Atlantico : Vous vous rendez ce jeudi à "Futur en Seine" où vous interviendrez dans le cadre du Personal Democracy Forum pour développer votre vision de l'open data et plus largement de la démocratie numérique. De quoi s'agit-il exactement ?
Nathalie Kosciusko-Morizet : Je crois beaucoup à l'open data sur lequel j'ai travaillé lorsque j'étais ministre en charge du numérique. A l'époque, j'avais rencontré les équipes internet d'Obama et j'avais pu constater l'utilité de cet outil qui est un moyen de renouveler le lien entre le citoyen et le politique, entre le citoyen et l’État.
On rend au citoyen quelque chose qui lui appartient en fait : ses propres données, agrégées, anonymisées, et on en fait la matière première de nouveaux services. On lui propose aussi de développer lui-même ces nouveaux services, de devenir acteur et créateur à la fois. J'y crois comme moteur de transformation positive de la société et de l'économie. Avec le soutien du premier ministre, j'avais créé etalab, site de mise en ligne des données publiques, indispensable pour surmonter le conservatisme de certaines administration sclérosées qui pensent que le pouvoir est lié à la rétention d'information.
L'open data vient percuter cette attitude là de manière frontale. De manière générale, je pense qu'il faut aller beaucoup plus loin en terme de démocratie numérique. L'open data n'est pas le seul sujet. C'est une pièce d'un tout qui consiste à utiliser le numérique pour augmenter la démocratie. Il s'agit d'ouvrir et de faire respirer la démocratie. Pour moi, le numérique n'est pas un outil qui vient se substituer à des tâches ordinaires : ce n'est pas une humanité substituée par des ordinateurs, c'est une humanité augmentée. Il s'agit d'un côté de rapprocher l'administration des usagers et de l'autre côté rapprocher les citoyens des décisions publiques. C'est un mouvement de démocratie ouverte qui va dans les deux sens. Nous n'avons pas été les premiers dans le gouvernement électronique, mais nous avons en France quelques réussites remarquables. Le site legifrance, par exemple, qui met à la disposition du public toute la matière législative et réglementaire, est un modèle dans son domaine.
En quoi ce changement de philosophie de l’État français peut-il être vertueux ? Qu'est-ce qu'il apporte de nouveau en terme d'efficacité ? Quelles en sont les limites ?
En France, nous avons tendance a fonctionner en silo, tout en verticalité. L'administration par exemple fonctionne beaucoup ainsi, l’interministériel est un combat. Le numérique invite à la transversalité. Autres exemple : nous attendons beaucoup de l’État. Nous nous méfions de lui, nous le critiquons, et en même temps nous l'attendons et le réclamons partout. Le numérique offre quelques outils pour sortir de ces schémas là, qui brident notre créativité.
Ne craignez-vous pas que, comme les révélations sur les méthodes d'espionnage numérique de la NSA le laissent penser, la multiplication des données présentes sur Internet et leur possible compilation fassent basculer la démocratie numérique dans la dictature numérique ?
Le numérique est un outil. En aucun cas une fin en soit. Il ne comporte pas de valeur morale, il n'est ni bon ni mal. Il est ce que nous en faisons. A nous de dire les limites.
Quel regard portez-vous sur le scandale Prism ?
Il est révélateur d'un décalage entre la sensibilité qu'on peut avoir en France sur les questions de protection de la vie privée et la culture américaine. La bonne nouvelle, c'est que ça va tellement loin que même les Américains, qui n'ont pas la même susceptibilité que nous sur ces sujets, réagissent. La principale association de défense des libertés civiques a porté plainte contre le programme de la NSA. Un débat est en train de s'installer dans la société américaine sur la légitimité de ce type d'outil. C'est une bonne chose.
Les citoyens français aurait été espionnés par ce programme. La réaction du gouvernement est-elle à la mesure de la gravité de ce scandale ? En tant qu'ancienne ministre en charge du Numérique, qu'auriez-vous fait ?
Le Parlement européen, très en pointe sur ces sujets de libertés numériques, a demandé des éclaircissements. Il faut qu'on attende un peu de savoir ce qu'il s'est réellement passé et l'étendue du scandale. Mais j'attends du gouvernement la plus grande fermeté. D'abord parce que si des citoyens Français ont été espionnés, il ne faut pas le laisser passer. Mais aussi parce que c'est l'occasion de mettre les choses à plat. La société américaine se mobilise. Utilisons cette occasion pour faire effet de levier.
