Et si le big data faisait émerger « un marché du travail qui s’ignore » ?

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François Béharel, le président de Randstad France.
François Béharel, le président de Randstad France. (Crédits : Reuters)
Pour mieux faire coïncider les besoins des employeurs avec les compétences de ses candidats, Randstad dévoile une solution basée sur l’analyse des « mégadonnées ». D’après le spécialiste de services en ressources humaines, ce type d’outil constitue une avancée pour « fluidifier » davantage le marché du travail. Et pourquoi pas, faire enfin baisser le chômage. Explications.

François Béharel n'est pas du genre à tourner autour du pot. Lors de la présentation d'une solution maison visant à aider ses candidats à trouver plus facilement du travail, le président de Randstad France finit par lâcher une bombe : « Soudeur, en soi, ça ne veut rien dire ! » Pourquoi ? Parce qu'aux yeux du patron de la filiale française du géant mondial des services en ressources humaines, le temps de la segmentation du travail par métiers a vécu. L'important, au fond, ce sont les compétences des individus. Et in fine, elles seules intéressent vraiment les entreprises qui embauchent.

Derrière ce postulat se cache surtout une opportunité. De fait, s'il est possible de définir un poste par un éventail précis de compétences, alors on démultiplie le nombre de candidats potentiels, au-delà du seul et réducteur périmètre « métier », comme c'est le cas actuellement. « Si une entreprise cherche des soudeurs et qu'il n'y en a pas - ou trop peu - sur son bassin d'emploi, on peut faire une recherche par compétences », illustre François Béharel. Ce faisant, il affirme qu'on peut trouver, par exemple, « des métalliers » ou « des tuyauteurs » disponibles et parfaitement capables de répondre aux besoins de la société. Ou qui peuvent l'être rapidement, moyennant une courte formation. En créant des passerelles entre les métiers, Randstad veut donc profiter d'une « fluidification » du marché du travail, grippé depuis plusieurs années.

Un outil « d'aide à la décision »

Mais si la logique fait sens, comment la mettre en œuvre ? Grâce au big data. Au Numa, l'un des incubateurs de startups les plus côtés de Paris, Randstad a dévoilé mardi un nouveau logiciel. Celui-ci utilise les « mégadonnées » pour faire coïncider les compétences recherchées par ses clients avec celles de ses candidats. Pour ce faire, le géant des services RH a donc croisé sa base « de 3 millions de CV » (qui comprend quelques « 1.000 qualifications et 11.000 compétences ») avec les 12 millions d'annonces récoltées chaque années sur la Toile, et les données du marché du travail disponibles via des organismes publics comme l'Insee ou Pôle Emploi.

Destiné pour l'heure à un usage interne, le logiciel n'a pas été façonné comme « les outils classiques de 'matching' », précise Randstad, égratinant sans les citer les réseaux sociaux professionnels LinkedIn et Viadeo. Aux yeux du groupe, il s'agit là davantage d'un « outil stratégique d'aide à la décision » pour les entreprises et les candidats. Rien de moins.

Décortiquer un bassin d'emploi

Une fois lancé, le logiciel affiche carte de France interactive, où peut lancer différents types de recherches. Pour un bassin d'emploi donné (une ville ou un département), une entreprise peut visualiser en temps réel quels sont les métiers - et compétences, donc - actuellement disponibles chez Randstad. Il est aussi possible de remonter dans le temps, pour voir si une main d'œuvre spécifique se tarit. Ou au contraire, si elle a le vent en poupe. Mieux, l'entreprise pourra glaner des informations sur ses concurrents qui lorgnent les mêmes talents qu'elle... Grâce à ces informations, un grand groupe sera, d'après Ranstdad, mieux armé pour recruter ses troupes, en privilégiant au besoin les compétences plutôt qu'un métier en particulier. En parallèle, l'employeur pourra utiliser ces connaissances locales pour mieux préparer une implantation. Ou même anticiper, dans certains cas, le reclassement de ses salariés.

