Pour redonner de l’air à une zone euro menacée d’une nouvelle récession, la Banque centrale européenne a décidé, hier, de faire passer son principal taux d’intérêt, le REFI, sous la barre des 1 %, à 0,75 %, pour la première depuis le lancement de la monnaie unique, le 1er janvier 1999, ce qui permettra de diminuer le coût du crédit. Surtout, elle ne rémunérera plus les dépôts au jour le jour que les banques font à ses guichets (et qui atteignent parfois, depuis le début de la crise de la zone euro, près de 900 milliards d’euros) par peur de se prêter de l’argent entre elles. Jusque-là, le « taux de facilité de dépôt » était de 0,25 %, soit bien moins que ce que les établissements financiers pouvaient obtenir sur le marché interbancaire, mais l’opération était sans risque. En supprimant toute rémunération, là aussi pour la première fois depuis 1999, la BCE donne un coup de pied au derrière des banques pour les sortir de leur attentisme destructeur et ainsi réamorcer la pompe du marché interbancaire et donc du crédit.
Mario Draghi, le président de la BCE, a reconnu hier que « les flux de crédit demeurent faibles », en dépit des 1000 milliards d’euros qu’il a prêtés aux banques commerciales en décembre et février dernier à des conditions très avantageuses (opération dite LTRO, 1 % de taux d’intérêt sur 3 ans). En clair, cet argent n’a servi que très partiellement à financer l’économie réelle. Pour Draghi, il y a trois explications. D’abord, la demande des entreprises et des ménages est faible. Ensuite, la décision des gouvernements de la zone euro d’imposer une augmentation très rapide du ratio de fonds propres des banques a contribué à tarir le l’offre de crédit. Enfin, elles ont développé une aversion au risque, comme le montre l’augmentation constante des dépôts auprès de la BCE, ce qui a motivé la suppression de leur rémunération…
Deux mesures importantes, mais qui n’ont pas suffi à rassurer des marchés à nouveau inquiets après la bouffée d’optimisme qui a suivi le sommet européen de jeudi et vendredi dernier. Ils n’ont guère apprécié que Francfort ait refusé de prendre d’autres mesures de soutien dites « non conventionnelles » à la zone euro, notamment en répétant son opération de prêt à trois ans à 1 %. La BCE estime qu’en ayant diminué ses exigences en matière de garantie (« collatéral » demandé aux banques qui empruntent), elle pourra aider les établissements qui en ont besoin. En particulier, comme elle accepte désormais les prêts accordés aux entreprises et aux ménages, cela devrait les inciter à rouvrir le robinet du crédit : plus on prête, plus on peut emprunter auprès de la BCE.
De même, elle a exclu de réactiver son programme d’achat sur le marché secondaire (celui de la revente) d’obligations souveraines des pays attaqués afin de diminuer les taux d’intérêt exigés par les investisseurs, un programme qui est en sommeil depuis février. Un attentisme qui tranche avec l’activisme de la Banque d’Angleterre qui a décidé, hier, d’acheter pour 62 milliards d’euros supplémentaires de bons d’État britanniques, soit un total de 470 milliards d’euros depuis le début de la crise, une opération qui permet au pays de se financer à bon compte... La BCE estime qu’il revient aux États de prendre leurs responsabilités en transformant la zone euro en une véritable union politique, budgétaire et bancaire, ce qui permettra de créer un Trésor européen : justifiant son refus, Draghi a estimé qu’il « n'y a rien à gagner en voulant détruire la crédibilité d'une institution en lui demandant d'aller au-delà de son mandat », la BCE ayant interdiction de financer directement les États. En attendant que les gouvernements se décident à agir, l’été s’annonce chaud, très chaud.
Dessin: Nicolas Vadot
N.B.: article paru dans Libération d'hier.