Réfugiés : l'Histoire n'est pas un libre-service

Réfugiés : l'Histoire n'est pas un libre-service

A force de s'imaginer sortie de l'Histoire, l'Europe se retrouve dépassée par son retour...
Michael Sohn/AP/SIPA

Cela devait arriver. A force de s'imaginer sortie de l'Histoire, l'Europe se retrouve dépassée par son retour. Divisée. Et honteuse, de s'être hâtivement humiliée devant la « leçon d'humanité » de l'Allemagne. Angela Merkel a vu dans ce chaos migratoire l'occasion d'une massive opération d'« immigration choisie ». Une aubaine pour le patronat et les retraités allemands. Avant de paniquer face à ces foules d'invités qu'elle a encouragés, loin d'être tous des Syriens diplomés. On ne joue pas avec le malheur des gens.

Ce malheur, la France des droits de l'homme ne voulait même pas le voir quand Bruxelles la sollicitait cet été. Avant sa piteuse volte-face provoquée par l'opération Merkel, mais que François Hollande a justifiée par le souci du « jugement de l'Histoire ». Etre contemporain de l'Histoire consiste plutôt à en prendre les devants. Dans ce pays qui aime se flageller, personne n'a rappelé qu'il y a plus d'un siècle Clemenceau envoya la marine nationale (les cuirassés Jules-Ferry, Victor-Hugo, Jules-Michelet, cela ne s'invente pas...) sauver plusieurs milliers d'Arméniens martyrisés par les Ottomans.

Aujourd'hui, les politiques passent plus de temps à commenter leur gestion des conséquences qu'à agir sur les causes. Des spectateurs malades de com et d'image croyant s'être rachetés par leurs larmes versées sur une belle photo horrible d'enfant noyé. Cette « pornographie des cadavres » qui dégoûtait le regretté Pierre Vidal-Naquet. Alors qu'en avril dernier un millier de noyés en trois naufrages ne les avaient pas tant émus. Cela fait quatre ans que Syriens et Irakiens fuient par millions. Au lieu d'ignorer cette tragédie historique avant que ses victimes ne frappent à sa porte, l'Europe devait s'y impliquer. Soit accueillir ceux qui le demandaient en allant les chercher avant qu'ils ne risquent leur vie. Soit les aider à retrouver leur patrie. Mais cette Europe pacifiste et postnationale n'imagine même pas que, parmi ces exilés, des centaines de milliers d'hommes jeunes pourraient constituer la base d'une armée de libération. Nos experts en stratégie ne cessent d'expliquer que seule une intervention au sol peut venir à bout de l'Etat islamique, mais que des troupes occidentales doivent éviter de se mêler de ce conflit interne à l'islam. Sous l'égide de l'ONU, l'Europe aurait pu prendre l'initiative d'une coalition armant et formant des bataillons de réfugiés syriens. Elle n'y a pas songé. Ni BHL qui voue un culte rétrospectif à l'aide des Brigades internationales aux républicains espagnols. Chaque peuple a son Histoire et c'est un des objectifs de l'ordre international d'agir pour qu'il n'en soit pas dépossédé. Agir ? L'Europe n'ose même pas réagir au culot de l'Arabie saoudite refusant les réfugiés pour « protéger [son] peuple » ou à celui des Etats-Unis invoquant des « motifs de sécurité nationale » pour les accueillir au compte-gouttes.

Alors agir ne consiste plus qu'à faire la morale aux autres. Bruxelles la fait à Paris. Le gouvernement la fait aux maires. Et tous accablent les réticences de l'« opinion ». Au lieu de se demander d'où elles viennent, comme le commissaire européen Frans Timmermans : « C'est parce que notre pratique est défaillante, que des gens qui n'ont pas le droit à un titre de séjour ne partent pas, qu'une grande partie de l'opinion refuse les réfugiés. » La France est championne, comme l'a établi la Cour des comptes : « La politique d'asile est devenue la principale source d'arrivée d'immigrants clandestins. » La quasi-totalité des déboutés reste sur le territoire, 50 000 personnes s'ajoutant chaque année aux centaines de milliers de clandestins. Voilà pourquoi tant de Français ne croient plus ce que leurs gouvernants leur racontent et que ceux-ci, tétanisés par une opinion « lepénisée », se sont ridiculisés en refusant d'accueillir plus de 12 000 réfugiés syriens par an...

Feignant de découvrir que l'autre grande cause du chaos actuel - l'immigration économique en provenance des Balkans et de l'Afrique subsaharienne via la Libye - compromet l'accueil des « vrais réfugiés », comme dit Harlem Désir, la France estime soudain qu'il faut sortir du ronron qui avait imposé ce terme indistinct de « migrants » commun à l'extrême droite les refusant tous et à la gauche sans-frontiériste voulant tous les accueillir. Et qu'il faut faire l'inverse de ce qu'elle faisait. « Nous raccompagnerons dans leur pays les immigrés économiques », dit François Hollande. « Si on laisse entendre le contraire, on encourage des flux encore plus massifs », précise Laurent Fabius. Il faut qu'ils « soient dissuadés de venir en Europe », ajoute Bernard Cazeneuve. Comment vont-ils faire ? S'il ne s'agit pas de paroles de circonstance s'ajoutant à des décennies de bobards sur l'immigration, ils pourraient commencer par méditer l'exemple australien. Jusqu'ici un abominable repoussoir. Canberra a réussi à dissuader l'immigration clandestine par des messages internationaux et en faisant reconduire par sa marine militaire toutes les embarcations. Le nombre de noyades dans l'océan Indien est passé de plusieurs centaines à zéro. Les passeurs sont ruinés. Mais sa procédure de droit d'asile a accueilli ces deux dernières années trois fois plus de réfugiés que la France à population égale. Et l'Australie vient de décider de doubler cet accueil au profit de Syriens et d'Irakiens. Où une politique ferme peut se révéler plus généreuse et moins meurtrière que ce mélange d'indifférence et d'angélisme face aux 3 500 morts en Méditerranée...

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