres laser et autres droïdes. Même si, selon Hélène Laurichesse, maître de conférences à l’université Toulouse-Jean-Jaurès et spécialiste du marketing au cinéma, l’ampleur est moindre que lors de la sortie de la prélogie, en 1999 : « Comme pour James Bond, ils étaient allés un peu trop loin dans les partenariats avec les marques, ça avait généré une saturation complète, ce qui avait déplu aux fans. Cette fois, le nombre de contrats passés permettant la déclinaison de la marque sur des produits a diminué de moitié. » Il faut aussi promouvoir le film dans de nombreux pays aux cultures très différentes. Ainsi, la bande-annonce sortie au Japon n’est pas la même que celle qui est montrée aux Etats-Unis. Et la production joue de ces variations. Quelques images inédites y ont été ajoutées et, grâce à Internet, ces images destinées à un public japonais ont fait le tour du monde. A l’inverse, la déclinaison de l’affiche en Chine a généré l’un des rares couacs de cette campagne marketing jusqu’ici parfaitement maîtrisée. #StarWars outcry after China shrinks star in poster: https://t.co/YfsuiyIVO1 #TheForceAwakens https://t.co/lOj88L1cL7— EW (@Entertainment Weekly) Disney profite aussi de la force de frappe de son groupe tentaculaire pour décliner Star Wars sur différents supports : ici, un spot où les personnages du film d’animation Vice-Versa, produit par Disney, commentent la bande-annonce de l’épisode VII ; là, une bande dessinée sur Dark Vador créée par Marvel, elle aussi filiale de Disney… Sans parler des Disney Stores, magasins qui écoulent des stocks de produits dérivés : jouets, figurines, déguisements, tasses, et même boules de Noël. Ces objets font, depuis 1977, partie intégrante de la stratégie marketing de Star Wars et rapportent gros, plus que les films eux-mêmes. Choisir de sortir le film en décembre, quelques jours avant Noël, n’a rien d’un hasard. La campagne marketing bénéficie autant au film qu’aux jouets sur lesquels se jettent déjà, depuis des mois, petits et grands. La franchise réussit même l’exploit de vendre des produits sur des personnages encore inconnus du public, comme le droïde sphérique BB8, apparu seulement quelques secondes dans les bandes-annonces. Star Wars s’affiche donc partout… mais pour ne rien dire. Après des mois de promotion continue, le public ne sait toujours rien de l’intrigue, tout juste dispose-t-il d’un aperçu des nouveaux personnages qu’il s’apprête à découvrir. Le secret est bien gardé et dans les interviews, les acteurs ne lâchent aucune information. C’est qu’ils sont parfaitement briefés, « avec des éléments de langage, presque comme les politiques », précise Renan Cros. L’absence comme stratégie Les fans se rattachent aux miettes qu’on leur donne pour mieux les décortiquer et développer leurs propres théories. « La moindre information sur Star Wars déclenche tellement de rumeurs, de recherches d’indices… Ça marche même quand ce n’est pas calculé », observe Hélène Laurichesse. Mieux : l’absence d’information génère elle aussi de la discussion. Ainsi, l’absence remarquée de Luke Skywalker dans la promotion du film, alors que son interprète Mark Hamill apparaît dans le casting, alimente toutes les spéculations et accroît l’impatience. « Toute la difficulté est de tenir le public dans un état d’inquiétude et de satisfaction permanent », analyse Renan Cros. Le public se demande toujours si le film sera à la hauteur, et c’est là que le marketing intervient, selon lui : « Le véritable enjeu consiste à rassurer les gens. C’est leur dire, on va vous faire oublier les épisodes I, II et III [assez mal accueillis par le public], et revenir aux fondamentaux des années 1970. Disney capitalise sur le passé du film, sur la nostalgie, et vend quelque chose que le public connaît déjà. » Et l’explicite même dans le deuxième teaser, quand Han Solo, personnage emblématique de la trilogie originale, lance cette désormais célèbre citation « Chewie, we’re home » (« Chewie, on est à la maison »). Un clin d’œil évident, représentatif de la stratégie promotionnelle de ce septième opus. « Le titre du film lui-même, Le Réveil de la force, indique que c’était toujours là, endormi, et que ça va ressurgir triomphalement, explique Renan Cros. Ce marketing s’appuie sur une mythologie qui dépasse le film. On efface même presque George Lucas, dont on n’a plus besoin : l’univers a fait disparaître l’auteur. Il suffit de lancer le générique, la musique, et c’est parti. » Buster Keaton L’intégrale des courts-métrages 1917-1923 Hong Sang-soo Les Femmes de mes amis, Lost in the Mountains Coffret multisupports avec 3 DVD ou Blu-ray, mangas, roman, artbook et story-board, Kazé, 169,96 €/189,95 €. Nico Papatakis L’intégrale Monty Python Sacré Graal ! 40e anniversaire Dans ses mémoires tout justes publiés (Gilliamesque, éditions Sonatine, 308 p., 25 €), Terry Gilliam raconte l’horreur qui saisit le public américain en découvrant l’abnégation du chevalier noir qui continue de se battre malgré l’amputation successive de tous ses membres. Il faudrait, pour bien célébrer les quarante ans du premier vrai long-métrage des Monty Python, retrouver l’ignorance bienheureuse des spectateurs de l’époque, étourdis par ce mélange de culture littéraire et picturale (que démontrent les commentaires de cette édition DVD, livrés par MM. Jones, Gilliam, Palin et Idle) et de pulsions destructrices. Même s’il fut l’occasion de combats féroces entre les coréalisateurs (les deux Terry, Jones et Gilliam), Sacré Graal ! plaçait définitivement l’humour absurde des Python sur le terrain du cinéma, avec ses châteaux embrumés, ses paysages désolés enluminés par les dessins délirants de Gilliam, et ses personnages toujours trop grands ou trop petits pour leurs rôles. T. S. ************************************************************* Le prix Louis-Delluc à « Fatima » En ce jour où un seul film veut monopoliser les regards, le jury du prix Louis-Delluc a récompensé, mercredi 16 décembre, un film qui a pour ambition plus altruiste de les changer : Fatima. Inspiré des livres autobiographiques de Fatima Elayoubi, le huitième long-métrage de Philippe Faucon avait été présenté à la Quinzaine des réalisateurs à Cannes, en mai 2015. « Fatima » : la beauté d’une héroïne invisible Le jury du prix Louis-Delluc, qui réunit critiques et personnalités sous la présidence de Gilles Jacob, avait sélectionné : Comme un avion, de Bruno Podalydès ; Le Dos rouge, d’Antoine Barraud ; Fatima, de Philippe Faucon ; L’Image manquante, de Rithy Panh ; La Loi du marché, de Stéphane Brizé ; Marguerite, de Xavier Giannoli ; L’Ombre des femmes, de Philippe Garrel et Trois souvenirs de ma jeunesse, d’Arnaud Desplechin. « Quelque chose de fraternel » Portrait d’une mère de famille qui élève seule deux grandes filles en faisant des ménages, interprété par des actrices inconnues, Fatima a d’ores et déjà réuni 250 000 spectateurs. Au moment de sa sortie, Philippe Faucon expliquait : « J’ai de l’intérêt pour les personnages qui ont à affirmer leur place dans un environnement qui ne leur est pas propice. Ou qui doivent recommencer leur vie quasiment de zéro. Je ressens à leur égard quelque chose de fraternel. » Le Delluc du premier film a été décerné au Grand Jeu, de Nicolas Pariser. Ce thriller politique avec André Dussollier, Melvil Poupaud et Clémence Poésy sort aujourd’hui dans les salles. « Le Grand Jeu » : les pulsions secrètes du pouvoir Arash, le Perse, refusait son destin Film, à 0 h 15, sur Arte Dans l’Iran d’aujourd’hui, Massoud Bakhshi filme une histoire universelle. Universitaire de renom, Arash a autrefois quitté l’Iran pour faire ses études en Occident. Des années plus tard, il revient près de sa mère à Chiraz, loin de Téhéran la turbulente, pour donner des cours à l’université. Il revient aussi vers son père mourant, vers son demi-frère craint et haï dans l’enfance et au fils de ce dernier, Hamed, ce neveu trop sympathique dont la dévotion familiale bien mimée cache une ambition sans morale. Ses repères sont désuets, les codes ne sont plus les mêmes : cette famille respectable qui était la sienne, il ne la reconnaît plus. Si les références à l’actualité sont nombreuses – manifestations étudiantes, surveillance des professeurs d’université, culte des martyrs de la patrie –, elles ne constituent pas la ligne dramatique d’Une famille respectable. La première scène du film, montrant, caméra à l’épaule, l’enlèvement d’Arash par un faux chauffeur de taxi, pourrait s’intégrer à n’importe quel film d’action à l’américaine. Le cinéma iranien produit de plus en plus de ces films qui montrent, sans colère ni rancœur, le visage tendu de l’Iran ; mais aussi leur désir de refaire d’un pays que nous avons pris l’habitude de singulariser à outrance le terreau de grandes histoires universelles. Une famille respectable fait partie de ceux-là. C’est tout d’abord un film de mafia construit avec rigueur, pris dans un rythme étonnamment pensif. Sous le regard d’Arash, se déroule l’ascension de son neveu sans scrupule. Arash croit à la gentillesse d’Hamed et s’attache à lui, alors que l’unique motivation du jeune homme est de l’empêcher de toucher l’héritage de son père. Métaphore sociale Par-delà l’intérêt pour la mécanique du pouvoir, on sent le réalisateur préoccupé par une dissolution des valeurs morales qui voit la jeune génération se détourner de ce qui était sacré une ou deux générations plus tôt pour le sacrifier à l’argent – seule valeur nouvelle. Mais, là encore, l’observation critique d’un capitalisme dévorant n’est qu’une piste parmi d’autres, et l’argent le symptôme laid d’une dégénérescence plus ample. Film de mafia, métaphore sociale, Une famille respectable se lit comme mythe contemporain. A l’image des grandes dynasties antiques, il pose la faute d’un homme faisant peser le poids d’une malédiction sur les générations suivantes. Ici, c’est la fracture de la cellule familiale – le père d’Arash faisant un enfant à une autre femme – qui scinde toute la descendance en deux branches maudites. D’un côté, les victimes (Arash et son frère martyr), de l’autre les bourreaux (Jafar, le fils illégitime, et son fils Hamed). Comme le héros persan dont il tire son nom, comme Dipe ou Oreste, Arash refuse de se soumettre au destin qu’on lui impose. Ce destin, cependant, n’est plus le témoignage des inquiétudes originelles du monde, mais celui de son évolution à contresens de toute mystique. L’ultime refuge, le dernier repère d’Arash qui vaille, ce sont les femmes qui l’entourent. Bien avant qu’il puisse voir le piège, elles le devinent. Elles se battent encore pour ce que les hommes semblent avoir renoncé à défendre  : l’intégrité, le respect de l’autre, la famille. Désireux de montrer qu’il ne s’agit guère de broder autour d’une féminité archétypale, c’est aux femmes de son pays que Massoud Bakhshi dédie son film. Mais cette discrétion fondamentale fait sens  : il faut puiser l’espoir en celles et ceux qui restent en retrait dans leurs mots et leurs gestes, mais tendent un bras pour prévenir la chute de ceux qui marchent devant, et parlent fort. Une famille respectable, de Massoud Bakhshi. Avec Babak Hamidian, Mehrdad Sedighian (Iran, 2012, 90 min). Mercredi 16 décembre, à 0 h 15, sur Arte. « Star Wars 7 » : comment Disney a réécrit l’histoire de la galaxie après la défaite de l’empire N.B. : Cet article ne révèle pas l’intrigue du film, mais contient des éléments de contexte sur les évènements se déroulant après le Retour du jedi. « Quand vous êtes jeune et que vous regardez Le retour du Jedi, vous voyez la fin heureuse, et vous vous dites “Hé, c’est terminé !”, suggère Greg Rucka. Mais en grandissant, en y repensant, vous réalisez que non, vraiment pas. Ce n’est pas fini du tout. » Cet éminent scénariste de comics en sait quelque chose : il a signé l’histoire de Star Wars : Les Ruines de l’Empire, une bande dessinée publiée le 2 décembre chez Panini Comics, et qui raconte la suite immédiate de la première trilogie après la bataille d’Endor. Non pas telle que George Lucas l’avait imaginé, mais à la sauce Walt Disney. Une mise au congélateur de l’ancien Univers Etendu Au début de 2014, Disney et LucasArts Studios annonçaient en effet la révocation de l’univers étendu : toutes les œuvres déjà existantes et concernant la période couverte par la troisième trilogie, qu’il s’agisse de livres, de jeux de plateau, de bandes dessinées ou encore de jeux vidéo, étaient désormais considérées comme de simples « Légendes » – du nom de la gamme dédiée à leur réédition. Un chantier de pas moins de 20 livres est annoncé, dont la publication française a débuté il y a quelques semaines seulement. « Le nouvel univers étendu annule, ou plutôt met au congélateur des éléments, et fait disparaître notamment tout ce qui se passait juste après Le retour du Jedi », observe Thibaut Claudel, journaliste pour le site SyFantasy.com. Ce grand nettoyage annule notamment les trilogies de l’écrivain Thimothy Zahn, dont une racontait comment Han et Leia devaient donner naissance à une nouvelle lignée de Skywalkers. « Cette trilogie, La croisade noire du Jedi fou, est pourtant considérée comme canonique par de nombreux fans », soupire M. Claudel. Les nouveaux romans et comics ne décrivent pas ce qui se passera dans Le réveil de la Force, mais plantent le décor de la nouvelle trilogie dont le premier épisode sort en salles ce mercredi. L’Empire a survécu Principale différence avec l’Univers Etendu original, dans la version Disney l’Empire a survécu au final de l’épisode VI. A la fin du Retour du Jedi, l’Alliance rebelle avait pourtant remporté une victoire majeure en prenant possession d’une station radio sur la lune forestière d’Endor. Les troupes de l’amiral Ackbar étaient parvenues à lancer l’assaut sur l’Etoile Noire et la détruire. La mort de l’empereur Palpatine, tué par Dark Vador après un duel à trois avec Luke Skywalker, sonnait initialement le glas de l’Empire. Mais le scénariste du comics Les ruines de l’Empire, Greg Rucka, a été chargé d’en donner une vision très différente. « L’Empire a encore des ressources, une énorme flotte. Ils sont peut-être en désarroi après la Bataille d’Endor, mais il serait naïf de croire que d’autres personnes ne vont pas chercher à prendre les places vacantes, » explique-t-il. Au milieu de nombreux livres au contenu très anecdotique, la trilogie Aftermath (traduite sous le titre Riposte en français, en 2016) est finalement celle qui donne le plus d’indices sur le contexte du film. « On y apprend que l’Empire lance une campagne de contre-propagande. On y découvre aussi des guerres intestines entre les clans favorables à une alliance avec la Nouvelle République et ceux qui souhaitent plutôt que l’Empire s’exile aux confins de la galaxie pour fonder un ordre encore plus militaire. » « Un pont, mais pas le pont en entier » Un des anciens conseillers de Palpatine, Tashu, s’est ainsi juré de poursuivre sa mission, tandis qu’un groupe de mystérieux fanatiques du côté obscur, les Acolytes de l’au-delà, acquiert un sabre-laser rouge pour le restituer à la dépouille de Dark Vador. Un des amiraux de Palpatine ayant survécu à la bataille d’Endor a par ailleurs pris le commandement du dernier vaisseau géant Super Star Destroyer de l’Empire. S’agira-t-il d’un événement important ? Mystère. « Comme je le dis toujours, nous sommes un pont entre Le Retour du Jedi et Le réveil de la Force, mais ce n’est pas le pont en entier », expliquait son auteur Check Wendig en septembre à Entertainment Weekly. Parmi la vingtaine d’ouvrages consacrés à ce fameux pont, d’une qualité très inégale, certains mettent en scène les héros iconiques de la saga dans des romans dédiés, ou se déroulent bien avant les événements du nouveau film. Etoiles Perdues, de Claudia Gray, revisite par exemple l’intégralité de la trilogie originale (IV-V-VI) à travers la romance impossible entre deux personnages appartenant à des camps opposés, pour s’achever quelques années tout juste après les événements du Retour du Jedi. Les grandes lignes, et notamment cette histoire d’amour, est une idée de la direction de Lucasfilm. « Leur vision de départ était une sorte de Romeo & Juliette en pleine Guerre Civile Galactique », raconte-t-elle sur le site officiel. « Pour l’instant, le nouvel univers étendu capitalise beaucoup sur l’iconographie des films IV à VI, observe Thibaut Claudel. La gamme “Voyage vers Star Wars : Le Réveil de la Force” porte d’ailleurs un nom un peu mensonger puisque certains romans se passent à l’époque de la première trilogie et s’arrêtent bien avant Le réveil de la Force. Il est parfois difficile de savoir ce qui relève du fait ou de l’indice ». L’apport de ce roman jeunesse reste plutôt mineur. Des détails d’arrière-plan D’une manière générale, le nouvel Univers Etendu imaginé par Disney et ses partenaires n’étend pas la mythologie Star Wars, comme le faisait l’original. Mais il distille tout de même quelques éléments de contexte préparant de loin Le Réveil de la Force. Au bout de près de six cents pages de chassé-croisé amoureux, Star Wars : Etoiles perdues finit ainsi par raconter comment l’Annihilateur, un vaisseau spatial géant, a fini encastré dans l’arrière-plan de la planète désertique aperçue dans les bandes-annonces, Jakku. La bataille qui a eu lieu sur les dunes arides de cette dernière est même jouable dans le jeu vidéo Star Wars Battlefront. Il permet de se familiariser avec le cimetière de vaisseaux impériaux à la carcasse noircie par le soleil et l’usure dans lequel a grandi Rey (Daisy Ridley), l’orpheline que l’on découvre dans le nouveau long-métrage. Une manière de donner un peu d’épaisseur aux paysages, à défaut d’enrichir réellement la trame. Avec les premiers spectateurs ayant vu « Star Wars : Le Réveil de la Force » Certes, il y a eu l’avant-première mondiale à Los Angeles, lundi 14 décembre, à laquelle une poignée de privilégiés a pu assister. Mais c’est ce mercredi que sort officiellement le septième épisode de la saga Star Wars, Le Réveil de la Force… dans certains pays européens seulement, dont la France. La plupart des autres pays devront attendre encore deux jours, au moins, pour en profiter. « J’ai eu l’impression de retourner en enfance, tant la charge émotionnelle est puissante », confiait Bruno, venu avec sa compagne Anouk à l’une des toutes premières séances, à l’UGC Bercy, à Paris. Bouleversé à la sortie de la salle, il estime que ce septième opus « se rapproche de l’épisode V ». Tweets de @romaingeoffroy !function(d,s,id){var js,fjs=d.getElementsByTagName(s)[0],p=/^http:/.test(d.location)?'http':'https';if(!d.getElementById(id)){js=d.createElement(s);js.id=id;js.src=p+"://platform.twitter.com/widgets.js";fjs.parentNode.insertBefore(js,fjs);}}(document,"script","twitter-wjs"); Plus loin, un fan de la première heure, Jérémie, qui avait sorti pour l’occasion un pull Star Wars, fait part de sa satisfaction, « surtout visuellement ». Baptiste, quant à lui, évoque « beaucoup de références à la première trilogie (...). Il y a beaucoup d’humour, comme dans les plus vieux, voire parfois un peu trop. » Il raconte aussi une séance pas vraiment comme les autres : « au moment où on revoit Han Solo pour la première fois, tout le monde a applaudi ». Dès l’aube, des centaines de personnes se pressaient à l’entrée des salles diffusant les premières séances du film, vers 9 heures du matin. A l’UGC Bercy, à Paris, chaque spectateur devait ouvrir son sac et son manteau avant de pénétrer dans la salle, plan Vigipirate oblige. « Je dois baisser mon pantalon ? », ironisait l’un d’entre eux. « Au même titre qu’Œdipe dans la mythologie grecque » Dans certaines salles, certains ont tout de même pu rentrer avec leur sabre laser. Mais il n’y a pas que les fans de Star Wars à avoir mis leur réveil pour le film. A cette heure matinale, on trouvait aussi à l’UGC Bercy… des classes de lycéens, venus de Saint-Maur-des-Fossés, avec leurs professeurs de français et d’anglais, pour la séance en version originale bien entendu. Anne, leur professeur de français, a décidé de les y emmener dans le cadre d’un cycle sur les mythes, « au même titre qu’Œdipe dans la mythologie grecque ». Baptiste, 23 ans, juriste, est arrivé 7h30, billets réservés depuis 2 mois. RTT posés exprès. Va à la séance de 10h https://t.co/Jhe6yz3PDb— romaingeoffroy (@Romain Geoffroy) Les séances en version originale sous-titrée ont d’ailleurs connu plus de succès, ce mercredi matin, que celles en version française, pour lesquelles il restait encore de la place. Sur les réseaux sociaux, plusieurs spectateurs ont fait part de leur étonnement de découvrir certaines salles quasiment vides. Beaucoup plus de succès pour la séance de 10h (VOSTFR), complète. Reste une centaine de places pour 9h45 en Fr #SW7 https://t.co/OK6DbswHIz— romaingeoffroy (@Romain Geoffroy) « Star Wars 7 » : comment éviter les spoilers... ou éviter le film tout court Les fans des séries les plus populaires connaissent bien l’enjeu. Dans les quelques jours – voire heures – qui suivent par exemple la sortie d’un épisode de « Game of Thrones » riche en révélations (donc en assassinats), les retardataires qui naviguent sur Internet risquent de se faire « spoiler », gâcher leur épisode à chaque nouvel onglet de leur navigateur. Durant les jours qui vont suivre la sortie de Star Wars : le Réveil de la Force dans les cinémas français, voilà comment se protéger contre les internautes trop bavards. Sur Google Chrome : des extensions bienveillantes Force Block, une extension pour le navigateur Google Chrome, analyse chaque page que vous ouvrez et la bloque si elle estime qu’elle peut contenir des révélations sur le film de J.J. Abrams. A la place, un écran avertit l’internaute avec une fausse citation de Star Wars, et lui demande s’il souhaite continuer à ses risques et périls. Après test, l’extension semble rechercher avant tout le titre du film et les noms des personnages. Une simple recherche sur le nom de « Rey », un des personnages principaux, et la page de résultats Google se retrouve bloquée. L’utilisateur a même l’embarras du choix puisqu’une autre extension Chrome, Star Wars Spoilers Blocker, propose comme son nom l’indique le même service. Sur Firefox : remplacez tous les mots liés au film Les extensions « anti-spoilers » manquent sur le navigateur Mozilla Firefox, mais il est toujours possible de configurer un module comme FoxReplace pour remplacer un mot par un autre. Par exemple, il est possible de remplacer « Star », « Wars », « Skywalker » et autres noms distinctifs par un seul et même mot pour brouiller les pistes. Le résultat est souvent efficace, en plus d’être drôle, et il suffit de quelques minutes pour configurer l’extension. Des outils similaires existent pour les utilisateurs de Google Chrome. Sur Twitter : bloquez les mots-clés Les utilisateurs du client officiel Tweetdeck peuvent bloquer n’importe quel mot ou hashtag sur le réseau social Twitter. Cette option est disponible dans les paramètres du site, et il est conseillé de bloquer aussi bien « Star Wars » que « Starwars », ainsi que les prénoms des personnages de la saga et du film, pour éviter toute mauvaise surprise. Florian Reynaud Sinon, que voir au cinéma à part « Star Wars » cette semaine ? Sous l’ombre gigantesque du vaisseau cinématographique  Star Wars qui menace de tout engloutir sur son passage, certains distributeurs téméraires tentent leur chance en jouant le jeu de la contre-programmation et du « small is beautiful ». On parlera donc essentiellement, cette semaine, de politique contemporaine en France, avec Nicolas Pariser, et en Israël, avec Amos Gitaï, d’humour dépressif, avec Michel Leclerc. Pendant ce temps, la Cinémathèque française joue la carte du climat, tel qu’il influence le cinéma depuis bien avant la COP21. POUVOIR, MANIPULATION ET ROMANESQUE : « Le Grand Jeu », de Nicolas Pariser Pierre Blum (Melvil Poupaud), écrivain jadis prometteur mais improductif depuis quinze ans, est approché par Joseph Paskin (André Dussollier), un barbouze doucereusement inquisiteur, qui lui passe la commande d’un curieux ouvrage anonyme. Un « appel à l’insurrection » s’inscrivant dans une stratégie pour décrédibiliser le ministre de l’intérieur, son ennemi politique, mais qui, en même temps, entraîne le romancier à déterrer les idéaux enfouis, voire les fréquentations, d’une jeunesse militante passée dans les milieux d’extrême gauche. Le récit est inspiré de plusieurs faits divers ayant émaillé le cours de la Ve République, dont le plus évident et le plus récent serait « l’affaire de Tarnac ». L’invisibilité du pouvoir, sa pulsion secrète, est ce qui l’intéresse au plus haut point. Ces forces intimes ou gouvernementales, qui n’ont pas de nom, pas de visage, mais qui pourtant agissent, le plus souvent à notre place, et dont nous sommes les dupes. Film français de Nicolas Pariser, avec Melvil Poupaud, André Dussollier, Clémence Poésy et Sophie Cattani (1 h 39). PUISSANCE DÉLÉTÈRE DE L’ASSASSINAT POLITIQUE : « Le Dernier Jour d’Yitzhak Rabin », d’Amos Gitaï Signées d’Amos Gitaï, ces deux heures trente de film, fiction rigoureusement documentée, font le point le plus complet qui puisse se voir sur l’assassinat du premier ministre israélien Yitzhak Rabin, le 4 novembre 1995. La paix, avec cet homme de grand courage qui fut un des artisans des accords d’Oslo, était à portée de main, la reconnaissance mutuelle entre Israéliens et Palestiniens sur le point d’être signée. Un jeune religieux ultra-nationaliste israélien en décida autrement, se faufilant avec une facilité déconcertante près de l’homme d’Etat qui s’apprêtait à regagner son véhicule après un magnifique discours sur la place des Rois à Tel-Aviv, et l’abattant de trois balles. Tout cela est en somme connu. Qu’apporte, que montre ce film qu’on ne sache déjà ? Sur le plan du contenu, un surcroît d’informations. Sur le plan de la forme, une volonté de tirer le documentaire vers cette part de thriller, et plus lointainement de fatalité tragique, que contient tout assassinat politique. Film israélien d’Amos Gitaï. Avec Ischac Hiskiya, Pini Mittelman, Michael Warshaviak (2 h 30). JEAN-PIERRE BACRI, SA VIE EN MIETTES, SA BROSSE À DENTS, SON GPS : « La Vie très privée de Monsieur Sim » Amateur de situations saugrenues, peintre de personnages doucement excentriques, auteur de comédies entachées d’une tendre désuétude, Michel Leclerc, réalisateur du Nom des gens (2010), signe avec ce film son quatrième long-métrage. L’histoire du jour, adaptée du roman homonyme du romancier britannique Jonathan Coe, a pour personnage principal ledit Monsieur Sim – « comme la carte » –, quinquagénaire plutôt fatigué, divorcé et en recherche de boulot, mais pas suffisamment abattu par la vie pour ne pas chercher à se relancer. Ce Droopy des temps modernes a pour interprète – naturel a-t-on envie de dire – Jean-Pierre Bacri, qui le joue comme d’habitude aux petits oignons, dans un road-movie existentialo-dépressif, mais souvent drôle, qui le voit traverser la France comme représentant en brosses à dents bios. Entre les souvenirs de jeunesse qui remontent et les dialogues en solitaire avec la voix féminine d’un GPS, ce film organise donc la collision entre La Recherche du temps perdu et le Global Positionning System, avec au volant un homme mélancolique qui aimerait bien réenchanter sa vie. Film français de Michel Leclerc. Avec Jean-Pierre Bacri, Valeria Golino, Mathieu Amalric (1 h 41). 70 FILMS ATMOSPHÉRIQUES : « Le cinéma c’est la météo ! » Quand la Cinémathèque française se met à l’heure de la COP21, cela donne « Le cinéma c’est la météo ! », une sélection de plus de soixante-dix films dont le « climat » est plus qu’une métaphore. Concoctée par Alain Bergala, cinéphile érudit et spécialiste de Jean-Luc Godard, la programmation part d’un principe on ne peut plus concret : « Il est des cinéastes – aussi différents que Straub, Renoir, Godard, Rossellini, Jonas Mekas ou Ford – pour qui on ne touche pas au temps qu’il fait le jour où on tourne. La météo est la part de monde réel dont doit attester le film, indépendamment des volontarismes de mise en scène. » Du climat sujet aux intenses variations du couple amoureux à celui, plus uniment déchaîné, qu’il fera le jour de l’Apocalypse, les auteurs passent souvent par la météo pour raconter de manière circonstanciée leurs histoires, variant les ambiances, les températures et les couleurs selon qu’il fait soleil, qu’il pleut ou qu’il neige. Revoyez Le Déjeuner sur l’herbe, de Jean Renoir, La Chevauchée des bannis, d’André de Toth, Conte d’été, d’Eric Rohmer, La Lumière, de Souleymane Cissé, Le Vent, de Victor Sjöström, Le Tempestaire, de Jean Epstein, Hurricane, de John Ford, ou Fargo, des frères Coen, et vous admettrez sans mal que le cinéma, comme dit Arletty, a bel et bien « une gueule d’atmosphère ». Le cinéma c’est la météo ! Jusqu’au 22 janvier à la Cinémathèque française, 51, rue de Bercy, 75012 Paris. www.cinematheque.fr « Star Wars 7 » : pourquoi vous ne lirez la critique que mercredi sur LeMonde.fr « Star Wars 7 » : tout ce qu’il faut savoir sur son univers étendu « Star Wars 7 » : Comment la saga a étendu son empire Certes, la maison Disney – qui a racheté Lucasfilm en 2012 – nous a proposé de voir Star Wars : le Réveil de la Force, mardi 15 décembre, ce qui nous aurait permis de publier la critique mercredi dans le journal (daté jeudi) et dans La Matinale. Mais les conditions que la firme aux grandes oreilles rondes a mises à la venue des journalistes à cette avant-première nous ont semblé inacceptables. Il y a ensuite, plus essentiellement, la volonté affichée par le distributeur de contrôler le contenu des articles rédigés après la projection du Réveil de la Force. Le formulaire en ligne que doivent signer les journalistes désireux d’y assister leur demande, en effet, de « ne pas révéler d’éléments-clés de l’intrigue du film afin de laisser intact le plaisir des futurs spectateurs ». Les critiques de cinéma y sont invités à reconnaître « que toute révélation de [leur] part concernant ce film à des personnes n’ayant pas assisté à la projection, constituerait un préjudice pour Disney/Lucasfilm donnant lieu à réparation ». Dans un mail accompagnant ce formulaire, les expéditeurs vont jusqu’à enjoindre de tenir secrets « les liens unissant les personnages ». ************************************************************* Le retour des films cultes des années 1980 au cinéma « Blade Runner 2 », un retour en... 2019 ? La suite de ce mythique film de science-fiction réalisé par Ridley Scott en 1982 est prévue mais n’a pas encore été tournée. Pour voir sur grand écran Blade Runner 2, peut-être faudra-t-il attendre 2019, année où, justement, l’histoire se situe. En attendant, on sait déjà que Ryan Gosling marchera dans les pas d’Harrison Ford et que le Canadien Denis Villeneuve sera derrière la caméra, à la réalisation. « Les Goonies 2 », come-back annoncé Evoquez devant n’importe quel quadra cette comédie de 1985 réalisée par Richard Donner, et vous verrez sans doute une lueur apparaître dans ses yeux. Il y a en effet peu de chances qu’il soit passé à côté du phénomène Goonies, du nom d’une bande de gamins déterminés à retrouver un trésor. L’acteur Sean Astin a récemment garanti « à 100 % » le retour des Goonies. La lueur au bout du tunnel. « Top Gun 2 », décollage retardé Réalisé par Tony Scott en 1986, ce film d’aviation qui a propulsé la carrière de Tom Cruise aura droit à un nouveau décollage, à une date encore indéterminée. Sur sa page Facebook, Val Kilmer a, il y a peu, laissé fuiter qu’il reprendrait son rôle, et a confusément évoqué le nom du réalisateur Francis Ford Coppola – cela reste à confirmer. Tom Cruise, lui, est partant… à condition de piloter un avion pour de vrai. « S.O.S. Fantômes 3 », salles hantées dès juillet Après plusieurs faux départs, le troisième opus de la saga loufoque lancée par Ivan Reitman en 1984 devrait voir finalement le jour outre-Atlantique en juillet prochain. Réalisé par Paul Feig, ce volet au casting entièrement féminin sera un « reboot », soit un nouveau départ déconnecté de l’histoire originale. Bill Murray et Dan Aykroyd devraient toutefois y faire quelques apparitions fugaces. « Gremlins 3 », monstres en vue Les fans du Mogwaï Gizmo, boule de poils à manier avec précautions, reprennent espoir. Alors que la rumeur d’un Gremlins 3 enfle et retombe régulièrement, Zach Galligan, héros des deux premiers volets sortis en 1984 et 1990, a confirmé le 27 novembre qu’un film est bien en préparation. « Ni reboot ni remake », a-t-il lâché, mais quelque chose « dans la lignée de Jurassic World », soit une intrigue qui tient compte des 25 années écoulées. Marine Benoit « Star Wars 7 » : dans les salles parisiennes, les fans ont « vécu le film à fond » Gabriel Coutagne Certes, il y avait eu l’avant-première mondiale à Los Angeles, lundi 14 décembre, à laquelle une poignée de privilégiés avait pu assister. Mais c’est ce mercredi qu’est sorti officiellement le septième épisode de la saga Star Wars, Le Réveil de la Force dans certains pays européens, dont la France. La plupart des autres pays devront attendre encore deux jours, au moins, pour en profiter. Bourrés d’appréhension ou emplis d’espoir, ils étaient des centaines à se presser dès l’aube à l’entrée des salles diffusant les premières séances du film, vers 9 heures du matin. A cette heure-là, c’est avec un ticket réservé depuis plusieurs mois que les fans sont arrivés, car assister à la toute première séance, cela permet notamment de ne pas se faire « spoiler » le film. « Star Wars 7 » : un shoot de plaisir régressif Plan Vigipirate oblige, chaque spectateur devait ouvrir son sac et son manteau avant de pénétrer dans les salles obscures. Des mesures de sécurité qui ont rassuré certains et en ont agacé d’autres. « Je dois baisser mon pantalon ? », ironisait un futur spectateur à l’entrée de l’UGC Bercy, dans le 12e arrondissement de Paris. « C’est Bagdad, ici ! » pestait un autre. La première séance à l'UGC Bercy commence dans une heure et deja deux longues files d'attente. #StarWars https://t.co/05WcenNW7V— romaingeoffroy (@Romain Geoffroy) A la sortie, la pression était retombée. « J’ai eu l’impression de retourner en enfance, tant la charge émotionnelle est puissante », confiait Bruno, venu avec sa compagne Anouk à l’une des toutes premières séances. Bouleversé à la sortie de la salle, presque essouflé, ce conseiller en sécurité de 34 ans, estimait que ce septième opus « se rapproche de l’épisode V : L’Empire contre-attaque », son préféré. Il avait été déçu lors de la sortie de la prélogie (les épisodes I, II et III) au début des années 2000. Ce nouvel épisode, il a déjà prévu de le revoir, « cinq ou six fois » et « dès ce week-end ». Anouk, qui a découvert la saga « sur le tard », était un peu moins entousiaste, même si elle a adoré le rôle de Rey dans le film, interprété par Daisy Ridley : « Ce personnage féminin est très bien fouillé, son rôle est bien écrit, on ne tombe pas dans le cliché de la fille tartignole, et elle n’a pas non plus un rôle d’homme comme on le voyait dans le dernier Mad Max. » Plus loin, un fan de la première heure, Jérémie, qui avait sorti pour l’occasion un pull Star Wars, faisait part de sa satisfaction, « surtout visuellement ». « Les effets spéciaux sont beaucoup plus réussis, et le film n’en abuse pas comme dans la prélogie. Cela fait du bien de voir des décors naturels au lieu d’un fond vert. » Comptable, il avait dû, comme beaucoup ce mercredi matin, poser un jour de congé pour assister à l’une des premières séances dans la capitale. « Je suis allé voir la version française ce matin car il n’y avait plus de places à la séance en version originale sous-titrée », confiait-il. Comme tout fan qui se respecte, Jérémie devait, de toute façon, aller revoir le film en VO dès l’après-midi. « On retrouve l’humour des vieux épisodes » Baptiste, levé aux aurores et devant le cinéma depuis 7 h 30, pointait, lui, les nombreuses « références à la première trilogie (...). Il y a beaucoup d’humour, comme dans les plus vieux, voire parfois un peu trop. » Le juriste de 23 ans, grand fan de la musique du compositeur John Williams, racontait aussi une séance pas vraiment comme les autres : « Au moment où on revoit Han Solo pour la première fois, tout le monde a applaudi ». Cette ambiance bon enfant n’était apparemment pas propre à la salle de Bercy. Dès 11 heures mercredi, Timothé et Valentin ont vu le film au MK2 Bibliothèque dans le 13e arrondissement de Paris. A la sortie, ils décrivaient « une salle qui a vécu le film à fond ». Une atmosphère particulière pour une séance matinale qui s’expliquait évidemment par la présence majoritaire de fans de la saga dans les salles. Les deux étudiants en anglais, la vingtaine, sont d’ailleurs eux-mêmes de grands fans et sont loin d’avoir été déçus par le dernier opus réalisé par J. J . Abrams. « Il a su synthétiser l’esprit des deux trilogies : on retrouve l’humour des vieux épisodes et le côté sombre des films de la prélogie. » L’attente insoutenable avant la sortie du film, le marketing de Disney, avaient un temps inquiété les deux amis. Aujourd’hui, cette inquiétude avait disparu : « Ce film est magnifique, exceptionnel, on sent que l’objectif n’était pas uniquement de relancer le marketing autour de Star Wars mais aussi de remettre sur pieds la saga. » Malgré les mesures de sécurité mises en places, certains avaien tout de même pu rentrer avec leur sabre laser dans certaines salles. Mais il n’y avait pas que les fans de Star Wars à avoir mis leur réveil pour le film. Une cinquantaine d’élèves du lycée François Mansart à Saint-Maur-des-Fossés (Val-de-Marne) étaient venus jusque dans le 12e arrondissement de Paris, avec leurs professeurs de français et d’anglais, pour apprécier la séance en version originale. Anne, leur professeur de français, avait décidé de les y emmener dans le cadre d’un cycle sur les mythes. « Star Wars est un mythe, au même titre qu’Œdipe dans la mythologie grecque ». Les séances en version originale sous-titrée ont de toute façon connu plus de succès, ce mercredi matin, que celles en version française, pour lesquelles il restait encore de la place. Sur les réseaux sociaux, plusieurs spectateurs ont d’ailleurs fait part de leur étonnement de découvrir certaines salles quasiment vides. Dans l’après-midi, le calme semblait être un peu revenu dans l’UGC de Bercy. Pas de fan déguisé, pas de foule impatiente. Malgré tout, les séances en VO restaient complètes. Elles devaient l’être encore en soirée. Peu avant 16 heures, un homme, la trentaine, s’engouffrait dans la salle avant de souffler : « J’arrive pas à y croire. C’est pas encore réel tant que je vois le texte jaune sur l’ecran. » Romain Geoffroy « Star Wars 7 » : comment la saga a étendu son empire ************************************************************* Judy Garland, une vie de mélo DOCUMENTAIRE SUR ARTE À 22 H 40 Arte propose un documentaire grand oublic sur la vie de l’actrice et chanteuse au destin météorique. Si elle n’était parfaitement documentée, notamment par Gerald Clarke, le biographe de la chanteuse et actrice (Get Happy : The Life of Judy Garland, Random House, 2000), la vie de Judy Garland, née Frances Ethel Gumm le 10 juin 1922, paraîtrait inventée au profit d’un mélo larmoyant. La petite est une enfant de la balle : son père dirige une salle de cinéma, et sa mère la traîne voir des spectacles après l’école et l’oblige, ainsi que ses deux grandes sœurs, à se produire sur scène, sous le nom des « Gumm Sisters », dans l’un de ces « Sister Act » qui faisaient fureur. Judy est-elle fatiguée par le rythme imposé aux Gumm Sisters ? Sa mère lui donne quelques pilules remontantes ; Judy ne parvient pas à dormir ? Quelques somnifères feront l’affaire. C’est là que prendra ancrage la dépendance de Judy Garland aux drogues, puis à l’alcool, dont elle abusera toute sa vie ainsi qu’en témoigne, avec d’autres, dans le documentaire d’Annette Baumeister et Jobst Knigge, Stevie Phillips, assistante pendant quatre ans de Garland et qui a publié, en juin, Judy & Liza & Robert & Freddie & David & Sue & Me… : A Memoir (Saint Martin’s Press). Adulée en Angleterre Repérée par la Metro Goldwyn Mayer (MGM), Garland y entre sous contrat dès 1935 et incarne le rôle de Dorothy dans Le Magicien d’Oz (1939), de Victor Fleming, qui sera son plus grand succès international. Sa relation avec le studio sera toujours compliquée : elle ne correspond pas aux canons de beauté associés aux premiers rôles féminins (Louis B. Mayer, le cofondateur de la MGM, l’appelait, non sans cruauté, « ma petite bossue »), de sorte qu’elle joue surtout dans des films musicaux dans lesquels ses dons comiques font souvent merveille. Le studio continue de lui fournir des « remontants » et des « calmants » pour lui faire tenir le rythme effréné des tournages. Mais, au cours de sa carrière, l’absorption de plus en plus massive de ces adjuvants la fait arriver en retard ou s’absenter. On le tolère tant que Garland est une vedette ; mais, en 1950, alors que sa carrière décline, la MGM la laisse tomber. Judy Garland tournera encore quelques films, mais c’est surtout la chanteuse que le monde applaudit. Elle se produit en Angleterre notamment, où elle est adulée. Les Américains la reverront à la télévision, dans The Judy Garland Show (1963-1964), qu’elle accepte d’animer pour rembourser ses dettes. Mais, une fois l’émission annulée après une saison, Garland reprend ses tours de chant et s’installe à Londres, où elle épousera son cinquième mari et mourra le 22 juin 1969, à l’âge de 47 ans, des suites d’une ingestion – volontaire ou accidentelle – de barbituriques. Ce film n’apprend guère autre chose qu’on ne sache déjà sur le destin météorique de Judy Garland, sur ses dépressions, ses tentatives de suicide, ses relations malheureuses avec les hommes, souvent abusifs, parfois homosexuels, comme Vincente Minnelli, dont elle partage la vie de 1945 à 1951 pour s’en séparer après l’avoir trouvé au lit avec leur chauffeur… Le documentaire rappelle aussi que le père de Garland était homosexuel. On y découvre cependant son plus jeune enfant, Joseph (Joey) Luft, aujourd’hui âgé de 60 ans. Dans ses yeux et son sourire passe la mélancolie un peu hagarde de celui qui ne connut que les dernières années, pénibles et malheureuses, de sa mère, disparue alors qu’il était tout juste adolescent. Trop jeune pour mourir : Judy Garland, d’Annette Baumeister et Jobst Knigge (2015, All, 53 min). Samedi 19, à 22 h 40 sur Arte. « Star Wars 7 » : que la com’ soit avec toi Dans le monde merveilleux de Disney, les journalistes sont des « partenaires » qui accompagnent le « voyage » que représente la sortie d’un film, en l’occurrence le dernier opus de Star Wars. Un voyage qui a connu un arrêt à Londres, jeudi 17 décembre, où était organisée une rencontre des médias avec les acteurs et le réalisateur. Pour l’opération de promotion, un étage entier de l’hôtel Corinthia – décoré des nombreux produits dérivés de la série – avait été réservé pour permettre à la presse européenne d’interroger Harrison Ford, Carrie Fisher, Daisy Ridley, J. J. Abrams et les autres… Parler de « presse » est cependant un peu vite dit, étant donné le mélange des genres entre les fans et les journalistes. Pendant la conférence de presse limitée à une durée d’une demi-heure, avec neuf protagonistes derrière les micros – soit trois minutes par acteur en moyenne –, la première question est venue d’un membre d’un fan club français. Peu après, Dennis Weening, un présentateur de jeux télévisés aux Pays-Bas, bras tatoués et air ému, s’est levé : « Quand j’étais petit, je collectionnais les figurines de Star Wars. Aujourd’hui, mon fils fait la même chose. S’il vous plaît, est-ce que je peux vous demander de les signer ? » Et il a sorti d’un sac les personnages en plastique, soutirant des autographes aux acteurs, pendant que s’égrenaient les précieuses minutes consacrées aux questions. 4 minutes et 26 secondes avec J. J. Abrams L’espoir de se rattraper dans les interviews en tête à tête avec les stars était mince : le temps imparti pour chaque entretien était limité… à cinq minutes. Ou plus précisément, pour la rencontre du Monde avec le réalisateur J. J. Abrams, 4 minutes et 26 secondes. Une tentative d’ajouter une dernière question a été rejetée fermement : « Vous avez eu votre créneau ! » Sachez donc que l’objectif du réalisateur était de retrouver l’esprit des trois premiers films, sortis entre 1977 et 1983, que la pression qu’il a ressentie était énorme « mais jamais plus forte que l’opportunité » de faire ce nouvel épisode, et que celui-ci cherche à faire naître une nouvelle génération de fans, notamment en Asie… L’attribution des interviews fut également un exercice intéressant. Parmi la presse francophone, c’est un certain Wartek, blogueur vidéo basé à Genève, qui en a obtenu le plus – six. L’explication ? Outre qu’il compte 410 000 abonnés, ses vidéos sont diffusées sur YouTube via Maker Studios, une plateforme qui appartient… à Disney. Un lien commercial dont il n’est pas fait mention à l’écran. Discuter avec BB-8 Pour faire patienter les journalistes entre deux interviews express, Disney offre ce qu’il maîtrise le mieux : de l’entertainment. On peut ainsi s’amuser à « discuter » avec BB-8, un nouveau robot introduit dans Star Wars (« C’est le vrai, utilisé sur le tournage ») ou s’entraîner au sabre laser avec C. C. Smiff, celui qui a appris aux acteurs le maniement de l’arme. Tout est filmé, bien sûr, et les médias peuvent ainsi abreuver leurs rédactions de séquences vidéos, photos et selfies. Transformés en fans, les journalistes ne manqueront pas de poster sur les réseaux sociaux leur rencontre avec les êtres touchés par la Force. Eric Albert (Londres, correspondance) « Mustang », « Le Tout Nouveau Testament » et « Le Fils de Saul » présélectionnés pour les Oscars Les titres des neuf films retenus pour la « shortlist » de l’Oscar du film en langue étrangère ont été dévoilés, vendredi 18 décembre, à Los Angeles par l’Academy of Motion Picture Arts and Sciences. Pour la première fois depuis Intouchables, en 2011, le film présenté par la France figure sur cette liste. Il s’agit de Mustang, de Deniz Gamze Ergüven, tourné en Turquie et en turc.Une coproduction française est également en lice : Le Tout Nouveau Testament, de Jaco van Dormael (Belgique).Les autres films présélectionnés sont : L’Etreinte du serpent, de Ciro Guerra (Colombie) ; Le Fils de Saul, de Laszlo Nemes (Hongrie) ; A War, de Tobias Lindholm (Danemark) ; The Fencer, de Klaus Härö (Finlande) ; Viva, de Paddy Breathnach (Irlande) ; Theeb, de Naji Abu Nowar (Jordanie) et Le Labyrinthe du silence, de Guido Ricciarelli (Allemagne). « Mustang » représentera la France aux Oscars Cinq candidats choisis en janvier Les neufs longs-métrages de la « shortlist » seront visionnés par les membres de deux comités, à New York et à Los Angeles. Ces comités choisiront les cinq candidats à l’Oscar, et cette nomination, comme celles de toutes les catégories, sera annoncée le jeudi 14 janvier. Parmi les films de cette liste, Mustang et le candidat irlandais, Viva – tourné en castillan à Cuba –, ne sont pas interprétés dans la langue du pays qui les présente. Deux autres, Le Fils de Saul et Le Labyrinthe du silence, évoquent l’extermination des juifs d’Europe et ses séquelles. A War relate le sort d’un officier danois accusé de crime de guerre à son retour d’Afghanistan, Theeb revient sur le passé colonial de la péninsule arabique et The Fencer sur l’emprise soviétique sur les pays baltes. Sur ces neuf titres, trois – Mustang, Le Tout Nouveau Testament et L’Etreinte du serpent – ont été présentés en mai à la dernière Quinzaine des réalisateurs, à Cannes, un a concouru dans la sélection officielle, Le Fils de Saul. « Le nouvel univers étendu annule, ou plutôt met au congélateur des éléments, et fait disparaître notamment tout ce qui se passait juste après Le retour du Jedi », observe Thibaut Claudel, journaliste pour le site SyFantasy.fr. Ce grand nettoyage annule notamment les trilogies de l’écrivain Thimothy Zahn, dont une racontait comment Han et Leia devaient donner naissance à une nouvelle lignée de Skywalkers. « Cette trilogie, La croisade noire du Jedi fou, est pourtant considérée comme canonique par de nombreux fans », soupire M. Claudel. Les nouveaux romans et comics ne décrivent pas ce qui se passera dans Le réveil de la Force, mais plantent le décor de la nouvelle trilogie dont le premier épisode sort en salles ce mercredi. ************************************************************* « Star Wars », bien parti pour enchaîner les records au box-office nord-américain Avec 57 millions de dollars (52,5 millions d’euros) de recettes pour sa première soirée sur les écrans nord-américains, Star Wars, épisode VII : Le Réveil de la Force a battu un record jusqu’ici détenu par Harry Potter, selon des chiffres communiqués par Disney. En 2011, Harry Potter et les reliques de la mort – Partie 2 avait récolté 43,5 millions de dollars (40 millions d’euros). Disney a par ailleurs annoncé tabler sur 215 millions de dollars de recettes sur l’ensemble du week-end, ce qui serait supérieur au record établi au printemps par Jurassic World et ses 208,8 millions de dollars lors de son premier week-end de sortie (512 millions dans le monde). Plusieurs experts estiment même que le nouveau Star Wars est un sérieux prétendant au titre de film le plus lucratif de tous les temps. Il doit cependant pour cela dépasser Avatar et Titanic, les deux seuls films à avoir dépassé 2 milliards de dollars de recettes au box-office dans le monde, avec respectivement 2,8 et 2,2 milliards de dollars. En France, Le Réveil de la Force a réalisé le deuxième meilleur démarrage de l’année avec plus de 600 000 entrées, derrière Spectre, le dernier épisode de James Bond. Malgré les mesures de sécurité mises en places, certains avaient tout de même pu rentrer avec leur sabre laser dans certaines salles. Mais il n’y avait pas que les fans de Star Wars à avoir mis leur réveil pour le film. Une cinquantaine d’élèves du lycée François Mansart à Saint-Maur-des-Fossés (Val-de-Marne) étaient venus jusque dans le 12e arrondissement de Paris, avec leurs professeurs de français et d’anglais, pour apprécier la séance en version originale. Dans l’après-midi, le calme semblait être un peu revenu dans l’UGC de Bercy. Pas de fan déguisé, pas de foule impatiente. Malgré tout, les séances en VO restaient complètes. Elles devaient l’être encore en soirée. Peu avant 16 heures, un homme, la trentaine, s’engouffrait dans la salle avant de souffler : « J’arrive pas à y croire. C’est pas encore réel tant que je ne vois pas le texte jaune sur l’ecran. » ************************************************************* « Star Wars » bat son deuxième record au box-office nord-américain, mais reste derrière « Jurassic World » Le Réveil de la Force, septième épisode de la saga Star Wars, a comme prévu battu le record d’un week-end d’ouverture aux Etats-Unis et au Canada avec 238 millions de dollars (219 millions d’euros) au box-office, selon The Hollywood Reporter. Pour un premier week-end nord-américain, le film de J. J. Abrams bat ainsi Jurassic World (208,8 millions de dollars, soit 192 millions d’euros), sorti en juin 2015. En revanche, ce nouvel opus de la série de films créée par George Lucas a échoué à battre Jurassic World au niveau mondial (517 millions de dollars sur le premier week-end, contre 524,9 millions), notamment à cause de sa sortie différée au 9 janvier 2016 en Chine. En générant 57 millions de dollars (52,5 millions d’euros), Le Réveil de la Force avait déjà battu vendredi un premier record : celui des recettes engrangées pour une première soirée sur les écrans nord-américains, jusqu’ici détenu par Harry Potter (43,5 millions de dollars, soit 40 millions d’euros, selon des chiffres communiqués par Disney). ************************************************************* ************************************************************* Bénéfices record dans le monde pour « Star Wars », qui dépasse « Jurassic World » Le septième épisode de « Star Wars », Le Réveil de la Force, a récolté 529 millions de dollars (484 millions d’euros) dans le monde depuis sa sortie, la semaine dernière, ont annoncé lundi 21 décembre les studios Disney. « “Le Réveil de la Force” a remporté plus que ce qui était anticipé, pour établir un record de 248 millions de dollars de recettes aux Etats-Unis, et 281 millions à l’international. » Avec ces chiffres, Disney bat le record du meilleur lancement d’un film, jusque-là détenu par Jurassic World, qui avait rapporté sur la même période près de 525 millions de dollars pour sa sortie. « Avatar » et « Titanic » encore au sommet Le Réveil de la Force avait déjà battu le record de recettes aux Etats-Unis pour une première soirée, avec 57 millions de dollars, et le record de recettes à l’issue de la première journée d’exploitation, avec 120,5 millions de dollars amassés pour la seule journée de vendredi. Il faut préciser que le film ne sort que cette semaine en Grèce et en Inde, et le 9 janvier en Chine. Au niveau des recettes totales au box-office mondial, deux films de James Cameron détiennent toujours les premières places : Avatar (2009) a rapporté 2,78 milliards de dollars, et Titanic (1997) 2,18 milliards. ************************************************************* Sumner Redstone, le « fantôme vivant » de Beverly Hills La vieillesse est un naufrage, même au sommet de la réussite. L’exceptionnel destin de Sumner Redstone, 92 ans et toujours patron de Viacom, est en train de s’achever dans le déballage le plus sordide et fait désormais les délices du tout Hollywood. Avec tous les ingrédients d’une bonne série télé : l’argent, le sexe et le pouvoir. Le 25 novembre, Manuela Herzer, l’ex-petite amie du plus célèbre magnat américain des médias, a déposé plainte devant la Cour de justice de l’Etat de Californie pour demander le droit de s’occuper de la santé déclinante de Sumner. Le 21 décembre, le juge a décidé de repousser à janvier l’audition des médecins du nonagénaire Après avoir hérité en 1967 de la petite chaîne de salles de cinéma fondée par son père, Sumner Redstone l’a progressivement transformée en géant des médias grâce à l’acquisition successive du producteur de chaînes de télévision Viacom (MTV, Nickelodeon…), du studio de cinéma Paramount, puis du réseau national CBS. Un empire valorisé aujourd’hui plus de 40 milliards de dollars (36 milliards d’euros) et dont il possède 80 % des droits de vote. Sa fortune personnelle est évaluée à plus de 7 milliards de dollars. Voilà pour l’argent. Une vocation d’homme à femmes Le sexe a accompagné la gloire. Avec son éternelle mèche teinte en blond et sa démarche hésitante, le milliardaire, grièvement blessé lors d’un incendie, s’est découvert sur le tard une vocation d’homme à femmes. A 76 ans, il a divorcé de sa première épouse, s’est remarié trois ans plus tard avec une jeunesse de 39 ans sa cadette, avant de divorcer à nouveau alors qu’il avait 85 ans. Il se met alors en couple avec Manuela Herzer, 50 ans, avant de lui préférer Sydney Holland, 40 ans. The Hollywood Reporter, la bible du quartier le plus célèbre de Los Angeles, a fait ses gorges chaudes de ses aventures avec une jeune chanteuse dont il a imposé l’éphémère groupe de rock féminin, The Electric Barbarellas, sur sa chaîne musicale MTV. En mai, pour ses 92 ans, le vieil homme était apparu pour la dernière fois fermement soutenu par Manuela et Sydney. Mais en octobre, la première fut exclue à la fois du château du testament qui faisait d’elle et de Sydney les curateurs de Sumner, responsables de sa santé. A leur place, c’est Philippe Dauman – directeur général de Viacom et homme de confiance du magnat – qui fut désigné. Depuis, verrouillage complet. Officiellement M. Redstone garde bon pied bon œil, même s’il ne s’exprime plus de manière intelligible. Ce n’est pas l’avis de Manuela, qui le qualifie avec moult détails de « fantôme vivant », incapable de bouger et demandant des soins constants. Les investisseurs s’inquiètent et demandent une contre-expertise. Quelle qu’en soit l’issue, la fin du mélodrame est proche et il y a peu de chances qu’il se termine bien pour l’intrépide Sumner qui avait proclamé un jour qu’il ne mourrait jamais. Les grands médias audiovisuels américains contraints de changer de stratégie Philippe Escande Même si vous n’avez toujours pas vu Le Réveil de la Force, il y a d’autres raisons, au moins aussi bonnes, sans doute meilleures, d’aller au cinéma en cette semaine de Noël. Qu’il s’agisse de jeûner ou de digérer, on pourra pousser la porte d’un multiplexe, d’une salle de quartier ou d’un cinéma d’art et essai pour voir, au choix : une comédie pédagogique américaine d’Adam McKay sur la crise des subprimes, un impressionnant film colombien de Ciro Guerra sur la colonisation de l’Amazonie ou le premier long-métrage très réussi d’une jeune réalisatrice tunisienne, Leyla Bouzid. Et si l’on a encore un peu de place pour un autre film, on voyagera dans le temps de la Chine revisitée avec Jia Zhang-ke aux commandes, ou l’on fendra les airs sur le Sopwith Camel de Snoopy à moins que l’on se laisse bercer par les cadences marseillaises de Marcel Pagnol. LA CRISE DES SUBPRIMES ILLUSTRÉE : « The Big Short, le Casse du siècle », d’Adam McKay Plutôt connu jusqu’à présent pour ses collaborations potaches avec son complice de toujours, Will Ferrell, comme Présentateur vedette : La Légende de Ron Burgundy (2004), Very Bad Cops (2010) ou Légendes vivantes (2013), le réalisateur américain s’est transformé en critique avisé du système financier. Adaptant à l’écran l’ouvrage-enquête du journaliste Michael Lewis, il met en scène une belle brochette d’acteurs dans le rôle de financiers qui ont vu venir la crise des subprimes bien avant les autres, tout en en profitant : Christian Bale, Steve Carell, Ryan Gosling, Finn Wittrock, John Magaro et Brad Pitt. Jacques Mandelbaum L’AMAZONIE COLONISÉE : « L’Etreinte du serpent », de Ciro Guerra Représentant de la nouvelle génération de cinéastes colombiens avec César Acevedo, 31 ans (La Terre et l’Ombre), ce jeune réalisateur, 34 ans, signe son troisième long-métrage, présenté à Cannes en mai 2015. Inspiré des carnets de voyage, dans l’Amazonie colombienne des scientifiques Theodor Koch-Grünberg et Richard Evans, ce film est avant tout une enivrante dérive sur le fleuve Amazone. Il aurait pu n’être qu’un film d’exploration de plus s’il n’était sous-tendu par une idée particulièrement forte de la rencontre, se déployant dans les temporalités de l’histoire, de la conscience individuelle et de la mémoire collective. Cette rencontre, c’est évidemment celle, éternellement rejouée, du Vieux et du Nouveau Monde, de l’Europe et de l’Amérique, des Blancs et des autochtones rebaptisés du nom d’« Indiens ». Mathieu Macheret LA SOCIÉTÉ TUNISIENNE RÉVÉLÉE : « A peine j’ouvre les yeux », de Leyla Bouzid Fille du cinéaste tunisien Nouri Bouzid, diplômée de la Femis, la réalisatrice, née en 1984, a choisi pour son premier long-métrage un sujet délicat : éprouver la liberté et aussi bien l’aliénation d’une société à l’aune du statut réel accordé à la femme. L’occasion de découvrir une épatante actrice, Baya Medhaffar, qui interprète le rôle principal de Farah, une jeune fille de son temps, qui rêve d’amour, de musique, de liberté et se trouve confrontée au poids de la société patriarcale dans la Tunisie de Ben Ali juste avant le début du « printemps arabe ». J. M. L’HISTOIRE CHINOISE REVISITÉE : « Au-delà des montagnes », de Jia Zhang-ke Egalement présenté cette année au Festival de Cannes, le nouveau long-métrage du cinéaste chinois est une grande fresque romanesque qui balaie plusieurs décennies de l’histoire de son pays, passée et à venir. Dans un mélange impur d’expérimentation formelle et de mélodrame, ponctué de dialogues en champ-contrechamp qui tranchent avec les amples plans-séquences qui avaient fini par devenir la signature de l’auteur, le film se déploie autour de l’actrice principale, Zhao Tao, changeant de format à mesure que les années la marquent de leur empreinte – 4/3 pour 1999, 16/9 pour 2014 et Scope pour 2025. Isabelle Regnier CHARLES M. SCHULZ REVIT EN NUMÉRIQUE : « Snoopy et les Peanuts, le film », de Steve Martino En ce mois de décembre 2015, vous êtes à la recherche d’un grand film familial, s’appuyant sur une mythologie américaine du XXe siècle diffusée sur tous les continents, porté par des personnages qui ont acquis, au fil des décennies, un statut légendaire, dont le récit est rythmé par de spectaculaires combats dans le ciel : vous avez de la chance, voici Snoopy et les Peanuts. Les images numériques retrouvent quelque chose de la désinvolture précise de Charles Monroe Schulz, le récit passe sans efforts des tribulations de Charlie Brown aux exploits aériens de Snoopy qui se rêve en as de la première guerre mondiale. Thomas Sotinel PAGNOL EN VERSION RESTAURÉE : « Fanny », de Marc Allégret (1932) Le deuxième volet de la trilogie marseillaise de Marcel Pagnol, Fanny, commence au moment précis où se termine le premier opus, Marius (1931), réalisé par Alexander Korda. Marius vient de quitter Marseille sur La Malaisie, abandonnant Fanny, sans savoir qu’elle porte son enfant, et son père César, à qui il a caché son départ. Tout ce qui a été cassé dans Marius y est brisé en morceaux plus petits encore. A la violence des passions succède celle des contraintes qui emprisonnent les vies et forcent au mensonge. Marcel Pagnol sait enrober cette noirceur de l’humaine comédie du Vieux-Port, jouant – peut-être encore plus que dans Marius – de la caricature marseillaise, et l’amertume passe toute seule. T. S. ************************************************************* « Eden », une jeunesse électrocutée Film à 20 h 50 sur Canal+ Cinéma L’histoire d’Eden, qui ne la connaît ? Il suffit de lire la Bible. Un couple innocent et immortel au Jardin des délices, l’attrait du fruit défendu, la chute, l’expulsion, l’immersion dans le début de l’histoire humaine et la finitude du monde, au prix de la sueur et de la violence, du désir et de l’espérance. Cette histoire, Mia Hansen-Love l’a déjà tricotée durant quatre films avant celui-ci, Eden  : l’histoire de Paul, jeune musicien qui va vivre dans le Paris des années 1990 la frénétique ascension de la French touch, ce filon créatif de la scène électro mondiale, avant de brutalement décélérer la décennie suivante, la gloire et l’amour en fuite, mais avec en puissance le désir de s’accomplir enfin. Cinéaste d’une conséquente modernité, Mia Hansen-Love, qui a signé son premier long-métrage à 26 ans, continue de filmer ce qu’elle connaît le mieux  : la jeunesse. La jeunesse comme moment de grâce, aspiration folle à la pureté des idéaux, à l’entièreté des sentiments, à la dépense de l’être, mais aussi bien la jeunesse comme « il faut bien qu’elle se passe », et le plus vite sera le mieux, histoire de sortir de soi-même et de commencer sa vie avec autrui et dans le monde. Etrange maturité On voit par là que Mia Hansen-Love, jeune cinéaste en cela très singulière à une époque où l’idolâtrie de l’éternelle jouvence atteint son apogée, est plus poétique que consumériste, plus humaniste qu’insurrectionnelle. Il est d’ailleurs probable que les mêmes forces qui ont infléchi sa propre jeunesse vers cette étrange maturité la conduisent à la remettre en scène dans chacun de ses films pour mieux en sortir. Jeunesse brûlée d’un aspirant écrivain quittant le foyer conjugal puis retrouvant sa fille, des années plus tard (Tout est pardonné, 2007). Jeunesse prolongée d’un père de famille producteur de cinéma, conduit au suicide par un rétrécissement du réel (Le Père de mes enfants, 2009). Jeunesse hantée d’une adolescente poursuivie par le fantôme d’un premier amour (Un amour de jeunesse, 2011). Tout ce qui fait la beauté et la contemporanéité de ces œuvres – le jeu elliptique et diffracté sur le temps et la narration, la mélancolie cruelle du roman de formation, l’incessante mise à l’épreuve de l’idéalisme face au réel, l’affirmation d’une possibilité de réparation des échecs et des désastres existentiels – se retrouve dans Eden. Humour discret On a ainsi défini ce que ce film ne veut surtout pas être : un biopic officiel de la French touch. Ressortissant lui-même d’une incontestable French touch cinématographique, c’est néanmoins avec le lumineux Inside Llewyn Davis (2013) des frères Coen qu’il cousine. Même façon de décrire une histoire de légende musicale par le biais d’un personnage qui reste à quai, même attention méticuleuse à la vérité documentaire de l’histoire, même succession de moments faibles et de morceaux mythiques : Eden est à l’électro française ce qu’Inside Llewyn Davis est au folk américain. Il n’est pas jusqu’à l’humour discret qui ne semble courir d’un film à l’autre, ici avec le gag récurrent des Daft Punk, deux jeunots gauches soulagés de leur casque et régulièrement rejetés par les videurs qui ne les reconnaissent pas. On appréciera, sous la plaisanterie, l’abîme philosophique du film : n’est dans la place que celui qui n’y entre pas. Eden, de Mia Hansen-Love. Avec Félix de Givry, Pauline Etienne, Hugo Conzelmann (Fr., 2014, 131 min). ************************************************************* L’acteur Robert Downey Jr gracié pour une affaire de drogue vieille de 19 ans L’acteur américain Robert Downey Jr a été gracié jeudi 24 décembre par le gouverneur de Californie pour des faits de possession de drogue remontant à 1996. Il a « payé sa dette envers la société et mérite une réhabilitation complète et sans conditions », a déclaré le gouverneur, Jerry Brown, à la veille de Noël, où les grâces sont traditionnellement accordées en Californie. Outre l’interprète du super-héros Iron Man, 91 personnes ont été graciées pour diverses condamnations. « Une existence honnête et droite » Il avait été condamné après que la police eut trouvé dans sa voiture de l’héroïne, de la cocaïne et une arme à feu lors d’une arrestation à Los Angeles en 1996. Robert Downey Jr avait passé plusieurs mois en prison en 1999 avant d’être placé en liberté surveillée jusqu’au 17 décembre 2002. Depuis sa libération, l’acteur. a « mené une existence honnête et droite, fait preuve de bonnes mœurs et s’est conduit en citoyen respectant la loi », selon la grâce qui lui a été accordée. La grâce n’efface pas la condamnation sur son casier judiciaire mais lui rend ses droits de citoyen, notamment celui de voter. « Avengers, l’ère d’Ultron » : une somme assommante de super-héros ************************************************************* ************************************************************* « Star Wars » franchit la barre du milliard de dollars de recettes Le nouveau « Star Wars » a passé dimanche la barre du milliard de dollars de recettes mondiales douze jours après sa sortie, a indiqué Disney, en enregistrant une recette de 286,8 millions de dollars dans le monde pour son second week-end. Les recettes du septième épisode de la saga intersidérale se partagent équitablement entre l’Amérique du nord (545 millions de dollars) et le reste du monde (546 millions de dollars). Le film est sorti ce week-end en Grèce et en Inde. Il est désormais visible à travers le monde entier à l’exception de la Chine, où sa sortie est attendue le 9 janvier, selon Disney. Il a aussi contribué à un record de recettes des salles nord-américaines, tous films confondus, pour un week-end de Noël, avec des rentrées de 300 millions de dollars, a souligné l’analyste de la société Rentrak Paul Dergarabedian. Le film a également battu le record de recettes en Amérique du nord pour un week-end, avec une recette de 313 millions de dollars. Au niveau mondial en revanche, le film de J. J. Abrams a échoué à battre le record pour un premier week-end, toujours détenu par Jurassic World. Le Réveil de la Force est en lice pour devenir le film le plus rentable de l’histoire et donc détrôner les deux longs-métrages du réalisateur James Cameron, Avatar (2,79 milliards de dollars de recettes) et Titanic (2,19 milliards). Disney, qui a racheté Lucasfilm, la société de George Lucas, pour quatre milliards de dollars en 2012, récolte les fruits de son investissement. Il a en projet trois autres films sur l’odyssée des Jedi et des forces maléfiques du Premier Ordre, sans compter les milliards attendus des ventes de produits dérivés. ************************************************************* ************************************************************* Cinéma : ce qu’il faut aller voir cette semaine Du cinéma pour les fêtes, et pour toutes les sensibilités : un classique de la comédie musicale hollywoodienne signé Stanley Donen, une tragédie philippine de neuf heures, une fable au cœur de la guerre civile népalaise, un conte de Noël transgenre survolté dans les faubourgs de Los Angeles, et un autre encore − beaucoup plus grave, plus sobre, plus britannique − aux côtés des sans-abri, avec l’insubmersible Peter Mullan. STANLEY DONEN, GENE KELLY ET FRANK SINATRA ENCHANTENT NEW YORK DANS UN « MUSICAL » EUPHORIQUE : « Un jour à New York », de Stanley Donen Un jour à New York est le premier film réalisé par Stanley Donen (qui le cosigne avec le danseur vedette Gene Kelly). L’autre vedette du film est Frank Sinatra, qui ajoutant depuis quelques années à son statut de sex-symbol chantant celui de comédien-vocaliste-danseur pour comédies musicales, selon une logique qui veut qu’Hollywood soit une machine vouée à exploiter et recycler les talents les plus populaires. Réalisé en 1949, pour la MGM (Metro-Goldwyn-Mayer Inc.), bien sûr, studio qui produisit la crème des comédies musicales hollywoodiennes, Un jour à New York est l’adaptation d’un spectacle écrit par Betty Comden et Adolph Green sur une musique de Leonard Bernstein et Roger Edens pour les théâtres de Broadway. Il raconte les vingt-quatre heures de permission de trois marins (Gene Kelly, Frank Sinatra, Jules Munshin), découvrant New York en une journée, rencontrant trois filles (Ann Miller, Vera-Ellen, Betty Garrett) qu’ils emmènent avec eux (à moins que ce ne soit le contraire) dans leurs pérégrinations. Alternant numéros de groupe et apartés à un ou deux, le film peut sans doute être considéré comme représentatif d’une euphorie à laquelle l’Amérique veut bien s’abandonner dans l’immédiat après-guerre. Jean-François Rauger Film américain de Stanley Donen. Avec Gene Kelly, Frank Sinatra, Ann Miller (1 h 34). TRAGÉDIE PHILIPPINE DANS LES CENDRES DU TYPHON DURIAN : « Death in the Land of Encantos », de Lav Diaz La saison Lav Diaz continue. L’œuvre de ce cinéaste philippin s’obstinant farouchement à faire des films dont la durée explose les standards de l’exploitation commerciale était peu connue en France jusqu’à cet automne, quand la sortie du film Norte, début novembre, et la rétrospective que lui a consacrée, dans la foulée, le Jeu de paume, ont changé la donne. Aujourd’hui, c’est au tour de Death in the Land of Encantos, long-métrage de neuf heures distingué à la Mostra de Venise en 2007 par la mention spéciale de la section Orizzonti, d’être enfin présenté au public français. Death in the Land of Encantos a été tourné dans l’urgence, sur les terres désolées du sud de l’île de Luçon, lorsque le typhon Durian, en réveillant le grand volcan Mayon, est venu rayer de la carte les villages alentour et causer la mort d’une grande partie de la population. Le cinéaste s’est rendu sur place pour témoigner de ce désastre, qui s’est déroulé dans l’indifférence générale, pour aller à la rencontre des survivants abandonnés du monde et inscrire dans le même mouvement une fiction dans ce décor de plaines postapocalyptiques, entre les ruines des maisons, les rochers dénudés et les arbres morts. Isabelle Regnier Film philippin de Lav Diaz, avec Roeder Camanag, Angeli Bayani, Perry Dizon (9 h 03). CONTE DE NOËL TRANSGENRE : « Tangerine », de Sean Baker C’est la veille de Noël. Dans un café à donuts tout près d’Hollywood, Sin-Dee Rella et Alexandra ont investi toutes leurs économies dans un unique beignet, pour célébrer la sortie de prison de la première. A travers la vitre de Donut Time, la ville brille d’une lumière orange, les deux femmes sont un instant enveloppées dans la béatitude des retrouvailles et de la sucrerie. Ce paradis instantané s’écroule au moment où Alex révèle à Sin-Dee que, pendant son séjour en prison, son jules l’a trompée avec une autre, « avec un vagin et tout ». Les amies ont pour lot commun d’être afro-américaines et transgenres, et de gagner leur vie sur les trottoirs de West Hollywood. Saisie d’une légitime fureur, Sin-Dee décide de se faire justice, entraînant à sa suite Alex, qui espère modérer le courroux de son amie. Tangerine relève de l’un des genres les plus anciens du cinéma, inventé justement dans les rues où divaguent Sin-Dee et Alex : la course-poursuite burlesque. La dynamique entre ces deux personnages perpétuellement au bord de la crise de nerfs fournit au film une énergie formidable, qui se teinte parfois de mélancolie, parfois d’humour absurde. Thomas Sotinel Film américain de Sean Baker, avec Mya Taylor, Kitana Kiki Rodriguez, Karren Karagulian (1 h 28). JOLIE FABLE AU CŒUR DE LA GUERRE CIVILE NÉPALAISE : « Kalo Pothi » de Min Bahadur Bham Avant même d’être une fable, un film pour enfants ou l’évocation d’un épisode historique méconnu, Kalo Pothi (« la poule noire »), premier long-métrage du jeune producteur et professeur de cinéma Min Bahadur Bham, est un film népalais. La chose, assez rare pour être signalée, occasionne l’un des plaisirs les plus simples et essentiels du cinéma : l’approche d’une population et d’un mode de vie éloignés, la découverte d’une terre, d’un relief, d’un habitat, de vêtements, de voix, des gestes, de visages, comme autant de formes nouvelles. Dans un village montagneux, au nord du Népal, deux enfants s’occupent en secret d’une poule, pour tirer quelques roupies de ses œufs. Un jour, le père du premier, un « intouchable », vend la cocotte à un colporteur. Les enfants partent à sa recherche, mais leur amitié est rudement éprouvée par la guerre civile qui oppose la monarchie à l’insurrection communiste (1996-2006). La fable aurait très bien pu servir de prétexte à la radiographie d’un symptôme social (le système des castes), mais Min Bahadur Bham n’en reste pas là. Il prend soin de disposer sa poule, et les circulations qu’elle génère, dans un réseau d’enjeux et de significations beaucoup plus vaste : héritage filial, serment fraternel, comédie sociale, valeur d’échange, adjuvant onirique, l’animal « fictionne » sur tous les tableaux. Mathieu Macheret Film népalais, suisse, allemand et français de Min Bahadur Bham, avec Khadka Raj Nepali, Sukra Raj Rokaya, Jit Bahadur Malla, Hansha Khadka, Benisha Hamal (1 h 30). NOËL AVEC LES SANS-ABRI, ET PETER MULLAN : « Hector » de Jake Gavin Hector est la dernière variation en date sur le thème cher à l’acteur britannique Peter Mullan de l’homme brisé, mais toujours debout. La blessure n’est pas neuve, on n’en dira pas plus. Le symptôme est plus original : Hector blessé est devenu et resté sans-abri par choix, si tant est qu’on choisisse jamais ce destin. Toujours est-il qu’il refuse les béquilles et belles causes qui portaient d’autres Peter Mullan dans d’autres films : les amis de longue date, la famille. Trop de sollicitude l’embarrasse, trop d’amabilité le fait fuir. Le seul point d’ancrage dans son errance est un rendez-vous annuel. Il fête Noël à Londres, dans un refuge pour sans-abri, auprès de camarades d’errance et de quelques bénévoles : la seule famille qu’il accepte encore, puisqu’elle n’essayera pas de le retenir. Il y a plus à trouver dans Hector, première réalisation du directeur de la photographie et acteur Jake Gavin, que le joli conte de Noël qu’il offre au premier abord. Loin de s’enferrer dans les exercices de style emblématiques de bien des premiers films, Jake Gavin a l’intelligence de se laisser porter par la performance de Mullan. Sa mise en scène est sobre, son scénario étonnamment économe en détails scabreux, sans qu’il faille y voir plus qu’une pudeur calquée sur celle du personnage. Noémie Luciani Film britannique de Jake Gavin, avec Peter Mullan, Keith Allen, Natalie Gavin, Sarah Solemani (1 h 27). Gérard Depardieu jouera Staline au cinéma L’acteur Gérard Depardieu va prochainement incarner au cinéma l’un des personnages les plus emblématiques de l’histoire de sa patrie d’adoption. Son agent a rapporté, mardi 29 décembre, que le comédien allait jouer le rôle du dictateur soviétique Joseph Staline dans un film de Fanny Ardant, confirmant ainsi une information du magazine spécialisé The Hollywood Reporter (THR). Aucune précision n’a été donnée quant au scénario, mais la revue américaine précise qu’il s’agit d’une adaptation du roman de Jean-Daniel Baltassat paru en 2013, Le Divan de Staline. L’intrigue devrait se dérouler dans l’URSS des années 1950, quelques mois avant la mort du Petit Père des peuples. Elle sera centrée autour d’un jeune artiste chargé de créer un monument en l’honneur du dirigeant et qui doit faire face à la suspicion du KGB (les services secrets soviétiques). Selon THR, cette fresque historique sera produite par la société franco-portugaise Leopardo Filmes, tandis que le studio moscovite Mosfilm fournira costumes et accessoires d’époque. Déclarations provocatrices et prises de position prorusses Devenu citoyen russe il y a plus de deux ans sur intervention du président Vladimir Poutine, Gérard Depardieu, 67 ans, avait défrayé la chronique en 2012 en annonçant qu’il rendait son passeport français pour protester contre la hausse de l’imposition des plus riches en France, souhaitée par le gouvernement socialiste. Celui qui fait régulièrement sensation dans les médias tricolores avec des déclarations provocatrices et des prises de position prorusses a eu une riche année cinématographique en 2015, mais il n’avait jusqu’alors pas de film annoncé pour les années à venir. Il est au générique de la série « Marseille », diffusée et produite par Netflix. Gérard Depardieu interdit d’écran en Ukraine Quant à la comédienne française, Fanny Ardant, elle a déjà réalisé deux longs-métrages : Cadences obstinées (2013) et Cendres et Sang (2009). ************************************************************* « Star Wars » en tête du box-office en France Star Wars, Le Réveil de la Force a pris la tête du box-office en France en 2015, rassemblant 6,8 millions de spectateurs deux semaines seulement après sa sortie, selon les chiffres publiés mercredi 30 décembre par CBO box-office. Le septième opus de la saga galactique créée par George Lucas, sorti en salles le 16 décembre, a réalisé 6 803 351 entrées, soit légèrement plus que le précédent record cette année, détenu par le film d’animation Les Minions (6 401 791 entrées). La troisième place du podium en 2015 est occupée par le blockbuster américain Jurassic World, avec 5 123 699 entrées. Sur la seule semaine écoulée, du 23 au 29 décembre, Star Wars, Le Réveil de la Force a réuni 3 002 116 spectateurs. En France, pour sa première semaine d’exploitation, le film s’était emparé de la première place du box-office français sans surprise, avec 3 801 235 spectateurs rassemblés dans 1 093 salles. Le film de J.J. Abrams avait raflé au passage plusieurs records, dont celui de la meilleure première semaine en 2015 devant le dernier James Bond 007 Spectre (2 203 549 entrées sur 902 écrans). Le Réveil de la Force avait aussi réalisé le troisième meilleur score pour une première semaine d’exploitation dans l’Hexagone derrière l’indétrônable Bienvenue chez les Ch’tis (4 458 837 pour 793 salles) et Les Bronzés 3, Amis pour la vie (3 906 694 dans 950 salles). Plus de 1 milliard de dollars de recettes mondiales Dimanche, le nouveau Star Wars a passé le milliard de dollars de recettes mondiales, douze jours après sa sortie, selon Disney. Ses recettes se partagent équitablement entre l’Amérique du Nord (545 millions de dollars) et le reste du monde (546 millions de dollars). Disney, qui a racheté Lucasfilm, la société de George Lucas, pour 4 milliards de dollars en 2012, récolte les fruits de son investissement. Il a en projet trois autres films sur l’odyssée des Jedi et des forces maléfiques du Premier Ordre, sans compter les milliards attendus des ventes de produits dérivés. ************************************************************* Allociné ou Télérama vous diront où voir un film en ligne légalement Quand un ministère fait le vœu de promouvoir l’offre légale de films, de séries ou de musique, l’internaute ou le journaliste peuvent être un peu sceptiques. Leur reste en mémoire le souvenir d’initiatives passées – des portails ou des labels – dont le succès d’audience ne fut pas à la hauteur de l’ambition affichée : faire reculer le « piratage ».Bien conscients de ce travers, le ministère de la culture de Fleur Pellerin et le Centre national du cinéma (CNC) ont à leur tour dévoilé, mercredi 28 janvier, un dispositif qui se veut bien plus « pragmatique », puisqu’il se fonde sur les usages des internautes.Des sites partenaires plutôt qu’un « portail »Quand un internaute cherche à regarder un film en ligne, il est peu probable qu’il aille sur des sites comme http://www.offre-légale.fr, la base de données montée par la Hadopi, a estimé Julien Neutres, du CNC, chargé de ce projet. L’utilisateur va plutôt taper La Reine des neiges ou Gone Girl dans un moteur de recherche… le plus souvent Google. Et trouver en résultats l’annuaire Allociné (en première position quasiment tout le temps, selon la Culture), l’encyclopédie Wikipedia, des sites d’information comme Télérama.fr ou Première.fr et aussi… des sites de téléchargement illégal.L’idée du CNC et du ministère est de prendre acte de cette réalité du référencement et de nouer des partenariats avec des sites puissants pour y placer la liste des plateformes qui proposent le film en vidéo à la demande (à l’achat en téléchargement ou en location ou encore par abonnement). Allociné (9 millions de visiteurs uniques par mois selon Nielsen/Net Ratings), Premiere (3 millions), Télérama (2 millions) et Sens critique (2 millions) sont les quatre premiers partenaires. D’autres sont souhaités. 