Jacques Poitou Accueil Plan du site |
Langages | Ecritures | Ecritures latines | Ecriture chinoise | Numérique | Cryptographie | Censure | Lexique
| Typographie
| Reproduction et transmission
| Jeux
Règles | Majuscules | Ponctuation | Abréviations | Chiffres | Date | Adresses | Polices | Mise en page | Corrections | Courrier | Bibliographie | Allemand | Anglais – Index |
Qu'est-ce que la typographie ?
La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'Homme : tout Citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l'abus de cette liberté dans les cas déterminés par la Loi. Déclaration des droits de l'Homme en société. Article XI. Extrait des Procès-Verbaux de l'Assemblée Nationale, 6 |
Le mot typographie (de gr. typos, caractère gravé < typtein, frapper, enfoncer, et graphein, écrire), attesté en français dès le XVIe siècle, renvoie aux techniques d'imprimerie avec des caractères mobiles mises au point en Allemagne par Gutenberg. typographie désigne les techniques elles-mêmes, il a désigné aussi l'atelier dans lequel étaient utilisées ces techniques. Par extension, il désigne maintenant également la mise en forme et la mise en page, indépendamment des techniques utilisées (voir aussi Lacroux 2007 : I, 39-40). Il faut bien distinguer ces deux acceptions :
– typographie au sens premier (liée aux techniques traditionnelles de l'imprimerie en Occident) ;
– typographie au sens large : mise en forme de l'écrit.
C'est de la mise en forme de l'écrit qu'il sera question ici.
Les rapports entre l'écrit et la typographie comprennent au moins quatre aspects :
– la typographie conditionne l'accès au texte (problématique de la lisibilité) ;
– la typographie peut être neutre, s'effaçant en quelque sorte derrière le texte, mais elle peut être aussi originale et attirer l'attention du lecteur sur le texte ou la portion de texte qu'elle affecte ;
– la typographie a une dimension culturelle, les formes typographiques évoquent (plus ou moins) des textes de typographie semblable, des périodes où elles ont été employées, voire des communautés ou des pays qui les ont employées ;
– la typographie a aussi, comme toute image, une dimension esthétique.
D'une certaine façon, on peut opposer la typographie à l'écriture : l'écriture est du ressort de la production linguistique (production d'un texte écrit dans une langue donnée), tandis que la typographie concerne la mise en image du texte écrit. Un texte écrit peut être lu à haute voix, c'est-à-dire transformé en ondes sonores. La typographie, elle, reste du ressort exclusif de la perception visuelle. Mais l'écrit est produit et lu dans le cadre de cette perception visuelle dont il est indissociable.
On distingue actuellement, particulièrement en liaison avec le standard Unicode, le texte brut (sans mise en forme) et le texte enrichi (avec mise en forme : italiques, graisses, polices, etc.).
Dans sa dimension esthétique, la typographie relève des arts graphiques. Le texte écrit est une image. Il peut constituer une image à lui seul ou être associé à d'autres types d'images.
[Le code typographique] est à cheval sur le code linguistique et iconique. Il enveloppe le texte avec suffisamment de discrétion pour se faire oublier, mais non sans agir subrepticement (de manière infraconsciente ou subliminaire). A moins qu’il ne rompe brusquement sa continuité et s'écarte des normes habituelles : dans ce cas, le sens supplémentaire qu’il véhicule s’impose. Mais son caractère connotatif, ses significations fluctuantes et sous-jacentes le rattachent plutôt au code de l’image. (Bardin 1975 : 98)
Enfin, chaque lettre, chaque signe qui constitue le texte est aussi une image qui peut avoir une valeur autonome, et le texte peut lui-même être disposé sur la page de telle sorte qu'il forme une image.
Voir aussi la problématique du rébus.
Entre l'écriture (et ses règles orthographiques) et la typographie, il existe une zone qui relève à la fois des deux. Ainsi, la gestion des espaces avant et après les signes de ponctuation relève de la seule typographie, mais l'usage des majuscules, p. ex., – plus précisément des capitales – est conditionné à la fois par des règles orthographiques et par des conventions typographiques. D'où le concept d'orthotypographie, qui remonte au XVIIe siècle (voir Hornschuch 1997).