Plus généralement, je vois de ce qui est tout de même, déjà, un scandale avéré, deux enseignements majeurs.
La démonstration éclatante de notre besoin de développer des alternatives européennes aux géants de la donnée et du big data que sont les Google et Facebook. Car ces derniers, aussi dynamiques et innovants qu'ils puissent être, obéissent au gouvernement sur le territoire duquel ils se situent. Et on voit bien que, de la bouche du président Obama lui-même, l'administration américaine ne garantit pas les droits des étrangers. Seulement le droit des Américains. Du coup, notre vie privée est à la merci des renseignements étrangers, et personne n'est là pour nous protéger de ces intrusions éventuelles.
L'autre enseignement, c'est la révélation, une fois encore, de la proportion immense de notre vie qui est détenue par de grandes entreprises. Cela rend, plus que jamais, nécessaire que le législateur européen et français se penche très sérieusement sur le droit à l'oubli, et sur le droit à la réappropriation de ses données par le citoyen. Ce n'est pas qu'un problème de fiscalité, comme a essayé de nous le faire croire ce gouvernement avec le rapport Colin et Collin. C'est un problème de liberté fondamentale.
En quoi l'open data s'inscrit-il dans votre projet pour Paris ?
En matière d'open data, la ville de Paris a un temps de retard. Des initiatives intéressantes ont été lancées, mais je propose qu'on fasse plus et mieux dans les domaines où il y a un vrai déficit. Le nombre de jeux de données mises à disposition du public est beaucoup plus faible à Paris qu'à Londres (90 contre 460). En outre, les jeux de données à Paris ont été ouverts sur des sujets très circonscrits, avec un périmètre assez réduit de thématiques : équipement, mobilier urbain, culture, loisir, urbanisme... A Londres, certains sujets sensibles comme la santé et la sécurité sont abordés. Avec des données plus sensibles, on avance plus profondément dans le débat. On est moins dans l'anecdotique. Je suis heureuse que Paris est embrayé, mais il subsiste un décalage important avec Londres en terme d'ambition.
Concrètement, si vous allez sur le site opendata de la mairie de Paris et que vous tapez "budget", vous ne trouvez rien. Je propose de publier en open data l'ensemble des éléments budgétaires de la ville. De même, pour l'ensemble des subventions versées par la mairie aux associations, leurs critères d'attribution et leur utilisation. Idem pour les taux d'occupation des logements sociaux, le nombre de places en crèches occupées ou disponibles par arrondissement. Par ailleurs, il doit y avoir un suivi dans la durée des données puisque ces dernières évoluent en permanence. Aujourd'hui, on a le sentiment que certains fichiers disponibles sont publiés une fois pour toute. Il faudrait un engagement de mise à jour annuelle des données.
Enfin, il faut préciser que l'idée d'une municipalité ouverte va bien au-delà de l'open data. Celui-ci en fait partie, mais il y a bien d'autres dimensions. Par exemple, il faut faire en sorte que les réunions publiques puissent se prolonger via une plate-forme numérique avec la possibilité de consulter systématiquement les comptes rendus et les enregistrements audios ou vidéos. Ces comptes rendus ou ses enregistrements doivent être ouvert aux commentaires des parisiens. Il faut aussi donner la possibilité d'avoir un prolongement au Conseil de Paris des débats qui auraient été réclamés par un nombre conséquent de parisiens. Ce sont des choses relativement simples qui existent dans les plus grandes villes. Il s'agit d'utiliser le numérique pour rendre l'administration plus efficace et pour rapprocher les citoyens de la décision.
Le gouvernement envisagerait de rendre payante certaines de ces données. Quelle est votre position sur le sujet?
C'est un contresens. D'une part parce que cela casserait la dynamique de l'open data, qui est encore très timide en France. Un écosystème est en train de naître, il faut l'encourager, pas le taxer! Et puis l'open data consiste a rendre la société ce qui lui appartient. On ne va pas le lui faire payer. Au contraire, je propose que désormais, dans tous les appels d'offres de la Ville, dans tous les marchés qu'elle passe pour des services qui permettent de collecter des données, il soit explicitement prévu que celles-ci seront mises a disposition gratuitement, sous forme d'open data. Et de préférence sur un site unique, pas sur de sites multiples comme c'est le cas aujourd'hui, par exemple avec les données Velib qui sont sur le site de Decaux.
Propos recueillis par Alexandre Devecchio
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