12 services référencés… Concrètement, sur la fiche d’un film, ces sites ont intégré un bouton « Voir ce film en ligne » et un espace sous la fiche. Si l’on clique dessus, on obtient la liste des éditeurs qui proposent l’œuvre. Et son prix, pour 10 des 12 éditeurs qui participent à l’initiative, soit la plupart des grandes plateformes légales de France : Canalplay, France Télévisions Pluzz VàD, MyTF1VOD, Orange Vidéo à la demande et Orange cinéma séries, Arte, Vidéofutur, Filmotv, Montparnasse VOD, Wuaki.tv et Imineo. Ils sont présentés « dans un ordre aléatoire », précise-t-on.… mais pas Netflix ou iTunesPrécision importante : Netflix, le fameux service américain de vidéo à la demande par abonnement, et iTunes, la plateforme de vidéo à l’achat d’Apple, ne sont pas référencés.Car Fleur Pellerin et le CNC ont fait le choix politique de ne promouvoir que les services qui respectent le système français de soutien à la création, en se soumettant au décret Smad : celui-ci les oblige notamment à promouvoir dans leur catalogue 60 % d’œuvres européennes et 40 % d’œuvres françaises, et surtout à consacrer 15 % de leur chiffre d’affaires à des œuvres fabriquées par des producteurs européens. Question « d’exemplarité », pour la ministre : « cliquer, c’est aider à créer », a-t-elle lancé mercredi.Outre le déploiement sur des sites partenaires, le dispositif est disponible sous la forme d’un « widget », une petite application qui permet à tout éditeur ou blogueur d’insérer sur son site les informations pour son site, comme il « embedderait » une vidéo de Youtube ou Dailymotion. Enfin, la base de données est disponible sous une forme plus classique à l’adresse vod.cnc.fr. Les séries télé intégrées « dans quelques semaines »Aujourd’hui, 10 000 films sont disponibles en vidéo à la demande, sur les 25 000 recensés dans la base créée par le CNC. Ce recensement se veut exhaustif et sera complété au fur et à mesure.Surtout, le dispositif devrait intégrer les séries télé « dans les prochaines semaines », puis les documentaires voire les courts-métrages, selon le ministère.Le budget de développement est de « quelques dizaines de milliers d’euros », selon la Rue de Valois. De plus, les sites partenaires ont reçu une « compensation » financière correspondant aux frais de développement technique et à une forme d’achat d’espace non publicitaire sur leur plateforme, à fort trafic. Son montant est bien inférieur au prix du marché, précise-t-on, sans toutefois donner de chiffres. Les adolescents qui ont grandi avec Totoro, Pompoko, Kiki, Chihiro ou Ponyo pour compagnons de rêveries, et les adultes qui ont conservé une part d’enfance, pousseront avec émerveillement les portes du Musée Art Ludique à Paris. Jusqu’au 1er mars, le lieu, situé en bord de Seine, présente, sur 1 200 mètres carrés, 1 300 dessins originaux issus du studio japonais Ghibli, d’où sont sorties ces merveilles de l’animation que sont Le Voyage de Chihiro, Princesse Mononoké, Le Tombeau des Lucioles ou Mon Voisin Totoro, pour ne citer que les plus connus des films de Hayao Miyazaki ou de son partenaire Isao Takahata.C’est la première fois que ces documents originaux, pour la plupart dessinés de la main même des deux fondateurs du studio tokyoïte, sont exposés en Europe. L’occasion pour les fans de ces deux maîtres de l’animation, et pour tous les passionnés d’un genre cinématographique trop souvent cantonné au public enfantin, de s’immerger dans leur univers et d’en découvrir les coulisses. Mais aussi de mesurer, en s’approchant au plus près du processus créatif, la virtuosité des deux artistes, dont chaque dessin, conjuguant encre, mine, crayon, gouache et aquarelle, constitue une œuvre en soi. Des indications manuscritesLe concepteur de l’exposition, Kazuyoshi Tanaka, a imaginé un parcours promenant le visiteur de film en film, chaque salle rassemblant, autour de l’un des longs-métrages produits par la maison Ghibli depuis sa fondation, en 1985, une sélection de dessins. Plus précisément des « layouts », feuilles de papier format 17,2 × 32 cm, à la bordure perforée et réunissant, pour chaque plan du film, les indications nécessaires à la mise en scène : dessins du décor, des personnages, des accessoires, et indications manuscrites du réalisateur à destination de ses collaborateurs (traduites en français et en anglais pour l’exposition).Quels types de mouvement les personnages devront-ils accomplir ? Comment évoluent leurs expressions ? Comment la caméra doit-elle se déplacer ? Le souci du détail et le perfectionnisme de Miyazaki se devinent à travers les remarques qu’il appose sur les dessins : « Pigeon grillé, avec de nombreuses épices, doré au four, brillant d’huile, a l’air délicieux », indique ainsi Miyazaki dans le coin d’un layout représentant une scène de repas du Voyage de Chihiro. Parfois, le commentaire frise le reproche : « Le trait n’est pas assez précis, le visage du personnage est trop grand, merci de l’ajuster », écrit-il sur un autre carton. Ou encore : « On dirait un dessin abstrait ! »Lire aussi : La dernière prophétie de Miazaki Amoureux de la natureDans chaque salle, un écran diffuse en boucle, sur fond musical, un extrait du film auquel se rapportent les layouts qui couvrent les murs parfois jusqu’au plafond. Les cartons ayant servi à la réalisation de la séquence sont rassemblés en regard de celle-ci, dans un souci pédagogique efficace. Pouvoir examiner les dessins en s’en approchant au plus près, comme le permet l’accrochage, est à chaque fois un ravissement : les paysages et les décors conçus par ces deux amoureux de la nature foisonnent de détails, les expressions des personnages – humains, animaux ou yokaïs, créatures imaginaires du folklore japonais – sont d’une subtilité étonnante, les jeux d’ombres et de perspective, le soin apporté aux mouvements des nuages comme aux dégradés des couchers de soleil, impressionnent.Cette exposition marque-t-elle la fin d’une très belle aventure ? Ghibli, qui emploie 300 personnes, a annoncé, en octobre 2014, qu’il suspendait ses productions en raison des difficultés économiques que connaît la société d’animation. Dessiner à la main revient, en effet, beaucoup plus cher que de travailler sur ordinateur ; et le studio ne produit pas de séries pour la télévision, grâce auxquelles nombre d’entreprises du secteur réussissent à équilibrer leurs budgets. Parallèlement, les deux fondateurs, tous deux septuagénaires, ont déclaré vouloir prendre leur retraite, au grand désarroi de millions d’admirateurs. Actuellement sur les écrans, Souvenir de Marnie, réalisé par Hiromasa Yonebayashi, pourrait être la dernière production d’une maison qui aura marqué, de son empreinte délicate, l’histoire du film d’animation. « Souvenirs de Marnie » : le Studio Ghibli fait ses adieux et passe de l'autre côté du miroir « Dessins du Studio Ghibli », Art Ludique – Le Musée, 34, quai d’Austerlitz, Paris 13e. Jusqu’au 1er mars. artludique.com « Hope » : la traversée du désert de Hope et Léonard L’avis du « Monde » : à voirCet exode se finira au bord de l’eau, parce qu’il faut traverser la mer pour arriver en Europe. Pour l’instant, Léonard, qui vient du Cameroun, et Hope, qui est partie du Nigeria, sont en plein désert, à la frontière algérienne. Boris Lojkine, documentariste qui réalise ici son premier film de fiction, les suivra à travers l’Afrique du Nord, l’Algérie puis le Maroc, dans ce no man’s land où les Africains du sud du Sahara sont aussi mal accueillis qu’en Europe mais où ils peuvent rester moyennant quelques accommodements qui rendent leur voyage encore plus cruel.Lire aussi : « Hope » et ses amours errantesDes dizaines de cinéastes européens et nord-américains ont retracé ces parcours qui mènent d’Afrique de l’Ouest en Espagne, de Kandahar à Londres, du Guatemala à la Californie. Ils peuvent le faire sur le mode de la commisération, de la dénonciation ou du suspense. Sans doute parce qu’il vient du cinéma du réel, Boris Lojkine, qui avait jusqu’ici travaillé en Asie du Sud-Est, préfère analyser, le plus finement possible, les mécanismes d’un système solidement installé – son économie, sa structure politique.De « ghetto » en « ghetto »Hope (Endurance Newton) et Léonard (Justin Wang) sont tous deux isolés et décident d’unir leurs destins le temps du voyage. Celui-ci ne se fait pas à l’aveuglette en progressant vers le Nord. Les migrants subsahariens vont de « ghetto » en « ghetto ». Il faut prendre le terme dans son acception ouest-africaine. Au cinéma, on a vu des « ghettos » ivoiriens dans les films d’Eliane de Latour, Bronx-Barbès ou Après l’océan. Plutôt que des quartiers dans lesquels sont parquées des minorités, ce sont des espaces réduits, à la marge des villes, où se regroupent des populations liées par un rapport commun à la transgression de la loi. Dans Hope, il s’agit de faire circuler des êtres humains qui n’en ont pas le droit.Boris Lojkine montre des ghettos camerounais, nigérians, à Tamanrasset ou à Rabat, régis par des lois précises, que font appliquer les plus forts. La peinture précise, analytique de ces univers parallèles, brutaux, injustes, mais indispensables à la survie de leurs habitants, fait la singularité de Hope. La prostitution, la contrebande, la corruption des autorités des pays traversés font la trame quotidienne de ces existences.Une réalité ignoréeLe film a été tourné au Maroc et le metteur en scène a recruté ses acteurs dans la population de ces ghettos. L’assurance avec laquelle ils tiennent leurs rôles, si répréhensibles qu’ils puissent paraître, montre que le film a pour premier mérite de mettre au jour une réalité ignorée. Le second est de donner à ce monde caché la faculté de produire de la fiction. Le courage des migrants, l’ingéniosité des passeurs, la violence des affrontements entre bandes, entre communautés nationales, valent bien les meilleures histoires du crime organisé italo-américain, des apaches parisiens, des sociétés secrètes chinoises. Ces possibilités de cinéma ne sont ici qu’effleurées (ce qui suffit à donner au film un dynamisme qui manque à nombre de ses homologues), le metteur en scène préférant peindre un tableau le plus complet possible du phénomène qu’il met en scène.Le parcours de Hope et Léonard les mène jusqu’à la forêt de Gourougou, à la lisière de l’enclave espagnole de Melilla. Là, des centaines de migrants vivent entre les arbres, dans la crainte de l’armée marocaine, revenus à la condition d’hommes des bois qui ne peuvent vivre qu’au jour le jour.La fiction, on la trouve dans l’idylle hésitante qui se noue entre les deux principaux personnages. On l’a vu, la jeune Nigériane qui tient le rôle de Hope se prénomme Endurance, ce que confirment son physique puissant, son énergie. Justin Wang tient, avec peut-être un peu plus de mal, le registre de la débrouillardise, du compromis perpétuel.En les suivant, pendant à peine deux heures, on est forcé de se rappeler que – pour le meilleur – ceux des migrants qui terminent leur parcours ont accompli, qu’ils l’aient voulu ou non, un exploit presque surhumain. Et que – pour le pire – les épreuves qu’ils ont traversées leur auront laissé des marques que rien n’effacera.Film français de Boris Lojkine avec Endurance Newton, Justin Wang (1 h 31). Sur le Web : distrib.pyramidefilms.com/content/hope-0 Un joyeux chaos d’anniversaire pour Hors Pistes, qui fête sa 10e édition Evidemment, à Hors Pistes, un anniversaire se fête autrement qu’avec « un gâteau, des bougies et une chanson », pour reprendre les mots d’Alain Seban, le président du Centre Pompidou, lors de la soirée de lancement de l’événement, vendredi 23 janvier à Paris. Car après la miniature et le biopic, thèmes des deux précédentes éditions, c’est l’esprit de l’anniversaire qui a guidé l’élaboration de la mouture 2015, 10e édition de la manifestation. Comme chaque année au cœur de l’hiver, l’équipe de ce singulier festival maison a donc commencé à déployer son attirail de pépites de la création artistique actuelle à la croisée des genres et des disciplines, entre arts visuels et arts vivants, dans son QG « underground » : le niveau -1 de Beaubourg.« Teasers » de films en devenirVingt-et-un « solo shows » déclineront chaque soir dans les salles de cinéma du Centre Pompidou des conceptions très diverses de la notion de célébration et des formes qu’elle peut adopter. Le public de curieux pourra notamment participer au tournage d’un film d’heroïc fantasy (Arnaud Dezoteux, le 30 janvier) ou assister à celui d’une séquence d’un film en préparation tourné avec un drone (Agnès de Cayeux, le 31). Découvrir deux solo shows autour de l’hypnose (Catherine Plumet le 28, et Gurwann Tran Van Gie le 7 février). Ou encore se plonger dans la reconstitution minutée du massacre norvégien d’Utoya, entre images virtuelles et performance collective (Joachim Olender, le 14). En dix éditions, les règles du jeu de Hors Piste ont sans cesse évolué, souligne Géraldine Gomez, l’instigatrice de ce rendez-vous atypique. Lieu d’expérimentations hybrides, la manifestation a pris un tournant décisif en 2014 : « De diffuseur, nous sommes passés à producteur » ; ainsi les solo shows offrent désormais des versions performatives de films en devenir, dont ils servent en quelque sorte de « teasers ».« Fragilité »Les « solo shows » ont aussi la particularité de montrer des vidéos d’artistes n’ayant jamais fait de film, ou a contrario des performances de vidéastes qui ne pratiquent habituellement pas le live. Des dispositifs dont Géraldine Gomez revendique la « fragilité » : « Ils offrent des moments uniques, ultra privilégiés, où le public est en lien direct avec les artistes. Tout est toujours sur le fil, et c’est ce risque-là qui est intéressant, avec parfois des accidents d’une poésie extraordinaire. »Au milieu de ces rendez-vous, ponctués de nombreuses projections « classiques », l’espace ouvert du sous-sol est par ailleurs le lieu d’une exposition évolutive par deux duos d’artistes, Hippolyte Hengten et John John, qui croisent leurs pratiques – dessin et sculpture d’une part, performance et théâtre de l’autre – pour questionner les codes de la fête.Pour cette édition anniversaire, Beaubourg a par ailleurs fait un « cadeau » à Hors Pistes : l’octroi d’une semaine supplémentaire, soit une durée totale de trois semaines plutôt que deux. Manifestation ouverte sur le monde, le festival continue au-delà à déployer son réseau dans une petite dizaine de villes à l’étranger, de Tokyo à La Havane, avec une première édition à Malaga, où le Centre Pompidou ouvrira une antenne au printemps.Hors Piste, jusqu’au 15 février. Solo shows : 6 € (4 € tarif réduit, gratuit pour les détenteurs de laissez-passer), projections 4 € ou 3 €. Toute la programmation sur le site du Centre Pompidou ou à imprimer. Programmation : Géraldine Gomez et Charlène Dinhut. Rem Koolhaas, Wes Anderson et Roman Polanski à l’affiche de la future Fondation Prada La Fondation Prada n’est pas une nouvelle venue dans la galaxie des fondations des grandes maisons du luxe dédiées à l’art contemporain. Miuccia Prada et Patrizio Bertelli l’ont créée en 1993, avec l’ouverture d’un premier espace à Milan. Depuis 2011, elle s’est doublée d’une antenne à Venise, le Ca’ Corner della Regina, dans un palazzo du XVIIIe siècle donnant sur le Grand Canal. Mais le couple à la tête du groupe italien a décidé de voir les choses en encore plus grand, et son nouveau projet, annoncé depuis des années, a désormais une date officielle d’inauguration : le 9 mai.A quatre mois de l’ouverture, les informations sont délivrées au compte-gouttes. Impossible donc de révéler toutes les facettes du futur complexe milanais, qui s’annonce spectaculaire. Le détail du bâtiment lui-même, imaginé sur le site d’une ancienne distillerie du sud de la ville par l’architecte néerlandais Rem Koolhaas et son agence OMA, reste secret.Un bar imaginé par Wes AndersonCe que l’on sait, c’est que le bâtiment remanié, qui offrira une surface totale de près de 19 000 m2, avec au total plus de 11 000 m2 d’espaces d’exposition, se veut un « répertoire » d’espaces architecturaux. Du site industriel, datant des années 1910, seront conservés les bâtiments d’origine (anciens bureaux, laboratoires, silos ou entrepôts de l’usine), auxquels s’ajouteront trois nouveaux bâtiments, dont une tour et un grand cinéma-auditorium. Deux précisions sur l’organisation du site sont pour l’instant révélées par la fondation, et concernent le grand bâtiment par lequel se fera l’entrée des visiteurs. Un bar imaginé par le réalisateur américain Wes Anderson y recréera l’atmosphère typique des vieux cafés milanais. Et les enfants disposeront d’un espace conçu spécialement pour eux par des étudiants de l’Ecole nationale supérieure d’architecture de Versailles (ENSA-V).Le nouveau centre d’art siglé révèle également une partie de sa programmation inaugurale, avec deux expositions jumelles : « Serial Classic » (« classiques en série », de mai à août) à Milan, et « Portable Classic » (« classiques à emporter ») à Venise. Ces deux projets, proposés par l’archéologue et historien de l’art italien Salvatore Settis, s’intéresseront d’un côté à l’usage de la copie des chef-d’œuvre dans l’art classique, de l’autre à la question des reproductions miniatures des plus prestigieuses sculptures grecques et romaines et de leur diffusion de la Renaissance à l’époque néoclassique. La scénographie de ces deux expositions sera assurée par l’agence OMA.Une programmation cinéma de Roman PolanskiLe choix de ces deux expositions d’art ancien peut surprendre pour le lancement d’un espace consacré à l’art contemporain. Il s’agit en quelque sorte d’une entrée en matière sur les origines de l’art occidental, alors même que les thèmes de l’appropriation, de l’édition limitée et de la reproduction sont très présents dans l’art actuel.La Fondation Prada, qui se veut avant tout une plateforme d’analyse de la culture contemporaine, insiste, par ailleurs, sur sa vocation pluridisciplinaire. Elle se présente comme « une structure ouverte et flexible », avec des commissaires d’exposition, des écrivains, des cinéastes, des architectes et des philosophes invités à  « réinventer constamment le programme » et mettre en place une large gamme d’activités, à Milan, Venise ou hors des murs de la fondation.Pour le lancement, le sculpteur américain Robert Gober et le photographe et artiste allemand Thomas Demand réaliseront des installations en dialogue avec l’architecture du site, et une sélection d’œuvres de la collection Prada sera présentée à travers plusieurs expositions thématiques.Côté cinéma, c’est le réalisateur Roman Polanski qui inaugurera la programmation, en proposant de parcourir les films qui ont inspiré son travail, avec la projection d’un documentaire et d’une série de longs-métrages. THÉÂTRE« Le Sorelle Macaluso »Une famille dans le chaudron palermitain, au Théâtre du Rond-Point Emma Dante raconte l’histoire d’une famille palermitaine marquée par la tragédie, une tribu de sept sœurs à la vitalité irréductible malgré la mort qui rôde. La pièce, présentée à Avignon en juillet 2014, est mise en scène de manière dépouillée, avec pour seuls accessoires les boucliers de fer blanc qui, dans le théâtre de marionnettes palermitain, protègent les chevaliers des récits légendaires. Sans misérabilisme ni pathos, Emma Dante évoque une misère sociale si peu montrée d’ordinaire.Théâtre du Rond-Point, Paris 8e.Lire aussi : « Le Sorelle Macaluso », une vérité de chair et de sangARTS« Jacques Monory »Première rétrospective, à Landerneau Il aura fallu que le peintre Jacques Monory, né en 1924, atteigne les 90 ans pour qu’une rétrospective soit enfin consacrée à son œuvre. On y retrouve ses tableaux peuplés de truands à mitraillettes, de filles pulpeuses en déshabillé de satin, son usage immodéré et quasi systématique du bleu… Spécialiste du pop art section crimes, mafias et dahlia noir, il ne peut cependant pas être réduit à cela et l’exposition de Landerneau en fait la démonstration en mettant en lumière notamment comment l’artiste, passionné par la photo, l’a intelligemment intégrée dans son œuvre, soulignant son pouvoir social.Fonds Hélène & Edouard Leclerc pour la culture, Landerneau. Le bleu Monory CINÉMA« Foxcatcher »La lutte finaleInspiré d’un fait divers qui mit aux prises, en Pennsylvanie, à la fin des années 1990, l’héritier de la firme américaine DuPont, propriétaire de l’équipe de lutte Foxcatcher et un champion olympique, le cinéaste Bennett Miller (auteur notamment de Truman Capote) livre un film inquiétant et d’une beauté plastique fascinante. Il porte un regard rétrospectif terriblement désabusé sur la fin de l’ère reaganienne, offrant un miroir inversé à l’imagerie des success stories telle Rocky qui emplissaient les salles à l’époque. Channing Tatum et Steve Carell (méconnaissable) excellent dans leurs rôles respectifs du lutteur et du milliardaire.Film américain de Bennett Miller avec Steve Carell, Channing Tatum, Mark Ruffalo, Vanessa Redgrave (2 h 14). « Foxcatcher » : l'athlète contre le millionnaire, la lutte finale Bennett Miller : « Je vois mon film comme un lent fondu au noir » ARTS« Rhodes, une île grecque aux portes de l’Orient »L’île aux trésors, au Louvre L’île grecque de Rhodes, dont la notoriété tient beaucoup au fameux Colosse, septième merveille du monde, brisé par un séisme au IIIe siècle avant notre ère, fut la plaque tournante, il y a plus de 3 000 ans, des idées et des objets entre l’Orient et l’Occident. De nombreux chefs-d’œuvre témoignant de ce riche passé sont pour la première fois exposés hors de Grèce, au Musée du Louvre à Paris.Musée du Louvre, Paris 1er. Au Louvre, une île aux trésors nommée Rhodes MUSIQUESFrànçois & The Atlas Mountains« L’Homme tranquille », à Saint-Cloud Révélation de la scène musicale bordelaise, le groupe, composé autour de son chanteur, auteur, compositeur et musicien multi-instrumentiste François Marry, a imposé son univers poétique et onirique. Portées par la voix pure et langoureuse du leader, ses compositions aux parfums boisés envoûtent. En tournée à travers la France et la Grande-Bretagne pour « L’Homme tranquille tour », du nom du nouvel EP 4 titres distribué quelques mois seulement après la sortie de son dernier album, Piano Ombre, le groupe fait une halte à Saint-Cloud dans le cadre du festival Träce.MJC ECLA – Le Carré, Saint-Cloud, samedi 24 janvier. « L’Homme tranquille » : le voyage africain de Frànçois & the Atlas Mountains Imaginez un spectacle de cirque où ballons, quilles et massues sont remplacés par des instruments de cuisine tels des fouets en métal ou des accroche-torchons. C’est ce que propose la compagnie canadienne Les 7 doigts de la main dans un spectacle aussi revigorant que roboratif mixant actions quotidiennes et exploits pur cirque, le tout en dansant, en bavardant avec le public, en râpant le fromage et en surveillant la cuisson du pain.Espace Michel Simon, Noisy-le-Grand, samedi 24 janvier. La joyeuse tambouille des 7 doigts de la main CINÉMA« La Magie Karel Zeman »Cinq courts-métrages enchanteursGénie de l’animation tchèque, Karel Zeman (1910-1989) ressort de l’oubli grâce à cette programmation qui réunit cinq courts-métrages du maître. Trois sont en noir et blanc, les deux autres font une place à la couleur, tous témoignent d’une utilisation subtile de la lumière et des différentes techniques d’animation. Les adultes verront, derrière ces petits contes, des messages politiques sur la Tchécoslovaquie de l’après-guerre et des années 1970. Les enfants, eux, se laisseront gagner par le ravissement.Programme de cinq courts-métrages d’animation tchèques (1945-1972) de Karel Zeman, Bořivoj Zeman et Eugen Spálený (45 minutes). « La Magie Karel Zeman » : les chefs-d’œuvre miniatures de l’enchanteur tchèque PHOTOGRAPHIE« Aaron Siskind, une autre réalité photographique »Les paysages intérieurs de Siskind, à Montpellier Pour la première fois depuis trente ans, une rétrospective est consacrée à l’Américain Aaron Siskind (1903-1991), auteur d’une œuvre singulière et méconnue. Le Pavillon populaire de Montpellier expose 250 tirages originaux, à la noirceur veloutée, à la poésie vertigineuse et complexe. La rondeur d’une pierre, le creux d'une branche inspirent au photographe des compositions sensuelles contredisant les accusations de formalisme désincarné qui ont parfois collé à son œuvre. Ses images sont avant tout des paysages intérieurs.Pavillon populaire de Montpellier. Aaron Siskind, photographe du paysage intérieur MUSIQUES« Les élans ne sont pas toujours des animaux faciles »Un trio facétieux, au Théâtre Michel Ils sont trois chanteurs, Benoît Urbain (aussi au piano), Emmanuel Quatra (par ailleurs à la basse, en fait une corde sur un manche à balai) et Pascal Neyron (en plus à la guitare) au talent d’acteurs qui fait merveille dans un spectacle un peu fou, Les élans ne sont pas toujours des animaux faciles. Harmonies vocales, situations qui virent à l’absurde, passages de belle rêverie et chansons de Trenet, Gerswhin, Nougaro, Steely Dan ou Eddie Cochran, entre autres.Théâtre Michel, Paris 8e.Lire aussi : Au Lucernaire, l'harmonie par l'absurde des « Elans »ARTS« Niki de Saint Phalle »« La Calamity Jane de l’art », au Grand Palais Plus que quelques jours pour découvrir la vaste rétrospective que consacre le Grand Palais à l’œuvre audacieuse et engagée de Niki de Saint Phalle (1930-2002). Un journaliste américain l’avait surnommée « la Calamity Jane de l’art », expression qu’illustre d’ailleurs la photo de l’artiste choisie pour l’affiche de l’exposition, où on la voit carabine en mains, visant le spectateur. Comme l’héroïne du Far West, Niki de Saint Phalle ne reculait pas devant les provocations, et fut, elle aussi, une femme libre. L’exposition parisienne, qui réunit 175 œuvres, permet de prendre la mesure d’une création trop souvent réduite aux plantureuses et bariolées Nanas.Grand Palais, Paris 8e.Lire aussi : Niki de Saint Phalle, nana enragée Amours errantes Dans Hope, son premier film de fiction, le documentariste Boris Lojkine retrace l'itinéraire d'une Nigériane et d'un Camerounais en route pour l'Europe. Une histoire d'amour singulière avec pour toile de fond les « ghettos », ces camps clandestins par lesquels transitent les migrants. Le 13 décembre 2014, Endurance Newton foulait le tapis rouge du Colisée, à Marrakech, comme l'avaient fait, quelques jours avant elle, Clotilde Hesme et Isabelle Huppert. Depuis, les actrices françaises ont regagné Paris. La Nigériane, qui tient le rôle-titre de Hope, présenté au Festival international du film de Marrakech, est, elle, retournée dans son bidonville de Casablanca. C'est là qu'elle vit depuis trois ans, coincée à mi-parcours entre le delta du Niger, où elle a grandi, et l'Europe où elle voulait aller. Dans le film de Boris Lojkine, premier long-métrage de fiction de ce documentariste français, présenté en mai 2014 à Cannes dans le cadre de la Semaine de la critique, on rencontre Hope, seule, en plein Sahara, près de Tamanrasset, dans le sud de l'Algérie. Elle vient du Nigeria et veut gagner l'Europe, son chemin croise celui de Léonard, un Camerounais, qu'incarne Justin Wang. Les deux jeunes gens s'attachent l'un à l'autre, comme des naufragés qui décideraient de flotter ensemble. Ils progressent lentement vers le nord du Maroc, de « ghetto » en « ghetto ». Il faut prendre ce terme dans son acception africaine : il s'agit de lieux exigus – immeubles abandonnés, friches industrielles – où se regroupent des personnes hors la loi. Au Maroc, en Algérie, les ghettos regroupent par nationalité les migrants d'Afrique subsaharienne qui se soumettent à la loi des chairmen (présidents), qui prélèvent l'impôt, organisent les passages clandestins, prostituent les femmes, mettent les hommes au travail. Parce qu'il est fondé sur cette réalité souvent ignorée, le film de Boris Lojkine ne ressemble pas à ceux qui l'ont précédé sur le même sujet. « Si l'itinéraire reste la seule trame du film, il ressemblera à un parcours d'obstacles », observe le réalisateur, qui voulait raconter « la relation entre un homme et une femme, sur la route ». Le monde parallèle des ghettos De cette route, il ne savait rien. Boris Lojkine avait réalisé deux documentaires au Vietnam sans avoir jamais mis les pieds en Afrique. Après avoir beaucoup écouté et lu (notamment Les Routes clandestines, l'ouvrage du journaliste Serge Daniel, correspondant de RFI au Mali), puis écrit un scénario qui lui permet de trouver ses premiers financements. Le réalisateur est parti pour le Maroc, qu'il a parcouru d'Oujda, à la frontière avec l'Algérie, jusqu'à la forêt de Gourougou, qui surplombe l'enclave espagnole de Melilla. Il a alors réécrit son scénario – particulièrement bien ficelé – pour ne pas « rater l'essentiel », c'est-à-dire ce monde parallèle des ghettos, cet archipel de micronations clandestines qui constitue le tissu vivant de Hope. Boris Lojkine est intarissable sur ce système brutal et efficace mis en place au début du XXIe siècle à l'issue de très violents affrontements entre communautés nationales et ethniques. Il lui a fallu ensuite trouver les hommes et la femme qui incarneraient ses personnages. « J'ai travaillé avec Amine Louadni, le directeur de casting de Nabil Ayouch [le réalisateur marocain]. C'est lui qui avait trouvé les acteurs des Chevaux de Dieu, dans un bidonville de Casablanca. Le gars qui avait fait ce casting pouvait tout faire. » Deux castings organisés Il n'a pas été simple de pénétrer dans ces communautés forcément fermées, méfiantes. Deux castings ont été organisés, l'un dans le ghetto camerounais, l'autre dans le nigérian. Si le premier a été seulement rocambolesque (un assistant a été retenu quelques heures en otage par un chairman, avant d'être relâché contre un Coca-Cola), le second a été très laborieux, d'autant qu'il s'agissait de trouver une actrice, donc une femme, alors que la quasi-totalité des migrantes empruntant cette route seraient acheminées par des réseaux organisés qui les destinent à la prostitution. Endurance Newton avait échappé à ce destin en épousant le chairman du ghetto nigérian de Maghnia, en Algérie, puis en partant s'installer avec leur bébé à Casablanca. Au printemps 2013, pendant le tournage, le réalisateur a fourni des efforts herculéens pour concilier son désir de raconter l'histoire de presque amour entre les deux naufragés et sa volonté de respecter la réalité qu'il avait découverte. Boris Lojkine raconte comment les figurants, tous issus des communautés clandestines, se sont improvisés décorateurs pour couvrir les murs d'une pièce de graffitis qu'ils auraient pu laisser aux parois d'un ghetto, pour attacher les bidons d'eau aux ridelles d'un pick-up, comme on le fait, dans l'espoir de ne pas mourir de soif dans le Sahara. Au moment du Festival de Cannes, Endurance Newton et Justin Wang n'ont pu venir à Cannes. Avec son cachet, le jeune Camerounais avait regagné son pays dans l'intention de se faire établir un vrai passeport. Aujourd'hui, il veut exporter des bananes plantain vers le Maroc, il est bien placé pour savoir que le marché existe, même si les clients n'ont que peu de ressources. Endurance, elle, a envoyé de l'argent à sa famille, au Nigeria. Son enfant a aujourd'hui 2 ans, et elle espère toujours l'amener un jour en Europe. Suzuki, l'incompris devenu culte Un flic infiltré dans un gang de yakuzas voit sa tête écrasée sur une vitre tandis que des gangsters lui enfoncent un couteau à l'intérieur de chaque ongle. Une femme fatale est fouettée à mort. Un homme de main doit avaler la lame d'un couteau. Nous ne sommes pas dans le cabinet des horreurs. Mais dans La Jeunesse de la bête, de Seijun Suzuki, tourné en 1963. L'un des films emblématiques de la nouvelle vague japonaise, l'équivalent asiatique d'A bout de souffle de Jean-Luc Godard. La même année, Seijun Suzuki a connu un succès fulgurant avec Détective Bureau 2-3. En 1967, La Marque du tueur, un chef-d'œuvre, va révolutionner le film policier et marquer l'effacement du réalisateur, renvoyé par ses producteurs, qui ne comprenaient rien au film. Lequel est, au minimum, crypté. Seijun Suzuki développe une violence sauvage, absurde, abstraite, proche de l'Apocalypse, à l'opposé des films policiers d'Akira Kurosawa réalisés à la même époque – Les salauds dorment en paix et Entre le ciel et l'enfer. Joe Shishido, son Jean-Paul Belmondo Suzuki a trouvé son Jean-Paul Belmondo en la personne de Joe Shishido, un brun ténébreux et joufflu, qui a fait remodeler ses pommettes afin de se donner, assurait-il, un air plus ambigu. Shishido se balade souvent dans les films de Suzuki avec des lunettes noires qu'il met et enlève en permanence, adressant à l'occasion des clins d'œil au spectateur, pour rendre hommage, selon les plans, à Sean Connery dans Bons baisers de Russie, ou à l'agent secret maladroit incarné par Michael Caine dans Ipcress, danger immédiat, de Sydney Furie. L'acteur japonais occupe une fonction particulière chez son metteur en scène fétiche. Soit il se trouve torturé, éprouvé dans ses dernières limites par la violence que lui impose son metteur en scène. Soit il donne l'impression de regarder sa propre histoire avec des jumelles, en simple spectateur. L'intrigue de La Jeunesse de la bête est donc incompréhensible. L'atmosphère baigne dans le swinging Tokyo : bars à cocktails, robes pastel, stripteaseuses, grosses cylindrées. Dès le premier plan du film (une rose rouge apparaît au milieu d'une pièce monochrome, où un couple venant de faire l'amour est découvert mort), on comprend que Seijun Suzuki vise une stylisation extrême et une expérimentation plastique. Intrigue épurée La Marque du tueur (1967) possède une intrigue encore plus épurée. Il n'y a plus aucun code narratif. Joe Shishido incarne un tueur qui, après avoir raté sa cible car un papillon s'est posé sur le canon de son fusil à lunette, devient la proie d'un autre mystérieux tueur. Le film, qui se déroule dans un Tokyo fantomatique, composé de rues désertes et d'appartements vides, apparaît comme un collage surréaliste fonctionnant par associations d'images – un moineau traversé par une aiguille et accroché au rétroviseur d'une voiture de sport. Joe Shishido se souvient avoir vu La Marque du tueur dans une salle presque vide devant des spectateurs dubitatifs. Il faudra plus de vingt ans pour que le film trouve ses héritiers : Quentin Tarantino, d'abord, avec les assassins anonymes de Reservoir Dogs, puis Jim Jarmush, qui réalise Ghost Dog (1999), un remake presque plan par plan de La Marque du tueur. Richard Lester : « En 1964, les producteurs étaient persuadés que la popularité des Beatles ne passerait pas l’été » Son premier long-métrage, It’s Trad, Dad ! (1962) met en scène aussi bien les musiciens de la scène trad et skiffle (des genres musicaux inspirés des débuts du jazz) que des rockers comme Del Shannon. Après sa période Beatles, il tourne en Angleterre (The Knack… and How to Get It, 1965, How I won the War, 1967) et aux Etats-Unis (Superman II, 1980, et III, 1983, Finders Keepers, 1984). Richard Lester avait annoncé sa retraite en 1989, après le tournage du Retour des mousquetaires. Deux ans plus tard, il en est exceptionnellement sorti pour tourner, à la demande de Paul McCartney, un documentaire sur la tournée de ce dernier, Get Back. Richard Lester vit aujourd’hui entre l’Angleterre et l’Espagne.Vous êtes arrivé en Europe au milieu des années 1950, à quel point étiez-vous conscient de l’émergence du rock’n’roll ?Ni plus ni moins que quiconque. Au début des années 1950, je travaillais dans une station de télévision CBS, je connaissais les artistes les plus connus, mais je n’avais aucune idée de ce qui se passait ailleurs. Ma culture musicale reposait plus sur le jazz, je jouais du piano dans les clubs de Philadelphie, je m’intéressais surtout au jazz West Coast. J’étais conscient de l’existence du rock’n’roll dans la mesure où Bill Haley était programmé de temps à autre au Ed Sullivan Show.Votre premier long-métrage était un film musical, « It’s Trad, Dad ! », que je n’ai pas réussi à voir…Vous pouvez vivre en paix le reste de vos jours. L’essentiel de la musique était du jazz traditionnel, mais j’ai ajouté quelques rockers. C’est aussi la première fois qu’on a entendu une chanson de Burt Bacharach au cinéma et j’ai filmé Chubby Checker [l’inventeur du twist].Le film était produit par Milton Subotsky, qui avait déjà produit des films d’exploitation sur le thème du rock’n’roll aux Etats-Unis…Oui, il s’intéressait à la musique. Moins qu’à la façon de dépenser le moins d’argent possible en faisant jouer des artistes inconnus. Quand il m’a proposé It’s Trad, Dad !, il m’a envoyé un synopsis de vingt et une pages. Je lui ai dit que ça me plaisait bien et qu’il pouvait m’envoyer le scénario. Il m’a répondu que le synopsis était le scénario. Le budget était ridiculement bas, mais les Beatles l’ont vu. Par ailleurs, ils connaissaient mon travail avec les Goons [le groupe comique de Spike Milligan]. Ils pensaient qu’ils pouvaient travailler avec moi.Et vous aviez déjà travaillé avec le producteur Walter Shenson…Oui. United Artists lui avait confié la tâche de produire un film avec les Beatles. Le studio avait exigé que le tournage commence en mars 1964 et que le film sorte début juillet 1964, parce qu’ils étaient persuadés que la popularité des Beatles ne passerait pas l’été. Entre la fin du tournage et la sortie, nous avons eu trois semaines et demie pour monter, mixer, obtenir la copie.Vous connaissiez déjà les Beatles ?Par hasard. J’avais des amis qui travaillaient comme graphistes ou directeurs artistiques dans un studio de télévision à Manchester. Nous jouions du jazz ensemble et, très tôt, ils ont rapporté les premiers disques des Beatles que nous passions dans les fêtes où nous allions. Si bien que quand Shenson m’a demandé si je savais qui étaient les Beatles, j’ai pu répondre par l’affirmative. Je les ai rencontrés en 1963, lors d’une émission de radio. Nous avons parlé et j’ai eu l’impression qu’ils m’acceptaient parce que j’appréciais l’humour du « Goon Show » et que je jouais d’un instrument. Comment envisagiez-vous la perspective de travailler avec quatre jeunes gens qui n’étaient pas des acteurs ?J’avais déjà dirigé It’s Trad, Dad ! dans lequel aucun des personnages n’était interprété par un acteur, et j’avais mené une carrière plutôt active dans le documentaire. Il fallait qu’ils se comportent avec naturel. Si on m’avait proposé de les diriger dans Les Trois Mousquetaires, je suppose que j’aurais dit non. En janvier 1964, quand ils sont passés à l’Olympia, je suis allé à Paris. Ils avaient tout un étage du George V. Je les ai observés et l’intrigue de A Hard Day’s Night m’est apparue : cette sensation d’être piégé, d’être soumis à des ordres – il faut sortir, rentrer – d’être comme des prisonniers, et leur capacité à se soutenir mutuellement face au monde extérieur.Ensuite vous avez travaillé avec le scénariste Alun Owens ?Je l’avais dirigé comme acteur à la télévision. Même s’il est gallois, il a passé plusieurs années de sa vie à Liverpool [ville d’origine des Beatles], il saisissait bien le parler de la ville. L’idée était moins de produire un scénario qu’une attitude. Nous avons décidé de commencer le film dans des espaces confinés, bas de plafond, et de les faire passer dans un espace plus ouvert où une chanson signifierait leur libération, et ensuite de les remettre en prison. Nous savions à quels moments du film il faudrait des chansons ; ils nous en ont proposé une dizaine, assez pour un album, et nous en avons retenu sept ou huit.Est ce que le rock fonctionne comme tous les autres genres quand on s’en sert comme musique de film ?Je ne veux pas être condescendant, mais le rock, surtout au début des années 1960, était plutôt monocorde. Une fois qu’on a établi le rythme et l’humeur, on est parti pour deux minutes trente. Ce ne sont pas des inflexions modales à la Rodgers et Hammerstein qui sont plus faciles à utiliser pour souligner les émotions.« A Hard Day’s Night » est en noir et blanc. Est-ce que la question de le tourner en couleur s’est posée ?Nous n’avions pas assez d’argent pour la couleur. Mais c’est un noir et blanc très particulier. J’ai travaillé avec le même directeur de la photo que pour It’s Trad, Dad !, Gilbert Taylor, qui était un technicien accompli. Le budget d’It’s Trad, Dad ! était tellement ridicule qu’il nous permettait d’expérimenter, de tourner face à la lumière. Des procédés que nous avons repris pour A Hard Day’s Night.Vous étiez influencé par la Nouvelle Vague française ?Avant d’arriver en Europe, je ne savais rien du cinéma. J’ai grandi dans un endroit où il n’était pas facile de voir des films. J’ai d’abord passé trois ou quatre mois à Paris, c’est là que j’ai commencé à aller au cinéma. Je voyais des films de Truffaut, Godard, Resnais, Bergman, Fellini.Est-ce que les Beatles étaient conscients des enjeux cinématographiques ?Ils s’en moquaient un peu. Ils avaient une faculté extraordinaire pour juger les gens : s’ils estimaient qu’ils pouvaient travailler avec eux sans risquer de dommages, ils les laissaient faire ce qu’ils avaient à faire. C’était vrai de moi, comme, je suppose, de George Martin [leur producteur] ou de Brian Epstein [leur manager, mort le 27 août 1967]. Ils nous laissaient à nos soucis techniques.Sur le plateau, est ce que l’un ou l’autre des Beatles s’est révélé meilleur comédien que les autres ?Paul s’intéressait plus au côté artistique. Des quatre, c’est lui qui suivait le plus attentivement la scène artistique londonienne, le cinéma. George s’est révélé un acteur qui trouvait tout de suite ce qu’il fallait faire. John aurait pu être un grand acteur. Un jour, sur le tournage de How I Won the War, je lui ai dit que ce qu’il venait de faire était impressionnant et il m’a répondu : « Oui, mais c’est complètement crétin, non ? » Quant à Ringo, il était adorable parce qu’il était Ringo, c’est un talent limité, mais c’est un talent. Ils pouvaient tous faire ce qu’ils avaient à faire. Je crois que ça a marché parce qu’ils l’ont pris à la légère, je ne suis pas sûr de ce que ça aurait donné s’ils avaient pris l’affaire trop au sérieux.Vous avez été surpris du succès de « A Hard Day’s Night » ?Au fond de moi, je savais qu’ils dureraient, qu’ils passeraient l’été. Ils me semblaient uniques.Et il a fallu répéter ce succès…Oui, mais comment ? Ils s’étaient engagés pour trois films. Je voulais faire quelque chose de très différent, mais j’étais le seul à m’en soucier. Le studio voulait une version plus opulente, plus colorée de A Hard Day’s Night. J’étais résolu à ne pas le faire. Dans leurs vies privées, les Beatles étaient désormais classés X. On ne pouvait pas reprendre l’approche documentaire. La seule solution était de superposer des éléments complètement étrangers à leur histoire. C’est que nous avons fait pour Help !. Mais comme John l’a fait très charitablement remarquer, « il [Richard Lester] a fait de nous des figurants dans notre propre film ».Cela tient aussi au fait qu’ils se sont moins impliqués dans ce film, non ?Oui, ils s’intéressaient à d’autres choses. La musique leur prenait plus de temps, les drogues récréatives aussi. Je ne le dirais pas s’ils ne l’avaient pas admis depuis longtemps.Est-il exact que c’est sur le plateau de « Help ! » que George Harrison a commencé à s’intéresser à la musique indienne ?Oui. D’abord pendant la première semaine de tournage, aux Bahamas, un vieil Indien est arrivé à bicyclette sur le plateau et il a distribué un exemplaire du livre du Maharishi [Mahesh Yogi, le gourou qui devait devenir le maître à penser des Beatles quelque temps plus tard] à chacun. J’ai tout de suite perdu le mien. Quand nous sommes rentrés à Londres en studio, j’ai eu l’idée, pour la scène dans le restaurant indien, de demander au directeur musical de trouver un joueur de sitar et un joueur de tablas et de noter A Hard Day’s Night pour ces instruments. Pendant qu’ils répétaient, George est allé les voir et a essayé de jouer du sitar.C’est un moment décisif…Oui, il y en a eu plusieurs. Ils devaient se déguiser pour une séquence et je les ai envoyés au maquillage pour qu’ils choisissent les postiches dont ils avaient envie. Quand ils sont ressortis, ils avaient exactement la tête qu’ils auraient deux ans et demi plus tard.Avez-vous été impliqué dans les divers projets qui ont été envisagés pour le troisième film de leur contrat avec United Artists, comme « Les Trois Mousquetaires » ?Non pas du tout. Il me semblait qu’ils avaient gagné le droit de faire ce que bon leur semblait. Ils avaient envie de tourner Magical Mystery Tour [film pour la télévision diffusé par la BBC le 26 décembre 1967]. J’en étais heureux, ni jaloux ni vexé. J’étais en train de faire d’autres films. La seule continuité a été la nomination de Dennis O’Dell, qui était mon producteur associé, à la tête d’Apple Films.Et quelle continuité y a-t-il entre les deux films avec les Beatles et les deux films que vous avez tournés à cette période, « The Knack… » et « How I Won the War » ?J’aimais bien dire, même si cela peut paraître un peu désinvolte, que The Knack est un film sur quatre personnages qui se parlent beaucoup mais ne communiquent pas, alors que A Hard Day’s Night est un film sur des gens qui n’ont pas besoin de parler pour communiquer. The Knack est animé d’une énergie semblable à celle de A Hard Day’s Night mais sur un scénario beaucoup plus structuré. Ces deux films mettent en scène une espèce d’innocence. De toute façon, je n’ai jamais été un metteur en scène des passions érotiques.Si The Knack est une peinture de quatre personnages qui sont restés à la traîne de la révolution sexuelle, How I Won The War (dans lequel John Lennon tient le rôle d’un soldat antimilitariste) reflète très bien l’atmosphère politique de la période. Oui, on sortait d’une série de commémorations des différents désastres et triomphes qu’avait connu le Royaume-Uni pendant la seconde guerre mondiale. Chaque semaine, la BBC produisait un documentaire sur les états d’âme de tel ou tel général. L’histoire de cette patrouille allait à l’encontre de tout ça. J’ai choisi la voie de la distanciation brechtienne, dont l’inconvénient est qu’elle laisse les spectateurs à distance.Comment s’est passée la participation de John Lennon au film ?Je lui en ai parlé. Il ne savait pas comment s’occuper. Les Beatles avaient arrêté de se produire sur scène et il n’écrivait pas beaucoup. Je lui ai fait lire le script, qu’il a compris, et il s’est engagé. Le problème est que vous aurez beau faire ce que vous voudrez en matière de communication, si John Lennon joue dans un film, on s’attend à ce qu’il prenne une guitare à la troisième bobine.Comment avez-vous accueilli tous les films qui sont nés dans la foulée de « A Hard Day’s Night », comme « Catch Us If You Can », de John Boorman ?Comme des compliments. J’ai eu la chance de travailler avec des musiciens qui étaient capables de chanter en play-back avec une totale exactitude. Si bien que sur Help ! en particulier nous sommes arrivés à une combinaison entre prise de vues, montage et musique qui donnait un sens aux chansons. J’ai eu plus de chance que j’en aurais eu avec le Dave Clark Five ou les Monkees. Les Beatles étaient capables de communiquer leur plaisir, d’improviser sans rompre le play-back.Vous avez ensuite tourné le dos à la musique dans votre cinéma…Je n’ai jamais été tenté d’y revenir, pourtant les offres n’ont pas manqué. La dernière en date venait des Spice Girls.Vous avez quand même accepté de reprendre votre caméra pour le documentaire « Get Back », sur la tournée de 1991 de Paul McCartney…Oui, en 1989, il m’a demandé un quart d’heure de film, qui reprendrait les chansons majeures de sa carrière, des Beatles, des Wings, en solo. Ensuite il a disparu et je me suis débrouillé pour faire un film sur trois écrans, qui reprenait des images d’actualité, l’homme face aux chars sur la place Tiananmen, la chute du mur de Berlin. Ce film a été projeté en ouverture des concerts et ça tellement plu à Paul qu’il m’a proposé de filmer la tournée, qu’il annonçait comme sa dernière. J’ai accepté en me disant que si j’avais été là au début, je ne laisserais personne d’autre mettre ses pattes sur la fin. J’ai eu tellement de chance d’être là à ce moment-là !L’intégralité de cet entretien, remanié pour ce supplément « Beatles », a été publiée dans Rock et cinéma, de Thomas Sotinel, préface d’Olivier Assayas (La Martinière, 2012). Avec l’autorisation de l’auteur et de l’éditeur. « Better Call Saul », une série dévoilée à la Berlinale En 2013, le Festival de Berlin avait dévoilé sur grand écran les deux premiers épisodes de « Top of the Lake », la mini-série de la cinéaste australienne Jane Campion. Deux ans plus tard, voilà que ses organisateurs annoncent la création d’une section spécialement dédiée à ces formats télé. Excroissance de la section Berlin Special, Berlin Special Series présentera cette année huit nouvelles séries, dont la plus attendue est sans conteste « Better Call Saul », le spin-off de « Breaking Bad », réalisé par Vince Gilligan, autour du personnage de Saul Goodman, l’avocat véreux de Walter White, qu’interprète Bob Odenkirk.Parmi les autres séries, on en compte une en provenance des Etats-Unis, « Bloodline », avec Sissy Spacek et Sam Shephard ; une italienne, « 1992 », avec Stefano Accorsi ; deux allemandes (« Bloching - The Living and the Dead » et « Deutschland 83 ») ; une suédoise (« Blue Eyes ») ; une danoise (« Follow the Money ») et une israélienne (« False Flag »).Pour expliquer cette incursion hors du strict champ du cinéma, le communiqué de presse de la Berlinale souligne le succès phénoménal des séries télé ces dernières années, l’effet d’entraînement qu’il a naturellement sur le marché de l’audiovisuel. Les conditions de développement et de production n’ont plus rien à envier, est-il avancé par ailleurs, à celles qui prévalent dans le cinéma. « Beatlemania », en livres et en films Face cachéeLa face cachée des Beatles (brouilles, finances, jalousies, tragédies…) est à retrouver dans Come Together, de Peter Doggett, qui s’intéresse aussi à l’après-Beatles (Sonatine, 2012). A compléter par les carrières de George Harrison (1943-2001), John Lennon (1940-1980), Paul McCartney et Ringo Starr dans le récent coffret de quatre livres Les Beatles en solo, de Mat Snow (Editions de La Martinière, 2014).Le corpus cinématographique des Beatles est aujourd’hui quasi complètement disponible sur support DVD et Blu-ray. A Hard Day’s Night (1964), de Richard Lester, vient de bénéficier d’une édition restaurée avec des bonus différents d’une précédente édition en 2000 (2 DVD et 1 Blu-ray Carlotta Films). D’abord restauré pour DVD en 2007, Help ! (1965), de Richard Lester, a connu ensuite une édition Blu-ray (2 DVD et 1 Blu-ray Apple Corps Ltd/Capitol). Réalisé par les Beatles avec Bernard Knowles pour la BBC, The Magical Mystery Tour (1967) est ressorti en coffret 1 DVD et 1 Blu-ray en 2012 (Apple Corps Ltd). Le film d’animation Yellow Submarine, de George Dunning (1968) a été largement restauré pour une édition en 2012 (1 DVD et 1 Blu-ray Apple Corps Ltd). Let It Be (1970), film de Michael Lindsay-Hogg, avec notamment l’ultime concert du groupe sur un toit londonien, a connu une éphémère sortie en salles en mai 1970, alors que la séparation des Beatles avait été annoncée à la mi-avril, et n’a toujours pas été publié officiellement sur support DVD ou Blu-ray. A voir aussi The First US Visit, chronique du premier séjour des Beatles aux Etats-Unis en février 1964 (1 DVD Apple Corps Ltd.) avec leurs trois participations au « Ed Sullivan Show » et le concert au Coliseum de Washington. ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* A l’heure où certains festivals qui privilégient les courts-métrages comme le Festival du film de Vendôme se voient contraints de mettre la clé sous la porte pour cause de restrictions budgétaires, d’autres essaient de continuer à promouvoir sur Internet ce format particulièrement propice à l’émergence de nouveaux talents. C’est le cas notamment du Mobile Film Festival qui fêtait cette année ses dix ans d’existence. Il n’a pas dérogé, pour cette 10e édition, à la traditionnelle cérémonie de clôture avec remise des prix en présence d’une partie des membres du jury 2015.C’est dans la grande salle du cinéma L’Arlequin, rue de Rennes (Paris 6e) – qui, comme l’a rappelé Bertrand Cizeau, directeur de la communication de BNP Paribas, l’un des partenaires du festival, a été sauvé en 1962 par Jacques Tati des projets immobiliers de la Ville de Paris qui souhaitait le transformer en centrale électrique – que s’est déroulée, mardi 10 février au soir, cette cérémonie dans une ambiance plutôt bon enfant. La moyenne d’âge du public était jeune à l’image des lauréats et lauréates de la soirée qui avaient presque tous entre vingt et trente ans. Mobile et Nikon Film Festivals : le très court chemin vers la gloire ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* L'acteur français Louis Jourdan est mort L'acteur français Louis Jourdan est mort samedi 14 février à l'âge de 93 ans à Los Angeles. Son biographe officiel, Olivier Minne, également animateur de télévision, a annoncé sa mort, dimanche, en affirmant que l'acteur « incarnait l'élégance française et Hollywood lui a proposé des rôles sur ce registre. » « Il était le dernier french lover d'Hollywood comme l'ont été Maurice Chevalier et Jean Pierre Aumont », a-t-il ajouté. Louis Jourdan est mort samedi de mort naturelle dans sa maison de Beverly Hills. ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* « Timbuktu » pourrait être déprogrammé du Festival de Ouagadougou Le film Timbuktu va-t-il concourir au Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco), au Burkina Faso, qui se tient du 28 février au 7 mars ? La question reste posée alors que la déprogrammation du long-métrage a d'abord été annoncée comme certaine par plusieurs médias. L'hebdomadaire Jeune Afrique a ainsi affirmé que le festival avait bien retiré le film, notamment « en raison du contexte sécuritaire actuel en Afrique de l'Ouest ». La décision aurait même été prise, selon les organisateurs, en accord avec le réalisateur Abderrahmane Sissako – ce que ce dernier a démenti. « C'est céder à la peur, c'est dommage », a insisté le réalisateur sur le plateau du « Grand Journal » de Canal+ mercredi soir. #Timbuktu serait déprogrammé d’un des plus grands festivals de films africains « c’est céder à la peur, c’est dommage » — Le Grand Journal (@GrdJournal) Le président burkinabé Michel Kafando a appelé jeudi les dirigeants du Fespaco à diffuser le film : « Quelque chose qui pourrait m'inciter à aller avec vous dans les salles de cinéma ces jours-ci, c'est si vous me promettez que vous allez diffuser le film “Timbuktu”. Alors, très certainement, je serai avec vous. » Les Césars ont plébiscité, vendredi 20 février, le long-métrage, qui a reçu sept prix dont celui du meilleur film et du meilleur réalisateur. Convention collective du cinéma : comment décrypter la décision du Conseil d’Etat Ce n’est pas vraiment un coup de tonnerre dans le milieu du cinéma français. L’annulation, par le Conseil d’Etat, mardi 24 février, de l’arrêté d’extension de la convention collective de la production cinématographique, était plus ou moins attendue. En effet, la haute juridiction n’a fait que suivre les conclusions de son rapporteur public, Alexandre Lallet, lequel proposait fin janvier d’annuler l’arrêté d’extension au motif que l’un des signataires de ce texte, paraphé le 19 janvier 2012, n’était pas représentatif dans le secteur. La convention collective du cinéma menacée d’annulation Signée en janvier 2012, au terme de sept années de rudes négociations, la convention collective fixe les minima salariaux pour les ouvriers et les techniciens du cinéma, et encadre la durée du travail. Elle a été paraphée par tous les syndicats de salariés, sauf la CFDT, et par la seule organisation patronale, l’Association des producteurs indépendants (API), qui rassemble Pathé, Gaumont, UGC et MK2.Ses opposants, parmi lesquels les producteurs de films à petit budget, de documentaires, etc., estimaient que les nouvelles règles allaient alourdir les budgets des productions et risquaient de compromettre l’existence de tout un pan du cinéma d’auteur. Ils contestaient ensuite la représentativité de l’API, regroupant les seuls « gros » du secteur – et à ce titre capables de supporter la nouvelle grille des salaires.Lire aussi : Films d'auteur : le Conseil d'Etat veilleMais le ministre du travail d’alors, Michel Sapin, avait donné son agrément à ce texte, et l’avait étendu à toute la profession par un arrêté du 1er juillet 2013. Divers syndicats de producteurs (APC, SPI…) avaient alors attaqué cet arrêté devant le Conseil d’Etat.C’est ce recours qu’a examiné la haute juridiction administrative. A l’instar de son rapporteur public, le Conseil d'Etat souligne, dans sa décision du 24 février, que l’API n’est pas représentative du secteur, eu égard au nombre de films produits, au nombre de salariés concernés, etc.Un faible impactPour autant, le Conseil d’Etat ne prononce pas l’annulation de la convention collective elle-même. Par ailleurs, et surtout, le Conseil d’Etat n’a pas pu tenir compte, dans sa décision, de faits intervenus ultérieurement à la date du 1er juillet 2013. En effet, pour tenir compte des films à petit budget, un avenant avait été ajouté au texte initial, ce qui avait permis de rallier à la convention collective, par la suite, la plupart des syndicats de producteurs. Ces derniers s’étaient alors retirés du recours en annulation devant le Conseil d’Etat.L’annulation prononcée le 24 février n’a donc qu'un faible impact, sur un plan pratique. La convention collective du cinéma continue de s’appliquer aux organisations signataires, lesquelles couvrent une grande partie du secteur.Diversité du cinéma françaisMais, symboliquement, les producteurs de films à petit budget ont gagné une bataille. Leur cri d’alerte est enfin reconnu : si elle avait été signée sans avenant, la convention collective du 19 janvier 2012 aurait bel et bien pu porter atteinte à la diversité du cinéma français, laquelle contribue largement à son rayonnement dans le monde.De son côté, dans un communiqué, le 24 février, le gouvernement « prend acte » de la décision et des motifs de la haute juridiction administrative. Mais il rappelle que des faits nouveaux sont « intervenus depuis l’arrêté du 1er juillet 2013, en particulier l’adhésion à la convention de nombreuses organisations professionnelles représentatives dans le secteur ». Et le gouvernement s’apprête à lancer une nouvelle procédure d’extension de la convention collective. « L’arrêté sera publié dans le courant du mois de mars », lit-on dans le communiqué. Surtout, ne pas laisser flotter le vide juridique.Pour l'heure, personne n’élève la voix. Sans doute les professionnels préfèrent-ils faire profil bas dans un contexte économique difficile pour le cinéma français. Cela ne signifie pas que les divisions ont pris fin. Les discussions ne sont pas tout à fait closes, notamment sur la question des films à petit budget. Chacun prépare ses armes pour la suite. Le Conseil d’Etat annule l’extension de la convention collective du cinéma Depuis le 1er juillet 2013, la convention collective du cinéma s’appliquait à toutes les productions cinématographiques, y compris les plus petites. Cette extension a été annulée, mardi 24 février, par le Conseil d’Etat, saisi par plusieurs organisations de producteurs et une organisation de salariés, apprend-on sur le site de la juridiction administrative. Le Conseil d’Etat a estimé qu’il manquait au texte la signature d’une organisation représentative d’employeurs. L’extension de la convention collective avait été signée par les syndicats de salariés (à l’exception de la CFDT) qui demandaient l’application des conditions salariales et de durée du travail des grosses productions à tous les tournages.Dans le camp des opposants, on trouvait les producteurs de films dits « indépendants » ou « d’auteur », à petit budget. Seule une organisation de producteurs, l’API (Association des producteurs indépendants), qui regroupait les groupes Pathé, Gaumont, UGC et MK2 avait signé l’extension.Devant le Conseil d’Etat, le 30 janvier, le commissaire du gouvernement, Alexandre Lallet, en avait demandé l’annulation, estimant que l’API n’était pas une organisation représentative. Bien qu’un avenant à la convention, prévoyant des dérogations pour les films à petit budget, ait été signé dès le 8 octobre 2013, le Conseil d’Etat a suivi les conclusions du rapporteur public. Reste aux professionnels du cinéma et au ministère de la culture à trouver rapidement un terrain d’entente pour combler ce vide juridique. Abonnez-vousà partir de 1 €data-url="http://campus.lemonde.fr/vie-etudiante/article/2015/02/23/un-film-de-fin-d-etudes-francais-selectionne-par-l-academie-des-oscars_4580746_4401467.html" data-title="Un film de fin d'études français sélectionné par l'Académie des Oscars" data-picture="http://s2.lemde.fr/image/2015/02/20/400x300/4580752_7_c876_l-affiche-du-film-sweet-cocoon_47a50a1ab951839955ea39f4de87fb23.jpg" Cinq étudiants fraîchement diplômés de l'Ecole supérieure des métiers artisitiques (ESMA), à Montpellier, ont vu leur court métrage d'animation de fin d'études sélectionné par l'Académie des Oscars, fin janvier. Sweet cocoon ne fait certes pas partie des cinq nominés dans cette catégorie pour la cérémonie des Oscars, dimanche 22 février. Mais ce bijou sans paroles de 6 minutes, sur la métamorphose d'une chenille en papillon, est diffusé avec les nominés depuis plusieurs semaines dans plus de 400 salles de cinéma aux Etats-Unis, avant d'être proposé sur le site shorts.tv, puis sur les plus grandes plateformes de VOD américaines. Ses cinq auteurs, Matéo Bernard, Matthias Bruget, Jonathan Duret, Manon Marco et Quentin Puiraveau se sont envolés pour Los Angeles cette semaine où ils doivent visiter plusieurs studios d'animation. Oscars 2015 : les défenseurs des libertés numériques saluent la victoire de « Citizen Four » « Quand Laura Poitras m'a demandé l'autorisation de filmer nos rencontres, j'étais extrêmement hésitant. Je suis très heureux de l'avoir laissée me convaincre. Le résultat est un film brillant qui mérite les honneurs et la reconnaissance qu'il a reçus. J'espère que cette récompense encouragera davantage de gens à voir le film et à se laisser inspirer par son message : des citoyens ordinaires, lorsqu'ils travaillent ensemble, peuvent changer le monde. » C'est par ce bref message qu'Edward Snowden, l'homme qui a révélé le scandale du système de surveillance de masse de la NSA, a félicité la documentariste Laura Poitras, récompensée par l'Oscar du meilleur documentaire, dans la nuit de dimanche à lundi, pour son film Citizen Four. Citizen Four, dont Le Monde est partenaire, suit le journaliste et juriste Glenn Greewald, depuis sa première rencontre avec Edward Snowden à Hongkong, jusqu'à l'arrivée d'Edward Snowden en Russie – où il est toujours réfugié. La récompense obtenue par le documentaire a été saluée par toutes les grandes organisations de défense des libertés numériques, engagées contre la surveillance de masse, notamment l'American Civil Liberties Union, qui représente M. Snowden aux Etats-Unis. « Nous sommes enchantés de voir Laura Poitras obtenir cette récompense prestigieuse. Citizen Four montre la lutte, sur plusieurs années, contre la surveillance de masse, et la montre avec une véritable histoire humaine. Le travail de Poitras, Snowden, et de Glenn Greenwald a aidé à façonner le débat politique dans le monde entier. Cela méritait au moins un Oscar », écrit de son côté l'Electronic Frontier Foundation, la principale organisation américaine de défense des droits des internautes. Ailleurs dans le monde, la victoire du documentaire a été saluée par des responsables d'Amnesty International ou de la Quadrature du Net. Rafle mexicaine sur des Oscars très politiques Le palmarès de la 87e cérémonie des Oscars, célébrée au Dolby Theatre de Hollywood, le 22 février, est pauvre en surprises. Comme l’avaient prédit bookmakers et pronostiqueurs, Birdman, du réalisateur mexicain Alejandro Gonzalez Iñarritu, a triomphé, remportant quatre trophées (meilleurs film, réalisateur, scénario original et photographie). Une soirée qui marquera les esprits grâce aux discours des lauréats et non par l’originalité des choix de l’Academy of Motion Picture Arts and Sciences, dont les quelque 5 000 membres attribuent les Oscars.Voir aussi le portfolio : Les lauréats de la 87e cérémonie des OscarsChaque film primé a été l’occasion de défendre une cause : égalité hommes-femmes (Boyhood), incarcération des jeunes Afro-Américains (Selma), surveillance généralisée (Citizenfour), discriminations à l’encontre des adolescents gays (Imitation Game), traitement des Mexicains aux Etats-Unis (Birdman). Les sujets de conversation étaient aussi sérieux que les intermèdes musicaux ou comiques qu’a interprétés ou présentés l’animateur Neil Patrick Harris (star de Broadway, connue en France pour son rôle de don Juan dans la série « How I Met Your Mother ») étaient légers, voire insignifiants.Lire aussi : Le compte-rendu de la soirée sur le blog Césars, Oscars & Cie Les comédiens Eddie Redmayne et Julianne Moore, qui incarnaient tous deux des patients atteints respectivement de sclérose latérale amyotrophique (dans Une merveilleuse histoire du temps) et d’un alzheimer précoce (dans Still Alice), sont repartis avec la statuette que leur prédisaient les pronostiqueurs, tout comme leurs collègues seconds rôles Patricia Arquette (Boyhood) et J. K. Simmons (Whiplash).The Grand Budapest Hotel, de Wes Anderson, a remporté quatre Oscars, dans des catégories « au-dessous du titre » (du film sur l’affiche), selon la terminologie hollywoodienne. Les trois premiers récompensaient l’atmosphère propre aux films du réalisateur – maquillage et coiffure, décors, costumes. Le quatrième a permis au compositeur français Alexandre Desplat de remporter enfin un Oscar au bout de huit nominations, dont deux cette année (il doit la seconde à sa partition pour Imitation Game). L’Oscar du meilleur film étranger a été décerné à Ida, du Polonais Pawel Pawlikowski, aux dépens de Timbuktu, d’Abderrahmane Sissako, qui vient de triompher aux Césars. « Timbuktu » et Sissako, grands triomphateurs des Césars 2015 Sans consistance ni drôlerieCôté spectacle, Neil Patrick Harris s’est révélé un hôte gracieux, desservi par des textes sans consistance ni drôlerie. La soirée a été marquée par deux numéros musicaux : d’abord la performance impressionnante de Lady Gaga transformée en reine de Broadway. La diva techno a interprété très classiquement un medley des airs de La Mélodie du bonheur, dont on célèbre le demi-siècle, avant d’être rejointe sur scène par la Maria von Trapp d’origine, Julie Andrews.Un peu plus tard, le chanteur John Legend et le rappeur Common ont été ovationnés après avoir interprété Glory, la chanson (qui a remporté l’Oscar dans sa catégorie) du film Selma, d’Ava DuVernay.Lire aussi le post de blog : Cinq choses à retenir de la cérémonie des OscarsCette évocation d’une campagne, en Alabama, menée par le révérend Martin Luther King, en 1965, a pris une actualité brûlante aux Etats-Unis, avec la série de morts de jeunes Afro-Américains aux mains de la police, ce que les musiciens n’ont pas manqué de rappeler dans leur discours.Egalité des salairesPatricia Arquette a, la première, sorti la soirée de sa torpeur. Distinguée pour un personnage de mère seule qui lutte pour élever ses enfants (dans Boyhood, de Richard Linklater, le grand perdant de la soirée, avec un seul Oscar), elle a appelé, à la fin de son discours de remerciements, à l’égalité des salaires entre hommes et femmes – les actrices n’étant pas mieux loties que les autres.Laura Poitras, la réalisatrice de Citizenfour, Oscar du documentaire, a rappelé que les intrusions gouvernementales dans la vie privée, dénoncées par Edward Snowden, personnage central de son film, sont toujours d’actualité.Imitation Game, qui met en scène Alan Turing, mathématicien, père de l’informatique, victime de persécution antihomosexuelle au Royaume-Uni, où il s’est suicidé en 1954, n’a remporté qu’un Oscar, celui de l’adaptation. Le scénariste du film, Graham Moore, n’a pas manqué cette occasion pour dédier sa récompense aux adolescents « qui ne se sentent pas à leur place », leur enjoignant de « rester bizarre, de rester différent ».Enfin, le grand vainqueur de la soirée, Alejandro Gonzalez Iñarritu – que Sean Penn a présenté en demandant « qui a donné sa carte de séjour à ce fils de pute ? » (un second degré qui n’a pas été perçu par tous les spectateurs) –, s’est d’abord demandé si les autorités n’allaient pas trouver bizarre que l’Oscar du meilleur réalisateur aille deux années de suite à un Mexicain (il est allé en 2014 à Alfonso Cuaron pour Gravity). Plus sérieusement, le réalisateur de Birdman a appelé à un meilleur traitement des immigrés mexicains aux Etats-Unis, et à l’établissement d’un gouvernement « digne [d’eux] » au Mexique.