Dominique Strauss-Kahn quitte son hôtel à Lille, le 11 février 2015.
Dominique Strauss-Kahn quitte son hôtel à Lille, le 11 février 2015. - PHILIPPE HUGUEN / AFP

Vincent Vantighem

De notre envoyé spécial à Lille (Nord)

La langue de Molière possède cette richesse qui permet de tourner indéfiniment autour du pot sans jamais le nommer. Une prostituée peut devenir «une libertine rémunérée». Une «partouze», une «soupape de respiration». Quant à la pénétration anale, elle peut-être au choix une «pratique minoritaire» ou un «acte contre nature». C’est tout le problème de Dominique Strauss-Kahn qui a comparu, mercredi, devant le tribunal correctionnel de Lille (Nord) dans le cadre du procès du Carlton.

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Accusé comme les treize autres prévenus de «proxénétisme aggravé», l’ancien patron du Fonds monétaire international (FMI) s’est demandé, mercredi à la barre, s’il n’était finalement pas jugé pour ses goûts en matière de sexe. «Je commence à en avoir assez de vos questions, a-t-il lâché quittant la placidité qu’il affichait jusqu’alors. Je ne suis pas renvoyé pour "comportements sexuels dévoyés". Alors pourquoi revenir sempiternellement sur mes pratiques sexuelles?»

«Aucun autre client n’a jamais osé me faire ça»

Parce que c’est le seul moyen pour le tribunal de découvrir enfin si DSK a «aidé», «assisté» ou «protégé la prostitution d’autrui». Encore faut-il savoir ce qu’il s’est passé. Voilà donc Jade* qui s’avance à la barre. Elle évoque une soirée dans un club de la campagne belge où les corps s’entremêlent. Dégoûtée, elle refuse de prendre part aux ébats. Mais pour «mériter» son salaire de 500 euros, elle raccompagne DSK à son hôtel de Bruxelles. Le patron du FMI a justement une conférence à donner le lendemain.

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Avant ça, Jade se retrouve dans sa chambre. «Cette soirée a duré beaucoup trop longtemps, raconte-t-elle entre deux sanglots. C’est difficile de raconter. Il y a eu un moment plus que désagréable quand j'ai tourné le dos à M. Strauss-Kahn. J'ai subi une pénétration qui ne m'a pas été demandée. A laquelle j'aurais dit non parce que je ne veux pas de ça... Aucun autre client n'a jamais osé me faire ça...»

Des prostituées comme des poissons volants

L’ancien favori des sondages en vue de la présidentielle de 2012 a abandonné depuis longtemps l’idée de conserver ce qui lui restait de réputation. Alors, il réagit. Il consent avoir une «sexualité un peu plus rude que la normale», présente ses «excuses» à Jade mais ne lâche rien sur le fond. «Cette pratique peut ne pas plaire à Jade. Mais elle n’implique en rien la présence de prostituées…»

Le tribunal ne peut qu’acter. Le parquet -qui avait requis un non-lieu lors de l’enquête- ne pose aucune question. Seul l’avocat d’une association de défense des prostituées tente, hasardeusement, de franchir l’obstacle par une autre face. «Vous connaissez bien les clubs libertins, il y a parfois des prostituées…», tente-t-il. Passé en deux jours de consultant international en économie à expert du libertinage, DSK le ridiculise d’un bon mot. «Oui, il y en a sans doute. Mais vous savez, c’est comme les poissons volants. Ca existe, mais ce n’est pas courant.»

«Des demandes qui peuvent choquer»

Le président du tribunal, Bernard Lemaire, n’est pas du genre à rechigner à l’ouvrage. Constatant l’échec, il replonge dans le dossier, tout en dénouant les fils du réseau, tente d’accrocher la vedette de ce procès. Il parle de Marion* qui a renoncé à porter plainte après avoir évoqué des faits de «viol» à Washington (Etats-Unis).

Il passe à Estelle* qui précise que les «demandes sexuelles de DSK peuvent choquer les novices». Mais toutes confirment que le secret de leur «vrai métier» était bien gardé. Bras croisés, jambes tendues, Dominique Strauss-Kahn reprend sa position favorite. Ecoutant d’une oreille, il remonte ses chaussettes et sort son téléphone de sa poche. A cet instant, il doit se dire qu’il pourrait être en train de régler une crise économique mondiale.

*A la demande de leurs avocats, les prénoms des prostituées ont été changés.