#RSS * [bb-canalblog2.png] * ____________________ [btn-submit3.gif]-Submit * Contacter l'auteur * Envoyer à un ami * * [fleche-haut.gif] * * * * [fleche-bas.gif] vive les sociétés modernes - abécédaire vive les sociétés modernes - abécédaire > Messages mai 2014 > V comme Vengeance 17 mai 2014 V comme Vengeance Dans notre culture, il est habituel de considérer la vengeance comme un acte archaïque et arbitraire. Or se venger n’est pas un acte de violence gratuit : il s’agit d’une réplique, qui a priori ne s’étaye ni sur la haine ni sur l’intérêt, à un affront ou à un tort auquel on ne reconnaît pas de raison suffisante afin d’obtenir réparation du préjudice subi, et, partant, de trouver l’apaisement. Les Grecs nommaient Némésis la déesse qui distribue à chacun son dû comme un juste retour des choses ; c’est cette attention à l’équilibre des échanges dans la cité qui faisait dire à Aristote que si la colère à l’origine de la vengeance était mesurée, elle était bien préférable à l’indifférence. Sénèque et, plus tard, Montaigne reprocheront durement au Stagirite son attitude considérant la colère comme une impulsion n’ayant rien de noble. Cette passion qu’est la vengeance a fasciné romanciers, dramaturges et cinéastes mais elle a moins inspiré les philosophes qui l’ont en général condamnée comme irrationnelle. Dans notre tradition marquée par le platonisme, selon lequel le mal est le produit d’une âme qui ne sait pas ce qu’elle fait, ainsi que par le christianisme et son renversement de la loi du talion en éthique du pardon, la vengeance n’est pas un objet de pensée. De plus, sa pratique renvoie au temps des sociétés holistes quand la violence primait le droit, situation que les normes de la justice auraient invalidée au long du processus de civilisation. Mais n’est-ce pas précisément sur la loi du talion que les philosophes des Lumières ont construit leurs principes de droit pénal en tenant que seul le mal rétributif était garant du rétablissement de l’ordre social ? Sans le vouloir, ils dévoilaient la continuité existant entre la vindicte et l’établissement de la loi tout en signifiant (peut-être sans le vouloir) que la substitution n’excluait pas la rémanence. Montesquieu prônait la peine capitale en cas de vol ou de meurtre afin de maintenir la sûreté publique et Kant voyait le crime comme une négation volontaire de la loi morale ne pouvant qu’entraîner une peine rétributive. Autrement dit, la punition judiciaire n’est pas exempte de volonté vindicative même si, en considérant que l’affront a été fait à la loi et non pas à la victime, elle prétend punir et prévenir la récidive plutôt que compenser un mal. Autrement dit, la justice sanctionnerait un coupable au nom de la sauvegarde de la société tandis que la vengeance répare et cherche à restaurer l’intégrité de la victime. Mais les choses ne sont pas aussi tranchées : selon Paul Ricoeur, la justice demeure « une forme atténuée, filtrée, civilisée de la vengeance (« L’acte de juger » in Le Juste). Si l’on revient au point de vue de l’individu, on dira que se venger est avant tout un désir qui se prévaut de la réciprocité et de l’échange équilibré comme lien entre les hommes. Mais lorsque le désir se fait appétit de vengeance, on voit surgir le droit archaïque du sang. Pensons à un fait divers comme celui où un homme décide de monter une expédition punitive après que l’un des siens a été victime d’une mauvaise querelle : deux jeunes qui n’y sont pour rien meurent poignardés. On songe au loup de la fable : « Si ce n’est toi, c’est donc ton frère (…) il faut que je me venge ». Pensons aussi aux règlements de comptes entre voyous qui font souvent la une de l’actualité ; l’escalade de la brutalité y ramène l’homme à être « un loup pour l’homme ». Ces actes, qui relèvent d’une violence compensatoire pratiquée depuis la nuit des temps dans les sociétés claniques au nom de l’honneur, ressurgissent aujourd’hui dans les sociétés politiques au nom de l’orgueil (cette forme dégradée de l’honneur) quand l’état de droit ne peut, ou