Côté candidat, la démarche est similaire. Après avoir passé au crible les compétences d'un demandeur d'emploi, celles-ci sont passées au révélateur du bassin d'emploi concerné. Le logiciel mouline. Et lâche son verdict. « On fait office de conseiller d'orientation », indique François Béharel. Lequel se glisse dans la peau d'un candidat : « Je souhaite exercer un métier, mais est-ce possible au vu des offres d'emploi disponibles ? Quels sont mes chances de succès sur ce marché ? Quel est le niveau de salaire ? Ne devrais-je pas réviser un peu l'image que j'ai de mon avenir en fonction de ces données ? Si j'anticipe des difficultés dans mon bassin d'emploi, que dois-je faire pour contourner ce problème ? » A ses yeux, l'outil sera précieux pour inciter un candidat dans l'impasse à se remettre en question. Et pourquoi pas le convaincre de suivre une formation dont les compétences sont prisées non loin de chez-lui...

Ouvrir les données publiques

Mais Randstad ne veut pas en rester là. Pour le groupe, nul doute que son innovation intéressera les organismes publics, privés et les collectivités pour « gagner en compétitivité ». En faisant l'inventaire des compétences rares sur leur territoire, ils pourraient convaincre certains employeurs de venir chez-eux, affirme François Béharel. A l'échelle d'une ville, d'un département ou d'une région, les « mégadonnées » pourraient aussi s'avérer précieuses pour piloter finement les politiques d'emploi et de formation. Comment ? En identifiant les compétences « manquantes au bon développement d'une industrie », fait valoir Randstad. Or sur ce front, une telle avancée ne serait pas du luxe, dit en substance François Béharel. Très critique sur les « 38 milliards d'euros dédiés à la formation » dépensés chaque année dans l'Hexagone, il voit dans son outil un moyen de mieux cibler les besoins. Et, en clair, de ne plus jeter les deniers publics par la fenêtre.

Pour le patron de Randstad France, il ne s'agit là que d'un début. « La prochaine étape, c'est le prédictif », assure-t-il. En anticipant l'arrivée de nouveaux métiers sur un bassin d'emploi, on pourrait, très en amont, conseiller un candidat sur son devenir professionnel. Mais si les possibilités paraissent presque infinies, encore faut-il disposer de suffisamment de données pour les faire éclore. Or la solution de Randstad ne tourne qu'avec sa propre base de CV. Elle gagnerait donc beaucoup en efficacité si elle fonctionnait avec tous les candidats français. Bref, « il faut rendre ces infos publiques », plaide François Béharel. Pour lui, l'enjeu est énorme : il s'agit « de faire émerger un marché du travail qui s'ignore », alors que la France compte toujours 3,8 millions de chômeurs. Le gouvernement et Pôle Emploi sont prévenus.

