16/01/2012
Le Dakar, coupable d’éco-blanchiment ?
Auparavant qualifiée de « rodéo publicitaire sur le continent de la pauvreté » par les ONG, le Dakar, qui a quitté l’Afrique en 2007, continue de susciter la colère des associations, notamment en raison de son impact environnemental.
Accusé de Greenwashing
Pourtant, à en croire la page « environnement » du site web de ce rallye qui se déroule désormais en Amérique du Sud, le Dakar serait irréprochable dans ce domaine. Le Dakar compense ses émissions carbone, en finançant, à hauteur de 200.000 dollars le projet environnemental « Madre de Dios » qui œuvre contre la déforestation de la forêt amazonienne.
Mais Agir pour l’Environnement accuse le Dakar de pratiquer le « greenwahsing », une technique de communication qui consiste à communiquer massivement sur la thématique du développement durable, sans que cette communication soit accompagnée d’actes significatifs en la matière. En gros le Dakar en ferrait des tonnes sur sa com’ verte, dans l’espoir de masquer la réalité : le Dakar est une épreuve qui pollue et qui dégrade le cadre dans lequel elle se déroule.
Membre de l’association Agir pour l’Environnement, Stephen Kerckhove explique : « Quand on a beaucoup à sa faire pardonner, on communique très fortement sur les éléments qui pourraient nous valoir des critiques. Donc, évidemment, les organisateurs du Dakar sont amenés à communiquer plus vert que vert, car directement et indirectement, le Dakar a un impact significatif sur les émissions de gaz à effet de serre, la consommation d’énergie, les écosystèmes et la diversité locale. »
Agir pour l’environnement n’est pas la seule organisation à souligner ce phénomène. Lors de la première édition sud-américaine du Dakar, en 2009, une ONG bolivienne spécialisée dans la distribution des fours solaires avait fait parler d’elle en refusant 100.000 euros, proposés par les organisateurs du rallye en tant que compensations carbones. « Dans une société où il faut travailler sur une plus grande sobriété énergétique, le Dakar relève plutôt de la gabegie » avait déclaré Vincent Dulong, le directeur de « Bolivia Inti ». En clair, il est trop facile de payer pour les dégâts occasionnés, et les ONG attendent des stratégies environnementales bien plus ambitieuses que la réponse systématique des compensations financières.
Un parcours qui fait débat
Toujours concernant la stratégie de communication environnementale du Dakar, le site internet de l’épreuve assure que le parcours prend en compte le respect du patrimoine et de l’environnement. Il est vrai sans rentrer dans les détails. Or l’ONG Acción Ecológica rapporte que 184 sites archéologiques chiliens, un patrimoine de plus de quatre millénaires, ont été endommagés par le Dakar depuis que la course s’est délocalisée en Amérique du Sud il y a trois ans. Une accusation corroborée par un rapport du Conseil chilien des monuments nationaux. Acción Ecológica a lancé une action en justice contre les organisateurs du Dakar devant la cours d’appel de Santiago, en partenariat avec la fondation Patrimonio Nuestro.
Autre exemple, au Pérou, le musée paléontologique Meyer Hönninger s’inquiète du sort de fossiles marins du Miocène, sachant que le parcours précis de l’épreuve reste secret. La cohorte du Dakar pourrait donc ravager ces fossiles de baleines, dauphins et requins sans que personne ne le sache.
Un bilan carbone raisonnable mais…
Certes les organisateurs du Dakar ont mis en place d’autres initiatives environnementales mais elles peuvent sembler dérisoires : tri des déchets pendant l’épreuve, (c’est tout de même le minimum : si tout le monde le fait chez soi, pourquoi pas les pilotes), incitations auprès des concurrents à utiliser des carburants verts comme le gaz ou le bioéthanol (mais seuls 2% des pilotes ont suivi la recommandation l’an passé).