ne veut, s’imposer dans certains territoires. Ils s’étayent sur un sentiment de défiance envers les institutions, lequel libère les pulsions agressives, et s’incarnent dans l’esprit de représailles. Le règlement de compte, qui se prévaut des passions tristes que sont la haine et l’intérêt, est donc une forme exacerbée et furieuse de la vengeance. Tout le contraire de la position d’Aristote sur la question ! Mais quand elle n’est pas fureur, la colère n’est-elle pas une réaction saine, signe de liberté pour qui veut que sa dignité et son intégrité soient rétablies ? Le désir de vengeance s’étaye sur une durée et prend la forme d’un projet – les grands récits de vengeance comme Le Comte de Monte-Christo montrent à l’envi que c’est un plat qui se mange froid... Y céder serait sans doute risquer de répondre à un dommage ou à un crime par un autre dommage ou un autre crime. Mais y renoncer serait se condamner à la passivité, au repli sur soi, voire au ressentiment. Comment alors réparer un préjudice sans passer du côté de l’hubris ? La justice pénale, quand elle concède à la victime le statut de « partie civile » et reconnait publiquement à celle-ci une existence tente d’apporter une réponse en prenant en compte symboliquement le désir vindicatif. De plus, certaines procédures destinées à apaiser les conflits ont été introduites en droit français depuis quelques années. Ainsi le Parquet peut engager des missions de médiation entre un délinquant et sa victime ou demander au premier de dédommager la seconde. L’ultime apaisement passe bien sûr par le pardon. Notre société judéo-chrétienne met en avant le pardon oblatif qui repose sur le commandement d’aimer ses ennemis mais tout le monde sait qu’il s’agit là d’une chose impossible, destinée, en réalité, à faire comme si l’offense n’avait jamais existé. Pour pardonner vraiment, ne convient-il pas de regarder le mal en face et de ne pas refouler le désir de vengeance par l’effacement du vécu ? Ce qui n’implique pas nécessairement de passer à l’acte mais de mettre l’offenseur en face de ses responsabilités : c’est le cas avec les procédures de la justice dite transitionnelle qui substitue à la responsabilité juridique la responsabilité morale. L’exemple de la commission « Vérité et réconciliation » dans l’Afrique du Sud post-apartheid est éloquent : la confession des crimes commis valait amnistie et promesse de réconciliation. Ainsi, grâce à l’aveu des bourreaux qui se retrouvaient non pas face à des juges mais face à leur conscience, grâce également à la reconnaissance accordée aux victimes, la réparation propre à la vengeance a peut-être pu se transformer en vertu de pardon. Comme le disait le philosophe Max Scheler, pour pouvoir pardonner, il faut avoir le désir de se venger. La Némésis moderne commande sans doute de conjuguer la vengeance en puissance et le pardon en actes. Michel Erman, Université de Bourgogne, auteur de Eloge de le vengeance (PUF 2012) Posté par pierregautier75 à 09:07 - Commentaires [21] - Permalien [#] * [58723078.jpg] Article précédent (20/10/2010) P COMME PÉDOLOGIE (POUR ABCDAIRE DES SOCIÉTÉS... La pédologie, ce n'est ni la podologie, ni la pédicurie, qui ont trait à l'étude et aux soins portés aux... » Lire la suite Commentaires sur V comme Vengeance [default_pp.png] La vengeance s'appuie sur de la haine, éventuellement "forcée", pour l'offenseur. Il faut choisir entre la haine pour soi, disposé à la lâcheté, et celle pour l'offenseur, dont il faut se venger. C'est le principe de la vendetta, où c'est l'honneur de la famille qui est en jeu, et qui interdit tout pardon. Mais de vengeance en vengeance les meurtres s'accumulent sans annuler la dette. Il y a toujours un dernier qui doit être vengé. Le tabou du meurtre a été la première défense contre ce risque d'enchainement, et a été l'ébauche d'une justice se substituant à la victime ou à ses proches. À l'honneur de la vengeance s'est substitué le principe:"nul ne peut se faire justice." Posté par Y.L., 17 mai 2014 à 09:54 | | Répondre * [default_pp.png] Nul