"Votre femme dit que vous l'enfermez sur le balcon pour la punir de fumer" Un homme nie les violences dénoncées par sa femme et prétend que les nombreuses plaies constatées sur son corps proviennent de sa pratique du judo... Un homme soupçonné de frapper son épouse est jugé par le tribunal correctionnel de Paris. Un homme soupçonné de frapper son épouse est jugé par le tribunal correctionnel de Paris. © AFP/ JOEL SAGET Il a suffi d'une cigarette, allumée au mauvais moment et au mauvais endroit, devenue l'étincelle fatale de l'incendie conjugal. De ces violences narrées par la présidente du tribunal correctionnel devant un public songeur. La plaignante, une infirmière en milieu hospitalier, mère de deux enfants, a déposé quatre plaintes en l'espace d'un an, dont une retirée in extremis, suivies d'une journée d'ITT à chaque fois. La scène la plus violente est celle de cette soirée d'été durant laquelle son mari n'a pas supporté qu'elle aille fumer sur le bacon. À moins qu'il n'ait pas toléré qu'elle lui résiste… Le ton est monté. Il lui a tiré les cheveux, l'a bousculée, a pris sa tête pour la cogner sur le rebord du lit, a plaqué sa main sur sa bouche pour l'empêcher de crier… "Je ne frappe pas les femmes, c'est trop lâche, dément cet homme de 45 ans qui travaille comme chauffeur poids lourd. - Et les marques sur la jambe, comment les expliquez-vous ? s'étonne la présidente - Elle pratique le judo, répond le prévenu - Ce qui explique, d'après vous, les bleus, l'abrasion cutanée, les griffures au cou, la plaie à la clavicule et l'ecchymose au poignet gauche ? - Je ne sais pas, hésite l'homme, qui pratique par ailleurs la boxe à un haut niveau. - Lorsque vous lui retirez la cigarette de force, vous avez pu lui attraper le poignet ? soupçonne la présidente - Non, Madame ! - Peut-être n'avez-vous pas fait exprès ? Pensez-vous que c'est une bonne méthode d'essayer de lui arracher la cigarette des mains ? insiste la magistrate - Je ne veux pas qu'elle fume en présence des enfants ! je veux protéger leur santé, réplique le prévenu sur un ton péremptoire, presque agacé. - Votre femme indique que vous l'enfermez sur le balcon pour la punir de fumer ? - C'est pour éviter que mon fils la suive, je ne veux pas qu'il aille sur le balcon, c'est dangereux… - C'est quand même une bien étrange méthode, commente la magistrate. Le père de la victime dit que vous la rabaissez devant vos enfants, que vous crachez sur elle, poursuit-elle - Il ment ! Je la respecte ! c'est ma femme ! - Il a aussi indiqué que vous avez dit aux enfants que leur mère était une pute ? - Je parlais de la façon dont elle portait un sac, un jour, j'ai dit qu'elle le faisait comme une pute… - Admettez-vous que vous vous disputez souvent ? - Peut-être, mais on n'est pas en conflit", assure le prévenu sur un ton toujours aussi déterminé. La présidente mentionne le témoignage d'une voisine entendue dans le cadre de l'enquête de voisinage. "Elle dit qu'elle entend beaucoup de cris, dont ceux d'une petite fille qui ditarrête, papa ! - Dans l'immeuble, tout le monde entend tout le monde, acquiesce l'homme naïvement. - Donc vous êtes d'accord avec elle ? rebondit la juge. - On entend aussi le fils de la voisine ! persiste maladroitement le prévenu. - Vous répondez à côté, Monsieur ! se fâche la présidente. - On parle à haute voix, mais ce ne sont pas des cris", insiste l'homme. La magistrate change de registre : "La gardienne de l'immeuble dit que c'est votre femme qui paye le loyer de l'appartement, et qu'elle la voit souvent pleurer. - Je participe au bail, réfute le prévenu. - Comment voyez-vous l'avenir ? demande la juge. - Je suis triste pour mes enfants… La présidente répète la question. "J'aimerais divorcer, murmure l'homme, mais…. - Mais ? Vous en êtes sûr ? - Oui ! se ressaisit l'homme, je ne peux pas vivre avec une femme qui ment comme ça ! La confiance est partie, Madame la Présidente…" "Il y avait 10 oiseaux dans cet appartement confiné" Place à l'audition de la plaignante, une