Il s'est placé au cœur du dossier ukrainien sans prononcer la moindre parole en public. En obtenant le feu vert du Parlement russe pour une intervention militaire en Ukraine, le président Vladimir Poutine a armé son poing en direction de l'ouest, samedi 1er mars. Depuis, le monde attend la suite : l'attaque ou la détente.

Officiellement, aucun soldat russe n'a encore franchi la frontière ukrainienne, mais Kiev a dénoncé, samedi, une "invasion armée" de la part de militaires pro-russes en Crimée. Dans cet entre-deux, où il dicte le tempo diplomatique, Vladimir Poutine "se conduit en maître du jeu", estime l'ancien diplomate russe Vladimir Fedorovski, interrogé par francetv info. Analyse de cette stratégie du métronome.

Sa méthode

Le silence. Muet durant les événements à Kiev, le président russe l'est resté au début des tensions en Crimée. Aucun commentaire sur les manœuvres militaires menées mercredi dans l'ouest de la Russie, ni sur le mystérieux déploiement de militaires aux uniformes dépourvus d'insignes dans le sud-est de l'Ukraine. Sans démentir ni revendiquer les volontés belliqueuses qui lui sont attribuées, Vladimir Poutine a semé la paranoïa. "Pour lui, le silence contribue à accentuer la pression", avance Thomas Gomart, chercheur à l'Institut français des relations internationales (Ifri), dans un entretien au Monde.

La menace. Après avoir obtenu de la chambre haute du Parlement russe "le recours à l'armée russe en Ukraine", Vladimir Poutine n'a pas lancé d'offensive. Il s'est contenté de demander, dans des communiqués laconiques (en anglais), "la normalisation de la situation" en Ukraine, seule condition (floue) à laquelle il retirerait sa menace militaire. Plutôt que de suggérer des pistes de sortie de crise, le dirigeant russe observe la situation et se réserve le droit de "recourir à toute mesure nécessaire".

Ses arguments  

Alors que son porte-parole martelait, jeudi, que la Russie n'avait pas "le droit d'intervenir dans les affaires intérieures de l'Ukraine de quelque manière que ce soit", Vladimir Poutine s'est depuis engagé sur la voie d'une intervention. Comment se justifie-t-il ?

Un appel à l'aide venu d'Ukraine. Vladimir Poutine cherche à se présenter non pas en envahisseur de l'Ukraine, mais en protecteur appelé par certains de ses habitants. C'est particulièrement le cas en Crimée, où, selon le Kremlin, "les autorités régionales" ont émis un "appel à l'aide humanitaire", comme le raconte Le Monde (lien payant). La protection de Moscou a aussi été demandée lors de manifestations à Donetsk et Kharkiv, dans l'est de l'Ukraine. Enfin, lundi 3 mars au soir, Viktor Ianoukovitch, a officiellement demandé l'aide militaire de la Russie. C'est l'ambassadeur russe à l'ONU qui l'a annoncé devant le Conseil de sécurité. "L'Ukraine est au bord de la guerre civile à la suite des événements intervenus à Kiev", a écritl'ex-président ukrainien et demandé  "l'utilisation des forces armées de la fédération de Russie pour protéger la population ukrainienne".

La défense des Russes vivant en Ukraine. Snobant ceux qui l'accusent d'avoir enfreint le mémorandum de Budapest de 1994, dans lequel les Etats-Unis, le Royaume-Uni et la Russie garantissaient l'intégralité territoriale de l'Ukraine, Vladimir Poutine répond qu'il en va de "la vie et la santé des citoyens russes et des nombreux compatriotes qui se trouvent sur le territoire ukrainien". Soit le même argument que pour la Géorgie en 2008.

Un pouvoir ukrainien illégitime. Si Vladimir Poutine refuse de confier à Kiev la protection des ressortissants russes, c'est parce qu'il qualifie les dirigeants provisoires de "terroristes arrivés au pouvoir par la force", selon Le Journal du dimanche. Ces mêmes dirigeants "soutiennent les actions criminelles d'ultranationalistes", affirme le président russe dans un communiqué (en anglais).

Ses objectifs

Peser sur l'avenir de l'Ukraine. De facto, l'intervention tardive de Vladimir Poutine dans le dossier ukrainien vient perturber l'organisation du nouveau gouvernement à Kiev. En appelant à une "normalisation de la situation", le président russe espère le retour de dirigeants plus proches de Moscou, afin de préserver l'influence russe en Ukraine.

Pour cela, il est prêt à jouer la montre, pendant que la situation économique ukrainienne se dégrade. "L'Ukraine sera face à ses besoins financiers criants et c'est là que Moscou disposera le plus de leviers", avance Thomas Gomart, de l'Ifri. "Poutine veut être à la fois un conciliateur et un perturbateur", résume l'ancien président géorgien Mikheil Saakachvili dans The Wall Street Journal (en anglais).

Défier la communauté internationale. En devenant, en moins d'un week-end et quelques communiqués, le personnage central du dossier ukrainien, Vladimir Poutine a montré ses muscles. Et qu'importe s'il flirte avec la ligne rouge, car le concert des nations est en sourdine : "L'Union européenne est affaiblie par la crise et les Etats-Unis ont opté pour un repli sur leurs affaires intérieures", note Le JDD. Reste le spectre d'une sortie du G8 et de sanctions économiques, qui pourrait faire douter le maître du Kremlin.

(EVN)

Conforter sa popularité en Russie. Vladimir Poutine va-t-il vraiment ordonner une intervention en Ukraine ? Une telle décision pourrait lui coûter cher sur le plan intérieur, dans un contexte économique difficile. Le journal économique russe Vedomosti, cité par The Sydney Morning Herald (en anglais), relève d'ailleurs que le président a consulté ses conseillers militaires mais pas économiques avant de saisir le Parlement.

Dès lors, en rester au stade de la menace permettrait à Vladimir Poutine de renforcer sa stature d'homme à poigne et de défenseur de la Russie insoumis à l'Occident, tout en s'épargnant les dépenses d'une guerre. Avec 65% d'opinions favorables avant les Jeux olympiques de Sotchi, selon The Washington Post (en anglais), et davantage depuis, selon la radio d'Etat Voice of Russia (en anglais), Vladimir Poutine joue au métronome en espérant marquer des points à chaque battement.