ne peut se faire justice... Maintenons nettement la nécessité de ce principe (des sociétés modernes) et que soient sanctionnés ceux qui y portent atteinte en agissant comme s'ils ignoraient ou refusaient cette délégation du droit de juger, condamner, réparer... à la seule autorité du seul Etat. Mais à peine ai-je écrit que j'adhère pleinement à la nécessité de cette délégation et ma détestation des familles, bandes, mafias et autres qui prétendent se faire justice elles-mêmes... que je me sens un peu mal à l'aise car rien ne me semble plus naturel que la tentation de la vengeance! Et je sais gré à l'auteur du texte d'avoir apporté quelques éclairages sur ce qu'on peut quand même penser de la vengeance même si l'usage philosophique est de la tenir pour condamnable, inacceptable, impensable et au bout du compte condamnée sans autre forme de procès. Pas facile, quand même, de se débarrasser d'une inclination si partagée: oui, elle est irrationnelle (le désir et la foi aussi...), oui elle est inconciliable avec l'amour des lois (la révolution l'est-elle mieux?), oui elle renvoie à une conception antique et terrible dont la tragédie grecque nous a montré l'horreur et la nécessité de sortir. Mais faudrait-il qu'au nom de la répression de la tentation de la vengeance on cultive un entraînement à faire comme si l'on n'est pas offensé quand on l'est et que les agresseurs n'aient pas aussi à considérer qu'un des risques auxquels ils s'exposent est que l'agressé se rebiffe et se rebelle? Il faut sans aucun doute pour l'honnête homme prendre avec méfiance et prudence la tentation ou même l'idée de la vengeance qu'il pourrait sentir monter en lui. Mais l'entraînement à la passivité et au repli sur soi peut non seulement mener au ressentiment (pour reprendre les termes de Michel Erman) mais aussi développer un esprit d'indifférence dont notre société pourrait également pâtir. Posté par JCH, 19 mai 2014 à 17:08 | | Répondre * [default_pp.png] Le désir de vengeance est naturel et, sûrement pas, "impensable". Mais sa prise en charge générale par la loi et ses représentants est un fait de culture, laquelle est une spécificité de l'homme. Le désir de vengeance(sauf délire de persécution) est plus rationnel que le désir ou l'état amoureux. Quant à la foi, elle est la condition, vécue comme rationnelle, de la logique propre d'une religion. Un problème d'actualité "judiciaire" est la définition de la limite entre "légitime défense" et "vengeance". Des juges ont tendance à contester la légitime défense quand elle aboutit à la mort de l'agresseur. Posté par Y.L., 20 mai 2014 à 07:39 | | Répondre * [default_pp.png] ....ou à des blessures sérieuses (souvenir de quelques affaires). Parfois, si le motif de l'agression est le vol, l'usage d'une arme, même autorisée, peut être contesté. Posté par Y.L., 20 mai 2014 à 08:43 | | Répondre * [170885.jpg] Comme les commentateurs précédents je suis sensible à l'idée développée par Michel Erman de façon très convaincante et selon laquelle il n'est ni possible ni souhaitable de se débarrasser comme ça de la vengeance. Rousseau dans une note de l’Emile (livre IV), consacrée à la question du duel, me semble aller dans le même sens : en matière d’honneur (de fierté, dirait peut-être Michel Erman), dit-il en substance, nul tribunal ne peut se substituer à moi : « Un soufflet et un démenti (insulte) reçus et endurés ont des effets civils que nulle sagesse ne peut prévenir, et dont aucun tribunal ne peut venger l’offensé ». Un tribunal peut sanctionner celui qui m’a déshonoré : il n’y a que moi qui puisse récupérer mon honneur. « Il ne dépend pas de l’homme le plus ferme d’empêcher qu’on ne l’insulte, mais il dépend de lui qu’on ne se vante longtemps de l’avoir insulté ». Aujourd'hui seul un tribunal peut punir celui qui m'a offensé, et c'est sans doute un progrès décisif dans l'ordre de la civilisation, mais on peut douter que cela suffise pour rétablir qui que ce soit dans son honneur. Certains progrès de la civilisation coûtent parfois bien cher. Posté