« Birdman » sort le 25 février en France, « Citizenfour » le 4 mars et « Still Alice » le 18 mars. Oscars 2015 : Alexandre Desplat (enfin) récompensé pour la meilleure bande originale Alexandre Desplat a été le seul Français sacré aux Oscars 2015. Il a remporté celui de la meilleure bande originale pour The Grand Budapest Hotel. C'était la huitième nomination de la carrière du compositeur, l'un des plus recherchés de l'industrie du cinéma. « Un Oscar est un Oscar. C'est la plus grande récompense dont un cinéaste peut rêver. Je crois que ça veut tout dire », a dit le lauréat en coulisses. Il a ensuite dit au micro d'Europe 1 : « C'est formidable. Je suis très ému, très heureux, c'est un film fantastique de Wes Anderson, c'est notre troisième film ensemble. C'est fantastique, l'Oscar c'est un Graal que tout filmmaker rêve d'obtenir. Même si on pense toute l'année qu'on a créé la plus belle des musiques, c'est malgré tout une reconnaissance formidable de nos pairs. » C'est le septième Français à remporter un Oscar lié à la musique. Il succède à Maurice Jarre, Michel Legrand ou encore Ludovic Bource, qui avait gagné l'Oscar de la meilleure musique de film pour The Artist en 2012. ************************************************************* Mort de Luise Rainer, 104 ans, deux Oscars Plus que centenaire, ancienne élève du grand homme de théâtre autrichien Max Reinhardt, vedette en Allemagne et star à Hollywood, deux fois lauréate de l’Oscar de la meilleure actrice, l’actrice Luise Rainer est morte d’une pneumonie, à Londres, le mardi 30 décembre. Elle était jusqu’à ce jour la plus ancienne titulaire d’un Oscar, joignant à cette distinction celle d’être l’une des quatre récipiendaires à avoir reçu cette récompense deux années de suite, en 1936 et 1937.Luise Rainer naît le 12 janvier 1910 à Düsseldorf dans une famille de la bourgeoisie juive, qui s’établit bientôt à Vienne. A 16 ans, elle commence son apprentissage du théâtre sous la direction de Max Reinhardt et se produit sur les scènes berlinoises. Elle trouve bientôt le chemin des studios de cinéma. Dans son premier long-métrage, Sehnsucht 202 (1932), une comédie musicale viennoise, elle a pour partenaire Magda Schneider, future mère de Romy. Son physique presque enfantin, son intensité lui valent d’être repérée par un « talent scout » de la Metro Goldwyn Mayer chargé de repérer en Europe les futures Greta Garbo ou Marlene Dietrich.Elle arrive à Hollywood en 1935 et signe un contrat de sept ans avec le studio. Le producteur Irving Thalberg, qui y prend les grandes décisions artistiques, lui confie dès 1936 le rôle d’Anna Held dans Le Grand Ziegfeld, de Robert Z. Leonard, biographie filmée d’un des pères fondateurs du show-business américain, incarné par William Powell. La capacité lacrymale de la jeune comédienne (elle pleure au téléphone, dans une séquence restée fameuse) impressionne les foules et les votants de l’Académie des arts et sciences du cinéma. Ces derniers lui décernent un premier Oscar. Luise Rainer se voit ensuite proposer le rôle d’O-lan, paysanne chinoise, héroïne de La Terre chinoise de Sidney Franklin, adapté d’un best-seller de Pearl Buck. En ces temps où il est tout à fait admis que les départements maquillage s’emploient à brider les yeux de vedettes venues du Kansas ou d’Autriche, sa performance dans ce mélodrame à grand spectacle lui vaut un second Oscar.Triomphe sans lendemainMais ce triomphe est presque sans lendemain. Le reste de la filmographie de Luise Rainer ne compte que six titres, parmi lesquels on distingue La Grande Ville, de Frank Borzage (1937), et Toute la ville danse (1938), biographie de Johann Strauss réalisé par Julien Duvivier pendant son exil hollywoodien. Un peu à la manière de Louise Brooks, qui elle aussi a connu le cinéma des deux côtés de l’Atlantique, la femme aux deux Oscars supporte mal la Californie et ses mœurs.Luise Rainer est rétive au système des studios hollywoodiens, et la mort de Thalberg en 1936 l’a laissée seule face à Louis B. Mayer, patron tyrannique. Elle a d’autre part épousé le dramaturge Clifford Odets. Si ce mariage lui permet de fréquenter l’intelligentsia de gauche du Broadway de l’époque (Elia Kazan, John Garfield…), elle l’éloigne encore plus du cinéma. Après son divorce d’Odets, elle ne tournera plus qu’un film, Otages, de Frank Tuttle, en 1943.On la verra encore parfois sur scène en Europe, après 1945, et à la télévision. Elle est Nina dans une adaptation de La Mouette pour la BBC en 1950 et tient un petit rôle, trente-quatre ans plus tard, dans un épisode de « La Croisière s’amuse ». Luise Rainer vivait à Londres où elle avait célébré son centième anniversaire en compagnie, entre autres, de sir Ian McKellen. L’une de ses dernières apparitions publiques remonte à 2011. La ville de Berlin lui avait consacré une étoile sur son « boulevard des stars ». « Exodus », de Ridley Scott, interdit en Egypte L'Egypte a interdit la projection d'Exodus : Gods and Kings, a confirmé vendredi 26 décembre un porte-parole de la 20th Century Fox. Le studio, propriété du groupe Twenty-First Century Fox, a refusé d'indiquer les motifs de cette interdiction, mais ce n'est pas la première fois qu'un film représentant des figures bibliques est interdit en Egypte. Le film, d'un budget de près de 140 millions de dollars (115 millions d'euros), a déjà été l'objet d'un certain nombre de critiques. On lui reproche notamment la trop grande place faite aux acteurs blancs dans la distribution des rôles et un certain nombre d'anachronismes. « The Interview » : 1 million de dollars de recette dès le premier jour de diffusion The Interview, la comédie sur le dirigeant nord-coréen Kim Jong-un a engrangé 1 million de dollars le jour de sa première, jeudi 25 décembre, aux Etats-Unis, a annoncé vendredi 26 décembre le studio Sony. Quelque 300 cinémas aux Etats-Unis  (« moins de 10 % que prévu », selon Sony) avaient finalement consenti à projeter cette comédie parodique le jour de Noël après avoir renoncé dans un premier temps. Les grandes chaînes de cinéma américaines avaient en effet annoncé la semaine dernière qu'elles ne projetteraient pas le film à la suite des menaces proférées par des hackeurs qui ont revendiqué le piratage des studios Sony. Mardi, Sony était finalement revenu sur sa décision et avait autorisé une sortie limitée dans des cinémas indépendants. Le film était accessible dès mercredi soir, moyennant finance, sur plusieurs plates-formes Internet et un site dédié. « Exodus » interdit au Maroc Exodus : Gods and Kings, le péplum de Ridley Scott inspiré de l’histoire de Moïse, a été « déprogrammé » à la dernière minute des salles de cinéma du Maroc, ont rapporté, jeudi 25 décembre, plusieurs exploitants à la presse. Les exploitants qui avaient programmé le film ont reçu, mercredi, jour de la sortie d’Exodus, un ordre « oral » ou la visite de « délégations du Centre cinématographique marocain » (CCM), leur intimant de le retirer de l’affiche. « Exodus : Gods and Kings » : Moïse noyé sous la démiurgie numérique « Je viens de recevoir des menaces des équipes du CCM [Centre cinématographique marocain, équivalent marocain du CNC, ndlr] si la projection d’Exodus est maintenue », a expliqué Hassan Belkady, directeur du cinéma Rif à Casablanca, au magazine TelQuel. Sur ce même site, un employé du multiplexe Megarama, qui vient de retirer tout le matériel promotionnel sur le film, dit avoir reçu l’ordre de ne pas s’exprimer sur le sujet. L’interdiction du film serait effective sur l’ensemble du territoire marocain.Polémique autour de la traversée de la Mer rougeSollicité par l’AFP, le directeur du CCM, Sarim Fassi-Fihri, n’a pas souhaité s’exprimer sur les raisons justifiant cette déprogrammation, expliquant qu’il s’agit d’une décision de la « commission de contrôle » des films, qui a préféré « saisir le distributeur de sa décision plutôt que de communiquer ». Dans un premier temps, Exodus : Gods and Kings avait reçu le « visa d’exploitation » du CCM, autorisant sa diffusion en salles.Selon le site du quotidien Akhbar al-Yaoum, l’interdiction pourrait être liée à la polémique suscitée dans le monde arabe par le traitement que fait le film de la traversée de la Mer rouge par le peuple juif, qui remet en cause le « miracle de Moïse qui a séparé la mer en deux avec un bâton ».Le péplum de Ridley Scott a d’ailleurs été interdit de diffusion en Egypte, à cause « d’imprécisions historiques et religieuses », rapporte le site égyptien youm7. Il a également fait polémique aux Etats-Unis, sur les réseaux sociaux essentiellement, mais pour des raisons liées à la répartition des rôles entre Blancs et Noirs, les premiers étant choisis pour représenter Moïse et l’entourage du pharaon, les seconds pour les rôles d’esclaves et de voleurs.Au Maroc, les salles de cinéma sont menacées de fermeture à cause de la raréfaction des spectateurs et du piratage des œuvres cinématographiques. Le pays est, en revanche, une terre d’accueil pour le tournage de productions cinématographiques étrangères, dont Kingdom of Heaven (2005), de Ridley Scott, un habitué des tournages au Maroc. En marge du Festival de Marrakech, des cinémas à l’abandon On a vu « The Interview » et on est un peu déçu Seth Rogen a beau rappeler à ses followers sur Twitter qu’on apprécie mieux une comédie en salles que sur son ordinateur, la décision prise par Sony de mettre le film en ligne, après avoir successivement annoncé qu’il ne serait montré nulle part, puis qu’il sortirait dans quelques centaines de cinémas indépendants aux Etats-Unis, devrait attirer du monde sur les sites de téléchargement et de streaming. Le film n’est pas encore sous-titré en français, mais il est visible sur Internet.Malheureusement, il déçoit. Sans doute était-il voué à le faire, tant l’attente à son égard, aiguisée par une invraisemblable crise politique entre les Etats-Unis et la Corée du Nord, et par les menaces de censure qui en ont découlé, était démesurée. S’il était impossible à quiconque d’anticiper l’ampleur de l’affaire, on ne peut s’empêcher toutefois, en voyant le film, de penser que le buzz était en partie recherché. I need to say that a comedy is best viewed in a theater full of people, so if you can, I'd watch it like that. Or call some friends over.— Sethrogen (@Seth Rogen) Une comédie de potesEn tant que producteur, réalisateur, scénariste et acteur du film, Seth Rogen en est le grand ordonnateur, mais cette comédie de potes (« bromance », pour reprendre l’expression américaine) est aussi bien l’œuvre du trio qu’il forme avec Evan Goldberg, son coscénariste, et James Franco, son vieux complice qui partage l’affiche avec lui. A eux trois, ils ont notamment collaboré, chacun à des postes divers, à Délire express (2008) et C’est la fin (2013), des comédies qui ont en commun de muscler la musique régressive et sentimentale des films de Judd Apatow (producteur de la première) par les effets d’une puissance spectaculaire exogène — une drogue surpuissante pour Délire express, un scénario apocalyptique dans C’est la fin —, doublés d’un casting explosif rassemblant, dans leur propre rôle, tout le gratin de la nouvelle comédie américaine, et dans The Interview la Corée du Nord et son leader, Kim Jong-un.Mais d’un film à l’autre, la qualité baisse. L’impression est forte de reconnaître une même recette, exécutée chaque fois avec un peu plus de paresse, que viendraient compenser des effets toujours plus tapageurs. Dans The Interview, James Franco et Seth Rogen, amis depuis qu’ils se sont rencontrés en école de journalisme, sont respectivement un présentateur décérébré et célébrissime de télévision poubelle, et son producteur, qui traverse une crise de conscience (pourquoi est-il tombé si bas alors qu’il avait les moyens de devenir un bon journaliste ?). Lorsqu’ils apprennent que Kim Jong-un adore leur émission, ils décident de partir l’interviewer. La CIA leur met alors le grappin dessus et les mandate pour tuer le leader nord-coréen.Eminem dans son propre rôleLe film commence plutôt bien, avec une interview d’Eminem, dans son propre rôle, qui fait un coming out gay à l’antenne face à un James Franco excellent en journaliste de caniveau heureux de se rouler dans la fange. Mais il évolue vite vers un pudding insipide, où la spécificité de la Corée du Nord sert de prétexte à une crise de couple entre les deux protagonistes (le premier tombe sous le charme de Kim Jong-un, avec qui il partage une même passion pour la chanteuse Katy Perry, le second a un coup de foudre pour la directrice de la propagande, qui subit, comme lui, les caprices de son boss), qui se résoudra, comme il est désormais de notoriété publique, dans le grand feu d’artifice réconciliateur de la mise à mort du tyran. Les références à la culture pop, les blagues scatologiques, l’idiotie des personnages… tous les traits saillants de cette école qu’on a appelée la « nouvelle comédie américaine », et qui commence à sentir le sapin (voir les ratages récents de Nos pires voisins, également avec Seth Rogen, Dumb & Dumber De…), abondent, mais tombent à plat, suscitant au mieux l’ennui, au pire le soupçon de cynisme.Célébration de la liberté d’expressionCar s’ils en viennent à détruire physiquement Kim Jong-un, sous les applaudissements de la CIA et de l’Amérique entière, les deux compères auront obtenu leur véritable victoire dans la scène précédente, lors d’une interview télé où le personnage de James Franco le confronte à ses crimes et à ses mensonges en direct, alors que son peuple le regarde à la télévision, accomplissant ainsi dans un même geste son devoir de journaliste, pour la première fois de sa vie, et la victoire de la démocratie.On imagine mal qu’avec un tel scénario entre les mains, Sony n’ait pas envisagé la possibilité d’une réaction de la part de la Corée du Nord. De ce point de vue, les échos entre la célébration que fait le film de la liberté d’expression, et les centaines de voix de stars, d’exploitants de salle, d’hommes politiques, à commencer par Barack Obama, qui ont résonné de concert pour crier ce même message quand Sony a finalement annoncé que le film serait diffusé, sont quelque peu troublants.Lire aussi la revue de presse : « The Interview » plombé par la critique « The Interview » plombé par la critique Elise Barthet « Tout ça pour ça » ? Disponible sur Internet en VOD et bientôt en salle, The Interview, le film de Seth Rogen menacé de non-diffusion après l'attaque informatique contre Sony Pictures, n'a pas enthousiasmé les critiques. A les lire, les aventures des deux journalistes crétins mandatés par la CIA pour tuer le dictateur nord-coréen Kim Jong-un tiennent moins de la satire politique que de la comédie potache ratée. « On est loin du Dictateur de Chaplin ou même du Team America des créateurs de South Park », autrement plus corrosifs, estime Philippe Berry sur le site 20 minutes. Et si « personne ne s'attendait à du grand art », insiste le Wall Street Journal, la piètre qualité du film est assez « remarquable ». Un temps privé de sortie, The Interview avait pourtant bénéficié d'un large soutien des médias et du public, s'adjugeant, avant visionnage, 96 % d'opinion favorables sur le site d'agrégation de critiques cinéma Rotten Tomatoes. Le taux de satisfaction est nettement plus bas une fois le film diffusé : 50 % des professionnels disent avoir aimé et ils ne sont que 32 % parmi les « top critics » – la « crème de la crème » – à partager cet avis. « BLAGUES NULLES » La palme de la charge dévastatrice revient sans doute à Scott Foundas, de Variety. Pour le journaliste, « la Corée du Nord a eu raison d'objecter : la farce sur l'assassinat de Kim Jong-un signée Seth Rogen et Evan Goldberg est une attaque terroriste en règle... contre le genre comique ». Le film est « aussi drôle qu'une pénurie de nourriture au temps du communisme ». A déconseiller aux spectateurs dotés « d'une tolérance limitée pour les blagues à base de pénétration anale ». Dans le même registre, Slate se montre plus indulgent. « Il faut avouer que les premières minutes sont assez géniales », écrit la journaliste Aisha Harris. « Mais à l'issue de cette ouverture amusante, le film empile des blagues nulles sur les Asiatiques (...) et beaucoup trop de diffusions de Firework, de Katy Perry (dont Kim Jong-un est secrètement fan) ». « Ça m'ennuie de dire ça, mais ce n'est pas la moitié de la satire que ça aurait pu être », regrette la critique du New York Post. La comparaison avec le film d'animation Team America, qui mettait en scène des agents engagés pour faire échouer un complot orchestré par feu Kim Jong-il (le père de l'actuel dirigeant nord-coréen), pèse en effet sur le film. « The Interview a l'épaisseur comique d'un sketch moyen voire médiocre de Saturday Night Live » (une émission comique américaine), tranche le Hollywood Reporter. Les internautes semblent toutefois apprécier le saillie. Sur Twitter, ils sont nombreux à saluer la performance d'Eminem, qui fait une apparition, et celle du duo comique formé par Seth Rogen et James Franco. Tweets sur #TheInterview lang:en Sony Pictures diffuse « The Interview » en ligne Le film américain The Interview, qui n'aurait pas dû sortir en salles à la suite d'une série de menaces par des hackeurs, va désormais aussi être diffusé sur YouTube Movies aux termes d'un accord passé entre les sociétés Google et Sony Pictures, a annoncé le studio qui, la veille, autorisait la sortie du film dans un nombre limité de salles. Selon le site Recode, le studio envisage également de rendre disponible la comédie sur son propre site et sur Google Play. Un groupe de hackeurs, qui a rendu publics des dizaines de milliers de documents internes de Sony Pictures, avait menacé de représailles les salles qui diffuseraient le film. Plusieurs cinémas américains sont revenus sur leur refus de le mettre à l’affiche et le projetteront dès le 25 décembre dans près de 200 salles, comme prévu initialement. Le réalisateur Seth Rogen et l'acteur James Franco ont réagi sur les réseaux sociaux à cette mise en ligne. You wanna watch The Interview?? You can RIGHT FUCKING NOW!! Go to http://t.co/IRhW7juZWn. Thanks Sony for making it happen. Booyah.— Seth Rogen (@Sethrogen) (Vous voulez voir The Interview ? Vous pouvez dès maintenant. Merci Sony d'avoir rendu cela possible.) 🇺🇸Merry X-mas MERICA! 🇺🇸 !!!!!THE INTERVIEW IS LIVE!!!!!! — James Franco (@JamesFrancoTV) (Joyeux Noël l'Amérique. The Interview est en ligne. Regardez-la) LA QUESTION DE LA SÉCURITÉ DES DIFFUSIONS EN LIGNE Le feuilleton a commencé au printemps, quand le gouvernement nord-coréen a lancé ses premières menaces à l’encontre de cette satire dans laquelle deux journalistes américains, joués par Seth Rogen et James Franco, sont mandatés par la CIA pour tuer le dictateur Kim Jong-un. Ont suivi les menaces d’attentat de hackeurs contre des salles qui projetteraient The Interview, poussant Sony à retirer son film. Se défendant de « s’être couché devant les hackeurs », le patron des studios, Michael Lynton, avait alors rétorqué que le retrait des circuits de salles ne lui laissait pas le choix, mais qu’il étudiait des moyens de diffusion alternatifs. Le fait qu'ils aient autorisé la diffusion du film en ligne laisse penser que la sécurité des sites concernés, en cas de cyberattaque, a été amplement vérifiée. Depuis le début de l'affaire, le président américain, Barack Obama, s'est prononcé pour la sortie du film. Washington accuse le régime nord-coréen d'avoir « parrainé » cette cyberattaque, la plus importante jamais recensée sur le sol américain. « L’Interview qui tue ! » finalement diffusé en salles aux Etats-Unis La comédie de Seth Rogen, L’Interview qui tue !, sortira bien le jeudi 25 décembre aux Etats-Unis, comme initialement prévu, ou presque. Le film sera distribué dans plusieurs centaines de salles, mais pas dans les grands circuits qui, mercredi matin, n’étaient pas revenus sur leur refus de le mettre à l’affiche depuis que le groupe de hackeurs Guardians of Peace, qui a rendu publics des dizaines de milliers de documents internes de Sony Pictures, a menacé de représailles les salles qui le diffuseraient.Dans une conférence de presse, le 23 décembre, Michael Lynton, le directeur général de Sony Entertainment, a affirmé : « Nous n’avons jamais renoncé à sortir L’Interview qui tue ! et nous sommes très excités à l’idée que notre film soit montré dans de nombreuses salles le jour de Noël. En même temps, nous poursuivons nos efforts pour nous assurer plus de plateformes de distribution et plus de salles de cinéma, afin de pouvoir atteindre le public le plus large possible. » Barack Obama a « applaudi la décision de Sony », a dit Eric Schultz, porte-parole de la présidence dans un communiqué.C’est le dernier rebondissement d’un feuilleton commencé au printemps, quand le gouvernement nord-coréen a émis ses premières menaces à l’encontre de cette satire dans laquelle deux journalistes américains, joués par Seth Rogen et James Franco, sont mandatés par la CIA pour tuer le dictateur Kim Jong-un. Il marque un énième revirement de la major qui annonçait, il y a une semaine, n’avoir « plus aucun projet pour sortir le film ». Selon CNN, Amy Pascal, Michael Lynton et d’autres cadres dirigeants de Sony auraient alors reçu un mail des hackeurs prenant acte de cette déclaration : « C’est très sage que vous ayez pris la décision d’annuler la sortie de L’Interview qui tue !. (…) Nous vous garantissons la sécurité de vos données, du moins si vous ne créez pas de troubles supplémentaires. » Sous la menace, « The Interview », le film « nord-coréen » de Sony est retiré de milliers de salles Vendredi 19 décembre, lors de sa dernière conférence de presse de l’année, le président Obama avait déploré que les dirigeants de Sony aient cédé aux pressions de ceux qu’il appelle des « cyber-vandals » et dont il assure avoir la conviction qu’ils sont à la solde de la Corée du Nord. « Nous ne pouvons pas avoir une société dans laquelle un dictateur peut commencer à imposer une censure ici aux Etats-Unis », a-t-il déclaré. Moyens de diffusion alternatifsSe défendant de « s’être couché devant les hackeurs », Michael Lynton avait alors rétorqué que le retrait des circuits de salles ne lui laissait pas le choix, mais qu’il étudiait des moyens de diffusion alternatifs, sur Internet notamment. Sa réponse n’a pas plu à Barack Obama, qui, estimant qu’il aurait dû être mis au courant de cette situation, a affirmé qu’il aurait alors lui-même appelé les responsables des circuits pour les pousser à prendre le film. Elle a, par ailleurs, froissé bon nombre d’exploitants qui ont eu le sentiment que Sony se défaussait sur eux.Dans une lettre ouverte postée lundi 22 décembre sur Change.org, Russell Collins, le directeur de l’association d’exploitants de cinéma d’art et d’essai Art House Convergence, a appelé Sony à rendre L’Interview qui tue ! accessible aux cinémas qui souhaitaient le projeter, érigeant le film au rang de nouveau totem de la liberté d’expression et de la résistance à l’oppression : « Nous sommes à un carrefour important, avec une occasion de réaffirmer clairement notre engagement envers la liberté et la nécessité absolue de protéger notre industrie cinématographique contre toute forme de restriction, de censure et d’intimidation par la violence. Nous demandons à nos confrères exploitants, et aux spectateurs, de se mobiliser pour la liberté d’expression et d’expression artistique, qui sont vitales non seulement pour l’industrie du divertissement, mais aussi pour l’art et le commerce mondial. »Comme le rapporte le L.A. Times, de nombreux exploitants se disaient prêts, dès lundi, à diffuser le film, à l’instar de George R.R. Martin, l’auteur de Game of Thrones, qui est aussi propriétaire du cinéma Jean Cocteau à Santa Fe, au Nouveau-Mexique. Déplorant la réaction initiale de Sony, qu’il a qualifiée d’« ahurissante démonstration de lâcheté d’entreprise », George R.R. Martin a affirmé que « des milliers de petites salles indépendantes à travers le pays, comme la mienne, seraient ravies de projeter L’Interview qui tue !, nonobstant les menaces de la Corée du Nord ».Depuis le communiqué de Michael Lynton annonçant la décision de Sony de finalement sortir le film, plusieurs centaines de salles se sont déclarées partantes pour le montrer, après que le Plaza Atlanta, à Atlanta, en Géorgie, ou le réseau Alamo Drafthouse Cinemas, basé à Austin, au Texas, ont fait acte de candidature pour sa diffusion. L’Interview qui tue ! a coûté à 44 millions de dollars (36,13 millions d’euros) à produire, et 35 millions en promotion. Clap de fin pour les studios de Bry-sur-Marne ? On pourrait se croire dans le dépôt d'un prêteur sur gage. Bureaux, chaises, tapis, télévisions, et flippers en tous genres et de toutes époques sont entreposés dans l'un des quatre immenses hangars de décor des studios de Bry-sur-Marne (Val-de-Marne). Si l'on a l'impression d'un immense désordre ; chaque objet est pourtant à sa place. « Lorsque l'on a besoin d'une cabine téléphonique des années 1960 pour un film dont l'intrigue a lieu à cette époque, on vient dans telle allée du "stock" et on est à peu près sûr de trouver ce qu'on cherche », assure Valérie Valero, chef décoratrice et membre du bureau de l'Association des chefs décorateurs de cinéma (ADC). Ces objets accumulés pendant des dizaines d'années par plusieurs centaines de tournages forment une véritable collection d'archives du cinéma français. Des détails de mise en scène qui se retrouvent aujourd'hui dans un entrepôt du Val-de-Marne : la chaise de Peau d'âne, les statues d'un Astérix, ou un rideau de la chambre de Marie-Antoinette dans le film de Sofia Coppola. Un patrimoine pour lequel se battent Valérie Valero, l'ADC et treize autres associations de professionnels du cinéma. Depuis quelques mois, ils font tout pour empêcher la fermeture des studios de Bry-sur-Marne. « Hollywood-sur-Marne » Avec huit plateaux et une surface de 20 000 mètres carrés, ils comptent parmi les plus grands studios de France. Construits par la Société française de production (la SFP) en 1987, à proximité de l'INA, ils ont d'abord servi de studios de télévision, pour des émissions et des fictions. A l'époque, tout est pensé à l'anglo-saxonne, l'ensemble des compétences et des structures nécessaires à l'élaboration d'un tournage est intégré : post-production, décoration, lumière, matériels de fiction, espace de stockage des décors, loges, bureaux, parking, restaurant et bar. Mais en 2001, l'Etat revend le site de 13 hectares au groupe Euro Media, qui promet d'en faire un « Hollywood-sur-Marne ». Onze ans plus tard, en 2012, Euro Media, qui renonce à une partie de ses activités de fiction, revend pourtant le site à l'entreprise Nemoa, un promoteur immobilier, tout en restant locataire des lieux. Un bail dont le terme est fixé au 15 avril 2015, ce qui laisse craindre un sort similaire à celui des studios d'Arpajon, fermés en 2012 par Euro Media. Si la reprise d'activité des studios est mise en péril, c'est surtout à cause d'une clause de non-concurrence présente dans le contrat de vente entre Euro Media et Nemoa. Celle-ci précise que « l'acquéreur s'interdit d'exploiter directement ou indirectement des biens pour toute activité liée directement ou indirectement à l'audiovisuel, y compris studio, cinéma ou à la post-production pendant une durée de huit ans ». « Tout ici a été pensé par les gens du métier » Aucun des 320 salariés d'Euro Media ne devrait être licencié du fait de la probable fermeture – le groupe parle d'un transfert de ses activités dans ses studios de la Plaine Saint-Denis –, mais ce sont les centaines de techniciens et d'artisans intermittents qui craignent de perdre un outil de travail unique, et de voir les tournages partir hors de France. Sur les 20 000 mètres carrés de plateaux, 15 000 sont effectivement des « annexes », c'est-à-dire réservés aux ateliers de construction des décors. Dans un hangar attenant aux plateaux de tournage, l'odeur de sciure et le bruit des meuleuses remplacent les caméras. François Combastel et son équipe travaillent sur la construction des décors d'une série historique. Ce chef constructeur voit en ce lieu quelque chose d'unique, « sans structures équivalentes en France ». Un avis partagé du côté de l'atelier peinture, un endroit spacieux et lumineux qui permet de donner toute leur couleur aux décors, à l'inverse des studios de la Cité du cinéma (construite et inaugurée par Luc Besson en 2012), décrits comme sombres et peu agréables par les ouvriers. « Tout ici a été pensé par des gens du métier, c'est ce qui rend l'endroit si unique et pratique, assure Guy-Michel Morin, peintre décorateur depuis 1969. J'en aurai un peu gros sur le cœur qu'on ferme ces studios, habituellement on ne tient jamais compte des outils des ouvriers, et pour une fois qu'on l'avait fait, on voudrait fermer un si bel endroit. » Polanski et Klapisch engagés contre la fermeture Les lieux auraient besoin d'un sérieux rafraîchissement, les toits fuient par endroit et l'on voit bien que l'entretien n'a pas été fait depuis longtemps sur ces bâtiments datant des années 1980. Des chats errent parmi les ouvriers et les acteurs qui se déplacent d'un plateau à l'autre. Les miaulements n'ont pas fait fuir l'équipe d'Hunger Games, qui est venue y tourner plusieurs scènes du dernier volet de la saga américaine (La révolte, partie 1). François Ozon (Dans la maison) ou Roman Polanski (Carnage) avaient eux aussi dirigé leurs acteurs dans ces hangars. Le réalisateur franco-polonais, signataire de la pétition contre la fermeture des studios, fait d'ailleurs remarquer que l'une des particularités du site reste son « backlot », une rue parisienne fictive permettant de tourner des scènes en extérieur. Unique en France, il en existe aussi dans la Cinecitta de Rome ou dans les studios de Pinewood, près de Londres. Dans une lettre ouverte, Polanski explique : « Si les Studios de Bry-sur-Marne disparaissaient, nous serions obligés de tourner en dehors de la France chaque fois que l'on aurait besoin de faire des constructions en plein air. » La crainte de voir disparaître toutes les particularités offertes par ces studios pour leurs tournages a conduit de nombreux réalisateurs et producteurs à rejoindre le mouvement de mobilisation. L'Association des auteurs réalisateurs et producteurs (ARP) s'est jointe à la pétition signée par quatorze associations. Dante Desarthe, coprésident de l'association avec Michel Hazanavicius, pointe du doigt le côté contre-productif qu'aurait une telle mesure : « On irait à l'encontre de la politique de relocalisation des tournages en France voulue par le gouvernement. » Début décembre, un vote des députés lors du projet de budget rectificatif 2014 a en effet renforcé les crédits d'impôt pour le financement des films tournés en France afin de faire face à la concurrence mondiale et attirer les tournages. Cédric Klapisch, réalisateur de L'Auberge espagnole et de Casse-tête chinois, s'étonne aussi d'une éventuelle fermeture du site de Bry-sur-Marne : « C'est un peu absurde, on cherche toujours des studios pour tourner et j'ai l'impression qu'il y a tellement de demande qu'ils sont toujours tous plus ou moins pleins. » Pour lui, « ces studios font partie des meilleurs studios dont on dispose en France », il y a d'ailleurs tourné les scènes intérieures de l'appartement de Romain Duris dans le film Paris. Des négociations en cours pour trouver un nouvel exploitant L'appel quasi-unanime de la profession semble avoir été entendu par Rudy Marzouk, le gérant de la société Nemoa, qui affirme au Monde avoir lancé des négociations avec Euro Media dans l'objectif de trouver un nouvel exploitant pour les studios de cinéma présents sur le site. Autrement dit, il chercherait à casser la clause de non-concurrence pour relouer les studios à de nouveaux exploitants. « Cela fait des années qu'Euro Media ne fait plus d'entretien là-bas, alors s'il y a des nouveaux exploitants il va y avoir des réhabilitations importantes à faire, lâche l'homme d'affaires, d'un ton assuré. On les fera, parce que le but, c'est de trouver un exploitant qui reste le plus longtemps possible, on ne cherche pas du court terme. » Figure de proue de la mobilisation, le vice-président de l'ADC, Michel Barthélémy, reconnaît le début d'une sortie de crise. Chef décorateur de Jacques Audiard, récompensé par un César du meilleur décor pour Un prophète en 2010, il a mobilisé, avec l'association, les élus locaux et le ministère de la culture pour conserver les studios de Bry. « Les récentes déclarations du propriétaire sont pour nous une vraie avancée par rapport au point de départ, mais on veut être sûrs que ces studios soient entretenus. On espère que le projet de reprise [des studios] ne sera pas juste un maintien de l'activité mais plutôt un développement, avec une vraie ambition d'en faire quelque chose de viable. » En attendant que la coulisse cesse d'être secouée par le bruit des négociations, les studios de Bry-sur-Marne continuent d'accueillir films et séries, qui se tournent tous les jours sur le site, et ce jusqu'à la fin du bail d'Euro Media. Dans les frimas du mois de décembre, ils sont une centaine d'intermittents à s'affairer autour des décors somptueux de la série historique Versailles, produite par Canal +, et dont les deux premiers épisodes seront réalisés par Jalil Lespert. L'équipe reviendra peut-être pour une deuxième saison, si les studios restent sur pied d'ici là. Brice Pedroletti (Pékin, correspondant) La filiale grands magasins du groupe Wanda, l’empire chinois du divertissement et de l’immobilier, a fait des débuts mitigés (– 7 % dans l’après-midi) à la Bourse de Hongkong mardi 23 décembre, lors de sa première cotation, après avoir levé l’équivalent de 3 milliards d’euros lors de son introduction en Bourse la semaine dernière. Le groupe a placé 13 % de son capital.Si l’offre publique de vente – « Initial Public Offering » (IPO) – de Dalian Wanda Commercial Properties est un record pour une société immobilière, elle a été révisée à la baisse : le milliardaire chinois Wang Jianlin, principal actionnaire du groupe Wanda, lancé il y a 26 ans dans la métropole de Dalian, dans le nord-est de la Chine, comptait à l’origine lever l’équivalent de 5 milliards d’euros.Fléchissement de l’immobilierCette déception relative reflète le passage à vide du secteur immobilier en Chine, sur fonds de fléchissement des prix. Tirées vers le bas par l’immobilier résidentiel, les ventes de Dalian Wanda ont baissé de 27 % au premier semestre 2014 par rapport à la même période en 2013. En outre, le groupe Wanda affichait avant l’IPO de sa filiale immobilière un taux d’endettement sur fonds propres de 88 %, contre 53 % il y a moins d’un an. Il devrait aujourd’hui être revenu autour des 60 %.Connu à travers la Chine pour ses 71 « Wanda Plaza », des centres commerciaux de prestige dotés de multiplexes et d’hôtels de luxe, Dalian Wanda Commercial Properties a dans ses cartons 150 projets de ce type. Sa maison mère, le groupe Wanda, s’est également lancée dans une vaste expansion internationale, acquérant en 2012 pour 2,6 milliards de dollars l’exploitant de salles de cinéma américain AMC, ainsi que plusieurs sites immobiliers de prestige à Madrid (Edificio Espana), à Londres et à Beverly Hills. Le groupe a été pressenti pour entrer dans le capital des studios américains Lions Gate Entertainment.Wang Jianlin, qui dispute cette année à Jack Ma, le fondateur d’Alibaba, le titre d’homme le plus riche de Chine, fait partie des patrons chinois les plus hauts en couleur de ces dernières années. Il n’a pas semblé affecté par la chute en 2012 de Bo Xilai, le « prince rouge » condamné pour corruption et dont la ville de Dalian avait été le fief politique au cours des années 1990 et 2000. Au contraire, la bonne fortune de Wang Jianlin semble avoir redoublé : cet ancien militaire, qui commande ses troupes de managers comme s’il s’agissait d’un régiment, semble affectionner les coups médiatiques, malgré un climat politique qui valorise désormais la frugalité et le profil bas.Il s’est porté acquéreur l’an dernier d’un tableau de Picasso pour 28 millions de dollars, et a fait venir en septembre 2013 – à prix d’or – plusieurs stars hollywoodiennes (dont Leonardo DiCaprio) pour son projet de complexe de studios de cinéma dans la ville côtière de Qingdao. Il faut dire que le cinéma semble en meilleure santé que l’immobilier : la filiale cinéma du groupe, Wanda Cinema Line, exploite 1 315 écrans à travers la Chine, soit 14,5 % de part de marché. Elle a d’ailleurs reçu début décembre le feu vert pour une introduction en Bourse en Chine d’ici la fin de l’année. « Timbuktu » en lice pour l'Oscar du meilleur film étranger Neuf films ont été retenus dans la course pour l'Oscar du meilleur film étranger, dont Timbuktu, film franco-mauritanien du réalisateur Abderrahmane Sissako, sur 83 films qui concouraient au départ, a annoncé vendredi 19 décembre l'Academy of Motion Picture Science and Arts. Timbuktu, produit par Sylvie Pialat, co-produit par Arte, Canal + et TV5 Monde, a fait partie de la sélection officielle du dernier festival de Cannes où il a remporté le grand prix oecuménique du jury. Il relate l'invasion de la ville malienne de Tombouctou par un groupe d'islamistes qui y imposent la charia. Le scénario est inspiré de faits réels : Tombouctou a bien été occupé pendant près d'un an en 2012 par Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) et Ansar Dine (Défenseurs de l'islam), avant d'en être délogés par les forces françaises début 2013 au cours de l'opération Serval. « Nous sommes super fiers. C'est la première fois que la Mauritanie proposait un film aux Oscars. C'est magique ! », a déclaré à l'AFP Sylvie Pialat. Elle a également indiqué avoir échangé quelques SMS avec le réalisateur, actuellement en Suisse pour présenter son film, et lui aussi « est très fier ». « Il y a tout le continent derrière », a-t-elle relevé. Tangerines, film estonien de Zara Urushadze, Snow Therapy, film suédois de Ruben Ostlund, Ida (Pawel Pawlikowski, Pologne), Leviathan (Andrey Zvyagintsev, Russie) sont également sélectionnés, et tous les quatre font aussi partie des films retenus pour le Golden Globe du meilleur film étranger. Autre candidat, Wild Tales, de Damián Szifrón, est un film argentin co-produit par le cinéaste espagnol, Pedro Almodovar. Les autres nominés sont Corn Island, de George Ovashvili (Géorgie), Snow Therapy, de Ruben Östlund (Suède), The Liberator d'Alberto Arvelo (Venezuela) et Accused, de Paula van der Oest (Pays-Bas). PROCESSUS EN DEUX TEMPS Cinq finalistes seront annoncés le 15 janvier en même temps que ceux de toutes les autres catégories des Oscars, les prix les plus prestigieux du cinéma américain. La sélection pour l'Oscar du meilleur film étranger, importante pour la carrière américaine et internationale d'un film en langue non anglophone, se fait en deux parties, a expliqué vendredi l'Académie dans son communiqué. Le comité de Phase I, qui comprend plusieurs centaines de membres de l'Académie, visionnent les films soumis entre la mi-octobre et le 15 décembre. 83 pays avaient présenté un film dans la compétition cette année, un record. Le français Saint-Laurent de Bertrand Bonello n'a pas été retenu, pas plus que le belge Deux jours, une nuit, des frères Dardenne. Surprise, le film choc de Cannes cette année, Mommy,réalisé par le prodige canadien Xavier Dolan, n'a pas non plus été choisi alors qu'il était considéré comme l'un des favoris. Ce comité présente six choix, auxquels s'ajoutent trois autres films retenus par le Comité exécutif du prix du meilleur film étranger de l'Académie, afin de constituer la pré-sélection, détaille le communiqué.  Les cinq finalistes vont être sélectionnés par des comités spéciaux à New York, Los Angeles et, pour la première fois, Londres. Les nominations pour les 87èmes Oscars seront annoncées le 15 janvier à Los Angeles. La cérémonie se tiendra le 22 février au Dolby Theatre d'Hollywood et sera retransmise dans 225 pays. Le dernier Oscar du meilleur film étranger a été décerné début 2014 au long-métrage italien La grande bellezza, de Paolo Sorrentino. ************************************************************* « Une heure de tranquilité » : 80 minutes de boulevard, recette traditionnelle L’avis du « Monde »: pourquoi pasEn 1999, Patrice Leconte suggérait que les critiques défavorables aux films sortant le mercredi soient publiées le jeudi suivant. En 2015, il met sa suggestion en pratique. Une heure de tranquillité, en salles depuis le 31 décembre, n’a pas été montré à la presse, ce qui prévient les commentaires négatifs – mais aussi les louanges. Peut-être le metteur en scène de Tandem n’en attendait-il pas.Ce pas très long (1 h 19) métrage est adapté, par l’auteur, d’une pièce de Florian Zeller, créée par Fabrice Luchini en 2013. Un samedi, aux Puces de Clignancourt, Michel Leproux découvre un exemplaire de l’album Me, Myself and I (moi, moi-même et je), enregistré par le clarinettiste fictif Neil Youart (nihil you are, tu n’es rien). De quoi être fixé de suite quant à l’égotisme de ce dentiste qui regagne son appartement haussmannien, décidé à écouter immédiatement ce trente centimètres qu’il cherche depuis des décennies.Ce désir se heurte à celui des autres : sa femme tient à lui révéler une infidélité ancienne, son fils veut installer une famille de sans-papiers philippins dans la chambre de bonne, sa maîtresse veut le quitter, l’ouvrier polonais qui refait la chambre du fond est d’une maladresse catastrophique et l’occupant de l’appartement du dessous est résolu à impliquer le docteur Leproux dans l’organisation de la fête des voisins.L’accumulation frénétique de ces contrariétés procède d’une mécanique boulevardière plus que centenaire. D’ailleurs les machines appelées à la rescousse pour tendre le ressort comique existaient toutes en 1900 : ascenseur, téléphone fixe, canalisation, gramophone. Le scénario a beau y introduire des fragments contemporains (les immigrés clandestins, l’altermondialisme du fils, l’élargissement de l’Europe), la recette est assez traditionnelle pour que le plat servi convienne aux palais les plus conservateurs.Voisin associatifL’interprète principal n’est pas pour rien dans le respect des coutumes ancestrales du rire à la française. Fabrice Luchini n’a pas voulu reprendre à l’écran le personnage du dentiste Leproux. Patrice Leconte et les producteurs Olivier Delbosc et Marc Missonnier se sont retournés vers Christian Clavier. Qui a repris la petite entreprise de production de colères paroxystiques qui fit la fortune de Louis de Funès. A la rage bouillonnante et souvent impuissante de l’interprète du Gendarme, le créateur du rôle de Jacquouille ajoute une fourberie lâche qui flatte le sentiment de supériorité du spectateur. Pendant une heure et quart, Michel Leproux commence chacune de ses répliques par un bégaiement exaspéré, regarde en coin ses interlocuteurs pour jauger leurs réactions. Ce qu’on attendait déjà de maître Verneuil, le notaire de Qu’est-ce qu’on a fait au bon dieu, le dentiste d’Une heure de tranquillité le fournit en abondance.Mais le tabellion était entouré d’une galerie de stéréotypes très détaillés qui servaient à jouer avec le feu des préjugés. Le dentiste, lui, vit dans un monde de silhouettes de papier découpé sans consistance, quel que soit le talent des partenaires de Christian Clavier. Stéphane de Groodt, par exemple, doit se débrouiller avec un rôle de voisin associatif dont on se demande comment il a échoué dans un aussi beau quartier, sans que le scénario apporte un début de réponse. Quitte à faire tourner la mécanique du boulevard, autant y injecter le lubrifiant de la réalité. Comme dans les Bronzés, par exemple.Film français de Patrice Leconte, avec Christian Clavier, Carole Bouquet, Valérie Bonneton, Stéphane de Groodt. (1 h 19).  ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* Rentrée de janvier : tout l’hiver dans les salles Les candidats aux OscarsFoxcatcher, de Bennett Miller (21 janvier)Un millionnaire (Steve Carrell), deux frères champions olympiques de lutte (Channing Tatum et Mark Ruffalo), un fait divers qui force le rire et glace le sang. Cette variation en mode psychotique sur le thème du rêve américain a fasciné le Festival de Cannes en mai 2014.American Sniper, de Clint Eastwood (18 février)Inspiré de la trajectoire sanglante de Chris Kyle, soldat américain qui revendiquait la mort de 265 « hostiles », qu’il avait abattus en Irak, American Sniper devrait permettre à Eastwood de creuser un peu plus le sillon de sa fascination/répulsion à l’égard de la violence qui a construit son pays.Birdman, d’Alejandro Gonzalez Iñarritu (25 février)Des acteurs en surrégime (Michael Keaton, Emma Stone, Edward Norton), un scénario en trompe-l’œil (un acteur déclinant tente d’échapper à un personnage de superhéros en montant sur scène), une mise en scène virtuose… Iñarritu reste fidèle à sa vocation de monsieur Plus du cinéma.Inherent Vice, de Paul Thomas Anderson (4 mars) Le réalisateur et l’interprète de The Master se retrouvent en un autre temps, les années 1970, pour un thriller d’une complication digne du Grand Sommeil, noyé dans une brume de THC. Avec, encore une fois, une partition de Jonny Greenwood.Selma, d’Ava DuVernay (11 mars)Pour mettre en scène cet épisode de la lutte pour les droits civiques qu’a conduite Martin Luther King, Ava DuVernay, réalisatrice afro-américaine, a choisi un interprète britannique d’origine nigériane (David Oyelowo). Aux Etats-Unis, le film a suscité un grand enthousiasme et une énorme polémique historique, autour du rôle qu’il prête au président Lyndon B. Johnson.Big Eyes, de Tim Burton (25 mars)Walter Keane, qui représentait des enfants aux immenses yeux tristes, est un peu à la peinture ce qu’Ed Wood était au cinéma. A ceci près, qu’il avait usurpé l’identité de l’auteur de ses tableaux, sa femme Margaret. Une histoire pour Tim Burton, avec dans les rôles des époux Keane, Christoph Waltz et Amy Adams.Les films venus des festivalsListen Up Philip, d’Alex Ross Perry (21 janvier) – LocarnoPhilip est un romancier insupportable, une créature littéraire et cinématographique qui prend vie grâce à Jason Schwartzman. Mais Alex Ross Perry a aussi pris le soin de peupler son deuxième film de personnages qui n’ont rien de secondaires, incarnés par Jonathan Pryce et Elisabeth Moss.Phoenix, de Christian Petzold (28 janvier) – TorontoUn mélodrame paroxystique, situé dans les ruines de Berlin au lendemain de la victoire des Alliés. La relation entre le metteur en scène et son interprète d’élection, Nina Hoss, se déplace sur le terrain qu’occupaient jadis Josef von Sternberg et Marlene Dietrich.Nuits blanches sur la jetée, de Paul Vecchiali (28 janvier) – LocarnoA 83 ans, le metteur en scène de Femmes femmes a bouleversé le festival suisse avec ce film pour deux acteurs (Astrid Adverbe et Pascal Cervo), inspiré de Dostoïevski.Les Jours d’avant, de Karim Moussaoui (4 février) – AngersEn moins d’une heure, un jeune cinéaste algérien impose un ton, mieux, une musique, avec cette chronique délicate et cruelle des temps qui ont précédé le déclenchement de la guerre civile.Hungry Hearts, de Saverio Costanzo (25 février) – VeniseIls (Adam Driver et Alba Rohrwacher) s’aiment, se marient, ont un enfant. De cette idylle, Saverio Costanzo fait un film de terreur, sans même recourir au fantastique.Les blockbustersCinquante nuances de Grey, de Sam Taylor Johnson (11 février)Bien sûr, la possibilité réelle existe que le film ne vaille pas plus que les romans. Mais une curiosité subsiste : qu’est allée faire une artiste renommée, qui n’avait pas raté ses débuts dans la fiction au cinéma (Nowhere Boy), dans cette galère ?Vincent n’a pas d’écailles, de Thomas Salvador (18 février)La présence de ce premier long-métrage dans la catégorie « blockbusters » relève des vœux de début d’année et repose sur son slogan : « le premier film français de superhéros, garanti sans effets spéciaux numériques ». Comment résister à cette invitation ?Le Dernier Loup, de Jean-Jacques Annaud (25 février)Ce loup vit dans l’Ouest de la Chine, au temps de la Révolution culturelle. Qu’en fera l’homme qui a filmé L’Ours ?Hacker, de Michael Mann (18 mars) Pionnier du tournage en numérique, Michael Mann semble fait pour le monde virtuel. Le metteur en scène du Dernier des Mohicans a chargé Chris Thor Hemsworth de le mettre à feu et à sang. ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* Oscars : « The Grand Budapest Hotel » et « Birdman » font le plein de nominations Deux comédies noires, The Grand Budapest Hotel, de Wes Anderson et Birdman, d’Alejandro Gonzalez Iñarritu dominent les nominations aux Oscars 2015, en concourant chacun dans neuf catégories dont meilleurs film et réalisateur. Ces deux favoris sont talonnés par Boyhood, de Richard Linklater et The Imitation Game, de Morten Tydlum, cités respectivement six et huit fois, eux aussi dans les catégories film et réalisateur.Lire aussi : la critique de The Grand Budapest HotelLire aussi : La Mostra de Venise prend son envol avec « Birdman »Annoncées à Los Angeles, jeudi 15 janvier, les nominations décidées pour chaque catégorie (films en langue étrangère exceptés) par les professionnels américains concernés (les réalisateurs votent pour les réalisateurs, les acteurs pour les acteurs, etc.) ont donc confirmé l’emprise de la génération des quinquagénaires (Iñarritu, Linklater) ou presque (Wes Anderson) sur le cinéma américain « pour adultes ».Lire aussi : la critique de Boyhood Dans la catégorie meilleur film, qui compte huit nommés (contre cinq pour les autres) ont été également distingués, outre The Imitation Game (l’odyssée d’Alan Turing, pionnier de l’informatique), trois films inspirés d’épisodes historiques – Selma, d’Ava DuVernay (la marche des militants menés par Martin Luther King à travers l’Alabama), Une merveilleuse histoire du temps, de James Marsh (la vie privée du physicien Steve Hawking) et American Sniper, de Clint Eastwood (vie et mort du tireur d’élite le plus létal de l’histoire des Etats-Unis) –, ainsi qu’un premier film, Whiplash, de Damian Chazelle. Marion Cotillard dans la catégorie meilleure actriceDevant la caméra, on notera la nomination de Marion Cotillard pour Deux jours, une nuit, des frères Dardenne. Les autres actrices nommées sont Julian Moore (Still Alice), Felicity Jones (Une merveilleuse histoire du temps), Rosamund Pike (Gone Girl) et Reese Witherspoon (Wild).Les acteurs concourant pour l’Oscar du premier rôle sont Bradley Cooper (American Sniper), Steve Carrell (Foxcatcher), Benedict Cumberbatch (The Imitation Game), Michael Keaton (Birdman) et Eddie Redmayne (Une merveilleuse histoire du temps). Boyhood fait le plein des nominations pour les seconds rôles (Patricia Arquette et Ethan Hawke) tout comme Birdman (Emma Stone et Edward Norton). Le seul cinéaste nommé à l’Oscar du réalisateur dont le long-métrage ne concourt pas pour le trophée du meilleur film est Bennett Miller (Foxcatcher). Les films d’animation nommés sont tous anglo-saxons – Les Nouveaux Héros, Les Boxtrolls, Dragons 2, Le Chant de la mer – à l’exception du Conte de la princesse Kaguya, d’Isao Takahata qui sera probablement l’une des dernières productions du studio Ghibli.Le compositeur français Alexandre Desplats reçoit cette année ses septième et huitième nominations pour The Imitation Game et The Grand Budapest Hotel. Parmi les documentaires nommés, on note la présence de Citizen Four, le film que Laura Poitras a tourné pendant l’affaire Snowden.Les films en langue étrangère nommés sont Timbuktu, d’Abderrahmane Sissako (Mauritanie), Leviathan, d’Andreï Zviaguintsev (Russie), Ida, de Pawel Pawlikowski, Mandarines, de Zaza Urushadze (Estonie) et Les Nouveaux Sauvages, de Damian Szifron (Argentine).La cérémonie des Oscars aura lieu dimanche 22 février, elle sera présentée par Neil Patrick Harris.La liste complète des nommés aux Oscars 2015 est disponible sur le site officiel. ************************************************************* Mac OS X  2\xBD\xEFATTR 6\xB2\xEF\x9CS\x9CScom.dropbox.attributesx\x9C\xABVJ)\xCA/Hʯ\x88O\xCB\xCCI\xCDL\x89\xCF\xC9ON\xCCQ\xB2R\xA8V\xCAML\xCE\xC8\xCC\x89%\x96\x94\x81\x85RK\x81 \xA5D7\xB3\xBC2K\xED(\xCFLO\xCB\xE2 \xE3\xD0 ************************************************************* Nuit blanche à OuagadougouSouvenirs brûlants de la révolution, au Tarmac Le chorégraphe burkinabè Serge Aimé Coulibaly (l’un des patronymes les plus répandus d’Afrique de l’Ouest, rappelons-le) a élaboré ce spectacle dans les semaines qui ont précédé l’expulsion du président Blaise Compaoré par son peuple. Ce qui donne un spectacle révolutionnaire, revendicatif, écrit avec le rappeur Smockey Bambara.Le Tarmac, Paris. La fin rêvée de Compaoré « Furtherance »Rituel numérique en l’église Saint-Eustache L’artiste contemporaine Leonora Hamill a fait des vitraux de Saint-Eustache des « split screens » sur lesquels elle projette les images que lui ont inspirées l’église inachevée et ses rituels. Un cerf mystérieux parcourt la nef, des fidèles en prières – un entrelacs hypnotique d’images.Eglise Saint-Eustache, Paris. Horaires de projection modifiés par le niveau actuel du plan Vigipirate : de 16 heures à 19 h 30. « Furtherance », une installation vidéo culte à Saint-Eustache Domaine publicTout est à nous, dans tout Paris Un festival pour fêter la libération de Maillol et de Romain Rolland « Souvenirs de Marnie »Le chant du cygne du Studio GhibliMis en images par Hiromasa Yonebayashi (Arietty, le petit monde des chapardeurs), ce long-métrage intimiste tranche, par sa retenue, avec la profusion graphique et dramatique des grands aînés du Studio Ghibli, qui a produit le film. Il n’empêche que le charme de ces Souvenirs de Marnie (dont l’échec commercial au Japon a sans doute conforté l’intention des fondateurs de fermer le studio) trouve progressivement une intensité qui émeut.Film d’animation japonais d’Hiromasa Yonebayashi avec les voix de Sara Takatsuki, Kasumi Arimura, Nanako Matsushima, Susumu Terajima (1 h 43). « Rajenka ! »Grandeur et charme du petit Cirque Romanès, pelouse de Reuilly Empruntant son nom à une princesse hongroise, le nouveau spectacle du « plus petit cirque du monde » n’en a rien à cirer de la prouesse ou de la performance. Ce que l’on voit : une tribu qui danse sur un fil de fer, joue du saxophone ou du violon, fait voler cerceaux et flambeaux. « Une soirée d’hiver sans hiver », dixit Francis Marmande, qui y était.Cirque Romanès, pelouse de Reuilly. Chez Romanès, la fildefériste a des airs de fée « Platonov »Tchekhov, formidablement vivant à la Colline La peinture d’un monde saisi par la frénésie de l’argent a beau être celle d’un monde lointain – la Russie de la fin du XIXe siècle –, elle résonne fortement avec notre France de 2015. D’autant plus que ce Platonov de la bien nommée compagnie des Possédés est incarné par des acteurs saisis d’une rage de jouer qui emporte le morceau, parmi lesquels Emmanuelle Devos et Rodolphe Dana.Théâtre de la Colline, Paris. Tchekhov au chevet d’une société exsangue Bertrand BelinL’enfant du rock et de Francis Ponge, à Béziers Cet enfant du rock et de Francis Ponge trimballe sans relâche sur les routes ses chansons élégantes et mélancoliques qui l’ont fait comparer à Bashung ou à Dominique A. Mais Bertrand Belin est trop singulier, trop solitaire pour appartenir à une école, à une chapelle. Il revendique un « rapport plastique » à la langue, et se sert des mots comme d’instruments de musique.Théâtre Sortie Ouest, Béziers (Hérault), le samedi 17 janvier à 21 heures.Lire aussi : Bertrand Belin, ciseleur de mots troubles« Les Chaussons rouges »L’histoire de la ballerine, à LyonPendant tout le week-end, l’Institut Lumière propose de découvrir (pour les plus chanceux) ou de revoir le chef-d’œuvre de Michael Powell et Emeric Pressburger (1948). L’histoire de la ballerine qui sacrifie tout à son art a marqué des générations de spectateurs et de cinéastes, au premier rang desquels Martin Scorsese et Francis Ford Coppola.Institut Lumière, Lyon.Lire aussi : Le miracle numérique des « Chaussons rouges »PerahimLa traversée du siècle par un survivant, à Strasbourg Né en Roumanie au moment où éclatait la première guerre mondiale, pourchassé par la Garde de fer et le Parti national-socialiste, muselé par le régime stalinien après 1945, Jules Perahim a réussi à continuer de créer, malgré la mort qui rôdait, la censure qui pesait. A Strasbourg, on peut suivre étape par étape cette course folle d’un artiste aussi déconcertant que passionnant.Musée d’art moderne et contemporain, Strasbourg. Perahim, artiste à éclipses WinograndLe flot d’images du photographe américain, au Jeu de paume Il reste encore trois semaines pour voir les images de Garry Winogrand au Jeu de paume. Pour à la fois se souvenir (l’artiste a photographié les Etats-Unis pendant la seconde moitié du XXe siècle) et découvrir un flot d’images qui refuse le symbole, le commentaire et pourtant donne à voir une société et les êtres qui la composent dans toute sa complexité.Jeu de paume, Paris. Le maire de Villiers-sur-Marne déprogramme, puis reprogramme « Timbuktu » Jacques-Alain Bénisti, le maire (UMP) de Villiers-sur-Marne (Val-de-Marne) corrige le tir. Après avoir annoncé, vendredi 16 janvier, qu’il retirait de l’affiche du cinéma municipal Le Casino, Timbuktu, d’Abderrahmane Sissako, il a déclaré, à midi, que sa projection est simplement repoussée.« Compte tenu des événements, et du fait que Hayat Boumeddiene [la compagne d’Amedy Coulibaly, le responsable de la tuerie de l’Hyper Casher et de l’assassinat de la policière de Montrouge] soit originaire de Villiers, je ne voulais pas que le sujet du film soit dévoyé et que les jeunes puissent prendre comme modèle les djihadistes. Nous allons reprogrammer le film dans une quinzaine de jours, et organiser un débat, avec des responsables de trois grandes religions, des représentants d’associations, et pourquoi pas, s’ils le souhaitent, des membres de l’équipe du film ».« Apologie du terrorisme »Le film, dont M. Bénisti avait d’abord affirmé, dans Le Parisien, qu’il pouvait « faire l’apologie du terrorisme », a été encensé par la presse au Festival de Cannes, où il était en compétition en mai 2014, puis en décembre 2014, au moment de sa sortie. Il figure dans la liste des nommés pour l’Oscar du meilleur film étranger, annoncée jeudi 15. Ode à l’art, à l’amour, à la résistance, il raconte la vie d’un petit village du Nord Mali tombé sous la coupe d’une secte de djihadistes, et se confronte les yeux grand ouverts à la folie meurtrière de ces nouveaux barbares.Lire aussi : la critique de TimbuktuLe rétropédalage du maire de Villiers-sur-Marne fait suite aux protestations, largement relayées par les réseaux sociaux, du chef de l’opposition, Frédéric Massot (PS) : L'affiche de la ville annonçant la déprogrammation de Timbuktu #onattendladiffusionavilliers pic.twitter.com/hZkXYq8gKQ— Frederic Massot (@fredericmassot) January 16, 2015 Joint par téléphone, il expliquait vendredi matin :« Suite aux attentats, nous nous sommes rassemblés à plusieurs reprises. Le maire avait décidé de maintenir ses vœux, avec l’idée, à laquelle j’adhère entièrement, qu’il ne fallait céder sur rien. Lorsque j’ai appris que le film Timbuktu était déprogrammé, j’ai tout de suite exigé qu’il revienne sur cette décision, qui n’est pas une démonstration de courage à l’égard de ce qui nous menace, de ce djihadisme qui menace en premier lieu les musulmans. Or ce film délivre, justement, un message d’union ». Précisant qu’il est fier de l’unité nationale qui se manifeste aujourd’hui, l’élu PS disait regretter « ce genre de gestes qui brisent l’union ».« Un islam tolérant »Jean Labadie, le distributeur du film, se félicite de la décision de la mairie. « La responsable de la communication de la mairie m’a appelé pour me dire que le maire et son équipe vont voir Timbuktu ce week-end. Ils vont bien voir ce que c’est, et ils le reprogrammeront ensuite. C’est une toute petite affaire qui, étant donné les circonstances, gonfle énormément. Ce qui m’importe, c’est que ce film, qui présente un islam tolérant, un islam de paix, soit montré au maximum, et en particulier aux lycéens et aux collégiens ». Timbuktu, dit-il, est déjà passé dans plus de 1 500 villes en France, « sans jamais causer, bien évidemment, le moindre incident ». Jason Schwartzman : « Hollywood m'a toujours paru trop grand » Acteur, scénariste, musicien, Jason Schwartzman est l'enfant chéri du cinéma indépendant américain. A 34 ans, il incarne un écrivain acariâtre dans Listen up Philip, d'Alex Ross Perry. Ce personnage d'écrivain atrabilaire, Philip, est-il très éloigné de vous ? Ce n'est rien de le dire. A tel point qu'en lisant le scénario, j'ai été choqué : « Comment peut-on traiter les gens ainsi ? » Philip prend toutes les mauvaises décisions et dit tout ce qu'il ne faut pas. C'est un personnage qui rappelle, entre autres, celui de Jean dans Nous ne vieillirons pas ensemble, de Maurice Pialat, un récit de disputes et de la lente désintégration d'une passion. D'où vient votre prédisposition à la comédie ? J'ai grandi en regardant les comédies de Steve Martin et Bill Murray, comme SOS Fantômes, Trois Amigos. Nous allions au cinéma le week-end, mes parents nous déposaient et, sur le chemin du retour, chacun rejouait ses scènes préférées. A partir du moment où nous avons eu le câble, j'ai eu accès à des films très bizarres. J'aimais aussi Amadeus, de Milos Forman, où Mozart a les cheveux roses : pour la première fois, un film historique me parlait. En tant que comédien, vous êtes-vous inspiré des idoles de votre enfance ? Il m'arrive de lire des interviews d'acteurs qui disent s'inspirer d'autres comédiens mais ce n'est pas mon cas. D'ailleurs, bien qu'ayant grandi à Los Angeles, ce métier ne m'a jamais fait rêver. Quand j'étais petit, j'allais chez le coiffeur des enfants stars : sur les murs s'étalaient des photos de ces gamins habillés en astronautes ou en cow-boys et je me disais, « ces gars vivent sur une autre planète ». Vous destiniez-vous logiquement à une carrière d'artiste ? Ma mère [l'actrice italienne Talia Shire, Ndlr] regardait beaucoup de films en noir et blanc, mais sa culture cinématographique s'arrêtait à 1972… Adolescent, je suis devenu copain avec un garçon qui organisait un petit ciné-club dans son salon : il montrait des films très atypiques de Ken Russell ou de Neil Young, ce qui m'a sans doute sensibilisé au cinéma. Mais Hollywood m'a toujours paru trop grand, trop impressionnant : je me suis donc plutôt lancé dans la musique [avec son groupe Phantom Planet, Ndlr], que l'on pouvait pratiquer à la maison. C'était une activité plus intime. Je regardais les clips sur MTV, je trouvais que les musiciens étaient les gens les plus cool. Quels rapports entretenez-vous avec Wes Anderson, qui vous a découvert et avec lequel vous travaillez régulièrement ? Wes est mon meilleur ami, mon frère et mon mentor. Nous passons beaucoup de temps ensemble. Il est très cinéphile, c'est un lecteur vorace. Lorsqu'il m'a choisi pour jouer dans son film Rushmore [1998, avec Bill Murray, Ndlr], il avait 28 ans et moi 17. Je l'ai retrouvé à Houston, au Texas, où il m'a montré la série des Antoine Doinel, Les 400 Coups, Baisers volés, de François Truffaut. Jean-Pierre Léaud est resté mon acteur préféré, alors que je ne parle pas français. J'aime son charisme, son langage corporel dans Masculin féminin, de Jean-Luc Godard, et dans La Maman et la Putain, de Jean Eustache. Vous avez coécrit avec votre cousin Roman Coppola une série pour Amazon, « Mozart in the Jungle », un récit initiatique. La musique classique me fascine car je la connais mal, c'est un environnement très intimidant ! Notre série propose une porte d'entrée dans ce monde à travers le point de vue d'une jeune hautboïste. Nous voulions raconter le quotidien des musiciens à notre manière, qui est à la fois réaliste, absurde, et invraisemblable. La musique est-elle toujours votre premier amour ? J'ai eu un enfant récemment, j'ai donc moins de temps à y consacrer. Mais je continue de composer des chansons tous les jours. Cela fait partie de mon quotidien, comme d'autres font la cuisine. Un homme sans qualités Devant la caméra de Fritz Lang, dans Règlement de comptes (The Big Heat, 1953), l'un des derniers grands films américains du réalisateur allemand, une tache. Nommément, Glenn Ford, un comédien sous contrat avec le studio Columbia. Une vedette au rabais allouée aux productions les moins prestigieuses de la compagnie. Un piètre acteur qui avait pourtant trouvé le moyen d'atterrir, à son insu, dans plusieurs chefs-d'œuvre : Gilda, de Charles Vidor, dans un rôle d'homosexuel refoulé, face à Rita Hayworth et son légendaire strip-tease, 3 h 10 pour Yuma, de Delmer Daves et, donc, Règlement de comptes. Le physique même de Glenn Ford participe de ce paradoxe d'un homme sans talent à la carrière hors normes : un nez en trompette, presque porcin et, pourtant, une indéniable allure de beau gosse. Ford accrochait l'œil, alors qu'on aurait dû tourner la tête. D'ailleurs, dans Règlement de comptes, lorsque Gloria Graham lâche au comédien qu'il est à peu près « aussi romantique qu'une paire de menottes », le spectateur ne peut qu'opiner de la tête. Pourtant, Glenn Ford est l'acteur idéal. Il est à ce point sans aspérités qu'il facilite l'identification du spectateur. Pouvoir manipulateur Dans ce film décrivant la collusion entre le chef d'une organisation criminelle, les autorités municipales et la police, Lang prolonge sa réflexion obsessionnelle sur le pouvoir manipulateur. Une démarche qui fait écho à l'Amérique des années 1950. Pas seulement celle du maccarthysme, mais aussi du comité Kefauver, qui avait lancé au Sénat une grande enquête sur le crime organisé. De quoi nourrir la vision paranoïaque d'un pays menacé de contagion par le gangstérisme. Hantise qui complétait celle du fameux péril rouge. Pour décrire un système de corruption généralisée contre lequel un flic en rupture de ban décide de se dresser, seul, le réalisateur s'appuie sur l'iconographie habituelle du genre. Mais l'idée d'un personnage en lutte contre le mal, lancé dans un combat moral et philosophique, place ce film de gangsters du côté de la métaphysique. Il est alors d'autant plus frappant que cette croisade soit menée par ce comédien ordinaire. Fritz Lang prétendait s'identifier à ce rôle : son combat contre la terre entière rappelait au metteur en scène la manière dont il avait dû, en 1933, quitter l'Allemagne nazie du jour au lendemain. En fait, le modèle le plus vraisemblable du réalisateur dans Règlement de comptes serait l'homme de main incarné par Lee Marvin. Notamment la manière dont il balance une tasse de café brûlant au visage de Gloria Graham dans la scène la plus célèbre du film. Loin de l'image d'intellectuel allemand à monocle, Fritz Lang était un cinéaste impulsif. Ses personnages obéissent d'abord à leurs pulsions. Or la violence de Règlement de comptes – dès l'explosion qui coûte la vie à l'épouse de Glenn Ford – relève de l'humeur, du geste énervé, jamais réfléchi, ce qui la rend d'autant plus choquante. Le spectateur a l'impression de recevoir à chaque plan une tasse de café en pleine figure. Deux comédies noires, The Grand Budapest Hotel, de Wes Anderson et Birdman, d’Alejandro Gonzalez Iñarritu dominent les nominations aux Oscars 2015, en concourant chacun dans neuf catégories dont meilleurs film et réalisateur. Ces deux favoris sont talonnés par Boyhood, de Richard Linklater et The Imitation Game, de Morten Tyldum, cités respectivement six et huit fois, eux aussi dans les catégories film et réalisateur.Lire aussi : la critique de The Grand Budapest HotelLire aussi : La Mostra de Venise prend son envol avec « Birdman »Annoncées à Los Angeles, jeudi 15 janvier, les nominations décidées pour chaque catégorie (films en langue étrangère exceptés) par les professionnels américains concernés (les réalisateurs votent pour les réalisateurs, les acteurs pour les acteurs, etc.) ont donc confirmé l’emprise de la génération des quinquagénaires (Iñarritu, Linklater) ou presque (Wes Anderson) sur le cinéma américain « pour adultes ».Lire aussi : la critique de Boyhood Dans la catégorie meilleur film, qui compte huit nommés (contre cinq pour les autres), ont été également distingués, outre The Imitation Game (l’odyssée d’Alan Turing, pionnier de l’informatique), trois films inspirés d’épisodes historiques – Selma, d’Ava DuVernay (la marche des militants menés par Martin Luther King à travers l’Alabama), Une merveilleuse histoire du temps, de James Marsh (la vie privée du physicien Stephen Hawking) et American Sniper, de Clint Eastwood (vie et mort du tireur d’élite le plus létal de l’histoire des Etats-Unis) –, ainsi qu’un premier film, Whiplash, de Damien Chazelle.Lire aussi le post de blog : Les nominations aux Oscars prennent leur distance avec le monde Le seul cinéaste nommé à l’Oscar du réalisateur dont le long-métrage ne concourt pas pour le trophée du meilleur film est Bennett Miller (Foxcatcher). Les films d’animation nommés sont tous anglo-saxons – Les Nouveaux Héros, Les Boxtrolls, Dragons 2, Le Chant de la mer – à l’exception du Conte de la princesse Kaguya, d’Isao Takahata qui sera probablement l’une des dernières productions du Studio Ghibli.Le compositeur français Alexandre Desplat reçoit cette année ses septième et huitième nominations pour The Imitation Game et The Grand Budapest Hotel. Parmi les documentaires nommés, on note la présence de Citizen Four, le film que Laura Poitras a tourné pendant l’affaire Snowden.Les films en langue étrangère nommés sont Timbuktu, d’Abderrahmane Sissako (Mauritanie), Leviathan, d’Andreï Zviaguintsev (Russie), Ida, de Pawel Pawlikowski, Mandarines, de Zaza Urushadze (Estonie) et Les Nouveaux Sauvages, de Damian Szifron (Argentine).La cérémonie des Oscars aura lieu dimanche 22 février, elle sera présentée par Neil Patrick Harris.La liste complète des nommés aux Oscars 2015 est disponible sur le site officiel. ************************************************************* Mac OS X  2\xBD\xEFATTR 6\xD1\xEF\x9CS\x9CScom.dropbox.attributesx\x9C\xABVJ)\xCA/Hʯ\x88O\xCB\xCCI\xCDL\x89\xCF\xC9ON\xCCQ\xB2R\xA8V\xCAML\xCE\xC8\xCC\x89%\x96\x94\x81\x85RK\x81 %S'OS\xD7"#Ss\x93\xA8\xE00ϼ Sss\xC7t[[\xA5\xDA\xDAZ\xB0LJ ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* Mac OS X  2\xBD\xEFATTR 7\xEF\x9CS\x9CScom.dropbox.attributesx\x9C\xABVJ)\xCA/Hʯ\x88O\xCB\xCCI\xCDL\x89\xCF\xC9ON\xCCQ\xB2R\xA8V\xCAML\xCE\xC8\xCC\x89%\x96\x94\x81\x85RK\x81 \xA5\x9C\xD4\xE3\xEDr\xAF\xA2\xAA\xC0\xCC\xE2\xA8 C\xF7\x802\xC3t[[\xA5\xDA\xDAZ\xC8 ************************************************************* ************************************************************* Mac OS X  2\xBD\xEFATTR 78\xEF\x9CS\x9CScom.dropbox.attributesx\x9C\xABVJ)\xCA/Hʯ\x88O\xCB\xCCI\xCDL\x89\xCF\xC9ON\xCCQ\xB2R\xA8V\xCAML\xCE\xC8\xCC\x89%\x96\x94\x81\x85RK\x81 \xA5\xFC"\xDFb_\xD7rǢ"c\xF3\xCC\xC8(\x93\xEC\xE2?/G[[\xA5\xDA\xDAZ\xCE\xE7\xBB ************************************************************* Joint par Le Monde, le cinéaste a choisi de réagir aux attentats par le biais d’un texte accompagné d’images extraites de sa série pour Arte, « P’tit Quinquin ».« C'est au cinéma où tout cela aurait dû se passer. Pourquoi non ? (Pourtant oui !!!)C'est une catastrophe culturelle, une faille, quand le réel devient le théâtre de la violence et de la mort dont les arts auraient été les remparts, tous à l'œuvre de la civilisation.La religion reste la plus haute fiction de l'esprit humain.Seule la culture nous émanciperait. » Joint par Le Monde, le réalisateur de L’Afrance réagit aux attentats.« Je lis les réactions, les articles, les analyses… pertinents parfois… Mais j’ai le sentiment que tout a déjà été dit, mille fois. Et les auteurs des massacres eux-mêmes, bien avant les faits, interviewés, reçus à l’Elysée – pour l’un d’entre eux –, étudiés par des sociologues, des psychiatres… Des bibliothèques entières… Essais, romans, films… 20 ans, 60… Césaire, Baldwin, Fanon… Dénonciations des mécanismes, des mensonges, des valeurs bafouées… Violence du mépris… Une sensation de grande fatigue et d’affliction.Oui, enfin, certains commencent à reconnaître que ces crimes ont été commis par des enfants de ce pays. C’est, je crois, nouveau, nécessaire, et cela peut faire du bien. Mais la ligne d’arrivée semble toujours s’éloigner. Il faut sans cesse prouver, faire amende honorable, et maintenant il le faudra plus encore. Alors que dans le même temps, rien n’est donné. Les petites victoires s’arrachent au prix de longues luttes, et font grincer des dents.Tout a déjà été dit, alors que nous reste-t-il à faire, si ce n’est à essayer de protéger nos enfants des sentiments – justifiés ou non – d’humiliations, d’injustices, de négations, d’amalgames, dont nous savons qu’ils nous détruisent, et détruisent nos familles en premier lieu. Retourner au combat, et les aider à se tourner vers la paix partout où elle se trouve. Leur dire que c’est l’histoire de chacun d’entre nous. Ouvrir…Et croire à nouveau en une capacité d’échange, d’écoute réelle ? Espérons qu’ils n’aient pas trop à fermer les yeux ou à se boucher les oreilles. Et espérons que nous aurons été capables de vaincre notre colère avant de risquer de la leur transmettre. » En réaction aux attentats de Paris, le réalisateur syrien, auteur notamment du film Eau argentée, Syrie autoportrait, nous a envoyé un texte intitulé L’Arche de Noé, accompagné d’images, que nous reproduisons tels quels.« Sans image, on ne peut pas saisir la vérité.La manifestation, le tueur, la violence et la beauté.Des millions d’hommes et de femmes sortent des tripes du moment pour panser les plaies du “talent”.Sans talent, le monde vacille.Le talent individuel est l’aboutissement de la culture, le summum de l’histoire de la culture et de l’intelligence collective.Chaque fois que nous tuons “la question”, nous tuons l’avenir et une part de nous-mêmes.L’homme est le sacré, mais depuis qu’il a mangé son frère l’homme pour survivre et expérimenter, il est en quête de son humanité.Quand on tue la liberté, on tue la vie en soi-même.La vie n’a pas d’âge, même si elle peut être éternelle,Son âge serait sa profondeur, sa diversité et la liberté.Sans sa liberté, la vie deviendrait plate comme une dictature.Comme le paradis dans l’imaginaire de ceux qui ne croient pas à la liberté.Comme une image statique, ses rivières figées et ses femmes sans sourire.Ne pas croire à la liberté c’est être hérétique.La liberté, seul synonyme de la vie, et l’espoir de liberté donne un sens à la vie.La liberté a sublimé l’image de la Syrie en 2011, alors que le tyran, sacre des ténèbres, la considérait comme une hérésie.La liberté, c’est ce qui a poussé les Syriens à sortir de leur maison pour finir exilés dans les contrées les plus lointaines du monde… et à Nation et République.La liberté est la capitale du monde et la Syrie fut la capitale du monde et de la liberté.Nulle nation n’a chanté ce mot autant que les Syriens le 1er juillet 2011…“Que tu es belle liberté” Le 13 avril 2012, des Syriens ont soulevé cette banderole : “Je suis druze, alaouite, sunnite, kurde, ismaélite, chrétien, juif, assyrien. Je suis le révolté syrien et j’en suis fier.” Le 11 janvier 2015, la même banderole, cette fois à la place de la République à Paris.Le régime en Syrie a démoli les fondations de la société, son auto immunité et vidé les rues de sa diversité. Il a émietté les banderoles en fragments de mots isolés qui ne peuvent pas survivre seuls, tel un champ-contre-champ.Champ-contre-champ.À l’image d’un film hollywoodien, à grand budget, Hayat Boumediene, la supposée complice des auteurs du crime de Paris, n’avait aucune chance de se cacher dans la Syrie de cette banderole.Mais voilà, selon ce film de fiction, en ce moment même, elle est peut-être dans la même rue où cette banderole a vu le jour, là où le régime a vidé les lieux de la liberté, elle occupe le vide.Et peut-être elle va tomber sur cette banderole dans une maison bombardée qu’elle occupera… La maison d’un Syrien devenu Charlie à Paris. L’ironie aussi a été la signature des Syriens quand ils ont emprunté le chemin de la liberté.L’ironie était le rire et l’espoir, les questions sur le sacré, le fascisme, l’interdit et sur le Dieu corrompu.