De plus les organisateurs se défendent en brandissant les résultats d’une étude d’Espere, un cabinet agréé par l’Ademe, montrant que le bilan carbone de l’épreuve (42.000 tonnes) est largement inférieur à ceux de la coupe du monde de football (2.700.000 tonnes). Il est vrai, mais cette étude inclut la consommation électrique engendrée par les téléspectateurs, et la coupe du monde est une épreuve autrement plus suivie que le Dakar. De même l’enquête inclus les déplacements des supporters et là aussi coupes du monde de football ou de rugby attirent des spectateurs venus du monde entier alors que les spectateurs du Dakar parcourent en moyenne 70 kilomètres pour assister à l’épreuve.
Quel avenir pour le Dakar ?
Malgré toutes les critiques, le Dakar devrait encore s’assurer quelques années sur le continent sud-américain. Car la voix des associations n’est pas toujours écoutée, et les autorités locales préfèrent prendre en compte l’importance des retombées économiques du Dakar (au Pérou, attend un million de spectateur et 100 millions de dollars d’investissement) que les conséquences environnementales et la mauvaise presse de l’épreuve. Mais jusqu’à quand ?
Car si le Dakar a toujours des effets positifs pour les pays hôtes, cela pourrait ne pas perdurer tant le Dakar semble incapable de se débarrasser de sa mauvaise image publique. Difficile de nier que cette épreuve populaire pendant les années (elle a permis de révéler les merveilles du continent africain à beaucoup de téléspectateurs) est devenu obsolète au regard des enjeux environnementaux d’aujourd’hui, sans parler de sa dangerosité. Indésirable sur le continent africain, pas mieux perçu en Amérique du Sud, Les organisateurs du Dakar vont peut-être devoir songer à s’exiler sur une autre planète pour trouver un nouveau terrain de jeu.
14:49 | Lien permanent | Commentaires (0) | Envoyer cette note | Tags : dakar, rallye, environnement, ong, éco-blanchiment, greenwashing, madre de dios, agir pour l’environnement, bolivia inti, acción ecológica, patrimonio nuestro, cours d’appel de santiago, musée paléontologique meyer hönninger, espere, coupe du monde | |
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09/01/2012
Le nouveau visage de la philanthropie africaine
Bono, Bill Gates, Richard Branson…la philanthropie en Afrique a pendant longtemps été associée à des occidentaux. Mais depuis quelques années, l'Afrique bénéficie d’une nouvelle vague de philanthropie menée par des personnes directement issues du continent noir. Sportifs, musiciens et hommes d’affaires s’investissent.
Alors pourquoi la philanthropie africaine fut-elle si longue à s’instituer ? L’Afrique est pourtant décrite, parfois jusqu’au cliché, comme le continent de la solidarité, de l’entraide. Il est vrai que les immigrés africains n’hésitent à pas à se priver pour envoyer des fonds à leur famille restée au pays (15,4 milliards en 2010).
Mais la solidarité interafricaine était surtout présente à petite échelle et dépassait rarement le cadre de la famille ou du village d’origine. Monter une institution philanthropique, une organisation médiatique n’était pas forcément bien vu dans de nombreuses cultures africaines, où la solidarité envers les proches est considérée comme la norme.
De nombreux africains ayant réussi ont donc probablement été dissuadés de se lancer dans une œuvre philanthropique comme l’explique le chanteur de reggae Tiken Jah Fakoly : «Monter une association et médiatiser des projets a été quelque chose d’un peu contre-nature pour moi. Dans ma culture quand tu fais le bien et que tu en parles tu n’auras pas de bénédictions. J’ai été élevé dans un village où quand tu faisais quelque chose de bien, tu n’allais pas le crier sur le toit. Tu recevais en échange l’énergie positive de celui que tu avais aidé.»
Poussé par ses proches, Tiken Jah Fakoly s’est finalement laissé convaincre. Il a créé l’association « un concert, une école » qui comme son nom l’indique permet d’ouvrir des écoles grâce à des recettes de concerts. Cette initiative vise particulièrement des villages isolés, où les enfants ne peuvent pas aller à l’école faute de transports public pour se rendre dans un autre endroit.
