Avec le web, les possibilités de communication sont démultipliées à l’infini. Un simple individu peut potentiellement faire connaître son opinion aux 4 coins du monde, sans les lourdeurs et les investissements financiers d’une télévision ou d’un journal papier périodique. C’est ce qui réjouit les citoyens et ce qui effraie les pouvoirs en place.
Les Etats (pseudo-démocraties ou franches dictatures) et leurs confrères (grands médias, marchés, multinationales...) n’ont jamais voulu, et ne voudront jamais, laisser une véritable liberté d’expression aux masses, ils veulent garder ces dernières sous leur influence et leur contrôle exclusif. Par nature, ces pouvoirs, à la fois alliés et ennemis, ne veulent pas de concurrence, ni de critiques excessives, ni de réseaux d’informations parallèles et trop indépendants. Pourtant, il existe si peu de gens qui formulent des critiques radicales qu’ils n’ont vraiment rien à craindre ! Quand ils lâchent un peu la bride, c’est pour se donner bonne apparence et parce que les contestataires sont trop minoritaires pour les atteindre.
De toute façon, vu l’étendue et la gravité de leurs "casiers judiciaires", on ne peut pas décemment faire confiance à ces pouvoirs pour instaurer une régulation honnête et démocratique.
D’un autre côté, vu le manque de mesure de certains, des contrôles semblent nécessaires pour limiter les abus.
Mais au fait, qu’est-ce que la liberté d’expression ?
La liberté d’expression consiste pour n’importe qui à pouvoir faire connaître au plus grand nombre n’importe quelle opinion.
Un tel principe ne peut s’appliquer qu’en l’absence de censures, de tri (conformes, non-conformes) et de hiérarchisation des opinions (jugées importantes ou non...). Il faudrait donc que tout le monde ait accès aux moyens techniques de large diffusion, et que chacun puisse consulter toutes les opinions en circulation. Pour internet, il faudrait donc des systèmes d’hébergements et d’annuaires gratuits et ouverts à tous (sauf aux sites commerciaux) et sans aucune discrimination. On est loin du compte !
Le problème est qu’avec une telle liberté d’expression, insultes racistes, diffamations diverses, incitations au meurtre... ne manqueront pas de fleurir. Les réglementations sont différentes suivant les pays et il est difficile d’être sûr de l’adresse de quelqu’un qui a publié un site depuis l’autre bout du monde... Comment alors sortir de ce problème ?
On pourrait penser à la création d’un organisme international, démocratique et indépendant, qui exclurait les pages web qui exagèrent, sur la base de principes admis par tous. Mais les Etats ne peuvent jamais se mettre d’accord sur des principes communs et l’organisme en question risquerait toujours de dériver vers des formes de contrôle trop tatillonnes.
On pourrait aussi ne rien interdire dans le domaine de l’opinion, (le commerce c’est un tout autre problème) et accepter la diffusion d’idées racistes, guerrières, machistes, fascistes, homophobes... Les gens donneraient libre cours aux insultes et aux diffamations les plus crues... Ne rien interdire ne veut pas dire, bien entendu, qu’on approuve tout.
Il faudrait alors compter sur l’éducation et le sens critique de public pour faire le tri. Les internautes se méfieront de ce qu’ils consultent et ne croiront rien avant de l’avoir vérifié. On pourrait compter sur le fait que des opinions non-respectueuses de la dignité humaine seraient critiquées. Ceux qui diffuseront des insultes seront peut-être, au bout du compte, moqués et boudés par la majorité ?
En faveur de cette liberté totale, on peut considérer aussi que ce n’est pas en interdisant qu’on élimine des opinions criminelles des têtes. Ce n’est pas en condamnant (judiciairement parlant) des propos racistes ou homophobes qu’on fera reculer le racisme et l’homophobie dans les consciences. Et puis, qui décidera si tel propos est excessif et que tel autre est acceptable ? Où sera la frontière ? On tombe rapidement dans l’arbitraire, le subjectif et le conjoncturel.
En défaveur de cette dé-régulation des opinions, on peut considérer que les victimes n’auraient pas forcément les moyens de se défendre. Tout le monde sait le mal que peut faire une rumeur bien orchestrée... On a beau réagir, une fois que le mal est fait, c’est trop tard. Ensuite, le réseau risque de se transformer en guerre perpétuelle et on ne pourrait plus se fier à aucune information, des entreprises pourraient aussi être critiquées et des réseaux d’assassins pourraient être favorisés par l’absence de répression de leurs idées. Par exemple, des racistes qui peuvent diffuser leurs idées seraient peut-être plus enclins à tabasser des étrangers ? Certainement aussi que les opinions majoritaires prendraient toute la place et ne laisseraient aux autres que des petits recoins "cachés".