par pierregautier75, 20 mai 2014 à 09:37 | | Répondre * [default_pp.png] Quel progrès de la civilisation ne coûte pas cher? Je n'en vois aucun. Heureusement, pour nos sociétés, il est....progressif. La résistance qui lui est opposée est partielle, fait des vieux, surtout. Outre le coût lié à l'innovation et à "sa valeur ajoutée", il y a le coût psychique du changement d'habitudes et de vision globale de notre culture. Le "bon-vieux-temps" fait toujours de la résistance! L'adaptation doit être dure pour les immigrants, qui doivent ressentir un décalage important, et déroutant. Renoncer à se venger ne supprime pas le mot et ce qu'il représente. Posté par Y.L., 20 mai 2014 à 10:50 | | Répondre * [default_pp.png] Le Coup de boule donné par Zidane n'a pas été ridiculisé comme il le méritait... Par ailleurs, j'approuve le désir de faire subir au coupable l'équivalent du mal qu'il a fait, à condition de pas se faire justice soi-même. Le pardon n'est dû qu'à celui qui se repent, sinon, non. Posté par senik, 20 mai 2014 à 12:51 | | Répondre * [default_pp.png] Les footballeurs bénéficient d'un statut privilégié, à moins "qu'on leur pardonne beaucoup". Pierre Desproges a parlé pour la majorité silencieuse. Posté par Y.L., 20 mai 2014 à 15:50 | | Répondre * [default_pp.png] ....Ce sont nos gladiateurs, libres. Posté par Y.L., 20 mai 2014 à 16:16 | | Répondre * [170885.jpg] Aristote : sur la colère et la vengeance ( qui, si elle est "mesurée, est préférable à l'indifférence" (Erman)) Rhétorique (II) : : « La colère sera un désir, accompagné de peine, de se venger ostensiblement d’une marque de mépris manifesté à notre égard, ou à l’égard de ce qui dépend de nous, contrairement à la convenance. Nécessairement aussi, toute colère est accompagnée d’un certain plaisir, celui que donne l’espoir de la vengeance. En effet, on se plaît à la pensée d’obtenir ce qu’on désire ; or personne ne désire les choses dont l’obtention lui apparaît comme impossible ; mais la personne en colère désire des choses qu’elle croit possibles. Aussi rien de plus juste que ces vers sur la colère : « Qui, plus douce encore que le miel, qui coule avec limpidité, se gonfle dans la poitrine des hommes » (Homère) » Ethique à Nicomaque (V) : « Celui donc qui se laisse aller à la colère dans des occasions, ou contre des gens qui la méritent et qui de plus s’y laisse aller de la manière, dans le moment et durant tout le temps qu’il convient, celui-là doit recevoir notre approbation (…) Mais le défaut en ce genre, soit qu’on l’appelle une impuissance à se mettre en colère, soit qu’on le qualifie de tout autre nom, est toujours digne de blâme (…) c’est une lâcheté digne d’un esclave de supporter une insulte et de laisser attaquer ses proches impunément. » Posté par pierregautier75, 21 mai 2014 à 09:53 | | Répondre * [default_pp.png] Le mot "indifférence" me pose problème. Peut-elle être authentique en cas d'offense? Comme je l'ai écrit, il peut se présenter le choix entre haine de soi, et haine exprimée ou agie, à l'encontre de l'offenseur. Mais aussi, un réel mépris, qui n'est pas indifférence, pour l'offense et l'offenseur réunis. La vengeance est écartée. Considérer comme une lâcheté "digne d'un esclave" de supporter une insulte n'a plus de sens avec le christianisme. Laisser attaquer ses proches est une autre histoire. La société gagne à la réserve des sentiments "bruts", à l'abstention d'actes violents. Posté par Y.L., 21 mai 2014 à 10:18 | | Répondre * + [170885.jpg] " La société gagne à la réserve des sentiments "bruts", à l'abstention d'actes violents", écrivez-vous sans aucun doute à juste titre; mais cette abstention et cette réserve ne comportent-elles pas aussi quelque risque, pour la société elle-même? Je pense au risque d'encourager les entreprises des violents dès lors qu'ils n'auront plus à craindre que la loi. Je ne fais que reprendre là ce que, dans un commentaire précédent, JCH avait écrit: "Mais faudrait-il qu'au nom de la répression de la tentation de la vengeance on cultive un entraînement à faire