Au rang des musiciens, on pense également à Youssou N’Dour, qui vient d’annoncer sa candidature à l’élection présidentielle sénégalaise. Sa fondation œuvre notamment dans les domaines de la santé, de l’insertion des jeunes ou du microcrédit.
Les sportifs ne sont pas en restent. Le footballeur nigérian John Utaka a créé une fondation qui finance des bourses scolaires à des étudiants démunis. Elle œuvre plus généralement pour améliorer les structures de villages nigérians. « J’ai été béni par Dieu et je tenais à créer une fondation qui reflète mon envie d’aider les jeunes à réussir leur habilitation. Au Nigéria, il y a des villages où les commodités de base comme l’eau, la nourriture ou les soins sont des luxes. Nous allons tâcher de collecter des fonds pour les plus démunis » explique le sportif.
La générosité de ces stars, musiciens ou sportifs, a peut être fini par « décomplexer » les africains vis-à-vis de l’institutionnalisation de la générosité. Moins connus que les footballeurs ou Youssou N’Dour, de nombreux entrepreneurs africains suivent désormais le mouvement. Ces philanthropes sont généralement issus des pays les plus riches du continent, où la croissance a permis l’émergence d’une population fortunée : Afrique du sud, Nigéria, Egypte…
La dernière née des œuvres philanthropique d’origine africaine symbolise cette nouvelle philanthropie africaine. « Made in Africa Foundation » associe une star de la mode, le désigner Ozwald Boateng (né en Angleterre mais d’origine ghanéenne) et l’homme d’affaire nigérian Kola Aluko. En partenariat avec la société nigériane de pétrole et de gaz Atlantic Energy, ils ont monté cette fondation qui aide au développement de projets d’infrastructures importantes dans la région, en apportant des capitaux suffisants pour financer la première phase des projets.
Des hommes issus de différents pays et de différents milieux qui œuvrent ensemble pour l’Afrique. Le temps où la solidarité africaine ne dépassait pas les limites de la famille ou de la petite communauté semble définitivement révolu. En espérant que cette solidarité interafricaine institutionnalisée participera peut-être davantage au développement du continent que n'a pu le faire la culture de l’entraide familiale, qui n’est pas dénuée d’effets pervers.
04/01/2012
La démocratisation du "social-business", ou quand les entreprises se mettent au social en France et dans le monde
Bill Gates l’appelle «capitalisme créatif» mais on peut aussi entendre parler d’ «entrepreunariat social», ou encore de «business éthique». Le prix Nobel de la paix, Muhammad Yunnus, préfére le concept de «social-business». Visant la résolution d’un problème de santé publique ou d’environnement sans aucune maximisation leurs intérêts, le social-business permet aux entreprises de se convertir en acteurs sociaux...parfois de poids.
Le concept de «social-business» est un alliage entre capitalisme et économie sociale. Initié par un professeur d’économie de Chittagong, Muhammad Yunnus, la création d’un social-business peut être l’affaire d’un individu comme d’une grande entreprise. Le principe ? Pour le pionnier du micro-crédit et prix Nobel de la paix, «il s’agit de créer une entreprise dans le but non pas de maximiser ses profits mais de résoudre un problème de santé publique ou d’environnement». Le concept est à la fois louable et contradictoire, surtout lorsqu’on sait que la théorie classique de l’économie consiste pour tout un chacun à poursuivre son propre intérêt au nom de l’intérêt général. La maximisation des profits est la préoccupation numéro un. C’est donc un véritable défi et une révolution du paradigme classique de l’économie que propose le pionnier du micro-crédit.
Et ça marche !
