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Poutine, un opportuniste qui prospère sur nos peurs

Dominique Moïsi - DOMINIQUE MOISI |

L’engagement de la Russie en Syrie donne au monde l’impression que Poutine détient le leadership dans la lutte contre Daesh. Il ne fait en réalité que profiter de nos faiblesses pour avancer ses pions dans l’ensemble de la région

Depuis sa prestation réussie aux Nations-Unies et plus encore depuis le début des frappes aériennes russes sur le territoire syrien, le monde s’interroge. Que veut vraiment Poutine ? Protéger le régime Assad, un de ses « clients » les plus anciens et les plus fidèles, et s’opposer ainsi à la vogue des changements de régime, qui pourrait gagner un jour la Russie ? Eviter que la contagion terroriste ne se propage trop rapidement au Caucase du Nord ? Détourner l’attention du monde occidental du conflit non résolu en Ukraine ? Redonner à la Russie le statut de super puissance qui était le sien au temps de l’URSS ? Préserver sa popularité auprès de l’opinion publique russe par une fuite en avant nationaliste, masquant les limites de sa stratégie ukrainienne, les faiblesses de son économie et les failles de son régime ? Profiter de l’absence relative des Etats-Unis et des réticences naturelles de la Chine à toute forme d’engagement au delà de l’Asie, pour proposer une vision « à la Samuel Huntington » du nouvel ordre mondial ? D’un coté le Monde Chrétien derrière la Russie, qui a compris avant les « autres » la nature et l’ampleur du défi, et de l’autre le Monde Islamique, toujours plus fanatique. En Russie, en dépit de la parenthèse communiste, nationalisme et religion ont toujours été proches.

Toutes ces explications s’additionnent bien sûr, mais s’il fallait en privilégier une, ce serait tout simplement la volonté de Poutine d’exister et de redonner à son pays le statut qui fut le sien hier. Retrouver en quelque sorte son passé récent.

En ce sens le projet de Poutine est radicalement différent de celui d’Obama. Le Président Russe est animé par la nostalgie du passé, le Président Américain, à près d’un an de la fin de son second mandat, se projette lui dans le futur. Que retiendra l’Histoire des huit années à la Maison Blanche du Premier Président noir des Etats Unis ? Pour Obama l’essentiel est de ne pas retomber dans les pièges du passé, de ne pas commettre les erreurs de son prédécesseur : c’est pour lui une priorité absolue. Il est persuadé que rien de bon ne peut sortir d’un réengagement militaire des Etats-Unis dans une région toujours plus complexe et volatile. Si quelqu’un aujourd’hui flirte avec le modèle de Georges W. Bush, n’est ce pas Poutine lui-même ? Qu’il joue à son tour les apprentis sorciers. Il en paiera le prix fort demain.

Après avoir ouvert les portes d‘un dialogue, qu’il espère global avec l’Iran, Obama ne veut pas non plus se retrouver en confrontation directe avec Téhéran sur la Syrie. En fait il espère une aide, ne serait ce qu’indirecte de Téhéran.

Il ne peut ni totalement ignorer les appels à la collaboration de Moscou, ni être dupe des intentions russes, qui derrière l’appel à la guerre sainte contre Daesh, entendent avant tout consolider Assad puis avancer leurs pions dans l’ensemble de la région.

Depuis les bombardements russes sur le territoire syrien, notre regard sur le monde semble s’être modifiée. Jusqu’à la semaine dernière on craignait avant tout le risque d’une bataille navale en mer de Chine entre forces Japonaises et Chinoises. Aujourd’hui on se demande si la menace ne s’est pas élevée dans le ciel et rapprochée géographiquement. N’y a t-il pas un risque d ‘incidents aériens sérieux au dessus de la Syrie entre forces aériennes russes et occidentales ?

Face à la montée bien réelle des périls, il convient de dresser un catalogue des pièges dans lesquels il ne faut pas tomber. Il faut d’abord être conscient que l’arme principale dont dispose Poutine est notre faiblesse d’abord, notre peur ensuite. Il exploite la première et s’attache à renforcer la seconde. En comparant Daesh à Hitler, en appelant à une coalition contre l’Etat Islamique, il s’inscrit dans une vieille tradition soviétique, avec un message parfaitement explicite. « Face à Hitler, vous étiez bien heureux d’avoir l’URSS de Staline, face à Daesh réjouissez-vous de disposer de la Russie de Poutine ! ».

Le problème de ces analogies est qu’elles sont doublement fausses. Daesh n’est pas Hitler et Poutine n’est pas Staline. Après avoir gravement sous-estimé la menace de Daesh hier, ne tombons pas dans le piège de la surestimer aujourd’hui. A l’été 1940, Hitler contrôlait toute l’Europe à l’exception de la Grande-Bretagne. Il était à la tête d’un formidable outil de guerre, à l’efficacité toute germanique. Daesh dispose d’environ trente mille combattants qui sont tenus en échec dès qu’ils trouvent sur leur chemin un adversaire motivé : les kurdes en Syrie, les milices Chiites, sinon les troupes iraniennes en Irak. Certes le nombre de « volontaires » venus du monde entier qui s’engagent pour rejoindre Daesh est important et incessant. Mais il serait intéressant de comparer le nombre d’Européens qui partent faire le Djihad en Syrie et en Irak et le nombre de réfugiés venus de ces mêmes pays et d’Afghanistan, qui en Allemagne et en Suède en particulier, se convertissent par centaines au christianisme, révulsés comme ils peuvent l’être par les crimes commis au nom de l’Islam.

De la même manière Poutine n’est pas Staline. Le second était un monstre froid doté d’une pensée stratégique. Le premier est au mieux un tacticien opportuniste, qui pratique la fuite en avant, en exploitant le vide qui s’ouvre devant lui. S’il était un stratège, profitant de la présence de ses forces sur le terrain syrien, Poutine pousserait Bashar Al Assad vers la sortie.

Ne tombons pas dans le jeu de Poutine. Nous avons de la Syrie à l’Ukraine de meilleures cartes que lui et surtout la Russie a plus à perdre que nous.

Dominique Moisi

Dominique Moïsi
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