… SOS à la FIFA : les stades ont été transformés en prisons, nous réclamons une intervention footballistique. Qu’est-ce un homme sans liberté ; o Mariana ?Comment puis-je t’aimer sans être libreComment t’offrir un cœur que je ne possède pasLorca. Je ne veux pas qu’un obus nous tombe dessus avant d’embrasser ma voisine.Un jeune homme de Deir Ezzour. Nord-est de la Syrie. “Pourquoi pas une femme chrétienne pour la Syrie ?”Les Chrétiens de Daria.Le 11 septembre aurait pu être un virage révolutionnaire, l’image des gens qui sautent des fenêtres des tours fait voir la vérité d’un crime immonde, fait voir le sens de la vie.Les femmes et les hommes qui ont prolongé leur chute libre quelques secondes ont terminé dans nos consciences et nous ont déposé leurs testaments.Le 11 septembre aurait pu bâtir les fondations de la justice, là où les “questions” vaincront le « pouvoir ».Mais l’esprit de vengeance américain a fondé un autre crime.Abou Ghraib n’est pas le fruit du hasard, c’est une culture et un racisme.Il est impossible de saisir la vérité sans l’image.La manifestation de Paris est une révolution d’un peuple.Dans les rues, j’ai vu une Arche de Noé échapper au déluge.La manifestation du 11 janvier 2015 est cette arche de Noé.Noé, c’était la liberté, c’était Charlie.Certains n’arrivaient plus à marcher, d’autres avançaient péniblement vers la République.Et puis j’ai vu une banderole “Je suis syrien, je suis Charlie”.C’était un jeune Syrien réfugié à Paris, qui avait manifesté en Syrie, il a été emprisonné et torturé, il a échappé à la chimie pour retrouver son âme sœur à la manif.Il était excité comme pour un rendez-vous amoureux.Je me suis rappelé de la Syrie, de la tentative des Syriens pour sauver l’histoire par l’image, d’écrire l’histoire par l’image.Les images disent ce que rien d’autre ne peut dire.Première scène :On tire sur un policier blessé devant Charlie Hebdo.Dans le premier plan en haut tout près de l’objectif, il y a une plante sur une terrasse, puis dans le fond en bas… Feu.Même image à la quarantième minute dans mon film Eau argentée.Si le policier avait fait le mort d’emblée, il serait peut-être aujourd’hui vivant.Alors pour quelle raison a-t-il levé sa main ?Est-ce pour demander à Dieu de sauver les autres ?Ou peut-être espérait-il que les tueurs opèrent un retour vers l’humanité ?Peut-être ne voulait-il pas croire ?Ou peut-être avec l’intelligence des prophètes, demandait-il au tueur de l’achever pour protéger les Français musulmans d’une punition raciste collective.Le racisme, tout racisme, est un crime de guerre prémédité. Il n’y a pas de compétition entre les racismes, pas de meilleurs rôles ni de Palme d’or, toute tentative de préférer un racisme à un autre est une hypocrisie qui prépare un futur crime.Tout racisme est crime de guerre. Quoiqu’il soit minime.Le fanatisme ressemble à des cellules aveugles endormies.Seule l’image peut dire, lorsqu’on a remonté les stores du magasin cacher, comment le cadavre est apparu au fur et à mesure.L’image relie le passé à l’avenir et à la peur.Tapis rougeLa manifestation est une révolution et une contre-révolution,Le mot “défilé” m’a transporté dans Fellini Roma et son sublime défilé au Vatican.Défilé du pouvoir et du narcissisme, dont seule l’image témoigne.Que faisait le garde du corps de Netanyahou dans la première rangée avec les présidents des Etats ? Le langage des corps et de l’image assassine la cérémonie de deuil.Quel message visuel ?Imaginez un défilé de gardes du corps…Le garde du corps fait de Netanyahou une victime, vole l’émotion républicaine du moment et perce l’arche de Noé.Quelle ironie ? Est-ce que Netanyahou avait peur que Mahmoud Abbas démontre son talent au Kung Fu ?Qu’il vole vers lui pour arrêter la construction des colonies ?Ou peut-être a-t-il eu peur qu’il l’embrasse de manière à lui faire perdre les élections ?Est-ce qu’une révolution dans un seul pays peut réussir ?Le chauvinisme russe à l’époque du communisme était fier de la supériorité de Lénine, théoricien de la révolution dans un seul pays, sur Marx. Est-ce possible ?Peut-être quelque temps.Les prophètes sont de grands artistes.Les artistes sont de grands prophètes.Et “la question” est Dieu.Rien ne limite l’énergie de Dieu… Rien ne limite les questions.L’hypocrisie est une contre-révolution.Nul n’est censé ignorer que l’injustice prolongée crée la poésie, le désespoir, et la violence.L’injustice est l’usine de la violence.Interpeller l’horrible assassin ne dispense pas d’interpeller l’injustice.La violence est la fondation des tueries et nul n’a le droit d’éprouver la tolérance des humains à la cruauté.“Alléger les cœurs heure après heure, si les cœurs s’épuisent, ils deviennent aveugles à l’amour”, dit le prophète Mohammad.Dans l’espace temporel entre le crime et la manifestation, une violente tempête a balayé le Moyen-Orient…Onze enfants ont péri gelés, comme le tombeau du poète Mahmoud Darwish, qui l’attend toujours dans son petit village. » « Eau argentée, Syrie autoportrait » : requiem pour une révolution défunte Depuis le début de la révolution syrienne, un collectif de résistants, acteurs de la défunte société civile, artistes, universitaires, penseurs, cinéastes, poste à raison d’une vidéo hebdomadaire, chaque vendredi, de petits films en tous points hérétiques sur le site de partage Vimeo. Son nom est Abounaddara.Ces vignettes, qui sont aujourd’hui au nombre de bientôt trois cents, lèvent l’étendard de l’esprit, de la pensée et de l’humour contre la rage des fanatiques de tous bords, contre le spectacle cynique et simplificateur de l’horreur tel qu’il s’exhibe sur les chaînes de télévision ou sur YouTube.Leurs interventions, souvent grinçantes et salutaires, parfois limites, prônent une hygiène morale respectueuse de la complexité des choses, comme en atteste cette récente tribune publiée dans Libération. Voici encore, sous le choc des attentats en France, deux de leurs récentes manifestations. Ce dessin a été posté sur la page Facebook d’Abounaddara, dimanche 11 janvier, jour de la grande manifestation, en signe d’hommage aux dessinateurs de Charlie Hebdo. Cette vidéo a été diffusée, vendredi 16 janvier, sur Vimeo, accompagnée de la phrase suivante : « An eye for an eye will only make the whole world blind ». Elle sample un extrait de l’émission juridique animée par la juge Jeanine Pirro sur la chaîne Fox News, dans lequel, en date du 10 janvier, elle appelle violemment à une croisade contre le terrorisme.Pour Charif Kiwan, porte-parole d’Abounaddara, joint par Le Monde, il s’agit « de mettre les pieds dans le plat et de dénoncer, pendant qu’il en est encore temps, chaque occasion où une communauté de langage se fait jour entre les deux camps. Nous pensons qu’il est de notre devoir de dénoncer cette logique mortifère ». Karim Moussaoui : « Trouver un terrain d’entente » Joint par Le Monde, le jeune cinéaste algérien, auteur du remarquable moyen-métrage Les Jours d’avant (en salles le 4 février), réagit aux attentats de Paris.« Charlie est dans son droit de publier ce qu’il a envie de publier. En tant que citoyen d’un pays musulman, je comprends, je partage l’humour de Charlie. Je ne lui reproche rien.S’agissant de ma responsabilité de cinéaste, j’ai à faire un choix : soit je m’affirme moi-même, et pour moi-même, en tant que créateur et en ce cas, je dis tout ce que j’ai envie de dire – mais avec le risque de rendre une partie de mon discours inaudible, en tout cas pour une bonne partie de mes concitoyens ; soit je fais en sorte que mon discours soit audible de manière à ce que puisse s’instaurer un dialogue avec celui qui le reçoit.Très clairement, mon choix est de veiller à ce que le dialogue avec l’autre soit possible. C’est avec lui, qui est différent de moi, que je parviendrai à trouver à la fois mon humanité et la sienne. Certes, c’est une manière de compromis, mais c’est la seule manière d’arriver à la possibilité d’un dialogue. En Algérie, je suis souvent confronté à ce genre de situation. Essayer de trouver un terrain d’entente qui puisse permettre d’engager le dialogue. » Plasticiens et cinéastes, auteurs notamment des longs-métrages Je veux voir et Lebanese Rocket Society, Joana Hadjithomas et Khalil Joreige ont grandi au Liban et vivent aujourd’hui en France. La guerre, ses traces, la violence politique, sont au cœur de leur travail. Joints par Le Monde, ils réagissent aux attentats.« La tristesse énorme qu’on a ressentie après les attentats, nous la vivons, d’une autre façon, depuis un moment. Cette tristesse est liée à ce qu’il se passe dans notre région, ce que l’on voit aussi au Nigeria et ailleurs… C’est ce moment où il y a cette chose qui explose, terriblement meurtrière… Que faire après ? Que faire de cette déferlante émotionnelle énorme ?Une situation comme celle que nous vivons actuellement permet de repenser toute la société. Tous les mécanismes. Le risque, c’est que, avec le temps, la complexité devienne trop difficile à vivre, que les gens se redéfinissent selon un certain nombre de critères et se réfugient encore plus derrière des appartenances ou des solutions faciles. C’est fatiguant, c’est difficile de vivre dans cet état de questionnement, de doutes, et c’est pourtant nécessaire.Nous n’allons pas faire de traité politique, mais nos images peuvent politiquement réfléchir ce que l’on traverse. L’été où les daeshites ont commencé à égorger des gens au Liban, c’était extrêmement dur. Nous nous sommes dits : “Qu’est-ce qu’on peut opposer à cela ?” Après la guerre de 2006, dans Je veux voir, nous avions opposé à la guerre avec Israël, la possibilité de la fiction. Dans un monde de plus en plus noir, qu’est-ce qui peut te faire tenir ? Ce sont des étincelles, des oasis, au sens où Hannah Arendt parlait d’“oasis dans le désert”. Ces oasis, nous avons pensé que ce pouvaient être la poésie, des œuvres qui induisent une forme d’émotion, de beauté, d’interrogation de soi, de pensée. C’est le sens de la vidéo que nous avons faite, dans le cadre d’une proposition autour des 80 ans de la mort de Constantin Cavafy, qui s’appelle En attendant les barbares.Cavafy est un des plus grands poètes grecs mais il n’a jamais vécu en Grèce. Il a vécu en Égypte à Alexandrie, à une époque où il était beaucoup question de cosmopolitanisme. Une des questions que cela nous pose c’est : comment se référer à une culture sans être défini par des notions de nationalisme, ou de communautarisme. Cette notion de cosmopolitanisme, c’est l’idée de faire partie d’un monde qui est “contemporain”, de partager le même temps, mais pas forcément la même géographie.En se plongeant dans son œuvre, on est tombé sur ce poème, En attendant les barbares, qui nous a semblé très fort, très actuel même s’il prend pour cadre l’empire grec. A l’époque, le barbare n’était pas forcément celui qui était d’une autre ethnie – l’empire rassemblait différentes ethnies. Le barbare, c’est celui avec qui on ne pouvait pas parler, celui qui ne partageait pas la même langue. Cette idée est très intéressante aujourd’hui. Le barbare, c’est celui avec qui tu ne peux pas parler. Tu parles, il ne répond pas à cette parole, il réagit autrement, à un autre niveau. Cette opposition introduit le chaos dans le cosmos, donne naissance à une confusion de temporalités, des soleils multiples.Le poème met en scène l’attente des barbares, tout le monde se prépare à leur arrivée. “Les barbares vont arriver, les barbares vont arriver…”, et finalement il y a quelqu’un qui va aux frontières et qui dit “mais il n’y a pas de barbares…”. Alors ils sont très embêtés. “Qu’est-ce qu’on va devenir sans barbares, c’est gens-là c’était quand même une solution”…C’est au cœur de ce que l’on vit aujourd’hui. Qui sont les barbares ? Ce sont les autres ? Ce que le poème dit, c’est que le barbare n’est pas forcément celui qui est aux frontières. Face à cette situation, il faut un ennemi, et c’est évidemment plus pratique de le trouver hors de soi. Bien sûr, c’est beaucoup plus facile de dire qu’ils ne sont pas nous, qu’on va les tuer, mettre en place une politique de répression à long terme, que de dire : “C’est aussi, quelque part, nous, il y a du barbare en moi.”C’est ce que l’on voit dans l’évolution du cinéma d’horreur où l’ennemi a longtemps été un alien, jusqu’à ce que ce soit nous-mêmes, nos propres morts qui reviennent nous hanter. L’ennemi est de dedans, nous sommes peut-être nos propres ennemis, une société qui génère son propre barbarisme. La grande question, aujourd’hui, ça va être cela : est-ce que les barbares, ce sont les autres, des êtres exogènes, qu’il faut exterminer, ou est-ce qu’il nous faut remettre en question notre société de façon profonde, et nous-mêmes ? » ************************************************************* Acteur, scénariste, musicien, Jason Schwartzman est l'enfant chéri du cinéma indépendant américain. A 34 ans, il incarne un écrivain acariâtre dans Listen Up Philip, d'Alex Ross Perry. ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* Nina Simone, une aura qui ne cesse de croître Vendredi 26 juin, What happened, Miss Simone ?, documentaire de Liz Garbus consacré à Nina Simone (1933-2003), sera diffusé sur Netflix, après avoir été présenté au festival américain Sundance en janvier. Il n’est pas le premier (on se souvient de Madame Nina Simone : La légende, de Frank Lords, en 1992) à dérouler l’histoire de la star afro-américaine, dont l’aura n’a cessé de croître depuis sa mort en 2003. Sûrement parce qu’elle fut une artiste de son temps, et que ces temps, marqués par le clivage communautaire aux Etats-Unis, n’ont pas changé. Une émeute est toujours une émeute, un jeune noir tué par un policier blanc, toujours une victime, et I Put A Spell On you de Screaming Jay Hawkins (1956), une imprécation vaudoue, qu’aucune femme autre que Nina Simone n’aurait pu attaquer avec autant d’autorité.Parmi certains interviewés de What happened, Miss Simone ?, des « compagnons » de musique (Common, Usher, Gregory Porter, Lauryn Hill, Lisa Simone…) ont souhaité enregistrer un Tribute To Nina Simone, Nina Simone Revisited… à paraître le 10 juillet (Sony Music), avec un livret écrit par Angela Davis – Nina Simone lui avait rendu visite un ballon rouge à la main, lorsqu’elle était à la prison de Marin County en 1971. Des titres dévoilés sur Vevo, Feeling Good, interprété par Lauryn Hill, My Baby Just Cares for Me par Usher, ou encore Baltimore par Jazmine Sullivan, laissent des doutes sur la possibilité de réinterpréter Nina Simone, dont le timbre et l’intensité blues étaient totalement singuliers.What happened, Miss Simone ?, version officielle de la vie tourmentée de Nina Simone, a reçu l’aval de ses ayants-droits, et sa fille, Lisa Simone Kelly, également chanteuse, en est la productrice déléguée. Riche de nombreuses archives, et sans concession quant à la vie folle de Miss Simone, selon les spectateurs chanceux de Sundance, le documentaire a été produit par Netflix et RadicalMedia. Il a été bouclé en un an et demi, en partie pour couper l’herbe sous le pied à Nina, un biopic réalisé par Cynthia Mort, dont la préparation, le tournage et la post-production s’étendent depuis 2012. Ses producteurs (dont Jimmy Lovine, le cofondateur du label très rap Interscope) avaient annoncé, fin mai, une possible sortie en salles fin 2015.Ce Nina avait suscité la polémique dès l’annonce du choix pour le rôle titre de Zoé Saldana, actrice américano-dominicaine à la peau claire. D’abord pressentie pour jouer le personnage de Nina la révoltée, la chanteuse Mary J. Blidge avait été écartée, des pétitions, signées. Le scenario a aussi été pris pour cible : Nina mettrait l’accent sur la période sombre de la fin de vie de Nina Simone, bipolaire et abusive, et sur sa relation amoureuse avec son assistant, Clifton Henderson – « Impossible, a rétorqué Lisa Simone, il était gay. »Toute cette agitation parviendra-t-elle à restituer la mesure d’une icône mondiale, artiste jusqu’aux bouts des doigts, jusqu’au bout des contrats signés sur des coins de table ? On lui a reproché d’être noire. Puis d’être star à caprices. Elle voulait être pianiste classique, elle fut chanteuse de blues. Fille de la Caroline du Nord, Nina Simone rêva d’Afrique, mais c’est en vedette américaine qu’elle vécut au Libéria. Voici cinq pistes afin de suivre le fil doré de Nina Simone.Sa ligne de vieCelle d’Eunice Waynon, jeune Noire née en 1933 d’un père barbier et prédicateur méthodiste. Son histoire est celle d’un sacrifice, celui de la jeunesse, passée à l’étude du piano. « Je suis devenue ce que ma mère et Miss Massinovitch [la professeure de piano qui lui donna ses premières leçons dès l’âge de 6 ans], ont voulu que je sois. Je n’ai pas eu le choix. » « Miss Mazzy » enseigne Bach et Beethoven à l’enfant. Plus tard, elle récolte des fonds par voie de presse pour qu’Eunice puisse préparer le concours d’entrée du prestigieux Curtis Institute of Music de Philadelphie. Elle fut recalée. « Je n’en suis pas encore revenue, et je n’en reviendrai jamais. Toutes ces années pour rien. C’est comme si mes professeurs, ma communauté, mes parents m’avaient menti, trahi. » Ses actes de guerreOn aima ses batailles. Celle pour les droits civiques aux Etats-Unis, avec les chansons rebelles qu’elle composa : Young, Gifted and Black (« jeune, doué et Noir »), Mississippi Goddam (pour les quatre enfants noirs morts dans un attentat raciste en Alabama en 1963), Why (pour l’assassinat de Martin Luther King). Comme Kanye West qui l’a samplée dans Blood in the Leave, on aima son interprétation de Strange Fruit, terrible chanson dénonçant les lynchages d’Afro-Américains, créée par Billie Holiday en 1939. On aima ses coiffures en pièce montée, avec pendentifs en faux diams, ses robes filets, ses débardeurs panthères ou ses robes à fleurs de fille du Sud. Et dedans, un corps qu’elle pouvait réveiller diaboliquement.Sa libertéL’industrie du disque n’était pas bien traitée par Nina Simone. En 1967, déjà titulaire de nombreux succès depuis l’album Little Girl Blue enregistré en 1958 chez Bethlehem Records, elle entre chez RCA Records, y enregistre un chef-d’œuvre, Nina Simone Sings The Blues. Sept ans plus tard, elle se fâche avec le prestigieux label, claque la porte et sort en publiant un clairvoyant It Is Finished. Ses voyagesElle avait ses têtes et ses folies. Elle disparut quelque temps aux Barbades pour cause d’embrouilles amoureuses et financières, mais aussi parce qu’elle était persona non grata pour sa participation aux mouvements noirs et pacifistes. En 1974, « écœurée » des Etats-Unis, trahie par son mari, détective et manager, Andrew Stroud, elle se désespère. « L’Amérique que l’on avait voulu construire dans les années 1960, dans le combat pour les droits civiques, n’était plus qu’un mauvais rêve, avec Nixon à la Maison Blanche et la révolution noire transformée en disco. Ma fille de 12 ans, Lisa, et moi étions revenues des West Indies, de Barbados. Je n’avais plus rien. Myriam Makeba [chanteuse sud-africaine, interprète de Pata Pata, exilée aux Etats-Unis et fer de lance de la lutte contre l’apartheid] était dans le secteur. Elle me demande : “Nina, es-tu prête à rentrer à la maison ?” Je lui dis oui. Après avoir réglé quelques affaires, nous sommes parties directement en Afrique. C’est elle qui a choisi le Liberia, car elle y connaissait du monde, elle devait y donner un gala, c’était à l’époque du gouvernement Tolbert. Et puis, c’était un pays riche, plein d’hommes riches… Et elle avait pu deviner que je m’y plairais. De plus, le Liberia était symboliquement important dans l’histoire de l’esclavage » (Le Monde, 25 octobre 1991).Ses coups de têtesPortée sur l’alcool et les paradis artificiels, elle fut lâchée et lâcha tout le monde, entama un chemin de croix solitaire, borné d’humeur et d’envies, de petits escrocs amoureux qui partaient avec la caisse. Elle eut de brusques illuminations mentales qui la faisaient abandonner les salles de concert au désespoir de tous. Elle détestait le rap, « anti-mélodique », et les Etats-Unis. Après s’être éloignée du Libéria, elle s’installe en Suisse, découvre l’Europe, la France du sud, et Georges Brassens. Elle entretient avec son pays natal un attachement d’enfant exploitée. Et râle : « Il est extrêmement difficile d’échapper à la culture américaine, dans le monde entier. Le show-business est encore plus riche là-bas qu’ici. Mais comme le dollar est très fort, je garde la nationalité américaine. Si le dollar chutait, je la leur rendrais. Je voudrais être citoyenne africaine. Etre l’ambassadrice aux Nations unies d’une nation africaine. » L’acte de naissance de Clint Eastwood réalisateur « Un frisson dans la nuit » est un thriller psychologique où l’Américain se révèle en cinéaste (jeudi 25 juin à 20 h 40 sur TCM Cinéma). Réalisé en 1971, cinq ans après Le Bon, la Brute et le Truand qui clôturait sa trilogie de westerns avec Sergio Leone, Un frisson dans la nuit est l’acte de naissance de Clint Eastwood cinéaste.A partir d’un scénario de série B, annonciateur de la vogue des films de femmes psychotiques qui rempliront les salles dans les années 1980, Eastwood réalise ici une œuvre éminemment personnelle, où il casse radicalement son image de mercenaire solitaire pour en dévoiler une autre, beaucoup plus en phase avec ce qui l’anime.Vulnérable, romantique, sensible à la peinture, à la poésie, à la musique, ainsi apparaît Dave, le personnage auquel il prête ses traits de joli cœur. DJ dans une station de jazz locale, installé à Carmel, Californie, il évolue au sein d’une harmonieuse petite communauté multiraciale où il s’est habitué à glisser de lit en lit au gré du désir qu’il inspire sans se forcer. Jusqu’au jour où celle qu’il aime (Tobie) lui échappe.Film de rodageDécidé à la reconquérir et à faire amende honorable, il voit son projet entravé par les assauts répétés d’une auditrice furieusement accrochée à lui (Evelyn) depuis qu’il a passé une nuit avec elle. Tendu par l’opposition classique entre la blonde (Tobie) et la brune (Evelyn), que redouble ici un contraste entre les décors qui leur sont attachés (la nature et la mer pour la première, la ville pour la seconde), le film évolue insensiblement du portrait impressionniste vers le thriller angoissant.Au fil du récit, le rapport au monde de Dave se transforme, passant d’un état passif infantile, ballotté par le désir des autres, à celui de sujet agissant, maître de sa destinée.Film de rodage, Un frisson dans la nuit l’est sans aucun doute. L’art d’Eastwood est loin d’être à son apogée. Mais l’instinct du cinéaste acteur est déjà aiguisé. Il se traduit par un casting parfait, préférant aux stars qu’on voulait lui imposer deux actrices peu connues (Jessica Walter et Donna Mills), qui offrent ici une partition d’une justesse formidable. Le regard est là, surtout, et le style, résolument classique, déjà fluide et élégiaque. La Route de Madison, Million Dollar Baby, Gran Torino, notamment, prennent racine ici.Un frisson dans la nuit, de Clint Eastwood. Avec Clint Eastwood, Jessica Walter, Donna Mills (EU, 1971, 102 min). Jeudi 25 juin à 20 h 40, sur TCM Cinéma. Les liens entre le cinéma et la musique ne se limitent pas à la bande sonore ou à des envolées de violons au moment du premier baiser entre des héros bousculés par leur destin. Le septième art s'est emparé de la musique pour en faire le thème principal de nombre de ses chefs-d'oeuvre. Ce sont ces longs-métrages qui ont mis la musique au centre de l'oeuvre - comme L'Homme aux bras d'or, d'Otto Preminger, ou La Pianiste, de Michael Haneke -, que la collection « Le cinéma du Monde » propose de découvrir dans la série « La musique à l'écran ». Démarrer cette nouvelle saison par Amadeus, de Milos Forman, est une entrée en matière qui s'impose. Réflexion caustique et particulièrement réussie sur la création musicale, Amadeus, sorti en 1984, ne doit pas se voir comme une biographie fidèle et exhaustive du compositeur Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791). Adapté d'une pièce du dramaturge anglais Peter Shaffer, elle-même fortement inspirée d'une nouvelle de l'écrivain russe Alexandre Pouchkine, « Mozart et Salieri », datant de 1830, le film de Milos Forman raconte, du point de vue d'Antonio Salieri (1750-1825), maître de chapelle de l'empereur Joseph II à Vienne, l'explosion du génie du compositeur de La Flûte enchantée et du Requiem. La jalousie de Salieri, musicien moins inspiré que Mozart, dont il va tout faire pour torpiller l'ascension, constitue la trame du film. Huit oscars Il s'agit sans doute d'une invention ne reposant sur aucun fait réel, mais elle permet à Milos Forman de lancer un débat spirituel sur l'artiste et son art, tout en abordant des thèmes présents de façon récurrente dans son oeuvre comme les conflits de génération, l'establishment face à la jeunesse en révolte, la transgression et le mystère de la création. Couronné par huit oscars à sa sortie (meilleur film, réalisateur, scénario, acteur, direction artistique, costumes, maquillage, son), Amadeus, outre l'élégance de sa mise en scène, est une réussite grâce aux éclats de rire hystériques de Tom Hulce en Mozart et, surtout, aux tourments de F. Murray Abraham en Salieri. Décès de l’actrice et chanteuse Magali Noël La comédienne et chanteuse Magali Noël, qui avait tourné avec Jules Dassin, René Clair, Jean Renoir, Henri Decoin, Federico Fellini ou Costa-Gavras et avait été l’interprète de plusieurs textes de Boris Vian, dont Fais-moi mal Johnny, est morte, mardi 23 juin, à Châteauneuf-Grasse (Alpes-Maritimes), à l’âge de 83 ans. Sa fille, Stéphanie Vial-Noël, a précisé dans un communiqué que Magali Noël s’était « éteinte dans son sommeil » dans la maison de retraite où elle vivait. Née le 27 juin 1931 à Izmir (Turquie), Magali-Noëlle Guiffray a fait ses débuts comme chanteuse de cabaret vers l’âge de 16 ans. Elle a appris la danse et le chant durant son enfance et son adolescence. Elle réside dans plusieurs pays, dont l’Allemagne, selon les déplacements de ses parents, qui travaillent dans le corps diplomatique. Installée en France, elle obtient l’un de ses premiers rôles en 1951, auprès de Bourvil, dans le film Seul dans Paris, d’Hervé Bromberger. Elle est aussi aux côtés de Jean Richard et Roger Pierre dans une pochade, Deux de l’escadrille, de Maurice Labro. En 1955, elle enchaîne trois films, des polars, qui vont poser son personnage de brune sexy qui fait chavirer les sens aussi bien des truands que des commissaires : elle est Denise dans Chantage,... L’événement cette semaine est portugais : le premier volume des Mille et Une Nuits de Miguel Gomes, portrait kaléidoscopique de ce petit pays mis à terre par la crise, dont les récits merveilleux vont rythmer la saison estivale.« Les Mille et une nuits », volume I : « L’Inquiet » de Miguel GomesPremier volet de ce grand chant d’amour au peuple portugais qui a électrisé la Quinzaine des réalisateurs en mai dernier, L’Inquiet pose les bases d’un triptyque où le documentaire et la fable sont constamment mis en tension. Passant d’une bande d’apparatchiks qui retrouvent une conscience morale grâce au retour de leur libido à un coq doué de parole qui affronte des villageois en colère, le film s’attarde sur des manifestations de dockers, un concert punk en plein air, des chômeurs qui racontent la misère dans laquelle ils se débattent avant de plonger, le 1er janvier, dans l’eau glacée de l’Atlantique…L’horreur dans l’ordinateur : « Unfriended » de Levan GabriadzeSix adolescents, collés devant leur ordinateur, passent leur soirée à discuter par Skype. Le fantôme d’une de leurs amies, suicidée, tente de les contacter. Ce récit se suit sur un ordinateur, multipliant les fenêtres et les écrans à l’intérieur des écrans, mêlant les images prises par des webcams aux lignes écrites dans des courriers électroniques et autres médias proposés par Internet, mêlant habilement l’épouvante à un principe quasiment expérimental.Mathilde Seigner en mère courage : « Une mère », de Christine CarrièreDans une petite ville de Normandie, une mère rongée par la culpabilité, un fils ado en rupture. S’il rappelle par bien des aspects La Tête haute d’Emmanuelle Bercot, le film mérite qu’on s’y attarde, ne serait-ce que pour la performance de ses deux acteurs, Mathilde Seigner et le jeune Kacey Mottet-Klein.Classique et sans pitié : « Los Olvidados » de Luis Buñuel Réalisé en 1950, ce troisième film de la période mexicaine de Luis Buñuel lui permet de renouer avec une veine réellement personnelle. Nourri d’un gros travail d’enquête de terrain et de documentation sur les enfants miséreux de Mexico, il pousse, comme il sait bien le faire, la dénonciation jusqu’à l’abjection en suivant les agissements du chef d’une bande d’adolescents poussés par la misère aux pires extrémités. Telles qu’il les met en scène, sans une ombre de sentimentalisme, les exactions de cette petite ordure dont il fait un modèle de veulerie et de cruauté, font de Los Olvidados un film à la fois inconfortable et inoubliable. Au Festival du film d’animation d’Annecy, un cru français d’exception La 39e édition du Festival International du Film d’Animation, qui se déroulait à Annecy du 15 au 20 juin, avait choisi de présenter ses hommages aux femmes, à travers une sélection patrimoniale consacrée aux pionnières de l’animation, et à l’Espagne, en un florilège thématique presque exclusivement composé de courts-métrages. Énergique et éclectique, toute hérissée de s’être souvent frottée aux accidents de l’Histoire, cette dernière programmation se sera pourtant plus d’une fois fait voler la vedette par un challenger que l’on n’avait pas vu depuis longtemps en si belle(s) forme(s). Sur les affiches et les écrans, la danseuse de flamenco dont la portugaise Regina Pesso a fait l’emblème du festival appelle bien les spectateurs en Espagne, mais l’édition 2015 du festival garde un goût très français.La France s’est vue récompensée samedi soir du Cristal du long-métrage (Avril et le monde truqué, de Franck Ekinci et Christian Desmares coproduit avec le Canada et la Belgique), et du Cristal pour une production TV (Hello World ! Long-Eared Owl" d’Eric Serre), tandis que Tout en haut du monde, de Rémi Chayé, remportait le Prix du Public. Avec quatre films sélectionnés, elle occupait la moitié de la compétition des longs-métrages : une densité exceptionnelle, due en partie au hasard des cycles de production, mais témoignant indubitablement d’une santé florissante. Se joignant aux grands habitués d’Annecy, comme Folimage qui présentait en séance événement un très beau long-métrage, Phantom Boy, de nombreux studios jusque-là cantonnés aux courts-métrages y ont trouvé l’occasion de passer au grand format. L’an dernier, c’était TeamTO avec Gus – Petit oiseau, grand voyage, beau succès 2014 au box-office français. Cette année, ce sont, pour ne citer qu’eux, Je suis bien content et Sacrebleu films qui, proposant respectivement Avril et le monde truqué et Tout en haut du monde, font chacun un coup de maître de leur coup d’essai.Des résidences d’artistes« 2015 aura été l’année des longs-métrages français » résume Marcel Jean, le délégué artistique du Festival, rappelant que cette émergence de nouveaux joueurs, qu’il juge « extrêmement stimulante » s’observe également dans la production des courts. Un dynamisme exceptionnel, né de la rencontre fructueuse d’excellentes écoles d’animation et d’un système de financement et de production efficace. Résidences d’artistes (l’abbaye de Fontevraud), aides à l’écriture ou à la production se multiplient et se développent tandis que le CNC continue d’affirmer son soutien à l’animation française. Chris Meledandri, président d’Illumination Entertainement, présente le CNC comme un acteur majeur dans le développement fulgurant de sa filiale française, Illumination McGuff. « Le CNC et le gouvernement français ont su saisir lorsqu’elle s’est présentée l’opportunité de devenir aussi compétitifs que le Canada ou l’Australie » souligne sa coproductrice Janet Healy. L’histoire est belle et, en temps de crise, sonne singulièrement bien.On s’étonnera peut-être, au vu de cette vitalité du cinéma d’animation français, de ce que presque aucun des films qu’il a produits ne nous fasse voir la France. Il semble plus que jamais saisi de désirs voyageurs, auxquels le petit film-annonce imaginé par le studio français Ankama fait directement écho : mettant en scène le célèbre lapin qui tient lieu de mascotte au Festival, il déploie sur des rythmes espagnols un univers multicolore inspiré du manga japonais.Un imaginaire tourmentéLa France animée des longs-métrages parvient à être ailleurs même lorsqu’elle semble s’en tenir aux limites de l’hexagone. Imaginé avec le créateur de bande-dessinée Jacques Tardi, dont l’imaginaire tourmenté trouve enfin ses lettres de noblesse au cinéma, Avril et le monde truqué, de Franck Ekinci et Christian Desmares, se situe bien en France, mais dans un Paris steampunk couvert de suie, bloqué à l’ère de la machine à vapeur et de l’Empire post-napoléonien. Quant au superbe Adama, de Simon Rouby, qui avec son assemblage virtuose de collages, sculptures et liquides magnétiques est peut-être la proposition artistique la plus aboutie de tout le festival, il escorte un jeune garçon d’Afrique de l’Ouest dans l’enfer de Verdun, que l’enfant serait bien incapable de localiser sur une carte : la seule fois où Adama entend le nom de « France », c’est dans les hurlements inarticulés des poilus chargeant l’invisible ennemi.Tandis que les célèbres Minions d’Illumination McGuff, signés par le duo franco-américain Pierre Coffin et Kyle Balda, créatures jaunes qui peuplaient les deux films Moi, moche et méchant, partent à la conquête de la couronne d’Angleterre, l’enfant-fantôme de Folimage lutte dans le New York des grands malfrats de cinéma contre la maladie trop ordinaire qui le ronge. Le poétique Mune, d’Alexandre Heboyan et Benoît Philippon, déployant dans une grande variété d’effets de texture et de volumes le potentiel immense de l’animation par ordinateur, veille sur la lune dans une planète cousine de la Pandora imaginée par James Cameron pour Avatar. La jeune héroïne russe de Tout en haut du Monde s’embarque pour le Pôle Nord, le temps d’une aventure aussi grandiose que son trait semble simple, qui rappellera aux nostalgiques de Jules Verne les grandes heures du Capitaine Hatteras.Une énergie créativeLe voyage animé réussit tant à la France que pour la première fois dans son histoire, le Festival d’Annecy mettra pour sa quarantième et prochaine édition l’hexagone à l’honneur. « J’ai décidé de profiter du fait que j’étais moi-même un étranger, explique le canadien Marcel Jean, donc en mesure de poser sur la France un regard extérieur. Ainsi, pour l’an prochain, c’est à un groupe de programmateurs venus d’un peu partout dans le monde que nous allons demander de porter leur regard sur sa production. » Déployant son énergie créative débordante en traits et techniques aussi variés que ses destinations, la France animée de 2015 a embrassé le monde, et l’on est impatient de voir le monde l’embrasser à son tour.  Noémie Luciani (Annecy) L’actrice italienne Laura Antonelli est morte L’actrice italienne Laura Antonelli, célèbre pour son rôle dans Malizia et ex-compagne de l’acteur français Jean-Paul Belmondo, a été retrouvée morte lundi 22 juin à son domicile de Ladispoli, non loin de Rome, où elle vivait recluse depuis plusieurs années, ont annoncé les médias. Les causes du décès de Laura Antonelli, 73 ans, n’ont pas été communiquées.« C'est avec une profonde tristesse que je viens d'apprendre le décès de Laura Antonelli. Laura fut pour moi avant tout une compagne adorable, au charme exceptionnel », a réagi Jean-Paul Belmondo dans une déclaration écrite à l'AFP. « Elle fut également une partenaire de grande qualité que tout le monde appréciait sur les plateaux. Je ne veux garder d'elle que ces merveilleux souvenirs », a ajouté l'acteur qui partagea la vie de Laura Antonelli entre 1972 et 1980.« La plus belle femme de l’univers »Laura Antonelli était née le 28 novembre 1941 dans la ville de Pula, en Croatie, qui s’appelait à l’époque Pola et faisait partie de l’Italie. L’actrice était surtout connue pour ses rôles sexy dans les comédies érotiques italiennes tournées à la fin des années 1960 et dans les années 1970, comme La Révolution sexuelle, en 1968. C’est le film Malizia, de Salvatore Samperi, tourné en 1973, qui la rendit célèbre.Elle travailla par la suite avec de grands noms du cinéma italien, Dino Risi, Ettore Scola, Luigi Comencini (Mon Dieu, comment suis-je tombée si bas ?, en 1974), ou encore Luchino Visconti (L’Innocent, en 1976), qui voyait en elle « la plus belle femme de l’univers ».Elle avait rencontré Jean-Paul Belmondo sur le tournage des Mariés de l’an II de Jean-Paul Rappeneau, à une époque où elle vivait à Paris et tournait plusieurs films avec des metteurs en scène français, dont Claude Chabrol.Sa carrière s’était achevée dans les années 1980 avec plusieurs interventions de chirurgie esthétique qui échouèrent et des problèmes judiciaires en raison de plusieurs dizaines de grammes de cocaïne trouvés dans sa villa à l’époque. Elle s’était alors retirée du monde, pétrie de dévotion religieuse, vivant dans la misère. Pourquoi autant d’adolescents de Palo Alto se suicident En cette matinée du lundi 9 mars, comme tous les matins, Ryan Reed, 17 ans, se rend à son lycée de Palo Alto à vélo. En franchissant le passage à niveau du Caltrain, le train qui longe son école et relie San Francisco, au nord, à Gilroy, au sud, coupant à travers la Silicon Valley, il remarque des caméras de télévision et des voitures de police le long des voies. Le train roule à vitesse réduite, ce qui n’est pas normal en heure de pointe. Lorsqu’il arrive à l’école, il comprend immédiatement qu’un drame vient de se produire. Un élève de son lycée s’est suicidé quelques heures plus tôt, en se jetant sous le train. Dans les couloirs, « des étudiants en pleurs sont en train de se faire consoler par des professeurs et leurs amis. La scène est horrible, surréaliste », décrit Ryan Reed.Cette scène, les lycéens de Palo Alto l’ont vécue trop de fois. Qingyao Zhu, l’adolescent de 15 ans qui a mis fin à ses jours au petit matin du 9 mars est le deuxième lycéen de la ville à s’être suicidé cette année. Dans une vidéo réalisée en sa mémoire et postée sur YouTube, un ancien camarade de classe le décrit comme « un garçon discret qui travaillait dur à l’école, mais aimait s’amuser. Il aimait entre autres le football, les dessins animés et les Pokémon. » La vidéo compile des images de « Byron », son surnom, en train de jouer au foot pour son équipe des Palo Alto 99B White : « J’espère que cela va montrer que tu n’étais pas simplement une autre victime, mais une personne à part entière avec un cœur, une famille et des amis. Merci pour tout Byron. Perdu mais pas oublié. »En six mois, ce sont quatre élèves des deux lycées publics de la ville, Palo Alto High School (surnommé « Paly ») et Gunn High School (ou Gunn), qui se sont donné la mort. En six ans, ce chiffre s’élève à onze, dont cinq entre mai 2009 et janvier 2010. Dans près de 90 % des cas, les adolescents se sont jetés sous le Caltrain. Sans parler des tentatives qui n’ont pas abouti : rien qu’entre août 2014 et avril 2015, 52 élèves du lycée Gunn ont dû être hospitalisés ou placés sous traitement du fait de « sérieuses idées suicidaires ». Derrière le vernis doré de Palo Alto, berceau de la Silicon Valley où vit l’élite de la société américaine, se cache une sombre réalité : celle d’une ville où le suicide d’un adolescent est trop souvent réduit à un simple numéro. Les suicides « sont presque devenus une routine », commente Danielle, élève à Paly. « Je sais comment chacun de mes professeurs va réagir lorsque cela se produit, et je trouve cela tragique. »« Nuage toxique »La presse locale puis nationale s’est largement fait l’écho de ces drames, tentant de les expliquer. Qu’est-ce qui pousse un adolescent à mettre fin à ses jours ? Qu’est-ce qui pousse onze adolescents de la même communauté à décider que la vie ne vaut plus d’être vécue ? Chacun y va de sa propre interprétation : les uns blâment la pression académique, les autres fustigent les parents, ou bien les professeurs, les derniers rappelant que certains de ces élèves souffraient de maladies mentales. La vérité, comme souvent, est plus complexe, chaque cas est particulier. « Le suicide est un acte extrême, qui se produit très rarement. Il est très difficile de comprendre pourquoi quelqu’un se suicide. La réalité, c’est qu’on a beaucoup de mal à comprendre pourquoi une personne va se suicider, alors qu’une autre, qui présente les mêmes facteurs de risques n’empruntera jamais cette voie », explique Anna Mueller, sociologue spécialiste du suicide chez les adolescents.Lire l'entretien avec les sociologues Anna Mueller et Seth Abrutyn : « Savoir qu’un ami a fait une tentative de suicide bouleverse le monde d’un adolescent » A Palo Alto, le débat s’est rapidement focalisé sur la pression scolaire. De nombreux adolescents et parents de la ville de 66 000 habitants ont dénoncé les trop longues heures de devoirs après les journées de classe, les examens qui s’enchaînent et le culte de la performance. Ces quinze dernières années, « un nuage toxique s’est formé au-dessus de l’école, rendant la vie au lycée difficile », analyse Marc Vincenti, ancien professeur d’anglais à Gunn aujourd’hui à la retraite et à l’origine, avec une lycéenne de la ville, d’un projet qui veut changer le système scolaire. Savethe2008 (« Sauvez les 2 008 », en référence au nombre d’élèves et professeurs de Gunn), s’attaque en six points aux sources du « nuage » auquel il fait référence : du trop-plein de devoirs à l’effet nocif des téléphones portables, en passant par la tricherie omniprésente (certains parents sont prêts à tout pour que leurs enfants soient les meilleurs, même à payer des professeurs particuliers, en général des étudiants, afin qu’ils écrivent leurs dissertations). Marc Vincenti présente ses propositions depuis huit mois au comité municipal chargé de l’éducation. A ce jour, il n’a eu aucun retour.Du côté de l’administration, Ken Dauber admet que les changements dans le système éducatif tardent à se mettre en place. Des réformes réclamées à la suite de la vague de suicide de 2009 commencent à peine à voir le jour, et ce en partie en raison de la deuxième vague de suicides de cette année. « Nous avons augmenté les budgets alloués à la santé mentale dans nos établissements, ajouté des conseillers à la disposition des élèves, interdit les heures de classe commençant trop tôt », détaille ce salarié de Google de 52 ans, membre du comité municipal pour l’éducation, qui vit à Palo Alto depuis quatorze ans. Avant cela, les journées de cours pouvaient commencer à 7 h 20 au lieu de 8 h 25. « La question des devoirs à la maison est désormais prioritaire, et pas seulement à cause des suicides. Les études montrent que trop de devoirs n’aident pas à l’apprentissage. Tout comme d’autres recherches montrent que les classes commençant trop tôt le matin ne sont pas bénéfiques : les élèves ont besoin de dormir ! » Au-delà de la seule question de la pression scolaire, les récentes tragédies ont mis en lumière un déséquilibre plus global. « J’ai adoré grandir à Palo Alto, mais j’aimerais que certains aspects puissent être améliorés. Les gens devraient se focaliser davantage sur leur bien-être actuel, plutôt que futur. L’argent ne devrait pas être la seule mesure du succès », raconte Natalie Snyder, qui s’apprête à entrer en dernière année de lycée à Paly.Reproduction de l’excellenceIci, comme dans beaucoup de communautés similaires à travers le pays, les parents ont été éduqués dans les écoles les plus prestigieuses, lesquelles leur ont donné accès à des carrières brillantes leur permettant de maintenir à un niveau de vie élevé ou d’y accéder, et ils veulent que leurs enfants reproduisent ce parcours. Or, d’excellents résultats académiques ne suffisent pas. Pour accéder aux universités les plus réputées (comme Stanford, Yale, Harvard ou Berkeley), il faut aussi être le meilleur de son équipe de foot, jouer parfaitement d’un instrument, faire du bénévolat... Ces établissements recherchent un élève excellent au profil original.Les lycéens accumulent donc les activités extrascolaires afin d’améliorer leur dossier de candidature. Beaucoup mettent d’ailleurs en place une véritable stratégie : « Entre 15 et 18 ans, tout ce que tu fais est motivé par l’université », résume Theo Zaharias. A 18 ans, il s’apprête à boucler ses années lycée et à entrer à l’université George Washington, sur la côte est, dont il arbore fièrement le sweat-shirt blanc frappé de lettres bleues. Bon élève, il pense que le brevet de pilote d’avion qu’il a passé en parallèle de son cursus scolaire a largement contribué à lui faire gagner sa place dans cette université privée. De son côté, Carolyn Walworth, 17 ans, travaille depuis qu’elle a 14 ans à temps partiel dans un cabinet d’avocat, en plus de son emploi du temps de lycéenne, des cours de niveau universitaire qu’elle suit et de son activité de représentante des élèves de Palo Alto auprès de la municipalité. « Je pensais que commencer à travailler dès cet âge-là me permettrait de me différencier des autres étudiants », confie-t-elle à la terrasse d’un café en face de Paly. A son arrivée en première année de lycée, elle n’avait qu’un seul objectif en tête : entrer à Stanford, situé de l’autre côté de la route. « C’était la seule école qui allait me rendre heureuse. » Aujourd’hui, elle a revu ses ambitions, mais son stress n’a pas diminué. Elle avoue craquer nerveusement « environ une fois par semaine » : « J’ai parfois le sentiment d’être en échec parce que je n’arrive pas à tenir le rythme, alors que j’ai l’impression que les autres élèves y arrivent. A Palo Alto, on passe notre temps à essayer d’être meilleur que les autres. » Au lieu de le passer à grandir.« Réduits à notre bulletin de notes »Adam Strassberg, psychiatre et père de deux enfants scolarisés à Palo Alto, observe que la culture de la compétition est telle que les enfants ne sont pas habitués à s’écouter : « Ce que je vois, c’est qu’il y a de plus en plus de travail scolaire, de plus en plus d’activités extrascolaires et de moins en moins de temps libre pour se relaxer, socialiser et se développer dans d’autres directions. » Florence de Bretagne vit à Palo Alto depuis dix ans avec son mari et ses deux enfants. Cette ancienne parisienne ne tarit pas d’éloges sur la mentalité américaine. Ici, « tout est possible », assure-t-elle. En revanche, cette artiste peintre dont le mari travaille dans la high-tech n’adhère pas totalement au mode de vie de la Silicon Valley. « En tant que maman, je reste assez française dans mon éducation. Ici, vouloir le meilleur pour ses enfants passe par le fait de vouloir contrôler beaucoup de choses. Je pense qu’on ne laisse pas suffisamment aux enfants le temps d’être insouciants, de vivre dans l’instant présent. »Et Palo Alto n’est pas une exception. Ces dernières années, beaucoup de communautés similaires, où les adolescents sont promis à des carrières brillantes et très lucratives, ont traversé les mêmes drames. Dans la banlieue de Washington DC, la capitale des Etats-Unis, trois élèves se sont suicidés entre septembre et novembre 2014 ; au Massachusetts Institute of Technology (MIT), six étudiants se sont donné la mort ces quatorze derniers mois. « Le problème ne vient pas de notre communauté, mais plutôt du “culte de l’université”, qui nous réduit à un bulletin de notes », estime Ariya Momeny, 17 ans, élève à Paly.Ryan Reed continue d’aller au lycée à vélo, et à franchir tous les matins le passage à niveau du Caltrain. Selon lui, combattre les suicides passe par une remise en question « complète » du culte de l’excellence qui règne à Palo Alto. Enfin, presque, car l'excellence est aussi une fierté... « Placer haut la barre est une bonne chose – c’est ce qui fait de Paly et Gunn des établissements exceptionnels, avec de si brillants étudiants. Les parents et les professeurs doivent continuer à encourager les élèves, sans les briser. » Pourtant, est-il possible d’améliorer le bien-être des lycéens sans changer le système ? C’est la question à laquelle est confronté ce microcosme qui hésite à se réformer en profondeur, tant que ses enfants continuent à aller à Stanford. Le suicide est la troisième cause de mortalité chez les adolescents américains Le suicide est la troisième cause de mortalité aux Etats-Unis pour les 10-24 ans, après les accidents au sens large et les meurtres. Il est la cause d’environ 4 600 décès chez les jeunes chaque année. En 2013, le taux de suicide chez les 10-24 ans était de 10,9 pour 100 000 aux Etats-Unis.A titre de comparaison, le suicide est la deuxième cause de mortalité chez les adolescents français, derrière les accidents de la route. Mais il est néanmoins près de deux fois moins fréquent qu’aux Etats-Unis (à noter que le segment français ne prend pas en compte les 10-14 ans) : en 2011 le taux de suicide chez les 15-24 ans était de 6,4 pour 100 000, selon l’Inserm. Sur les 10 524 morts par suicide en France cette année-là, 508 avaient moins de 24 ans. Arnaud Aubry Elvire Camus (Palo Alto, envoyée spéciale) Automne français pour Martin Scorsese à la Cinémathèque et au Festival Lumière Si Martin Scorsese connaît bien Paris (après tout, il y a tourné Hugo Cabret), il n’est jamais allé à Lyon. Le 14 octobre, il sera dans la capitale de la République française pour l’inauguration de l’exposition et de la rétrospective que lui consacre la Cinémathèque. Deux jours plus tard, dans la capitale des Gaules pour y recevoir le prix Lumière lors du festival du même nom dont la septième édition aura lieu du 12 au 17 octobre. Les précédents lauréats du prix Lumière ont été Quentin Tarantino et Pedro Almodovar.Dans un communiqué diffusé par l’Institut Lumière, qui organise le festival, l’auteur de Taxi Driver explique : « Ce que signifie le Festival Lumière est très important. Et il représente beaucoup pour moi. Je suis fier d’y être invité et de recevoir le prix Lumière. » Martin Scorsese est le prototype du cinéaste cinéphile et a traduit sa connaissance encyclopédique de son art à la fois en documentaires (ses Voyages à travers les cinémas américain et italien) et en actions concrètes. Après s’être attaché à la préservation et à la restauration du patrimoine américain avec la Film Foundation, il a fondé, avec Thierry Frémaux (délégué général du Festival de Cannes, directeur de l’Institut Lumière, lyonnais) et Gian Luca Farinelli (directeur de la cinémathèque de Bologne), la World Cinema Foundation qui se consacre à la préservation de films de cinématographies africaines, asiatiques ou d’Europe de l’Est.Histoire d’une cinéphilieDu 14 octobre au 14 février 2016, la Cinémathèque accueillera une exposition conçue à l’origine par la Deutsche Kinemathek de Berlin. Elle réunit des photographies, des storyboards et des documents qui retracent à la fois le parcours du cinéaste, entamé à la New York University au début des années 1960, et l’histoire d’une cinéphilie presque pathologique, née au long d’après-midis passés au cinéma en compagnie de Catherine Scorsese, mère du cinéaste, interprète de certains de ses films.Mais selon toute probabilité, ce n’est ni rue de Bercy ni à Lyon que l’on découvrira Silence, le dernier long-métrage de Scorsese, dont le tournage vient de s’achever à Taïwan. Inspiré d’un roman de Shusaku Endo, le film relate les tribulations de deux jésuites au Japon lorsque le régime impérial décréta l’interdiction du christianisme. Sa sortie est prévue pour 2016. De JR à Francis Lalanne, quand le recours au crowdfunding passe mal Un projet, une plateforme de financement participatif, des internautes mécènes à convaincre : le principe du crowdfunding est simple, ouvert à tous les domaines et à tout un chacun... Même à ceux qu’on n’attendait pas là, c’est-à-dire des artistes confirmés ou de grandes institutions culturelles. Or, pour ces têtes d’affiche venues faire appel à la générosité des particuliers pour des projets « à la marge », l’exercice se fait vite périlleux, avec le risque de récolter au passage sarcasmes et coups de gueule.Quand JR et Agnès Varda ont besoin des « gens » pour partir « en goguette »Agnès Varda aime les portraits et les regards collés par JR sur les murs du monde entier ; JR aime les documentaires et l’œil d’Agnès Varda. Ces deux-là se sont rencontrés, ils se sont appréciés et ils ont eu envie de travailler ensemble. Maintenant, tout de suite. Leur idée est de partir sillonner le Lubéron cet été avec le camion photographique du premier à la rencontre des « gens du cru », dit la seconde. « Gens » dont ils tireront des portraits photographiques grand format afin d’« illuminer les murs des petits villages », tandis que la cinéaste les filmera et les fera parler de leur vie. Bref, un croisement entre le projet de JR « Inside Out », et le film d’Agnès Varda, Les Glaneurs et la Glaneuse.Pourquoi diable l’improbable duo ne trouve-t-il pas des financements ou des mécènes dans leurs réseaux pour leur tocade estivale ? C’est ce qu’on se demande en regardant la présentation vidéo faite sur le site de crowdfunding KissKissBankBank par l’icône du cinéma français, qui recevait en mai à Cannes une Palme d’or pour l’ensemble de sa carrière, et le prolifique street artiste, qui enchaîne les projets internationaux. Perle de candeur et de maladresse (ou, selon le regard que l’on y porte, de condescendance et de démagogie), la petite vidéo répond en partie à cette question :JR : « Ce qu’on a envie, c’est que ce soit pas une marque, ou un autre financier qui soit derrière, mais que ce soit les gens… Agnès Varda : …On veut bien des financiers, mais on les a pas trouvés ! - Oui, mais on veut pas de logo… Donc on s’est dit : qu’est-ce qui nous reste ? Les gens. Les gens, c’est bien, c’est tout le monde. - Si les gens ont beaucoup d’argent, ils deviennent des financiers. - C’est vrai. - S’ils n’en ont pas beaucoup, ils deviennent des amis. »Pour leurs futurs amis et/ou financiers, ils se sont également fendus d’une sympathique présentation écrite agrémentée de photos. On y voit les deux stars se retrouver à New York avec Robert De Niro, ou expliquer qu’ils n’ont pas choisi le Lubéron par hasard pour leur road movie. La fille d’Agnès y loue en effet une « maison de famille » au Silencio, le club parisien conçu par David Lynch, qui y ouvrira un hôtel éphémère et arty pour l’été, et leur offrira « le gîte et le couvert ».Dans une fiche plus technique, on apprend aussi qu’ils ont déjà obtenu des financements (« télévision, CNC, aide de la région »). Ainsi, sur les 300 000 euros nécessaires in fine à leur projet de documentaire de 26 minutes, il ne leur manque que les 50 000 euros de liquidités demandés sur la plateforme, somme qui doit payer « une partie des premières dépenses ». Parmi celles-ci, dans un inventaire à la Prévert agrémenté de blagounettes : « l’hébergement de l’équipe technique dans le Lubéron » (comprendre hors de la maison de famille reconvertie en résidence branchée), et « les salaires et les charges sociales pour une équipe de techniciens compétents à tous les stades de la production (du conducteur du camion photographique au mixeur de tous les sons) ».Cet appel au mécénat du peuple est raillé (dans Libé, sur Rue89 ou les réseaux sociaux). Voir deux stars impatientes de s’amuser comme des fous en s’intéressant aux petites gens (mais aussi à elles-mêmes en train de le faire : « JR : Moi je veux photographier Agnès en train de filmer / Agnès Varda : Moi je veux filmer JR en train de photographier ! ») et réclamer à des anonymes de payer la charge de leurs techniciens, suscite un malaise. Ce qui n’empêche pas l’argent d’entrer : en moins d’une semaine, 29 480 euros ont déjà été collectés, soit 60 % de la somme demandée.Quand la méthode du Théâtre de l’Odéon est pointée du doigtLe 14 avril, dans une longue tribune publiée sur Mediapart, près de quarante artistes du théâtre public, comédiens et metteurs en scène, dénonçaient la campagne de mécénat participatif lancée par le Théâtre de l’Odéon auprès du public pour financer une initiative d’action culturelle auprès de collégiens scolarisés en réseau d’éducation prioritaire (REP).Les signataires déplorent que l’opération, inédite, soit le signe d’un « désengagement » de l’Etat dans le domaine : « L’Odéon met en place une plateforme de paiement, développe tout un argumentaire, réalise un film de promotion et engage des sommes substantielles afin de faire financer par d’autres ses obligations en termes d’éducation artistique et d’accès à la culture… Tout ceci nous alerte et nous choque. Profondément. »Les artistes jugent cet appel à la générosité publique « funeste et indécent » car la somme réclamée, 30 000 euros, « rapportée aux 17,6 millions d’euros du budget 2013 de l’Odéon, est dérisoire ». Ils relèvent, par ailleurs, que l’argumentaire est « condescendant » envers les publics qui doivent bénéficier de l’action, voire « obscène », dans la façon dont la défiscalisation des dons y est mise en avant.Luc Bondy, le directeur du théâtre, n’a pas renoncé à cet appel aux dons, comme les artistes l’enjoignaient à le faire. L’opération est plutôt un succès, puisque la moitié de l’argent a déjà été promis, ce qui doit permettre de financer le projet pendant un an.Quand Francis Lalanne veut aller à la rencontre des peuples en chantantUne autre star est candidate au financement participatif cet été : Francis Lalanne. La démarche est moins étonnante de la part d’un chanteur qui n’occupe plus le devant de la scène que celle du duo JR-Varda, mais l’effet n’en est que plus pathétique. Le contraste est violent, en effet, entre la grandiloquence de l’artiste et l’échec annoncé. Le « Francis Lalanne – Cyber Tour » n’a pour l’instant récolté que 2 800 euros sur les 30 000 escomptés (soit moins de 10 %), toujours sur KissKissBankBank.La description du projet ne semble pas encore avoir mobilisé les bonnes âmes : « Tour du monde culturel, artistique et humaniste : Francis Lalanne (artiste auteur compositeur atypique fort d’humanité reconnu en France) décide d’en faire son chemin de vie allant auprès des minorités humaines non connectées à ce nouveau monde afin d’y rencontrer leurs artistes et immortaliser l’art du dialogue et des langues au travers du chant qui se mélangeront entre les cultures tout en respectant l'art et la manière des traditions. » Ce projet vidéo est destiné à une diffusion sur un site Internet dédié, qui promet un cyber-concert chaque mois depuis sept lieux reculés du monde, afin de « montrer à notre monde connecté les valeurs de l’histoire de notre langage encore très actuel chez ces minorités, ainsi que d’apporter aux tribus l’art et la tradition musicale de notre monde connecté. » Si vous n’avez pas tout compris, Francis le dit autrement : « Le temps est venu de faire émerger la confiance en l’autre à la surface de la conscience collective, afin de préparer les chemins de l’amour. » A votre bon cœur ! Chaque mercredi, la rédaction vous propose ses choix de sorties cinéma. Cette semaine, il est beaucoup question d’adolescence.Retour au sommet pour le studio Pixar : « Vice-Versa », de Pete DocterLa nouvelle production de Pixar, le célèbre studio californien qui a transformé le visage de l’animation en troquant les crayons contre des ordinateurs, met en scène de manière aussi profonde qu’inventive les émotions d’une préadolescente, incarnées à l’écran par un quintet de « toons » déjantés. Un retour au sommet.Film d’animation américain de Pete Docter, avec les voix d’Amy Poehler, Phyllis Smith, Bill Hader, Kyle MacLachlan (1 h 34).Vénus enchaînée : « The Duke of Burgundy », de Peter StricklandBienvenue dans un monde sans hommes, peuplé de femmes élégantes approchant la quarantaine, liées par le sadomasochisme et une passion commune pour l’entomologie. Entre elles, pas de châtiments corporels, mais des humiliations, des enfermements, l’organisation minutieuse de la frustration. On est très loin du sexe mercantile que les grands marchands du cinéma voudraient remettre en circulation.Film britannique de Peter Strickland, avec Sidse Babett Knudsen, Chiara D’Anna (1 h 46).Les indomptables pur-sang de l’adolescence féminine : « Mustang », de Deniz Gamze ErgüvenDans un village du fond de la campagne turque, où les modes de vie sont encore régis par des traditions archaïques, un conte cruel de la jeunesse plein de colère, mais présenté dans un emballage acidulé. La réalisatrice, Deniz Gamze Ergüven, y met en scène le combat de cinq sœurs que leur famille décide d’enfermer dans une cage pour brider leur liberté – et leur sexualité. A mi-chemin entre Virgin Suicides et L’Evadé d’Alcatraz.Film franco-germano-turc de Deniz Gamze Ergüven, avec Günes Sensoy, Doga Zeynep Doguslu, Elit Iscan, Tugba Sunguroglu (1 h 37).Les redoutables ambiguïtés de l’adolescence masculine : « L’Eveil d’Edoardo », de Duccio ChiariniLa conquête de la sexualité par un adolescent italien, freiné par un phimosis, un cas de prépuce récalcitrant empêchant l’épanouissement des enthousiasmes. Le résultat est un grand bol d’air frais, une variante d’Américan Pie teinté d’une sensibilité délicate. Son personnage principal, Edoardo, s’impose comme un beau spécimen de cet âge redoutable qu’est l’adolescence, capable de faire cohabiter dans un seul corps problématique le poète avec le cochon, le romantisme très fleur bleue avec la sexualité la plus crue.Film italien de Duccio Chiarini, avec Matteo Creatini, Francesca Agostini, Miriana Raschilla (1 h 26).Western hybride, écrasé par les montagnes du Colorado : « A l’ombre des potences », de Nicholas Ray Film hybride, où les conventions d’un western routinier de grand studio se heurtent à la volonté du cinéaste de casser les clichés et de creuser de façon complexe les relations entre les personnages, A l’ombre des potences ne jouit pas de la réputation des grands films de Nicholas Ray. James Cagney, dont la carrière est alors sur le déclin, y incarne Matt Dow, un cow-boy d’âge mûr, au passé un peu mystérieux, qui rencontre un jeune homme, Davey Bishop (John Derek), auquel il s’attache. Et qui devient shérif, à la suite d’un concours de circonstances. Dans les paysages montagneux du Colorado, qui écrasent les personnages, il fait le récit d’une transmission et d’un apprentissage malheureux.Film américain de Nicholas Ray (1954), avec James Cagney, Viveca Lindford, John Derek (1 h 33). ************************************************************* ************************************************************* L’actrice italienne Laura Antonelli, célèbre pour son rôle dans Malizia et ex-compagne de l’acteur français Jean-Paul Belmondo, a été retrouvée morte lundi 22 juin à son domicile de Ladispoli, non loin de Rome, où elle vivait recluse depuis plusieurs années, ont annoncé les médias. Les causes du décès de Laura Antonelli, 73 ans, n’ont pas été communiquées.« C'est avec une profonde tristesse que je viens d'apprendre le décès de Laura Antonelli. Laura fut pour moi avant tout une compagne adorable, au charme exceptionnel », a réagi Jean-Paul Belmondo dans une déclaration écrite à l'AFP. « Elle fut également une partenaire de grande qualité que tout le monde appréciait sur les plateaux. Je ne veux garder d'elle que ces merveilleux souvenirs », a ajouté l'acteur qui partagea la vie de Laura Antonelli entre 1972 et 1980.« La plus belle femme de l’univers »Laura Antonelli était née le 28 novembre 1941 dans la ville de Pula, en Croatie, qui s’appelait à l’époque Pola et faisait partie de l’Italie. L’actrice était surtout connue pour ses rôles sexy dans les comédies érotiques italiennes tournées à la fin des années 1960 et dans les années 1970, comme La Révolution sexuelle, en 1968. C’est le film Malizia, de Salvatore Samperi, tourné en 1973, qui la rendit célèbre.Elle travailla par la suite avec de grands noms du cinéma italien, Dino Risi, Ettore Scola, Luigi Comencini (Mon Dieu, comment suis-je tombée si bas ?, en 1974), ou encore Luchino Visconti (L’Innocent, en 1976), qui voyait en elle « la plus belle femme de l’univers ».Elle avait rencontré Jean-Paul Belmondo sur le tournage des Mariés de l’an II de Jean-Paul Rappeneau, à une époque où elle vivait à Paris et tournait plusieurs films avec des metteurs en scène français, dont Claude Chabrol.Sa carrière s’était achevée dans les années 1980 avec plusieurs interventions de chirurgie esthétique qui échouèrent et des problèmes judiciaires en raison de plusieurs dizaines de grammes de cocaïne trouvés dans sa villa à l’époque. Elle s’était alors retirée du monde, pétrie de dévotion religieuse, vivant dans la misère. data-tym-playerid="tym-player-x2uniy7" ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* Mort de Jerry Weintraub, producteur de « Karate Kid » et « Ocean’s Eleven » Le célèbre producteur hollywoodien Jerry Weintraub, qui avait notamment financé la série de films « Ocean’s Eleven » et géré des artistes du calibre de Frank Sinatra, est mort à l’âge de 77 ans, a annoncé sa porte-parole lundi 6 juillet. Le producteur, qui a terminé sa carrière au sein du studio Warner Bros, est mort d’un accident cardiaque à Santa Barbara, en Californie.George Clooney, star d’Ocean’s Eleven, et l’ancien président américain George H.W. Bush, dont il était ungrand ami, ont été parmi les premiers à rendre hommage à M. Weintraub, dont la filmographie comprend aussi la série des Karate Kid et le remake de la série télévisée « Chapeau Melon et bottes de cuir » (1998), avec Uma Thurman et Ralph Fiennes.Manager de Dylan à ses débuts« Dans les jours à venir […] nous allons rire à ses formidables anecdotes, et applaudir ses accomplissements », a déclaré Clooney dans un communiqué de presse. George Bush père a quant à lui dit de son ami dans une déclaration : « Jerry était un vrai Américain, qui a mérité son succès par la force de son instinct, sa volonté, et son énorme personnalité. Il avait la passion de la vie. »Jerry Weintraub avait commencé sa carrière comme manager, représentant des artistes comme Sinatra mais aussi les musiciens Neil Diamond ou Bob Dylan. Il a brièvement dirigé la maison de production United Artists, qu’il a quittée pour fonder la sienne, Weintraub Entertainment Group. Son dernier film en production était un remake de Tarzan, avec Alexander Skarsgaard, Margot Robbie, Christoph Waltz et Samuel L. Jackson. ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* Un an après le triomphe à Cannes des Quatre Cents Coups, François Truffaut réalise avec Tirez sur le pianiste (1960) son film le plus libre et le plus malicieux. Très influencé par la Nouvelle Vague naissante, le jeune cinéaste veut mettre en scène un film léger et le tourner comme un reportage, à la façon d'A bout de souffle, de Jean-Luc Godard. Il s'entoure d'ailleurs de proches de Godard, comme le directeur de la photo, Raoul Coutard, ou le compositeur, Georges Delerue.Brillant, narquois et désinvolte, Tirez sur le pianiste doit se voir comme un pastiche de film de gangsters. Truffaut, grand admirateur du romancier américain David Goodis, s'appuie sur un de ses livres, Down There, publié en 1956. Il abandonne le côté sombre de cette histoire de concertiste de haut vol devenu pianiste de bastringue après le suicide de sa femme pour la tirer vers la fantaisie et le fantastique, avec une dimension poétique. « Tirez sur le pianiste, je crois que je l'ai fait pour une image. Dans le livre de Goodis, à la fin, il y a une petite maison dans la neige, des sapins et une route en pente : on dirait que la voiture glisse sur cette route sans que l'on entende le bruit du moteur. J'ai eu envie de réaliser cette image... », expliquera Truffaut par la suite.Un film sur les femmesLa musique occupe une place prépondérante, oscillant du jazz au classique, avec des détours réjouissants par la chanson, grâce à un Boby Lapointe iconoclaste et un Félix Leclerc plein d'élégance. Pourtant, le film parle essentiellement des femmes. Et filme leurs corps avec une sensualité rare, qu'il s'agisse des seins angéliques de Michèle Mercier ou des mains inquiètes de Marie Dubois.Les gangsters y disent du mal du sexe dit faible, ce qui inspira des dialogues à Scorsese et Tarantino. Quant à l'admirable Charlie, interprété par Charles Aznavour, tout autant timide qu'amusé, il exprime une sensibilité à fleur de peau et une lucidité mêlée de pitié. Hélas, ni son génie musical ni l'amour de plusieurs femmes ne parviendront à lui éviter un destin médiocre... Jouant à la fois sur le désir et l'interdit, Tirez sur le pianiste possède l'insouciance d'un baiser volé.La bande-annonce de "Tirez sur le pianiste"Découvrez la série « La musique à l'écran » sur www.lemonde.fr/boutique L’avis du « Monde » - Pourquoi pasQuelque part entre Spider-Man et Iron Man, il y a Ant-Man. Un homme revêtu d’une armure atomique qui a la capacité de le faire rétrécir à la taille d’une fourmi tout en lui conférant la puissance d’un char d’assaut. Arme de guerre nouvelle génération, quasiment invulnérable parce qu’à la limite de l’invisibilité, Ant-Man possède entre autres la capacité de communiquer avec toute la famille des formicidés et d’en diriger les tribus comme autant de bataillons armés.Issu de la galaxie Marvel, ce personnage a inspiré sa dernière production en date à Disney, qui en a confié le scénario à un tandem formé par Paul Rudd, acteur discret et sensible issu de la galaxie Apatow, à qui revient par ailleurs de jouer Ant-Man, et Adam McKay, l’auteur attitré des films de Will Ferrell. Le résultat n’est pas à la hauteur de ce que cette alliance pouvait laisser espérer, et le réalisateur, Peyton Reed, est en partie responsable. Malgré une certaine mièvrerie typiquement disneyenne, malgré une scène d’introduction rebutante en forme de publicité géante pour une chaîne de glaciers américains, ce scénario qui voit un hacker de haut vol, aussi fort pour briser les firewalls que pour ouvrir les coffres-forts, changer de dimension à volonté, aurait pu être du pain béni.Mais il eût fallu un autre metteur en scène, qui s’intéresse à ce qui est de l’ordre du faire. Peyton Reed, lui, utilise les dialogues pour transmettre les informations nécessaires à la compréhension de l’intrigue, et les valide dans un second temps par des images montées en rafale sans soucis de vraisemblance – la scène de cambriolage qui voit le monte-en-l’air mettre la main sur le costume d’Ant-Man, trésor caché dans un coffre-fort sécurisé comme Fort Knox dans une maison fortifiée, est, par exemple, aussi incohérente qu’illisible.Qu’Ant-Man passe son temps à changer de taille ne passionne pas plus le réalisateur. Après une première scène qui montre le personnage découvrant sa capacité à devenir fourmi alors qu’il est dans sa baignoire et que le débit d’eau s’abat sur lui avec la puissance d’un tsunami, la question des proportions est définitivement éludée. Focalisé sur la multiplication des plans, dont la durée excède rarement les trois secondes, le réalisateur mélange grossièrement cinéma d’action et comédie pataude, misant sur la complicité d’un public familier de l’univers des super-héros pour faire avaler la sauce. Si la présence de Michael Douglas, décidément en grande forme depuis que Steven Soderbergh l’a réinventé en vieille folle dans Ma vie avec Liberace, procure un certain plaisir, Paul Rudd a, pour sa part, perdu tout son charme dans l’opération.Film américain de Peyton Reed. Avec Paul Rudd, Michael Douglas, Evangeline Lilly (1 h 57). Sur le web : marvel.com/antman#/antview ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* Filmer le temps qui passe Richard Linklater a tourné cette chronique familiale durant douze ans avec les mêmes acteurs (vendredi 29 mai à 20 h 50, sur Canal+ Cinéma). Jamais le mot « chronique » ne s’était si bien accordé qu’à ce projet développé par le réalisateur américain Richard Linklater : suivre une famille texane pendant plus d’une décennie. Fidèle à ce principe constitutif, Boyhood (2014) enregistre des moments de vie, selon un ordre chronologique que seuls déterminent les corps et les ritournelles pop disséminées au gré de la bande originale.En dehors du vieillissement réel des acteurs et de ces balises musicales signées Arcade Fire ou Coldplay, le réalisateur n’a pas tenu à marquer les différentes époques où se situe son action. De sorte que, dans son film, le temps n’est pas seulement un agent dramatique. C’est aussi une essence mystérieuse et magique, à l’origine de toutes les transformations visibles. Il donne à ce récit fleuve sa fragile et enchanteresse matière.Une grâce infinieLe pari insensé sur lequel se fonde Boyhood n’est pas isolé dans la filmographie de cet auteur atypique de 54 ans, capable d’évoluer entre productions expérimentales et films populaires (Rock Academy, en 2003). A cet égard, le triptyque Before Sunrise, Before Sunset et Before Midnight, qu’iltourna entre 1995 et 2013, avec le même couple d’acteurs (Julie Delpy et Ethan Hawke), témoignait déjà de son beau souci pour la matière temporelle et ses contingences. Boyhood, saga familiale lumineuse, dépouillée de toute once de dramatisation hollywoodienne, reconduit la croyance de Richard Linklater en ce qui fait l’essence même du cinéma : le temps.C’est ainsi que trois heures durant ou presque, nous partageons la vie de Mason (Ellar Coltrane). Des jeux d’enfants avec sa sœur, Samantha (Lorelei Linklater, la fille du réalisateur), jusqu’à sa majorité, c’est en direct que nous le voyons grandir et arriver au seuil de l’âge adulte.Quand le film commence, Olivia, la mère (magnifique Patricia Arquette), est fraîchement séparée de leur géniteur (Ethan Hawke). Elle décide de reprendre ses études, pour décrocher un meilleur travail. Les enfants s’apprêtent, eux, à quitter leurs camarades de classe à cause d’un déménagement prochain. Ce sera la première d’une longue série de ruptures. Olivia va refaire sa vie, enchaîner les mariages malheureux, déménager encore avec ses enfants.Richard Linklater ne force jamais le trait du drame. Il est contenu dans les inévitables renoncements qui accompagnent les choix des personnages. Il est, d’ailleurs, beaucoup question de responsabilité dans le film. Par ricochet, c’est aussi celle d’un pays.A travers le quotidien de cette famille ordinaire s’écrit une histoire de l’Amérique. De 2002, quand a commencé le tournage, jusqu’à nos jours, la crise s’est installée aux Etats-Unis, la guerre en Irak a fauché des vies, Barack Obama a été élu président par deux fois. Ardent supporteur de sa campagne, le père de Mason installe des pancartes à son effigie dans un voisinage manifestement acquis aux républicains. Des années plus tard, ironie du sort, il sera remarié à une traditionaliste, dont la famille est une pure émanation de la Bible Belt. Olivia, quant à elle, suivra le chemin de l’émancipation qu’elle avait esquissé en début de film.Ce que capte Richard Linklater avec une grâce infinie, c’est le mouvement même de la vie qui s’ajuste à l’axiome d’Héraclite : « Tout coule, rien ne demeure. » Rarement il est donné au cinéma d’éprouver le temps d’aussi belle manière. Ce mélange diffus de vitalité et de mélancolie fait de Boyhood un miracle.Boyhood, de Richard Linklater. Avec Patricia Arquette, Ethan Hawke, Ellar Coltrane, Lorelei Linklater (EU, 2014, 163 min). Vendredi 29 mai à 20 h 50, sur Canal+ Cinéma. Trois semaines après sa signature par la secrétaire d’Etat chargée du numérique, Axelle Lemaire, il ne reste plus qu’une étape à franchir pour qu’entre en vigueur le décret sur l’élargissement du crédit d’impôt aux jeux destinés aux adultes : sa signature par le premier ministre, Manuel Valls. En comparaison, si l’on regarde la production cinématographique, aucun film n’a reçu de visa « interdit aux moins de 18 ans » en 2013 ; les catégories « - 16 » et « - 16 avec avertissement » ne représentent réunies que 1 % des long-métrages diffusés dans l’Hexagone. L’exception Saw III contre les multiples PEGI 18Le CNC étudie chaque long-métrage au cas par cas, sur des critères subjectifs et ouverts, et de manière globalement tolérante. Saw III, sorti en 2006, est l’un des très rares exemples de films interdits aux mineurs ces dernières années. Dans son jugement public, la commission de classification du Centre national du cinéma (CNC) s’en expliquait :« La très grande violence du film, qui enchaîne sans répit des scènes de tortures morales et physiques appuyées, gratuites, sadiques et pour certaines insoutenables, donne le sentiment qu'un palier est franchi dans ce qui est montré dans un film appartenant à cette catégorie cinématographique. »A l’inverse du CNC, qui emploie le « + 18 » comme visa extrême et exceptionnel, le système PEGI utilise très régulièrement son label « déconseillé au moins de 18 ans », qui s’applique notamment à des blockbusters comme GTA, Call of Duty et Assassin’s Creed, et représentait en 2014 un tiers des ventes de jeux vidéo en France. Sa définition est large :« La classification destinée aux adultes s’applique lorsque le degré de violence atteint un niveau où il rejoint une représentation de violence crue et/ou inclut des éléments de types spécifiques de violence. La violence crue est la plus difficile à définir car, dans de nombreux cas, elle peut être très subjective, mais de manière générale elle peut regrouper les représentations de violence qui donnent au spectateur un sentiment de dégoût. »Cette classe s’applique indifféremment aux œuvres à caractère réaliste ou imaginaire, et de nombreux jeux de zombies ou d’aliens, souvent interdits aux moins de 12 ans en salles, se retrouvent automatiquement déconseillés aux moins de 18 ans en jeu vidéo, pour peu qu’ils mettent en scène des humains aux proportions réalistes et des morts sanglantes.