comme si l'on n'est pas offensé quand on l'est et que les agresseurs n'aient pas aussi à considérer qu'un des risques auxquels ils s'exposent est que l'agressé se rebiffe et se rebelle?" La vengeance doit être interdite. Mais peut-être est-il bon, voire nécessaire, que tout en étant interdite chacun sache qu'elle est toujours possible. Posté par pierregautier75, 21 mai 2014 à 12:16 | | Répondre * [default_pp.png] "La vengeance est un plat qui se mange froid", dit, il me semble, un dicton. Votre réserve me semble parler de la réaction immédiate à l'agression. Il s'agit alors, plutôt, de légitime défense, à laquelle peu de citoyens des sociétés modernes, policées, sont préparés. Il vaut mieux, le plus souvent, ne pas réagir, que de risquer un coup de couteau, ou un coup de feu. Mais par contre, enregistrer tous les détails qui pourront aider la police. Une façon courageuse de préparer la vengeance de la société. Posté par Y.L., 21 mai 2014 à 13:29 | | Répondre * [default_pp.png] Django unchained et autres… Ce passionnant billet de Michel Erman me fait penser à plusieurs films récents qui ont bien illustré ce problème de la vengeance. Ah que la vengeance est jubilatoire au cinéma ! Dans le récent Millenium, quel n’est pas notre plaisir quand l’héroïne tatoue « violeur » sur le torse de son tortionnaire (censé la protéger) après lui avoir infligé l’équivalent des sévices qu’il lui a fait subir (et dont il semble coutumier). Seuls ces mots me sont venus à l’esprit « Bien fait ! » « Quel plaisir de voir ainsi la faiblesse triompher de l’ignoble plus fort que vous ! » … et quelle bonne idée de l’écrire et de le montrer au cinéma. Car c’est juste. Enfin les victimes ne sont plus victimes ! Enfin les victimes disent merde ; forcément jubilatoire. De la même façon, dans Dango unchained, on est tellement content quand la force libérée (l’esclave affranchi), et l’intelligence déterminée (le lecteur des philosophes des Lumières, adepte de bons mots) peuvent enfin dégommer la bêtise, la cruauté et la brutalité arrogante (Brad Pitt, en l’occurrence Brad « pitre »). On ne se sent plus de joie ! (au passage, le cinéma américain a été très bien inspiré de diffuser juste au même moment le film Lincoln qui montrait le côté « juridique », et pourtant à main d’homme car artisanale, de la lutte pour l’élaboration des lois mettant fin à l’esclavage. Voir les deux films en peu de temps d’intervalle fut un grand moment pour moi.) Alors quoi ? Le cinéma nous permettrait de jouir sadiquement à bon compte (les deux premiers films cités sont une succession de scènes ultra violentes). Pour moi pas du tout. J’ai horreur du sadisme et de la violence gratuite au cinéma. Ça me dégoute. Je n’y trouve strictement aucun intérêt et je préfère regarder les films animaliers sur les poissons si j’ai le choix. Je pense qu’il est troublant et pose des questions ce réel plaisir jubilatoire provoqué par le spectacle d’une juste vengeance. Les transports dans lesquels nous entrons n’ont d’équivalent que dans ce qu’on nomme les émois amoureux. C’est bien de l’ordre du corps. On a chaud, on est content. Le cœur nous étreint. On a envie de rire etc.… Bien sûr il faut que la vengeance soit juste. Aucune de ces sensations ne se produit dans une vengeance, compréhensible intellectuellement, mais à laquelle nous nous sentons quelque peu étrangers : film noirs à La Melville avec vengeance entre truands etc.… Avec la juste vengeance, ce qui me trouble dans l’existence de ces symptôme corporels, c’est que, contrairement à l’amour, je ne vois pas comment on peut en faire une étude éthologique. Beaucoup de philosophes matérialistes expliquent l’amour comme une forme d’instinct, une chimie complémentaire, des odeurs qui se combinent etc.