Si le social-business ne vise aucune fructification des intérêts de l’entreprise, celle-ci ne doit tout de même pas réaliser de perte (il s’agit quand même toujours d’une entreprise). Les investisseurs auront seulement le droit de prétendre au remboursement de leur investissement d’origine. Jusqu’à présent, le professeur d’économie bengali a réussi à convaincre les dirigeants de Danone de créer avec la Grameen Bank un «social business» spécialisé dans la fabrication et la vente de yaourts enrichis en nutriments pour combattre la malnutrition. Les produits sont du coup vendus à la population à un prix dérisoire.
Véolia s’est également creusé une place non négligeable dans l’univers du social-business. En partenariat avec la Division Française du groupe mondial des Solutions Phytosanitaires Durables pour l’Agriculture (BASF), l’entreprise se charge de filtrer l’eau des rivières et de la vendre aux particuliers, pour concevoir des moustiquaires traitées chimiquement, et ainsi enrayer le paludisme. Mais ce n’est pas tout. La multinationale a également décidé en 2008 de créer un social-business au Bangladesh face à la contamination à l’arsenic de l’eau des puits. Cette action sociale illustre à merveille le concept de social-business : face à un fléau de santé publique ("la plus importante contamination de masse de l'histoire", selon l'OMS), l’entreprise décide de créer une société pilote pour traiter l’eau des rivières et vendre de l’eau potable (à un prix extrêmement faible) à deux villages contaminés. Et le tout à but non lucratif. "En tant que leader mondial de services essentiels, Veolia a voulu apporter sa pierre à l'édifice des solutions pour améliorer l'accès à l'eau potable", explique Antoine Frérot, PDG de Veolia environnement.
Pour compenser, le groupe développe une activité complémentaire de vente de bonbonnes d'eau dans la capitale, Dhaka. Ainsi, "la vente à un prix plus élevé de l'eau aux habitants de la capitale permet de subventionner l'eau dans le village", explique Eric Lesueur, directeur du projet. L’équilibre économique de l’opération est prévu par le groupe à l'horizon 2014-2015.
Adidas s’est aussi mis au social-business. En proposant des baskets à un euro aux enfants bengali pour les protéger des parasites qui s’attrapent par les pieds nus, la firme allemande doit être, selon les principes du social-business, davantage attentive à son taux de pénétration dans les villages qu’au profit généré.
Le social-business au secours des restos du coeur
Il n’est pas obligatoire de quitter le territoire national pour faire du social-business. A fortiori en temps de crise, à l’heure où le chômage atteint des records et où la précarité sévit de plus en plus au sein de la société française. Suite à l’appel à la générosité nationale d’Olivier Berthe, le Président des «Restos du coeur», la grande distribution s’apprête à voler au secours de l’association. Depuis le début de l’hiver, les Restos du Cœur doivent faire face à demande en hausse de 5% à 8%, à laquelle ils ne pourront bientôt plus répondre.
Suite à une réunion le mardi 3 janvier autour du secrétaire d'État chargé du commerce Frédéric Lefebvre, et en présence des Restos du cœur mais aussi du Secours populaire, de la Banque alimentaire et la Croix Rouge, les enseignes de la grande distribution (Liddl, Carrefour, Casino, Leclerc) se sont «collectivement» engagées à mettre en œuvre un dispositif de soutien pour apporter les denrées alimentaires complémentaires. Dans un communiqué du 29 décembre 2011, Casino a annoncé participer dès le mois de janvier au don de denrées alimentaires. Le groupe de Jean-Charles Naouri assurera gratuitement la logistique ainsi que leur transport.
La prochaine étape de ce mouvement planétaire ? Muhammad Yunnus mise carrément sur «un marché financier réservé au social business, afin de faciliter l’accès des petits investisseurs à ce type d’entreprises».
18:43 | Lien permanent | Commentaires (2) | Envoyer cette note | Tags : liddl, carrefour, casino, leclerc, restos du coeur, muhammad yunnus, jean-charles naouri, danone, adidad, véolia, social-business, entrepreunariat éthique, solidarité, social, économie sociale et solidaire | |
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