Point de vue. Satire et information : la confusion des genres

  • Jean-Michel Djian
    Jean-Michel Djian | DR

Par Jean-Michel Djian, professeur associé à l'Université de Paris 8 (1)

Les jeunes sont si peu nombreux à lire la presse satirique de haut vol, comme Charlie Hebdo, que les meurtres perpétrés à l'endroit de ses dessinateurs le 7 janvier ont sonné comme un révélateur.

Pour des millions d'adolescents, Charlie Hebdo était jusqu'alors un journal de « vieux », comme l'est dans une moindre mesure Le Canard enchaîné ou l'était Hara-kiri ; une presse marginale condamnée à s'éteindre en même temps que ses fidèles lecteurs.

Faut-il rappeler que, jusqu'en 2014, l'hebdomadaire de Cabu, Charb et Wolinski ne tirait qu'à 20 000 exemplaires et que la question de sa survie se posait depuis plusieurs années ?

Ce faible intérêt de la part des lecteurs peut s'expliquer. Pour beaucoup de citoyens, jeunes et moins jeunes, l'anathème et le blasphème ne sont pas considérés comme des pratiques légitimes relevant de la presse d'information.

Ils ont oublié que la Révolution française est passée par là et que la presse papier, la première, trouva à fidéliser un lectorat capable de faire du dessin humoristique un vecteur critique de la vie politique et sociale.

Y aurait-il, aujourd'hui, un manque d'intérêt des jeunes pour la satire ? Rien n'est moins sûr. Il suffit de constater la montée en puissance de la BD, l'aura du festival d'Angoulême ou celui de Quai des Bulles à Saint-Malo pour découvrir que la satire s'est trouvé un autre support.

Hier, c'était la presse écrite d'information qui captait les meilleures plumes provocatrices, les meilleurs caricaturistes. Aujourd'hui, elle conserve de grands talents, mais ce sont les albums et les blogs qui focalisent l'intérêt des lycéens, pas les magazines.

L'exemple de Profs est à cet égard intéressant. Voilà une série de planches humoristiques qui fut d'abord publiée dans le plus ancien magazine de jeunesse, Le Journal de Mickey, qui vient de fêter ses 80 ans. Les auteurs de la série, Pica et Erroc, décidèrent, au début des années 2000, d'en sortir pour en faire des albums. Et ça marche.

« Reste l'esprit critique appris à l'école »

On assiste à une métamorphose de la presse satirique en objet esthétique qui dépasse le seul produit d'information qu'elle était. Cette évolution va de pair avec la déconsidération du politique qui ne trouve plus grâce aux yeux des nouvelles générations, sauf à la télé, qui en fait son plat quotidien. Les Guignols sur Canal + en sont, à cet égard, aujourd'hui encore, la meilleure illustration.

La question se pose donc de savoir si cette forme de satire télévisuelle relève de l'information ou non ? Car, dans l'esprit des jeunes téléspectateurs, la frontière entre divertissement et information n'existe plus. Nous sommes en face d'un phénomène nouveau où les caricatures de la société qui en sont faites par les médias se noient dans un océan d'information.

La satire, l'humour, l'expertise et l'événement se confondent. Reste l'esprit critique, seul moyen de prendre de la distance et de la hauteur, c'est selon. Et c'est à l'école qu'il s'apprend, et nulle part ailleurs.

(1) auteur de Solitudes du pouvoir (Grasset).