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« Les Guignols » craignent de disparaître sous Bolloré

Le Monde | • Mis à jour le | Par

« Les Guignols de l’info » peuvent-ils disparaître de l’antenne de Canal+, sur laquelle ils apparaissent chaque jour depuis 1988 ? Si elle n’est pas confirmée, cette perspective ne semble pas exclue. Une vive inquiétude est en tout cas montée, depuis quelques jours, au sein de l’équipe qui anime l’émission satirique : « Beaucoup ne pouvaient y croire hier mais@LesGuignols sont sur le point de disparaître. Aidez-nous ! #Touchepasauxguignols », a ainsi tweeté, jeudi 2 juillet, l’un des auteurs, Benjamin Morgaine. Le mot-clé de la mobilisation a rapidement été repris des milliers de fois sur le réseau social et une pétition en ligne lancée.

Contacté par Le Monde, un membre de l’équipe assure : « Vincent Bolloré [le président du conseil de surveillance de Vivendi, propriétaire de Canal+] veut se débarrasser de nous. Mais ce n’est pas encore fait, cela va se décider dans les jours à venir. La direction de la chaîne est opposée à cette décision incompréhensible en termes de communication, de ligne éditoriale et même d’audience. »

« Aucun commentaire sur des rumeurs »

Plusieurs articles de presse, de Puremédias, puis de Metronews et des Inrocks, ont relayé cette version. Mais l’ancien des « Guignols » Bruno Gaccio nuance sur Twitter : « Rien n’a été annoncé aux “Guignols” encore. Donc, c’est une envie, pas un fait. » Un membre de l’équipe évoque l’hypothèse d’un passage de l’émission en hebdomadaire, le dimanche, « mais cela équivaudrait à nous tuer à petit feu », juge-t-il.

Contacté, Vivendi ne confirme ni ne dément et « ne fait aucun commentaire sur des rumeurs ». Mais le groupe est entré dans une phase de réflexion sur la relance de Canal+, dont la dynamique n’est pas jugée satisfaisante, ce qui inclut de s’interroger sur l’avenir des « Guignols », entre autres. La direction de Canal+ ne s’exprime pas plus et évoque, elle aussi, des « rumeurs » autour du sort des marionnettes. Jeudi matin, le compte Twitter @CanalSat a démenti l’arrêt de l’émission, avant de se reprendre pour communiquer sur le thème « nous n’avons pas d’information ».

Les fins de saison, périodes de renégociation des contrats des émissions, sont toujours des moments propices aux doutes. Et l’arrivée d’un nouvel homme fort dans le groupe, comme Vincent Bolloré à la tête de Vivendi, nourrit les spéculations.

« Un peu trop de dérision » selon Bolloré

Dans le cas des « Guignols », l’inquiétude procède aussi des déclarations qu’a faites M. Bolloré sur « l’esprit Canal+ » : « C’est un esprit de découverte, d’ouverture, d’initiative », a-t-il décrit sur France Inter le 12 février, avant de déplorer : « Parfois, un peu trop de dérision ». « Je préfère quand ils sont plus dans la découverte que dans la dérision. Parce que parfois, c’est un peu blessant ou désagréable, avait-il dit des “Guignols” eux-mêmes. Je trouve que se moquer de soi-même, c’est bien. Se moquer des autres, c’est moins bien. »

« Les Guignols » n’avaient pas manqué, le soir même, de produire en plateau la marionnette du « nouveau patron », interrogé par celle du présentateur « PPD » sur la notion de « dérision acceptable ».

Lors de l’assemblée générale des actionnaires de Vivendi, le 17 avril, M. Bolloré avait été interrogé, par un petit actionnaire, sur la ligne éditoriale et politique des chaînes du groupe, qui critiquent son « ancien ami Nicolas Sarkozy » et « stigmatisent un quart des Français ». Il avait botté en touche en renvoyant la question à Bertrand Méheut, le patron de Canal+, qui avait rappelé que la chaîne critique tous les partis. « Tout le monde considère que Canal est souvent dans la caricature et souvent excessive, cela fait partie de notre ligne », avait-il assumé.

La marionnette fait par les Guignols de l'info de Vincent Bolloré , président du conseil de surveillance de Vivendi, groupe auquel appartient Canal +.