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Commentaires
a écrit le 19/09/2015 à 15:18 :
C'est assez exactement ce qu'est censé faire un service de "ressources humaines". Il faudrait peut-être s'interroger sur les raisons qui conduisent à ce que travail ne soit pas fait et à ce que les directions s'en accommodent. Tant qu'on demandera aux RH de rechercher des copies conformes et de tester la servilité (pardon loyauté) des personnes qui passent à travers le tamis, elles feront ce qu'on attend d'elles même si les dirigeant n'ont pas le courage de le dire explicitement (et encore moins de l'écrire). Sinon, elles savent qu'elles risquent la "faute professionnelle" si elles recrutent une personne non calibrée. Idem pour de nombreux recruteurs : le client préfère s'entendre dire que le "marché est très tendu" que de se voir proposer une candidature qui lui demande de réfléchir, de remettre en cause ses a priori… Principe commercial de base du service : la bonne solution est celle qui plait. L'efficacité, c'est trop compliqué !
À part ça, l'idée de partir des compétences et des potentiels des personnes est évidemment intéressante. S'il faut en passer par la "vérité" algorithmique du big data pour convaincre un patronat archaïque d'abandonner ses préjugés, c'est dommage. Mais en la matière, l'état "culturel" des organisations est (très majoritairement) tellement exécrable que tout artifice est bon à prendre.
a écrit le 18/09/2015 à 23:53 :
Oui, de la big Data...pour remplacer pôle emploi qui est bigrement daté.
a écrit le 18/09/2015 à 20:01 :
Faire du numérique tordant les réalités pour composer un ensemble fictif ne changera pas la raison de fait pour laquelle la France a un tel manque de compétences alors que l'Allemagne a toujours dans l'histoire et aujourd'hui soigné la formation sur le tas et tout au long des carrières professionnelles. IL vaudrait mieux éviter l'illusion des balivernes.
a écrit le 18/09/2015 à 10:24 :
C'est toujours la même logique biaisé qui est utilisée pour justifier une nouvelle méthode de gestion des ressources humaines. Qui va établir le profil de la personne à recruter et garantir sa réelle adéquation ? Car si on se trompe de profil, on aura forcément le mauvais candidat. Le seul bon profil, c'est le diplôme qui le garanti. Il faut se rendre compte que les métiers sont de plus en plus techniques, et nécessitent des temps de formation long, avec des normes complexes à maîtriser (c'est pour cela qu'on fait des études). Si je prends l'exemple des métiers de l'informatique, j'ai vu de nombreux candidats autoproclamés autodidactes recrutés. Ces derniers maîtrisant pourtant la technique, ne connaissaient pas les normes en vigueurs. Cela a abouti à des applications impossibles à maintenir et faire évoluer, sans parler des bugs qu'un informaticien diplômé aurait éviter à l'aide des méthodes et normes de développement professionnels. Les entreprise trouvaient que les autodidactes allaient plus vite et étaient plus efficaces : c'est facile quand on se passe des méthodes et normes professionnelles indispensables à la qualité finale, sauf quand on est un sous-traitant peu scrupuleux... Je n'ai pas non plus parlé de la difficulté de dialogue entre un professionnel diplômé et un autodidacte qui ne comprends que certains aspect du métiers. Le recyclage de main d'oeuvre doit impérativement passer par une formation académique adaptée.
Réponse de le 21/09/2015 à 16:45 :
" Le seul bon profil, c'est le diplôme qui le garanti."

J'ai bien ri Merci !

Je pourrai te donner des exemples avec des collègues, j'ai vue des bac+2 mieux s'en sortir que des +5 et des jeunes qui n'ont même pas 18 ans être très performants (domaine : informatique) ...

Le diplôme ne fait pas tout et la communication est un domaine à lui seul.
Réponse de le 23/09/2015 à 16:42 :
Quand on a un diplôme, cela veut dire qu'on connait les normes. On imagine pas son avocat ne pas avoir un diplôme de droit. C'est pareil pour les autres métiers. Un autodidacte peut très bien paraître meilleur car il va plus vite sans se préoccuper des règles de l'art. Faire une analyse informatique exhaustive prend du temps et c'est pourquoi un ingénieur paraîtra moins rapide, mais le résultat final sera professionnel. J'ai vu un autodidacte "qui assure" remplacer un informaticien professionnel. Il a fait sauter toutes les sécurités du réseau informatique pour satisfaire les utilisateurs. Il est considéré meilleurs que son collègue car plus permissif, mais il a commis une très grave erreur que son patron risque de regretter amèrement un jour...
a écrit le 18/09/2015 à 9:14 :
Curieux cette découverte moi qui croyais que cela existait déjà .J'ai lu il y a quelques années que les chantiers navals avaient recruté avec pole emploi d'anciennes ouvrières du textile , leur avaient fait passer des tests sur leurs capacités manuelles et les avaient formées comme soudeuses avec succès .
Notre système éducatif considère que connaissances = compétences ....et le plombier avec son CAP fait de la plomberie et rien d'autre !!!
a écrit le 18/09/2015 à 8:28 :
on sait faire bcp de chose avec les donnees, et on leur prete aussi le pouvoir qu'elles n'ont pas
pour la france, pour commencer il y a un chomage structurel a 9%, et c'est pas avec 0% de croissance ( oui c'est la croissance potentielle de la france) que le chomage conjoncturel va diminuer
apres que les donnees ameliorent la qualite des recrutements, oui ca c'est ok

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