Immigration et diversité

Droit d’asile : le rapport de la Cour des comptes fait polémique

Le Monde | • Mis à jour le | Par

Des réfugiés soudanais à Calais l'automne 2014.

La discussion sur le projet de loi redessinant les contours de l’octroi de l’asile en France s’annonce houleuse au Sénat, où elle commence mercredi en commission. Alors que l’Assemblée nationale avait adouci certains points du projet gouvernemental, lors de la discussion de décembre 2014, 300 pages d’amendements proposés par les sénateurs viennent durcir considérablement les conditions d’octroi de la protection de la France.

Lundi, comme un avant-goût des discussions, la Cour des comptes a ouvert la polémique. Un rapport des magistrats de la rue Cambon, intitulé « Laccueil et l’hébergement des demandeurs d’asile », s’est invité lundi, avec une série de propositions jugées provocatrices par les associations. Ces 113 pages, rendues publiques par Le Figaro, mettent en cause la politique menée depuis des décennies en matière de protection des personnes persécutées, ne la jugeant « pas soutenable à court terme », et instillent un doute sur les effets de la réforme à venir.

Les associations estiment pour leur part que cette « vision purement comptable de l’asile est dangereuse, alors qu’on parle de protéger ou non la vie de civils innocents qui ont dû fuir leur pays ». Pour Eve Shahshahani, la responsable asile de l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT), « protéger des vies a un prix, cela vaut pour les services des urgences des hôpitaux comme pour les demandes d’asile ». Les associations crient à la « caricature dans un dossier qui est difficile », à l’instar de Pierre Henry, le directeur de France terre d’asile. De son côté, le ministère de l’intérieur tente de calmer le jeu en se concentrant sur les chiffres. La Place Beauvau réfute ainsi l’idée avancée par les magistrats que l’asile coûterait 2 milliards d’euros au pays, et rappelle que le budget du ministère pour ce poste est d’« un peu moins de 600 millions d’euros en loi de finances ».

« Hypocrisie de notre système »

Le vrai point d’achoppement reste la gestion des refusés de l’asile. « In fine, note le rapport, 75 % des demandes d’asile sont rejetées annuellement en moyenne. (…) Malgré l’obligation de quitter le territoire français qui leur est notifiée, seul 1 % des déboutés sont effectivement éloignés. » Le rapport, qui ajoute que cette politique « est devenue la principale source d’arrivée d’immigrants clandestins en France », préconise d’« exécuter les obligations de quitter le territoire ». Il propose même que le « placement en rétention administrative », ces prisons pour étrangers, soit « étudié » (en oubliant d’en mesurer le coût).

Sur ce point, la Cimade, un des grands services de soutien aux étrangers, s’insurge contre ce simplisme. Elle a calculé qu’en moyenne ce ne sont pas 1 %, mais 10 % des déboutés qui sont renvoyés. Et s’interroge par la voix de sa présidente, Geneviève Jacques : « Faut-il renvoyer vers les pays qui torturent, au mépris des droits de l’homme ? ». « Ce rapport oublie en effet ceux à qui on refuse le droit d’asile, mais qu’on ne peut pas renvoyer dans un pays où leur vie est en danger… et que l’hypocrisie de notre système pousse dans la clandestinité », ajoute Jean-François Dubost, d’Amnesty International.

Le système français d’asile produit en effet des « ni-ni », des déboutés non expulsables, quand l’Allemagne a inventé un « statut d’indulgence » les autorisant à vivre sur le territoire. Mais le ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, ne s’attaque pas plus à ce volet du dossier au sein de sa réforme de l’asile que ne l’ont fait ses prédécesseurs, de droite ou de gauche.

En signant la convention de Genève sur les réfugiés de 1951, la France s’est engagée à offrir sa protection à « toute personne craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques ». Ce statut est reconnu au cas par cas et seul un quart des requérants l’obtient.

Réduire le temps d’attente

Face à des demandes multipliées par deux entre 2007 et 2013 (66 000 en 2013), le système n’a pas su faire face et s’est engorgé. La pression aux portes de l’Europe, liée à la multiplication des zones de conflits, fait craindre une escalade des demandes alors même que la France est un des rares pays qui voit son nombre de demandeurs baisser en 2014 (− 1,2 %, selon le Haut-Commissariat aux réfugiés)…

Reste qu’aujourd’hui la situation est mauvaise en France. La Cour évalue à deux ans le temps entre le dépôt d’un dossier et sa réponse, et la nécessité de réduire cette attente est le seul point qui fasse consensus. A écouter le ministre de l’intérieur, qui oublie au passage qu’il était contraint par une nécessaire mise en conformité de la loi française avec les directives européennes, cette réforme a pour but premier de faire tomber la procédure à neuf mois. Même si la quatrième chambre de la Cour des comptes émet déjà « des doutes sur la sincérité des objectifs fixés par le ministère de l’intérieur ». Ce qui fait d’ailleurs regretter à certaines associations que « la Cour ait cessé de faire les comptes pour faire de la politique ».

D’autres mesures préconisées par le rapport inquiètent les travailleurs qui aident les réfugiés, comme la suppression de tout ou partie de l’accompagnement des demandeurs d’asile, ou la réduction de l’allocation, fixée à 340 euros mensuels, dont ils bénéficient pour se nourrir, puisqu’ils ne sont pas autorisés à travailler durant l’étude de leur dossier. Le rapporteur propose en effet une réduction, lorsque le requérant est logé, estimant que « cette allocation sert donc à financer des dépenses diverses personnelles, telles que des téléphones portables ». Une petite phrase qui caractérise assez bien le contexte ambiant.

La rapidité avec laquelle Marine Le Pen ou le sénateur UMP Roger Karoutchi se sont saisis du sujet, lundi, ne laisse pas augurer d’une arrivée prochaine de l’autre projet de loi, portant sur les titres de séjour. Bien que présenté en conseil des ministres à l’été 2014, le texte n’est toujours pas à l’ordre du jour.