Ukraine: avec l'offensive de Crimée, Poutine reste maître du jeu

Par Christian Makarian, publié le , mis à jour à
Après le renversement du pouvoir à Kiev, Vladimir Poutine a choisi de ne pas s'en prendre directement au coeur de l'Ukraine, mais d'agir par la périphérie.

Après le renversement du pouvoir à Kiev, Vladimir Poutine a choisi de ne pas s'en prendre directement au coeur de l'Ukraine, mais d'agir par la périphérie.

REUTERS/Baz Ratner

La crise ukrainienne vient de conférer à la Crimée une dimension stratégique et en fait un levier de la Russie pour stopper les avancées occidentales vers l'est.

Barack Obama s'était contenté de fixer une "ligne rouge" en Syrie ; Vladimir Poutine est content de la franchir en Crimée. Cet isthme fut enlevé à l'Empire ottoman par Catherine II et conquis sur les Tatars, au XVIIIe siècle, avant de faire l'objet d'une guerre très meurtrière (1854-1856) qui donna la victoire au camp formé par les Britanniques, les Français et les Turcs contre les ambitions méditerranéennes du tsar.  

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La région ne fut rattachée à l'Ukraine qu'en 1954, par Khrouchtchev, à l'occasion du 300e anniversaire de l'unification entre l'Ukraine et la Russie des tsars, comme un cadeau fictif dans une Union soviétique où les frontières n'existaient pas. En 1991, lors de la dissolution de l'URSS, il n'y eut aucune raison de disputer ce territoire à l'Ukraine, d'autant moins que l'indépendance de l'Ukraine (et de la Biélorussie) était en soi une condition nécessaire pour mettre fin à l'URSS et permettre la naissance de la grande Fédération de Russie actuelle. 

Or la crise ukrainienne de 2014 vient subitement de conférer à la Crimée une dimension stratégique et en fait un levier de la Russie. Pour trois raisons. 

Défense de la zone d'influence russe

Face au renversement du pouvoir à Kiev, qui a donné lieu à un élan rassembleur, Vladimir Poutine a choisi de ne pas s'en prendre directement au coeur de l'Ukraine, mais d'agir par la périphérie. Il avait fait de même face à la Géorgie, en 2008, où il avait fomenté la sécession de l'Abkhazie contre Tbilissi et préalablement distribué des passeports russes aux Abkhazes. A cette différence que la Crimée est la seule région périphérique de la Russie à disposer d'une majorité ethnique russe.  

C'est la raison pour laquelle parler d'invasion de la Crimée par les forces armées russes n'a pas de sens ; elles y sont installées et disposent notamment de la base navale de Sébastopol, dont la concession, jusqu'en 2042, fait l'objet d'un traité en bonne et due forme signé entre Moscou et Kiev. Ce qui induit un schéma qui n'a rien à voir au final avec la Géorgie : dans une perspective russe, l'Ukraine pourrait évoluer vers un cadre fédéral, dans lequel ukrainophones, russophones et habitants de la Crimée disposeraient d'une forme d'autonomie qui permettrait à Moscou de continuer à tirer les ficelles au gré de ses intérêts. 

Etouffement du nationalisme ukrainien

Le parti Svoboda (Liberté), anciennement nommé Parti social-nationaliste, qui a joué un rôle clef dans la révolte contre Viktor Ianoukovitch et qui fait partie de la coalition actuellement au pouvoir, sert de prétexte à Poutine pour stopper un prétendu "coup d'Etat fasciste".  

En réalité, les principaux leaders du gouvernement provisoire sont russophones et peu soucieux de pureté ethnique ukrainienne (le ministre de l'Intérieur est d'origine arménienne et celui de la Défense, issu d'une famille de Roms); en outre, ils ont tous montré qu'ils savaient rester calmes. Mais il reste que Svoboda refuse l'autonomie de la Crimée, réclame l'abandon de la langue russe et le retour à la nucléarisation de l'Ukraine. 

Affirmation de la suprématie internationale russe

Le mémorandum de Budapest de 1994 prévoit que les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la Russie sont garants des frontières de l'Ukraine en échange de la neutralisation de l'arsenal nucléaire concentré dans ce pays durant la période soviétique. Or la crise des derniers jours montre que ni Moscou, qui viole ces protocoles, ni Washington, qui ne veille pas à leur respect strict, ne sont prêts à tenir leurs engagements. L'Ukraine n'étant pas membre de l'Otan, malgré les promesses trompeuses du sommet de Bucarest (2008), elle ne peut pas non plus se réclamer du soutien de l'Alliance. 

Dès lors, l'offensive de Crimée apparaît comme un coup d'arrêt aux avancées occidentales vers l'est, tant en matière militaire (Otan, bouclier antimissiles américain) qu'en matière économique (accord de libreéchange proposé par l'Union européenne à l'Ukraine). Vladimir Poutine est encore maître du jeu. 

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7 commentaires

AlDu36

AlDu36

Pour un peu nous entendrions la vieille antienne du XIX ème siècle rappelant qu'après Waterloo les cosaques campèrent sur les Champs Elysées ! Mais qu'elle est donc cette conception actuelle du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes ? Ce qui était valable au XIX ème, soumettre au référendum le rattachement de la Savoie et de Nice à la France, au XX ème, de la Sarre avec l'Allemagne ou de l'indépendance de l'Algérie ne le serait plus aujourd'hui pour la Crimée ? Curieusement dans le soit disant effort de renforcement de la démocratie on en vient, pour ces questions comme pour d'autres, à écarter sa véritable et seule expression, la démocratie directe.

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24 Novembre

24 Novembre

@hookinou : Et l'ours la mangea !

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hookinou

hookinou

@24-novembre : elle enfla si fort qu'elle en creva !!!!!!

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24 Novembre

24 Novembre

@pseuddo : C'est aussi la grenouille qui se veut plus grosse que le boeuf ! on était 7 maintenant 28 et on voudrait encore grossir alors que l'on s'essouffle !

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pseuddo

pseuddo

Peut être que c'est l'Occident qui a franchi la ligne rouge selon Poutine....Les EU en exploitant le gaz de schiste, ce qui met aussi à mal l'économie de la Russie. Les Etats Unis et L'Europe via les actions menées ou envisagées en Irak, en Iran et en Syrie qui menacent l'axe Téhéran/Moscou si précieux aux russes. Et enfin l'Europe qui se met à intégrer la Lettonie à la zone Euro, malgré sa fragilité économique et l'avis de sa population.... Peut être que les occidentaux ont poussé Poutine à montrer les dents. S'il ne prend pas la place de maître du jeu maintenant, c'est quoi la Russie dans 10 ans? Il faut s'assurer de la place de la Russie sur l'échiquier si on ne veut pas aller au casse pipe.

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Alex_civit

Alex_civit

@nonohappy : personne n'y a cru et l'ensemble de la communaute internationale etait probablement prete a laisser la crimée faire secession toute seule, suite a un referendum d'autodétermination. Ce qui se joue la n'est PAS le sort de la crimée, mais le sort de tout l'est de l'Ukraine.

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nonohappy

nonohappy

Est 1 , Ouest 0 . Vous n'aviez tout de même pas cru que les russes allaient laisser Ia Crimée position hautement stratégique pour eux même au petit bonheur de l'OTAN ?

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