… Pourquoi pas ? Admettons. Dans la vengeance c’est comme si à l’intérieur de notre corps il y avait un petit pendule qui se dérègle quand les choses sont injustes, ne sont pas en équilibre, et notre corps retrouve son bonheur et nous en fait part quand une « réplique » (Erman) a été donnée au coup qui modifiait cet équilibre, redonnant à la balance du bien et du mal son équilibre en faveur du bien. Cette réflexion un peu nouvelle pour moi est peut-être lourde de conséquences : on aurait, inscrit en nous le bien et le mal ??? Rien de très matérialiste ou éthologique là-dedans…Suite plus tard. Posté par marianne, 22 mai 2014 à 18:18 | | Répondre * [default_pp.png] Ce rappel, par Marianne, de ce que le cinéma fait de la question de la vengeance, ses "choux gras", montre que la répression, préventive, de la vengeance, n'en efface pas le désir et les fantasmes. Le cinéma est un art, mais aussi, un "bizeness", qui a besoin de spectateurs, qui demandent de l'émotion, pas des leçons. C'est pourquoi il est "suiviste", et exploite les travers humains, les débauches dont ils rêvent. La préoccupation de l'ordre public n'est pas celle des cinéastes. Qui nous rappellent notre réalité. Ellei n'a pas besoin de se forcer pour survivre. Posté par Y.L., 23 mai 2014 à 06:56 | | Répondre * [170885.jpg] YL a sans doute raison de nous mettre en garde contre une nostalgie déplacée de la vengeance. J’ai quand même envie d’insister encore un peu. Un argument souvent avancé contre la vengeance consiste à dire qu’elle ne sert à rien, qu’elle ne supprimera pas le mal subi : « Peut-être notre adversaire nous a-t-il fait perdre notre fortune, notre rang, nos amis, nos enfants, — la vengeance ne rachète pas ces pertes… » écrit Nietzsche dans une page d’ « Humain trop humain » que je viens de découvrir et où il distingue deux sortes de vengeance, la "vengeance de conservation" qui vise à détruire ce qui nous menace (le terme de vengeance est-il adéquat ? se demande-t-il) et la "vengeance de réparation" qui vise à toucher à l’endroit sensible celui qui nous a blessé, quitte à mettre en danger notre propre conservation pour y parvenir. Mais il poursuit : « la vengeance ne rachète pas ces pertes, la réparation ne se rapporte qu’à une perte accessoire qui s’ajoute à toutes les pertes mentionnées. La vengeance de la réparation ne garde pas des dommages futurs, elle ne répare pas le dommage éprouvé, — sauf dans un seul cas. Lorsque notre honneur a souffert par les atteintes de l’adversaire, la vengeance est à même de le rétablir. Or ce préjudice lui a été porté de toute façon, lorsque l’on nous a fait du mal intentionnellement : car l’adversaire a prouvé par là qu’il ne nous craignait point. Notre vengeance démontre que, nous aussi, nous ne le craignons point : c’est en cela qu’il y a compensation et réparation. (L’intention d’afficher l’absence complète de crainte va si loin, chez certaines personnes, que le danger que la vengeance pourrait leur faire courir à elles-mêmes — perte de la santé ou de la vie, ou autres dommages — est considéré par elles comme une condition essentielle de la vengeance. C’est pourquoi elles suivent le chemin du duel, bien que les tribunaux leur prêtent leur concours pour obtenir satisfaction de l’offense : cependant elles ne considèrent pas comme suffisante une réparation de leur honneur où il n’y aurait pas un danger, parce qu’une réparation sans danger ne saurait prouver qu’elles sont dépourvues de crainte.) » Posté par pierregautier75, 23 mai 2014 à 09:18 | | Répondre * [default_pp.png] Je suis sorti au bout d'une demi-heure de la projection de Django Unchained: je ne supportais plus ce niveau de violence représentée, ni d'être amené à une sorte de délectation morbide, de sidération, et de sentiment d'impuissance face au spectacle de l'horreur... On m'assure que j'ai eu grand tort et que j'aurais dans la suite du film trouvé de quoi apprécier et me réjouir. Peut-être... En tout cas, ma réaction ne m'empêche pas d'avoir bien apprécié le commentaire de Marianne et ce qu'elle dit sur notre jubilation de spectateurs quand, dans le film, vient le moment où les méchants sont punis (et d'autant plus si c'est par là où ils ont agi...), où les victimes sont vengées...Je ne crois pas qu'il s'agisse là d'une exploitation de nos travers, mais d'une nouvelle forme de l'antique