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    CHRONIQUE «QUI A LE DROIT ?»

    Qu’est-ce que la haine aux yeux de la justice ?

    Par (mis à jour à )
    L’essayiste d’extrême droite Alain Soral (ici en 2009) était jugé pour «incitation à la haine».
    L’essayiste d’extrême droite Alain Soral (ici en 2009) était jugé pour «incitation à la haine». Photos Reuters

    Décryptage d’un point juridique au cœur de l’actualité. Aujourd’hui, retour sur les condamnations de Jean-Marie Le Pen et de l’essayiste Alain Soral, pour «injure publique» et «incitation à la haine».

    Jeudi, Jean-Marie Le Pen a été condamné en appel à 5 000 euros d’amende pour ses propos sur les Roms, qui «comme les oiseaux», avait-il dit, voleraient «naturellement». Ce vendredi, c’est l’essayiste d’extrême droite Alain Soral qui a écopé de 6 000 euros d'amende pour avoir incité «à la haine» contre le journaliste Frédéric Haziza. «J’en ai plus que marre que des gens qui représentent moins de 1% de la population française et qui tiennent à peu près toutes les places de décision crachent à la gueule des Français comme moi», avait notamment dit Soral, ajoutant qu’il existait «une arrogance, une domination et une malhonnêteté communautaire». Il visait les Juifs.

    Mais comment la justice définit-elle la haine ? Et de quel droit vient-elle mettre son nez dans les sentiments, même violents, des citoyens, dans l’âme des justiciables ?

    «La haine en tant que sentiment échappe bien évidemment au droit, rassure Gwénaële Calvès, professeur de droit public à l’université de Cergy-Pontoise. Chacun déteste qui il veut. En revanche, ce que la justice peut poursuivre, c’est l’incitation à la haine. La haine qui intéresse le droit n’est pas la haine du propos mais la haine qui résulte des propos poursuivis. C’est une haine active. Le discours de haine est un délit car il est dangereux.» Comme le rappelait Charles Girard, lors d’un colloque organisé, lundi, par le Centre d’études et de recherches internationales (CERI) et l’Alliance de recherche contre les discriminations (Ardis), «les discours de haine ne peuvent pas être réduits à la simple expression d’une opinion», notamment parce qu’ils doivent viser des groupes de personnes spécifiques. Déverser sa haine contre le monde entier n’est pas un délit. Contre les Noirs, les femmes ou les homosexuels peut le devenir.

    Un arsenal de répression complet

    Le droit français penche vers une stratégie de prohibition intégrale – contrairement aux Etats-Unis, à la philosophie totalement permissive. La législation française réunit trois séries d’incriminations, comprises dans les articles 24, 32 et 33 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse : «l’injure», «la diffamation» et «l’incitation à la discrimination, à la haine ou à la violence». Si Jean-Marie Le Pen était ainsi poursuivi pour «injure publique envers un groupe de personnes en raison de son appartenance à une ethnie», Alain Soral l’était, lui, pour «incitation à la haine, à la discrimination ou la violence».

    Les groupes de personnes protégées par le droit sont elles aussi définies de manière très large, «l’une des plus larges en Europe», estime la professeure de droit Gwénaële Calvès. Sont réprimées l’injure, la diffamation ou l’incitation à la haine à l’encontre «d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée», mais aussi «à raison de leur sexe, de leur orientation sexuelle ou de leur handicap». Les catégories se sont multipliées au fil du temps : le handicap et l’orientation sexuelle ont ainsi été ajoutés en 2004. La jurisprudence fait le reste. La Cour de cassation a ainsi tranché : ni les Corses, ni les Harkis ne sont éligibles à ses catégories. Les «immigrés» n’étaient pas protégés dans les années 80, mais les tribunaux estiment désormais qu’ils sont bien une catégorie à protéger de la haine «au nom de leur non-appartenance à la nation française», analyse le professeur de sciences politique Erik Bleich.