« Le système de classification français des films est l’un des moins sévères au monde, assurait en avril Guillaume de Fondaumière, président du Syndicat national du jeu vidéo, un des deux lobbys du jeu vidéo en France, alors que le PEGI, qui est un organisme paneuropéen, est ajusté sur les critères des pays les plus stricts, en l’occurrence l’Islande. »Des jeux tentés par la surenchère...Ainsi, sur une base de données de 193 jeux vidéo adaptés directement ou indirectement de films, aucun long-métrage « + 18 » n’apparaît, tandis que neuf jeux sont frappés du sigle PEGI 18. A chaque fois, leur classification est supérieure à celle du film ou de la saga dont ils s’inspirent, parfois de manière très inattendue. X-Men Origins : Wolverine, en 2009, est un des cas confortant l’idée que les jeux vidéo sont plus violents que les films. Son éditeur, l’américain Activision, a en réalité conçu et développé plusieurs versions différentes, allant de la classification + 12 pour la console DS (plutôt utilisée par de jeunes joueurs) à du + 18 pour la Xbox 360 et la PlayStation 3 (alors réservées à des passionnés), avec ennemis décapités et mises à mort griffues. Un choix récompensé par la critique : plutôt adepte de jeux adultes, la presse spécialisée avait apprécié « la sensation de puissance » et « les combats furieux », le système de jeu « prônant le spectacle et la brutalité la plus absolue » et enfin, le caractère « défoulant » du jeu. Le film d’origine, lui, était classé « tous publics ». ... mais une classification plus sévèreCes exemples extrêmes donnent l’image d’une industrie du jeu vidéo prompte à surenchérir sur le cinéma. Mais, à niveau de violence comparable, quand les développeurs font le choix de la continuité et de la fidélité, le système de classification PEGI se montre également plus sévère que celui du CNC.Alien Isolation se cale avec une méticulosité remarquable sur le niveau d’angoisse et de violence du film Alien : le huitième passager, dont il offre un prolongement scénaristique. Il consiste d’ailleurs essentiellement à se cacher. Mais, tandis que le film de 1979 avait écopé d’une interdiction aux moins de 12 ans, son adaptation vidéoludique a été déconseillée aux moins de 18 ans pour « extrême violence », sans que celle-ci diffère en nature et en degré de l’œuvre culte de Ridley Scott.Les deux jeux vidéo SAW ne sont pas des adaptations à proprement parler, mais des prolongements scénaristiques reprenant l’univers et le climat des films d’horreur, avec ses nombreuses scènes de torture et de sadisme qui ont valu leur classement très élevé, en film comme en jeu. Eux aussi figurent un classement légèrement supérieur au film, à relativiser, toutefois, par le caractère non contraignant du PEGI.Pour le gouvernement, la morale est toutefois sauve : même avec le décret élargissant le crédit d’impôts aux jeux violents, les titres sadiques en serait écartés, un alinéa interdisant l’accès au dispositif fiscal aux jeux dont la violence est extrême, gratuite ou non contextualisée. En somme, une sorte d’équivalent du « + 18 » du CNC, dont la mise en œuvre reste à préciser.Lire également : De « Cars 2 » au dernier « Astérix », ces jeux vidéo conseillés à un public plus âgé que leurs films Arrivage cannois : « L’Ombre des femmes », de Philippe GarrelPrésenté en ouverture de la Quinzaine des réalisateurs, L’Ombre des femmes ne sort pas du territoire qu’explore Philippe Garrel depuis plus d’un demi-siècle (il a tourné son premier long-métrage en 1964, à 18 ans). Cette constance émerveille d’autant plus que le cinéaste témoigne du même étonnement, de la même justesse qu’aux premiers jours en mettant en scène le malheur et la joie d’aimer. La désunion d’un couple est la chose la plus banale au monde. Interprétée ici par Stanislas Merhar et Clotilde Courau, mise en scène par Garrel dans un noir et blanc lyrique et dépouillé, elle devient un moment de beauté fulgurante.Film français de Philippe Garrel avec Clotilde Courau, Stanislas Merhar (1 h 13).Schwarzenegger en mode mineur : « Maggie », d’Henry Hobson Des zombies, le Terminator devenu gouverneur de Californie : on pouvait s’attendre à une débauche de mutilations sanguinolentes, à des éruptions de gros calibres. Et non. Maggie est une petite fille victime d’une épidémie désormais maîtrisée, qui a transformé une bonne partie de la population en tueurs écervelés. Elle n’est pas encore frappée par le mal, mais son père, qu’incarne Arnold Schwarzenegger, sait bien que ce n’est qu’une question de jours. Si bien que le super-héros se mue en parent inquiet, préparant un deuil inévitable. Il convainc dans ce rôle inédit pour lui.Film américain d’Henry Hobson avec Arnold Schwarzenegger, Abigail Breslin (1 h 35).Le Jules Verne du cinéma tchèque : trois films de Karel Zeman On aura bien le temps, cet été, d’emmener les enfants voir les grosses productions de Pixar ou Dreamworks. Partageons, en attendant, avec eux le charme artisanal et génial du cinéma de Karel Zeman. De cet animateur prodigieux, qui travaillait bien avant que les ordinateurs ne fassent irruption dans les studios, on peut voir cette semaine trois longs-métrages, Voyage dans la préhistoire, qui mêle acteurs et créatures animées (un lointain et poétique précurseur des parcs et mondes jurassiques), Le Baron de Crac, inspiré des aventures du baron de Munchhausen, et L’Arche de M. Servadac, dont le titre et l’intrigue pourraient être ceux d’un Voyage extraordinaire inédit de Jules Verne.Une quinzaine au Forum : reprise de la sélection de la Quinzaine des réalisateursDe l’avis général, l’édition 2015 de la Quinzaine des réalisateurs a atteint un niveau de qualité et de diversité exceptionnel. La reprise de tous les films sélectionnés par la section parallèle cannoise permettra, à condition de s’abîmer dans les entrailles du Forum, à Paris, de prendre de l’avance sur les cinéphiles. On découvrira entre autres l’intégralité de la trilogie des Mille et Une Nuits, de Miguel Gomes (du 29 au 31 mai), la violence ironique de Green Room, de Jeremy Saulnier (le 29 mai), ou l’exploration des bas-fonds de Marrakech par Nabil Ayouch dans Much Loved, qui fait déjà scandale au Maroc (le 29 mai).www.forumdesimages.fr/les-films/les-programmes/quinzaine-realisateurs-2015Chris Rock en mode Woody Allen : « Top Five », sortie DVD Cette comédie virtuose a été achetée pour près de 10 millions de dollars par la Paramount au Festival de Toronto, en septembre 2014, à l’issue d’une compétition féroce entre acheteurs. Entre-temps, le film a été salué par des critiques dithyrambiques aux Etats-Unis et y a connu un joli succès. Chris Rock écrit, interprète et met en scène les tribulations d’un réalisateur comique décidé à se faire prendre au sérieux. Il est pourchassé, une journée durant, par une journaliste du New York Times qu’incarne Rosario Dawson. Ce qui garantit aussi bien un humour provocateur qu’une élégance sensuelle. Mais les filiales françaises des majors américaines répugnent à présenter des films afro-américains en salles, et ce film tour à tour paillard et gracieux se découvrira depuis le canapé du salon.1 DVD Paramount.Rubrique cinéma Netflix sur le chemin de la Croisette L’an dernier, à la même époque, nous avions appelé le monde du cinéma et de l’audiovisuel à une grande solidarité devant l’arrivée du géant américain de la vidéo à la demande Netflix (« Soutenons l’exception culturelle française », Le Monde du 16 mai 2014). Celui-ci, disions-nous, menace l’exception culturelle en ne se conformant pas aux règles françaises des obligations d’investissement dans le cinéma et l’audiovisuel, ni au respect de la chronologie des médias. Nous ajoutions qu’il n’était pas souhaitable de scier la branche sur laquelle nos métiers sont assis pour obtenir un profit de court terme.Il est peu de dire que nous n’avons guère été entendus. Tous ceux qui ont eu l’opportunité de le faire ont vendu leurs catalogues de films et de programmes à Netflix, permettant à celui-ci d’entrer dans la bergerie ! Un an plus tard, le directeur des contenus de Netflix annonce la production de longs-métrages et leur diffusion simultanée en salles de cinéma et sur Netflix dans le monde entier sauf en France où, puisque la chronologie l’interdit, les films ne sortiront… que sur Netflix ! Il nous prévient encore que, pour le groupe américain, le box-office n’est plus la source principale de monétisation des films.Je ne reviendrai pas sur ce que l’exception culturelle permet à la France, sa production de films unique au monde, mais je voudrais simplement montrer ce que l’arrogance de la surpuissance américaine représente comme danger pour notre culture et nos libertés.Il y a un mois, le président américain Barack Obama déclarait qu’Internet était une « création » américaine, et que les enquêtes de Bruxelles sur les conditions dans lesquelles Google, Apple, Facebook, Amazon paient ou non leurs impôts n’étaient que l’expression de craintes commerciales des Européens. Pour la Maison Blanche, rien ne doit s’opposer au développement de ses groupes. Internet est l’expression du génie américain. Netflix rejoint cette vision du monde. Et la France n’est pour eux qu’un tout petit obstacle sur la route de la conquête mondiale.Le principal argentier du cinéma français, Canal+, par ailleurs le seul aujourd’hui capable d’opposer à Netflix une puissante offre de vidéo à la demande, vient de signer à Cannes avec les producteurs français le renouvellement des conditions de diffusion de leurs films sur la chaîne cryptée. Encore une fois, ne nous trompons pas d’enjeu, Canal+ et le monde du cinéma ont besoin l’un de l’autre. La chronologie des médias, en permettant à la chaîne cryptée une diffusion précoce des nouveaux films, donne à celle-ci un avantage déterminant face à Netflix. Les obligations de financement de Canal comme des chaînes en clair – France Télévision, TF1 et M6 – assurent la production de plus de 200 films français. C’est ce mouvement qui doit s’élargir aux autres pays européens. La culture est le fondement de l’indépendance.Mais si la France veut lutter pour imposer son exception culturelle, il ne faut pas qu’elle reste la lanterne rouge de la lutte contre le piratage en Europe. Sur YouTube, la version haute définition du film Minuscules a été visionnée illégalement 18 000 fois en trois semaines, accompagnée de publicités pour des sociétés de grande notoriété, et cela sans que nous ne puissions nous y opposer juridiquement. Pourquoi payer un film sur un site de vidéo à la demande si le visionner gratuitement sans autorisation n’est l’objet d’aucune sanction dissuasive ? L’exception culturelle passe aussi par le combat contre la piraterie. Vincent Lindon sur son petit « vertige nuageux » Il était 22 h 55, ce dimanche 24 mai au soir. A peine trois heures auparavant, Vincent Lindon s’était vu remettre le prix d’interprétation masculine par les frères Coen. « Je suis fou, fou, fou de bonheur ! », répétait-il à chaque micro qui se tendait vers lui.Interviews à la chaîne, moment de gloire planétaire. Tournis. Il y a quelques jours, juste avant la projection officielle de La Loi du marché, il résumait d’un mot sa philosophie du moment : « Plus tu donnes, plus tu reçois. » Comment avait-il vécu cette journée particulière précédant ce sacre cannois ?Lire aussi : « La Loi du marché » : une expérience radicale de chimie cinématographique « Je me suis levé ce matin vers 9 heures. Absolument aucune angoisse, j’étais bien. P’tit déj avec mon fils. Deux-trois coups de fil avec des gens du film. Rien, pas de bruits, pas de rumeurs. Et puis, à 11 h 45, le distributeur m’appelle : “Vincent, prépare ton sac, on repart à Cannes !” Je hurlais de joie. J’étais fou de bonheur pour le film.« Moto jusqu’à l’aéroport. Dans l’avion, je n’arrêtais pas de dire : “Si on a un prix…”, jusqu’à ce que quelqu’un me dise : “Mais enfin, Vincent, arrête ! C’est sûr qu’on a un prix !”« Hôtel, petits sandwichs dans la chambre, début d’angoisse. Evidemment, je n’avais rien préparé. Sauf cette phrase de Faulkner que j’aime tant : “Faites des rêves immenses pour ne pas les perdre de vue en les poursuivant.” Ça ne sert à rien de préparer les choses à l’avance. Je me disais que si quelque chose m’arrivait, j’essaierais de dire cette première phrase et que si ça passait, alors, après, ça irait, je remercierais le jury, puis les sélectionneurs…« Explosion d’une ampoule »« Et puis, je suis parti vers le palais. Impressionnant, tous ces gens qui criaient mon nom. J’étais pris dans une sorte de vertige nuageux. C’était la première fois que je participais à une cérémonie de clôture à Cannes. Et c’est alors j’ai commencé à croiser d’autres comédiens. Des grands, genre Tim Roth. Et là, je me suis dit que c’est Stéphane [Stéphane Brizé, le réalisateur de La loi du marché] qui allait avoir un prix, et d’ailleurs, ça m’allait très bien. C’était très bien comme ça.« Et puis la cérémonie a commencé. Un peu long… Lambert Wilson, qui dit que le cinéma, c’est aussi couronner un acteur. Il se tourne vers les frères Coen. Et là, j’entends mon nom.« Immédiatement, j’ai une sorte de mouvement de recul. Je me tasse sur mon siège. Quelque chose comme l’explosion d’une ampoule ! Trois litres de poppers que tu inhales. Un flash ! Juste après, mécaniquement, je me suis levé. J’ai embrassé quelques proches. Et je me suis retrouvé sur la scène avec l’envie, presque animale, d’aller embrasser un à un les membres du jury. Ça m’a permis de redescendre un peu et d’arriver ensuite à dire ma phrase de Faulkner… » Bonheur : le mot revient sans cesse. « Comme un enfant. Comme quelqu’un qui, le même jour, réussirait le bac, Normal Sup, se ferait offrir une belle voiture par son père et verrait Julia Roberts lui tomber dans les bras ! Fou de bonheur ! »Le fait que ce soit un jury présidé par les frères Coen, ça compte beaucoup ? « Oui ! Ce sont des cinéastes géniaux, qui marqueront l’histoire du cinéma. Des mecs comme ça, il n’y en a pas quinze dans le monde ! A la fois modernes, fous, audacieux et transgressifs ! »Quelques secondes de pause, le temps de reprendre sa respiration. « J’espère que je n’ai pas dit trop de conneries. C’est tellement difficile de signifier par des mots une émotion aussi forte. Ce qui m’a bouleversé aux larmes ce soir, c’est cette impression que les gens étaient contents pour moi. » Pour quelles raisons ? « Ah ! Ça, c’est au journaliste de répondre, pas à moi. » Il éclate de rire. « Plus tu donnes, plus tu reçois, l’explication doit se trouver quelque part par là. »Ce dimanche soir, le bonheur avait un nom : Vincent Lindon. Derrière le cocorico, gare aux malentendus Après la cérémonie de clôture du Festival de Cannes, dimanche 24 mai au soir, les responsables politiques français gazouillaient à l’unisson, dans un assourdissant concours de cocoricos. « Jacques Audiard, Emmanuelle Bercot, Vincent Lindon et Agnès Varda : le cinéma français rayonne ce soir à Cannes et dans le monde », tweetait le premier ministre, Manuel Valls. Jacques Audiard, Emmanuelle Bercot, Vincent Lindon et Agnès Varda: le cinéma français rayonne ce soir à Cannes et dans le monde. #Cannes2015— manuelvalls (@Manuel Valls) « Bravo à E. Bercot, V. Lindon et Jacques Audiard ! », insistait, sur le même mode et le même réseau, Fleur Pellerin, sa ministre de la culture, avant que l’Elysée n’adresse ses « sincères félicitations » aux lauréats français. Félicitations à tous les lauréats du @Festival_Cannes. Bravo à E. Bercot, V. Lindon et Jacques Audiard ! http://t.co/zTpaKyneMK— fleurpellerin (@Fleur Pellerin) Gare aux malentendus, cependant. S’ils l’avaient examiné avec plus d’attention, nos gouvernants se seraient rendu compte que le coq cannois n’a pas si fière allure : il y a du goudron sur ses plumes, et des inflexions funèbres dans son chant ; pour ce qui est de sa crête, elle tient davantage du gallinacé punk que de l’animal politique docile.Lire aussi : La prépondérance du cinéma français validée par le jury des frères Coen La Palme d’or, Dheepan, dresse un tableau très sombre – certains diront simpliste – des banlieues françaises. Jacques Audiard les montre ravagées par la drogue, la violence, la suspicion – si bien que les héros de son film, trois immigrés tamouls, finissent par quitter l’Hexagone pour l’Angleterre, qui leur réserve un accueil nettement moins chaotique.Lire aussi : « Dheepan » sort vainqueur d’une compétition éprouvante Deux ans aprèsLe prix d’interprétation décerné à Vincent Lindon dans La Loi du marché, de Stéphane Brizé, vient rappeler combien le chômage place tant de nos concitoyens dans l’impasse ; face à leur détresse, les structures publiques s’y trouvent, au mieux, démunies. Quant à la Palme d’honneur remise à Agnès Varda, elle récompense une immense cinéaste qui, de Sans toit ni loi (1985) aux Glaneurs et la Glaneuse (2000), s’est toujours préoccupée du sort peu enviable qu’infligeait notre pays aux exclus, aux marginaux, aux gens de peu.Deux ans après la sortie des Glaneurs, la réalisatrice était partie à la recherche des protagonistes de son documentaire, pour savoir comment ils allaient. Dans deux ans, le Festival de Cannes se tiendra simultanément aux élections présidentielles et législatives. Il n’est pas certain qu’il faille souhaiter au gouvernement une moisson de prix aussi foisonnante que cette année : si le diagnostic que portent nos cinéastes sur l’état de la société reste le même, le cocorico cannois risquerait fort, alors, de coïncider avec un fiasco électoral. Les frères Joel et Ethan Coen, arbitres suprêmes des élégances cannoises, ont tranché dans le vif, au terme de douze jours d’un défilé d’images vaguement interrompu par la nuit. Il sera donc dit que ce dimanche 24 mai au soir aura vu consacrer Dheepan, septième long-métrage de Jacques Audiard, Palme d’or de la soixante-huitième édition du Festival de Cannes. Ce film, qui évoque l’acclimatation amoureuse et explosive d’un réfugié politique tamoul dans une cité de banlieue, marque donc l’apogée de l’itinéraire cannois du cinéaste français, déjà deux fois primé par le passé, à l’occasion d’un film qui n’est sans doute pas le plus convaincant de sa filmographie.Lire aussi : Saupoudrage équitable de récompenses allant à des esthétiques et des performances variées, ce palmarès s’honore par ailleurs d’avoir donné le Prix de la mise en scène à The Assassin, sublime film de sabre minimaliste du maître taïwanais Hou Hsiao-hsien, ainsi que le Prix du jury à The Lobster, du Grec Yorgos Lanthimos, dystopie à l’humour noir et glacé sur l’état sentimental et politique du monde tel qu’il vient. Le Grand Prix couronne le seul premier long-métrage de la compétition, Le Fils de Saul, du jeune Hongrois Laszlo Nemes, qui décrit Auschwitz du point de vue d’un membre des Sonderkommandos cherchant à y enterrer son fils. Cette œuvre, qui a impressionné les festivaliers, n’en appelle pas moins le débat, dans la mesure où son intelligente intégration des enjeux moraux et esthétiques de la représentation de la Shoah lui sert paradoxalement à les disqualifier. Le jury a aussi fait place, à travers son double Prix d’interprétation féminine – à Rooney Mara dans Carol, de Todd Haynes et à Emmanuelle Bercot dans Mon roi, de Maïwenn –, à la prépondérance du mélodrame dans cette compétition. Quant à Vincent Lindon, seul récipiendaire du Prix d’interprétation masculine pour son rôle de quinquagénaire au chômage dans La Loi du marché, de Stéphane Brizé, film social inventif et juste, il lui a fallu embrasser un à un tous les membres du jury avant de dire son émotion et de trousser une belle et mélancolique pensée pour ses parents qui ne sont plus là pour la partager. Prix de l’avenir par excellence parce qu’elle est décernée à un premier long-métrage, la Caméra d’or est allée à La Tierra y la Sombra, de César Augusto Acevedo, présenté à la Semaine de la critique, soulignant ainsi l’émergence d’un cinéma colombien représenté notamment par un autre très beau film, El Abrazo de la serpiente, de Ciro Guerra, à la Quinzaine des réalisateurs.Faiblesse de la délégation françaiseIl faut constater que les « palmes d’or » de la presse internationale (Carol, de Todd Haynes) et française (Mia madre, de Nanni Moretti) ont été peu ou prou ignorées par le jury, en tout cas à la place que certains leur assignaient. Ce hiatus clôt en ce sens logiquement une compétition officielle qui s’est révélée plutôt éprouvante, tant du point de vue de son addiction au registre funèbre (morts, deuils et maladies récidivantes à tous les étages) que de son accomplissement artistique. Sans doute, l’honnêteté oblige à nuancer d’emblée ce propos. Cannes est un festival dont il est impossible de repartir bredouille, et de merveilleux souvenirs de cinéma accompagneront, cette année encore, les festivaliers. Le problème est qu’on s’habitue à l’excellence comme à un dû, et que le ratio de certaines éditions, moins prodigues que d’autres, peut faire le lit d’une amère déception. C’est le cas de ce cru 2015, et plus précisément de la section reine qu’est la compétition internationale. La Quinzaine des réalisateurs, principale section parallèle du Festival, aura, quant à elle, suscité le plébiscite des cinéphiles, comme en a témoigné ce tweet à double détente émis en fin de parcours par le critique américain Scott Foundas, rédacteur en chef de la principale revue corporative américaine Variety : « Ceux qui prétendent que cette édition cannoise a été faible n’ont visiblement pas mis les pieds à la Quinzaine des réalisateurs. » Journalists who complain that it's been a weak #Cannes clearly haven't been spending much time at @Quinzaine, which has been smokin' hot.— foundasonfilm (@Scott Foundas) Comment en est-on arrivé là ? Divers facteurs entrent en ligne de compte. Au premier chef, la faiblesse de la délégation française, d’autant plus notable qu’elle était pléthorique cette année, avec cinq films en compétition, plus deux titres qui s’arrogeaient les places symboliques de l’ouverture et de la clôture du Festival. Or la majorité de ces films, nonobstant les quatre prix raflés par la formation tricolore, ne furent pas vraiment à la hauteur du canon cannois. Un choix d’autant moins compréhensible que la Sélection officielle, répondant à une supposée surabondance de biens, s’était payé le luxe de fermer ses portes au magnifique film d’Arnaud Desplechin, Trois souvenirs de ma jeunesse. Lire aussi : Equilibre délicatIl est vraisemblable que cette incongruité s’explique par la volonté du délégué général, Thierry Frémaux, de secouer la hiérarchie et les habitudes de la compétition pour y apporter du sang neuf. Une volonté courageuse, mais qui appelle des choix sinon irréfutables, du moins argumentés. L’expulsion du film de Desplechin (on pourrait en citer d’autres), comme l’arrivée de ceux de Denis Villeneuve, Michel Franco ou Valérie Donzelli, ne relèvent manifestement pas de cette catégorie. Un dernier point aura contribué à affaiblir cette compétition : le retour, dans une méforme parfois cruellement stigmatisée, de certains auteurs, tels Gus Van Sant ou Matteo Garrone. Ce tableau pourrait être accompagné d’un bilan non moins mitigé de la section parallèle officielle, Un certain regard : les meilleurs films y ont été le fait de signatures connues (Kawase, Porumboiu, Weerasethakul, Kurosawa), en l’absence de révélations qui sont la vocation même de cette section.Tant et si bien qu’un fâcheux effet de balance saisit l’attention du festivalier à l’issue de ces festivités, la légèreté du plateau artistique alourdissant ipso facto celui de « l’hubris » cannoise, cette démesure offensante aux yeux des Grecs, antiques ou modernes. Présence de plus en plus impérieuse du luxe et de l’argent, immixtion de sponsors devenus partenaires dans le programme, scandale sexuel annoncé à grands frais, exhibition généralisée de la jouissance. Un équilibre délicat a donc été entamé cette année, qui survient, comme un symbole, après le départ de l’homme qui porta le Festival à son niveau d’excellence, Gilles Jacob. Il reviendra au nouveau tandem dirigeant – le président, Pierre Lescure, et le délégué général, Thierry Frémaux – de nous montrer en 2016 si le déplacement du curseur tenait du tour de chauffe ou d’une inflexion concertée. Le palmarès Palme d’orDheepan, du Français Jacques Audiard.Grand PrixLe Fils de Saul, du Hongrois Laszlo Nemes.Prix de la mise en scèneThe Assassin, du Taïwanais Hou Hsiao-hsien.Prix du juryThe Lobster, du Grec Yorgos Lanthimos.Prix du scénarioLe Mexicain Michel Franco pour Chronic.Prix d’interprétation féminine ex aequoLa Française Emmanuelle Bercot dans Mon roi, de Maïwenn, et l’Américaine Rooney Mara dans Carol, de Todd Haynes.Prix d’interprétation masculineVincent Lindon dans La Loi du marché, du Français Stéphane Brizé.Caméra d’or du premier filmLa Tierra y la Sombra, du Colombien César Augusto Acevedo.Palme d’or du court-métrageWaves’98, du Libanais Ely Dagher.Palme d’or d’honneurLa Française Agnès Varda.La liste complète des prix décernés lors du 68e Festival de Cannes est disponible sur le site officiel. Festival de Cannes : Jacques Audiard, Vincent Lindon, Emmanuelle Bercot… et les autres vainqueurs Vincent Lindon meilleur acteur, Emmanuelle Bercot co-meilleure actrice, Dheepan, de Jacques Audiard et sa Palme d'or… les artistes français ont été particulièrement distingués lors de ce 68e Festival de Cannes. Découvrez le palmarès de l'édition 2015, présidée par les frères Joel et Ethan Coen. La Palme d'or Elle a été décernée à Jacques Audiard pour son film Dheepan, un thriller politique réussi sur l'exil de Tamouls en banlieue parisienne. « Recevoir un prix de la part des frères Coen c'est quelque chose d'assez exceptionnel », a déclaré le réalisateur de 63 ans, très ému, ajoutant qu'il « pensait à (son) père », le scénariste et dialoguiste Michel Audiard. Le prix d'interprétation féminine Ex-aequo pour Rooney Mara et Emmanuelle Bercot. L'Américaine pour son rôle dans Carol, de Todd Haynes, la Française pour Mon roi, de Maïwenn, dont elle a salué « le sens aigu et l'anticonformisme ». Pour Vincent Lindon et sa performance dans La Loi du marché, de Stéphane Brizé. L'acteur a paru très ému avec « ce premier prix qu'il reçoit dans sa vie ». « Je dédie ce prix aux citoyens laissés pour compte », a-t-il notamment ajouté, référence au rôle de chômeur qu'il joue dans le film de Brizé. Le Grand Prix Il est décerné au Hongrois Laszlo Nemes pour Le Fils de Saul, qui raconte le quotidien d'un membre des Sonderkommandos, ces Juifs forcés à collaborer avec les nazis. Nemes voulait faire un « film au cœur de l'enfer ramené à la dimension d'un seul être humain ». Le prix du jury C'est le Grec Yorgos Lanthimos qui remporte le prix pour The Lobster, un conte pince-sans-rire, une fable fantastico-réaliste sur la grande difficulté de l'amour dans notre société, interprétée par Colin Farrell, Rachel Weisz et Léa Seydoux. Le prix du scénario Pour le Mexicain Michel Franco et son film Chronic, dans lequel Tim Roth joue le rôle d’un infirmier spécialisé dans le secours aux patients en phase terminale. Le prix de la mise en scène Il revient au Taïwanais Hou Hsiao-hsien, réalisateur de Nie yinniang (The Assassin). Une Palme d'honneur pour Varda Agnès Varda a reçu une Palme d'honneur, une récompense seulement décernée à ce jour à Woody Allen, Manoel de Oliveira, Clint Eastwood et Bernardo Bertolucci.  Revivez la cérémonie de clôture du 68e Festival de Cannes 19h21 Ce live est désormais terminé. Merci de l'avoir suivi et rendez-vous pour la 69e édition du Festival de Cannes en mai 2016. 19h20 Olivier Clairouin via Twitter 19h12 On passe de pas de Palme française pendant 21 ans à trois Palmes françaises (Entre les murs, La Vie d'Adèle, Dheepan) en 7 ans. #Cannes2015 thomsotinel via Twitter 19h11 Lambert Wilson donne rendez-vous pour la 69e édition qui sera "érotique". LeMonde.fr Lambert Wilson appelle tous les lauréats et membres du jury à le rejoindre sur scène pour l'image finale de cette cérémonie de clôture. 19h10 Palme d'or pour Jacques Audiard. 19h09 Audiard remercie d'abord le partenaires financiers Isabelle Regnier via Twitter 19h08 Vous pouvez lire la critique de "Dheepan" sur notre site. Le jury ne s'est pas rangé du côté de ceux qui ont pris Dheepan pour un film d'action à la Charles Bronson. Audiard Palme d'or #Cannes2015 19h07 Et la Palme d'or va à Jacques Audiard pour "Dheepan". 19h06 Son of Saul. Le jeune hongrois livre un plaidoyer pour le 35 mm qui ravirait Philippe Garrel #Cannes2015 pic.twitter.com/6thktYQYn2 Laurent Carpentier via Twitter 19h03 HHH récompense ses partenaires artistiques, pas financiers La critique du film à retrouver ici. 19h02 Le Grand Prix va au "Fils de Saul", de Laszlo Nemes. 19h00 Le sourire de Shu Qi à la remise du prix de la mise en scène à Hou Hsiao hsien est d'une générosité et bienveillance admirables. #Cannes2015 18h59 Retrouvez la critique de "The Assassin". On s'achemine petit a petit vers une palme d'or a Audiard... #Cannes2015 18h58 Seulement Mise en scène pour HHH... #CDéjaCa Le prix de la mise en scène va à Hou Hsiao-hsien pour "The Assassin". ... La naissance de son fils et de sa fille. #Cannes2015 18h57 Qui éditera un recueil des définitions de métier (scénariste, acteur/trice, scénariste) récitées avant les remises de prix? #Cannes2015 L'actrice et réalisatrice Valeria Golino vient remettre le prix de la mise en scène. 18h56 On voudrait dire à Vincent Lindon que ce n'est pas parce qu'il n'avait pas eu de prix jusque là qu'il n'en aura plus jamais. #Cannes2015 18h54 Pour Vincent Lindon: "un des trois plus beaux jours de ma vie"... Quels sont les deux autres ?#Cannes2015 18h52 L'émotion de Vincent Lindon, prix d'interprétation masculine. 18h51 Vincent Lindon ému aux larmes pour "ce premier prix qu'il reçoit dans sa vie". Retrouvez la critique de "La Loi du marché". 18h50 Pour reprendre les termes chimiques de @jamandelbaum plongez un acteur professionnel au milieu d'amateurs et obtenez un prix. Vincent Lindon 18h49 Pour son rôle dans le film de Stéphane Brizé, "La Loi du marché". Le prix d'interprétation masculine va à Vincent Lindon. Notre critique en vidéo de "The Lobster" lemonde.fr/festival-de-ca… #Cannes2015 pic.twitter.com/C5aOIQ22Ep 18h48 Le discours d'acceptation de Y. Lanthimos, prix du jury, est d'un conformisme inversement porportionnel à celui de The Lobster #Cannes2015 La critique de "The Lobster" est disponible ici. 18h46 Le prix du jury va à Yorgos Anthimos pour "The Lobster". Retrouvez les critiques de "Carol" et de "Mon roi". 18h44 Ce prix d'interprétation partagé n'est pas très aimable à l'égard de Cate Blanchett. #Cannes2015 18h43 Emmanuelle Bercot rend hommage à Maïwenn, réalisatrice de "Mon roi". 18h42 Avec Emmanuelle Bercot, Maiwen: remporte le prix pour "Ma reine" plus que pour "Mon roi". #Cannes2015 locarp via Twitter 18h41 Quelle drôle d’idée que de partager un prix entre deux films. Rooney Mara et Emmanuelle Bercot, ensuite Cassel et Chang Chen? #Cannes2015 18h40 Seule Emmanuelle Bercot est présente sur scène pour venir récupérer son prix. 18h39 Prix d'interprétation féminine ex-aequo à Rooney Mara ("Carol") et Emmanuelle Bercot ("Mon roi"). 18h38 Le prix d'interprétation féminine est remis par l'acteur Tahar Rahim. 18h37 IsabRegnier via Twitter 18h36 Michel Franco (Photo : Reuters / Benoît Tessier) Dans cette moisson de films de deuil que fut le festival, le prix du scenario va au deuil le plus violent et noir. Logique, #Cannes2015 La critique du film "Chronic" est disponible ici. 18h35 Le discours de Bruni Tedeschi crève tous les plafonds de l'originalité. #Cannes2105 #Cannes2015 VamosAlaPialat via Twitter Le prix du scénario est attribué à Michel Franco pour "Chronic". Aïe! 18h34 Et on passe au prix du scénario avec Valeria Bruni Tedeschi pour le remettre. 18h30 D’autres grands noms du cinéma comme Woody Allen (2002), Manoel de Oliveira (2008), Clint Eastwood (2009) ou Bernardo Bertolucci (2011) ont reçu une Palme d'honneur avant elle. 18h27 C'est Jane Birkin qui remet cette Palme d'honneur à Agnès Varda. Standing ovation pour Agnès Varda. Cinéma pas mort. #Cannes2015 18h26 La cinéaste est la première femme réalisatrice à recevoir une Palme d'or d'honneur. Hommage en images à Agnès Varda. 18h25 Sophie Marceau belle dans une robe longue. Le talon s'y est pris. On a frisé la chute. Un peu d'imprevu dans cette wilsonerie ? #Cannes2015 18h20 Le jury du 68e Festival de Cannes fait son entrée au grand complet. 18h18 Petit montage d'images qui ont marqué l'histoire du Festival de Cannes. 18h17 John C Reilly chanteur, on pense a l'article d'Aureliano Tonet: le festval attire aujourd'hui plus de musiciens que...le Midem. #Cannes2015 Tout le monde souhaite un "Happy Birthday" à John C. Reilly. 18h16 La critique du film est disponible ici. 18h15 Et la Caméra d'or va à "La Tierra y la Sombra", du Colombien César Augusto Acevedo. 18h14 Il y avait 26 premiers films à Cannes cette année. John C. Reilly remet la Caméra d'or avec Sabine Azéma. 18h13 Intermède musical avec l'acteur John C. Reilly. 18h12 Remise par Sabine Azéma, présidente du jury de la Caméra d'or. 18h11 On passe à la Caméra d'or, qui récompense un premier film, toutes sections confondues. Lambert Wilson rend hommage a Jean Zay, créateur du festival de Cannes. Filippetti ne jurait que par lui. Pellerin sourit.. #Cannes2015 18h10 Le maître de cérémonie Lambert Wilson. (AFP / Valery Hache) La Palme d'or du court-métrage est attribuée à "Waves' 98", d'Ely Dagher. 18h09 Par le président du jury de la Cinéfondation et des courts-métrages Abderrahmane Sissako. 18h08 On passe aux choses sérieuses avec la remise de la Palme d'or du court-métrage. 18h07 Hommage à Jean Zay, créateur du Festival de Cannes. Fin de l'hommage largement applaudi par la salle. 18h06 Toujours l'hommage chorégraphique aux films du Festival. 18h03 Le collectif d'artistes japonais Enra rend hommage aux grands films qui ont marqué le Festival de Cannes. 18h01 Lindon se prend la tête. Un tique? Ou il ne prise guerre l'humour de Lambert Wilson? #Cannes2015 Hommage dansé aux films présentés en compétition dans l'histoire du Festival. 18h00 Lambert Wilson remercie "tous ceux et celles qui ont su créer ces images inoubliables". 17h58 Lambert Wilson a beau faire le pitre, ca rigole pas trop dans les rangs des artistes qui ont été rappelés ce soir. #Cannes2015 17h57 Allusion de Lambert Wilson à la "Fashion Police municipale" suite à l'histoire des talons aiguilles sur le tapis rouge. 17h56 Grand silence en attendant les jurés. Angoisse palpable. Ca y est c'est parti. #Cannes2015 La cérémonie de clôture commence avec Lambert Wilson en maître de cérémonie. 17h54 Le jury au complet sur le tapis rouge. (Reuters/Benoît Tessier) Belle salve d'applaudissements pour le climatologue Claude Lorius a Cannes. La france est devenue verte? #Cannes2105 #COP21 17h53 Au dernier moment arrive l'equipe de Mon roi de Maiwenn. Tiens tiens #Cannes2015 17h42 La camera traque les candidats a la palme. Ni Moretti, ni Sorrentino, ou sont les Italiens ? Absents?#Cannes2015 pic.twitter.com/hdPdx6XvFQ 17h38 Il s'agit d'un documentaire sur les expéditions du glaciologue Claude Lorius. 17h37 Vous pouvez lire la critique de ce film sur notre site. 17h36 Avec l'arrivée de l'équipe du documentaire de Luc Jacquet, La Glace et le ciel, film de clôture (hors compétition). 17h35 Pour l'instant, la dernière montée des marches de cette édition 2015 est en train de s'achever... 17h31 Bonjour et bienvenue sur ce live pour suivre en direct la cérémonie de clôture du 68e Festival de Cannes. Sylvester Stallone se défend comme peintre Que Rambo travaille du couteau, ça ne surprendra personne. Qu’il s’en serve pour faire de la peinture, c’était moins connu : Sylvester Stallone expose ses tableaux dans la galerie contemporaine du Musée d’art moderne de Nice. Pas ceux de sa collection – il possède notamment un superbe Bacon, Œdipe et le Sphinx –, non, ceux qu’il peint avec ses petits bras musclés. Et depuis fort longtemps, comme en témoigne le tableau qui ouvre l’exposition, daté de 1975. Harry Bellet (Nice, envoyé spécial) « Carol », de Todd Haynes, récompensé par la Queer Palm à Cannes En lice pour la Palme d’or, le film Carol, de l’Américain Todd Haynes, romance élégante avec Cate Blanchett qui a enthousiasmé une partie de la critique, a remporté samedi 23 mai la Queer Palm, récompense hors compétition du Festival de Cannes qui distingue le film traitant le mieux des questions homosexuelles, bisexuelles ou transgenres.Lire aussi : Le jury 100 % féminin de la Queer Palm était présidé par l’actrice et réalisatrice américaine Desiree Akhavan. « Carol, que nous avons choisi de récompenser, est bien plus qu’un simple film : c’est un moment d’histoire. La première histoire d’amour entre deux femmes traitée avec le respect et l’importance que l’on accorde à toutes les autres romances cinématographiques », a commenté la présidente du jury.Mention spéciale pour « The Lobster »Du côté des courts-métrages, c’est le film chilien Locas perdidas, d’Ignacio Juricic Merillan, présenté à la Cinéfondation, qui a été distingué. Le long-métrage The Lobster, du cinéaste grec Yorgos Lanthimos, également en compétition officielle, a reçu une mention spéciale.Lire aussi : « The Lobster » : un « Homard » mijoté à l’absurde « The Lobster, qui a reçu une mention, ne contient aucun élément gay, mais il se démarque par la manière dont il se moque des normes sociales absurdes et des conventions sur les relations sexuelles. Une allégorie parfaite, qui fait écho à un manque de représentation ouvertement gay à Cannes », a souligné Desiree Akhavan.Créée en 2010 par le journaliste Franck Finance-Madureira, la Queer Palm est l’équivalent à Cannes des Teddy Awards, prix décernés pendant la Berlinale aux films évoquant l’homosexualité.La Queer Palm était revenue en 2013 à L’Inconnu du lac, d’Alain Guiraudie, et en 2014 à Pride, du Britannique Matthew Warchus, film sur l’engagement d’un groupe de militants gays et lesbiens en faveur des mineurs en grève sous l’ère Thatcher. « Kung Fury » : comment Hitler, des dinosaures et David Hasselhoff se sont invités à Cannes Alors qu’il vient de remonter le temps pour atterrir en Allemagne nazie, notre héros Kung Fury est rejoint par Thor, des femmes vikings armées d’Uzi et chevauchant un tyrannosaure, un nerd à grosses lunettes capable de hacker n’importe quoi et un policier à tête de tricératops. Ensemble, ils doivent affronter le « plus grand criminel de tous les temps » et maître en arts martiaux : Adolf Hitler, alias « Kung Führer ».Cela n’est pas extrait d’un film de série Z déniché dans un obscur ciné-club, mais l’une des scènes principales de Kung Fury, un court-métrage présenté pour la première fois à la Quinzaine des réalisateurs vendredi 22 mai, pendant le Festival de Cannes.« C’est le plus beau jour de ma vie, mais aussi le pire : je suis tellement nerveux que j’ai dû écrire tout ce que je souhaitais vous dire », avoue David Sandberg. Debout sur la scène du Théâtre Croisette, juste avant la projection de son film, les mains tremblant de fébrilité, et marquant une pause entre chacune de ses petites fiches, le réalisateur de ce qui était le court-métrage le plus attendu de cette 68e édition n’en revient toujours pas.Car à l’instar du film Iron Sky, lui aussi passé par Cannes et un site de financement participatif, l’histoire de ce court-métrage au-delà du kitsch est à ajouter à la liste des success stories qui n’auraient jamais pu voir le jour sans Internet.« Le Hitler le plus drôle que j’aie jamais vu »Las des publicités et des clips musicaux, cela faisait des années que David Sandberg voulait se lancer dans la réalisation de son propre film. Alors, à la fin de 2013, ce Suédois de 29 ans poste sur Kickstarter la bande-annonce du court-métrage de ses rêves, Kung Fury, un concentré d’humour potache, de références aux jeux vidéo et à la plastique résolument inspirée des années 1980. Relayées sur Facebook et Reddit, ces images ont un effet immédiat : les internautes sont nombreux à financer le projet, qui récolte finalement plus 630 000 dollars, soit trois fois plus que la somme initialement requise. La machine est alors lancée et David Sandberg trouve même son Hitler. Ce sera Jorma Taccone, l’un des acteurs de The Lonely Island, une troupe de comédiens américains particulièrement connue pour ses sketchs diffusés lors de l’émission « Saturday Night Live », sur NBC. « Je pense qu’il est le Hitler le plus drôle que j’aie jamais vu », jure le cinéaste, joint par téléphone.Le magot en poche et le casting bouclé, l’équipe se met au travail. Pendant le tournage, les 17 713 contributeurs sont tenus en haleine à grand renfort de photos et de vidéos tournées dans les coulisses. Une quarantaine d’entre eux font même le déplacement jusqu’à Stockholm et Umea, la ville natale de David Sandberg, afin de jouer les figurants. C’est ensuite presque par hasard que le film a trouvé son chemin jusqu’aux écrans cannois. « On avait entendu dire qu’il y avait des projections en plein air sur la plage pendant le Festival, et on s’est dit que ce serait génial de pouvoir y projeter Kung Fury », explique David Sandberg. « On a donc envoyé le film. Après un mois sans nouvelles, on a reçu une lettre d’admission : c’était la Quinzaine des réalisateurs. »Bandanas, Power Glove et musique rétroDes projets plus ou moins farfelus, le Web en voit naître et disparaître des millions chaque jour. Et Kung Fury, avec son assemblage de poncifs scénaristiques (Hitler en bad guy idéal, un héros « élu » et baroudeur auquel on colle un partenaire alors qu’il préfère « travailler seul », un voyage dans le temps…), n’était pas forcément le plus original sur le papier. Alors comment expliquer que ce court-métrage ait ainsi réussi à s’attirer les faveurs des internautes, puis de la Quinzaine ?« Je pense que c’est une combinaison d’humour et de nostalgie, estime David Sandberg. Si on regarde les statistiques, les gens qui nous soutiennent ont majoritairement entre 25 et 40 ans, ils sont nés ou ont grandi dans les années 1980. Je pense qu’ils se sentent proches du film. »Power Glove, Ghetto-Blaster, bandanas et téléphones portables gros comme des parpaings… en plus d’un second degré redoutable, Kung Fury cumule effectivement tous les artefacts possibles et imaginables de cette période, agissant comme une madeleine de Proust pour tous ceux qui ont pu être biberonnés à « K 2000 », Blade Runner et Street Fighter. « J’écoute beaucoup la musique de Mitch Murder, reconnaît le cinéaste. J’ai toujours eu des images qui apparaissaient dans ma tête en entendant ses morceaux et je me suis dit qu’il fallait que j’en fasse un film. » DJ suédois installé à Stockholm, Mitch Murder est l’une des figures de proue de la synthwave, un sous-genre de la musique électronique très influencé par l’esthétique des années 1980 et popularisé en France par le collectif Valerie (Anoraak, Minitel Rose) ou des artistes comme Kavinsky (auteur notamment de la bande originale du film Drive et son fameux Nightcall).David Sandberg et ses acolytes sont donc bien conscients d’avoir touché une corde sensible, et s’efforcent de continuer à la faire vibrer par tous les moyens. Quelques mois après la bande-annonce, l’équipe diffuse ainsi la chanson True Survivor, accompagnée d’un clip mettant en scène une star iconique des années 1980 : David Hasselhoff. Contacté par l’équipe du film, l’ancien héros de « K 2000 » a tout de suite été séduit par le projet, acceptant d’enregistrer une vidéo qui dépasse les 10 millions de vues sur YouTube.Un jeu vidéoDe la même façon, un jeu vidéo Kung Fury devrait voir le jour. Oubliez cependant les Playstation 4 ou les Xbox One, il ne sera disponible que sur Commodore 64, un ordinateur vendu au début des années 1980 aujourd’hui prisé des fans de retrogaming. « Ça correspond tout à fait à l’esprit du projet », s’amuse David Sandberg.Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Même s’il n’est pas parvenu à rassembler le million de dollars jugé nécessaire au départ, le Suédois souhaite se lancer dans la réalisation d’un long-métrage dérivé de Kung Fury. Aucune date de sortie n’est prévue, mais une première version du script serait prête, explique le réalisateur. Refusant de s’étendre vraiment sur le sujet, il confie cependant que ce film ne sera pas seulement une version augmentée de Kung Fury, mais un long-métrage à part entière, avec sa propre histoire.En attendant, les internautes pourront déjà voir le court-métrage en ligne : le 28 mai, Kung Fury sera diffusé gratuitement sur YouTube et les principales plate-formes de streaming. ************************************************************* ************************************************************* Un cœur d’artichaut dans un corps de brute Gérard Depardieu est parfait en crooner de bal populaire dans un film nostalgique et sucré (mercredi 3 juin à 20 h 50, sur Arte). Voilà un film qui a le goût d’un bonbon au caramel, particulièrement fondant. Avec Quand j’étais chanteur, Xavier Giannoli reste fidèle à son inclination pour les amours impossibles, mais en atténue l’exaspération par le rajout de deux édulcorants qui rendent la recette quasiment irrésistible : Gérard Depardieu et la bonne vieille variété française.L’idée de fondre ces deux ingrédients est d’ailleurs excellente, qui ménage une synthèse étonnante entre puissance et douceur, corps de brute et cœur d’artichaut. Voici donc, idéalement située dans la région centrale de notre Gaule bien-aimée, l’improbable histoire d’amour entre le vieux chêne Alain Moreau et Marion, la jeune gazelle.Le premier est chanteur de bal populaire, anime avec son orchestre les soirées des casinos de la région, les après-midi des maisons de retraite, les matinées des salles des fêtes municipales. Son répertoire est d’un autre temps, mais la nostalgie qu’il distille pas assez ancienne pour que les plus de 40 ans ne se prennent à fredonner avec lui et à danser sur Pour un flirt, de Michel Delpech, Comme un garçon, de Sylvie Vartan, Faut pas pleurer comme ça, de Daniel Guichard, on en passe et des meilleures…Un retour de jeunesseLa vie d’Alain Moreau est à l’image de ce juke-box : elle est en train de passer doucement à l’ombre des karaokés et des DJ, de devenir un objet de musée, quand bien même la modeste gloire locale dont il est l’objet auprès des danseurs du samedi soir dirait le contraire.Materné par son ex-femme, qui a gardé de l’amour pour lui et est devenue, avec le temps, le plus vigilant des managers, le vieux teen-ager en veste blanche et chemise de soie bleue se terre, le jour venu, dans une maison isolée, en compagnie d’une chèvre et de quelques poules, sous le patronage des images saintes de sa jeunesse punaisées au mur (posters de Mike Brant et de Christophe).Jusqu’au soir où un ami (Mathieu Amalric), agent immobilier en ville, se pointe au casino municipal en compagnie de sa nouvelle assistante, une jeunesse rayonnante qui répond au doux nom de Marion (Cécile de France). Du coup, le loup solitaire se prend un vieux retour de jeunesse, se glisse pour un soir dans le lit de la belle, grisée à point, puis passe, à compter d’un lendemain qui la voit s’enfuir aussitôt que dégrisée, le reste du film à tenter de la reconquérir.On le comprend vite, l’enjeu de cette reconquête n’est autre que celui de la survie d’Alain. A travers elle, le héros court à cœur perdu derrière sa propre jeunesse, au risque, comme le suggère la chanson de Christophe, de s’apercevoir que Les Paradis perdus le sont à jamais. Mais on aura bien et vite compris que l’édifice central de ce film, c’est Gérard Depardieu, dont l’histoire se trouve, corps et âme, à la croisée de la fiction du personnage et du documentaire sur l’acteur.Plus largement, c’est sans doute encore à une certaine nostalgie du cinéma comme art populaire que se livre Quand j’étais chanteur. Rien que pour cet aspect, mais aussi bien en vertu de l’inspiration qui rend cela possible – comment oublier, par exemple, cette scène des adieux dans un décor de café en trompe-l’œil, où la larme qui coule sur la joue de Depardieu semble contenir tout le pathétique mystère de cet art ? – la suave cruauté de ce film a de quoi enchanter.« Quand j’étais chanteur », de Xavier Giannoli. Avec Gérard Depardieu, Cécile de France, Christine Citti (France, 2006, 112 min). Mercredi 3 juin à 20 h 50, sur Arte. « Much Loved », le film marocain mis en pièces sur la Toile, sortira en France le 16 septembre Nabil Ayouch dénonce le procédé. « A ma connaissance, c’est une première, et je suis étonné par la méthode. Le ministère de la communication n’est pas compétent pour autoriser, ou pas, la sortie d’un film ; seule la commission de contrôle, laquelle dépend du Centre du cinéma marocain, l’est. Le débat porte désormais sur la liberté d’expression, chèrement acquise au Maroc depuis les années 1970 », déclare au Monde Nabil Ayouch, qui précise toutefois que « la majorité des journaux marocains soutiennent le film ». Il ajoute : « Les opposants se focalisent sur quelques extraits, et occultent la dimension artistique du film. Much Loved, c’est un an et demi de travail, toute une enquête sur le terrain. Je m’attendais à de telles réactions enflammées, aussi violentes. Mais un débat sociétal sur un sujet aussi présent ne peut être que positif. »« Plein d’humanité »La tension est montée toute la semaine, jusqu’au retour du réalisateur au Maroc, lundi 25 mai. Les ventes internationales se limitent, pour l’instant, à trois pays, « la France, l’Italie et l’ex-Yougoslavie », précise le vendeur international, Celluloïd Dreams, sis à Paris. On ne sait pas encore si le film sera sélectionné pour le Festival de Marrakech (du 4 au 13 décembre), financé en partie par le roi du Maroc, via une fondation. « Je ne veux pas me laisser influencer par cette affaire. Dans la compétition, je ne sélectionne pas toujours les films marocains présentés à Cannes », nous dit simplement Bruno Barde, qui assure la sélection. Le délégué général de la Quinzaine des réalisateurs, Edouard Waintrop, juge, dans un communiqué, « cette censure, cette atteinte à la liberté d’expression inacceptables », de la part d’« un pays qui accueille des tournages du monde entier et qui organise, justement à Marrakech, l’un des plus grands festivals du cinéma ».Le distributeur Eric Lagesse, de Pyramide, n’avait pas prévu un tel chaos : il y a quelques jours encore, il ne savait pas quand le film sortirait en France. La date est désormais connue, ce sera le 16 septembre. Eric Lagesse explique comment la polémique lui a échappé : « J’ai acheté le film le week-end avant Cannes. Je l’ai trouvé formidable. Mais ensuite, je n’ai pas maîtrisé la communication. Notamment le visuel provocant qui montre une comédienne avec un doigt dans la bouche. Cela ne me plaît pas. Si on ajoute à cela les extraits sur Internet, cela rend le film putassier, alors qu’il est plein d’humanité. » Bref, il faut le voir. Présenté actuellement au Forum des images, à Paris, qui programme des films de la « Quinzaine », il suscite un fort intérêt : « 800 places ont été vendues en deux heures », se félicite le distributeur. ************************************************************* ************************************************************* Folle croisade contre le film « Much Loved » C’était le mardi 19 mai, le soir de la projection de Much Loved, à Cannes, à la Quinzaine des réalisateurs : les festivaliers s’apprêtaient à découvrir cette fiction, très documentée, qui montre le milieu de la prostitution au Maroc, avec une police complice du tourisme sexuel, des clients étrangers ou marocains, de ses organisateurs locaux. Sur la scène du Théâtre Croisette, le réalisateur Nabil Ayouch exprimait le désir que son film, une coproduction franco-marocaine, suscite un débat et secoue les mentalités. On en est très loin, pour l’instant. Comme l’a annoncé le ministère de la communication marocain, lundi 25 mai, Much Loved est frappé d’interdiction au Maroc, « vu qu’il comporte un outrage grave aux valeurs morales et à la femme marocaine, et une atteinte flagrante à l’image du royaume ».Lire aussi : « Much Loved » de Nabil Ayouch : une mise à nu qui provoque la haine au Maroc Pas de projection, pas de débat ! A la place, une déferlante de messages de haine inonde les réseaux sociaux émanant, entre autres, des milieux conservateurs marocains. Des pages Facebook ont été ouvertes, demandant l’exécution du réalisateur et de l’actrice principale, Loubna Abidar, avec des milliers de « Like » (« J’aime »), indique le cinéaste. Une association aurait déposé une plainte au pénal contre lui, mais il n’a pas encore reçu la notification écrite. A l’initiative de la Société des réalisateurs de films, organisatrices de la Quinzaine, une pétition de soutien circule parmi les cinéastes, déjà signée par Stéphane Brizé, Arnaud Desplechin, Pascale Ferran, Agnès Jaoui…Lire aussi : Les tabous marocains mis à nu par Nabil Ayouch Comment a démarré cette folle croisade contre le film et son réalisateur, bien identifié au Maroc, et auteur, entre autres, des Chevaux de Dieu (2012), long-métrage qui évoquait les attentats de Casablanca ? Des extraits de Much Loved, mis en ligne à la veille de la projection du film sur le site de la Quinzaine, ont circulé sur les sites de partage de vidéos, hors contexte. « Alors, tu as fait fuiter des extraits ? », s’est entendu dire Nabil Ayouch, le 18 mai, sur la Croisette. Bien sûr que non, a-t-il répondu. L’un des extraits, qui montre les prostituées filant en voiture vers une soirée arrosée organisée pour des Saoudiens, aurait été vu deux millions de fois, révèle le cinéaste, qui n’en revient pas. On entend les filles, dans un langage cru, se motiver avant l’abattage. Quelques rushs qui ne figurent pas dans la version finale circuleraient même sur Internet, ajoute-t-il, ce qui signifierait que des fuites aient été organisées dans le circuit de postproduction…Le quotidien des prostituéesMis à part ces miettes sur Internet, auxquelles s’ajoutent des copies piratées, le public marocain n’a pas découvert le film dans toute son ampleur. C’est une plongée dans le quotidien de prostituées qui vivent sous le même toit : du matin où on les découvre en peignoir ou en pyjama de jeune fille jusqu’aux soirées sordides. Elles sont solidaires et savent pourquoi elles y vont. A la fois amazones et victimes, ces guerrières du sexe tentent de retirer un maximum d’argent de ces parties, quitte à subir des humiliations. L’image est travaillée, les scènes stupéfiantes. Seule Loubna Abidar est une comédienne professionnelle, les autres sont des « femmes qui connaissent le milieu de la prostitution mais n’en font pas partie », déclare l’équipe du film. A Cannes, le film a reçu un accueil très chaleureux du public. Mais, dans la salle, des membres du Centre du cinéma marocain veillaient au grain. Dans son communiqué du 25 mai, le ministère de la communication s’appuie sur leur appréciation pour justifier la censure : c’est « suite aux conclusions d’une équipe du Centre cinématographique marocain qui a regardé le film lors de sa projection dans le cadre d’un festival international » que les autorités marocaines ont « décidé ne pas autoriser sa projection au Maroc ».Lire aussi : Nabil Ayouch dévoile ses prostituées sur la Croisette et fait scandale au Maroc Nabil Ayouch dénonce le procédé. « A ma connaissance, c’est une première, et je suis étonné par la méthode. Le ministère de la communication n’est pas compétent pour autoriser, ou pas, la sortie d’un film ; seule la commission de contrôle, laquelle dépend du Centre du cinéma marocain, l’est. Le débat porte désormais sur la liberté d’expression, chèrement acquise au Maroc depuis les années 1970 », déclare au Monde Nabil Ayouch, qui précise toutefois que « la majorité des journaux marocains soutiennent le film ». Il ajoute : « Les opposants se focalisent sur quelques extraits, et occultent la dimension artistique du film. Much Loved, c’est un an et demi de travail, toute une enquête sur le terrain. Je m’attendais à de telles réactions enflammées, aussi violentes. Mais un débat sociétal sur un sujet aussi présent ne peut être que positif. » « Plein d’humanité »La tension est montée toute la semaine, jusqu’au retour du réalisateur au Maroc, lundi 25 mai. Les ventes internationales se limitent, pour l’instant, à trois pays, « la France, l’Italie et l’ex-Yougoslavie », précise le vendeur international, Celluloïd Dreams, sis à Paris. On ne sait pas encore si le film sera sélectionné pour le Festival de Marrakech (du 4 au 13 décembre), financé en partie par le roi du Maroc, via une fondation. « Je ne veux pas me laisser influencer par cette affaire. Dans la compétition, je ne sélectionne pas toujours les films marocains présentés à Cannes », nous dit simplement Bruno Barde, qui assure la sélection. Le délégué général de la Quinzaine des réalisateurs, Edouard Waintrop, juge, dans un communiqué, « cette censure, cette atteinte à la liberté d’expression inacceptables », de la part d’« un pays qui accueille des tournages du monde entier et qui organise, justement à Marrakech, l’un des plus grands festivals du cinéma ».Le distributeur Eric Lagesse, de Pyramide, n’avait pas prévu un tel chaos : il y a quelques jours encore, il ne savait pas quand le film sortirait en France. La date est désormais connue, ce sera le 16 septembre. Eric Lagesse explique comment la polémique lui a échappé : « J’ai acheté le film le week-end avant Cannes. Je l’ai trouvé formidable. Mais ensuite, je n’ai pas maîtrisé la communication. Notamment le visuel provocant qui montre une comédienne avec un doigt dans la bouche. Cela ne me plaît pas. Si on ajoute à cela les extraits sur Internet, cela rend le film putassier, alors qu’il est plein d’humanité. » Bref, il faut le voir. Présenté actuellement au Forum des images, à Paris, qui programme des films de la « Quinzaine », il suscite un fort intérêt : « 800 places ont été vendues en deux heures », se félicite le distributeur. ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* Le cinéaste Nabil Ayouch incarne depuis une quinzaine d’années avec un talent certain le renouveau et la vitalité du septième art marocain. Réalisateur engagé, il n’hésite pas à aborder dans son œuvre cinématographique les sujets les plus sensibles : les enfants abandonnés dans Ali Zaoua prince de la rue (2000) ; le cheminement des djihadistes, dans Les Chevaux de Dieu (2012) ; ou encore, le conflit israélo-palestinien avec une diversité de point de vue dans My Land (2011). En 2003, son film Une minute de soleil en moins n’a pas échappé aux affres de la censure pour des scènes de nudité et de sexe.Son nouveau long-métrage, présenté au Festival de Cannes, qui suit la destinée de quatre prostituées majeures à Marrakech, a soulevé l’ire des chantres de la morale islamique. Frappé d’opprobre avant même qu’une demande de visa d’exploitation ait été sollicitée, Much Loved ne sera pas diffusé dans les salles du royaume. La décision a été annoncée par le ministère de la communication, le film ternirait par son langage cru l’image des femmes marocaines et serait ainsi préjudiciable au pays.Or le cinéaste franco-marocain ne fait que lever le voile sur une des multiples facettes de la prostitution. Mais nombreux sont ceux qui entendent circonscrire le Maroc à une carte postale en dissimulant ce qu’ils ne veulent ni voir ni entendre. Comme le souligne pertinemment l’écrivain et peintre Mahi Binebine dans une tribune publiée par l’hebdomadaire francophone Telquel : « Dans un roman comme dans un film, une pute parle comme une pute (pas comme une bourgeoise d’Anfa, ce ne serait pas crédible !). »La prostitution est omniprésente dans le pays et s’est banalisée. Pour beaucoup de jeunes hommes, visiter les prostituées est l’occasion de vivre leurs premières expériences sexuelles ; les travaux d’un sociologue marocain, édités en 2010, sur le célibat en milieu rural dans la province d’El Jadida montrent qu’en attendant le mariage, les deux tiers des célibataires interrogés opèrent des visites chez les prostituées à Azemmour ; ce genre d’escapade permet de combler l’absence de relations prénuptiales. Selon une enquête réalisée en 2006, ce mode d’initiation concernerait un homme sur cinq.Un tourisme sexuelLes hommes mariés recourent également au sexe tarifé pour des pratiques qu’ils s’interdisent avec leurs épouses. Le psychiatre et sexologue Aboubakr Harakat estime « que la prostitution augmente pendant le mois sacré du ramadan. Il n’y a qu’à voir les hammams ouverts toute la nuit pour s’en convaincre. Les prostituées doivent se laver après l’acte sexuel, conformément aux préceptes de l’islam, pour reprendre le jeûne le lendemain, les hommes aussi ». On ne saurait non plus occulter l’existence d’un tourisme sexuel qui repose sur une offre bien organisée de réseaux de prostitution avec rabatteurs, faux guides, chauffeurs de taxi, entremetteuses.Pour 60 % des femmes interviewées, le premier rapport sexuel rémunéré intervient entre 9 et 15 ansLe sociologue Abdessamad Dialmy estime à cet égard que : « Cela fait entrer la devise… On ne pense qu’à être meilleur que la Tunisie. L’Etat s’en fout, c’est de l’inconscience et de la lâcheté… L’Etat fait la politique de l’autruche. » La prostitution est faite de contrastes.Elle peut être occasionnelle pour de jeunes étudiantes qui fréquentent des hommes afin de se faire offrir sorties, restaurant, bijoux, mobiles, parfums et autres objets convoités que ni les ressources familiales ni leurs maigres bourses universitaires ne peuvent leur procurer.D’autres femmes vendent leur corps temporairement afin de collecter les fonds nécessaires à un avortement. Enfin, il y a toutes celles pour qui cet état ne constitue pas une démarche provisoire.Polémique virulentePour ces professionnelles, c’est un moyen d’assurer la subsistance d’une famille monoparentale et d’éviter de sombrer dans le chômage. Certaines officient dans des lieux plus ou moins sordides, mais également dans des hôtels situés à proximité des discothèques ou encore dans des palaces pour clientèle haut de gamme.Une enquête menée en 2008 auprès de 500 prostituées de sept villes (dont Fès, Agadir et Rabat) par l’Organisation panafricaine de lutte contre le sida (Opals) au Maroc révélait que si souvent pauvreté et analphabétisme sont des facteurs qui acculent des femmes à s’adonner à la prostitution, contrairement à certaines idées reçues, certaines (de l’ordre de 20 %) ont suivi un cursus universitaire et détiennent un diplôme. Pour 60 % des femmes interviewées, le premier rapport sexuel rémunéré intervient entre 9 et 15 ans.Cette prostitution infantile ne constitue pas une révélation puisque le silence sur cette dimension avait déjà été brisé par une étude effectuée dans la cité ocre avec le soutien de l’Unicef en 2004. D’après le SAMU social en 2012, il y aurait plus de 100 enfants prostitués à Casablanca et les consommateurs ne sont pas exclusivement des clients étrangers, les autochtones y recourent également. Toutes ces réalités ne sauraient être ignorées et doivent être rappelées aux pourfendeurs du cinéaste (et de son actrice principale, Loubna Abidar), elles rendent l’interdiction du film d’autant plus incongrue. Mais c’est également la liberté de création qui est mise à mal.Le cinéaste Nour-Eddine Lakhmari, en 2009, après avoir réalisé Casanegra (introspection sans concession de la société marocaine à travers les bas-fonds de la ville blanche) avait déclaré qu’il s’était autocensuré pour ne pas dépasser certaines limites, qu’il fallait tenir compte du contexte qui est encore traditionnel et précisait : « J’aurais causé une explosion sociale si j’avais utilisé des insultes se référant à Dieu. »En s’affranchissant de cette contrainte et afin de rompre avec l’hypocrisie sociale dominante, Nabil Ayouch a une nouvelle fois payé le prix fort. La polémique virulente qui enflamme les réseaux sociaux autour de son film corrobore avec éclat les propos tenus par un personnage de l’une des nouvelles de la romancière Siham Benchekroun : « Dans ce pays, tu peux tout faire, vraiment tout, pourvu que cela ne se voie pas ! Même si tout le monde le sait, y’a pas de problème, mais il ne faut pas que ce soit apparent. »Laurent Beurdeley est maître de conférences à l’université de Reims. Il est l’auteur de l’ouvrage Le Maroc, un royaume en ébullition (Non Lieu, 2014). ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* L’acteur Christopher Lee est mort Christopher Frank Carandini Lee, connu sous son nom d’acteur comme Christopher Lee, est mort dimanche à l’âge de 93 ans, ont indiqué jeudi 11 juin les services de l’état civil de la mairie de Kensington et Chelsea, confirmant les informations de plusieurs médias britanniques. Avec une carrière riche d’environ 250 films, l’acteur britannique était devenu célèbre à la fin des années 1950 en interprétant Dracula, rôle qu’il a endossé près d’une dizaine de fois dans une série de films sortis entre 1958 et 1976 et produits par les studios Hammer.Christopher Lee est également connu pour ses rôles de méchant. D’abord avec son interprétation de Scaramanga, L’Homme au pistolet d’or qu’affronte James Bond sous les traits de Roger Moore, ou plus récemment du comte Dooku, dans Star Wars, ou de Saroumane, dans Le Seigneur des anneaux.Chanteur de métalNé à Londres le 27 mai 1922, Christopher Lee descendait par sa mère d’une des plus anciennes familles italiennes, les Carrandini, dont la lignée remonte à Charlemagne. Il était devenu acteur sur les conseils d’un cousin après avoir servi dans la Royal Air Force au cours la seconde guerre mondiale.Amateur de metal, il avait collaboré avec plusieurs groupes en tant que chanteur. Il avait d’ailleurs dédié deux albums de métal symphonique à son ancêtre : Charlemagne : By the Sword and the Cross sorti en 2010 et Charlemagne : The Omens of Death en 2013.« Maître du macabre »Les témoignages ont aussitôt afflué pour saluer la mémoire de cet acteur luciférien. Le maire de Londres, Boris Johnson, a été l’un des premiers à rendre hommage au « maître du macabre ». Really sad to hear about the death of Christopher Lee, one of the greatest British actors and a master of the macabre http://t.co/q5UUhc7xId— MayorofLondon (@Boris Johnson) Le premier ministre britannique, David Cameron, s’est dit attristé par la mort de l’acteur « aux films chéris par des millions de personnes ». Il a également rendu hommage dans le même tweet à l’acteur britannique Ron Moody, disparu ce jeudi. I'm saddened by the deaths of Sir Christopher Lee and Ron Moody. Both starred in films that are treasured by millions.— David_Cameron (@David Cameron) L’acteur Elijah Wood a, pour sa part, salué « un homme extraordinaire (…), une icône, et un immense être humain avec une histoire inoubliable ». « Tu nous manqueras », a conclu l’acteur qui a interprété à ses côtés le rôle de Frodon dans la trilogie « Le Seigneur des anneaux ». An extraordinary man and life lead, Sir Christopher Lee. You were an icon, and a towering human being with stories for days. We'll miss you.— woodelijah (@Elijah Wood) ************************************************************* Christopher Frank Carandini Lee, connu sous son nom d’acteur comme Christopher Lee, est mort dimanche à l’âge de 93 ans, ont indiqué jeudi 11 juin les services de l’état civil de la mairie de Kensington et Chelsea, confirmant les informations de plusieurs médias britanniques.Lire la nécrologie : Le comte Dracula ne se réveillera plus ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* L’insistance de Depardieu pour projeter le film sur la FIFA à Cannes Il aura fallu tout le poids de Gérard Depardieu pour que United Passions, le film sur la FIFA financé par la FIFA, puisse se vanter d’être en sélection officielle au Festival de Cannes.L’acteur français, qui incarne le créateur de la Coupe du monde, Jules Rimet, dans ce film raillé par la critique, a prié le directeur du festival de bien vouloir projeter son film sur la Croisette, affirme Thierry Frémaux lui-même dans une interview à l’agence Associated Press.Dans un premier temps, lorsque United Passions lui a été soumis pour l’édition 2014 du festival, Thierry Frémaux avait « rejeté le film ».« Au début, j’ai dit : “Hors de question”, car le film n’avait pas la qualité requise pour être dans la sélection officielle. Puis ils m’ont dit : “Et pourquoi pas sur la plage ?” J’ai dit : “Ah, la plage. Oui, c’est un festival, c’est du football, c’est grand public. OK.” »La FIFA n’a pas payé le festival pour que le film soit projeté, précise son délégué général. C’est Gérard Depardieu, président du jury cannois en 1992, qui a fait pencher la balance en réclamant lui-même cette faveur. « Gérard Depardieu a été très insistant. Il voulait vraiment qu’on le projette. Je ne dis pas qu’on l’a fait pour lui faire plaisir, mais disons qu’il a beaucoup insisté. » Thierry Frémaux a assisté à la projection en compagnie de l’acteur français et de son ami Sepp Blatter, président de la FIFA, incarné à l’écran par Tim Roth.La projection dans le cadre du Cinéma de la plage, cette année-là, en compagnie de films culte, Le Bon, la Brute et le Truand, Pulp Fiction ou La Folie des grandeurs, est suffisante pour afficher la palme et le label « Sélection officielle » dans les bandes-annonces et sur les affiches promotionnelles.Ce label n’a pas empêché le film de connaître un gros échec commercial et critique. En France, il est sorti directement en DVD, et une poignée de pays seulement l’ont diffusé en salles. Selon les données de Rentrak, le film a rapporté 178 639 dollars (environ 159 000 euros), dont une bonne partie en Russie, où Gérard Depardieu jouit d’une grande popularité. Loin des 27 millions de dollars versés par la FIFA pour financer le long-métrage du Français Frédéric Auburtin.Sa sortie aux Etats-Unis, au début du mois de juin, n’a pas vraiment compensé cet échec commercial, avec seulement 900 dollars rapportés pour son premier week-end, dans dix salles. La critique a été unanime, d’autant plus que le film est sorti en plein scandale bouleversant la fédération internationale de football et son président, Sepp Blatter, sur le départ.Lire aussi : Le Washington Post a ironisé sur le choix de Tim Roth, 54 ans, pour jouer le rôle de Sepp Blatter, 79 ans : « Il faut vraiment avoir un énorme ego pour financer un film dont vous êtes le héros, mais, au moins, Blatter a eu la décence de ne pas engager Brad Pitt pour le jouer. » Le New York Times a jugé le film « le plus irregardable de mémoire d’homme ».Thierry Frémaux est à peine moins sévère : « Je ne trouve pas du tout le film horrible. Ça aurait dû être un téléfilm. » ************************************************************* John Lasseter, patron de Pixar : « Un studio d’animation n’est pas un studio comme les autres » Il est le réalisateur de Toy Story, premier long-métrage d’animation 3D de l’histoire du cinéma ; le patron de Disney Animation, mais aussi celui de Pixar, le studio d’animation emblématique de la 3D, dont la nouvelle production, Vice-Versa, sort le 17 juin  : John Lasseter est un spécimen. Le cas unique – depuis Ernst ­Lubitsch et la Paramount au milieu des années 1930 – d’un réalisateur à la tête d’un studio de cinéma, à une époque où ce poste de dirigeant est dévolu à des hommes d’affaires.Adapter la touche Disney à son époqueVous dirigez les studios d’animation Pixar depuis que Steve Jobs en a repris le contrôle, en 1986, et les studios Disney depuis 2006. En quoi la culture de Disney et celle de Pixar diffèrent-elles  ?Pixar est un studio de pionniers. Nous avons inventé l’animation par ordinateur, et cette innovation va au-delà de la technologie  : elle tente de raconter autrement des histoires. Durant vingt-cinq ans, Steve Jobs a été notre patron, le propriétaire de la compagnie. ­Celle-ci est située dans la Silicon Valley, à San Francisco, un lieu d’innovation par excellence où la recherche est l’élément fondamental. A la différence de Los Angeles, San Francisco n’abrite pas d’industrie du cinéma, ce qui induit pour un metteur en scène un rapport différent au monde. Lorsque je quitte mon bureau, je retrouve mes amis, qui sont dentiste, avocat, homme d’affaires ou vigneron.Disney repose davantage sur la tradition que sur l’innovation. Quand vous travaillez ici, c’est par respect pour l’homme qui a créé ce studio. Personne n’a trouvé un équilibre aussi puissant que Walt Disney entre l’image, la musique et l’humour. Sa signature est unique. En 2006, quand je suis arrivé dans ce studio avec Ed Catmull [informaticien, cofondateur de Pixar], tout le monde m’a expliqué qu’il fallait retrouver la touche Disney. Mais il fallait l’adapter à son époque. Cela passait par l’abandon de la princesse attendant son prince charmant, par la création de femmes plus fortes, si possible issues des minorités. Il y avait à l’époque un abattement terrible dans ce studio. Pour en sortir, il fallait un énorme succès  : ce fut La Reine des neiges (2013), puis Les Nouveaux Héros (sorti en France en février).Vous expliquez souvent qu’un film ­d’ani­mation doit garder le souci du public tout en abordant un concept audacieux ou jamais vu. Comment concilier les deux  ?Je répète toujours à mes cinq fils  : assurez-vous de faire ce qui vous plaît, comme ça vous n’aurez plus l’impression de travailler un seul jour de votre vie. Steve Jobs [le fondateur d’Apple], dans une allocution à l’université Stanford, à Palo Alto – il avait déjà son cancer du pancréas et savait qu’il allait mourir – expliquait que la vie était trop courte pour se vendre et perdre son temps. Moi, j’essaie juste de faire comprendre à mes équipes qu’elles travaillent pour les autres, mais aussi pour elles.Un artiste à la barreVous êtes également le réalisateur de ­­ « Toy Story » et de « Cars ». Faut-il être un artiste pour faire fonctionner un studio d’animation  ?Je ne vois pas d’autre moyen. Pixar et Disney sont des entreprises à part : il s’agit de véritables studios de cinéma. Les studios comme Paramount, Universal ou Warner produisent et financent des films proposés par d’autres structures. Les personnes employées chez Disney ou Pixar y ont effectué toute leur carrière. Il faut donc tenir compte de leurs aspirations artistiques. Quand je suis arrivé chez Disney, une animatrice m’avait fait remarquer : « Vous ne savez pas ce que c’est que de travailler quatre ans sur un film pour vous apercevoir que le jour de la sortie, tout est terminé, plus personne n’en parlera, c’est comme s’il n’avait jamais existé. » Mais si le travail est fait correctement, il n’existe pas de date de péremption pour un film d’animation. Prenez Blanche-Neige et les sept nains  : je ne connais pas de film qui ait été autant vu et revu depuis 1938. Vous ne pouvez réclamer un effort de la part des animateurs au sein d’un studio qu’en leur proposant un projet qui en vaille la peine, et il vaut mieux que celui-ci soit proposé par un artiste à d’autres artistes. Etre artiste me permet de comprendre ce qu’ils attendent.Disney Animation alignait en effet, avant votre arrivée, les mauvais films et les échecs commerciaux. Qu’est-ce qui ne fonctionnait pas  ?C’est très simple. Disney était un studio géré par des hommes d’affaires, et non par des artistes.Mais c’est le cas de tous les autres studios.C’est juste. Mais, je le répète, un studio d’animation n’est pas un studio comme les autres. A Pixar, nous avons tout fait pour que nos metteurs en scène et scénaristes forment un « brain-trust » auquel les films sont montrés tous les trois mois, dans leur état provisoire. C’est un processus douloureux qui consiste pour le réalisateur à encaisser des critiques sévères – j’en sais quelque chose lorsque c’est à mon tour de réaliser un film. Mais il faut en passer par là. Dans un studio géré par des hommes d’affaires ou des juristes, vous vous trouvez face une hiérarchie rigide et pyramidale où tout est compartimenté. Les équipes de cinéma doivent tout rapporter à un membre de cette hiérarchie, et vous pouvez être certain que cette personne n’est jamais allée dans une école de cinéma, n’a jamais pris de cours d’écriture de scénario, n’a jamais appris à raconter une histoire. Or, elle se retrouve à la tête d’un studio de cinéma et formule des remarques à un animateur sur la réalisation des films. Ce n’est pas évident.En arrivant chez Disney, j’entendais partout le même constat au sujet des animateurs  : « Ils ont perdu leur boussole. » Ils ne pensaient plus à réaliser le meilleur film possible, juste à argumenter sur les remarques formulées par leurs responsables. Du coup, ils tournaient le dos à la seule question qui importe  : comment rendre le film meilleur  ? Comment suivre son instinct  ? L’usage chez Disney était alors, au sein de la hiérarchie, de choisir une idée ou une ébauche de scénario pour l’assigner à une équipe d’animateurs. C’est une manière de travailler qui peut donner de bons résultats. Mais je ne travaille pas ainsi. En revanche, je suis prêt à miser une somme considérable, un gros budget de film hollywoodien sur une idée comme celles de Là-haut, Wall-E, Toy Story ou Vice-Versa, qui sont des idées de metteur en scène.Rendre un univers crédible  : la magie de l’ordinateurCette idée, souvent, ne peut s’incarner que par le médium de l’animation. C’est le cas pour « Toy Story » (des jouets délaissés par leur propriétaire), ainsi que pour la dernière production Pixar en date, « Vice-Versa », qui prend place dans le cerveau d’une adolescente. Le fond et la forme sont ici indissociables…Absolument. Je dirais même plus  : ces films ne peuvent exister que par l’animation 3D. Je suis amoureux de ce médium. Cela ne signifie pas que je l’idolâtre  ! Au contraire, je pousse en permanence ses limites. Quand nous réfléchissons à un concept de film, je demande au metteur en scène de me proposer trois sujets différents, histoire de savoir ce qu’il a en tête au-delà de son projet fétiche. Quand il me propose une idée, je pose deux questions. La première est  : d’où l’émotion ­va-t-elle surgir dans son histoire  ? Bien souvent, elle réside dans la manière dont le protagoniste apprend à grandir, ou encore dans le fait qu’il change le monde et les gens autour de lui. L’autre question que je pose concerne le lieu où se déroule le film. C’est là qu’intervient le médium de l’animation par ordinateur. Celui-ci permet de rendre vraisemblable un univers et un imaginaire non pas « réaliste  » – ce n’est pas mon souci – mais crédible. Lorsque Pete Docter nous a parlé, avec Vice-Versa, d’un film se déroulant dans le cerveau d’une fille de 11 ans, avec les soubresauts liés à son âge, je savais dès le départ que cela pourrait être l’un de nos meilleurs films. Je comprenais aussi qu’il serait compliqué à faire. Là ­encore il y avait un univers – un cerveau, en l’espèce – qu’on n’avait jamais vu au cinéma et que nous devions rendre familier pour le spectateur.Vous teniez alors une idée formidable, mais sans scénario pour la raconter. Or, le scénario est le cauchemar de l’animation, car il est presque impossible à modifier une fois le travail d’animation lancé. Comment surmonter cette difficulté  ?Le film que nous imaginons en début de production ne ressemble jamais à celui que nous finissons par réaliser. On peut emprunter tellement de directions pour donner une forme narrative à un concept  ! Mais en animation, à la différence du cinéma en prises de vues réelles, il est impossible de filmer un même plan sous plusieurs angles  : ce serait trop cher. Les story-boards remplissent cette fonction. Du coup, nous les retravaillons sans cesse. Un peu comme si chaque scène d’un film en prises de vues réelles réclamait systématiquement neuf versions avant d’être filmée… Ce processus itératif est fondamental en animation. Nous ne prenons jamais le parti de dire que nous avons enfin trouvé la bonne idée, c’est un mauvais principe  : il faut encore chercher pour un meilleur résultat. C’est un processus long, pénible, réclamant de la patience. Mon job consiste à observer chaque arbre de la forêt avec un regard neuf, puis à me plaindre de chaque feuille.Vous allez mettre en scène « Toy Story 4 ». Comment trouvez-vous le temps de réaliser tout en dirigeant un studio  ?Il faut gérer son calendrier. A Pixar, Pete Docter et Lee Unkrich [réalisateur de Toy Story 3] sont mes partenaires, cela me permet de me mettre à plein temps sur le film. Sur une semaine, trois à quatre jours seront consacrés à Toy Story 4, deux seront dévolus à d’autres films. Andrew Stanton [coréalisateur du Monde de Nemo et réalisateur de Wall-E] est le producteur exécutif de Toy Story 4  : c’est mon patron, et c’est à lui de me mettre la pression. Le danger, pour moi, arrivé en haut de la pyramide, serait qu’une fois aux manettes d’un film mon entourage cesse de me dire la vérité. Cela se produit si souvent. J’ai ici la garantie de me confronter à un individu qui me secouera.A voir Vice-Versa, film d’animation américain de Pete Docter et Ronaldo Del Carmen (1 h 34). ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* Décès de l’actrice magali Noël ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* Rencontre avec Laura Poitras, la confidente d'Edward Snowden Elle avait déjà décroché le scoop de sa vie. Laura Poitras vient de recevoir l'Oscar du meilleur documentaire. Citizenfour retrace la genèse de l'affaire Snowden. Des prémices qu'elle a suivis en direct : la journaliste réalisatrice est l'une des premières personnes auxquelles le jeune agent de la NSA a confié ses révélations. Lorsque au début de 2013, Edward Snowden décide de révéler les documents sur les programmes de surveillance planétaire de l'Agence nationale de sécurité (NSA), il choisit deux Américains qu'il n'a jamais rencontrés, le journaliste indépendant Glenn Greenwald et la documentariste Laura Poitras. Il leur accorde sa confiance car il admire leur travail d'investigation. Laura Poitras est célèbre pour avoir réalisé My Country, my country, un film sur l'Irak sous occupation américaine, nommé aux Oscars en 2010. Deux ans plus tard, la réalisatrice avait à nouveau fait parler d'elle avec The Oath, sur la prison de Guantanamo.  A l'époque, pour Laura Poitras, la notoriété n'a pas que des avantages : irritées par sa critique radicale de la politique américaine, les autorités inscrivent son nom sur une liste secrète de personnes à surveiller. Chaque fois qu'elle rentre aux Etats-Unis après un voyage à l'étranger, elle est détenue et interrogée à l'aéroport, parfois pendant des heures : « Un jour, ils ont saisi tous mes appareils électroniques et les ont gardés pendant des semaines. » Un courrier électronique signé « CitizenFour » Pour échapper à ce harcèlement, elle quitte les Etats-Unis fin 2012 et s'installe à Berlin : « J'y avais déjà des contacts. En plus, il y a à Berlin une communauté de gens qui militent pour le respect de la vie privée. Les lois allemandes en la matière sont bien faites. » Elle se lance alors dans la préparation d'un nouveau documentaire, centré sur la surveillance électronique de masse. Pour son enquête, Laura Poitras rencontre des anciens membres de la NSA devenus lanceurs d'alerte et Julian Assange de WikiLeaks : « A l'époque, ils passaient pour des paranoïaques. » Mais son projet initial va être bouleversé. Début 2013, elle reçoit un courrier électronique signé « CitizenFour », qui lui demande de créer une boîte e-mail cryptée. Il promet de lui révéler des choses étonnantes. Très vite, Laura comprend que ce correspondant mystérieux va lui fournir le scoop de sa vie : un lot de documents secrets dévoilant un gigantesque programme illégal de surveillance planétaire des réseaux électroniques, orchestré par la NSA et l'agence britannique GCHQ. « Notre devoir de citoyen » Pour Laura et sa monteuse Mathilde Bonnefoy, une Française installée à Berlin, commence alors une nouvelle vie, compliquée : « Pour parler, se souvient Mathilde, on s'écrivait des petits mots, ou alors on quittait mon appartement en laissant nos téléphones, et on allait discuter au restaurant. » En avril 2013, CitizenFour donne rendez-vous à Laura et à Glenn Greenwald dans un hôtel de Hongkong pour leur transmettre tous les documents pris à la NSA. A leur arrivée, les deux journalistes découvrent que CitizenFour est un ancien agent de la CIA et de la NSA, âgé de seulement 29 ans. Son vrai nom est Edward Snowden. Tous trois se mettent au travail pour trier et analyser les documents, et mettre en place une stratégie pour révéler les documents aux médias. En même temps, Laura Poitras filme Snowden et Greenwald en train d'écrire, de discuter, de rire, de s'inquiéter pour leur avenir devenu si incertain, de prendre peur à cause d'une simple alarme incendie… Ces scènes d'intérieur constituent le cœur de Citizenfour, le documentaire de Laura Poitras : « Pour moi, le pseudo que Snowden s'était choisi nous rappelle à notre devoir de citoyen. Il possède aussi une dimension mystérieuse, proche de la science-fiction, qui colle bien à l'ambiance de mon documentaire. » « La police aurait pu saisir mes vidéos » Dès lors, tout va très vite. Glenn Greenwald publie les premiers articles dans le Guardian. Edward Snowden annonce publiquement qu'il est l'auteur de la fuite. Puis il tente de partir pour l'Amérique latine mais reste coincé à Moscou. De son côté, Laura Poitras retourne à Berlin, sans repasser par les Etats-Unis : « Si j'avais atterri dans un aéroport américain, la police aurait pu saisir mes vidéos. Il n'y aurait pas eu de film. » Aussitôt, elle commence le montage avec Mathilde Bonnefoy. Elle écrit aussi des articles sur les documents de la NSA pour Der Spiegel, le Guardian, le New York Times, et aussi pour The Intercept, site d'information créé par Glenn Greenwald et le milliardaire de la Silicon Valley Pierre Omidyar. A la suite d'une campagne médiatique en sa faveur, Laura Poitras peut désormais retourner aux Etats-Unis. Elle vient de passer plusieurs semaines à Los Angeles car Citizenfour a été nominé pour une série impressionnante de récompenses : les prix de trois associations professionnelles, le prix Satellite décerné par les journalistes de cinéma, le prix du cinéma indépendant et surtout l'Oscar du meilleur film documentaire qu'elle a remporté le 22 février. Laura reste une rebelle Dans son discours de remerciements, elle est restée centrée sur son message : « Quand les décisions qui nous affectent tous sont prises en secret, nous perdons toute capacité à contrôler le pouvoir. » C'est la gloire. Grâce à Hollywood, est-elle devenue intouchable ? « Je suis sûre que les autorités continuent à s'intéresser de près à tous mes faits et gestes. Mais au moins, je ne suis plus arrêtée dans les aéroports. » Le Musée d'art américain Whitney à New York lui a proposé de monter une installation vidéo artistique, toujours sur le thème de la surveillance de masse. Mais Laura reste une rebelle : « Une masse de documents Snowden sont encore inexploités. Je vais continuer à travailler sur cette affaire. » Yves Eudes Grand reporter ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* Pierre Niney quitte la Comédie française Le pensionnaire avait remis sa lettre de démission à l’administrateur général de la Comédie française, Éric Ruf, il y a près de deux mois, le 15 janvier, mais l’information n’a été rendue publique qu’aujourd’hui, vendredi 13 mars. Le jeune acteur, qui fête ses 26 ans ce jour, pourra donc désormais se consacrer davantage au cinéma, qui lui a d’ailleurs permis de décrocher, le 20 février, le César du meilleur acteur pour son rôle dans Yves Saint Laurent, de Jalil Lespert, où il incarne le couturier. En 2007, la comédienne Marina Hands avait, elle aussi, quitté la Maison de Molière juste après avoir reçu le César de la meilleure actrice pour son rôle dans Lady Chatterley, de Pascale Ferran. En 2012, Grégory Gadebois avait à son tour claqué la porte de l’institution, parce qu'il y « manquait d'air ».Lire aussi: Yves Saint Laurent: juste quelques effluvesPierre Niney avait rejoint la prestigieuse troupe du Français, dirigée à l’époque par Muriel Mayette, en octobre 2010, à l’âge de 21 ans. Il y a joué dans des pièces de registres aussi différents qu’Un fil à la patte, de Feydeau, Un chapeau de paille d’Italie, de Labiche ou Phèdre, de Racine. La Comédie française n’a pas souhaité commenter ce départ.Lire aussi: Le chapeau de Labiche mangé par FeydeauParallèlement, le jeune homme à la longue silhouette et au sourire timide menait une carrière prometteuse au cinéma, où les comédies à succès Lol, de Lisa Azuelos (2008), J’aime regarder les filles, de Frédéric Louf (2011) ou 20 ans d’écart, de David Moreau (2013), où il apparaissait au côté de Virginie Efira, lui valurent plusieurs fois d’être nominé aux Césars dans la catégorie « meilleur espoir masculin ». Il sera à l’affiche dès la semaine prochaine pour Un Homme idéal, un thriller de Yann Gozlan, où il tient le rôle principal, un écrivain qui accède à la notoriété en signant le texte d'un autre. On le retrouvera bientôt au casting de Altamira du britannique Hugh Hudson (Les Chariots de Feu, Greystoke) où il joue au côté d'Antonio Banderas. En 2016, il interprètera Philippe Cousteau, le fils de Jacques-Yves Cousteau, dans L'Odyssée, de Jérôme Salle. ************************************************************* Le pensionnaire avait remis sa lettre de démission à l’administrateur général de la Comédie française, Éric Ruf, il y a près de deux mois, le 15 janvier, mais l’information n’a été rendue publique qu’aujourd’hui, vendredi 13 mars. Pierre Niney, qui fête ses 26 ans ce jour, pourra donc désormais se consacrer davantage au cinéma. Comme pour encourager ce choix alors encore secret, le jeune acteur recevait, le 20 février, le César du meilleur acteur pour son rôle dans Yves Saint Laurent, de Jalil Lespert, où il incarne le couturier.En 2007, la comédienne Marina Hands avait, elle aussi, quitté la Maison de Molière juste après avoir reçu le César de la meilleure actrice pour son rôle dans Lady Chatterley, de Pascale Ferran. En 2012, Grégory Gadebois avait à son tour claqué la porte de l’institution, parce qu'il y « manquait d'air ».Lire aussi : Yves Saint Laurent: juste quelques effluvesDepuis 2010 au FrançaisPierre Niney avait rejoint la prestigieuse troupe du Français, dirigée à l’époque par Muriel Mayette, en octobre 2010, à l’âge de 21 ans. Il y a joué dans des pièces de registres aussi différents qu’Un fil à la patte, de Feydeau, Un chapeau de paille d’Italie, de Labiche, ou Phèdre, de Racine. La Comédie française n’a pas souhaité commenter ce départ.Parallèlement, le jeune homme à la longue silhouette et au sourire timide menait une carrière prometteuse au cinéma, où les comédies à succès Lol, de Lisa Azuelos (2008), J’aime regarder les filles, de Frédéric Louf (2011), ou 20 ans d’écart, de David Moreau (2013), où il apparaissait au côté de Virginie Efira, lui valurent plusieurs fois d’être nominé aux Césars dans la catégorie « meilleur espoir masculin ». Il sera à l’affiche dès la semaine prochaine pour Un Homme idéal, un thriller de Yann Gozlan, où il tient le rôle principal, un écrivain qui accède à la notoriété en signant le texte d'un autre. On le retrouvera bientôt au casting de Altamira du Britannique Hugh Hudson (Les Chariots de Feu, Greystoke), où il joue au côté d'Antonio Banderas. En 2016, il interprètera Philippe Cousteau, le fils de Jacques-Yves Cousteau, dans L'Odyssée, de Jérôme Salle.Lire aussi : Le chapeau de Labiche mangé par Feydeau ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* « Boyhood » : à quoi ressemble le montage d’un film dont le tournage a duré 12 ans ? Parvenir à rassembler régulièrement les mêmes acteurs pendant douze ans pour donner une image le plus fidèle possible de l’enfance, c’est, on le sait, le pari réussi de Boyhood. Un exploit pour le réalisateur Richard Linklater, certes, mais pas seulement. Invités du South by Southwest, un festival tout à la fois consacré aux films, à la musique et aux nouvelles technologies, quelques-uns des artisans de l’ombre qui ont permis au film de voir le jour ont donné un aperçu du défi gigantesque, et du cauchemar parfois, qu’a representé le montage.Le choix de la musique. Collaboratrice de Richard Linklater depuis vingt-deux ans, Sandra Adair explique comment a été bâtie la bande-son. « A chaque fois que l’on se remettait à tourner, on faisait une liste des chansons les plus écoutées à ce moment-là », explique-t-elle. « Ensuite nous donnions ces listes à des enfants du même âge que Mason [le personnage principal] et on leur demandait d’écrire un paragraphe au sujet des chansons qu’ils avaient écoutées ou qu’ils connaissaient. » Ce sont ces témoignages très personnels, qui reliaient certains morceaux à une tranche de vie, qui ont permis à l’équipe du film de décider des titres qui accompagneraient le film.Les changements techniques. « Les choses ont beaucoup changé en douze ans », dit Mike Saenz, qui a aidé Sandra Adair. Le même matériel a dû être utilisé pour filmer puis monter le film dans son entier, obligeant l’équipe à composer avec du matériel obsolète et à se débrouiller avec les quelque quatre-vingt-dix heures de film dont ils disposaient… sur cassettes.Les problèmes de droit oubliés. Une autorisation d’utilisation oubliée, et c’est une scène entière filmée des années auparavant que vous ne pouvez plus utiliser. C’est ce qui est arrivé pour une séquence du film dans laquelle figurait une affiche des Texans, une équipe de football de Houston. Dix ans après le tournage, l’équipe s’est vu refuser l’utilisation du logo, obligeant le monteur Parke Gregg à modifier numériquement toutes les images dans lesquelles il apparaissait, une à une.Multipliant les anecdotes techniques, l’équipe du film a également rendu hommage à Richard Linklater. Afin que son récit soit le plus vraisemblable possible, le réalisateur a fait en sorte de ne jamais incorporer dans l’histoire de Mason des éléments dont l’acteur qui l’incarnait à l’écran, Ellar Coltrane, n’ait lui-même fait l’expérience dans sa propre vie. Il aura ainsi fallu attendre les premiers émois de ce dernier pour que Mason ait lui aussi sa première petite amie à l’écran.  Olivier Clairouin (Austin (envoyé spécial)) Richard Glatzer, qui avait coécrit et co-réalisé avec son mari Wash Westmoreland le film Still Alice, est mort mardi 10 mars à Los Angeles à l'âge de 63 ans. Il était atteint d'une sclérose latérale amyotrophique (ou maladie de Charcot). Le 22 février dernier, Richard Glatzer avait appris que Julianne Moore qui, dans Still Alice, interprète une professeur de linguistique confrontée à la maladie d'Alzheimer, avait obtenu l'Oscar de la meilleure actrice pour ce rôle. Richard Glatzer était né le 28 janvier 1952 dans le Queens, près de New York. Après des études dans les universités du Michigan et de Virginie, il était parti à Los Angeles travailler pour la télévision. Là-bas, il avait écrit et réalisé une comédie intitulée Grief. Il avait également produit un reality show, America's Next Top Model. Richard Glatzer avait rencontré Wash Westmoreland en 1995 (ils se marièrent en 2013). Ensemble, ils ont réalisé quatre films : The Fluffer en 2001, Quinceanera (Echo Park, L.A.) en 2006, The Last of Robin Hood en 2013 et enfin Still Alice qui sortira sur les écrans français mercredi prochain, le 18 mars. Grand prix à Sundance Outre Still Alice, on retiendra surtout Echo Park L. A., l'histoire de Magdalena, une jeune fille de la communauté mexicano-américaine d'Echo Park, un quartier de Los Angeles, qui prépare sa quinceanera, la célébration traditionnelle organisée à l'occasion de ses quinze ans. Ce film remporta de nombreuses récompenses parmi lesquelles le Grand prix du jury au festival de Sundance. Hasard de l'histoire, Richard Glatzer a appris qu'il souffrait d'une maladie de Charcot la même année – 2011 – où ses producteurs lui ont proposé d'adapter L'Envol du papillon, le roman de Lisa Genova dont devait être tiré Still Alice. Même si les deux maladies, Alzheimer et Charcot, sont très différentes, la coïncidence est évidemment troublante. « La fin du roman est aussi poignante qu'inattendue, expliquait Wash Westmoreland il y a peu. Elle a pris Richard au dépourvu. Elle l'a stupéfait… et dévasté. J'avais quelques chapitres de retard sur lui, mais en voyant son regard j'ai tout de suite compris : il fallait que nous fassions ce film ». Une semaine avant le tournage, les mains et les bras de Richard Glatzer ne répondaient presque plus. « Il ne pouvait plus manger ni même s'habiller seul, et n'arrivait plus à taper sur son iPad qu'avec un seul doigt, se souvenait Wash Westmoreland. Bravant la maladie, il était néanmoins présent tous les jours sur le tournage et a tenu à réaliser le film en dépit de difficultés physiques incroyables. Cela a donné beaucoup de sens à notre travail. C'était en substance le sujet même du film. Il était là, devant nous. » ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* Le tournage de films étrangers en France était jusqu’à présent un « produit de luxe ». Il est en passe de devenir plus accessible. Grâce à une nouvelle tranche de crédit d’impôt, qui entrera en vigueur au 1er janvier 2016, les tournages pourront récupérer l’équivalent de 30 % des dépenses faites pendant le tournage dans l’Hexagone (contre 20 % actuellement). Le plafond est en outre passé de 20 à 30 millions d’euros et le dispositif est désormais ouvert aux films dont le budget total est inférieur à 1 million d’euros, sous réserve que 50 % de ce budget soit tourné en France.Même si Londres s’est immédiatement aligné sur les conditions françaises, mais sans plafond et en s’engageant à reverser le crédit d’impôts en 28 jours – un défi « impossible » à relever par Bercy pour le moment –, la France se présente ainsi désormais comme l’un des meilleurs rapports qualité-prix au monde pour venir y « faire du cinéma ». D’autant qu’il faut ajouter à ces nouvelles incitations fiscales, la dépréciation de l’euro.Cela a d’ailleurs été le message des représentants français du secteur dès l’ouverture de Filmart, le plus grand salon asiatique du film, qui s’est tenu à Hong Kong du 23 au 26 mars. « A ce tarif-là, certains studios américains pourraient envisager la traversée ! », entend-on dire en coulisses.Les tournages étrangers (cinéma et autres productions audiovisuelles) pèsent environ 300 millions d’euros en France, soit 15 % de l’ensemble de la production cinématographique nationale, et 15 % seulement de ce que représentent les tournages étrangers en Angleterre.« Eviter que le tournage aille ailleurs »Ce sont néanmoins les tournages étrangers qui soutiennent la croissance constante du secteur et les milliers d’emplois en jeu. Pour la première fois, en février, le box-office chinois a devancé celui des Etats-Unis (avec 650 millions de dollars contre 640 pour les Etats-Unis).C’est donc notamment en participant à l’essor de la production audiovisuelle chinoise que la France pourra continuer de développer sa propre industrie. En Ile-de-France, principale destination des tournages, 120 000 emplois (20 000 permanents et 100 000 intermittents) sont directement liés à ce secteur.« Le crédit d’impôt ne va pas, en soi, susciter le tournage d’un film en France. Dans certains cas, il va éviter que le tournage n’aille ailleurs », relève Yve Cresson, de Bayoo TV, l’un des pionniers de la production exécutive en France pour des équipes chinoises.La France, et l’Ile-de-France en particulier sont de longue date des destinations prisées des réalisateurs du monde entier. Le Château de Versailles, à lui seul, a reçu 130 jours de tournage étranger en 2014. « On va en France pour la France », confirme-t-on chez Emperor Motion Pictures, grand producteur et distributeur hongkongais. Sous-entendu « pas pour faire des économies ». Jusqu’à présent…Un autre atout de la France est son savoir-faire technique (décorateurs, cadreurs, étalonneurs…). « Les talents français sont connus pour être de grands techniciens doublés d’une belle intelligence artistique », affirme Olivier-René Veillon, directeur général de la commission du film d’Ile-de-France et porte-étendard de la récente offensive commerciale française.Exercice laborieuxMais malgré ces atouts et la nouvelle conjoncture favorable, la partie est loin d’être gagnée. Même si le cadre s’est allégé, l’exercice reste laborieux pour les équipes étrangères. « Je ne cesse d’être sollicitée par des confrères qui voudraient eux aussi venir tourner à Paris parce qu’ils sont fascinés mais ils ne savent pas à qui s’adresser. Le crédit d’impôt c’est important mais il faudrait simplifier les démarches et créer plus d’interface pour les producteurs ou réalisateurs chinois comme moi », témoigne Xin Wang, actrice principale et productrice de la mini-série « Ex Model », qui, avec deux saisons, a atteint 75 millions de vues sur le site Youku, le géant chinois de contenu vidéo en ligne.Certains, par ailleurs, optent pour le tournage clandestin : nombre de « petites prises » se font sans autorisation par souci d’efficacité. Au regard des Chinois, la France et les Français sont d’une lenteur déconcertante. Les horaires de travail sont un autre sujet de tensions.Pourtant, avec l’émergence des nouveaux médias en ligne, la production audiovisuelle asiatique vit un « bouleversement majeur dont la France a tout intérêt à se rendre compte », selon René-Olivier Veillon. Le trio « BAT » (Baidu, Alibaba et Tencent), les trois plus grosses plateformes de commerce en ligne, sont en train de faire un pari stratégique sur les contenus originaux.La demande pour du « contenu original », qui était déjà immense dans cette partie du monde, semble désormais illimitée. A bon entendeur… Florence de Changy (Hong Kong, correspondance) ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* Mort du cinéaste Rezo Tchkheïdzé Moins connu hors de l’ex-URSS que d’autres représentants de la cinématographie géorgienne, Prix du meilleur film de fiction en 1956 au festival de Cannes pour L’Âne de Magdana, coréalisé avec Tenguiz Abouladzé, Rezo Tchkheïdzé est décédé le 3 mai à Tbilissi, à l’âge de 88 ans. Il avait été directeur du studio de Géorgie Grouzia-Film de 1973 à 2006.À 11 ans, Revaz (dit Rezo) Tchkheïdzé voit son père, écrivain et directeur du théâtre de Koutaïssi, fusillé lors la grande répression stalinienne de 1937. Considéré comme le « fils d’un ennemi du peuple », mais protégé par quelques amis de son père, il entre à l’Institut d’art dramatique de Tbilissi en 1943, le quitte avant la fin de ses études en 1946 et part à Moscou avec Tenguiz Abouladzé (Eisenstein, à qui ils ont écrit pour lui dire leur admiration, les pousse à persévérer et à se former) pour suivre au VGIK, la grande école de cinéma soviétique, les cours de Sergueï Youtkevitch et Mikhaïl Romm.Il en sort diplômé en 1953 et débute comme metteur en scène en cosignant en 1955 avec son ami Abouladzé le film L’Âne de Magdana. Mal accueilli localement, car les deux réalisateurs abordent un matériau paysan géorgien influencés par le néoréalisme italien, le film obtient cependant un grand succès et est envoyé à Cannes où il remporte le « Prix du film de fiction – courts-métrages » en 1956.Dégel khrouchtchévienAbouladzé et Tchkheïdzé vont rapidement devenir les principaux artisans de la Nouvelle Vague géorgienne qui se déploie durant le Dégel khrouchtchévien. Après Dans notre cour, en 1956 (qui relate la vie d’une cour d’immeuble à Tbilissi, avec pour son premier rôle à l’écran Sofiko Tchiaoureli qui interprétera treize ans plus tard Sayat Nova de Paradjanov) , Tchkheïdzé s’attaque, en 1959, à une fresque historique, Maïa de Tskhneti (pour échapper à la justice, une femme se déguise en homme et devient une sorte de Robin des bois).Mais c’est avec Le Père du soldat (1964) qu’il connaît la consécration. Il renouvelle le genre du film de guerre soviétique, pourtant très large, en livrant une version géorgienne : un paysan part au front à la recherche de son fils ; il suit l’Armée rouge jusqu’à Berlin où il le retrouve pour un dernier adieu. Le film, primé dans les festivals de Cork, de Thessalonique, de San Francisco, de Rome, montre, comme L’Âne de Magdana, le chemin psychologique parcouru par le personnage principal, transformé par les événements filmés de manière très réaliste, loin du pathos de nombreux films soviétiques des années 1940.Attaché à la terreTrès attaché à la terre, au labeur, le cinéaste retourne ensuite vers des thèmes plus agrestes (Les Plants, 1973 ; Voici ton fils, la Terre, 1980), mais c’est en s’éloignant de la caméra et en prenant la tête du studio Grouzia-Film, le studio d’État géorgien, de 1973 à 2006, qu’il va permettre à nombre de jeunes et moins jeunes cinéastes de faire leurs armes dans cette république foisonnante: Eldar Chenguelaïa y tourne Les Montagnes bleues ; Otar Iosseliani, Pastorale ; Sergueï Paradjanov, La Légende de la forteresse de Souram et Achik Kerib, malgré sa réputation sulfureuse et ses années de prison ; Tenguiz Abouladzé, dont Le Repentir remportera le Grand Prix du festival de Cannes en 1987 et marquera le tournant de la perestroïka.Après vingt ans de silence cinématographique, il adapte en 2008 une nouvelle de Selma Lagerlöf, Le Cierge du tombeau du Seigneur, sans retrouver le style qui marqua la décennie 1955-1965. Farouche opposant à l’ex-président géorgien Saakachvili, contempteur de la politique américaine et œuvrant sans cesse à un rapprochement avec la Russie, Rezo Tchkheïdzé est non seulement l’auteur de quelques films magnifiques, mais a aussi permis à quelques chefs-d’œuvre, malgré les risques encourus, d’exister.Joël Chapron  ************************************************************* ************************************************************* Cannes 2015 : des contre-pieds palmés « Il faut faire le tournage contre le scénario, et le montage contre le tournage », aimait à répéter François Truffaut, pour définir sa méthode de travail. La remarque vaut pour toute la profession : rares sont les milieux aussi réactifs que le cinéma.Le Festival de Cannes, dont la 68e édition débute ce mercredi, en témoigne, à sa manière. Lui aussi se construit « contre ». Il lui faut d’abord tenir tête à la concurrence, toujours prompte, de Berlin à Venise, à voler des vedettes à la Croisette.Mais c’est surtout contre lui-même que se bat, et se bâtit, le Festival cannois. Voyez les sections parallèles, qui n’hésitent plus à « chiper » des films à la barbe de la Sélection officielle. Cette année, la présence à la Quinzaine des réalisateurs des Mille et une nuits, la trilogie très attendue de Miguel Gomes, relève en partie de ces croche-pattes internes.Pour ce qui est des pieds de nez, l'Officielle reste à la pointe : il faut croire qu’elle tire un certain plaisir à se dédire – au point que chaque édition semble répondre à la précédente. En 2014, Mommy fut couvé par la critique mais boudé par le jury, qui lui refusa la Palme d’or ? Qu’à cela ne tienne : en 2015, son réalisateur, Xavier Dolan, fait partie dudit jury.Depuis ce poste d’observation privilégié, le Québécois aura tout loisir d’apprécier le film d’ouverture, La Tête haute, d’Emmanuelle Bercot : l’histoire d’un blondinet hypersensible, abandonné par une mère aimante mais dépassée… « Mommy, le retour », me direz-vous ? Plutôt son parfait inverse. Au lyrisme stylisé de Dolan, Bercot oppose une mise en scène sobre, presque éteinte. Centrale dans Mommy, la figure maternelle s’estompe dans La Tête haute, au profit d’une juge et d’un éducateur – nous ne sommes pas en Amérique du Nord, mais en France, où l’Etat joue plus facilement les parents de substitution.Du reste, en s’ouvrant par un film social à la française, plutôt que par une constellation d’étoiles hollywoodiennes, le Festival marque une rupture avec les traditions maison. Pierre Lescure progresse pareillement à rebours : là où son prédécesseur, Gilles Jacob, se montrait souvent évasif au sujet des partenariats noués avec de grandes marques, le nouveau président les assume, les affiche, les aligne.Quitte à ce qu’ils empiètent sur la programmation : organisé par le groupe Kering, le cycle Women in Motion entend « célébrer les talents féminins », à travers des tables rondes et la remise d’un prix. Le dispositif fait d’autant plus jaser qu’il met en lumière le retard criant du Festival en matière de parité…C’est un péril bien connu des empêcheurs de tourner en rond : à force de multiplier les contre-pieds, leur talon d’Achille n’en devient, paradoxalement, que plus saillant. Elevés dans le Minnesota, Joel (né en 1953) et Ethan (né en 1957) Coen se sont installés à New York, très loin de Hollywood. Pourtant, des réalisateurs de leur génération, ils peuvent se prévaloir de la relation la plus harmonieuse avec les producteurs et les studios, sans jamais rien sacrifier de leur indépendance. Sur les murs de leur bureau, des écrans affichent une image de marins américains en rang sur un plateau de cinéma. En attendant de partir pour Cannes, où ils présideront le jury de la compétition, les Coen commencent le montage de Hail Caesar, un film situé à Hollywood en 1951, avec entre autres George Clooney et Scarlett Johansson, dont le tournage – à Los Angeles – vient de s’achever.Quand avez-vous pris conscience de l’existence du Festival de Cannes ?E. C. Quand on grandit dans le Midwest, on sait vaguement qu’il existe quelque chose qu’on appelle le Festival de Cannes, mais je ne sais pas ce que ça nous disait.J. C. On devait croire que c’était quelque chose du genre « Hollywood  ». La première fois que nous y sommes allés, c’était en 1984 ?E.C. Oui, nous avions un film sur le marché [Sang pour sang, leur premier]. Ensuite, dès notre deuxième film [Arizona Junior, présenté hors compétition en 1987], le Festival a soutenu notre travail. Ç’a eu une énorme importance.Et puis est venue votre grande année.J. C. Oui, Barton Fink [en 1991]. Et ç’a été le grand choc. On ne s’attendait pas à remporter la Palme d’or.E. C. Polanski était président du jury. On a trouvé ça drôle, parce que Barton Fink était un film du genre Polanski.J. C. Je me rappelle avoir dit à Roman : « On a eu de la chance que vous soyez président du jury. Parce que notre film doit tant aux vôtres. » Ce film était presque conçu pour qu’il l’aime.Comment abordez-vous l’aspect compétitif d’un festival ?J. C. Un film qui a eu un prix n’est pas forcément le meilleur. Mais c’est une bonne manière de commencer une discussion. C’est pourquoi, quand nous avons un film à Cannes, nous préférons qu’il soit en compétition, parce que c’est là que la conversation est la plus volubile.E. C. Et elle profite à tous les films, pas seulement à ceux qui sont primés.Avez-vous mis au point votre méthode de travail pour cette position sans précédent de présidents en duo ?E. C. Non, parce que nous n’avons jamais été jurés. On ne sait pas ce que ça implique.Vous avez exactement les mêmes goûts en matière de cinéma ?[A l’unisson.] Non.J. C. Nous avons chacun une voix, nous ne sommes pas obligés d’être d’accord.Avez-vous des disputes passionnées au sujet des films des autres ?[Ils éclatent de rire.]E. C. Quand nous aimons quelque chose, nous disons : « Bon, ce n’était pas trop mal. »J. C. Et il faut vous souvenir que nous venons d’une partie du pays qui a été peuplée par les Scandinaves. Nous apportons une sensibilité scandinave à la notion de passion.Comment passez-vous d’un film à l’autre ? Y a-t-il des moments où vous devez privilégier un projet plutôt qu’un autre ?J. C. Ça dépend de la disponibilité des acteurs.E. C. Nous voulions faire The Big Lebowski [1998] deux ans plus tôt, mais Jeff Bridges et John Goodman travaillaient sur d’autres films.Comment faites-vous, en étant si loin de Hollywood ? Si on veut travailler avec de grandes stars – ce que vous faites  –, il faut être sur le terrain, non ?E.C. Maintenant que nous sommes connus, ce n’est pas parce qu’un acteur ne nous aura pas vus à une fête à Hollywood qu’il nous répondra non. Par ailleurs, nous ne sommes pas en quête de projets, de scénarios. Nous écrivons nous-mêmes et nous ne dépendons pas des studios pour monter notre prochain film.Quel rôle joue la géographie quand vous passez d’un film à l’autre ? Inside Llewyn Davis, en 2013, se situait Côte est, donc après vous faites un film en Californie ?E. C. En général, on essaie de faire un film différent du précédent.J. C. La géographie, les décors sont très importants quand nous nous mettons à réfléchir à une histoire. C’est ce qui commence à faire circuler l’énergie, ce qui stimule l’imagination.Vous avez tourné deux films pour ­chaque région, le Texas, le Sud, New York, la Californie… Ce sont vos territoires de chasse, ou allez-vous en explorer d’autres ?J. C. J’espère bien. Los Angeles est toujours très stimulant pour imaginer une histoire, bien que nous ayons choisi de ne pas y vivre. New York, hmmm. Pas tant que ça. Où est-ce qu’on pourrait bien situer le prochain  ? Ma femme [l’actrice Frances McDormand] n’arrête pas de me dire que nous devrions faire un film en Toscane, simplement parce qu’elle a envie de passer trois mois là-bas. Ou dans le sud de la France. D’ailleurs… [Il rit.]E. C. Oui, ça pourrait se passer à Nice ou à Monte-Carlo.J. C. Qui sait, on pourrait bien tourner un film à Monte-Carlo.E. C. On va ressusciter le film de monte-en-l’air.Du genre « La Main au collet  », d’Alfred Hitchcock ?E. C. Oui, ou La Panthère rose. Le voleur en col roulé noir, très sophistiqué.Le désir de découvrir un genre peut déclencher l’envie de faire un film ?J. C. C’était un grand plaisir de tourner un western, ce que nous n’avions jamais fait jusqu’à True Grit [2010]. On avait cette vision romantique du tournage d’un western jusqu’à ce que nous soyons confrontés à la réalité d’une collaboration de quatre mois avec des chevaux, ce qui était incroyablement chiant. Mais ces idées sont toujours très séduisantes quand elles vous viennent.Vous pourriez faire un film de safari.J. C. On n’y a jamais pensé, Hatari [1962], ­Mogambo [1953]. Oui, bien sûr, c’est plutôt une bonne idée.E.C. Avec des plans de rhinocéros pas tout à fait raccord. Quand on a tourné avec Billy Bob Thornton [dans The Barber, en 2001, et Intolérable cruauté, en 2003], on a parlé d’un film de Tarzan. Bon, il était un peu au-delà de la limite d’âge.J. C. Mais il a beaucoup aimé l’idée, surtout quand on lui a dit qu’on tournerait la scène du combat à mains nues avec le crocodile.E. C. C’est très difficile de faire des films dans un genre auquel le public ne s’intéresse plus, comme les cambrioleurs ou les films de ferme… On avait aussi pensé à faire un film de cheval parlant.« Hail Caesar  » relève aussi de la tradition du film hollywoodien traitant de Hollywood ?J. C. Tout à fait. C’est un film qui parle d’un studio en 1951, et on voit un certain nombre de films en cours de réalisation.E. C. Je croyais que vous alliez dire : « La tradition de George Clooney dans un rôle d’abruti  ». Parce que c’est aussi ça. C’est l’un des meilleurs abrutis de notre temps.Ce sont des personnages imaginaires qui portent le nom de personnes ayant vraiment existé ?E. C. Pour une raison que j’ignore, nous tenions absolument à utiliser le nom d’Eddie Mannix. Il arrangeait les problèmes de la Metro Goldwyn Mayer [MGM, grand studio de cinéma américain] dans les années 1940 et 1950. Le personnage n’a pas grand-chose à voir avec la personne réelle. Ce qui nous a intéressés, c’est cette communauté dans laquelle le contrat de Clark Gable avec la MGM consiste en une poignée de main avec Eddie Mannix, où Loretta Young est obligée d’adopter sa propre fille parce qu’elle ne peut révéler qu’elle est née en dehors des liens du mariage, où il faut cacher l’homosexualité des stars. Ce sont des gens qui faisaient des choses étranges tout en travaillant à un art dont nous savons deux ou trois choses.Avez-vous vu la série « Fargo » ?J. C. J’ai vu le premier épisode, parce qu’ils nous l’ont envoyé. Je ne regarde pas la télévision, du tout. Ma femme a fait quelque chose pour HBO [la minisérie « Olive Kitteridge  », réalisée par Lisa Cholodenko], elle aurait été mécontente si je ne l’avais pas regardé.Donc la télévision ne vous intéresse pas ?E. C. et J. C. Non.J. C. Nous avons tendance à aimer quelque chose qui se fait de plus en plus rare  : le film de quatre-vingt-dix à cent vingt minutes, qu’on peut projeter dans une salle.Les créateurs de la série « Fargo  » ont gardé l’avertissement que vous aviez placé au début du film de 1996  : « A la demande des survivants, les noms ont été changés, par respect pour les morts, le reste est raconté exactement comme il est arrivé. » Or, rien de tout ça ne s’est passé. Vous aimez jouer avec le spectateur. Cet avertissement infléchit sa perception.J. C. Ce que nous voulons, c’est contrôler l’état d’esprit du spectateur. Que ce soit par un carton comme celui-là, ou d’une autre façon. Comme commencer The Big Lebowski avec cette voix off bizarre. C’est une manière d’imposer un état d’esprit. Dans le cas de Fargo, c’est très direct. Dans d’autres cas, on ne peut pas le disséquer précisément, mais la voix off fait le travail. Il ne s’agit pas forcément de déconcerter les gens, même si c’est une possibilité. Il s’agit surtout de les contrôler.E. C. Nous aimons tous les deux beaucoup Le Troisième Homme [1949], dont la voix off n’est pas un narrateur omniscient mais un personnage qu’on ne rencontre jamais.Quels étaient vos goûts quand vous étiez enfants ?E. C. On voyait ce qu’on pouvait voir, ce qui passait au cinéma, ce qu’on montrait à la télévision. Des fonds de tiroir des studios dans les années 1960. Des films plus anciens aussi, Le Faucon maltais [1941], tard le soir.J. C. Quand on a été plus vieux, nous sommes allés à la film society de l’université du Minnesota. C’était l’époque des grands ciné-clubs universitaires, et ils montraient des films européens et des vrais classiques hollywoodiens. Et des Marx Brothers.Donc le film court que vous avez fait pour le 60e anniversaire de Cannes, avec Josh Brolin en cow-boy qui hésite entre « La Règle du jeu  » (1939), de Jean Renoir, et « Les Climats  » (2006), de Nuri Bilge ­Ceylan, dit quelque chose de votre relation au cinéma européen ?E. C. Absolument. Nous sommes étrangers à cette tradition. On n’en a pas l’habitude, mais des fois c’est intéressant. Josh, c’est nous.J. C. Et il demande s’il y a du bétail dans le film. Thomas Sotinel (New York, envoyé spécial) La Sélection officielleEn compétitionDheepan (titre provisoire), de Jacques Audiard (France)La Loi du marché, de Stéphane Brizé (France)Marguerite et Julien, de Valérie Donzelli (France)Chronic, de Michel Franco (Mexique)Il racconto dei racconti (Tale of Tales), de Matteo Garrone (Italie – France – Royaume-Uni)Carol, de Todd Haynes (Royaume-Uni – Etats-Unis)Nie yinniang (The Assassin), de Hou Hsiao-hsien (Taïwan)Shan he gu ren (Mountains May Depart), de Jia Zhang-Ke (Chine – France)Umimachi Diary (Notre petite sœur), de Kore-eda Hirokazu (Japon)Macbeth, de Justin Kurzel (Royaume-Uni – France – Etats-Unis)The Lobster, de Yorgos Lanthimos (Grèce – Royaume-Uni – Irlande – Pays-Bas – France)Mon roi, de Maïwenn (France)Mia madre, de Nanni Moretti (Italie – France)Saul fia (Le Fils de Saul), de László Nemes (Hongrie)Valley of Love, de Guillaume Nicloux (France)Youth, de Paolo Sorrentino (Italie – France – Suisse – Royaume-Uni)Louder than Bombs (Plus fort que les bombes), de Joachim Trier (Norvège – France – Danemark – Etats-Unis)The Sea of Trees, de Gus Van Sant (Etats-Unis)Sicario, de Denis Villeneuve (Etats-Unis).Hors compétitionLa Tête haute (film d’ouverture), d’Emmanuelle Bercot (France)Irrational Man (L’Homme irrationnel), de Woody Allen (Etats-Unis)Inside Out (Vice versa), de Pete Docter (Etats-Unis)Mad Max: Fury Road, de George Miller (Australie – Etats-Unis)Le Petit Prince, de Mark Osborne (France)Séances de minuitO Piseu (Office), de Hong Won-chan (Corée du Sud)Amy, d’Asif Kapadia (Royaume-Uni)Love, de Gaspar Noé (France)Séances spécialesAsphalte, de Samuel Benchetrit (France)Oka, de Souleymane Cisse (Mali)Une histoire de fou, de Robert Guédiguian (France)Hayored Lema’ala (L’Esprit de l’escalier), d’Elad Keidan (Israël)Sipur al Ahava ve Choshech (Une histoire d’amour et de ténèbres), de Natalie Portman (Etats-Unis)Amnesia, de Barbet Schroeder (Suisse – France)Panama, de Pavle Vuckovic (Serbie)Un certain regardAn (film d’ouverture), de Naomi Kawase (Japon)Masaan, de Neeraj Ghaywan (Inde)Hrutar (Béliers), de Grímur Hakonarson (Islande)Kishibe no Tabi (Vers l’autre rive), de Kurosawa Kiyoshi (Japon)Je suis un soldat, de Laurent Larivière (France – Belgique).Zvizdan (Soleil de plomb), de Dalibor Matanic (Croatie – Serbie – Slovénie)Taklub, de Brillante Mendoza (Philippines)The Other Side, de Roberto Minervini (France – Italie)Un etaj mai jos (L’Etage du dessous), de Radu Muntean (Roumanie – France – Suède – Allemagne)Mu-roe-han (The Shameless), d’Oh Seung-uk (Corée du Sud)Las Elegidas (The Chosen Ones), de David Pablos (Mexique)Nahid, d’Ida Panahandeh (Iran)Comoara (Le Trésor), de Corneliu Porumboiu (France – Roumanie)Alias Maria, de José Luis Rugeles Gracia (Colombie – Argentine)Madonna, de Shin Su-won (Corée du Sud)Chauthi Koot (La Quatrième Voie), de Gurvinder Singh (Inde)Rak ti khon kaen, d’Apichatpong Weerasethakul (Thaïlande)Maryland, d’Alice Winocour (France – Belgique)Lamb, de Yared Zeleke (Ethiopie)www.festival-cannes.fr La Quinzaine des réalisateursL’Ombre des femmes (film d’ouverture), de Philippe Garrel (France)A Perfect Day, de Fernando Leon de Aranoa (Espagne)Allende, mi Abuelo Allende, de Marcia Tambutti Allende (Chili – Mexique)As Mil e Uma Noites (Les Mille et Une Nuits), de Miguel Gomes (Portugal – France – Allemagne)- Volume 1, O inquieto- Volume 2, O desolado- Volume 3, O encantadoLes Cowboys, de Thomas Bidegain (France)Dope (film de clôture), de Rick Famuyiwa (Etats-Unis)Efterskalv, de Magnus von Horn (France – Pologne – Suède)El Abrazo de la serpiente, de Ciro Guerra (Colombie – Venezuela – Argentine)Fatima, de Philippe Faucon (France)Green Room, de Jeremy Saulnier (Etats-Unis)Much Loved, de Nabil Ayouch (Maroc - France)Mustang, de Deniz Gamze Ergüven (France)Peace to Us in our Dreams, de Sharunas Bartas (Lituanie - France)Songs my Brothers Taught Me, de Chloé Zhao (Etats-Unis)Le Tout Nouveau Testament, de Jaco Van Dormael (Luxembourg – France – Belgique)Trois souvenirs de ma jeunesse, d’Arnaud Desplechin (France)www.quinzaine-realisateurs.com La Semaine de la critiqueLes Anarchistes (film d’ouverture), d’Elie Wajeman (France)Dégradé, d’Arab et Tarzan Nasser (Palestine – France – Qatar)Krisha, de Trey Edward Shults (Etats-Unis)Mediterranea, de Jonas Carpignano (Italie – France – Etats-Unis – Allemagne – Qatar)Ni le ciel ni la terre (The Wakhan Front), de Clément Cogitore (France – Belgique)Paulina (La Patota), de Santiago Mitre (Argentine – Brésil – France)Sleeping Giant, d’Andrew Cividino (Canada)La Tierra y la Sombra (La Terre et l’Ombre), de César Augusto Acevedo (Colombie – France – Pays-Bas – Chili – Brésil)www.semainedelacritique.com ACIDCosmodrama, de Philippe Fernandez (France – Belgique)Crache cœur, de Julia Kowalski (France – Pologne)De l’ombre il y a, de Nathan Nicholovitch (France)Gaz de France, de Benoît Forgeard (France)Je suis le peuple, d’Anna Roussillon (France)Pauline s’arrache, d’Emilie Brisavoine (France)The Grief of Others, de Patrick Wang (Etats-Unis)La Vanité, de Lionel Baier (Suisse – France)Volta a Terra , de Joao Pedro Placido (Portugal – France – Suisse)www.lacid.org Cannes ClassicsCopies restauréesRocco et ses frères, de Luchino Visconti (1960, Italie – France)Les Yeux brûlés, de Laurent Roth (1986, France)Ascenseur pour l’échafaud, de Louis Malle (1958, France)La Noire de… (Black Girl), d’Ousmane Sembène (1966, France – Sénégal)Insiang, de Lino Brocka (1976, Philippines)Le Sud, de Fernando Solanas (1988, Argentine – France)Le Conte du chrysanthème tardif, de Kenji Mizoguchi (1939, Japon)Combat sans code d’honneur, de Kinji Fukasaku (1973, Japon)Les Sans-Espoir, de Miklós Jancsó (1965, Hongrie)Les Ordres (Orderers), de Michel Brault (1974, Canada)Panique, de Julien Duvivier (1946, France)Xia Nu (A Touch of Zen), de King Hu (1973, Taïwan)Dobro Pozhalovat, ili Postoronnim Vkhod Vospreshchen (Welcome or No Trespassing), d’Elem Klimov (1964, URSS)L’Histoire officielle, de Luis Puenzo (1984, Argentine)Marius, d’Alexander Korda (1931, France)Documentaires sur le cinémaHitchcock/Truffaut, de Kent Jones (Etats-Unis)Depardieu grandeur nature, de Richard Melloul (France)Steve McQueen : the Man & Le Mans, de Gabriel Clarke et John McKenna (Etats-Unis – Royaume-Uni)By Sidney Lumet, de Nancy Buirski (Etats-Unis)Harold and Lilian : a Hollywood Love Story, de Daniel Raim (Etats-Unis)La Légende de la Palme d’or (The Golden Palm’s Legend), d’Alexis Veller (France)Centenaire Orson WellesCitizen Kane, d’Orson Welles (1941, Etats-Unis)The Third Man (Le Troisième Homme), de Carol Reed (1949, Royaume-Uni)The Lady from Shanghai (La Dame de Shanghaï), d’Orson Welles (1948, Etats-Unis)Orson Welles. Autopsie d’une légende, d’Elisabeth Kapnist (France)This Is Orson Welles, de Clara et Julia Kuperberg (France)Autres hommagesMore, de Barbet Schroeder (1969, RDA – France – Luxembourg)Visita ou Memorias e Confissoes, de Manoel de Oliveira (1982, Portugal)Jag Är Ingrid (Je suis Ingrid), de Stig Björkman (Suède)www.festival-cannes.fr/fr/festival/CannesClassics.html ************************************************************* Des contre-pieds palmés ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* Un concentré de Cannes à Paris pour la clôture du Festival Sélection officielle – en compétitionCette édition du Festival de Cannes est joliment arborée. Au bout de trois jours de sélection officielle, on a traversé les bois enchantés de Matteo Garrone (Le Conte des contes), les forêts polonaises qui entouraient les camps d’extermination (Le Fils de Saul), les rangs de cerisiers en fleur d’Hirokazu Kore-eda (Notre petite sœur) et de Naomi Kawase (An). Gus Van Sant se met lui ouvertement au vert avec The Sea of Trees (« la mer d’arbres »), qui sortira en France sous le titre La Forêt des songes. Aokigahara, 35 kilomètres carrés d’une végétation dense sur sol de roche volcanique au pied du mont Fuji, est en fait surtout connu sous son surnom de « forêt des suicides ». Chaque année, une centaine d’êtres humains, surtout des Japonais, mais pas seulement, s’y donnent la mort, par pendaison, par surdose. Gus Van Sant a déjà mis en scène ce moment du renoncement à l’existence, dans le très elliptique et dérangeant Last Days, inspiré du suicide de Kurt Cobain, présenté à Cannes en 2003. Avec Gerry (2002), il a aussi filmé l’agonie de deux hommes égarés dans un désert. Pourtant, hélas, ce ne sont pas à ces films que fait penser La Forêt des songes, mais plutôt à A la recherche de Forrester, ce mélodrame sentimental qui offrait à un professeur misanthrope (Sean Connery) l’occasion de réintégrer le genre humain.Série de retours en arrièreArthur (Matthew McConaughey) est lui aussi professeur et tout aussi... ************************************************************* Rediffusion 21 mai à 19h45 24 mai à 19h45 27 mai à 08h00 28 mai à 00h10 08 juin à 10h45 11 juin à 19h45 Et également en replay TCM Cinéma À LA DEMANDE du 22 mai au 22 juin. En mai sur TCM Cinéma, retrouvez le cycle Orson Welles avec 11 films en version restaurée et le documentaire This is Orson Welles en sélection officielle à Cannes Classics. Deux actrices, une séparation C’est une mission impossible : faire se rencontrer, à Cannes, deux comédiennes qui n’ont surtout pas envie de se voir, à cause de leur pays d’origine, l’Iran. Le sujet est sensible et leurs vues, radicalement différentes. Golshifteh Farahani, 31 ans, et Sareh Bayat, 35 ans, toutes deux nées à Téhéran, ne se croiseront pas. La première ne veut plus entendre parler de la République islamique ; la seconde, au contraire, compte bien y retourner dans quelques jours, après le Festival. Un de leurs seuls points communs est d’avoir tourné toutes les deux avec le réalisateur iranien Asghar Farhadi, lequel a le vent en poupe tant à l’étranger qu’avec les autorités iraniennes – A propos d’Elly (2009) pour Golshifteh, Une séparation (2011), Ours d’or au Festival de Berlin, pour Sareh.Les deux actrices ont une actualité cannoise. L’enfant terrible, l’exubérante qui laisse flotter ses boucles brunes, c’est la Franco-Iranienne Golshifteh Farahani, exilée en France depuis six ans. Dans Les Deux Amis, de Louis Garrel, présenté en séance spéciale à la Semaine de la critique, Golshifteh Farahani joue Mona, une détenue en semi-liberté qui se retrouve embarquée dans un trio amoureux (Louis Garrel, Vincent Macaigne), et mène la danse.Lire aussi : « Les Deux Amis » : Louis Garrel révise sa règle de trois Moins connue du public international, l’Iranienne Sareh Bayat, a donc été révélée dans Une séparation, où elle jouait le rôle de la femme de ménage. Farhadi tenait à ce qu’elle ait du coton dans les narines et dans les joues, ce qui lui donnait un air de hamster. Fausse impression… A la terrasse du Grand Hôtel, nous découvrons son visage de madone. Ou bien est-ce Fantômette ? Silhouette fine, tout de noir vêtue, elle n’est que de passage… Musulmane, elle cache sa chevelure sous un épais foulard sombre, par 27 degrés à l’ombre. Restent deux yeux en amande chocolatée. Elle tient le rôle-titre dans Nahid, de la jeune réalisatrice iranienne Ida Panahandeh, sélectionné à Un certain regard. Nahid est une femme divorcée, en quête de son autonomie : elle survit à peine avec son revenu de dactylo, se bat pour conserver la garde de son enfant, tout en essayant de vivre sa nouvelle histoire amoureuse. Iranien jusqu’au bout des ongles.Lire aussi : « Nahid » : mère ou amante, dilemme à l’iranienne Point de drapeau avec Golshifteh Farahani : son identité est internationale, déterritorialisée. Elle le dit en nous faisant les gros yeux, sur la plage Nespresso : « Quand est-ce qu’on arrêtera de m’interroger sur l’Iran ? Ça fait six ans et demi que je suis partie et ça me paraît soixante ans. Le lien est coupé, je suis une actrice sans passé. C’est comme Mona, mon personnage : on s’en fout d’où elle vient ! »En lui confiant ce rôle de femme libre, dont on ne sait pas grand-chose, Louis Garrel souhaitait justement que la comédienne tourne la page de l’Iran : « Je voulais qu’elle joue dans un film où la condition de la femme orientale ne lui pèse pas sur les épaules. Elle joue dans un film français », nous explique-t-il. De son côté, Vincent Macaigne formule cette hypothèse : « Peut-être, inconsciemment, Louis a imaginé cette histoire de prison et de cet homme qui veut garder Mona pour lui, parce que Golshifteh vient d’Iran », nous dit l’acteur et metteur en scène, dont la mère, justement, est iranienne. Passeport confisquéGolshifteh Farahani a vite tracé sa route en dehors de son pays. Avec un père comédien et metteur en scène de théâtre, elle apparaît pour la première fois dans un film à l’âge de 14 ans. Très vite, elle enchaîne les rôles, décroche des prix. Le public étranger la découvre notamment dans Boutique (2004), de Hamid Nematollah. En 2008, elle tourne au côté de Leonardo DiCaprio dans le thriller de Ridley Scott, Mensonges d’Etat : elle devient la première star iranienne, depuis la révolution de 1979, à franchir les portes d’Hollywood.C’est là que les ennuis commencent : les autorités iraniennes voient rouge lorsqu’elle apparaît en robe décolletée, à l’occidentale, dans un festival américain. A son retour, son passeport lui est confisqué. La suite est connue, elle part. Installée en France, elle contribue à se forger une réputation de rebelle, défiant les mollahs. Dernier exemple en date : en janvier, elle apparaît nue en couverture du numéro 17 du journal Egoïste, photographiée par Paolo Roversi. Hautement politique.Elle vient de tourner dans le cinquième volet des Pirates des Caraïbes (sortie prévue en 2017), de Joachim Ronning et Espen Sandberg, ainsi que dans Les Malheurs de Sophie, de Christophe Honoré. Elle conclut : « Je suis heureuse comme un poisson dans la rivière. »Sareh Bayat, elle, veut rester « dans le cadre ». « J’adore l’Iran. La liberté est un concept tout relatif. Si on n’avait pas la liberté, Une séparation n’aurait pas été primé à Berlin », estime-t-elle. Elle ne veut jouer que dans des films qui ont obtenu des autorisations de tournage – c’est le cas de Nahid. « Ceux qui tournent des films clandestins mettent à mal l’image du pays. Non seulement je ne tournerai jamais dans un film clandestin, mais la seule idée d’en voir un me fait vomir », poursuit-elle. On a bien entendu, nous confirme l’interprète. Jafar Panahi ? Elle élude. Le réalisateur qui a bravé l’interdiction de tournage dont il a été frappé pour une durée de vingt ans, en décembre 2010, a obtenu il y a quelques mois l’Ours d’or pour Taxi Téhéran. Un film tourné sans autorisation, avec caméra embarquée dans le véhicule. Elle ne l’a pas vu.Etre une star iranienne, comme Leila Hatami, l’héroïne de Une séparation, tel est son objectif. Elle aussi a su très tôt qu’elle serait comédienne. « Quand j’étais enfant, j’imitais les gens de la télé et les comédiens. Et mon père me filmait tout le temps. » Ses parents étaient contre. Elle ne les a pas écoutés. « Dès que j’ai commencé à remporter des prix de théâtre, ils sont devenus encore plus contents que moi. » A Cannes, ces jours-ci, elle a mesuré sa cote de popularité. « On a fait des photos avec des festivaliers, près du Palais des festivals. Puis on est tombé sur la “une” d’un magazine annonçant le dernier film dans lequel je viens de tourner : Mohamed, de Madjid Madjidi, qui raconte l’enfance du Prophète. » Il s’agit d’une superproduction financée par l’Iran. Elle joue le rôle de la nourrice.Comme Golshifteh, Sareh a la baraka. Elle ne cache pas sa joie : « Je suis sur un nuage. » Dans quelques jours, elle sera dans un avion. Semaine de la critique – hors compétitionPour son premier long-métrage, Louis Garrel s’est rappelé qu’à l’âge de 15 ans il avait joué une scène des Caprices de Marianne. Marqué par cette pièce de Musset, il en a ici repris l’argument  : l’histoire d’un homme qui, plongé dans une situation amoureuse compliquée, demande de l’aide à un ami. Jusqu’à ce que ce dernier se retrouve pris au piège, à la fois de ses propres sentiments et des sentiments de la femme aimée. Doublement aimée.Coécrit avec Christophe Honoré, Les Deux Amis met aux prises trois personnages, plus ou moins déclassés : Mona (Golshifteh Farahani), vendeuse dans une sandwicherie de la gare du Nord, dont les deux soupirants mettront une bonne partie du film à percer le mystère ; Clément (Vincent Macaigne) – c’est lui qui demande de l’aide –, un personnage fantasque et paumé qui vit de figurations au cinéma ; et enfin Abel (Louis Garrel), l’ami, qui se la joue écrivain en panne d’écriture et beau ténébreux donneur de leçons.Lire aussi : Même géométrie amoureuseComme chez Musset, le spectateur se trouve placé dans la situation de celui qui sait. Dès le début, il découvre le secret dont ne veut à aucun prix parler Mona : elle doit, chaque soir, retourner en prison pour y passer la nuit. Sa vie est minutée. Sous aucun prétexte, elle ne doit rater le train du retour, en fin d’après-midi.Dans La Règle de trois (prix Jean Vigo du court-métrage en 2012), Louis Garrel avait déjà eu recours aux trois mêmes acteurs, et à la même géométrie amoureuse. Différence notable, pourtant : la « guerre de trois » n’avait pas eu lieu ; ici, en revanche, elle couve, risquant d’éclater à chaque instant entre les deux amis. Ces amis, parlons-en. Macaigne fait du Macaigne, pour notre plus grand plaisir. Clément, c’est Pator, ce « loser » tout aussi fantasque qu’il interprétait dans La Fille du 14 juillet, d’Antonin Peretjatko. Louis Garrel joue sur le registre de l’autodérision, construisant et déconstruisant sans cesse son personnage. Lumineuse, Golshifteh Farahani, l’actrice d’A propos d’Elly, d’Asghar Farhadi, acquiert une nouvelle dimension, plus moderne, plus sensuelle aussi.Tel père, tel fils ? On pourrait s’amuser à établir des corrélations avec les films du père de Louis, Philippe. C’est peu dire qu’il existe un air de famille, jusque dans l’usage du 35 mm. Dans Les Deux Amis, comme chez papa, il est certes beaucoup question de sentiments – amour, amitié, culpabilité, jalousie, confusion. Mais Garrel fils a également su instiller une bonne dose d’humour. Le résultat, même s’il est imparfait, est réjouissant. On attend avec impatience la suite des aventures de Vincent, Louis, Golshifteh et les autres. Précision, au passage : la musique est signée Philippe Sarde, le compositeur attitré de Sautet. César et Rosalie, vous vous souvenez ? Le triangle amoureux, encore et toujours…Lire aussi : Film français de Louis Garrel avec Golshifteh Farahani, Vincent Macaigne, Louis Garrel (1 h 40). Sortie le 23 septembre. Sur le Web : www.advitamdistribution.com/les-deux-amis « Mustang » : cinq filles au galop Quinzaine des réalisateursGangs de femmes, guerrières amazones, adolescentes en furie… De l’impératrice Furiosa de Mad Max au doux gynécée de Notre petite sœur, des lesbiennes magnifiques de Carol à la fille de Dieu du Tout Nouveau Testament, la sélection cannoise est peuplée de personnages féminins décidés à mettre à terre l’empire du patriarcat. Tigresses sauvages que leur famille décide d’enfermer dans une cage pour brider leur sexualité, les cinq sœurs de Mustang sont faites de ce même bois.Petite sensation de la Quinzaine des réalisateurs, ce premier film de la réalisatrice turque Deniz Gamze Ergüven se déroule dans un village du fond de la campagne turque, où les modes de vie sont encore régis par des traditions archaïques. Dans une image laiteuse, un beau préambule présente nos cinq grâces en uniformes de collégiennes, à la sortie de l’école, la veille des grandes vacances.Filles éclairées et déluréesAvec leurs longues crinières qui leur caressent le creux des reins, leur beauté arrogante, leur fière insolence, elles s’imposent comme un corps collectif radieux, conquérant et indestructible. Les sanglots de la plus jeune, qui s’accroche furieusement au professeur qu’elle s’apprête à quitter, font certes planer une ombre sur la photo, mais elle aura disparu dès la séquence suivante, qui les retrouve à la mer. Toujours habillées mais trempées, juchées sur les épaules de cinq garçons, elles se livrent à un joyeux combat aquatique, magnifié par les scintillements du soleil dans l’eau.La fin de la récré va sonner, et cette parenthèse enchantée se trouvera reléguée au rang de lointain éden. A la maison, leur grand-mère, qui les élève depuis la mort de leurs parents, leur passe un savon d’une brutalité inouïe, révèle le gouffre qui sépare ces filles éclairées et délurées des villageois aux mœurs archaïques parmi lesquels elles grandissent. Une commère est venue rapporter qu’elles « se branlaient sur les cous des garçons ». Fin du monde, déshonneur, alerte rouge. Les sœurs ont beau hurler leur bonne foi, jurer qu’elles sont toutes encore vierges, elles déchaînent chez leur oncle une fureur plus débridée encore, qui les conduit fissa à l’hôpital se faire inspecter l’hymen.Fini les tenues sexy, on leur enfile ces robes « couleur de merde » que portent les femmes du village. Fable styliséeLa maison devient une « usine à épouses », bunker fortifié dont elles n’ont plus le droit de sortir, où on leur enseigne l’art des beignets à la viande, de l’astiquage des vitres et du bourrage de couettes. Furibardes, elles subvertissent avec une vitalité hargneuse les instruments de leur oppression, tout en continuant de se balader à moitié nues et à se raconter des blagues salaces. Les choses changent quand on décide de briser cette hydre déchaînée en les mariant l’une après l’autre, selon le même rituel immuable. L’aînée arrache le droit de convoler avec le garçon qu’elle aime, mais les deux suivantes finissent en miettes, attisant chez la benjamine, adorable tête de bois, un sentiment de révolte.A mi-chemin entre Virgin Suicides et L’Evadé d’Alcatraz, ce film plein de colère, mais enrobé dans un emballage acidulé, balaie tout le spectre de la violence patriarcale, du symbolique au criminel. Jouant la drôlerie bravache, il dénote chez son auteur une intelligence aiguisée, doublée d’un grand pouvoir de séduction. Comme métaphore de la schizophrénie turque, écartelée entre patriarcat et modernité, cette fable stylisée, qui file comme un cheval au galop, séduira à n’en pas douter un public occidental. Mais son véritable sujet, c’est la puissance subversive de la libido féminine. Les gardiens de l’ordre ont beau ériger des prisons pour l’étouffer, leurs murs ne résistent pas à sa force tellurique.Lire aussi : Alice Winocour, réalisatrice : « Les femmes ne sont pas moins violentes » Film franco-turc de Deniz Gamze Ergüven avec Günes Sensoy, Doga Zeynep Doguslu, Elit Iscan, Tugba Sunguroglu, Ilayda Akdogan (1 h 37). Sortie le 17 juin. Sur le Web : www.advitamdistribution.com/mustang ************************************************************* Sélection officielle – en compétitionS’il fallait faire la carte de la compétition cannoise à la manière du site TripAdvisor, l’établissement que fréquentent les personnages de Youth recevrait plus d’avis favorables que l’hôtel où se déroulait The Lobster (Yorgos Lanthimos), présenté quelques jours plus tôt en compétition. Au manoir carcéral britannique succède un luxueux resort helvétique où chaque client semble être un habitué soit du Festival de Cannes, soit du Forum économique mondial de Davos.Après la débauche de luxe de La Grande Bellezza, on ne s’étonnera pas que Paolo Sorrentino ait choisi un hôtel hors classe pour son nouveau film. Le metteur en scène italien aime trop ce qui brille – les décors, les costumes, les répliques, le casting – pour s’ennuyer dans des logements à vocation sociale. Il faut faire avec, tout comme avec son penchant irrésistible (et il ne doit pas faire beaucoup d’efforts pour y résister) pour l’image insolite, pour le contre-pied qui n’a d’autre raison d’être que de faire perdre la raison, un instant, au spectateur.Virtuosité réjouieCes traits peuvent agacer, mais ils trouvent un emploi respectable dans Youth. Le titre est une antiphrase puisque les deux personnages principaux du film, Fred Ballinger (Michael Caine) et Mick Boyle (Harvey Keitel), frôlent, chacun d’un côté, les 80 ans. Fred est apathique, c’est ce que ses proches et ses médecins lui disent, et il adore le répéter à ses interlocuteurs. Chef d’orchestre et compositeur de renom, il s’est imposé une retraite qui ne souffre aucune exception, même si la reine lui demande de reprendre la baguette à l’occasion de l’anniversaire du prince Philip.Lire aussi : Harvey Keitel, hors de contrôle Mick, lui, s’est entouré d’une bande de jeunes scénaristes pour mettre la dernière main au script de Life’s Last Day (« Le dernier jour de la vie »), le film-testament de ce vétéran hollywoodien. Entre la hargne de continuer et le renoncement, le débat est à la fois féroce et amical, incarné avec une virtuosité réjouie par deux acteurs qui n’ont plus tous les jours l’occasion de faire montre de leur registre, de leur virtuosité. S’il fallait choisir un vainqueur à l’issue de cette confrontation, mes suffrages iraient à Michael Caine, dont l’élégance se fêle, qui s’abandonne si discrètement qu’il suffirait d’un instant d’inattention pour manquer un éclair d’émotion intense.Emotion de midinette et empathieL’hyperactivité de Paolo Sorrentino, qu’il soit metteur en scène ou scénariste, ne pouvait se contenter de ce duo. Dans ce film tourné – avec un bonheur certain – en anglais, les hôtes du resort helvétique sont forcément des stars d’Hollywood (un rôle qui échoit à Paul Dano, qui s’en sort avec une mélancolie hypocrite très vraisemblable), des vedettes pop (Paloma Faith, dans son propre rôle) et même un personnage obèse portant un tatouage de Karl Marx sur le dos, qui s’exprime en espagnol avec l’accent argentin, se déplace avec difficulté, toujours suivi par une bouteille d’oxygène, mais sait encore faire des merveilles avec son pied gauche, et – snobisme ultime – n’est jamais nommé.L’émerveillement de Sorrentino face à la beauté et à l’absurdité du monde (ou plutôt de la fraction du monde qui le fascine) tient à la fois de l’émotion de midinette et de l’empathie. Lâché, tel le petit garçon de Shining, dans les couloirs d’un grand hôtel, il compose des tableaux vivants dans les saunas, déniche, au détour d’un salon de massage, un personnage presque muet, mais attachant, de jeune fille au physique hors normes.Tout ceci ne suffirait pas à faire un film, tout juste l’équivalent animé d’un livre pour table basse, sans le centre de gravité (aux deux sens du terme) que constitue le duo Caine-Keitel. Ce n’est pas tant le sort que leur réserve le scénario qui fournira la leçon de vie qu’espère donner le metteur en scène, mais la constance de leur excellence sans cesse renouvelée.Film italien de Paolo Sorrentino avec Michael Caine, Harvey Keitel, Paul Dano, Rachel Weisz (1 h 58). Sortie en septembre. Sur le Web : www.pathefilms.com/film/youth ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ... mais une classification plus sévère, même à niveau égalCes exemples extrêmes donnent l’image d’une industrie du jeu vidéo prompte à surenchérir sur le cinéma. Mais à niveau de violence comparable, quand les développeurs font le choix de la continuité et de la fidélité, le système de classification PEGI se montre également plus sévère que celui du CNC.Alien Isolation se cale avec une méticulosité remarquable sur le niveau d’angoisse et de violence du film Alien : le huitième passager, dont il offre un prolongement scénaristique. Il consiste d’ailleurs essentiellement à se cacher. Mais tandis que le film de 1979 avait écopé d’une interdiction aux moins de 12 ans, son adaptation vidéoludique a été déconseillée aux moins de 18 ans pour « extrême violence », sans que celle-ci diffère en nature et en degré de l’œuvre culte de Ridley Scott.Les deux jeux vidéo SAW ne sont pas des adaptations à proprement parler, mais des prolongements scénaristiques reprenant l’univers et le climat des films d’horreur, avec ses nombreuses scènes de torture et de sadisme qui ont valu leur classement très élevé, en film comme en jeu. Eux aussi figurent un classement légèrement supérieur au film, à relativiser, toutefois, par le caractère non contraignant du PEGI.Pour le gouvernement, la morale est toutefois sauve : même avec le décret élargissant le crédit d’impôts aux jeux violents, les titres sadiques en serait écartés, un alinéa interdisant l’accès au dispositif fiscal aux jeux dont la violence est extrême, gratuite ou non contextualisée. En somme, une sorte d’équivalent du « + 18 » du CNC, dont la mise en œuvre reste à préciser.Lire également : ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* L’« histoire kafkaïenne » d’un cinéaste iranien condamné à six ans de prison et 223 coups de fouet « Je ne comprends pas trop ce qui m’arrive. Pour l’instant, je suis libre. Est-ce que demain je vais être arrêté, ou bien le gouvernement va-t-il revenir sur ma condamnation, s’il y a une forte mobilisation internationale ? Je m’attends à tout », nous confie Keywan Karimi, depuis Téhéran. Joint par téléphone, samedi 24 octobre, le cinéaste iranien, âgé de 30 ans, a été condamné, le 14 octobre, à six ans de prison et à 223 coups de fouet par le régime iranien.Il est accusé, d’une part, « d’insulte envers le sacré » à propos d’une scène de baiser qu’il nie avoir tournée, et, d’autre part, de « propagande » contre le gouvernement. C’est son dernier film, Writing on the City (2015, visible sur Vimeo), un documentaire de soixante minutes sur les graffitis et messages inscrits sur les murs de Téhéran, depuis la révolution de 1979 jusqu’au mouvement de 2009, qui est à l’origine de cette condamnation.« Cela fait dix ans que je fais des films. Je ne me pose jamais la question de l’interdiction. Je fais des films pour l’Histoire, pour témoigner sur mon pays, sur ma vie », explique Keywan Karimi. Ses précédents courts-métrages, Broken Border (2012) et The Adventure of Married Couple (2013), une fiction inspirée d’une nouvelle d’Italo Calvino, ont sillonné de nombreux festivals, où ils ont reçu des prix. « Une histoire kafkaïenne »A l’occasion du Festival de San Sebastian, en septembre 2013, Keywan Karimi avait mis en ligne une bande-annonce de son dernier documentaire, Writing on the City. Les ennuis ont commencé peu après son retour à Téhéran. « Quelque temps plus tard, le 14 décembre 2013, la police est arrivée chez moi. Mon disque dur a été emporté, contenant tout le matériel du film. J’ai été arrêté et détenu à la prison d’Evin, [à Téhéran], pendant deux semaines, avant d’être libéré sous caution », raconte-t-il.Dans Writing on the City, les juges ont découvert des images du soulèvement de juin 2009, au lendemain de la réélection du président Mahmoud Ahmadinejad. « Les juges m’ont dit que j’avais filmé ce passage sur juin 2009. Or il s’agit d’une archive. J’ai obtenu une autorisation pour l’utiliser. J’ai montré tous les documents aux juges, mais ils n’ont pas voulu m’entendre », poursuit M. Karimi.Quant à l’autre chef d’accusation, le cinéaste a expliqué que cette scène de baiser n’existe pas : « L’actrice n’a pas accepté de la tourner. J’ai renoncé à la faire. » Les juges ont passé en revue sa vie privée, lui demandant des comptes. « Une histoire kafkaïenne », ajoute le réalisateur. Désormais, M. Karimi formule ce vœu : « Je souhaite que mon film soit vu dans un festival, afin d’apporter un soutien. »Le jeune réalisateur rejoint la liste des artistes iraniens condamnés ces dernières années pour leur travail jugé subversif. Parmi eux, Jafar Panahi, arrêté, en mars 2010, alors qu’il préparait un film sur le mouvement de juin 2009, et condamné, en 2011, à une interdiction de faire des films pendant vingt ans. Cela ne l’empêche pas de continuer à tourner. Clandestinement. Son dernier film, Taxi Téhéran, réalisé avec une caméra embarquée dans le véhicule, a reçu l’Ours d’or au Festival de Berlin, en février. Mort de l’actrice irlandaise Maureen O’Hara Sa chevelure rousse flamboyante lui a valu le surnom de « Reine du Technicolor », et son association avec John Wayne dans de nombreux films a fait entrer Maureen O’Hara au panthéon d’Hollywood. L’actrice irlandaise est morte à l’âge de 95 ans, a annoncé son manageur samedi 24 octobre.L’interprète de La Belle Rousse du Wyoming s’est éteinte dans son sommeil en écoutant la bande originale de L’Homme tranquille, film de John Ford dans lequel elle interprète l’un des rôles principaux, a rapporté Johnny Nicoletti, qui a géré la carrière de l’actrice de longues années durant.Née dans la verte Erin dans la banlieue de Dublin en 1920, c’est avec Qu’elle était verte ma vallée que la rousse O’Hara, Maureen Fitzsimmons de son vrai nom, conquiert Hollywood en 1941 après plusieurs films. Egerie de John Ford, qui l’associe à John Wayne dans de nombreux long-métrages comme Rio Grande, celle qu’un journaliste trouve « plus éblouissante qu’un coucher de soleil » incarne un certain âge d’or d’Hollywood.Ambition de devenir la plus grande actrice du mondeA l’annonce de la mort de celle qui expliquait, en 1999, que dans sa jeunesse, elle voulait « devenir la plus grande actrice du monde, et puis [se] retirer une fois le monde entier à [ses] pieds », le président irlandais, Michael Higgins, a exprimé sa « grande tristesse » à l’annonce de la disparition de cette « actrice remarquable et polyvalente dont le travail notamment au cinéma passera l’épreuve du temps ». Et plusieurs personnalités d’Hollywood lui ont rendu hommage. Sa compatriote, l’actrice et productrice Roma Downey, a rendu hommage à celle qui était « un cadeau pour le monde, et une merveilleuse ambassadrice de l’Irlande ». Just heard that legendary Irish Actress Maureen O Hara passed away R.I.P She was a gift to the world and a great Ambassador for Ireland 🍀— RealRomaDowney (@Roma Downey) Et la star de Seul sur Mars, Jessica Chastain, a remercié Maureen O’Hara, « d’une rousse à l’autre, pour la lumière qu’elle [avait] partagée ». RIP #MaureenOHara from one tough redhead broad to another. Thankful for the light you shared https://t.co/TFX3GkJVi4 https://t.co/ExAupBOIFc— jes_chastain (@Jessica Chastain) Retirée dans l’Idaho après plus de soixante ans de carrière, l’actrice irlandaise avait été récompensée d’un Oscar d’honneur pour l’ensemble de sa carrière en 2014. « Appel de Calais » : quatre cinéastes parmi les « 800 », en éclaireurs De la boue, à perte de vue : c’est la première image qui a marqué le documentariste Nicolas Philibert, quand il est arrivé dans la « jungle » de Calais, lundi 19 octobre, pour « témoigner » avec trois autres cinéastes, Ariane Doublet, Catherine Corsini et Christophe Ruggia, accompagnés d’un traducteur arabe.