Économie

Chine : bientôt des policiers chez les géants du Web

Le Monde | • Mis à jour le | Par

Le siège social du géant chinois du commerce en ligne Alibaba à Hangzhou, dans la province du Zhejiang.

Déjà très contrôlé, l’Internet chinois pourrait le devenir plus encore avec la présence d’agents de police au sein des groupes opérant les sites les plus populaires du pays. Et ce alors que la présidence de Xi Jinping accroît la censure sur ceux qui peuvent être source d’agitation – universitaires ou avocats, organisations non gouvernementales – et sur les plates-formes façonnant l’opinion publique, en premier lieu le Web et la presse.

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L’agence officielle Chine nouvelle, citant une récente conférence du ministère de la sécurité publique, a expliqué, mercredi 5 août, que des « bureaux de la sécurité du réseau » seront bientôt implantés au sein des entreprises susceptibles d’alimenter la « critique ». Objectif : les aider à se protéger contre les cyberattaques et à combattre les activités criminelles, une formule susceptible d’englober aussi bien le terrorisme que la critique du régime.

Même s’il existe d’importants services publics chargés de la censure, le filtrage des contenus qui embarrassent le pouvoir repose d’abord sur un équilibre économique : les champions que sont par exemple le moteur de recherche Baidu et la messagerie Tencent, qui opère l’application WeChat, sont eux-mêmes chargés de bloquer les messages politiquement incorrects lorsqu’ils arrivent sur leurs serveurs, risquant, à défaut, de perdre leur licence ou d’être purement bloqués.

« Nettoyer » les messages

Des équipes internes à ces sociétés doivent ensuite « nettoyer » les messages qui auraient passé le premier barrage automatisé. En 2013, un manager de Sina, qui opère un portail d’information et l’équivalent local de Twitter, Weibo, s’était expliqué sous couvert d’anonymat : « lorsqu’ils publient un ordre, il faut s’exécuter. Si nous n’effaçons pas votre message, votre compte sera bloqué. »

Selon une étude menée par des chercheurs des universités de Rice, du Nouveau-Mexique et du Bowdoin College portant sur 2,38 millions de messages publiés en 2012 sur Weibo, 12 % de l’ensemble disparaissent (30 % dans les cinq minutes qui suivent la publication et au total 90 % sous 24 heures). La présence directe de policiers permettrait de rappeler en permanence aux géants du Web le contrat tacite avec l’Etat-Parti qui leur permet d’engranger des fortunes au pays des 668 millions d’internautes et de transmettre plus efficacement les ordres de la censure.

« Cyber-souveraineté »

Le poids de cette dernière a déjà largement freiné la croissance d’un Weibo, alors que les personnalités s’exprimant sur les sujets polémiques ont toutes été rappelées à l’ordre. Depuis, les Chinois lui préfèrent WeChat, qui permet de n’échanger que des messages privés et où les posts ne sont pas publics.

Peu après son arrivée au pouvoir, Xi Jinping a donné la responsabilité de la gestion d’Internet à un nouvel organe puissant, l’Administration du cyberespace de Chine. Il a placé à sa tête un haut cadre zélé, spécialisé dans la propagande, Lu Wei. Sur la scène internationale, M. Lu tente d’imposer le concept de « cyber-souveraineté », arguant que chacun doit s’occuper de son pré carré afin de légitimer le particularisme chinois.

Dans la Silicon Valley, comme à Bruxelles début juillet, Lu Wei a repris les propos qu’il avait déjà tenus en septembre 2013 lors d’une visite au Royaume-Uni : « La liberté n’existe pas sans ordre. » Un nombre croissant de sites d’information occidentaux sont ainsi bloqués : le New York Times depuis l’automne 2012, Le Monde depuis janvier 2014.

« Grande muraille du Web »

Aux géants occidentaux du Web, Lu Wei explique qu’il leur faudra se plier aux coutumes locales sans sourciller, non sans un certain succès. Le recevant en Californie en décembre 2014, le patron de Facebook, Mark Zuckerberg, dont le site est inaccessible du côté chinois de la « grande muraille du Web », avait pris soin de poser sur son bureau un exemplaire de la compilation de discours de Xi Jinping titrée La Gouvernance de la Chine, précisant qu’il en conseille la lecture à ses employés. En juin 2014, LinkedIn avait reconnu censurer les messages provenant d’usagers chinois.

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En Chine, les contrôles se renforcent sous la direction de Lu Wei. Un projet de loi sur la cybersécurité a été présenté le 1er juillet à l’Assemblée nationale populaire. Il prévoit, dans le cadre de la lutte contre les cyberattaques, d’imposer certains standards qui pourraient se révéler défavorables aux entreprises étrangères. Le texte, qui réaffirme les pouvoirs de l’agence de M. Lu, donne force de loi au blocage de l’accès à Internet dans certaines régions du pays lorsque la « stabilité sociale » s’en trouve menacée. Une mesure en réalité déjà employée, notamment lors d’incidents violents au Xinjiang et d’immolations ou d’arrestations dans les régions tibétaines, mais qui aura désormais une légitimité juridique.

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