    «Enfin, non seulement l’arsenal est très complet, mais il est très ouvert : les associations peuvent très largement se constituer parties civiles», se félicite Gwénaële Calvès. C’est le cas dans le dossier Soral : en plus du journaliste Frédéric Haziza, l’Union des étudiants juifs de France, la Licra, SOS Racisme et la Ligue des droits de l’homme se sont constituées parties civiles. En effet, en France, la réponse à ces délits n’appartient pas qu’à l’individu visé. La répression de la haine est une affaire de société, d’Etat. Alors que dans beaucoup de pays, comme aux Etats-Unis, ces affaires se règlent devant la justice civile – il s’agit de réparer le préjudice subi par un individu – en France, elles concernent la justice pénale. La haine contre un groupe de personnes en raison de ses origines, de sa sexualité ou de son genre, est considérée comme un trouble à l’ordre public, c’est toute la société qui doit y répondre. Ainsi quand Minute a comparé Christiane Taubira à un singe, c’est le parquet de Paris lui-même qui a déclenché les poursuites.

    Malgré cet arsenal, la répression des discours haineux «n’a rien d’une science exacte», reconnaît Gwénaële Calvès. «Qu’est-ce qu’un propos provocateur ? Un juge se donne pour standard une «personne raisonnable» : ressentirait-elle de la haine en écoutant tel propos ? La notion d’incitation se veut objective, mais ce n’est pas si simple. En 2006, la Cour de cassation a estimé que l’affiche publicitaire de Marithé et François Girbaud remplaçant les apôtres de la Cène par des femmes n’était par une injure à l’encontre d’un groupe religieux. Mais les athées ne peuvent sans doute pas ressentir ce qui a pu réellement passer pour de la haine pour des chrétiens.»

    Distinguer discours théorique et incitation à la haine

    Erik Bleich est chercheur à l’université de Middlebury, dans le Vermont. Il poursuit en France une étude sur la jurisprudence française de la répression des discours de haine. Il note que les tribunaux français ont des réponses très diverses quand il faut définir la provocation à la haine. Il relève ainsi que deux phrases assez similaires de Jean-Marie Le Pen ont eu des fortunes bien différentes. Pour la première, prononcée en 1984, le président du FN d’alors a été relaxé : «…Il y a une menace grave de voir […] l’explosion démographique du tiers-monde et en particulier du monde islamo-arabe qui actuellement pénètre notre pays, qui progressivement [est] en train de le coloniser. Et le Front national s’honore d’avoir été la première formation […] à essayer d’avertir les Français de ce danger mortel.» Pour la seconde, datant de 2004, il a été définitivement condamné pour incitation à la haine raciale : «Quand je dis qu’avec 25 millions de musulmans chez nous, les Français raseront les murs, des gens dans la salle me disent non sans raison : "Mais monsieur [Le Pen], c’est déjà le cas maintenant !"»

    Le chercheur poursuit : «Mais je suis admiratif du soin que prennent la plupart des cours d’appel et la Cour de cassation pour équilibrer la protection de la liberté d’expression et la répression des discours de haine. Elles examinent le contexte du discours.» Celui qui a tenu le discours est-il un habitué de ce genre de propos ? Y avait-il une volonté de satire ? «On pourrait penser que l’humour est une protection, mais dans les faits, c’est rarement le cas.» Jean-Marie Le Pen a eu beau invoquer l’humour pour justifier sa sortie sur les Roms, il n’a pas convaincu. L’humour a «des limites et doit cesser là où commencent les atteintes au respect de la dignité de la personne et les attaques personnelles», avait également rappelé le tribunal correctionnel de Paris dans son jugement, en première instance.

    Reste la fine distinction entre incitation à la haine et discours plus théorique, même nauséabond. En 2008, la Cour de cassation a estimé que les propos de l’ex-député UMP Christian Vanneste visant les homosexuels «ne dépassaient pas les limites de la liberté d’expression», même s’ils avaient pu «heurter la sensibilité de certaines personnes homosexuelles». L’homme politique avait déclaré que l’homosexualité était une «menace pour la survie de l’humanité». «Je n’ai pas dit qu’elle était dangereuse, j’ai dit qu’elle était inférieure à l’hétérosexualité. Si on la poussait à l’universel, ce serait dangereux pour l’humanité», argumentait-il. «La Cour a estimé que c’était une position théorique, presque philosophique, pas un discours de haine», commente Gwénaële Calvès.

    «Dans un contexte de débat politique national, comme le mariage gay ou les débats sur l’immigration, il est arrivé que les cours estiment qu’il est d’autant plus important de protéger le droit à l’expression politique et qu’il est plus difficile de condamner des gens pour leur propos», ajoute Erik Bleich. Un discours de haine n’est pas un discours offensant.

    Sonya Faure
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