La typographie (en tant que mise en forme de l'écrit) est conditionnée par les moyens dont on peut disposer à cette fin. On peut distinguer quatre grands ensembles de procédés techniques :
– l'écriture manuscrite ;
– la typographie au sens premier, c'est-à-dire l'écriture avec des caractères mobiles telle qu'utilisée dans l'imprimerie traditionnelle en Europe ;
– la dactylographie, liée à l'utilisation des machines à écrire ;
– les écritures produites à l'aide de l'ordinateur.
A ces différentes techniques correspond aussi un vocabulaire différent : on écrit des textes à la main, le typographe les compose, en dactylographie, on les tape, avec l'ordinateur, on les saisit.
Au moins les trois premières techniques ont entraîné le développement d'habitudes pour l'agencement de l'écrit, habitudes plus ou moins solidement établies, voire érigées en normes. L'écriture numérique est sans doute encore trop récente, les évolutions qu'elle a connues trop rapides et ses utilisations trop diverses pour que s'en dégagent déjà des normes. Mais chacune de ces techniques a été aussi marquée par les habitudes liées aux techniques antérieures. En utilisant des caractères mobiles en plomb, Gutenberg n'avait pas d'autre but que de produire des textes ou des livres semblables à ce que l'on faisait antérieurement, mais plus rapidement, plus économiquement et de meilleure qualité que de la main des copistes. De même, la dactylographie s'est inspirée autant qu'elle le pouvait des usages liés à la composition avec des caractères en plomb. Quant aux écritures informatiques, elles se sont vraiment développées à partir du moment où les logiciels ont permis d'obtenir sans trop de complications les mêmes produits qu'avec les procédés antérieurs, c'est-à-dire à partir de l'apparition des interfaces graphiques.
Mais si la force des habitudes et des traditions est ce qu'elle est, à chaque technique différente correspondent des contraintes et des possibilités différentes et, partant, des standards potentiellement différents.
La technique de l'imprimerie mise au point par Gutenberg au milieu du XVe siècle recouvre plusieurs aspects dont les trois plus importants sont l'utilisation de caractères mobiles (technique inventée en Chine quatre siècles auparavant), une technique de fabrication des caractères en métal et l'utilisation d'une presse à vis pour l'impression proprement dite. L'impression se fait sur parchemin ou sur papier (la technique de la fabrication du papier, mise au point en Chine mille cinq cents ans auparavant, est parvenue en France au XIVe siècle).
Papier
Invention de la typographie en Chine
Techniques d'impression de Gutenberg
En Europe occidentale, pendant plus de quatre siècles, la composition des textes s'est faite exclusivement à la main, caractère par caractère, et l'ensemble du processus de production d'écrits imprimés a engendré une division du travail qui a perduré au XXe siècle après l'arrivée des machines à composer (linotype et monotype) : le texte livré par l'auteur est composé, caractère par caractère, par les compositeurs, des correcteurs sont ensuite chargés de le vérifier. Après correction, il est soumis à l'auteur qui peut éventuellement demander des corrections et qui signe ensuite le bon à tirer. L'impression proprement dite peut alors commencer, elle est suivie du travail de reliure.
Les moyens nécessités par la technique de la typographie traditionnelle sont importants : outre le gros matériel, il faut des centaines de milliers de caractères de métal, etc. De ce fait, cette technique ne pouvait que rester l'apanage d'entreprises spécialisées. En ayant le monopole de leur utilisation, ces entreprises étaient aussi les seules confrontées directement aux questions de typographie : dans la production de l'écrit, la typographie était l'affaire exclusive des typographes.
