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Éditorial

La nouvelle Tunisie

Le printemps arabe, décidément, ne correspond plus si parfaitement aux jolis rêves des Européens, ces incorrigibles naïfs. En Égypte, comme on le sait, il tourne au pogrom anticopte. En Syrie, il ne vient pas à bout d’une dictature peut-être plus habile, plus cynique que les autres. En Libye, on liquide Kadhafi, ce qui évite d’avoir à le juger, on libère Syrte dans le sang, et pour fêter cela on annonce le rétablissement de la charia… Que fait notre ministère des Affaires étrangères, un peu ennuyé d’être complice ? Il se dit « vigilant ». C’est, en langage diplomatique, le mot de toutes les impuissances et de beaucoup de lâchetés. On ne va quand même pas se fâcher avec les nouvelles autorités libyennes, qu’on a installées et qui nous ont promis leur pétrole…

Et voici, donc, que les islamistes arrivent au pouvoir
à la première occasion, dans le pays le plus laïc et – de notre point de vue – le plus « avancé » de la région. On pressentait que le parti Ennahda, interdit sous Ben Ali, allait remporter les élections à l’assemblée constituante de Tunisie. Mais le succès des islamistes modérés apparaît désormais dans toute sa netteté et son imparable logique. La dictature Ben Ali justifiait par le « péril vert » sa mise en coupe réglée de l’économie et son oppression policière. Une fois ce régime tombé, il est somme toute naturel que le peuple se tourne vers ceux qui furent les méchants désignés.

Cette victoire peut effrayer. Mais les dirigeants d’Ennahda mettent en avant une culture du compromis. Ils affirment qu’ils ne remettront pas en cause les droits des femmes, l’exemplaire et exceptionnel statut personnel hérité du dictateur Bourguiba. On n’est pas obligé de les croire complètement. On peut penser que la tactique l’emporte ici sur les convictions. On peut redouter, en un mot, qu’ils dévoilent progressivement leur agenda caché. Mais le résultat des élections, finalement assez équilibré, impose un gouvernement de coalition. Il devrait conduire à une constitution pluraliste. Que ce soit par conviction ou par réalisme, les islamistes sont amenés à pactiser. Le jeu électoral oblige à la relativisation des absolus. L’Europe elle-même a mis des siècles à s’y faire. La Turquie et l’Indonésie, deux grandes puissances musulmanes non arabes, y réussissent plutôt bien que mal, le Pakistan, plutôt mal que bien. Entre la culture islamique et le pluralisme démocratique, il y a aujourd’hui difficulté mais non incompatibilité.

C’est vrai, nous peinons à ­compren­dre ce qui se joue. Les bons apôtres de la sécularisation heureuse refusent d’admettre que des citoyens jeunes et libres puissent chercher du sens ailleurs. Ailleurs que dans les valeurs d’un Occident matérialiste, lequel a fait le choix, à leurs yeux étrange, de se couper de ses racines dans l’espoir de s’émanciper. L’évidence est là : absolu pour absolu, les peuples se méfient du nôtre. Ils voient que nous avons troqué Dieu pour l’individualisme et, malgré le luxe dans lequel nous vivons encore, ils pensent qu’il manque quelque chose à notre civilisation. Peut-on leur interdire de chercher leur propre voie ? Ou faut-il que la démocratie consiste à voter et penser à leur place ? À tout prendre, mieux vaut donc regarder le vote des Tunisiens (et des Tunisiennes) avec un certain optimisme. Après tout, ce pays a vécu les premières élections libres de son histoire. Et ces élections pacifiques sont, pour l’ensemble du monde arabe, un vrai signe de printemps.

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