Une petite maison enfouie rue René-Cadou, à La Roche Blanche, près de Clermont-Ferrand. Un lieu, un nom, deux portes d'entrée dans le monde drolatique de Christian Moncelet, universitaire clermontois et comique de réputation.
Un lieu, d'abord : « Petit, j'ai été accueilli pendant un an à quelques maisons d'ici par un couple de paysans âgés et pieux qui avaient eu le malheur de perdre leurs trois enfants. Avant ces braves gens, j'ai passé un an dans une famille ouvrière clermontoise. Je me suis ensuite retrouvé à La Roche- Blanche parce que mes parents y possédaient depuis 1949 une grange. J'habite la bâtisse depuis 1966. Même si je marche moins aujourd'hui, j'aime cette vie au milieu des champs ».
Il n'était pas plus haut que les blés qu'il y courait avec la vitalité insouciante de l'enfance : « Jusqu'à l'âge de 6 ans, les s'urs de Saint-Vincent-de-Paul, à Lapeyrouse, près de Billom, se sont occupées de moi ».
Et, parce qu'il ne se faisait pas prier pour aller écouter l'harmonium, le petit Christian s'était vite attiré leurs bonnes grâces : « J'en garde un souvenir heureux. Les s'urs m'ont appris à lire et à écrire. Ce n'est qu'après avoir eu mes filles que j'ai mesuré la tristesse de mes parents de ne pas m'avoir à la maison ».
Les yeux s'embuent derrière les épaisses lunettes : « Mon père ne pouvait pas même me serrer dans ses bras. Il souffrait de la tuberculose. Comme ma mère Hélène, que tout le monde appelait Denise, il travaillait chez Michelin. Lui était breton, elle, auvergnate. Ils se sont rencontrés en 1942, à Alger, où la manufacture avait une usine. Je suis né là-bas, en 1944, un 29 février. Avec un anniversaire tous les quatre ans, c'est l'assurance de rester jeune, au moins dans sa tête ! J'avais deux ans et trois mois quand la famille est rentrée en métropole comme on disait alors. Mon père devait y subir une opération de la dernière chance. Il a survécu jusqu'à 67 ans avec un poumon et sept côtes en moins. À l'époque, donc, il n'était pas question qu'un enfant vive dans le foyer d'un tuberculeux. Autre conséquence de sa maladie, je suis fils unique ».
Déjà son perpétuel sourire revient : « Mais j'ai vu mon père heureux. Il aimait les contrepèteries et les jeux de mots. Il se plaisait à dire "Ça finit tout en "i" comme charrettes à bras". Et c'était un lecteur fidèle du Canard enchaîné. Je l'ai vu jouer du violon. Il avait appris au conservatoire de Nantes ».
Impasse« À 8 ans et demi, j'ai rejoint le foyer familial. Mes parents, un temps, ont pensé m'inscrire dans une école Michelin. Mon père me rêvait ingénieur chimiste. Ils m'ont finalement envoyé à Godefroy-de-Bouillon, de la septième à la philo. Je ne regrette pas mon imprégnation chrétienne, même si, plus tard, j'ai pris quelques distances avec l'Eglise. Godefroy était assez moderniste. Et un prof, André Catherinet, en seconde et en première, m'a initié à la littérature ».
Un nom, ensuite : « A Blaise-Pascal, en classe prépa, j'ai eu comme prof Georges Martin qui a réussi à faire donner le nom de Jean Giraudoux à la rue où il habitait à Clermont. À son exemple, j'habite rue René-Cadou, poète breton qui a occupé mes longues années de thèse d'État ».
Cette rue doit beaucoup à une impasse : « Pour préparer le concours de Normale sup' Saint-Cloud, on avait travaillé cinq des six auteurs au programme. » Délaissé, Blazac est tombé. Mais ce n'était pas les illusions perdues : « L'université si décriée n'est pas si mauvaise. À la fac de Clermont, j'ai, à 23 ans, à ma deuxième tentative, fini septième à l'agrégation de lettres modernes. J'y ai aussi rencontré ma femme Margot, longtemps enseignante. Nos trois filles assurent la relève. Professeurs des écoles, deux ont fait le choix des enfants, le parti du printemps. J'ai pris ma retraite de l'université en 2004 ».
Sa valise était prête depuis longtemps avec, pour plus beaux effets, des bons mots soigneusement rangés dans un bonheur anarchique. Elle avait déjà servi : « Je la promène depuis quarante ans. Mais ces dix dernières années, j'ai eu davantage l'occasion de l'ouvrir. Je parle de la valise ».
Entre les mursSeulement ? Ses boutades s'avèrent parfois cinglantes. « Avec l'art et la lanière, s'amuse-t-il. Le fouet, comme chez Boileau, est l'emblème de la satire. » On imagine facilement le linguiste André Martinet de la fine partie Ainsi adultes et enfants y trouvent-ils uniment leur conte : « Les mêmes bouquins à trois jours d'intervalle ont ému des classes de CE2 et des prisonniers de la centrale de Riom ».
Moment d'évasion entre les murs, sa valise a aussi pris les chemins de traverse : « Avec elle, j'ai fait un petit tour de France. Je suis allé au Luxembourg et en Angleterre. On m'avait proposé l'Égypte et le Maroc, mais j'ai la phobie de l'avion et du bateau. Avec le seul train, c'était aussi compliqué pour les colloques universitaires. Qu'importe ! "Avec les livres, on ne va pas loin, mais on va ailleurs". Giono, je crois, a dit quelque chose comme ça ».
Sa valise est maintenant trop lourde de souvenirs : « A 70 ans, je fatigue. Je me déplace moins. J'écris. J'en ai fini avec les médicalmants. Les 1.500 boîtes de 30 gélules avec, pour chacune, un message humoristique différent, soit 45.000 messages roulés avec ma femme, mes filles et les amis. Je me donne encore en spectacle pour les grands et les petits. Avec ma barbe et ma tête de vieux, je fais un Père Noël présentable ».
Jérôme Pilleyre
jerome.pilleyre@centrefrance.com
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