Symbolique et politique

La personnalité de M. Bolloré, homme d’affaires volontariste, connu pour souvent décider seul, ami de M. Sarkozy auquel il avait prêté son yacht en 2007, renforce la mobilisation autour de l’émission, érigée en emblème. « S’ils suppriment “Les Guignols” la semaine de la mort d’Alain de Greef, c’est énorme comme symbole », s’inquiète une source au « Grand Journal », en référence à l’artisan de « l’esprit Canal », disparu lundi 29 juin. « Sur le fond, s’en prendre aux derniers qui font de la satire à la télévision, l’année des attentats contre Charlie Hebdo, ce serait assez étonnant, ajoute-t-il. Si c’est vrai, à côté de cela, l’époque Jean-Marie Messier, c’est de la rigolade. Le groupe enterrerait le dernier symbole du Canal historique. »

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Jeudi matin, plusieurs personnalités politiques ont décidé d’entrer dans le feuilleton : « Soutien aux #Guignols de l’Info contre la censure de #Bolloré, l’ami de #Hollande », a tweeté Jean-Luc Mélenchon. « Dans tous les cas, il faut sauver [Les Guignols], ce côté acide aère l’actualité », a réagi le socialiste Claude Bartolone sur France Info. « C’est qui le bol… os qui veut arrêter@LesGuignols ? Un actionnaire qui n’aime pas l’ironie… pas rassurant », a lancé l’écologiste Cécile Duflot.

« Le Grand Journal » en chantier

Les tensions autour des « Guignols » interviennent alors que « Le Grand journal », l’émission phare de la chaîne dont ils sont un des temps forts, fait l’objet d’intenses réflexions. Son maintien ne semble pas en cause mais les spéculations vont loin : une source interne s’inquiète de l’avenir de Renaud Le Van Kim, le réalisateur historique, dans le nouveau Canal+ de Bolloré. Mais sa société productrice, KM, a déjà resigné avec la chaîne pour la saison prochaine, tout comme Antoine de Caunes, qui présente l’émission.

L’érosion de l’audience du « Grand journal » est une réalité depuis deux saisons, sur fond de vieillissement du concept et de concurrence accrue des chaînes de la TNT, notamment de l’émission de Cyril Hanouna sur D8 (également propriété de Canal+). Cette saison, l’émission est passée sous la barre des 900 000 téléspectateurs. Une baisse qui n’a pas touché les « Guignols », dont la courbe d’audience reste stable et qui pèsent environ 30 % de l’audience de la tranche.

La semaine dernière, la chaîne a confirmé que les deux chroniqueurs politiques Natacha Polony et Jean-Michel Aphatie ne seraient pas présents sur le plateau la saison prochaine et que « Le Grand Journal » démarrerait plus tôt en absorbant « Le Before », l’émission qui le précède. Des noms de nouveaux arrivants possibles ont été évoqués, comme Laurence Ferrari et Maïtena Biraben, actuelle figure du « Supplément », une autre émission de Canal+. Selon nos informations, confirmant celles des Puremédias, cette dernière figure bien parmi les hypothèses de travail.

Canal+ ne peut plus ignorer Vivendi

Mais qui conduit ces réflexions ? La rumeur prête à Vincent Bolloré une activité intense en la matière. Certains affirment qu’il contacterait lui-même des membres d’équipes ou des présentateurs, ce que Le Monde n’a pu avérer. De son côté, le producteur du « Grand Journal », Renaud Le Van Kim, mène également une réflexion avec ses équipes.

Celle-ci a lieu sur fond de concurrence avec « Le Petit Journal » de Yann Barthès, produit par Laurent Bon – par ailleurs producteur de Mme Biraben. La rivalité entre les deux sociétés de production est vive et on prête au duo Barthès-Bon l’ambition de devenir le centre de gravité de toute la tranche horaire. Mais leur demande d’obtenir sept minutes de plus la saison prochaine a été retoquée, selon nos informations.

Une chose est sûre, Canal+ avait pris l’habitude de vivre sans se préoccuper beaucoup de Vivendi, avec une direction forte incarnée par le tandem Bertrand Méheut et Rodolphe Belmer. La rumeur du départ de ce dernier est récurrente. La semaine dernière, plusieurs médias se sont aussi fait l’écho d’un possible départ de M. Méheut. Autant de rumeurs démenties par la chaîne.

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