La dactylographie élargit considérablement le cercle des utilisateurs de l'écriture non manuscrite : les machines à écrire arrivent dans les bureaux vers la fin du XIXe siècle, dans le courant du XXe siècle chez les particuliers (et au début du XXIe siècle, après l'arrivée des ordinateurs, dans les vide-greniers). Mais les possibilités de mise en forme et de mise en page permises par les machines à écrire sont très limitées par rapport aux ressources de la typographie traditionnelle. Les documents dactylographiés n'ont pas non plus la même finalité que les documents imprimés : il s'agit de documents provisoires destinés à être ensuite imprimés ou de documents à diffusion limitée (au sein d'une entreprise ou entre entreprises). De ce fait, la typographie n'est pas la préoccupation principale des utilisateurs. Dès que l'on veut une présentation soignée pour des écrits à faible diffusion (faire-part, cartons d'invitation, etc.), on s'adresse à l'imprimeur.
Si on peut appeler texte numérique tout texte produit à l'aide d'un ordinateur, il faut en distinguer deux grands types :
– les textes numériques destinés à l'impression et formatés à cette fin ;
– les textes numériques destinés au stockage sur support numérique et à la diffusion sur le réseau.
Entre les deux se trouvent les documents de type PDF, adaptés à l'impression et à la diffusion par le réseau.
La diffusion de la micro-informatique révolutionne les conditions de production de documents imprimés : même avec le matériel le moins cher, le possesseur d'un ordinateur, d'un logiciel de traitement de texte et d'une imprimante a les moyens techniques de produire des documents de qualité. Il a même à sa disposition bien plus de moyens (notamment de polices) que les imprimeurs auraient pu rêver d'en avoir.
Mais l'ordinateur succède à trois types d'écriture qui correspondent à trois types d'utilisateurs :
– les imprimeurs et typographes ;
– les utilisateurs de machines à écrire et donc pas seulement les dactylos dans les secrétariats, mais aussi tous les particuliers qui disposaient d'une machine à écrire ;
– ceux, enfin, qui n'ont jamais utilisé ni de caractères en plomb ni de machines à écrire et pour lesquels, donc, l'ordinateur est une alternative à l'écriture manuscrite.
Chacun de ces trois types d'utilisateurs a des habitudes différentes qu'il a tendance à transférer sur la façon dont il utilise l'ordinateur. L'outil que les uns et les autres utilisent n'est pas non plus exactement le même : les imprimeurs utilisent des logiciels de PAO et des polices que n'ont généralement pas les autres utilisateurs, leurs buts ne sont pas les mêmes et leur formation n'est pas non plus la même.
Car si la révolution numérique permet une impressionnante démocratisation de l'impression, mise à la portée du plus grand nombre, elle ne s'accompagne pas pour autant d'une diffusion systématique des savoir-faire en la matière. Dans les établissements d'enseignement, du primaire au supérieur, on apprend à écrire, on apprend aussi à utiliser les ordinateurs, mais la mise en forme et la mise en page du texte ne sont généralement pas objet d'enseignement. En fin de compte, chacun fait, avec les moyens dont il dispose, comme il peut et comme il croit savoir faire.
L'utilisation de l'ordinateur entraîne aussi une modification de la division du travail dans le processus de production de documents imprimés destinés à une certaine diffusion. Jadis (c'est-à-dire jusqu'il y a vingt ans), l'auteur d'un livre ou d'un article avait à remettre un "manuscrit" écrit à la main ou dactylographié (on a parfois employé alors le terme de "tapuscrit"). Il ne lui restait ensuite plus qu'à relire les épreuves qu'on lui soumettait une fois le texte saisi et mis en forme. Tout le reste du travail était assuré dans des officines spécialisées par des spécialistes. Actuellement, les éditeurs demandent de plus en plus aux auteurs de leur fournir des documents prêts à être imprimés, c'est-à-dire corrigés et mis en forme. Cela réduit pour eux les coûts de fabrication, mais amène les auteurs à assurer un travail pour lequel ils n'ont pas nécessairement les compétences et dont ils n'ont pas non plus nécessairement le goût ni le temps. La conséquence en est certainement une baisse globale de la qualité typographique (voire orthotypographique) des documents produits ainsi.
