dimanche 17 janvier 2016

La Chine censure l'émission « Fort Boyard »

Fort Boyard saison 2012 au profit des enfants de la lune avec les consultants France télevision des Jeux Olympiques
Fort Boyard saison 2012 au profit des enfants de la lune avec les consultants France télevision des Jeux Olympiques ©
Villepreux

Article abonnés Considéré comme une émission de téléréalité, le programme aurait été censuré par les autorités chinoises. Et le tournage annulé à la dernière minute.

I

l avait été si longtemps attendu qu'il fut cet été fêté comme la vente des avions Rafale : le tournage d'un « Fort Boyard » à la sauce chinoise aurait sans doute pu rééquilibrer quelque peu la balance commerciale française. Ainsi, la production n'avait-elle pas envisagé, sourit-on, d'embaucher des nains par centaines, tandis que la dompteuse Félindra s'en irait illico capturer les derniers tigres du Bengale ? Patatras.

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À la dernière minute, alors qu'une trentaine de techniciens étaient déjà à la parade depuis le 24 août sur le fort, voilà que l'empire du milliard d'habitants leur fit le coup du lapin. Dans un courriel interne, Pierre Godde, le coproducteur français, avança aussitôt une étrange explication : « Après une semaine de soubresauts […], des événements récents et des rumeurs au niveau de la censure chinoise ont mis le doute à la chaîne qui devait diffuser “Fort Boyard”. »

206 téléréalités en Chine

Non que la dévaluation du yuan rende soudainement inabordable le contrat signé en boyards, mais il semble bel et bien que le régime ait jugé ce bon vieux jeu des familles trop subversif pour l'âme vulnérable de son petit peuple téléspectateur.

« Après une libéralisation qui a vu naître 4 000 chaînes chinoises, la censure veut remettre de l'ordre dans les programmes, notamment dans les 206 émissions de téléréalité », poursuit le producteur, visiblement accablé par ces chiffres inouïs.

Sauver les valeurs socialistes

Car, si la Chine défie certes les lois de la statistique, comment diable imaginer un programme télé plus épais encore que la carte d'un restaurant asiatique ? « N'oubliez pas qu'il y a là 23 % de l'humanité… et plus de 450 millions de téléviseurs », explique Éric Meyer, correspondant de « Sud Ouest » à Pékin.

« Et même si Internet est sous contrôle, d'innombrables petites chaînes voient le jour sur la Toile, parfois avec seulement une dizaine de personnes piratant dans leur coin des formats occidentaux ou coréens. » Une « jungle » que décrit Émilie, autre expatriée.

«Étourdissant. Des talk-shows gueulards et des téléréalités où les gens règlent en boucle leurs comptes. » Pêle-mêle, citons aussi des concours de chant par dizaines, une émission où l'on habille de force des chimpanzés, ou bien ces jeux matrimoniaux explosant chaque après-midi l'Audimat. « Des sortes de “Tournez manège” qui forment à la chaîne des couples aussi timides que mal assortis. »

Mais la guimauve tourne parfois au vinaigre dissident, fâchant alors tout rouge les cadres du Parti. Ainsi de cette insouciante candidate de « Feicheng wurao » (« Ne me dérange pas si tu n'es pas sincère ») jurant - devant 60 millions de télécompatriotes - préférer « pleurer dans une BMW que rire à l'arrière d'une bicyclette », avant d'ajouter qu'il faudrait la payer 20 000 yuans pour prendre sa main. Que n'avait-elle pas dit ! Pis que si elle avait proposé la botte au président Xi Jinping, la catherinette aurait ainsi mérité d'apparaître en guest star dans une autre émission littéralement mortelle - « Interviews avant exécution » -, où, entre 2007 et 2012, l'animatrice vedette s'en allait prendre le pouls des condamnés dans le couloir de la mort.

Lassés de voir ces émissions plus populaires encore que leur république, les dirigeants viennent donc de taper du poing sur la table basse du salon. « Les reality-shows doivent maintenir les valeurs fondamentales socialistes et repousser la vulgarité, la vanité et le culte de l'argent », prévient une circulaire de la radio-télévision publique.

Question téléréalité, avouons pourtant que le père Fouras n'aura guère repoussé les limites du genre lascif, pas plus que celles du capitalisme bling-bling. Victime collatérale, le jeu made in France paie sans doute le renforcement d'un système de quotas jusqu'ici aussi efficace qu'une passoire à thé. Hypocrite façon de sauver les apparences culturelles, diront certains, tant le casting du grand (James) bond en avant n'affiche plus désormais que des acteurs étrangers.

La faute à Passe-Muraille ?

À moins qu'il ne faille enfin deviner derrière notre vieux divertissement du samedi soir quelque satire cachée du communisme. Après tout, le nain vedette du fort ne s'appelle-t-il pas Passe-Muraille ? « Rien qu'un problème de visa, une tracasserie administrative qui sera oubliée en 2016 », jurait-on cette semaine dans les couloirs parisiens d'Adventure Line Productions. Alors tant mieux, puisque, si la Chine a failli être le 32e pays à diffuser « Fort Boyard », seuls le Maroc et la Suède en furent cette année clients.

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