surgissement de l'horreur et de la pitié, et peut-être d'un temps de catharsis. Certes en cela, c'est un tréfonds de sentiments et de conceptions très archaïques qui est remis au jour et ce n'est évidemment pas comme ça que se construit l'organisation d'une société de sûreté et de justice. Mais enfin, nous ne pouvons peut-être pas tous tout le temps et en toutes occasions prétendre accéder à cette sagesse prudente qui nous mène à ne pas réagir et à opposer à ce qui nous agresse ou nous révolte le souverain mépris du juste pour l'injuste! La défense peut-être (dans des conditions très précises) "légitime". La vengeance ne l'est pas, surtout si elle est le plat qui se mange froid comme dit le proverbe. En tout cas, elle n'est pas légale. Elle est peut-être compréhensible et, si elle doit être jugée, elle peut ne pas être condamnée. Je pense en écrivant cela au procès qui s'ouvre, celui du père qui a organisé l'enlèvement et la remise à la justice du meurtrier de sa fille... qui sinon aurait sans doute continué à couler des jours paisibles. Rien pour ce père ne rachètera la perte (cf le texte de Nietzsche) et il est certainement bon que son procès ait lieu... J'espère que le verdict sera juste...et clément. Posté par JCH, 23 mai 2014 à 11:02 | | Répondre * [default_pp.png] Les animaux ne se vengent pas (sauf les mules, mais pas n'importe lesquelles). Pourquoi le désir de vengeance tenaille-t-il les humains? À cause de notre mémoire, condition nécessaire à la vengeance. Mais pas suffisante, à cause de nos règles sociales. Dont nous sous souvenons aussi, en majorité. "L'ignorance ne s'apprend pas."(Gérard de Nerval). Donc, nous n'ignorons pas nos motifs, et nos désirs, de vengeance. Reconnaitre leur vanité n'est pas leur déni. Posté par Y.L., 23 mai 2014 à 11:33 | | Répondre * [default_pp.png] Je suis bien d'accord qu'il vaut mieux ne pas se venger. Mais il reste passionnant d'essayer de comprendre. Nietzsche est si précieux : "car l’adversaire a prouvé par là qu’il ne nous craignait point. Notre vengeance démontre que, nous aussi, nous ne le craignons point : c’est en cela qu’il y a compensation et réparation.". Voilà : c'est la possibilité du courage et de la dignité retrouvée quand on est faible. Ce qui fait si plaisir c'est le courage du faible. Marianne Posté par marianne, 28 mai 2014 à 15:20 | | Répondre * [default_pp.png] Hamlet ! Une autre réflexion sur la vengeance est toujours aussi de l’ordre du corps : c’est le symptôme d’Hamlet. Absolument dépourvu de passion triste, on peut aussi mourir à petit feu ou s’étioler physiquement et moralement à de ne pas venger (et non se venger). On peut n’en vouloir à personne, comprendre l’humain et savoir qu’on manque à ses devoirs à ne pas venger. Venger le déshonneur et la mort d’un proche par exemple, un fils ou un père, que par bêtise, lâcheté, ignorance, arrogance, (rien que de très humain) les autres ont condamné à mort moralement et physiquement. L’injustice totale en un mot. La figure (peut-être hugolienne ou balzacienne) du « bienfaiteur » accusé, méprisé, vilipendé qui en meurt. (Aussi un cas de figure certainement plus répandu qu’on ne croit. Il y a souvent un moment où les hommes forts, justes et bons sont insupportables pour les autres. Ressort de bien des romans). Et il y alors ce fameux déséquilibre qui reste, qui est là. Dans Hamlet, par exemple, dans un western, dans une petite communauté, il y a un individu qui est la victime oubliée, disparue, niée, victime de la communauté, de l’institution, de la doxa. Là il y a un problème. Comment se venger de la communauté injuste alors qu’on le pourrait, sans s’exclure de cette communauté pour la vie. C’est lourd pour un jeune homme comme Hamlet (qui en plus comprend l’humain, trop humain). Mais il le pourrait ; car c’est encore un individu face à une communauté restreinte. Et il le devrait ; car sans cesse les souffrances de ce proche lésé, oublié par les autres sont présentes et vivantes pour lui. Je parle de situation grave ou la mort est le prix que la victime a