On peut en distinguer deux sortes : les messages échangés par mail, dans les forums ou dans les chats d'une part et les pages web de l'autre. L'un des attraits principaux des premiers est la communication rapide, voire synchrone, qu'ils permettent. Cette rapidité de production et de réception implique et suscite à la fois la disparition de toute préoccupation de mise en forme, que d'ailleurs les logiciels ne permettaient ou ne permettent pas toujours. Pour les pages web, les contraintes et les possibilités des standards actuels sont radicalement différentes de celles de l'impression papier : si l'on peut produire de belles pages web qui ressemblent à de belles pages papier, du moins n'est-ce pas leur vocation première.
Bardin, Laurence, 1998. Le texte et l'image. Communication et langages 26 : 98-112. Document en ligne sur le site Persée, consulté le 2010-10-01.
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/colan_0336-1500_1975_num_26_1_4211.Baudin, Fernand, 1994. L'effet Gutenberg. Editions du Cercle de la Librairie.
Blanchard, Gérard, 1979. Pour une Sémiologie de la Typographie. Andenne : Rémy Magermans.
Bosshard, Hans Rudolf, 1996. Sechs Essays zur Typographie Schrift Lesbarkeit. Verlag Niggli.
Combier, Marx & Pesez, Yvette (eds), 1999. Encyclopédie de la chose imprimée. Paris : Retz.
Extrait des Procès-Verbaux de l'Assemblée Nationale, des 20, 21, 22, 23, 24, 26 Août & premier Octobre 1789, s. l. n. d. Document en ligne, consulté le 2008-12-14.
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k205480r.Felici, James, 2003. Le Manuel Complet de Typographie. Traduit de l'anglais. Paris : Peachpit Press.
Frutiger, André, 2000. L'homme et ses signes. 2e édition. Traduit de l'allemand. Reillanne : Atelier Perrousseaux. 1ère édition originale : Der Mensch und seine Zeichen, 1978.
Hornschuch, Jérôme, 1997. Orthotypographia. Instruction utile et nécessaire pour ceux qui ont à corriger des livres imprimés & Conseil à ceux qui vont les publier. Cendres. Edition originale en latin : 1608.
Jouette, André, 1993. Dictionnaire d'orthographe et de l'expression écrite. Paris : Le Robert.
Klemke, Werner (ed.), 1988. Leben und Werk des Typographen Jan Tschichold. München / New York / London / Paris : Saur.
Lacroux, Jean-Pierre, 2007. Orthotypographie. Document en ligne, consulté le 2007-10-20.
http://www.orthotypographie.fr/intros/telecharger.html.Méron, Jean, 2002. Orthotypograhie. Recherches bibliographiques. Paris : Convention typographique.
Peignot, Gabriel, 1832. Essai historique sur la liberté d'écrire [...] et sur les moyens de répression dont ces libertés ont été l'objet dans tous les temps. Paris : Crapelet. Document en ligne sur le site de la BnF, consulté le 2010-09-27.
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k71890n.Réflexions typographiques d'un groupe d'utilisateurs francophones sur "Le logiciel de mise en page idéal", s.d. Document en ligne, consulté le 2009-12-20.
http://listetypo.free.fr/K2/Reflexions.pdf.Richaudeau, François, 1976. La lisibilité. Paris : CEPL.
Tschichold, Jan, 1991. Schriften. 2 volumes. Berlin : Brinkmann & Bose.
Tschichold, Jan, 1994. Livre et typographie. Essais choisis. Paris : Allia.
Védénina, Ludmilla G., 1989. Pertinence linguistique de la typographie. Paris : Peeters/Selaf.
Viollet, Catherine, 1996. Architecture du dactylogramme. Genesis 10. Document en ligne, consulté le 2006-01-24.
http://www.item.ens.fr/contenus/publications/ articles_cher/Viollet/G10-text-NC.pdf (lien caduc).Wolf, Hans-Jürgen, 1999. Gesichichte der Typographie. Hand- und Maschinensatz im Wandel der Jahrhunderte. Schriftbeispiele. Ulm-Wilbingen : Historia-Verlag.
© Jacques Poitou 2009.