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la matinale du 06/10/2015
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Les cabinets de conseil plongent dans le big data

Le Monde | • Mis à jour le | Par

Un datacenter appartenant à Facebook à Lulea en Laponie suédoise en novembre 2013.

Peut-être est-ce la peur de se faire « uberiser », c’est-à-dire dépasser soudain par un concurrent surgi de nulle part, comme dans le cas des taxis avec Uber. Pour ne pas être en retard d’une révolution technologique, de plus en plus d’entreprises investissent dans le big data, le traitement des données de masse. Après les assureurs, les cabinets de conseil se lancent dans l’aventure. Témoin, l’acquisition annoncée mardi 6 octobre par EY, l’ex-Ernst & Young.

Le groupe, un des quatre poids lourds mondiaux de l’audit financier, prend le contrôle de Bluestone Consulting, un cabinet français spécialisé qui a réalisé 9 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2014. « Avec leurs 120 experts et les 10 nôtres, nous allons constituer une équipe de plus de 130 personnes dans ce métier des données, ce qui n’a pas d’équivalent en France », se réjouit Eric Mouchous, l’un des patrons d’EY dans l’Hexagone.

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A ses yeux, l’acquisition est stratégique. Les cabinets de conseil ont traditionnellement deux types de compétences, explique-t-il. Ils connaissent d’une part le marketing, la finance, etc., d’autre part les secteurs de leurs clients, comme l’automobile ou la banque. « Demain, on ne pourra plus faire du conseil sans disposer en plus de compétences dans le traitement des données de masse, juge M. Mouchous. C’est ce que nous apporte Bluestone. »

Un considérable gisement de données

L’incroyable essor d’Internet et la multiplication des capteurs ont entraîné depuis quelques années un changement d’échelle en matière de données. Chaque seconde, 50 000 recherches sont effectuées sur Google. Chaque minute, 350 000 tweets s’ajoutent aux milliards déjà publiés. Chaque jour, 38 millions d’internautes fréquentent les sites d’Amazon. Un gisement de données considérable, en pleine expansion, et loin d’être exploité comme il pourrait l’être.

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Moins de 1 % des données produites dans le monde seraient analysées, selon certaines estimations. Mais les entreprises se montrent de plus en plus avides de ces informations, et le marché du traitement des données décolle. Dans le monde, ce marché de services pourrait passer de 1,8 milliard de dollars (1,6 milliard d’euros) en 2015 à 7 milliards de dollars en 2020, soit une impressionnante croissance de 31 % par an, selon une étude publiée en septembre par le cabinet Markets and Markets.

De quoi pousser les leaders du conseil à l’action. « L’explosion du big data ne va pas nous faire disparaître, mais transforme notre métier », confirme Marc Chemin, de Capgemini. Ceux qui viennent du monde de l’informatique, comme IBM, partent avec une longueur d’avance. Le français Capgemini affirme ainsi compter dès à présent dans ses rangs 10 000 professionnels des données. D’autres procèdent par acquisition, à l’image d’EY ou encore de McKinsey, qui vient de mettre la main sur 4tree, une start-up allemande qui triture les informations de la grande distribution.

Un emballement depuis trois ans

Bluestone, la société reprise par EY, a été créée en 1996 par deux étudiants tout juste sortis de la meilleure école française de statistiques, l’Ensae. « Nous étions jeunes, nous voulions être libres et indépendants », se souvient Arnaud Laroche, l’actuel patron. Le duo était persuadé que la modélisation, le chiffre, le traitement des données pouvaient présenter de l’intérêt pour les entreprises. Mais à l’époque, nul ne parlait de « big data », et les débuts ont été rudes.

« Pendant de longues années, le marché restait très mou, relate M. Laroche. Quand on parlait d’algorithmes prédictifs, les clients nous répondaient au mieux qu’ils voulaient un tableau de bord pour le contrôle de gestion. » La demande n’a commencé à frémir qu’en 2005, pour s’emballer vraiment depuis trois ans.

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Aujourd’hui, la PME travaille pour des clients comme Engie, EDF ou Orange. Elle exploite par exemple les données fournies par les capteurs placés dans des moteurs d’avions. Objectif : détecter des éléments atypiques annonciateurs de pannes, tels que des vibrations anormales. Cela permet d’intervenir avant que le problème ne se concrétise. Autre type de contrat, la création d’algorithmes pour fixer les prix des chambres d’hôtels ou repérer des fraudes parmi des milliers d’opérations bancaires.

Autant de services qu’EY entend proposer, demain, à ses clients pour enrichir son offre. Et ne pas risquer de se retrouver un jour exclu du jeu.