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    La «Real Life» des jeux vidéo

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    A Hong Kong le 17 septembre 2013, pour le lancement du fameux jeux «GTA V».
    A Hong Kong le 17 septembre 2013, pour le lancement du fameux jeux «GTA V». Photo Philippe Lopez. AFP

    Loin de leur image virtuelle, les entreprises du secteur sont énergivores, accélèrent l’obsolescence informatique et délocalisent sans transfert de compétences. Une industrie comme une autre ?

    Malgré leur image ludique et éthérée, les jeux vidéo, parce qu’ils sont une industrie, ont des effets concrets sur les territoires.

    Les pourfendeurs des jeux vidéo «sont des gens qui se trompent de colère». Le problème des jeux vidéo, ce n’est pas d’être une industrie culturelle différente : les nouveaux médias, de la presse satirique à la radio, ont toujours été accusés de pervertir la jeunesse et d’endoctriner les foules, la BD comme le cinéma ont toujours flirté avec la violence et le sexe dans l’espoir d’accroître leurs revenus. Le problème des jeux vidéo, c’est d’être une industrie comme les autres, prise dans les contradictions du capitalisme néolibéral.

    Economie numérique versus changement climatique

    Les jeux vidéo sont le principal moteur de la course à la puissance de calcul et au renouvellement rapide du matériel informatique chez les particuliers. Jouer aux derniers jeux, c’est aussi acheter les nouvelles machines, toujours plus gourmandes : le Commodore des années 80 avait besoin de 4 W, mais il faut 350 W à 700 W aux machines supportant les derniers jeux. Les jeux sont parmi les principaux «obésiciels» qui ont divisé par deux la durée de vie du matériel informatique au cours des vingt-cinq dernières années. Les matériels obsolètes, souvent en état de marche, sont dépecés à l’étranger (42 milliards de kilos de déchets électroniques exportés en Inde et en Chine en 2014) avec de graves effets sur l’environnement.

    Quant aux supercalculateurs des entreprises, on peut se demander si leurs logiciels de spéculation boursière ou d’estimation des pollutions ne sont pas en fait des jeux vidéo déconnectés de la réalité. Ce qui ne les empêche pas d’avoir eux aussi des effets délétères sur les territoires, de la crise financière au dernier scandale chez Volkswagen.

    Loin de l’image d’une économie «virtuelle», les atteintes environnementales se sont accrues avec le développement du jeu en ligne et la politique de suivi en continu des activités des joueurs sur les serveurs des éditeurs. Ces pratiques font de l’industrie du jeu vidéo un gros consommateur de data centers, ces forteresses de l’information très énergivores (l’équivalent de la moitié des émissions françaises de gaz à effet de serre en 2014), mais aussi des données de leurs clients, ce qui renvoie aux débats en cours sur le stockage et l’exploitation des données.

    Imaginaire de l’innovation versus division internationale du travail

    Games of Empire (2009) a esquissé la place du jeu vidéo dans la division internationale du travail. Les industries de l’innovation numérique ont participé à la régénération des centres-villes. Avec une belle mise en abyme à Manhattan, où Rockstar a bénéficié d’aides publiques pour s’implanter sur Broadway en 1998. Il y a produit Liberty City pour sa série phare GTA (2008), une mise en scène très sombre du New York d’avant cette revitalisation par les industries culturelles. Le maire a alors dénoncé l’atteinte à l’image de la ville et a demandé le remboursement des subventions. A Montréal, les friches industrielles du boulevard Saint-Laurent ont accueilli la plus grande concentration du secteur : 8 000 employés, dont le plus gros studio d’Ubisoft, avec 3 000 employés (contre 50 lors de son implantation en 1997). En 2014, Activision a interdit la revente hors du jeu des ressources collectées dans son Diablo 3. Cette pratique avait conduit à l’émergence des gold farmers, qui moissonnent les ressources dans les jeux jusqu’à douze heures par jour. Ces forçats du numérique sont souvent des migrants ruraux expropriés pour la construction de gigantesques usines d’électronique. C’est, en particulier, dans le delta de la rivière des Perles que le jeu vidéo a ainsi participé à la mutation des campagnes chinoises.

    Avec la maturation de l’industrie, les tâches les plus répétitives et les moins créatives ont été délocalisées vers l’Europe orientale et l’Asie, produisant une migration de cadres pour aller superviser les équipes locales, souvent écartées de l’innovation, un processus bien illustré dans la BD Pyongyang (2003). Ces migrations, inverses à celles qui sont médiatisées en Europe, sont de nature à générer de profonds ressentiments.

    Capitalisme cognitif versus optimisation fiscale

    Cette maturation de l’industrie du jeu vidéo conduit aussi à la prédation de la valeur ajoutée par les centres de décision occidentaux. Le jeu vidéo a donc des effets ambivalents sur le développement, avec des délocalisations sans transferts de compétences, une valeur ajoutée exfiltrée vers les paradis fiscaux, mais aussi des exonérations et subventions au nom de la création et de l’exception culturelle.

    C’est en accordant un crédit d’impôt de 37,5 % sur la masse salariale et diverses subventions que Montréal est devenue la capitale du jeu vidéo. Cette année, Ubisoft Montréal a reçu 65 millions de dollars de crédits d’impôts en plus d’une subvention de 15 millions de dollars (soit plus de 25 000 dollars d’argent public par salarié, presque comme si tous les salariés d’Ubisoft France bénéficiaient d’un contrat aidé). Certains acteurs combinent même subventions publiques et optimisation fiscale. Activision Blizzard, alors propriété du groupe Vivendi, n’a payé que 65 000 euros d’impôts en France en 2011 après y avoir vendu plus de 2 millions de jeux et, l’année dernière, à peine 40 millions de dollars aux Etats-Unis, soit moins de 5 % de ses bénéfices. Au risque que les pratiques de l’industrie finissent par être décriées comme aussi prédatrices des ressources publiques que de l’environnement, voire comme néocoloniales dans les pays émergents.

    Le «low tech» comme réponse ?

    La vogue actuelle pour les jeux mobiles simples et frugaux ou le retrogaming, cet attachement aux anciens jeux souvent rudimentaires, fait penser que le low tech pourrait apparaître comme la seule réponse à ces contradictions. Alors à quand des jeux «équitables», «circuit court» ou «basse consommation» ? Au seuil de la COP 21, s’ils veulent continuer d’apparaître comme des vendeurs de rêves, les acteurs du jeu vidéo ont intérêt à s’interroger sur leurs pratiques prédatrices des territoires.

    Samuel Rufat Géographe, master géomatique, université de Cergy-Pontoise
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