« Dans la “jungle” – quel mot horrible ! –, j’ai d’abord été frappé par la boue. Il pleuvait, il y avait toutes ces tentes, posées dans la boue. Tous ces hommes, ces femmes et ces enfants qui ont les pieds dans l’eau et l’humidité. Certaines installations ont pu être surélevées avec des bouts de bois. Les matelas pour dormir sont mouillés, quand les migrants ont la chance d’en avoir un… », explique le réalisateur des documentaires Etre et avoir (2012) et La Maison de la Radio (2012). Il est l’un des signataires de l’Appel de Calais, publié sur le site de Libération, mardi 20 octobre, qui réunit des artistes, des intellectuels et diverses personnalités, de Jean-Luc Godard à Judith Butler.Lire aussi : Quand les artistes se mobilisent pour les réfugiés Une situation intenableIl faut mettre les pieds dans le plat, et le texte n’y va pas par quatre chemins, décrivant une situation intenable et pointant clairement les responsabilités : « Cinq à six mille femmes, hommes et enfants, épuisés par un terrible voyage, laissés à eux-mêmes dans des bidonvilles, avec un maigre repas par jour, un accès quasi impossible à une douche ou à des toilettes, une épidémie de gale dévastatrice, des blessures douloureuses, des abcès dentaires non soignés. Et les viols des femmes. Les enfants laissés à eux-mêmes dans les détritus. Les violences policières presque routinières. Les ratonnades organisées par des militants d’extrême droite. Jusqu’à quand allons-nous nous taire ? », lit-on dans le texte de cet Appel.Ils dénoncent « le gouvernement de notre pays qui “a décidé de se défausser sur les associations et les bonnes volontés” ». « Ce désengagement de la puissance publique est une honte », poursuivent les auteurs du texte. Les initiateurs de cet appel sont un petit groupe de réalisateurs : Laurent Cantet, Catherine Corsini, Arnaud Desplechin, Pascale Ferran, Romain Goupil, Nicolas Philibert, Christophe Ruggia, Céline Sciamma. Entre samedi 17 et dimanche 18 octobre à minuit, ils ont réuni autour d’eux plus de huit cents personnalités. D’autres signatures continuent « d’arriver ». « Une vie sans horizon »Sur place, à Calais, Nicolas Philibert avait des sentiments mêlés, saisi à la fois par le doute et la détermination : « On a toujours une appréhension. On se dit : “Qu’est-ce qu’on fait là ? Ce n’est pas un zoo. Quelle est ma légitimité ?” Je redoutais que les migrants refusent de nous parler ou de nous laisser les filmer… ». C’est tout le contraire qui s’est produit, raconte-t-il : « Les gens nous disaient “Welcome”, “Hello”, ils étaient souriants. Certains ont refusé d’être pris en photo ou filmés car ils redoutent des représailles pour leur famille restée dans leur pays », poursuit-il. Il a vu beaucoup de Soudanais, des Tchadiens, des Erythréens, des Irakiens…Entre autres, il a rencontré ce couple d’Iraniens « dont la femme va accoucher dans quelques jours. Ils nous ont fait comprendre qu’ils avaient fait une bonne partie du trajet à pied ». « Ce qui est affreux, c’est qu’ils ont une vie sans horizon », dit-il encore. Mardi 20 octobre, en fin de journée, Nicolas Philibert était en train de monter « les images de Calais », qu’il comptait montrer lors de la conférence de presse organisée au cinéma Le Louxor, à Paris, dans le quartier de Barbès, mercredi 21.Ariane Doublet faisait la même chose, mardi soir, depuis la région Haute-Normandie où elle réside. « Toute la journée de lundi, à Calais, nous avons été accompagnés par le son du marteau. On a rencontré des bénévoles de Jersey qui construisent des maisons », raconte la cinéaste. Elle a filmé, aussi, cette compagnie de théâtre anglaise qui « est arrivée il y a trois semaines », et mène un travail avec les migrants, sous « un petit chapiteau en forme d’igloo ». Une petite vie, ou plutôt survie, s’est organisée, avec des échoppes « comme celles que l’on voit dans des bidonvilles », une église, une mosquée, etc. « Les migrants nous ont parlé aussi de la dernière douche qu’ils ont prise, qui remonte à je ne sais quel jour… On a vu des gens désespérés, et calmes, même si la colère est là », conclut-elle.« Chaque jour, il se passera quelque chose »Pour Christophe Ruggia, mobilisé depuis plus de vingt ans auprès des personnes sans-papiers, Calais raconte « tout le reste », c’est-à-dire l’évolution inquiétante de la situation du pays, qui va au-delà de la politique migratoire et embrasse le débat sur l’intégration. « On est dix ans après les émeutes de l’automne 2005. Avant 2005, les émeutes émanaient de jeunes qui manifestaient leur envie d’appartenir à la République. “On est là, on existe !”, nous disaient-ils en substance. Depuis 2005, c’est un autre langage qui apparaît, chez les plus radicaux : “La République ne veut plus de nous ? Alors on va la détruire…” », souligne Christophe Ruggia, dans un café parisien, encore très éprouvé par ce qu’il a vu à Calais.Celui qui se mobilisait encore, il y a quelques jours, pour les familles syriennes qui campaient à la porte de Saint-Ouen, poursuit son analyse : « On a eu le 7 janvier. Et depuis l’attaque de Charlie Hebdo, on se réunit régulièrement, avec des cinéastes. On parle, on s’interroge. Puis il y a eu la prise de conscience sur la situation des migrants et des réfugiés. Mais on n’entend que la droite raciste s’exprimer. Le climat est délétère, pourri. On n’accepte pas qu’il n’y ait qu’une seule parole. A partir de maintenant, on va ne plus lâcher. Chaque jour, il se passera quelque chose. » L’appel de Calais, de Godard à Butler « Nous demandons solennellement au gouvernement un large plan d’urgence pour sortir la jungle de Calais de l’indignité dans laquelle elle se trouve ». L’Appel de Calais, publié sur le site de Libération, mardi 20 octobre, réunit plus de huit cents artistes et intellectuels : beaucoup de cinéastes, de Matthieu Amalric à Rebecca Zlotowski, en passant par Catherine Corsini, Claire Denis, Jean-Luc Godard, Nicolas Philibert ; des comédiens (Jeanne Moreau, Reda Kateb, Mélanie Laurent) ; des metteurs en scène (Thomas Ostermeier, Marie-José Malis) ; des auteurs de BD (Blutch) ; des philosophes (Judith Butler, Jean-Luc Nancy, Toni Negri)… « Calais raconte tout le reste. Le gouvernement a annoncé la création d’un camp de 1 500 places mais aujourd’hui 6 000 personnes y survivent, et demain ? », résume le cinéaste Christophe Ruggia, l’un des initiateurs de l’Appel, qui était à Calais, lundi 19 octobre, avant une conférence de presse, le 21 octobre, au cinéma Le Louxor, à Paris. De 1974 à l’an cinq milliards, l’histoire du monde vue par la science-fiction De Jules Verne à « Retour vers le futur », en passant par « Evangelion » et « Doctor Who »… Chronologie de l’histoire du monde à travers le prisme de la science-fiction. Mercredi 21 octobre 2015, Marty Mc Fly débarque dans le futur. Celui imaginé dans les années 80 par les scénaristes de la trilogie culte Retour vers le futur, à grand renfort de skateboards volants, pizzas déshydratées et bars à robots. D’autres œuvres de science-fiction ont imaginé un futur bien plus sombre, marqué par des intelligences artificielles hostiles et des cataclysmes de toutes sortes. De 1974 à l’an 5 milliards, retour vers le futur imaginé par les romans, films, séries, jeux vidéo et mangas de science-fiction.Pour vous déplacer, déroulez la page et cliquez sur les titres ou les zones colorées pour « déplier » le résumé. #tab_grece { .tab_ligne { .tab_chevron:hover, .tab_date:hover, .tab_evenement:hover, .tab_texte:hover { .tab_ligne.bleu { .tab_ligne.orange { .tab_ligne.noir { .tab_ligne.vert { .tab_ligne.rouge { .tab_ligne.violet { .tab_evenement { .tab_evenement img { .tab_date { .tab_right { .tab_texte { .tab_chevron { .tab_ligne:hover .tab_chevron { .deplie .tab_chevron { .tab_ligne.deplie:hover .tab_chevron { .tab_chevron img { .tab_detail { .deplie .tab_detail { .bleu { .orange { .vert { .noir { .rouge { .violet { @media all and (min-width: 400px) { @media not all and (min-width: 400px) { Je suis une légende, roman de Richard Matheson, 1954", 1984, livre de George Orwell, 1949", Terminator, film de James Cameron, 1984", Discovery One qui, en 2001, se dirigera vers Jupiter.", 2001 : l’odyssée de l’espace, film de Stanley Kubrick, 1968", r Samuel Beckett, physicien, est envoyé dans une boucle temporelle sans fin après une expérience scientifique. Aidé par l'hologramme de son collègue et ami, Al, il est contraint à intervenir dans la vie des gens qu’il rencontre à différentes époques afin de poursuivre son voyage.", Code Quantum, série de Donald P. Bellisario, 1989", Terminator 2 : le jugement dernier, film de James Cameron, 1991", New York 1997, John Carpenter, 1981", Chrono Trigger, jeu vidéo, Square Enix, 1995", Soleil vert, film de Richard Fleischer, 1973", Neon Genesis Evangelion, série animée de Hideaki Anno, 1995", Metal Gear Solid, jeu vidéo édité par Konami, 1998", e épisode des Dents de la mer, la généralisation du fax et des mini-pizzas qui doublent de volume une fois passées au micro-ondes.", Retour vers le futur 2, film de Robert Zemeckis, 1989", Blade Runner, film de Ridley Scott, 1982", Akira, manga de Katsuhiro Otomo, 1982, adapté en film d'animation en 1988", Johnny Mnemonic, film de Robert Longo, 1995, inspiré d’une nouvelle de William Gibson", Terminator 3, film de Jonathan Mostow, 2003", Perfect Dark, jeu vidéo édité par Rare, 2000", Her, film de Spike Jonze, 2013", Metropolis, film de Fritz Lang, 1927", Ghost in the Shell, manga de Mamasume Shirow, 1991", Deus Ex, jeu vidéo édité par Eidos, 2000", Minority Report, film de Steven Spielberg insipiré d'une nouvelle de Philip K. Dick, 2002", Sunshine, film de Danny Boyle, 2007", Spirou et Fantasio : le réveil du Z, bande dessinée de Tome et Janry, 1985", Peut-être, film de Cédric Klapisch, 1999", Animatrix: The Second Renaissance, court-métrage animé de Mahiro Maeda, 2003", Nostromo atterrissent sur une petite planète, guidés par un signal de détresse. Ils y découvrent un vaisseau extraterrestre échoué.", Alien, film de Ridley Scott, 1979", Le Meilleur des mondes, roman d'Aldous Huxley, 1932", Niourk, roman de Stefan Wul, 1957", La Journée d'un journaliste américain en 2889, nouvelle de Jules Verne, 1889", Dune, roman de Frank Herbert, 1965, adapté en film par David Lynch en 1984", Fondation, roman d'Isaac Asimov, 1942", Doctor Who, série de la BBC, 2005", « Retour vers le futur 2 » : on a bien fait d’y croire Pixels Les Décodeurs Les fans de la trilogie attendaient le 21 octobre 2015 depuis longtemps. Et pour cause : c’est la date à laquelle le héros Marty McFly débarque dans le futur. Mercredi 21 octobre 2015, 16 h 29. Une DeLorean volante apparaît subitement sous une pluie battante, dans le ciel de Hill Valley, en Californie. À son bord, le docteur Emmett Brown (Christopher Lloyd), le jeune Marty McFly (Michael J. Fox) et sa petite amie, Jennifer Parker (Elisabeth Shue). Partis de 1985, ils viennent de faire un bond de 30 ans dans cette machine à voyager dans le temps. Ainsi débute l’intrigue de Retour vers le futur 2, réalisé par Robert Zemeckis et sorti sur grand écran en 1989, avec à la clé des réactions parfois sceptiques. Parmi celles-ci, la critique du Monde, dans son édition du 26 décembre 1989, regrettait que le XXIe siècle décrit dans le film soit réduit à « une accumulation de gadgets », comparant même ce second opus à un « feuilleton tourné dans de vieux décors récupérés çà et là »…Ce rendez-vous anniversaire est pourtant attendu par les fans de la trilogie culte depuis 30 ans, notamment pour comparer le monde de 2015 fantasmé dans le film à notre présent. Nostalgiques du film comme futurologues s’accordent à dire que les coscénaristes, Bob Gale et Robert Zemeckis, étaient des visionnaires. Si Marty McFly débarque dans un futur où voitures et skateboards volent et les habitants de Hill Valley portent des tenues plutôt bizarres comme la double cravate, ou les poches « à l’envers », les réalisateurs n’étaient pas si « chokos » que ça, pour reprendre une célèbre expression issue de la version française du film. Beaucoup d’avancées technologiques dépeintes dans cette Amérique futuriste sont bel et bien devenues réalités. Faire du futur un endroit sympa Pourtant, à l’origine, les deux scénaristes pensaient plutôt baser l’intrigue dans les années 60. Dans les coulisses du tournage, Robert Zemeckis affirmait : « Je n’ai jamais vraiment voulu raconter l’avenir dans Retour vers le futur. Je n’aime pas voir le futur dans les films […]. Le problème avec la réalisation de films futuristes, c’est que vous vous plantez souvent. Vous sous-estimez le futur. Même Stanley Kubrick a toujours mal prédit l’avenir dans ses films. » Pour Rick Carter, directeur artistique et chef décorateur sur le film, il s’agissait de « faire oublier Blade Runner avec son futur sombre et ses volutes de fumées », un style dystopique commun aux films d’anticipation de l’époque.« Je suis impressionné que nous ayons deviné à 50 %. Nous avons été plutôt bons. » Robert ZemeckisUne fois l’intrigue définitivement placée dans le futur, Gale et Zemeckis décident alors de fantasmer ce dernier avec humour. Tout ce qu’ils inventent doit déboucher sur une blague, un rebondissement comique. « On voulait faire du futur un endroit sympa », explique Bob Gale dans les bonus de la trilogie rééditée en 2002. « Si un événement mauvais survenait, c’était du fait de l’homme, non de la technologie ».Aujourd’hui, avec 30 ans de recul, l’équipe du film est moins sévère sur le résultat. « Je suis impressionné que nous ayons deviné à 50 %, confiait ainsi Zemeckis au site Nerdist. Ce n’est pas un mauvais pourcentage en matière de prédiction d’avenir. Nous avons été plutôt bons. »Science-fiction du quotidienIl faudra deux ans à l’équipe technique, le directeur des effets spéciaux John Bell en tête, pour concevoir et affiner les décors et les objets imaginés par les deux scénaristes. « Il fallait imaginer comment on s’habillerait, comment on écouterait de la musique… », se rappelle Linda DeScenna dans un documentaire diffusé sur TMC.« Le défi avec Retour vers le futur 2, c’est qu’il s’agit de science-fiction du quotidien. On devait utiliser ce qu’on avait déjà, prendre les repères et les modifier un peu », détaille Linda DeScenna, décoratrice qui avait par ailleurs travaillé sur Star Trek et Blade Runner. « Il nous fallait reprendre les éléments les plus connus de Hill Valley et les pousser plus loin », précise Bob Gale, qui a toujours clamé que la trilogie était fondée sur la capacité de nostalgie des spectateurs.NostalgieChacun des films de la trilogie tourne autour de la place centrale de la ville fictive de Hill Valley, où se dresse l’hôtel de ville, censé avoir été érigé en 1885, époque à laquelle se déroule le troisième opus de la série. En 2015, le bâtiment est toujours là. Il a simplement été réhabilité en centre commercial. Nulle trace donc d’immeubles hauts de centaines d’étage, même si les voitures volent. Le centre de la ville ne change que partiellement d’aspect, et certains commerces, qui existaient en 1955, semblent même avoir survécu en 2015, comme la station d’essence, ou le café Lou’s, devenu Café 80’s en 2015. Les références sociales restent les mêmes : les McFly, qui appartiennent à la classe moyenne, vivent toujours dans un pavillon de banlieue, même si le quartier a changé. Et surtout, la nécessité de préserver le patrimoine, représenté par l’horloge de l’hôtel de ville, qui s’est arrêtée le 5 novembre 1955, reste un élément du film. En 1985 comme en 2015, la place reste arpentée par des passionnés d’histoire qui récoltent des fonds pour la sauver de la destruction (ou plutôt du remplacement).Une partie importante de la représentation du futur dans le film repose en fait sur des références au « passé ». Marty s’amuse ainsi à discuter avec une antiquaire, qui, avant de lui vendre par hasard un livre susceptible de « briser le continuum espace-temps », lui explique comment s’utilisaient certains objets du passé, comme la jaquette d’un livre ou un aspirateur sans fil.Produits dérivésDe la même façon, le café 80’s, qui servait d’abord de repère narratif pour les spectateurs de l’époque, témoigne d’un certain goût pour le vintage… Dès que Marty pénètre dans l’établissement, c’est la chanson Beat it de Michael Jackson qui retentit. Au fond de la salle se dresse le jeu d’arcade Wild Gunman, sorti sur NES en 1984. Quant au service, il est assuré par des robots équipés d’un écran simulant une personnalité des années 1980. Ainsi, le visage du « King of Pop » confie ses secrets de cuisine à une cliente, tandis que des avatars de Ronald Reagan et de l’ayatollah Khomeini se disputent pour prendre la commande de Marty. Mais quand vient le moment de choisir sa consommation, en 1955, 1985 ou 2015, Marty prend toujours un Pepsi.Le concurrent de Coca-Cola a justement profité de cette date anniversaire pour distribuer 500 bouteilles de Pepsi Perfect, boisson en vogue dans le futur imaginaire du film, tout en diffusant une fausse publicité, à l’occasion d’une convention qui s’est déroulé à New York début octobre. Cinq mille bouteilles ont également été vendues, au prix de 20,15 dollars, mais il n’aura fallu attendre que quelques heures avant que la bouteille au look rétrofuturiste ne se retrouve sur les sites de vente aux enchères.De son côté, l’équipementier Nike annonçait début 2015 que le modèle de baskets autolaçantes qui apparaît dans le film serait commercialisé. En 2011, la marque à la virgule s’en amusait dans une vidéo. Cette année-là, Nike avait commercialisé 1 500 paires de « Air Mag », le modèle porté par Marty McFly mais sans dispositif de laçage automatique. Ces paires de chaussures s’arrachent depuis à des milliers de dollars sur les sites d’enchères.Le skateboard volant, ou « hoverboard », est le gadget phare de l’épisode 2 de Retour vers le futur. À l’époque du tournage, Robert Zemeckis s’amusait à raconter que ce n’était pas une invention : ces skateboards existaient depuis longtemps mais les associations de parents empêchaient leur commercialisation parce que trop dangereux… Ces derniers mois, plusieurs entreprises, à commencer par Google, ont bien tenté de mettre au point un prototype. L’un des modèles les plus aboutis a été dévoilé par Lexus en août, mais il n’est pas près d’être commercialisé. De leur côté, les studios Universal ont saisi l’occasion de l’anniversaire pour produire une fausse bande-annonce du film Jaws 19, (qui se veut la suite de Jaws, Les Dents de la mer, en VF), dont l’affiche holographique effraie tant Marty. La précision de Retour vers le futur 2 va assez loin pour qu’une critique du film soit proposée à la « une » du journal USA Today datée du 22 octobre 2015 (acheté par Doc en voyageant dans le temps pour savoir ce qui doit se passer la veille). Le journal annonce pêle-mêle une menace terroriste venue de Suisse ou une visite prochaine… de la reine Diana. Le sujet qui fait la « une » est signé « Compu-Fax », un drone que l’on voit prendre des photos au cours du film. Dans le « vrai » 2015, il arrive que la presse ait recours à des drones pour prendre des photos, ou à des robots pour fournir certaines informations, comme ce fut le cas au Monde.fr pour les élections départementales.Pas loin de la réalitéD’autres « prédictions » se sont vérifiées, sans pour autant être le résultat d’une opération marketing liée à l’anniversaire du film. Marty s’étonne par exemple d’apprendre l’existence d’une équipe de baseball à Miami, qui devient d’ailleurs championne des World Series. Si, en 1989, Miami n’avait effectivement pas d’équipe pour ce sport, ce n’est plus le cas depuis 1993. Il s’agit des Florida Marlins, rebaptisés Miami Marlins en 2011.Le film aborde même les progrès médicaux. « Tu pardonneras ce déguisement, mais j’ai eu peur que tu ne me reconnaisses pas » confesse Doc à Marty, en s’arrachant du visage ce qui semble être un masque de latex. Précédant son jeune ami comme voyageur du futur, le professeur en a profité pour se rendre dans une « clinique de rajeunissement » pour gagner « trente ou quarante ans d’espérance de vie », en bénéficiant de greffes diverses et d’un lifting. Certes, aujourd’hui, des interventions aussi radicales sont inenvisageables, d’un point de vue technique et éthique. Mais il est désormais possible de greffer un cœur artificiel et l’espérance de vie moyenne est passée en 30 ans, aux Etats-Unis, de 74 à 78 ans.Lire aussi : Comment Withings connecte les malades et les chercheurs via GIPHY Objets connectésBob Gale énumère d’ailleurs les points communs entre le 2015 du film et la réalité dans une série de questions-réponses avec les internautes via CNN :« Nous avons pensé que les dispositifs biométriques existeraient (et nous avions raison), nous avons envisagé les téléviseurs à écran vidéoconférence dans la maison (et nous avions raison), nous ne nous attendions pas à ce que les drones arrivent (mais ils l’ont fait). Nous nous attendions à ce qu’il y ait beaucoup de technologie à commande vocale (nous avions raison) et nous nous attendions à ce que l’information médicale soit accessible par l’empreinte du doigt d’un patient (ce qui est presque la réalité). »Le film offre en effet une description assez précise de la vie quotidienne. Jennifer Parker entre chez elle en posant son pouce sur une plaque noire, qui clignote au moment du contact. Reconnaissant son empreinte digitale, la porte s’ouvre, et elle n’a qu’à prononcer le mot « lumière » pour que le salon sorte de la pénombre. Quelques instants plus tard, son fils, Marty Junior, s’installe dans le salon, allume le rétroprojecteur et regarde une dizaine de chaînes, comme on ouvre des onglets dans un navigateur. Pendant le dîner, l’adolescent continue ensuite de regarder la télévision sur un casque à réalité augmentée… Autant d’activités possibles aujourd’hui.Si l’on ne tient pas rigueur aux deux scénaristes d’avoir pu nous faire croire que Black & Decker concevrait un hydrateur de pizzas, un changement de taille, qui a bouleversé nos quotidiens, est en revanche totalement absent du film : Internet.Un grand absent : le smartphoneCertes, le 2015 de la famille McFly apparaît comme une époque très connectée, dans laquelle il est possible de recevoir des messages par fax dans toute la maison, téléphoner avec des lunettes ou encore tenir une téléconférence avec son patron depuis son salon. Mais il faut dire que le World Wide Web de Tim Berners Lee n’a été rendu public qu’après la sortie du film, en 1991. La démocratisation de l’usage des emails remonte également aux années 90. Quant aux réseaux sociaux, ils étaient inconcevables à l’époque où le film a été tourné, bien que le partage d’informations personnelles soit suggéré lorsque Marty, adulte, communique par visioconférence avec ses collègues. « Nous ne nous pouvions pas non plus prévoir les smartphones, et je dois dire que c’est l’appareil le plus incroyable que nous avons aujourd’hui − et qui a vraiment changé la société et comment les gens interagissent les uns avec les autres », expliquait Bob Gale à CNN. « Les smartphones font maintenant partie de nos vies, pourtant, le fait de naviguer sur Internet et d’avoir accès à toutes les informations de la planète aurait stupéfait les plus futuristes des années 1980 qui n’imaginaient pas qu’un téléphone puisse servir à autre chose que parler ou envoyer des SMS », répond Ross Dawson, futurologue basé à Sydney, interrogé par l’AFP. « Vu depuis l’année 1989, quand le film a été fait, ce que nous avons aujourd’hui à notre disposition en termes de connectivité, d’information, de divertissement est totalement ahurissant », ajoute-t-il.Une chose est sûre : la trilogie Retour vers le futur a marqué son époque en laissant une empreinte forte sur la réalité. Une influence qui se glissera jusque dans le discours sur l’état de l’Union du président Reagan, en 1986, ponctué par un fracassant : « là où l’on va, on n’a pas besoin de routes. » Que l’on veuille coucher au clair de Terre avec Matt Damon ou marcher dans les traces d’un jeune Dogon pris dans la tourmente de la guerre, il faut pousser la porte du cinéma pour voyager.Camping, version spatiale : « Seul sur Mars »A rebours de l’espace terrifiant d’Alien, dans lequel personne ne vous entendait crier, voici le cosmos comme terrain d’aventures. Sur la Planète rouge, où il a été abandonné par ses camarades, Mark Watney (Matt Damon, plus adolescent que lorsqu’il avait 13 ans), le botaniste de la mission, entreprend de synthétiser une atmosphère et de faire pousser des pommes de terre. Un film euphorisant, un chant (un peu scout) à la gloire de l’inventivité humaine.Film américain de Ridley Scott, avec Matt Damon, Jessica Chastain, Jeff Daniels (2 h 21).Enviables Açores : « Le Chant d’une île »Tourné il y a dix ans, ce documentaire réalisé par deux cinéastes portugais met en évidence la beauté d’un lieu, la petite île de Sao Miguel, aux Açores, et surtout celle de ceux qui la peuplaient à l’époque, des pêcheurs vivant dans une communion immédiate avec la mer. Les paysages terrestres et marins somptueux sont animés par l’énergie inépuisable de ces habitants, filmés avec amour.Documentaire portugais de Joaquim Pinto et Nuno Leonel (1 h 43).Des rives du Niger aux tranchées de Verdun : « Adama » Ce prodigieux dessin animé, qui suit le parcours d’un jeune Dogon, parti de son village à la recherche de son frère, échoué dans la tourmente de la première guerre mondiale, mêle avec virtuosité différentes techniques d’animation. L’une d’entre elles – et c’est bien normal puisque le jeune héros doit franchir le désert – recourt aux sables magnétisés, qui donnent aux explosions et aux tempêtes une réalité déconcertante. Un film de guerre qui est aussi un appel à la paix.Film d’animation français de Simon Rouby (1 h 22).Une journée avec Marty : exposition Scorsese à la Cinémathèque Pendant que les salles de la rue de Bercy projettent l’intégralité de l’œuvre de Martin Scorsese, un espace d’exposition lui est entièrement consacré. Des objets familiers qui ornaient l’appartement de la famille Scorsese sur Elizabeth Street, dans Little Italy, aux missives des grands cinéastes (Bresson, Resnais) qui remercient leur jeune confrère pour ses efforts en faveur de la préservation du patrimoine cinématographique, en passant par les costumes somptueux du Temps de l’innocence, on refait pas à pas ce cheminement prodigieux.Cinémathèque française, de 10 heures à 20 heures, sauf le mardi.Gary dans les marais : « Les Aventures du capitaine Wyatt » Classique du cinéma d’aventures hollywoodien, ce film, réalisé par Raoul Walsh en 1951, précipite Gary Cooper dans les marais de Floride, à la tête d’une unité de l’armée américaine poursuivie par les Séminoles. On est en 1840, et les hommes doivent se défier aussi bien des « Indiens » que des alligators. Le récit rectiligne est sans cesse dévoyé par une violence sèche et par l’érotisme du personnage féminin, incarné par Mari Aldon.Film américain de Raoul Walsh (1951), avec Gary Cooper, Mari Aldon (1 h 41), au cinéma Desperado, 23, rue des Ecoles, Paris 5e. Tél. : 01-43-25-72-07. Allociné accusé d’avoir truqué les notes du film « Nouvelles Aventures d’Aladin » Le site Allociné a-t-il servi à faire la promotion du dernier film consacré à l’histoire d’Aladin ? C’est le reproche du quotidien belge L’Avenir, qui soupçonne le site d’avoir modifié favorablement les notes du film et de censurer les critiques négatives, pourtant majoritaires dans la presse.Sur la page consacrée au film, la moyenne presse est favorable, avec une note de 3,2/5. Mais ne figurent que neuf critiques de presse, soit peu par rapport à la moyenne des autres « grosses » sorties, qui en comptent en général une vingtaine.Du côté des spectateurs, 35 % attribuent cinq étoiles, soit la meilleure note, au premier long-métrage d’Arthur Benzaquen.Et si l’on remonte les commentaires, les premières notes oscillent entre 4 et 5 étoiles, avec des critiques dithyrambiques : « Très bon film ! », « C’est l’un des meilleurs films que j’ai vu », « Juste parfait »… « Fans » ou « haters »Des premiers commentaires élogieux souvent publiés par des internautes venant de se créer un compte sur Allociné… Mais la tendance s’est rééquilibrée récemment avec des notes variant désormais entre 0 et 1, ramenant la moyenne à 2,5/5.Le quotidien belge relève également l’impossibilité de laisser un commentaire. Si c’est fréquent pour des films controversés ou traitant de sujets sensibles (La Marche, Qu’Allah bénisse la France, Un Français…), ça l’est moins pour des comédies comme Les Nouvelles Aventures d’Aladin.Face aux critiques relayés par de nombreux médias, Allociné a décidé de répondre, lundi 19 octobre, en niant toute tentative de manipulation de sa part.« Il est évident que certains groupes (« fans », « haters ») ont tenté d’influencer la note, dans un sens comme dans l’autre, ceci étant accompagné notamment d’un nombre significatif de critiques à caractère antisémite, qui ont donc naturellement et heureusement été modérées. » « Seul sur Mars » : une fiction qui résiste (presque) à l’examen scientifique Un astronaute-robinson pourrait-il réellement survivre seul sur Mars pendant de nombreux mois, dans l’attente de secours hypothétiques ? Le dernier film de Ridley Scott semble en attester, et le soutien affiché de la NASA pourrait faire croire au spectateur peu attentif qu’il est basé sur des faits réels. Disons-le tout net : Seul sur Mars n’est pas un documentaire, personne n’y est encore allé, et dans son dernier rapport sur le sujet, publié le 8 octobre, l’agence spatiale américaine n’a livré ni date précise (les années 2030) ni budget. Ceci étant posé, examinons quelques-uns des éléments narratifs, à la lumière de ce que la science astronautique peut et veut. Mais attention, au-delà de cette limite, peut-être le lecteur en saura-t-il trop pour accompagner aveuglément Matt Damon dans son périple…Lire aussi : « Seul sur Mars » : feu de camp au clair de Terre Tempête sous un casque. Le héros est laissé pour mort à la faveur scénaristique d’un ouragan. « La densité de l’atmosphère martienne est 80 fois plus faible que sur Terre, rappelle Alain Souchier, président de Planète Mars, antenne de la Mars Society américaine. Un vent de 300 km/h là-bas exercerait la même pression qu’un vent de 30 km/h sur Terre. » Pas de quoi menacer de renverser une fusée… Ce dont Andy Weir, l’auteur du roman qui a inspiré le film, convient volontiers. Mais, dit-il, il fallait bien trouver un moyen de laisser son héros seul sur Mars.Un mois de provisions. La mission qui tourne mal était prévue pour durer trente jours sur Mars. Dans les plans évoqués actuellement, cette durée-là n’est pas optimale. « Elle suppose de mettre neuf à dix mois pour revenir et de passer près de Vénus, plus près du Soleil, ce qui accroîtrait les risques liés aux rayonnements », indique Alain Souchier. Le scénario de référence, c’est six à huit mois aller, autant pour le retour, avec cinq cents jours sur place – durant lesquels il faut aussi se protéger des radiations. L’astronaute Mark Watney y aurait eu moins de souci alimentaire en profitant de la nourriture de ses lâcheurs de camarades. Corvée de patates. Le régime à base de pommes de terre est une garantie de carence vitaminiques à court terme – la Société américaine de plantes cultivées aurait une préférence pour les pois. Il faut, en outre, extraire les perchlorates présents dans le sol pour espérer y faire pousser le tubercule. Quant à la fumure humaine utilisée, c’est une bonne idée, mais « je sors d’un cours sur les toilettes dans la Station spatiale internationale, et je peux garantir qu’il n’y a aucun intérêt à packager des excréments humains dans des pochettes aluminium individuelles », note l’astronaute Thomas Pesquet, de l’Agence spatiale européenne.Lire aussi : De l’eau salée s’écoulerait sur la planète Mars Un relais bienvenu. Pour communiquer avec la Terre, Mark Watney ressuscite Pathfinder, un atterriseur de la NASA qui s’est vraiment posé en 1997 sur la Planète rouge. Alain Souchier doute qu’un demi-siècle plus tard, « ses circuits électroniques soient encore en mesure de servir ».Partir-revenir. Le vaisseau Terre-Mars et retour, plus spacieux que spatial, de l’avis général, aurait plus sa place dans Star Wars. Le film n’évoque pas l’atterrissage, la phase du vol la plus problématique, car l’atmosphère trop fine, encore elle, ne favorise pas le freinage des spationefs – les technologies restent à inventer. « En revanche, le décollage, avec une gravité qui n’est que d’un tiers de celle de la Terre, serait facilité », souligne Thomas Pesquet.Solitude ennemie. Mars, n’est pas côté, c’est au minimum 190 fois plus loin que la Lune. La perte de contact visuel et le temps de voyage peuvent faire vaciller les esprits les mieux équilibrés. « Cette distance est une épée de Damoclès. Une fois parti, on ne peut pas faire demi-tour, indique Thomas Pesquet. Imaginez qu’il faille faire une opération en apesanteur, on serait plutôt dans le domaine du film d’horreur. » Un équipage devrait comprendre un chirurgien, voire deux « si l’un tombe en panne », lâche l’astronaute dans un lapsus. Mark Watney peut donc remercier sa bonne constitution. « Je n’ai pas pu m’empêcher de me demander ce que j’aurais fait dans la même situation, de me dire à chaque péripétie que je serais déjà mort à ce moment-là, admet le Français. Nous suivons bien sûr des stages de survie, mais il fait vraiment un sans-faute. »Verdict : « Réaliste sur les technologies qui existent déjà, ou identifiées comme critiques pour aller sur Mars », le film constitue, comme Gravity avant lui, un bon véhicule pour la conquête spatiale, admet Thomas Pesquet. « Hors suspense et drame hollywoodiens, c’est à cela qu’on se prépare », assure ce trentenaire, qui aura 57 ans en 2035, et espère bien être du voyage.Lire aussi : La vie sur Mars, l’obsession payante de la NASA Hervé Morin Pôle Science et Médecine Mort de Danièle Delorme, actrice et productrice hors-norme On venait de la revoir, vénéneuse, dans Voici le temps des assassins, de Julien Duvivier (1956), dans lequel elle incarne une jeune fille perdue qui se révèle un monstre décidé à ruiner le brave homme que joue Jean Gabin.Magnifiquement restauré, le film, présenté au festival Lumière de Lyon, donnait une idée de l’actrice que fut Danièle Delorme, qui vient de mourir, le 17 octobre, à 89 ans, à Paris. De la profondeur de ce jeu, on pouvait imaginer qu’elle a été l’une des actrices les plus admirées sur les scènes parisiennes de l’immédiat après-guerre.Mais on ne pouvait deviner en voyant cette jeune femme frêle et élégante, au regard troublé par une légère coquetterie, que Danièle Delorme a été l’un des piliers de la production indépendante française, à la tête des films de La Guéville, la maison qu’elle avait fondée avec son époux Yves Robert, permettant aussi bien à Pierre Richard qu’à Jacques Doillon de tourner les films qu’ils rêvaient.Danièle Delorme est née Gabrielle Girard le 9 octobre 1926 à Levallois-Perret. Son père est le peintre et affichiste André Girard. Plus tard, Danièle Delorme ouvrira la galerie An-Girard, rue Campagne-Première à Paris pour y perpétuer son œuvre. Sous l’Occupation, alors que sa mère a été déportée et que son père a gagné le Royaume Uni, la jeune fille rejoint la compagnie de l’acteur Claude Dauphin.« Gérard Philipe féminin »Le cinéaste Marc Allégret la remarque et la fait tourner dans trois films d’affilée Félicie Nanteuil (tourné en 1942, sorti en 1945), La Belle Aventure (1942) et Les Petites du quai aux fleurs (1944). Elle enchaîne les tournages jusqu’à ce que la réalisatrice Jacqueline Audry lui propose en 1948 le rôle-titre de Gigi adapté de la nouvelle de Colette parue quatre ans plus tôt. Dans Le Monde, Henri Magnan écrit :  « Elle ramasse littéralement tout (…). Voix de bouche à la menthe, moues et lippes impayables, Danièle Delorme est bien l’un des plus sûrs espoirs du cinéma français. Notre Gérard Philipe féminin ». Réalisatrice, actrice et romancière se retrouveront pour Minne, l’ingénue libertine (1950) et Mitsou (1956).Le succès de Gigi lui vaut une série de premiers rôles dans lesquels elle incarne des jeunes femmes fragiles en proie à la passion et/ou à l’adversité : après être tombée entre les pattes de Bernard Blier dans Sans laisser d’adresse, de Jean-Paul Le Chanois (1951) elle est Fantine dans la version des Misérables que le même cinéaste tourne en 1958.Entretemps, Duvivier lui a permis de s’écarter de cet emploi avec la Catherine de Voici le temps des assassins. Un peu plus tard, elle confie à L’Express : « C’est terrible, moi qui ne pense qu’à me fendre la pipe, je n’ai qu’à paraître en scène pour être tragique ».Si elle ne trouve pas non plus le chemin de la comédie sur scène, le théâtre lui offre des rôles plus prestigieux. Elle joue Aldous Huxley, Claudel (en 1961 sa Violaine dans L’Annonce faite à Marie est unanimement saluée) ou George Bernard Shaw (Sainte Jeanne, en 1964) ou Camus (Les Justes, 1966). Il lui arrive de produire elle-même les spectacles qu’elle interprète.En 1956, après s’être séparée de l’acteur Daniel Gélin qui a été son compagnon de 1945 à 1955 (et le père de son fils, Xavier Gélin), Danièle Delorme a épousé le comédien et cinéaste Yves Robert. Au début des années 1960, ils fondent La Guéville, une maison de production qui emprunte son nom à une petite rivière des Yvelines (on dit encore la Seine-et-Oise).La production plutôt que télévisionLeur premier film, La Guerre des boutons, réalisé par Yves Robert, est un immense succès qui permet à la Guéville de tenir une place importante dans le cinéma français. Danièle Delorme qui s’est d’abord éloignée des plateaux, puis de la scène, est la cheville ouvrière de la société. Celle-ci continue de produire les films d’Yves Robert, destinés à un large public familial, tout en soutenant le travail de cinéastes aussi divers que Jean-Luc Godard (La Chinoise), Pierre Richard (Le Distrait), Bertrand Tavernier (Que la fête commence), Alain Cavalier (Le Plein de super, Martin et Léa) ou Jacques Doillon (La Femme qui pleure, La Drôlesse). La Guéville est aussi l’une des premières sociétés françaises à prendre au sérieux le marché de la vidéo, au début des années 1980. Danièle Delorme lance une collection intitulée « Témoins », qui réunit des portraits d’artistes et d’intellectuels édités sur cassettes VHS. Malgré sa qualité l’opération est un échec financier.A ce moment, Danièle Delorme qui a pratiquement mis un terme à sa carrière (elle tient tout de même un rôle important dans le diptyque de son époux Un éléphant ça trompe énormément et Nous irons tous au paradis, sorti en 1976 et 1977) devient présidente de la commission de l’avance sur recettes en 1980. Elle reste deux ans à ce poste, qui lui vaut quelques inimitiés.Quelques mois plus tard, à l’arrivée de la gauche au pouvoir, elle est pressentie pour diriger une chaîne de télévision. Danièle Delorme refuse, préférant poursuivre son travail de productrice. En 1994, elle revient au théâtre pour Fête Foreign, de Jean-Marie Besset, à la Gaîté Montparnasse. Sa dernière apparition au cinéma remonte à 2001, dans La Vie sans secret de Walter Nions, de son petit-fils Hugo Gélin. ************************************************************* ************************************************************* Le compositeur Hans Zimmer lance sa première tournée mondiale On le connaît pour les bandes originales devenues légendaires de Gladiator, Le Roi Lion ou encore Thelma et Louise. Dans le milieu de cinéma, il est aussi le père de l’« Inception sound », ce bruit électronique sourd devenu le leitmotiv des bandes-annonces des blockbusters américains. Le compositeur américain Hans Zimmer, 58 ans, a annoncé lundi 2 novembre qu’il partait pour la première fois en tournée mondiale à partir du 6 avril 2016.Allemagne, Belgique, Royaume-Uni, Hongrie ou encore France feront partie des destinations d’Hans Zimmer, oscarisé en 1994 pour la bande-son du film de Disney Le Roi Lion.« Réaliser une telle tournée était quelque chose dont j’avais toujours rêvé, et je suis ravi que ce jour soit enfin arrivé », a expliqué Hans Zimmer dans un communiqué de presse diffusé par le site Consequence of sound. Le compositeur a également promis la présence sur scène à ses côtés d’« amis talentueux », dont il n’a pas révélé l’identité. ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* Sam Mendes : « James Bond est un mythe » Avant de s’atteler à la réalisation de 007 Spectre (sortie le 11 novembre), le nouveau volet de la saga de James Bond à l’écran, Sam Mendes mettait en scène, début 2014, Le Roi Lear au Royal National Theatre, à Londres. La différence de registre entre Shakespeare – qu’il met régulièrement en scène, sans prévoir de s’arrêter un jour – et l’énorme machinerie constituée par James Bond (sur Skyfall [2012] d’abord, puis sur Spectre) l’avait, sur le coup, troublé. Comment passer de l’austérité d’une pièce de théâtre au tournage dantesque d’une saga dont il est provisoirement le chef d’orchestre ? Cela s’était déjà produit quand il avait enchaîné Richard III au théâtre et Skyfall au cinéma : « A l’époque, je ne saisissais plus la logique de ma carrière. Il ne s’agissait pas seulement de James Bond, mais de tous mes choix au cinéma. J’ai quitté la Grande-Bretagne pour réaliser American Beauty aux Etats-Unis, un film qui se déroule dans une banlieue. Malgré l’Oscar qu’il a remporté, je n’arrive pas à comprendre comment j’ai pu me retrouver sur un projet pareil. Aujourd’hui, je parviens à déceler une vague cohérence entre mes différents projets. Je ne trouve pas absurde, par exemple, d’avoir mis en scène, avec Jarhead, la fin de l’innocence, l’un des rares films consacrés à la première guerre du Golfe. Une histoire très beckettienne où il ne se passe pas grand-chose, si ce n’est qu’un soldat est déstabilisé par une victoire américaine à laquelle il n’a, vu la brièveté du conflit, pas eu l’occasion de participer. » Sam Mendes s’est souvenu des multiples avertissements reçus après Skyfall. En imaginant un Bond atteint par la limite d’âge, il a pris le risque de faire mourir l’agent secret. Un risque accru dans Spectre, où 007 ne trouve plus sa place dans le nouvel ordre mondial et semble faire passer sa vie privée avant son rôle de sauveur de l’univers. « Ces considérations m’ont traversé l’esprit. Elles m’ont même tapé sur le système. Puis je me suis calmé. Bond est un mythe. Constamment réinterprété comme tel, ou abordé comme un classique au théâtre, puis interprété avec le temps. C’est une mythologie avec laquelle tout le monde se sent connecté. Bond est un dinosaure sexiste issu de la guerre froide, c’est un fait, mais il ne changera jamais. Il aurait pu disparaître, mais il ne disparaîtra jamais. »« 007 Spectre » (2 h 30), de Sam Mendes. Avec Daniel Craig, Ralph Fiennes, Léa Seydoux. En salles le 11 novembre.Lire aussi : « Skyfall » : à 50 ans, si t’as pas une Aston Martin…  ************************************************************* « Recréer de la transmission »C’est ainsi que le parti pris d’une prescription par des réalisateurs s’est imposé, avec la mise en avant des 50 films les plus décisifs de leur vie. Une façon de modeler une offre humaine, artisanale, qui se veut aussi une alternative aux algorithmes des recommandations automatiques, qui sont devenus la norme sur les services en vidéo à la demande.« Nous avons eu envie de recréer de la transmission, explique Pascale Ferran. Il n’y a plus aujourd’hui de grandes émissions de cinéma, hors promotion. Les ciné-clubs, où l’on pouvait échanger sur les films, sont en voie de disparition, les passeurs n’existent plus. » Le projet initial s’est ainsi élargi à la proposition de « bonus » conçus par les réalisateurs eux-mêmes. Des vidéos où ils partagent leur approche de certains films (il y en a déjà une vingtaine de disponibles). D’autres types de bonus sont fournis par l’Institut national de l’audiovisuel (INA), l’un des partenaires du projet, qui propose de savoureuses images d’archives télévisuelles (une quarantaine pour le moment).Pour son lancement, le site propose les listes de 26 réalisateurs, en majorité français, mais aussi internationaux (de James Gray à Apichatpong Weerasethakul, Hirokazu Kore-eda ou encore Cristian Mungiu). Les listes sont consultables par réalisateur ou en « bobinant », c’est-à-dire en butinant numériquement d’une proposition de film à l’autre.Bergman, Hitchcock et Godard plébiscitésCe « rêve de cinéastes » se trouve être « la première plateforme mondiale de cinéma de patrimoine », selon Alain Rocca. Patrimoine car tous les films proposés doivent dater d’avant 2000. Une limitation au XXe siècle qui permet de retrouver les films qui ont formé et nourri les cinéastes d’aujourd’hui.Le site sera en continuelle évolution, avec chaque mois de nouvelles listes, de nouveaux bonus, de nouveaux films dont les droits auront pu être négociés. Sur les quelque 950 films cumulés déjà préconisés (et dont certains ne sont pas encore numérisés), environ 400 sont d’ores et déjà visibles (en VO sous-titrée en français), dont près d’un tiers d’inédits. Sueurs froides (Vertigo), d’Alfred Hitchcock, apparaît comme le film le plus influent, puisque le plus cité. Le réalisateur est d’ailleurs l’un des plus plébiscités en termes de nombre de films retenus, ex aequo avec Jean-Luc Godard, et juste derrière Ingmar Bergman (dix films).Comment chacun a-t-il constitué sa cinémathèque idéale ? « Il y a les classiques et la logique de nos plaisirs, de nos sentiments, confie Christophe Gans. Dans ce casse-tête, je me suis astreint de mettre un metteur en scène-un film. » « Au final, les films que j’ai gardés ne sont pas forcément des films supérieurs, mais ceux qui m’ont le plus plu, du cinoche », détaille, pour sa part, Michel Hazanavicius, qui a notamment retenu Les Galettes de Pont-Aven (1975), de Joël Seria.Céline Sciamma, qui assume son statut de « junior de la bande », propose, quant à elle, des films concentrés sur les années 1980-90, déjouant les standards de la cinéphilie. Une « liste générationnelle » qui intègre des films d’animation comme du « cinéma queer », avec deux bonus à la clé : l’un évoquant les regards caméra de Catherine Deneuve dans Les Parapluies de Cherbourg, l’autre pour le film Bound, d’Andy et Lana Wachowski, « une histoire d’amour entre deux femmes » qu’elle qualifie de « film noir qui parodie le genre ».« C’est comme entrer dans une confiserie »Non sans en rire, Agnès Varda a, de son côté, opté pour la tristesse : « Beaucoup de films repassent à la télévision, mais j’ai remarqué que les films tristes passent moins souvent, alors j’ai favorisé ces films, plus fragiles. » La sémillante senior de la bande s’avoue, en tout cas, particulièrement intéressée par la liste de Céline Sciamma : « Je suis curieuse de sa curiosité. »Promesse de découvertes, la liste d’Audiard est citée par plusieurs cinéastes comme pleine de films dont ils n’ont « jamais entendu parler ». « Le cinéma a rapport au rituel, et ces listes permettent de reritualiser la façon de découvrir des films », analyse Céline Sciamma. Parmi ses propres envies de spectatrice, les films de genre recommandés par Bertrand Bonello, et ceux sélectionnés par Arnaud Desplechin, qui a concentré son choix sur des longs-métrages peu connus des années 1920 à 1950.Pour son lancement, LaCinetek est accessible sur ordinateurs, tablettes et smartphones, mais la possibilité d’ouvrir l’offre à certains bouquets numériques fera partie des enjeux de 2016. « Et on rêve déjà que LaCinetek puisse s’étendre à d’autres pays européens, à l’Asie et aux Etats-Unis », annonce déjà Pascale Ferran.Les films de LaCinetek sont proposés à la location (2,99 euros en format SD, 3,99 euros en HD), ou à l’achat (7,99 euros en SD, 9,99 euros en HD), avec la possibilité de les offrir. ************************************************************* Y a-t-il un James Bond après Daniel Craig ? Y a-t-il une vie après Bond ? Y a-t-il un Bond après Craig ? Coup sur coup, ces deux questions existentielles ont surgi en pleine promotion de 007 Spectre au Royaume-Uni, peu avant sa sortie en salles outre-Manche, le 26 octobre.Interrogé, début octobre, par l’hebdomadaire Time Out sur son souhait de se lancer dans le tournage d’un autre James Bond, Daniel Craig a lancé : « Je préférerais casser ce verre et me trancher les veines avec. (…) J’ai eu ma dose. Tout ce que je veux, c’est passer à autre chose. » Un peu plus loin, il ajoutait : « Si je faisais un autre film de James Bond, ce serait seulement pour l’argent. » Habilement médiatisés, ces propos ont suscité un mélange de consternation et d’interrogations.Daniel Craig, 47 ans, qui incarne Bond pour la quatrième fois depuis Casino Royale (2006) et a redonné du souffle à la série, imaginerait-il poursuivre sa carrière sans 007 ? La question apparaît pertinente : si James Bond a propulsé vers le sommet le parcours d’un Sean Connery, il a totalement éclipsé le reste de la filmographie de Roger Moore ou de Pierce Brosnan. Le « permis de tuer » de Bond peut donc menacer celui-là même qui lui prête trop longtemps ses traits.Daniel Craig a d’ailleurs montré au public sa capacité à faire vivre bien d’autres personnages que l’agent secret au regard d’acier. Il a incarné le pionnier de l’Aéropostale Guillaumet dans Saint Ex (1996), mais aussi George Dyer, l’amant du peintre Francis Bacon dans Love is the Devil (1998). Il a tourné pour Steven Spielberg dans Munich (2006) et pour David Fincher dans Millénium : Les hommes qui n’aimaient pas les femmes (2011). Au théâtre, les New-Yorkais l’ont découvert en 2013 dans Trahisons, d’Harold Pinter, et le retrouveront à l’automne 2016 dans un Othello, de Shakespeare, avec David Oyelowo.Lire aussi : Quinze prétendantsMais les déclarations iconoclastes de Daniel Craig ont surtout relancé la machine à spéculer sur le nom du futur 007. Dès août, le magazine Esquire avait recensé pas moins de quinze prétendants possibles, comme Tom Hardy (Mad Max : Fury Road, Inception), Henry Cavill (Superman) ou Michael Fassbender (Twelve Years a Slave, Steve Jobs). Depuis la « sortie » de Craig dans Time Out, le nom qui revient le plus souvent est celui d’Idris Elba, révélé par la série « Sur écoute » («  The Wire » en VO).Un James Bond noir ? Bond « devrait être anglais-anglais », avait objecté Roger Moore début 2015, suscitant la controverse. Belle polémique sur l’identité britannique en perspective à propos d’Elba, né à Londres d’une mère ghanéenne et d’un père sierra-léonais. En 2005, lorsqu’il avait été choisi, Daniel Craig, aujourd’hui considéré comme un impeccable Bond, avait été torpillé par les tabloïds britanniques : blond et pas assez grand (1,78 m).Mais il se pourrait, en fin de compte, que les médias britanniques aient fait dire à Daniel Craig beaucoup plus que ce qu’il pense vraiment. En réalité, l’acteur a déclaré qu’il préférerait « se trancher les veines » plutôt que de tourner un autre James Bond, « là, maintenant ». Mais le « pas pour le moment » a été gommé pour mieux faire monter la mayonnaise. Il affirme qu’après huit mois d’un tournage harassant, son premier souhait est de « débrancher [son] cerveau » et de « prendre des vacances ». Se préoccupe-t-il des acteurs qui pourraient jouer Bond après lui ? « Ecoutez, cingle-t-il, je n’en ai rien à foutre. Bonne chance à eux ! »L’acteur a d’ailleurs mis de l’eau dans son vin par la suite. Il continuera le rôle « aussi longtemps qu’il en sera physiquement capable », a-t-il déclaré au Mail on Sunday, rappelant qu’il avait signé « pour un [film] de plus ». A la BBC, il a admis qu’il avait sans doute parlé trop vite. « Je savais en acceptant le rôle qu’il bouleverserait ma vie et c’est arrivé. (…) J’aime le jouer plus que jamais parce que j’ai été impliqué dans tous les aspects de la production. »Barbara Broccoli, coproductrice de Spectre, a voulu clore la séquence sur « l’après-Craig » en déclarant, le 4 novembre, à la veille de la sortie américaine : « Daniel Craig est notre James Bond (…). Nous l’adorons et nous voulons le retenir. » Et d’expliquer la lassitude exprimée par l’acteur par une sorte de dépression post-partum : « Vous ne demandez pas à une femme qui vient d’accoucher : “Quand allez-vous recommencer ?”. » Sam Mendes s’est souvenu des multiples avertissements reçus après Skyfall. En imaginant un Bond atteint par la limite d’âge, il a pris le risque de faire mourir l’agent secret. Un risque accru dans Spectre, où 007 ne trouve plus sa place dans le nouvel ordre mondial et semble faire passer sa vie privée avant son rôle de sauveur de l’univers. « Ces considérations m’ont traversé l’esprit. Elles m’ont même tapé sur le système. Puis je me suis calmé. Bond est un mythe. Constamment réinterprété comme tel, ou abordé comme un classique au théâtre, puis interprété avec le temps. C’est une mythologie avec laquelle tout le monde se sent connecté. Bond est un dinosaure sexiste issu de la guerre froide, c’est un fait, mais il ne changera jamais. Il aurait pu disparaître, mais il ne disparaîtra jamais. »« 007 Spectre » (2 h 30), de Sam Mendes. Avec Daniel Craig, Ralph Fiennes, Léa Seydoux. En salles le 11 novembre.Lire aussi : « Skyfall » : à 50 ans, si t’as pas une Aston Martin… ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* Pour 2016, le cinéma a de la suite dans les idées « Zoolander 2 » : nouvelles tribulations Derek Zoolander (Ben Stiller), le mannequin le plus idiot de la planète, et Hansel McDonald (Owen Wilson), son grand rival, auront attendu quatorze ans pour reprendre du service. Le projet était longtemps resté en suspens, entre les rumeurs de refus de financement de Paramount Pictures et l’agenda chargé de ses scénaristes, Justin Theroux et Ben Stiller lui-même. Sortie prévue en France le 4 mai 2016. « Le Monde de Dory » : nouvelle star Annoncé un 2 avril, le lancement de la suite du Monde de Nemo a d’abord laissé le public perplexe : ne s’agissait-il pas d’un poisson d’avril à retardement ? Pourtant, l’attachante et amnésique Dory va bien quitter son rôle de personnage secondaire pour devenir l’héroïne de ce nouveau film, dont la sortie est prévue le 29 juin 2016, treize ans après le premier. « Independence Day - Resurgence » : nouvelle attaque Maintes fois prévu puis repoussé, le deuxième volet d’Independence Day investira les salles le 27 juillet 2016. La Terre et les humains, qu’on se le dise, sont à nouveau menacés par les Aliens. Pour sauver la planète et l’humanité, il ne faudra cette fois pas compter sur Will Smith, qui a quitté le casting. Charlotte Gainsbourg en fera, elle, partie. « S.O.S. fantômes 3 » : nouveau départ En 1984, le premier S.O.S. Fantômes avait fait un carton. Le suivant, en 1989, avait déçu. Vingt-sept ans plus tard, S.O.S. Fantômes 3, en salles le 24 août 2016, ne sera pas une suite, mais un « reboot ». Une sorte de nouveau départ qui ne s’embarrasse pas des acquis des épisodes précédents. Bill Murray, parmi un casting très féminin, y fera une apparition clin d’œil, mais pas dans le rôle du Dr Venkman. « Mary Poppins 2 » : nouvelle actrice Cinquante et un ans après sa percée sur le grand écran, Disney prévoit, pour une date encore inconnue, le retour de Mary Poppins. Dans les années 1980, Pamela Travers, qui avait fait naître la nounou volante dans des romans pour enfants, avait travaillé sur une suite. Mais le projet avait été abandonné. Le nouveau film doit être réalisé par Rob Marshall. Le nom de l’actrice pour le rôle-titre n’est pas encore connu.Par Liv Audigane 13 heures en apnée dans la folie « Out1 » Sorti du métro Marcel Sembat, à Boulogne, on s’est engouffré jeudi (et à nouveau vendredi) sous le porche des laboratoires Technicolor pour rejoindre la petite assemblée réunie pour découvrir la version restaurée d’Out1, le film fleuve, mythique, de Jacques Rivette, jamais sorti en salles jusqu’à ce jour dans sa version intégrale. Les convives, peu nombreux, qu’on aurait pu confondre avec les membres d’une société secrète (quelques proches du cinéaste, quelques membres de l’équipe du film, quelques représentants de Carlotta Films et de Technicolor qui ont joint leurs forces pour cette restauration hors norme, 4 ou 5 journalistes, dont deux japonaises…), très excités, savaient la mesure de l’événement. « Le Graal de tout cinéphile », comme le résumait cette citation du New York Times affichée sur l’écran avant le début de la projection. Certains avaient déjà vu la version intégrale, Out1 : Noli me tangere, 12h55 de film réparties en 8 épisodes, dans une des rares projections qui en ont été faites, ou en VHS. D’autres sa version courte - 4h30 quand même, sous-titrée Spectres. Beaucoup n’en avaient vue aucune. Personne ne fut déçu. Voir Out1, c’est tomber dans le trou du lapin d’Alice aux Pays des Merveilles après avoir gobé les bonbons magiques de Céline et Julie (les héroïnes du film suivant de Jacques Rivette, Céline et Julie vont en bateau, 1974). C’est basculer dans un autre monde. Un monde fou, où tout est possible, mais rien n’est incohérent. Un monde qui ranime, dans un 16 mm splendide, le Paris de 1970, transformé pour l’occasion en un jeu de piste géant, aussi grand que la vie, où s’ébroue une ribambelle de personnages fabuleux, sérieux et drôles comme des enfants, libres et inventifs comme des artistes d’avant-garde. On vit le film autant qu’on le voit.L’Amour fouAvec Out1, Rivette voulait porter au plus loin l’expérimentation commencée avec L’Amour fou (1967), son film précédent. Jeter au feu toutes les règles de narration, de production. Faire un film entièrement improvisé, y compris par les techniciens, s’en remettre au hasard, à l’imprévu. Lancer quelques idées aux acteurs, des points de départ, à charge pour eux de les développer comme bon leur semble. Trouver - avec le concours de Suzanne Shiffman, scénariste créditée ici comme co-réalisatrice, et de Jean-François Stévenin, son assistant metteur en scène - les cheminements secrets qui permettront à leurs personnages de se rencontrer pour écrire leur histoire, troquer le statut de maître de marionnettes pour celui d’alchimiste aiguilleur. Out1 est une expérience de la durée, née, comme l’a rappelé entre deux séances Bernard Eisenschitz, critique, historien et encyclopédie vivante du cinéma (qui joue un petit rôle dans le film), de questions qui animaient les critiques des Cahiers du cinéma à l’époque - sur la narration, sur la durée, et plus spécifiquement sur le travail de Jean Rouch qui fabriquait, avec les moyens du cinéma direct, de la fiction pure. Rivette voulait faire un serial, à la manière des Vampires de Louis Feuillade. Il y avait aussi en tête L’Histoire des Treize, de Balzac. Aucun des acteurs ne l’aurait lu. Mais la liberté « jamais égalée », dont ils parlent tous, innerve leur présence d’une vibration magique, que Juliet Berto, dans un rôle de pie voleuse facétieuse, charnelle, androgyne, enfantine, lutine, porte à un point d’incandescence stupéfiant. Son personnage, et celui de Jean-Pierre Léaud, un sourd-muet gagnant sa vie en distribuant des « messages du destin » et qui torture les mauvais payeurs à grands coups de salves d’harmonica, découvrent par hasard l’existence d’une société secrète dormante, laquelle, sous leur influence, reprend de l’activité. L’intrigue met longtemps à se dévoiler, le premier épisode faisant en quelque sorte office de sas - ou de trou du lapin d’Alice. Construit autour de longues séquences arides, restituant des sessions de travail de deux troupes de théâtre influencées par les expérimentations du Living theatre, ou de Peter Brook, il conditionne les spectateurs pour la suite en les plongeant dans une forme de transe - au risque de décourager les moins motivés. Selon le principe énoncé par un exquis homme d’affaires interprété par Jacques Doniol-Valcroze - « c’est le soupçon qui crée le délit » -, la fiction prend le dessus dès l’épisode suivant, à mesure que s’imbriquent intrigues amoureuses, filatures, disparitions mystérieuses, vols spectaculaires, scandales obscurs, traques dans Paris, et même un assassinat.La bande des quatreBouillonnant de vitalité, et d’une forme d’optimisme propre à l’époque, Out1 (qu’on a longtemps prononcé « Out One », mais qu’il faut désormais, conformément aux directives de Rivette, appeler « Out Un ») annonce en même temps, déjà, l’échec des utopies. C’est un film de deuil, porteur d’une profonde nostalgie pour la Nouvelle Vague, pour la bande des quatre que formaient, à son origine, Godard, Truffaut, Chabrol et Rivette, et le compagnonnage avec Eric Rohmer. Et un film de renouveau, qui se donne a voir, a posteriori, comme la matrice de tout un pan du cinéma français des années 1970, à commencer par celui de Jean Eustache. Alors qu’un trio amoureux avec Bernadette Laffont, et Jean-Pierre Léaud en embuscade, annonce celui de La Maman et la Putain, les racines d’Une Sale Histoire se dévoilent à travers la personnalité de Michael Lonsdale ou le petit rôle de pornographe que joue Pierre Cottrell, le futur producteur d’Eustache, et plus généralement le motif du dédoublement qui sous-tend l’ensemble du film. Au fil des débats et conversations qui ont accompagné ces deux journées de projection hors du temps, la mémoire trouée de ce film fantôme remontait à la surface, se recomposant partiellement au fil des témoignages - de Stéphane Tchalgadjieff, le producteur, de Pierre-William Glenn, le chef opérateur, de René-Jean Bouyer, l’ingénieur du son, de Bulle Ogier… Comme un puzzle dont plusieurs pièces manquent encore, dont certaines resteront à jamais prisonnières des secrets du grand absent qu’était l’auteur, trop affaibli aujourd’hui pour en accompagner la renaissance. Out1 sera visible par tous à partir du 18 novembre, disponible dans un coffret DVD, mais surtout, pendant une quinzaine de jours, en salle - à Paris, Lyon, Toulouse, Bordeaux, et aux États-Unis. Bloquez votre week-end comme si vous deviez quitter la ville. Et plongez-y. Le 4 novembre 1995, le monde a changé. Ce soir-là, sur la place des Rois d’Israël de Tel Aviv, le premier ministre Itzhak Rabin fut assassiné par Yigal Amir, militant de l’extrême droite religieuse, assassinat qui précéda de quelque mois l’accession de Benyamin Nétanyahou et l’arrêt du processus de paix israélo-palestinien. Puisque la thématique retenue pour la seconde édition du Monde Festival est « changer le monde », il convenait que sa soirée d’ouverture, vendredi 25 septembre, soit consacrée à la projection de Rabin, the Last Day (« Rabin, le dernier jour »), le film du cinéaste israélien Amos Gitaï qui relate ce séisme. Un débat qui réunissait, autour du directeur éditorial du Monde Alain Frachon, le réalisateur ainsi que l’historien et diplomate Elie Barnavi.« Rabin, The Last Day » déploie sur deux heures et demie une dramaturgie dont la précision minutieuse se rapproche du documentairePrésenté aux festivals de Venise et de Toronto, Rabin, the Last Day sortira en Israël le jour du vingtième anniversaire de la mort d’Itzhak Rabin et le 9 décembre en France. Amos Gitaï a demandé au public parisien de « laisser travailler le film », de ne pas en tirer des conclusions définitives, se défendant d’avoir fait œuvre militante ou nostalgique. S’appuyant sur des blocs d’images d’archives, et sur les archives de la commission d’enquête réunie pour établir d’éventuels manquements à la sécurité du premier ministre, Rabin, the Last Day déploie sur deux heures et demie une dramaturgie dont la précision minutieuse se rapproche du documentaire, un matériau idéal pour la discussion qui allait suivre.Amère conclusionElie Barnavi, qui était au côté d’Itzhak Rabin le 4 novembre 1995, a souligné la part de responsabilité de la droite parlementaire dans la mort du dirigeant travailliste. « Pour qu’un assassinat soit vraiment politique, il faut qu’un parti souhaite la mort de la victime », a-t-il martelé, rappelant la campagne de haine (que détaille également le film de Gitaï) qui s’est développée dans les mois qui précédèrent le crime d’Yigal Amir. Si les points de vue d’Amos Gitaï et Elie Barnavi ont parfois divergé – sur le rôle de Shimon Peres que le second juge avec une extrême sévérité alors que le premier lui a donné une place d’honneur dans son film –, ils se sont retrouvés dans une analyse pessimiste de la situation actuelle en Israël et dans la région. « Les religieux des deux côtés vont danser ensemble jusqu’à l’Apocalypse », a soupiré le cinéaste, pendant que l’historien regrettait que la gauche israélienne n’ait pas su « bâtir sa victoire et le processus de paix sur l’assassinat de Rabin ». L’amère conclusion, implicite, de la soirée reste que l’assassin a mieux réussi à changer le monde que sa victime. « Boomerang » et « Premiers crus » : paysages et lieux communs de France Si l’équipe cinéma du Monde a pu sans difficultés accéder à la projection du film Everest, elle n’a pas été conviée à voir avant leur sortie les films qui ont pris les deuxième et troisième places du classement des meilleures entrées, mercredi 23 septembre, avec une vingtaine de milliers de spectateurs chacun : Boomerang, de François Favrat et Premiers crus, de Jérôme Le Maire pourtant situés respectivement sur l’île de Noirmoutier et en Bourgogne. Ils ont été vus en salle, à Paris, vendredi 25 septembre. « Boomerang »L’avis du « Monde » – pourquoi pas« Toutes les familles ont un secret », clame l’affiche de Boomerang. Titre + accroche = certitude que le secret reviendra avec une vélocité accrue aussi bien à la face de ceux qui le détiennent que de ceux qu’on en a trop longtemps préservés. On a fait d’excellents films sur ce thème. D’ailleurs, la traduction anglaise de « chaque famille a son secret » a servi à vendre aussi bien Tetro de Francis Ford Coppola que Tokyo Sonata de Kiyoshi Kurosawa (et non de Kore-eda comme indiqué dans une précédente version). Encore faut-il s’écarter un peu du programme qu’impose la figure dramatique du dévoilement. Ici, de trouvaille d’objet oublié en lecture de lettre cachée, il est respecté à la lettre sur un rythme que l’on aimerait qualifier d’ample, mais qui tend plutôt vers la mollesse. Antoine (Laurent Lafitte) et Agathe (Mélanie Laurent) Rey ont très jeunes perdu leur mère, noyée dans les eaux de Noirmoutier. Trente ans plus tard, la vie d’Antoine est en panne et il entreprend d’établir les circonstances de cette mort. Alors que sa sœur est rétive, sa grand-mère (Bulle Ogier) obstructrice et son père (Vladimir Yordanoff) mutique, il trouve secours auprès de fidèles serviteurs et d’une jolie thanatopractrice (Audrey Dana) qui a choisi ce métier parce que elle aussi a perdu un proche dans des circonstances hors du commun.Mise à part cette dernière invention, qui sort le film des filières professionnelles chères au cinéma français, Boomerang manie très mal la surprise et l’inattendu, prenant un temps infini à mettre en place la surenchère de révélations finales, laissant les comédiens se débattre dans un no man’s land dramatique fait de paysages vendéens et d’intérieurs impeccablement agencés.On sent bien que Laurent Laffite a quelques idées sur ce qu’Antoine pourrait être, un vrai blessé de la vie, pas quelqu’un que l’ouverture d’une enveloppe suffirait à guérir. Mais on est ici dans un cinéma qui ne doit pas laisser d’autres traces qu’une impression plus ou moins plaisante (entendu à la sortie : « c’est bien mais il y a quelques longueurs »). Et, éventuellement, un peu de noir dans les livres de compte. « Premiers crus »L’avis du « Monde » – on peut éviter Il est difficile d’expliquer aux jeunes générations que Gérard Lanvin fut un acteur comique, de Vous n’aurez pas l’Alsace et la Lorraine, de Coluche, à Marche à l’ombre, de Michel Blanc. Les générations en question ne connaissent qu’un sexagénaire qui a porté la bougonnerie au rang de superpouvoir.Le voici vigneron dans Premiers Crus, un vigneron désabusé qui laisse péricliter son domaine bourguignon dont quelques parcelles produisent de l’Aloxe Corton. Ce n’est pas qu’il soit paresseux – il construit un voilier dans son chai – Jacques Maréchal, mais voilà, sa femme l’a quitté, et son fils Charles (Jalil Lespert) a abandonné la Bourgogne pour Paris où il est devenu l’auteur craint et respecté d’un guide des vins.Etant donné que le domaine périclite, que le père et le fils sont fâchés (ce qui permet donc à Gérard Lanvin de bougonner intensément), que l’héritière du domaine voisin est incarnée par Alice Taglioni, combien de temps faudra-t-il pour que le domaine Maréchal regagne le respect des œnophiles, que la famille se reconstitue et que les conditions de sa perpétuation soient rassemblées ? Questions subsidiaires : combien de mouvements de grue au-dessus d’une croix gothique surplombant les coteaux faut-il pour établir une fois pour toutes que la terre, il n’y a que ça de vrai ? Combien de montages de dégustations entre père et fils, voisin et voisine, sur fond musical (signé Jean-Claude Petit) faut-il pour faire admettre la primauté de l’entre-nous ?Sans doute inquiet de ne pas avoir fait passer son message, le réalisateur et scénariste fait réitérer à plusieurs reprises à ses personnages que « la vigne pour soi tout seul ça ne veut rien dire ». Comme par ailleurs il est établi que la transmission d’un domaine hors de la lignée familiale est une catastrophe, on ne sera pas surpris de constater que l’épilogue laisse la Bourgogne aux Bourguignons. Enfin, presque, parce qu’aucun des acteurs n’a songé à infléchir son accent parisien.Boomerang : film français de François Favrat, avec Laurent Lafitte, Mélanie Laurent, Audrey Dana. (1 h 41).Premiers crus : film français de Jérôme Le Maire, avec Gérard Lanvin, Jalil Lespert, Alice Taglioni. (1 h 36). Le site de la mine de « Germinal » reconverti en centre de création cinématographique C’est une seconde vie qui s’offre à l’ancien site minier de Wallers-Arenberg, près de Valenciennes (Nord), connu du public pour avoir servi de décor au film Germinal (1993) de Claude Berri. Alors que le lieu avait failli être rasé après l’arrêt en 1989 de la mine qui employait 4 000 personnes au pic de son activité, il accueille désormais le centre de création cinématographique Arenberg Creative Mine, qui vient d’être inauguré, vendredi 25 septembre.Plusieurs caméras, un studio son, un plateau TV complété d’un système de motion capture (capture numérisée de mouvement), une halle d’essai : 5 300 m2 de locaux destinés aux professionnels du cinéma ont investi les bâtiments de brique rouge et à grandes fenêtres surplombés par trois chevalements.« Les bulldozers arrivaient mais c’était sans compter les mineurs » qui se sont battus pour la conservation du site, s’est souvenu dans un discours évoquant l’époque où le site devait être rasé Alain Bocquet, président (PCF) de la communauté d’agglomération de la Porte du Hainaut, en présence du cinéaste franco-grec Costa-Gavras, notamment.« Puis est arrivé le hasard de “Germinal” en 1993 qui a permis de préserver le site. Un des premiers arrêtés de classement [au patrimoine de l’Unesco] s’est d’ailleurs fait pendant le tournage. »Suivront une quarantaine de tournages de films, clips et publicités. En 2001, le siège de la communauté d’agglomération s’est installé sur le site et a lancé les premières idées de sa reconversion.Coût global de 49 millions d’eurosDouze ans plus tard a été signé un contrat de partenariat public-privé unissant l’agglomération à l’université de Valenciennes et du Hainaut-Cambrésis (dont les étudiants bénéficieront des équipements), la Caisse des dépôts et consignations et Bouygues.La première phase du projet a nécessité dix-sept mois de chantier pour un coût de 20,5 millions d’euros. Y succèderont deux autres phases avec entre autres la création d’un centre de culture scientifique, technique et industrielle, et d’un centre d’interprétation consacré à la télévision, au cinéma et aux médias numériques, pour un coût global de 49 millions d’euros.Le site représente la troisième composante de Pictanovo, le pôle des images numériques et des industries créatives en Nord-Pas-de-Calais, venant s’ajouter à La Plaine images à Tourcoing (Nord) et à la Serre numérique à Valenciennes (Nord). Mathieu Kassovitz s'attaque à Napoléon, le rôle impossible La BBC vient d'annoncer que Mathieu Kassovitz incarnera Napoléon dans une nouvelle adaptation de Guerre et Paix, de Tolstoï, produite par la chaîne britannique. Un tel choix de casting peut faire sourire tant l'acteur apparaît comme un contre-emploi flagrant — grand au lieu d'être petit, terne alors qu'il faudrait être souverain, un visage moderne impensable dans un film en costumes. A la limite, le réalisateur de La Haine aurait pu autrefois prendre les habits de Napoléon dans Guerre et Amour (1975), de Woody Allen, la version parodique du roman de Tolstoï, mais la minisérie de la BBC n'est pas une comédie. Il existe une malédiction Napoléon au cinéma, l'un des personnages historiques, avec Jésus et Hitler, les plus mis en scène au cinéma, et, de loin, le plus desservi. C'est comme si l'interprétation séminale d'Albert Dieudonné dans le Napoléon d'Abel Gance, en 1927, avait rendu impossible celles qui suivraient. Napoléon au cinéma est devenu une barrière infranchissable. Un écueil sur lequel s'échouent les médiocres comme les meilleurs : Marlon Brando dans Desiree (1954), incarnant selon les époques un Napoléon bohème, taquin ou autoritaire — « la plupart du temps, je me contentais de laisser le maquillage jouer le rôle », a expliqué Brando, qui aurait mieux fait de surveiller ledit maquillage ; Pierre Mondy dans Austerlitz (1960), d'Abel Gance, en empereur paternel et patriarcal, donnant le sentiment d'avoir passé la journée devant un ballon de blanc ; Raymond Pellegrin dans le Napoléon (1955) de Sacha Guitry, s'efforçant de ressembler à une statue du Commandeur . Kubrick avait refusé l'obstacle Ou encore Rod Steiger dans Waterloo (1970), de Serguei Bondartchouk, un sommet du genre. Steiger, par ailleurs excellent comédien dans Sur les quais, d'Elia Kazan, ou Dans la chaleur de la nuit, se prend la tête entre les mains, se perd dans des monologues, s'interroge sur sa grandeur, le sens de sa bataille et l'avenir du monde. Ce Napoléon version dégénérée de l'Actors Studio s'adresse au spectateur comme on parle à un thérapeute. Rod Steiger est effroyable, mais inoubliable. Stanley Kubrick aussi avait failli tourner un Napoléon au début des années 1970. Jack Nicholson faisait partie des acteurs envisagés pour le rôle. Mais le réalisateur de 2001 : l'Odyssée de l'espace avait alors expliqué qu'il ne parvenait pas à trouver le bon comédien. Napoléon était devenu un film impossible. Pour lui. Hélas, pas pour les autres ! Si le cinéma façonne les représentations du monde, il sert aussi à les dynamiter. Cette semaine, plusieurs films s’y attellent : The Look of Silence, documentaire qui ravive la mémoire effacée du génocide indonésien qui a coûté la vie, dans les années 1960, à pas moins de 800 000 personnes ; Knock Knock, farce morale vacharde sur les passions et les phobies minables engendrées par l’American Way of Life ; L’Audience, de Marco Ferreri (1971), fable outrancière sur le Vatican entre les plans de laquelle se profile une Italie gangrenée par la menace et le déchaînement de violence des années de plomb ; Tampopo, de Juzo Itami, où les codes du western, du film de yakuzas et de la comédie potache se retrouvent fondus, pour le plus grand plaisir du spectateur, dans un grand bol de nouilles ramen.LE GÉNOCIDE INDONÉSIEN DU CÔTÉ DES VICTIMES : « The Look of Silence », de Joshua OppenheimerEntre 1965 et 1966, en pleine guerre froide, sous l’autorité du général Suharto, qui s’empare du pouvoir avec le soutien des principales puissances occidentales, environ un million de communistes, ou assimilés, sont massacrés en Indonésie, sans que jamais les bourreaux, parties prenantes jusqu’à aujourd’hui de l’appareil d’Etat, ne soient seulement inquiétés. De cette abomination redoublée – le crime et le déni de justice –, le cinéaste américain Joshua Oppenheimer avait tiré, en 2012, The Act of Killing, un des documentaires les plus extraordinaires de l’histoire du genre, dans lequel il avait obtenu des criminels qu’ils acceptent de rejouer devant sa caméra le meurtre de leurs victimes. Résolument du côté des victimes, The Look of Silence en est le nécessaire, et remarquable, pendant.Documentaire américain de Joshua Oppenheimer (1 h 43).L’HORREUR DE LA GUERRE DE 1914 AU CŒUR D’UN BEAU MÉLO ANGLAIS : « Mémoires de jeunesse », de James KentC’est un mélodrame situé pendant la guerre de 1914, un film qui ressemble souvent à une série télévisée de qualité, comme la Grande-Bretagne en fournit depuis des décennies. De ces histoires où l’on se dispute poliment au coin du feu, dans une grande demeure qu’on imagine pleine de courants d’air. De fait, Mémoires de jeunesse a été dirigé par un pilier de la télévision britannique, James Kent. Mais en dépit de ces augures qui annonçaient les larmes faciles vite oubliées, Mémoires de jeunesse ébranle vigoureusement les émotions et l’intellect en ramenant, par un chemin détourné, à l’essence même de l’horreur de la guerre.Film britannique de James Kent. Avec Alicia Vikander, Kit Harington, Taron Egerton, Dominic West (2 h 09).L’ENFER DE L’« AMERICAN WAY OF LIFE » DYNAMITÉ : « Knock Knock », d’Eli RothEli Roth n’est pas homme à s’embarrasser de subtilités rhétoriques pour exprimer ce qui ressemble à une certaine colère. A partir d’une situation de départ où un architecte de Los Angeles, seul chez lui alors que sa femme et ses enfants sont partis en week-end, ouvre la porte à deux jeunes filles apparemment égarées en pleine nuit, l’auteur du passionnant diptyque Hostel et Hostel Chapitre II, joue à dénuder, tel un garnement, les passions et les phobies minables de ses contemporains. Les jeunes filles séduisent le père de famille puis s’incrustent chez lui, finissent par le torturer et menacent de le dénoncer pour détournement de mineures puis, tout bonnement, de l’assassiner. Saccages, détournements obscènes et destruction littérale du décor d’un American Way of Life marqué par le narcissisme tout autant que par la culpabilité, caractérisent une évolution du récit que le jeu de Keanu Reeves transforme parfois un peu trop en guignolade effrontée.Film américain d’Eli Roth. Avec Keanu Reeves, Lorenza Izzo, Ana de Armas (1 h 35).