En gros, on se retrouverait dans une sorte de jungle, sans le vernis de la pseudo-civilisation. Ce serait peut-être pas plus mal, moins hypocrite, plus conforme aux réalités quotidiennes. Au moins, les choses seraient dites au grand jour. Et puis, si les pouvoirs des médias et des entreprises étaient déstabilisés, ce serait amusant. La publicité et le commerce seraient aussi menacés par une méfiance généralisée...
De plus, pourquoi limiter la "dé-régulation" de l’opinion à internet, il faudrait aussi le faire pour les autres médias et la rue... Vous imaginez la pagaille. Tout ça ne peut pas plaire aux pouvoirs, soucieux de maintenir le désordre existant en leur faveur et de garder une civilisation de façade (derrière laquelle ils commettent leurs crimes impunément).
En conclusion
Dans nos "sociétés", compte tenu de l’arriération des mentalités (les exceptions ne sont pas légion) et du despotisme plus ou moins brutal des pouvoirs, il est impossible d’instituer une liberté d’expression digne de ce nom. Internet, malgré d’apparentes facilités liées à sa technologie mondialisée, ne change rien à ce constat. Les quelques fenêtres ouvertes dans le blockhaus des censures et du commerce sont insuffisantes et sont combattues par les pouvoirs, qui veulent les fermer le plus rapidement possible.
Les Etats, les multinationales et leurs sujets ne pourront jamais s’entendre sur un organisme démocratique international garantissant une liberté d’opinion à tous, et encore moins sur une "dé-régulation" totale des opinions.
La liberté d’expression sur internet sera donc de plus en plus soumise au bon vouloir des réglementations arbitraires (locales ou mondiales) et sera toujours plus écrasée par la puissance marchande. Pour les marchés financiers, la libre expression est une marchandise comme une autre, qu’on accorde et qu’on contrôle si on peut en retirer du profit. Et qu’on supprime si elle entrave trop les échanges... commerciaux. Les opinions inoffensives (pour les pouvoirs) pourront être autorisées et même être mises en vedette. Les contestataires et autres "originaux dérangeants" devront se contenter de recoins obscurs du cyberespace (si on leur en laisse), ou devront tenter de faire connaître leurs idées par des moyens détournés.
Pour qu’une liberté d’expression existe, il faudrait qu’émerge une série de conditions, dont aucune n’est actuellement remplie. Il faudrait au minimum :
Une majorité d’hommes (et de femmes) libres, éduqué(e)s à réfléchir par eux-mêmes, et qui aient des choses à dire.
Une majorité d’hommes qui se respectent les uns les autres et qui donc ne prennent pas plaisir à faire du mal à autrui.
De véritables démocraties, fondées sur l’égalité, où le capitalisme n’aurait donc plus de place prépondérante.
Des relais techniques qui permettent à tous de faire connaître des opinions et de consulter facilement toutes les idées en circulation, sans censure d’aucune sorte.
Ce n’est pas pour demain. Pour l’instant la liberté d’expression, quand elle existe, n’est que formelle, et elle est réservée, dans la pratique, à des élites et aux opinions "conformes". Le web va servir surtout aux entreprises, pour harceler encore plus les consommateurs et augmenter leurs profits.
Pourtant, la toile est un moyen technique fantastique qui pourrait faciliter une transformation radicale de l’expression libre.
Pour qu’internet ne soit pas dominé par l’expression du libre échange capitaliste, il faudrait tout changer...
NOTE. Des développements récents de l’actualité, en France et à l’étranger, ne font que confirmer, hélas, ce que j’écris.
En 2004, c’est la LEN qui continue le flambeau de la mise au pas d’internet...
Le 28 juin 2000, les "amendements Bloche" veulent transformer les hébergeurs en délateurs, et les inciter à la censure des sites qui seraient dénoncés anonymement par n’importe qui... Comme toujours, les pouvoirs veulent tout mettre sous leur coupe et éliminer les hébergeurs indépendants. C’est vraiment un comble : l’Etat, au lieu de créer des services publics pour internet gratuits et ouverts à tous (sans censure directe ou indirecte), s’efforce, par des moyens détournés, de faire fermer les hébergeurs courageux et idéalistes qui font le boulot à sa place !
Aux dernières nouvelles, le Conseil constitutionnel a supprimé l’article le plus controversé. A suivre...
On apprend aussi le projet d’une espèce d’association de co-régulation (des contenus) consultative, qui servirait soi-disant à sonder les publics et à préparer de bonnes lois par la suite... C’est pas très clair, et quand on voit la façon actuelle qu’à l’Etat de traiter la liberté d’expression, on peut craindre le pire... On pourra toujours aller se faire héberger à l’étranger, en attendant que tous les moteurs de recherche soit pareillement mis en coupe réglée.
Et il y en a qui disent que la démocratie est menacée ! Pour que la démocratie soit menacée, il faudrait qu’elle existe réellement.
En Angleterre, un système de mouchard veut faciliter les écoutes sur internet. La surveillance totale se met en place... pour protéger les citoyens bien sûr.
Aux USA, le système "carnivore" observe les mails en circulation... Votre vie privée n’a de secrets pour personne...