payé. Et je parle de situation ou la justice de la société ne peut rien pour remplacer la vengeance puisque c’est la société qui est injuste et qui commet l’injustice. Rarement la société ne reconnait une injustice commise par elle sauf si elle est faite à des millions d’hommes. Et là, comment ces millions d’hommes peuvent-ils venger leurs morts ? Là on parle de L’Histoire avec un grand H et c’est encore une autre histoire. Mais dans le cas du proche de la victime d’une communauté restreinte et d’une doxa, la vengeance c’est peut-être comme dit Michel Erman, mettre les autres en face de leurs responsabilités. Plus facile à dire qu’à faire. Et le déséquilibre reste là comme une malédiction pour tous. Posté par marianne, 28 mai 2014 à 15:56 | | Répondre * + [default_pp.png] La vengeance appelle la vengeance, Le meurtre appelle le meurtre , La vendetta appelle la vendetta.... Que devient la civilisation ? Posté par M&J, 28 mai 2014 à 18:04 | | Répondre Nouveau commentaire Annuler la réponse Entrez votre commentaire ____________________________________________________________ ____________________________________________________________ ____________________________________________________________ ____________________________________________________________ Commenter avec [comment_with_cb.png] CanalBlog | Utiliser [comment_with_fb.png] Facebook Se déconnecter OU * Nom ou pseudo ____________________ * Votre email ____________________ Site Web ____________________ * Champs obligatoires. Adresse email visible uniquement par l'auteur du blog. [X] Recevoir un email lorsqu'un commentaire est publié sur ce message. (BUTTON) Publier vive les sociétés modernes - abécédaire Cet abécédaire est élaboré progressivement. Les contributions proviennent d'horizons (professionnels, disciplinaires, philosophiques...) divers. Il voudrait être un témoignage sur notre époque. * Accueil du blog * Recommander ce blog * Créer un blog avec CanalBlog ____________________ Rechercher Catégories * Auteurs * Notions * Ouverture: éloge des sociétés contemporaines Derniers messages * X comme Xénophobie ou intégration (le choix des sociétés modernes)* * reprise * W comme Workfare * W comme Simone Weil (complément sur les partis politiques) * W comme Simone Weil ( ou une philosophie en actes) * W comme Wall-Street (le Temple de la Finance) * W comme Welfarisme (en éthique animale) * W comme Weber Max (conviction et responsabilité) * Reprise * V comme Visage (et modernité) * V comme Votations * W comme Simone Weil (ou l'inquiétude de la pensée) * V comme Vibrations (et ondes) * V comme Vertu (politique) * V comme Vengeance Derniers commentaires * Je vais reprendre tout cela au début... Oui, au sur X comme Xénophobie ou intégration (le choix des sociétés modernes)* * Le terme de "Préférence Nationale" fait partie du sur X comme Xénophobie ou intégration (le choix des sociétés modernes)* * Je brûle de savoir quels sont les pays qui ont sur X comme Xénophobie ou intégration (le choix des sociétés modernes)* * Comme M&J j'ai tendance à penser que la sur X comme Xénophobie ou intégration (le choix des sociétés modernes)* * L'Étranger, de Camus, n'est pas étranger à son sur X comme Xénophobie ou intégration (le choix des sociétés modernes)* * La présentation d'André Senik est claire et bien sur X comme Xénophobie ou intégration (le choix des sociétés modernes)* * Je me permets d'ajouter à propos du film sur X comme Xénophobie ou intégration (le choix des sociétés modernes)* * La xénophobie est une question importante, ne sur X comme Xénophobie ou intégration (le choix des sociétés modernes)* * C'est, semble-t-il, depuis le remplacement d'un sur W comme Workfare * Les "réflexions à propos de la théorie des sur W comme Simone Weil ( ou une philosophie en actes) CAPTION: « mai 2014 » dim lun mar mer jeu ven sam 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 21 22 23 24 25 26 27 28 29 30 31 Blog hébergé par CanalBlog | Plan du site | Blog Politique créé le 23/10/2006 | Contacter l'auteur | Signaler un abus Quantcast