« LE CHÂTEAU » DE KAFKA DANS LES CAVES DU VATICAN : « L’Audience », de Marco Ferreri Film méconnu de Marco Ferreri, le plus furieux, féroce et foutraque empêcheur de tourner en rond du cinéma italien moderne, L’Audience (1971) délocalise Le Château, de Franz Kafka, au Vatican. Soit la quête perpétuellement déçue, cruelle, et essentiellement absurde d’un jeune citoyen romain, qui veut à toute force rencontrer le pape. Interprété, à dessein sans doute, par un acteur amateur (le musicien Enzo Jannacci), ce héros va être contrecarré par une délégation de la hiérarchie vaticane d’autant plus impressionnante qu’elle est, elle, interprétée par de véritables stars : dans le rôle du chef de la police vaticane, adepte de la surveillance permanente, de la menace insidieuse et de la matraque en réserve, un Ugo Tognazzi en grande forme ; dans celui d’un prince décadent, fornicateur et animateur de milices paramilitaires chrétiennes, un impérial Vittorio Gassman ; dans celui d’un prélat moderne, mais non moins cauteleux que ses aînés, un excellent Michel Piccoli ; et enfin, sous les soieries d’une prostituée dont les charmes sont mis au service de la cause vaticane, une Claudia Cardinale ultrasensuelle.Film italien de Marco Ferreri. Avec Enzo Jannacci, Claudia Cardinale, Michel Piccoli, Ugo Tognazzi, Vittorio Gassman, Alain Cuny (1 h 52).APRÈS LE WESTERN SPAGHETTI, GOÛTEZ LE WESTERN RAMEN : « Tampopo », de Juzo Itami Une comédie érotico-culinaire dont le sujet serait la soupe de nouilles. Avec un zeste de western, un peu de violence, quelques yakuzas qui traînent, de l’espionnage industriel, une histoire d’amitié, saupoudrée d’un humour pince-sans-rire brindezingue. Le tout filmé avec style, dans des plans-séquences parfaitement composés, avec des acteurs qui donnent tout pour leur personnage, un sens du rythme fantastique, un art consommé du contrepoint musical. A l’époque où il est sorti, en 1985, la bande-annonce promettait un « western ramen », et le terme résume bien ce film, léger mais sérieux, qui mélange tout un tas d’ingrédients en les traitant avec le maximum de soin et d’amour. Comme on fait une bonne soupe japonaise. Tampopo est le deuxième long-métrage de Juzo Itami, acteur et cinéaste qui s’est donné la mort en 1997, à l’âge de 64 ans. Des dix films qu’il a réalisés, c’est le seul à être sorti en France.Film japonais de Juzo Itami. Avec Nobuko Miyamoto, Tsutomu Yamazaki, Ken Watanabe. (1 h 54) On donnait Dheepan, la Palme d’or, gagnant. C’est Mustang, l’outsider, qui a décroché la timbale. Lancé en mai à la Quinzaine des réalisateurs, sorti le 17 juin dans les salles hexagonales, où il a rassemblé 450 000 spectateurs, vendu depuis un peu partout dans le monde, le premier long-métrage de la Franco-Turque Deniz Gamze Ergüven représentera la France dans la course à l’Oscar du meilleur film étranger.Avec ses actrices ultrasexy, son image laiteuse, son rythme trépidant, et son histoire qui confronte cinq jeunes filles délurées aux puissances rétrogrades du patriarcat turc, il a certainement de quoi plaire à un public occidental.Lire aussi : « Mustang » : face au patriarcat, cinq Grâces indomptables Tourné en turc et en TurquieEn Turquie, où la réalisatrice et son producteur Charles Gillibert pensaient initialement le présenter, c’est autre chose. Selon celui-ci, son propos contrarierait les autorités : « Il y a des allusions à l’actualité politique turque dans le film, en particulier, jugées inacceptables. » Mais Mustang compte aussi des adversaires dans les milieux artistiques et intellectuels turcs. Critique free-lance et militante féministe, Alin Tasciyan, par exemple, ne cache pas le malaise qu’il lui a procuré : « C’est un film dépourvu d’authenticité, soutient-elle, qui exploite opportunément des éléments orientalistes. »Lire aussi : Deniz Gamze Ergüven, impatiente inflexible Lorsqu’il a compris que son film n’était plus dans la course – c’est Sivas, de Kaan Mujdeci, prix spécial du jury à la Mostra de Venise en 2014, qui a été choisi pour la Turquie –, le producteur s’est replié sur la France.Le 16 septembre, la commission chargée de désigner le représentant français pour les Oscars – qui réunit cette année Thierry Frémaux, délégué général du Festival de Cannes, Jean-Paul Salomé, président d’Unifrance, Alain Terzian, président de l’académie des Césars, Serge Toubiana, président de la commission d’avance sur recettes, le réalisateur Michel Hazanavicius et les actrices Nathalie Baye et Mélanie Laurent – a annoncé que ce film intégralement tourné en turc, et en Turquie, figurait, aux côtés de Dheepan, de Jacques Audiard, de La Belle Saison, de Catherine Corsini, de Marguerite, de Xavier Giannoli, et de La Loi du marché, de Stéphane Brizé, parmi les cinq finalistes.Lire aussi : Véhiculer « les valeurs de la France »Attribuant sa défaite à un acte de censure déguisé (hypothèse difficile à vérifier, les membres de la commission turque ayant interdiction de s’exprimer sur les débats, sauf pour dire que la candidature du film a bien été étudiée), Charles Gillibert en a fait, devant le jury français, un argument politique. Il a axé son discours sur « les valeurs que la France veut véhiculer, celle d’une terre d’accueil favorable à la liberté d’expression », dont Mustang pourrait être l’étendard. Le producteur a ajouté que la langue turque pourrait être un argument en faveur du rayonnement du cinéma français, ou encore que les bénéfices d’une sélection rejailliraient sur la réputation de La Fémis, où se sont rencontrées Deniz Gamze Ergüven et sa coscénariste, Alice Winocour.Lire aussi : Avec Grégoire Melin, le vendeur international du film, surtout, il a insisté sur leurs chances d’emporter l’Oscar : « Mustang obtient des prix partout, des “standings ovations” à Toronto, il est soutenu par un excellent distributeur américain, entouré des meilleurs attachés de presse… Les studios considèrent Deniz comme une grande réalisatrice, les agents se l’arrachent. Elle a reçu des propositions de films à gros casting de la part d’Universal, de la Fox, de la Warner… » Parmi ses concurrents, Mustang affrontera d’autres films au pedigree hybride : Le Dernier Loup, du Français Jean-Jacques Annaud, représentera la Chine, tandis que l’Irlande défendra Viva, entièrement tourné en espagnol, à Cuba. La démocratie au péril de la lutte antiterroriste Film sur Ciné + Emotion à 20 h 45 Steven Spielberg tord les clichés du cinéma d’action en préservant ses délices C’est un film impossible  : une reconstruction d’événements incertains, une leçon d’histoire à l’usage de notre temps et un thriller. Steven Spielberg avait voulu se servir du mélodrame pour dire le génocide des juifs dans La Liste de Schindler. Il se fixe cette fois un but à la fois moins terrible – plutôt que d’essayer la représentation du mal, il ne s’agit que d’affronter le dilemme moral que pose aux démocraties la lutte contre le terrorisme – et plus insaisissable.Nourri de l’expérience que traversaient alors les Etats-Unis et des souvenirs que le cinéaste a gardés de la prise d’otages et de l’assassinat des athlètes israéliens lors des Jeux olympiques de 1972, Munich est un film qui avance en titubant sous le poids de l’Histoire.Munich a beau s’afficher comme un film consacré aux conséquences de l’attentat et à la traque de ceux que les services secrets israéliens considéraient comme ses responsables, il n’empêche que ce sont les événements du 5 septembre 1972 qui tracent le fil conducteur de cette entreprise.De l’intrusion drolatique du commando palestinien dans le village olympique au massacre final (Munich reprend la thèse selon laquelle les otages sont morts du fait des Palestiniens, alors que d’autres historiens estiment qu’ils sont morts plus tôt, sous les balles de la police allemande), Spielberg fractionne le drame et en fait la référence permanente de l’histoire qui se déroule.Paroxysme sordideCette histoire est celle d’Avner (Eric Bana), garde du corps du premier ministre israélien, Golda Meir, propulsé chef d’un commando voué à l’élimination des responsables palestiniens de l’attentat. Autour de lui se constitue un groupe hétéroclite où coexistent professionnels du renseignement et assassins improvisés. On reconnaît dans cette situation une figure imposée du film d’action.Mais Spielberg tord le cliché : ce n’est pas le hasard qui a précipité ces hommes ensemble, c’est leur condition de juifs, venus de pays différents et réunis dans la volonté de défendre Israël. Les préparatifs du premier assassinat d’un responsable palestinien sont décrits dans le style tendu du cinéma d’espionnage. Le meurtre n’est qu’un paroxysme sordide qui jette une première lumière sur la nature de la tâche confiée à Avner et à ses camarades. Le doute, non pas sur la légitimité du but (préserver la sécurité d’Israël) mais sur celle des moyens, mine peu à peu les esprits et le travail du commando.Spielberg ne tourne pas pour autant le dos aux délices du cinéma d’action, et bientôt le film se disjoint entre des séquences plutôt amusantes et des moments plus théâtraux qui mettent aux prises les agents israéliens, parfois directement avec des militants palestiniens. Cette obstination de Spielberg à ne pas lâcher prise, sa volonté de faire vivre des idées ne sont qu’épisodiquement soutenues par sa faculté à mettre en scène les angoisses et les interrogations. Et il y a finalement plus de beauté dans la volonté du réalisateur que dans le geste qu’il a fini par accomplir.Munich, de Steven Spielberg. Avec Eric Bana, Hanns Zischler, Marie-Josée Crozes (EU-Can.-Fr., 2005, 160 min). Claude Lelouch ouvrira en janvier sa « fabrique de cinéastes » à Beaune Le réalisateur Claude Lelouch a annoncé le lancement, pour le début de 2016, des Ateliers du cinéma, à Beaune (Côte-d’Or), qui formera chaque année treize « apprentis », dont le recrutement débute.« Notre ambition est de trouver le grand cinéaste de demain », a-t-il dit lors de la présentation de cette école, qui sera inaugurée le 13 novembre avec la projection en avant-première de son prochain film, « Un + une » avec Jean Dujardin et Elsa Zylberstein. Ce centre de formation doit devenir « une passerelle pour qu’un amateur doué devienne professionnel » : chaque année, il accueillera un metteur en scène reconnu afin qu’il tourne un film dans les environs, avec l’aide des apprentis des Ateliers. Claude Lelouch ouvrira le bal à compter de janvier, pour tourner un long-métrage intitulé Très intime conviction. Devraient lui succéder des réalisateurs comme Costa-Gavras, qui a « donné son accord ».La vente des films ainsi produits devrait financer l’école, dans laquelle la société de production de Claude Lelouch, Films 13, a investi 5 millions d’euros sur trois ans pour le lancement. « Ces Ateliers du cinéma vont être avant tout une maison de production », a-t-il précisé.Les apprentis suivront ainsi « toute la chaîne » de fabrication d’un film, de l’écriture à l’étalonnage, en passant par le tournage et le montage. Et chacun d’eux réalisera un court-métrage durant cette année de formation. « C’est une fabrique de cinéastes, car un cinéaste doit savoir tout faire », a expliqué Claude Lelouch. Ce projet d’école à Beaune, ville qui accueille le Festival international du film policier, était dans l’air depuis que Claude Lelouch y a tourné, en 2007, Roman de gare. Il s’agit pour lui, par ce lieu de formation, de « bien finir [s]on histoire d’amour avec le cinéma ». Pour être sélectionnés, les candidats apprentis doivent réaliser avec un téléphone portable un film de six minutes sur le thème « Le premier et le dernier jour d’un couple » et envoyer leur candidature avant le 13 décembre à l’adresse selectionacb@lesfilms13.com On a arpenté le désert de « Mad Max » pendant 15 jours « Ramassez 300 pièces de ferraille ». L’ordre de mission sonne comme une injonction humiliante, d’autant qu’elle arrive tard. Cela fait déjà quinze jours (dans le présent) et près de trente heures (dans le futur post-apocalyptique) que j’arpente ce gigantesque mouroir aride que sont les Wasteland, les terres désolées où se situe l’action de Mad Max. Le jeu n’en a que faire : Max, le héros, et à travers lui le joueur, est un personnage corvéable à merci, et son calvaire a pour théâtre un vaste désert déchiré de carcasses d’avions et de cimetières de voitures.Mad Max, le jeu vidéo sorti le 1er septembre dernier sur PlayStation 4, Xbox One et PC, n’est pas l’adaptation du film Mad Max : Fury Road, qui par ses cadrages fous, ses visages burinés, son rythme haletant et ses personnages féminins investis, avait fait sensation au printemps dernier.Lire aussi : A la place, les Suédois d’Avalanche Studios se sont librement inspirés de l’univers du réalisateur George Miller pour reconstituer un vaste désert parsemé de références aux véhicules et lieux cultes de la saga, de l’angoissante Pétroville, cité-raffinerie à l’atmosphère mortifère, aux bolides cultes comme la V8 Interceptor ou la Peacemaker, véritables divinités mécaniques des terres désolées.Terrain de jeu codifié mais sidérantLa première chose qui surprend, pourtant, lorsque l’on joue à Mad Max, c’est l’omniprésence des codes du jeu vidéo, et les emprunts massifs à nombre de blockbusters vidéoludiques récents.La carte du monde divisée en région, avec des camps à conquérir, un niveau de menace à faire descendre ? Du Far Cry tout craché. Les combats à main nue, sous forme d’une chorégraphie de parades et de coups à l’impact insistant ? Introduit par les Batman Arkham. Le GPS qui propose à tout moment la route à suivre pour rejoindre le prochain objectif, au risque de l’anachronisme ? Un classique de Grand Theft Auto, déjà repris par Red Dead Redemption dans un univers de Far West comparable. Seules les joutes véhiculées, à coups de pare-chocs dans les flancs, sonnent moins familières. Les premières parties donnent ainsi à découvrir cet étrange assemblage entre un jeu vidéo codifié jusqu’à l’extrême, mais qui prend pour scène l’un des paysages les plus sidérants de force et de beauté de ces derniers mois. Car ce désert-là, loin d’être homogène, promène le joueur des dunes infinies à des dépotoirs pollués, de lacs asséchés caressés par la lueur de la lune à des cordillères sombres et arides et aux routes escarpées fusillées par les vents. Le jeu réserve quelques séquences estomaquantes, comme la découverte de l’écrasante Pétroville, l’exploration d’un vestige d’aéroport enfoui sous les dunes, ou la traversée chaotique d’un orage de sable.Lire aussi : George Miller : « Mon cinéma est organique, primitif, viscéral » Structure répétitive et personnages creuxEt puis, il y a tous ces moments où oubliant toute tension, se délestant même de toute envie sérieuse de divertir le joueur, Mad Max se mue – presque littéralement – en bac à sable géant et vide, peuplé de personnages secondaires mal joués et de missions répétitives et risibles. Collecter de la ferraille. Trouver un ornement de capot. Acheter une nouvelle peinture de véhicule. Démanteler un énième camp, abattre un énième épouvantail en tôle, lâcher un énième coup de poing. Max, réduit aux tâches de bas étage, n’est même plus l’antihéros sanguin des films, mais un agent de maintenance perdu dans une mauvaise partie de « Jacques a dit ». Dans ses pires moments, Mad Max tient plus de la corvée de ménage que du jeu : il faut nettoyer, nettoyer, nettoyer, cette carte que l’on passe finalement plus de temps à regarder que les paysages eux-mêmes. Le jeu n’a dès lors plus rien d’organique, de primitif, de viscéral : c’est un système aux ficelles voyantes et à la prévisibilité déprimante.Résultat, l’histoire, faible et diluée, passe vite au second plan. Les missions et la structure répétitive donnent vite à cette aventure postapocalyptique des allures de train-train quotidien. Et puis Max sonne creux, écartelé entre ses lignes de dialogue viriloïdes et clichés d’un côté, et sa soumission complète au mou tempo du jeu de l’autre. Bref, si Fury Road est le film coup de poing de la première moitié de l’année, le jeu vidéo est un château de sable rempli de G.I. Joe mal articulés.Envoûtant et obsédantPourtant, tout n’est pas à jeter dans l’œuvre des Suédois d’Avalanche Studio. Mad Max vaut aussi, outre son désert, pour le sympathique personnage de Chum, être difforme, pieux et faible d’esprit. Dans le silence des Gorges de sable, dans l’atonie de la plaine du Brasier, dans la morosité des Gueules noires, c’est lui, lui, et encore lui qui impulse à Mad Max un peu de la folie dérangée des films, de leur religiosité décadente, de leur déchéance morale. Quinze jours et trente heures plus tard, le scénario n’est toujours pas fini, et l’habitude a occulté depuis longtemps l’entrain de la découverte. Au bout du désert, la fin de l’histoire paraît encore trop lointaine, comme si le jeu, semblable à ses dunes, refusait de se finir sans réaliser qu’il était trop grand et trop long pour son propre bien.Il reste, malgré tout, la surprise d’une attaque de convoi au son énervé des cors, les couchers de soleil rosés aux envoûtantes teintes de pellicule des années 1970, ou tout simplement la mission désormais obsédante de finir à 100 % le jeu, qui me tractent mollement chaque soir jusqu’à la manette. Récolter tous ces coffres de ferraille, abattre tous ces pylônes idiots, soumettre tous ces camps sortis de nulle part. Loin des hauteurs de Metal Gear Solid V, loin des folies créatives de Super Mario Maker. Juste, seul, tout seul dans le désert, à ramasser ces foutues pièces de ferraille. Femme au bord de la crise bancaire Film sur Ciné+ Premier à 23 h 35 Woody Allen réalise son film le plus réussi depuis « Match Point »Pour Blue Jasmine, l’ami Woody interrompait sa tournée européenne – Vous allez rencontrer un bel et sombre inconnu (Londres) ; Vicky Cristina Barcelona (Barcelone) ; Minuit à Paris (Paris) ; To Rome with Love (Rome) et remet les pieds dans ses pantoufles new-yorkaises. Car il y avait dégoté une Jasmine (Cate Blanchett), blonde, snob et totalement « blue » qu’il emmena au soleil de la Californie.Excellente idée, qui fait signer au plus chronophobique des réalisateurs juifs du Nouveau Monde son meilleur opus depuis le grinçant Match Point (2005). Blue Jasmine est une tragédie du rire brossée sur fond de faillite financière, avec descriptif aux petits oignons du complexe mental névrotique qui explique l’une et l’autre. En gros, du Molière, avec des téléphones, des voitures et une place financière mondiale, le tout écrit dans une version transatlantique de la langue de Shakespeare.Jasmine, donc. Epouse d’un businessman jonglant avec les millions, membre distinguée de l’élite new-yorkaise, femme au foyer irréprochable, familière des cercles les plus huppés, elle a plané longtemps au-dessus des contingences. Et puis son mari, qui trompait son monde et elle avec, s’est retrouvé un jour derrière les barreaux, tous ses biens étant saisis.Talent plus vrai que natureLa voici donc qui débarque un beau matin à San Francisco avec sa grosse valise à la main, la superbe un peu en berne, donnant pourtant, par sa beauté et son maintien, encore largement le change. Elle rejoint dans cette belle ville sa sœur, Ginger (Sally Hawkins), caissière de supermarché.Certes, les deux sœurs, adoptées par les mêmes parents dans leur enfance, ne sont pas vraiment sœurs. Certes, Jasmine fut d’emblée puis toujours préférée à Ginger. Certes, du temps de la splendeur de Jasmine, Ginger fut sinon rayée de ses carnets, du moins reçue, avec son mari, avec une politesse si écœurée qu’elle la dissuada de revenir.C’est pourtant elle, la prolo de San Francisco, qui lui ouvre sa porte aujourd’hui. Elle n’a pas de rancune, mais surtout bien du mérite. On touche ici à la plus grande réussite du film : le personnage de Jasmine, tel qu’Allen le portraiture avec un flair de fin limier et tel que Cate Blanchett le campe avec un talent plus vrai que nature. Soit une femme complètement à côté de la plaque, enfermée dans la bulle qui pourtant vient de lui éclater au nez, incapable d’admettre sa déchéance et plus encore de se confronter au monde réel.Une sorte de grande invalide tombée en route de sa berline et qui, le cul crotté, se croit encore embarquée sur la roue de la fortune. Si une des définitions du comique tient dans la distance qui sépare un désir de sa réalisation, Jasmine se révèle une source intarissable de drôlerie.Bourrée d’antidépresseurs, capable de raconter toute sa vie à des inconnus, elle s’invente au jour le jour un manuel de survie en milieu hostile (la vraie vie), fait d’accommodements qui la crucifient et de mensonges pathologiques à répétition.Lamentable catastrophePar-dessus tout, forte d’une expérience conjugale qui devrait pourtant l’encourager au silence éternel, l’ex-dame patronnesse de Manhattan se met en devoir de régenter la vie sentimentale de sa sœur. Chili, l’actuel boyfriend de Ginger qui la traite certes cavalièrement, mais l’aime d’un amour pur, n’a pas l’heur de plaire à Jasmine.En même temps qu’elle lui conseille de rompre avec ce garagiste, elle l’encourage à de nouvelles rencontres (ce sera un ingénieur du son interprété à contre-emploi par le plus grand comique américain du moment : Louis C. K.). Mais Jasmine travaille aussi pour sa propre cause et met le grappin sur un jeune veuf, diplomate et riche héritier. Laissons le spectateur jouir librement de la lamentable catastrophe qui s’ensuivra.Deux formidables atouts restent à porter au crédit du film. D’abord la soustraction du personnage de Jasmine à la caricature qu’il pourrait inspirer. On ne sait par quel mystère cela se produit, mais Jasmine est une femme dont le goût invétéré pour la mondanité et la crétinerie sentimentale éveillent une certaine tendresse, à l’instar de son lointain modèle français, Emma Bovary.Ensuite, la mise en scène dans son ensemble, pleine de finesse et d’à-propos. Car les événements de ce film ne se situent surtout pas dans un continuum. Ils se juxtaposent en permanence dans un jeu d’allers-retours entre le présent (San Francisco) et le passé (New York), qui donne sa profondeur au récit en même temps que son ironie savoureuse, puisque chaque réminiscence du passé révèle l’écart entre la cruelle vérité des faits et la manière dont Jasmine les délire.Car ce personnage délire bel et bien et ne se sent que très peu concerné par le sort commun, tant au regard de ses obligations que de ses afflictions. Voici, en un mot, quelqu’un qui semble habiter une autre planète. Telle est la contribution tragi-comique de Woody Allen à la compréhension du système responsable de la crise actuelle : montrer que la rupture qui sépare les super-riches de leurs semblables devient quasiment anthropologique.Blue Jasmine, de Woody Allen. Avec Cate Blanchett, Alec Baldwin, Sally Hawkins, Louis C. K. (EU, 2013, 98 min). Jeudi 17 septembre, à 23 h 35, sur Ciné+ Premier. A Toronto, Michael Moore s’en va-t-en guerre, gentiment Michael Moore peut être agaçant. Il n’est certainement pas idiot. Son nouveau film, Where Should We Invade Next ? (Quel pays devrions nous envahir maintenant ?), dévoilé en première mondiale au Festival de Toronto le confirme, qui le voit rompre avec son style interventionniste habituel pour s’aventurer ouvertement sur le terrain de la comédie. Comme s’il prenait acte des critiques qui lui ont été adressées ces dernières années (sur sa propension à abuser des syllogismes, ses montages manipulateurs, son ego surdimensionné…), comme s’il s’était lassé lui-même de son personnage de redresseur de torts, le réalisateur de Bowling for Columbine continue de se pencher sur les maux de l’Amérique, mais choisit pour la première fois de le faire avec bienveillance, et beaucoup d’autodérision.Moore continue de se pencher sur les maux de l’Amérique, mais le fait pour la première fois avec bienveillanceLe film commence en effet comme une blague. Michael Moore raconte qu’il a été approché par les dirigeants du Pentagone pour mettre un terme à la désastreuse spirale de défaites militaires dans laquelle les Etats-Unis sont enferrés depuis la guerre de Corée. Pour les aider, il imagine de mener, tout seul, une campagne européenne qui ne viserait pas à asservir les peuples mais à s’approprier leurs acquis sociaux en vue d’améliorer les conditions de vie de ses compatriotes. Changeant de ton, photos d’actualité à l’appui, il désigne alors crûment l’ennemi : violences policières, pauvreté endémique, système éducatif défaillant, grossesses précoces, racisme institutionnel…ImpuissanceIl embarque alors sur un navire de guerre en direction de l’Europe, drapeau américain à la main, à la conquête d’une dizaine de pays européens – plus la Tunisie –, qu’il présente, tel un Woody Allen en goguette, comme autant de royaumes enchantés. L’Italie d’abord est ce pays du soleil, dont « tous les habitants donnent l’impression qu’ils viennent de faire l’amour ». Pourquoi ?, demande alors le documentariste va-t-en-guerre. En guise de réponse, il utilise celles que lui ont faites les personnes qu’il a interrogées sur leurs conditions de travail, lesquelles lui ont appris que la durée légale des vacances en Italie était près de quatre fois plus longue que celle à laquelle ont droit les Américains les plus chanceux.Chez les Français, Michael Moore dégote une cantine scolaire idyllique, dirigée par un chef passionné, où les enfants apprennent à manger équilibré et à bien se tenir en même temps, et une prof d’éducation sexuelle semblant tout droit sortie d’un conte de fées. Michael Moore sait bien que l’Europe n’est pas un paradis, et il l’assume. Mais, comme il l’a dit devant le public de Toronto, « il cherchait la fleur, pas la racine ».Le film alterne ainsi la comédie de la croisade européenne (avec à l’appui des extraits de Ricky Bobby : Roi du circuit, comédie d’Adam McKay avec Will Ferrell et Sacha Baron Cohen, et du Magicien d’Oz), qui permet de faire passer des situations exceptionnelles pour des règles absolues, et un amer constat de l’état de l’Amérique. Assumant ainsi pour la première fois son impuissance, Michael Moore revendique, avec ces situations exceptionnelles, mais non moins réelles, le droit de rêver d’un monde meilleur. Et par là, la possibilité de le changer. Isabelle Regnier (Toronto, envoyée spéciale) ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* Entre reine cruelle et arène sanglante Film sur Arte, à 22 h 30 Version andalouse et muette de « Blanche-Neige », le film de Pablo Berger charme et émeut.Telle la poignée d’explorateurs européens qui s’acharnaient à remonter le Nil pour en trouver la source, les cinéastes du XXIe siècle remontent le temps du cinéma, laissant derrière eux le moment où la parole lui est venue. Après le Canadien Guy Maddin (pionnier en la matière), le Français Michel Hazanavicius, le Portugais Miguel Gomes, voici le carnet de voyage de l’Espagnol Pablo Berger dans les premiers temps du cinéma.Blancanieves raconte une histoire familière, celle de la petite princesse tombée entre les griffes d’une marâtre sadique, puis sauvée par des nains. Mais le conte, né en Allemagne, prend racine cette fois sous le soleil d’Andalousie, aux derniers temps de la monarchie espagnole, aux premiers temps de l’électricité et du moteur à explosion.Cette greffe monstrueuse prend avec une vigueur inattendue. En noir et blanc, sans dialogues, Blancanieves est un exercice de style brillant qui, de surcroît, laisse peu à peu la place à un authentique mélodrame, paroxystique, servi par des acteurs étonnants et la partition d’Alfonso de Vilallonga.Carmencita (Sofia Oria) est née dans le sang : le jour de sa naissance, son père, Antonio Villalta (Daniel Giménez Cacho), a été grièvement blessé alors qu’il toréait à la Maestranza de Séville, et sa mère est morte en couches.ExubérantEncarna (Maribel Verdu), une infirmière cupide et sadique, a usurpé la place de la défunte auprès du blessé, désormais invalide, pendant que l’enfant est élevée par sa grand-mère (Angelina Molina). A la mort de celle-ci, Carmencita est recueillie par Encarna, qui en fait son souffre-douleur. Devenue Carmen (et désormais incarnée par Macarena Garcia) et adolescente, l’héroïne fuit la vengeance de sa belle-mère et est recueillie par la troupe de Los Enanitos Toreros (« les petits nains toreros »).On ressent le plaisir que Pablo Berger a pris à transposer délicatement les éléments du mythe, à les inscrire dans un univers qui leur était a priori hostile (la formule des frères Grimm nécessite de grands arbres, des brouillards, des nuits interminables…). Mais aussi à développer des personnages complexes, en donnant aux acteurs des instruments depuis longtemps abandonnés – les regards charbonneux, les grimaces de souffrance, les poses un peu outrées.Tout comme les acteurs savent faire preuve, quand il le faut, d’une retenue que leurs aînés du temps du muet ne connaissaient pas, Pablo Berger ne se contente pas de décalquer les façons des maîtres du muet.Là où Michel Hazanavicius avait puisé dans le répertoire du vieil Hollywood pour The Artist, le cinéaste espagnol revisite le Vieux Continent. Son penchant pour l’expressionnisme apparaît presque constamment, mais aussi pour un cinéma muet espagnol méconnu.Ce qui n’empêche pas Pablo Berger de recourir à des procédés inconnus dans les années 1920 – mouvements d’appareil acrobatiques, grand angle… Il le fait parce que son récit exubérant, qui multiplie les brèves digressions, les inventions visuelles et dramatiques, l’exige, parce qu’il a le souci de faire de l’orpheline devenue matador une héroïne de cinéma. Il y parvient avec brio.Blancanieves, de Pablo Berger. Avec Maribel Verdu, Daniel Giménez Cacho, Macarena Garcia (Espagne, 2012, 100 min). Lundi 5 octobre, à 22 h 30, sur Arte. ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* Investir dans le cinéma : un succès organisé, un rendement aléatoire Certains établissements bancaires proposent d’investir dans le cinéma à travers des Sociétés de financement de l’industrie cinématographique et de l’audiovisuel (Sofica), un placement qui assure certes une forte baisse d’impôt mais aux contreparties significatives et au rendement aléatoire.Les Sofica ont vu le jour en 1985, lors du lancement de Canal+, de l’arrivée de la VHS et des premiers « blockbusters » américains. Créées pour soutenir le cinéma français et pour promouvoir de jeunes auteurs, les Sofica doivent répondre à une charte stricte. Le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), qui est chargé d’agréer les Sofica, s’assure que les sommes levées serviront à financer en priorité le cinéma indépendant, avec des premiers et des seconds films.Sans les Sofica, peut-être que Dheepan (Jacques Audiard, Palme d’or), Mon Roi (Maïwenn, prix d’interprétation), Trois Souvenirs de ma jeunesse (d’Arnaud Desplechin, prix SACD) ou Ni le ciel ni la terre (Clément Cogitore, prix d’aide à la diffusion de la fondation GAN) n’auraient vu le jour alors qu’ils ont été couronnés au Festival de Cannes 2015. Les Sofica peuvent aussi investir dans de plus gros budgets et ont ainsi contribué au financement de succès comme Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ? (Philippe de Chauveron) ou Babysitting (Philippe Lachau et Nicolas Benamou).Un placement peu rentableFinancer le septième art est un acte qui peut être flatteur quand on voit sa Sofica en bas du générique d’un film à succès mais ce n’est pas un placement rentable. « Le potentiel d’appréciation est quasi inexistant », précise José Fernandez, directeur de l’offre financière de l’UFF, organisme bancaire qui représente près du quart du marché des Sofica. « Au mieux, on peut espérer récupérer entre 80 % et 90 % de son investissement initial », précise-t-il. Et encore, il faut attendre que la Sofica soit liquidée. Cela prend six ans en moyenne (le temps de développer le projet du film, de le produire, de l’exploiter en salles et à la télévision et de revendre le catalogue) mais en cas d’impondérables (retards lors de la production et le montage d’un film, par exemple), la durée peut grimper à dix ans. Et comme il n’y a pas de marché secondaire, l’investisseur reste bloqué sur cette période. Or, plus la durée de détention est longue et plus la performance annualisée sera décevante.L’Association de représentation des Sofica (ARS) a beau jeu dans un communiqué du 6 octobre de mettre en avant des taux de rendement interne annuels qui ont pu atteindre entre 2 % et 6 %, mais ces chiffres ne présagent pas de la rentabilité des nouvelles Sofica. En effet, depuis 2010, les Sofica à valeur de rachat garantie n’existent plus (le risque de perte en capital est donc plus grand mais la perspective de gain aussi en cas de financement de plusieurs films à succès) et leur avantage fiscal a été rogné par les coups de rabot successifs. Or les premières n’ont que 5 ans et n’ont pas encore été liquidées. L’incertitude sur la rentabilité de ces produits est donc réelle.Avantage fiscalFace à cette double contrainte de temps et de rentabilité aléatoire, les Sofica disposent d’une arme redoutable : l’avantage fiscal. C’est tout l’attrait de ce type de produit. Il permet d’obtenir une réduction d’impôt représentant 36 % de son investissement lors de l’année de souscription. Attention toutefois, un contribuable ne peut investir que dans la double limite de 18 000 euros et de 25 % de son revenu net global, soit une réduction maximale de 6 480 euros par foyer fiscal (que l’on soit célibataire ou en couple). Mieux encore, les Sofica n’entrent pas dans le plafonnement des niches fiscales de 10 000 euros mais dans celui plus avantageux de 18 000 euros. Le gain fiscal est tel qu’il faudrait que la Sofica ne soit remboursée qu’à 64 % de son prix de souscription, pour annihiler la réduction d’impôt.Ces avantages fiscaux mais aussi la rareté du produit, organisée à la fois par le CNC, qui n’agrée qu’une douzaine de Sofica par an pour une enveloppe globale de 63 millions, et par les établissements bancaires qui rechignent à en créer (le produit étant peu rémunérateur pour eux et chronophage), contribuent au succès des Sofica. Cette année n’échappera pas à la règle. Alors que leur souscription est ouverte depuis le 5 octobre, 80 % des Sofica sont déjà préréservées. Johan Deschamps ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* L’amour travesti Film sur Canal + cinéma à 20 h 50  Romain Duris devient Virginia sous le regard de François Ozon, qui signe un film au charme troublant.Une nouvelle amie commence au vert paradis des amitiés enfantines. Deux petites filles, Claire (qui prendra au bout de quelques plans les traits d’Anaïs Demoustier) et Laura (Isild Le Besco) sont inséparables. En un montage virtuose, Ozon survole le premier quart de siècle de leurs vies, fait d’émois, de compromis et de tragédie. A peine ont-elles eu le temps de se marier que Laura est frappée par la maladie et meurt, laissant un époux, David (Romain Duris), et une petite fille de quelques mois.Claire tombe alors dans une dépression dont son mari, un brave garçon un peu obtus (Raphaël Personnaz), tente de la sortir. Il lui conseille de rendre visite à David et au bébé. Elle pousse à l’improviste la porte de la maison cossue où le jeune veuf est censé pleurer son épouse et découvre le bébé dans les bras d’une femme blonde qui porte les vêtements de la défunte. David, qui a enfilé une robe de sa femme, lui confesse que ce stratagème a le double avantage de calmer le nourrisson et de satisfaire une très ancienne pulsion de travestissement, mise en sommeil pendant son mariage avec Laura.Désirs et vertigesCette transgression est l’acte inaugural d’une course vers la liberté que Claire entreprend d’abord avec réticence. La transformation de David en Virginia (c’est ainsi qu’il se rebaptise) est l’accomplissement de son destin, alors que la jeune femme remodèle le sien pour faire place aux désirs et vertiges que provoque cette transformation qui est aussi la résurrection de son amie morte.Ozon joue de toutes les ambiguïtés de la situation, mettant en scène avec une ironie chaleureuse une virée dans un centre commercial où Virginia parfait son apprentissage du shopping, où Claire fait celui de la fantaisie et de la transgression. Mais la relation ne peut être la simple remise en marche d’une amitié interrompue, le désir relève la tête, et la paire d’amies tend à se transformer en couple.La part de souffrance éludéeLe scénario de François Ozon (inspiré d’une nouvelle de Ruth Rendell) élude presque en permanence la part de souffrance, la violence sociale qui pourraient surgir de la situation. Le cinéaste préfère jouer avec la stupeur de Gilles, le mari, qui refuse de se laisser submerger par la vague érotique qui accompagne l’irruption de Virginia dans la vie de son couple. Pendant qu’Anaïs Demoustier prend un plaisir manifeste à l’épanouissement de son personnage, à en faire un être sensible et sensuel, Raphaël Personnaz sombre toujours un peu plus dans un conformisme simplement ridicule.Le troisième sommet du triangle est peut-être le plus frustrant. Les obstacles que la vie en société dresse sur le chemin des travestis sont épargnés à David/Virginia, qui peut ainsi consacrer toute son énergie à sa transformation, à la redéfinition de son existence. On peut y voir une célébration du désir. On peut aussi soupçonner Une nouvelle amie de ne pas être tout à fait le grand film qu’il aurait pu être, si l’exploration de toutes les conséquences de ce désir s’était avancée plus loin.Une nouvelle amie, de François Ozon. Avec Anaïs Demoustier, Romain Duris, Raphaël Personnaz (Fr., 2014, 107 min). Lundi 12 octobre sur Canal + Cinéma à 20 h 50. ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* Tragédie grecque à Manhattan Film sur Ciné + Premier à 20h45 Dans « The Immigrant », James Gray renoue avec ses thèmes de prédilection: tirangle amoureux, dilemne et trahison.Le mélodrame, qui met en scène les efforts d’Ewa (Marion Cotillard) pour prendre pied aux Etats-Unis, n’est pas un film à grand spectacle ni une odyssée. Sans sortir des espaces confinés d’Ellis Island et du quartier juif de Manhattan, James Gray parvient à donner à son récit une amplitude émouvante, et ce jusqu’au plan final, d’une richesse infinie.Pour arriver à ce dernier plan, il faut donc suivre les tribulations d’Ewa, que l’on découvre à son arrivée à Ellis Island en compagnie de sa sœur, Magda. Les deux jeunes femmes ont fui la Pologne au lendemain de la première guerre mondiale. Au débarquement, le triage est rapide : Magda, tuberculeuse, sera mise en quarantaine. Ewa, signalée comme femme de mauvaise vie par l’équipage du bateau sur lequel elle a voyagé, est promise, elle, à l’expulsion.Sensation de confinementElle est arrachée à la foule d’Ellis Island par Bruno Weiss (Joaquin Phoenix), un beau parleur qui tient sous sa coupe les fonctionnaires de l’immigration. Bruno est à la fois souteneur et metteur en scène. Les filles qui travaillent pour lui font des passes et se produisent dans un spectacle fripon. Parmi elles, Ewa, qui doit se prostituer pour faire soigner sa sœur à l’infirmerie d’Ellis Island. Justement, sur cette île, des spectacles ont lieu, dans lesquels se produit Orlando le Magicien (Jeremy Renner), qui s’appelle en fait Emil et se trouve être le cousin de Bruno.Le triangle, figure d’élection de James Gray, est en place. Des forces puissantes s’exercent sur chacun de ses sommets, allant jusqu’à la torture. Le catholicisme d’Ewa exacerbe la culpabilité qui la tenaille. Marion Cotillard n’en fait pas une fille perdue ordinaire, mais une femme à la volonté inflexible, prête à tous les arrangements avec le monde, jusqu’à perdre son âme.Comme si leurs affaires de cœur n’étaient pas assez compliquées, ces trois jeunes gens vivent dans un bouillon de culture, le Manhattan du début des années 1920, dont les effets pervers ne vont pas tarder à se manifester avec la corruption de la police et les trafics nés de la Prohibition en arrière-plan.James Gray ne sacrifie pas pour autant aux rituels de la reconstitution historique. Quelques vieux tacots seulement, un ferry à vapeur qui traverse le port de New York, l’intimité sordide des appartements sans eau courante ou les cellules surpeuplées d’Ellis Island. La teinte dominante de l’image du chef opérateur, Darius Khondji, légèrement sépia, accentue encore cette sensation de confinement.Chassé du théâtre miteux dans lequel il présentait ses « colombes », Bruno s’installe sous un tunnel de Central Park comme un camelot vendant de la chair fraîche. En plein hiver, il fait le bonimenteur devant des passants sceptiques, présentant ses créatures comme des héritières de la bonne société new-yorkaise.Cette mise en scène s’avère ­calamiteuse, ainsi que l’existence des trois personnages principaux, à l’exception de leur impulsion première : Ewa veut libérer sa sœur avant de se libérer ­elle-même, Orlando veut donner à chacun la possibilité du bonheur, et Bruno veut enfin pouvoir aimer.The Immigrant suit la remontée en surface de ces aspirations enfouies, retrouvant ce désir inextinguible de happy endqui est au cinéma ce que la poursuite du bonheur est aux textes fondamentaux des Etats-Unis.The Immigrant, de James Gray. Avec Marion Cotillard, Joaquin Phoenix (EU, 2013, 120 min). Jeudi 15 octobre à 20 h 45 sur Ciné + Premier. ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* Sir Ridley Scott, créateur d’univers Si, avant d’entamer sa carrière de cinéaste, Sir Ridley Scott a pris son temps, il n’a cessé depuis d’appuyer sur l’accélérateur. Son premier film, Duellistes, est sorti en 1977. Le réalisateur avait 39 ans, un âge canonique, surtout dans le contexte des années 1970 si propices aux cinéastes. Mais après ce coup d’essai suivi des coups de maître Alien et Blade Runner, il a enchaîné les films, sans jamais s’arrêter. A 77 ans, le réalisateur anglais ne semble pas près de ralentir. Il vient de signer quatre films en quatre ans : Prometheus (2012), Cartel (2013), Exodus (2014) et, aujourd’hui, Seul sur Mars.Un rythme démentiel, unique en son genre. Cette trajectoire paradoxale le surprend lui-même. Il anticipait un phénomène de décélération à l’approche de ses 80 ans. Il constate l’inverse : « Lorsque j’étais étudiant en art, j’avais dû m’expatrier à New York pour m’inscrire dans une école de cinéma, il n’y en avait pas encore en Grande-Bretagne. Je me suis retrouvé à synchroniser des rushes sur des documentaires, un truc impossible quand vous sortez d’une école d’art, et complètement à côté de la plaque quand vous aspirez à faire de la mise en scène. Puis, je suis passé à la publicité et j’ai constaté un fait élémentaire dans ma manière de travailler. Quand je dessinais, je faisais déjà de la mise en scène. Dans mon système, dessiner équivaut à mettre en place mon plan de tournage. »Metteur en scène et meneur d’hommesCette facilité à faire surgir un univers sur une feuille de papier pour l’incarner devant une caméra explique cette longévité. « Avec les idées aussi claires, j’ai l’impression de parvenir à mettre toujours plus d’huile dans les rouages. Une autre chose aussi, liée à mon tempérament. J’ai toujours pensé que la tâche d’un metteur en scène ressemble à celle d’un général : vous menez des troupes ! Et cette capacité, si elle s’apprend, tient à votre tempérament. J’avais 800 personnes sous mes ordres pour Kingdom of Heaven, 500 pour La Chute du faucon noir. Sur la plupart de mes tournages, je dois toujours gérer une armée. Ce que peu de personnes savent faire. » C’est devenu un lieu commun tant c’est la marque distinctive du réalisateur anglais : Sir Ridley Scott est doué pour reconstituer des mondes. L’Europe napoléonienne de Duellistes, le vaisseau mère et la planète Acheron d’Alien, le quartier chinois de Los Angeles en 2019 dans Blade Runner, le Colisée de la Rome antique dans Gladiator, la Jérusalem médiévale pour Kingdom of Heaven, l’Egypte des pharaons dans Exodus, ou la Planète rouge, sur le sol de laquelle l’astronaute de la NASA incarné par Matt Damon se retrouve seul, sans ressources, coupé de toute communication avec la Terre dans Seul sur Mars. Ce talent ne relève pas tant de l’imagination de Ridley Scott que de sa capacité à observer et à se documenter.« Je ne voulais pas faire un film trop propre. Cela aurait été en contradiction avec l’idée principale qui est que l’exploration spatiale relève d’une certaine forme de bricolage. »« Il n’y a pas une seule scène de Seul sur Mars qui ne résulte de nos discussions avec la NASA. Je ne voulais pas faire un film trop high-tech, trop propre, qui aurait été susceptible de vieillir rapidement. Cela aurait été en contradiction avec l’idée principale du film qui est que l’exploration spatiale relève d’une certaine forme de bricolage. La scène que j’adore est celle où le casque de Matt Damon se fendille. Il utilise alors du ruban adhésif pour boucher les fissures et éviter de perdre son oxygène. Croyez-le ou non, le meilleur ami de l’astronaute est le ruban adhésif. » Ridley Scott est l’inventeur de la science en col bleu. Alien, Blade Runner et, dans une certaine mesure, Seul sur Mars sont les chefs-d’œuvre d’une science-fiction crasseuse et prolétarienne, dont les protagonistes, employés d’une multinationale, négocient leur salaire et, accessoirement, leur survie. Le cinéma de Scott se situe à l’opposé de 2001 de Kubrick, modèle génial de science-fiction en col blanc, qui reste l’un des films qui a le plus marqué le réalisateur anglais. Chez Scott, costumes et décors contribuent à installer cette atmosphère prolétarienne.« C’est la chemise hawaïenne que porte Harry Dean ­Stanton dans le vaisseau spatial d’Alien. Même le personnage du détective incarné par Harrison Ford dans Blade Runner a les caractéristiques du prolétaire. J’allais beaucoup à New York à la fin des années 1960 et au début des années 1970, la ville était dégueulasse, c’était une ­métropole construite sur des poubelles, demandant désespérément à ce qu’on lui vienne en aide. New York était impressionnant par son volume, mais sombre. Est-ce que j’aimais la ville ? Non. Je la préfère aujourd’hui, depuis que les maires Giuliani et Bloomberg l’ont nettoyée. Mais c’est sa saleté qui m’a inspiré pour Blade Runner. C’est une ville qui ne peut pas se relever, impossible à rénover. Personne ne peut nettoyer les vitres sales des gratte-ciel. »De 2001, Ridley Scott a surtout gardé une idée, celle d’une force supérieure qui piloterait l’humanité à distance. Il l’a reprise dans Prometheus, où c’est l’ADN d’une race extra­terrestre qui donne naissance au genre humain, et qu’il approfondira dans la suite du film qu’il s’apprête à réaliser au début de l’année prochaine. « Je ne crois plus au Big Bang. L’astrophysicien Stephen Hawking non plus d’ailleurs, je souscris davantage à la thèse du grand horloger, d’une force supérieure, la possibilité de la vie sur Terre obéit à trop de ­paramètres pour que nous ­puissions nous reposer sur notre seule rationalité. » La bande annonce « Seul sur Mars », de Ridley ScottSeul sur Mars, de Ridley Scott, avec Matt Damon. En salles le 21 octobre (2 h 24) ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* Dreamworks pourrait rompre son contrat de distribution avec Disney S’achemine-t-on vers un divorce entre Dreamworks, le studio dirigé par Steven Spielberg, et le groupe Walt Disney ? L’Agence France-Presse rapporte mercredi 2 septembre que le contrat liant les deux sociétés, signé en 2009 et qui expire dans un an, et ne devrait pas être prolongé.Cette décision intervient alors que DreamWorks, dont le réalisateur Steven Spielberg est l’un des cofondateurs, traverse une passe difficile. Malgré le succès de son dernier film d’animation, Home, qui a rapporté plus de 380 millions de dollars (338,76 millions d’euros), la société de production et de distribution spécialisée dans le cinéma, la musique et les programmes télévisés a enregistré au deuxième trimestre une perte de 38,6 millions de dollars. Des mauvais résultats qui ont obligé le groupe, créé en 1994 et racheté en 2005 par la Paramount, de supprimer 500 postes.L’évolution du modèle Disney, qui a acquis ces dernières années Lucasfilm, Marvel et Pixar, n’irait pas non plus dans le sens des films que Dreamworks veut produire, selon plusieurs sources. Avec ses filiales, Walt Disney Pictures met en effet l’accent sur les films comme Star Wars ou Vice-Versa, dont les personnages et l’univers peuvent être déclinés en produits pour ses autres divisions : jeux vidéos, parcs d’attraction, produits dérivés, figurines et autres déguisements. Un modèle qui correspond peu aux films du studio de Spielberg, qui a récemment produit Les Recettes du bonheur, avec Helen Mirren.Pour la suite, DreamWorks serait en négociation avec Universal Studios, qui « se réjouirait de l’opportunité de devenir le partenaire de distribution de DreamWorks », a indiqué une source au sein d’Universal citée par Hollywood Reporter, tout en précisant qu’il est prématuré d’évoquer un accord.Le dernier film de Dreamworks distribué par Disney devrait être The BFG (Le Bon Gros Géant), adapté d’une nouvelle de Roald Dahl et qui doit sortir le 1er juillet. ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* « 99 homes » de Ramin Bahrani couronné à Deauville Le grand prix du jury du 41e festival de cinéma américain de Deauville a été attribué samedi 12 septembre à « 99 homes » de Ramin Bahrani, un film qui dépeint une Amérique rongée par la crise du crédit et la spéculation.Le deuxième prix du jury, présidé par Benoît Jacquot, a été remporté par « Tangerine » de Sean Baker, le prix du public de la ville de Deauville par « Dope » de Rick Famuyiwa et le prix de la critique par « Krisha », le premier film de Trey Edward Shults.« 99 homes » doit être diffusé en France d’ici à la fin de l’année mais uniquement sur les plateformes de vidéo à la demande, a indiqué le 5 septembre le réalisateur. Quatorze films étaient en compétition à Deauville.  Mostra de Venise 2015 : le cinéma latino-américain à l’honneur Lion d’or au réalisateur vénézuélien Lorenzo Vigas pour son premier long métrage Desde Alla ; Lion d’argent du meilleur metteur en scène à El Clan du cinéaste argentin Pablo Trapero : à la veille de l’ouverture de la Mostra, Alberto Barbera, le directeur du festival de cinéma de Venise, nous avait confié que l’Amérique latine lui semblait aujourd’hui « le continent des plus grandes promesses cinématographiques ». Le jury présidé par le réalisateur mexicain Alfonso Cuaron a visiblement fait sienne cette appréciation.Sans surprise, le Grand Prix est allé aux Américains Charlie Kaufman et Duke Johnson pour leur dessin animé Anomalisa. L’actrice italienne Valeria Golino a obtenu le prix d’interprétation féminine pour son rôle dans Per Amor Vostro de Giuseppe Gaudino. Pour sa part, Fabrice Lucchini, qui joue le rôle d’un président de cour d’assises dans L’Hermine de Christian Vincent, a obtenu le prix d’interprétation masculine (ce même film obtenant par ailleurs le prix du meilleur scénario).Un nouveau malentenduDire que ce palmarès nous comble serait pour le moins exagéré. Mis à part El Clan, la quasi-totalité des films les plus passionnants de cette compétition en sont malheureusement absents. Beixi Moshuo du Chinois Zhao Liang, Rabin, The Last Day de l’Israélien Amos Gitai, Sangue Del Moi Sangue de Marco Bellochio ou encore Francofonia d’Alexandre Sokourov auraient largement mérité d’être couronnés samedi soir. Peut-être la présence, au sein du jury, de réalisateurs aussi chevronnés que Nuri Bilge Ceylan, Hou Hsiao-hsien ou encore Pawel Pawlikowski a-t-elle été en définitive contre-productive.Le fait est là en tout cas : après le Lion d’Or 2014 attribué au très décevant Un pigeon perché sur une branche philosophait sur l’existence du Suédois Roy Andersson, la compétition vénitienne, pourtant riche en excellents films, se termine sur un nouveau malentendu.Tourné à Caracas, Desde Alla décrit les relations tumultueuses entre un jeune garçon des rues et un prothésiste dentaire d’âge mûr. Désir et rapports de classe : ainsi pourrait-on résumer brièvement la thématique de ce film aussi enlevé dans sa mise en scène qu’il est lourd dans son propos. Retenons néanmoins la performance de ses deux acteurs principaux, Luis Siva qui joue le rôle du jeune garçon, et surtout le Chilien Alfredo Castro, remarquable en prothésiste à la fois refoulé et humain. Observant que c’est la première fois qu’un film vénézuélien participait à la compétition vénitienne, Lorenzo Vigas a dédié son film à son pays et à son père, le peintre Oswaldo Vigas.Foisonnement du cinéma argentinNous ne ferons aucune réserve, en revanche, à propos de la présence d’El Clan au palmarès. Remportant un énorme succès public en Argentine où il est sorti depuis quelques semaines, ce film raconte l’histoire vraie d’une famille apparemment sans histoire qui, durant les premières années de la toute jeune démocratie argentine, s’était « spécialisée » dans les enlèvements avec demandes de rançons et assassinat des personnes enlevées. Filmé avec une extraordinaire énergie, parfois très drôle, El Clan témoigne de l’extraordinaire foisonnement du cinéma argentin actuel.Un mot sur l’étonnant Anomalisa de Charlie Kaufman et Duke Johnson. On y retrouve dans ce dessin animé (pas vraiment destiné aux enfants) tout le savoir faire de Kaufman, l’un des scénaristes plus réputés aux Etats-Unis (Dans la peau de John Malkovich, Human Nature, Confession d’un homme dangereux, Eternal Sunshine of the Spotless Mind). Il y a quelque chose de Michel Houellebecq dans ce film qui raconte la rencontre entre un auteur à succès et une jeune fille dotée d’une jolie voix dans un hôtel de Cincinnati : même approche quasi-clinique des détails de la vie quotidienne, même importance donnée à la misère sexuelle. A la fois drôle et corrosif, Anomalisa pourrait rencontrer un joli succès public lors de sa sortie en salle.Pas grand-chose à dire en revanche sur les deux prix d’interprétation. Lucchini fait du Lucchini et Golino du Golino. Le jury voulait certainement récompenser deux acteurs archi-confirmés. C’est fait. ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* La longue marche de NWA, de Compton à Hollywood Quatre voitures de police sont garées devant un cinéma à Paramount, dans la banlieue est de Los Angeles. Pour les habitants de Compton ou de Watts, quartiers pauvres au sud de l’agglomération californienne, cette salle est la plus proche, à dix minutes en voiture. Après une semaine d’intense couverture médiatique, Straight Outta Compton sort enfin le 14 août. Mais le biopic sur l’histoire des NWA, «  le groupe le plus dangereux du monde » comme le clame son affiche, ne peut être projeté dans les quartiers qui l’ont vu naître, faute d’équipements culturels. Alors, ses habitants viennent en famille dans les complexes alentour. Universal Studios a annoncé, la veille, le 13 août, qu’ils rembourseraient les frais pour l’emploi d’agents de sécurité supplémentaires.Véritable tube de l’été, numéro un au box-office devant Mission : Impossible Rogue Nation pendant plusieurs semaines, le film est sorti dans un contexte tendu aux Etats-Unis. Début août, l’état d’urgence est décrété à Ferguson dans le Missouri, où un jeune homme de 18 ans a été tué dans les manifestations pour commémorer la mort de Michael Brown, mort sous les balles d’un policier, un an plus tôt. Des portiques métalliques accueillent, ce soir-là, les invités. Sur le tapis rouge, les membres du groupe NWA encore en vie (Dr. Dre, Ice Cube, MC Ren, DJ Yella) – Eazy-E est mort du sida en 1995 –, suivis des acteurs qui les incarnent à l’écran, savent que leur film, rythmé par leur hymne Fuck The Police (« nique la police »), est une caisse de résonance, après les multiples homicides d’Afro-Américains par des policiers.Lire aussi : « Straight Outta Compton » : un tableau du rap dans ses différents âges Coups tordus, coups de pressionPlus loin, près de Compton, les spectateurs latinos et noirs sont plus détendus, rient, entonnent les textes de leur groupe emblématique, qui a imposé, en 1988, les codes du gangsta rap californien face aux pionniers new-yorkais. Même les scènes les plus effrayantes, comme celle où un Blood (membre d’un gang rival, les Bloods) armé monte dans un bus scolaire et menace des ados qui lui ont adressé les signes de ses rivaux (les Crips), les font hurler de rire. Un spectateur, ancien membre de ces fameux gangs, analyse à la sortie : « A l’époque, cela nous arrivait souvent d’être arrêtés par une voiture pleine de mecs armés et que l’on soit obligé de leur dire à quelle clique on appartenait. C’est la routine, ici. » Le public est en revanche silencieux, figé, à chaque fois qu’un personnage est violemment plaqué contre un capot de voiture de police.A la fin des années 1980, les NWA ont à peine 21 ans de moyenne d’âge, quand ils secouent le puritanisme américain avec leur rap. Ils y racontent sans fioritures leur quotidien à Compton, détaillent le style des dealers, des gangbangers (membres des gangs) et hurlent leur ras-le-bol du harcèlement policier sur un tempo accéléré dans Fuck The Police. Leur compositeur, Dr. Dre, le ralentit vite pour imposer son G-funk (gangsta funk) à la planète entière. En 1989, en pleine tournée, les gangsta rappeurs s’attirent les foudres du FBI, qui les met en demeure de ne pas chanter ce morceau pendant leurs concerts. Au bout d’une heure de film, qui énumère les arrestations abusives subies par les personnages, ils sont à nouveau menottés et tabassés à Detroit (Michigan) lors d’un show. Le scénariste et les producteurs, Dr. Dre et Ice Cube, se sont, en fait, un peu arrangés avec la réalité. Ce ne sera pas la seule fois.D’après la fiction, les rappeurs sont arrêtés pas la police à l’issue du concert époustouflant au Joe Louis Arena. Dans son livre publié en France en 2007, Gangsta Rap Attitude (Scali), sous-titré Les Impitoyables Mémoires d’un juif blanc devenu le plus grand manager du rap noir de Californie, Jerry Heller, l’agent de NWA, raconte une tout autre version. Le groupe n’a pas été arrêté devant une foule électrisée. Des policiers en civil, joués dans le film par de vrais officiers du département de police de Los Angeles, se sont bien frayés un chemin jusqu’à la scène pour les arrêter, mais leur tourneur a réussi à les faire sortir de la salle avant que la police leur mette la main dessus. Jerry Heller leur avait donné la consigne de rester dans leurs chambres d’hôtel, leur expliquant que «  les flics n’auraient jamais de mandats de perquisition ». Mais les vedettes, sollicitées par leurs groupies, sont descendues à la réception, où la police les attendait, et ont été embarquées.Véritable plongée dans les débuts du gangsta rap, Straight Outta Compton évoque aussi l’industrie du disque, ses coups tordus, ses coups de pression, sans trop de rapport avec la vraie histoire. Eazy-E n’a, par exemple, jamais été ruiné. Une de ses signatures sur le label Ruthless, Bone-Thugs-N-Harmony, vendait des millions d’albums en 1994, quand le film le montre prêt à se séparer de sa maison. Il n’a pas non plus été tabassé par l’ancien videur et magnat du rap, Suge Knight, pour signer un document qui libère Dr. Dre de son contrat. Le costaud «  l’a juste menacé » de détenir sa mère et son manageur.« Des menaces de mort »Le lendemain de la sortie de Straight Outta Compton en salles, les membres de l’Académie des Oscars, intrigués par le succès populaire, sont venus se faire une idée par eux-mêmes au Samuel Goldwyn Theater à Beverly Hills. The Hollywood Reporter, qui pronostique déjà une nomination aux Oscars, s’étonne alors de l’affluence à cette projection, et surtout des applaudissements nourris à la fin de la première scène du film, où Eazy-E, alors dealer, échappe à une intervention de la brigade antidrogue en courant sur les toits de Compton.Ce soir-là, l’équipe du film, menée par le réalisateur, F. Gary Gray, et le producteur, Ice Cube, fait son numéro de charme : « Notre but, affirme le rappeur, n’était pas d’expliquer dans le détail quand, comment et où, mais pourquoi nous avions écrit ces chansons. Nous ne voulions pas faire un film sur l’histoire du rap, mais montrer une tranche de vie américaine. » Le réalisateur F. Gary Gray, qui a grandi à South Central, rappelle combien le film a été difficile à produire à Compton, « véritable sixième membre du groupe ». « Il a fallu beaucoup de courage aux équipes aussi, renchérit Ice Cube. Nous avions reçu des menaces de mort. »Dans une communication alors aussi huilée que leurs provocations rapologiques, Ice Cube et Dr. Dre demandent par voie de justice d’être retirés de l’instruction d’un procès qui les accuse de négligence. En janvier, alors qu’ils sont sur le tournage d’une publicité pour le film, Suge Knight, leur ancien rival, furieux du portrait qu’on fait de lui, vient demander des explications au réalisateur. Il est alors renvoyé du tournage par leur technicien de postproduction, Cle Sloan, ancien membre des Bloods lui-même, acteur dans Training Day (2001) et réalisateur de documentaires. Sloan retrouvera Knight quelques minutes plus tard sur le parking d’un fast-food accompagné d’un homme d’affaires local, Terry Carter, et volontaire dans des associations antigangs. Au volant de son 4 × 4, Suge Knight renversera les deux hommes, tuant le second. Il attend d’être jugé pour meurtre et tentative de meurtre.Deux jours plus tard, Dr. Dre, lui, est contraint de publier un communiqué de presse pour s’excuser auprès de son ancienne petite amie, la chanteuse Michel’le, et d’une journaliste, Dee Barnes, qu’il avait agressées et violentées. Toutes deux s’étaient émues de voir ces agressions passées sous silence dans le long-métrage.MisogynieEn effet, si le film montre sans ambiguïté la misogynie du groupe pendant les tournées, en insistant lourdement sur une orgie dans une chambre d’hôtel, il tait le passé violent de Dr. Dre avec les femmes. Le producteur, qui venait de sortir un nouvel album, Compton, inspiré du film, après quinze ans de silence musical, annulera toutes ses interviews, et sa venue en France. C’est Ice Cube et deux des acteurs qui répondront aux interrogations du Monde. Sur la misogynie, le producteur dit avoir essayé d’être «  le plus brutalement honnête, de montrer les bons côtés du groupe, les mauvais et les très moches : voilà comment se comporte un groupe − aussi jeune − quand le succès leur tombe dessus aussi vite ».Quant à sa relation conflictuelle avec Jerry Heller, le manageur du groupe, ami d’Eazy-E, fondateur du label Ruthless, qu’il fait passer pour un escroc dans son film, il reconnaît : « Jerry Heller était notre champion, il nous a toujours défendus devant la police, devant les médias, devant le FBI. Lui et Eazy avaient une relation père-fils, nous ne pouvions pas l’ignorer. Moi, je ne l’aimais pas, parce qu’il a essayé de me faire signer un document sans consulter un avocat. Je ne le hais pas, mais je ne lui pardonnerai pas de m’avoir fait passer pour un antisémite. »Pourtant, le rappeur, proche un temps de la Nation of Islam, organisation politico-religieuse américaine, consacre dans le film une longue séquence à son morceau d’insultes No Vaseline. Ice Cube s’emporte, s’adressant à Eazy-E : « Tu ne peux pas être de [l’équipe] des Niggas 4 Life avec un juif blanc qui te dicte tes actes. » Dans ses Mémoires publiés en 2007, Jerry Heller rappelle que Juifs et Noirs ont grandi dans les mêmes ghettos aux Etats-Unis. Ice Cube incite, aujourd’hui, les critiques du film à sortir leur propre version de leur histoire. Une suite tirée du livre de Jerry Heller serait la bienvenue. Stéphanie Binet (Los Angeles, envoyée spéciale) L’avis du « Monde » – pourquoi pas« Le rap n’est pas un art », assène un incrédule dans Straight Outta Compton, le film que F. Gary Gray consacre au groupe fondateur NWA. Personne ne prend vraiment la peine de lui répondre. Straight Outta Compton et ses rappeurs ont mieux à faire que rendre des comptes à quelqu’un qui n’y comprend manifestement rien. Le rap n’est pas un art, ni même de la musique : c’est au-delà d’un son. Une combinaison compliquée de voix, de vrai, de faux, de rimes, de prose, de fric, de poses, de galères anciennes ou vivaces, qui change d’airs et de visages au fil de ces 2 h 27 dont on peut supposer que, si elles n’avaient eu pour les rythmer que la musique, on les aurait senties plus difficilement passer.Lire aussi : Comme dans tous les bons récits de genèse, le rap naît du chaos. De Compton, près de Los Angeles, qui n’est alors que drogue, corruption, guerre des gangs et violences policières, émerge à la fin des années 1980 la voix du reality rap, que l’on surnommera gangsta rap, autour de Eazy-E, Dr. Dre, Ice Cube, DJ Yella et MC Ren. Mais surtout de Compton, dans tout son prosaïsme et le marasme désabusé auquel elle incite. La première fois que la musique s’invite à l’image, c’est à travers la sono disproportionnée d’une voiture « tunée ». Une grosse sono dans une voiture, c’est un effet d’annonce, un héraut en tête de cortège, le premier regard de défi qui déclenche une bagarre : précisément ce que deviendra NWA pour une génération née et bousculée dans les cités, ou qui a pu faire semblant de l’être depuis les banlieues chics, pour occuper son indolence. Sans fiorituresNWA n’est d’abord qu’un jeu communautaire sérieux, mais partagé sans trop de façons (Eazy-E devient rappeur à l’improviste, en remplacement) par une poignée de post-adolescents que le film n’héroïse pas plus qu’il ne les accable. Venu à la réalisation par le clip (pour Ice Cube, notamment), F. Gary Gray dispense avec une économie surprenante les grands effets du genre. A quelques ralentis près, un peu de grandiloquence dans les scènes de concert, il brosse ses personnages comme il réalise : sans fioritures. Mais de manière générale, au-delà d’un casting très juste et d’un va-et-vient scénaristique classique entre prosaïsme des scènes familiales et exaltation de l’essor artistique et commercial, Straight Outta Compton, pourtant produit par Dr. Dre, Ice Cube et la veuve d’Eazy-E, ne se donne pas autant à ses héros qu’on aurait pu l’attendre. Son énergie – et sa finesse – va au tableau du rap dans ses différents âges.De jeu communautaire, le rap devient combat personnel contre la répression policière. Avec le succès vient la guerre, de la rue à la scène, de la scène à la rue : la police charge en plein concert. C’est encore l’adolescence et déjà l’apogée. Elle laisse à l’ère de la maturité qui suit un goût amer, un doute qui la poursuit jusqu’à ce générique de fin incongru dans ses velléités d’éloge, durant lequel les poulains de l’écurie Dre, Eminem, 50 Cents, martèlent tout ce qu’ils doivent à leur mentor, comme s’ils anticipaient son oraison funèbre. Les légendes vivantes ont la vieillesse précoce.Cachant sous les chaînes en or et les grosses cylindrées le souvenir obsédant de la rue, lerap et ses grandes gueules semblent n’avoir donné naissance à ce film que pour cette scène de concert guerrier, où la nature profonde de la musique s’inverse : née dans le sillage du réel, elle l’entraîne dans le sien. Sur scène, c’est le fils d’Ice Cube, O’Shea Jackson, qui incarne son père. Dans la fosse, des fans jouent les figurants. Ce n’est plus une reconstitution, c’est une renaissance, telle celle de Tupac, en hologramme, qui stupéfiait Coachella en 2012. Et il y a dans cette renaissance une fièvre, presque une rage, qui va au-delà du souvenir des exactions policières – comme la conscience douloureuse d’un temps qui a passé depuis l’âge d’or du reality rap, et peut-être laissé la réalité en arrière.Film américain de F. Gary Gray avec O’Shea Jackson Jr., Corey Hawkins, Jason Mitchell (2 h 27). Sur le Web : www.universalpictures.fr/film/straight-outta-compton et www.straightouttacompton.com Robert Redford : « La télévision a supplanté le cinéma » Comment en êtes-vous venu à créer une chaîne de télévision, en 1996 ?Cela fait en gros trente ans que j’ai créé l’Institut Sundance pour donner vie à des films indépendants, et vingt ans que j’ai monté Sundance Channel. J’ai voulu créer cette chaîne de télévision parce que je constatais que de nombreux artistes passaient du cinéma à la télévision  : scénaristes, réalisateurs, producteurs. La télévision accordait plus d’argent, offrait plus d’opportunités, alors que les possibilités de faire des longs-métrages diminuaient en raison des exigences commerciales, de rentabilité et de succès, que l’on attendait dans le cinéma. J’en suis venu à me dire que pour que nos films soient vus par le plus grand nombre possible, il fallait lancer sa propre chaîne, ce qui m’a amené à la création de Sundance Channel. Aux Etats-Unis d’abord, puis ailleurs et notamment en France.N’est-il pas plus difficile de faire un film indépendant, aujourd’hui, que lorsque vous avez créé l’Institut et le festival Sundance ?Il a toujours été très difficile de faire des films, que ce soit au cinéma ou à la télévision, et cela reste encore le cas. L’idée, avec Sundance, c’était l’indépendance  : pour qu’existent des films indépendants, sachant que le circuit traditionnel du cinéma ne leur accordait pas de place. Il s’agissait de se focaliser sur ce type de films, et de tenter d’offrir plus d’opportunités aux scénaristes, aux réalisateurs, aux acteurs qui souhaitaient prendre cette voie. Pour que le public ait un plus large choix. Sur ce point, je pense que ça a été positif.C’était plus difficile il y a vingt ans. A l’époque, la télévision commençait tout juste à prendre le dessus. Aujourd’hui, elle compte beaucoup, de par sa valeur, sa distribution, les possibilités de création qu’elle offre. Et Sundance Channel y a participé en mettant en avant des films indépendants sur les écrans de télévision. Que pensez-vous des plates-formes accessibles via Internet comme Netflix ou Amazon ?Netflix, Amazon ou Hulu ont permis aux cinéastes de faire plus de films, vus par davantage de monde, et ont augmenté le nombre de sources de distribution. C’est très bénéfique. Ces plates-formes distribuent des films, et en viennent même à en financer, maintenant, ce qui augmente les opportunités pour les artistes.Grâce à Internet, d’autres ouvertures ont vu le jour  : la plate-forme de financement participatif Kick­starter, par exemple. Avec ce mécanisme de levée de fonds, les cinéastes peuvent maintenant se financer d’une tout autre manière, ce qui est très positif.Nous sommes dans une époque de transition pour financer des films indépendants. Il a toujours été difficile de faire des films indépendants, et ce sera toujours ainsi puisque l’argent est sous le contrôle de grands groupes.Après l’attentat contre « Charlie Hebdo », les télévisions américaines n’ont pas montré de « unes » du journal, pour ne pas heurter, ne pas blasphémer. Liberté d’expression mais interdiction de blasphémer  : quel est votre sentiment ?Je ne sais rien d’autre, à ce propos, que ce que j’ai pu en lire, ce qui ne suffit pas pour se faire une opinion. La seule chose que je puisse dire, c’est que je défends la liberté d’expression. C’est une des choses que j’apprécie aux Etats-Unis  : la liberté. La liberté d’expression. Même si cela va parfois à l’encontre de ce que vous ressentez, il est important qu’on puisse entendre la voix de chacun.Ce qui me chagrine, ce sont les gens étroits d’esprit, communautaristes, trop religieux, qui estiment qu’il faut penser de telle ou telle manière. La liberté d’expression suppose que l’on puisse entendre différents points de vue. ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* ************************************************************* “Zoolander 2”: nouvelles tribulations Derek Zoolander (Ben Stiller), le mannequin le plus idiot de la planète, et Hansel McDonald (Owen Wilson), son grand rival, auront attendu quatorze ans pour reprendre du service. Le projet était longtemps resté en suspens, entre les rumeurs de refus de financement de Paramount Pictures et l’agenda chargé de ses scénaristes, Justin Theroux et Ben Stiller lui-même. Sortie prévue en France le 4 mai 2016. “Le Monde de Dory” : nouvelle star Annoncé un 2 avril, le lancement de la suite du Monde de Nemo a d’abord laissé le public perplexe : ne s’agissait-il pas d’un poisson d’avril à retardement ? Pourtant, l’attachante et amnésique Dory va bien quitter son rôle de personnage secondaire pour devenir l’héroïne de ce nouveau film, dont la sortie est prévue le 29 juin 2016, treize ans après le premier. “Independence Day - Resurgence” : nouvelle attaque Maintes fois prévu puis repoussé, le deuxième volet d’Independence Day investira les salles le 27 juillet 2016. La Terre et les humains, qu’on se le dise, sont à nouveau menacés par les Aliens. Pour sauver la planète et l’humanité, il ne faudra cette fois pas compter sur Will Smith, qui a quitté le casting. Charlotte Gainsbourg en fera, elle, partie. “S.O.S. fantômes 3” : nouveau départ En 1984, le premier S.O.S. Fantômes avait fait un carton. Le suivant, en 1989, avait déçu. Vingt-sept ans plus tard, S.O.S. Fantômes 3, en salles le 24 août 2016, ne sera pas une suite, mais un « reboot ». Une sorte de nouveau départ qui ne s’embarrasse pas des acquis des épisodes précédents. Bill Murray, parmi un casting très féminin, y fera une apparition clin d’œil, mais pas dans le rôle du Dr Venkman. “Mary Poppins 2” : nouvelle actrice ************************************************************* *************************************************************