femme grande et mince, sobrement vêtue et paraissant sur la réserve. D'une voix calme et posée, elle explique que son mari, placé sous contrôle judiciaire depuis deux mois avec interdiction de la contacter, n'a eu de cesse de la harceler, de l'appeler en "numéro masqué, parfois à 1 heure du matin", et qu'elle a déposé une nouvelle plainte pour ces faits. "C'est elle qui m'appelle en numéro masqué !" interrompt le prévenu. "Je l'ai aussi croisé une fois, il a un regard qui m'a glacé le sang… j'ai eu peur. (…) Je ne vois pas d'avenir avec lui", confesse la plaignante. Et son avocate de préciser qu'elle a engagé une procédure de divorce. "Il était très attentionné lorsqu'ils se sont rencontrés, puis il est devenu moins aimable après le mariage, et la relation s'est dégradée après le premier enfant, relate-t-elle. En fait, il était ivre de rage d'avoir une fille. (…) Ma cliente espérait qu'il changerait. Le deuxième enfant et né, puis le troisième… Il a commencé à la frapper, les disputes se sont multipliées. En réalité, il veut une épouse soumise. (…) Il l'humilie devant les enfants et il continue à la persécuter alors qu'il est sous contrôle judiciaire. Et à cette audience, il est dans la dénégation totale : tout le monde ment sauf lui !" s'exclame la juriste. Et de relever ce détail disgracieux sur le tableau du dossier : "Il y avait 10 oiseaux dans cet appartement confiné, avec les risques de maladies de peau et d'allergies, voilà ce qu'il lui fait subir depuis des années ! (…) Le médecin a évalué le retentissement psychologique à 20 jours. Ce n'est pas banal !" note l'avocate, avant de demander au tribunal de "protéger sa cliente contre ces comportements odieux et inacceptables", outre 4 000 euros d'indemnités au titre du préjudice moral. "Ma cliente est adulée par ses collègues de travail, pour sa dignité et son courage", conclut-elle. "Se disputer n'est pas une infraction pénale !" La procureur se lève, retroussant jusqu'aux épaules les larges manches de sa robe. "On est face à un homme violent et à un couple qui ne s'entend plus. (…) Et Madame G a peur : la preuve, elle a retiré sa précédente plainte. Lui est dans l'évitement et ne cesse de la culpabiliser. Il continue de jouer les victimes à l'audience. (…) Il exerce des pressions psychologiques sur elle, et d'ailleurs, elle a déjà déposé une plainte pour menaces de mort. (…) Je rappelle que le fait de la ceinturer est un acte de violence réprimé par la loi", relève la représentante du ministère public. Elle sollicite douze mois de prison assortis d'une mise à l'épreuve (SME). "J'ai eu l'impression d'être à une audience du juge aux affaires familiales !" accuse l'avocate de la défense, qui, comme il est d'usage dans les affaires de violences sur fond de tragédie conjugale, déporte l'attention sur le terrain des sentiments. "On peut comprendre qu'elle est malheureuse dans son couple et, dans ce cas, il faut en tirer les conséquences et divorcer", plaide-t-elle. Et d'épingler les différences entre les blessures constatées sur le corps de la plaignante et la scène de violence relatée par cette dernière. "Madame dit qu'il lui a donné un coup à la tête, or le médecin ne constate rien à ce niveau", souligne-t-elle. Un récit d'autant plus sujet à caution que les enfants n'ont pas été entendus dans le cadre de l'enquête, regrette l'avocate. Celle-ci nuance par ailleurs la portée du témoignage de la voisine : "Le fait d'entendre un voisin crier ne signifie pas qu'il frappe ! Et se disputer n'est pas une infraction pénale !" Pour finir, elle fait observer que le prévenu a un casier judiciaire vierge et un titre de séjour en règle. "J'ai toujours aimé ma femme, je participe à l'éducation de mes enfants, je ne comprends pas pourquoi je suis là", dira l'homme en dernier. Il sera condamné à six mois de prison assortis d'une mise à l'épreuve lui interdisant de contacter la victime pendant deux ans. Il devra par ailleurs l'indemniser à hauteur de 1 000 euros et justifier d'un domicile.