L’écran brouille son image

Quand Marine, 40 ans, a vu son psy un soir à la télé, elle a dû essuyer les remarques désagréables de ses proches : « C’est lui ? Mais qu’est-ce que tu nous as raconté ? Il n’est vraiment pas terrible ! » Marine : « C’était atroce. Je me suis aperçue que l’homme que j’avais décrit ne correspondait pas du tout à sa réalité médiatique », se souvient-elle. Jean-Pierre Winter, psychanalyste, confirme : « Pour parler, se livrer, les patients se sont fabriqué une image de moi. Et quelquefois, quand ils me voient à l’écran, ils ont un choc. J’ai eu droit à : “Je ne vous voyais pas du tout comme ça !” Cette confrontation avec leur imaginaire vient perturber le lien qu’ils avaient établi avec la personne qu’ils s’étaient inventée. »

François, 37 ans, en cure avec un psy très connu, s’en sort en dissociant l’homme de spectacle de l’analyste : il n’y a aucun rapport entre le spécialiste qu’il voit à la télé et l’individu qui le reçoit deux fois par semaine. « Quand je l’ai vu dans une émission de Jean-Luc Delarue, ça ne m’a rien fait. Il était “virtualisé”, alors que durant nos séances il est vraiment là : il y a une grande force, une intensité charnelle qui se dégage. Pour moi, il est un autre dans les médias. » La « virtualisation » est d’ailleurs source de malentendus, et nombre de patients qui débarquent chez des psys juste parce qu’ils les ont « vus à la télé » interrompent très vite leurs séances. « La télévision fausse les rapports, précise Jean-Pierre Winter. On regarde quelqu’un que l’on ne connaît pas par ailleurs, on ne l’écoute pas. Le patient a rencontré une image, mais je n’étais pas là, et quand il se retrouve face à moi, qu’il y a rencontre des corps, la réalité reprend ses droits. L’image qu’il s’était fabriquée s’effondre et la relation devient difficilement envisageable. »

Lorsque Serge Hefez reçoit des coups de téléphone de personnes qui veulent prendre rendez-vous parce qu’elles l’ont vu à la télé, il « les oriente vers un autre thérapeute, car le petit écran crée un effet de fausse connexion, et le travail devient difficile ». Christophe André a lui aussi remarqué que « la télévision est potentiellement le média le plus mensonger, elle trompe le téléspectateur sur ce qu’est la réalité : les souffrances, les problèmes ont l’air d’être réglés en deux coups de cuillère à pot. Ce qui n’est évidemment jamais le cas ».

Le patient doit le partager

« Aller voir un psy médiatique, cela signifie qu’il y a quinze mille personnes qui font la même chose que toi pour les mêmes raisons que toi. Nous rêvons tous d’être l’enfant préféré, et nous nous retrouvons dans une famille nombreuse, avec tout ce que cela peut entraîner de conflits. » Marianne, 27 ans, garde un souvenir douloureux de sa cure interrompue au bout de quelques mois. Elle dont le narcissisme se délectait, au début, de la célébrité de son psy a vite déchanté. Au fil des séances, elle s’est aperçue que la salle d’attente était pleine, comme si une partie de la population désireuse de s’allonger sur le divan avait tenu le même raisonnement qu’elle : « Je ressentais une jalousie féroce envers toutes ces femmes assises en même temps que moi. Nous attendions le bon vouloir de “l’homme de l’art” qui désignait du doigt la suivante. Par ailleurs, comme ce monsieur se savait connu et reconnu, ses tarifs étaient faramineux pour la petite étudiante que j’étais. Je lui avais dit que c’était très difficile, mais il m’avait répondu qu’il ne pouvait pas me demander moins. » Son psy avait beaucoup de patients, gagnait beaucoup d’argent, prenait beaucoup de vacances, s’absentait pour des congrès, des colloques, des émissions. Assez rapidement, la question du prestige et la fierté d’avoir été « élue » ont été occultées par une indisponibilité qui la mettait dans tous ses états. « Médias, stratégie personnelle, édition d’ouvrages : c’est un triptyque qui se noue et écrase les horaires de travail », avoue le psychiatre et psychanalyste Jean-Jacques Moscovitz.

Philippe, lui, a partagé son psy avec des milliers de lecteurs et d’auditeurs. Pendant une semaine, il l’a entendu tous les matins dans sa cuisine sur France Culture : « J’éprouvais un mélange ambivalent d’excitation et de trouble, je guettais le moment où, peut-être, il allait parler de moi. L’objet amoureux devenait très présent mais, en même temps, d’autres en profitaient. Je n’avais plus l’exclusivité. Heureusement, cela n’a pas duré. »

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