Une activité fondamentale
du cerveau humain est la constitution
de l'image de soi. C'est elle qui influence le plus notre vie.
Qu'est-ce que l'image de soi ? C'est comment on se voit, ce
que l'on croit être, ce que l'on croit qu'on est capable de
faire, comment on croit que les autres nous voient, la photo de
nous-mêmes que nous avons en tête, quel rôle nous croyons
jouer... C'est aussi une photo de famille, sur laquelle nous
sommes entourés de nos parents, de nos amis...
Dit plus platement, c'est le dessin que nous ferions sur une
feuille de papier si on nous demandait de nous dessiner
nous-mêmes. C'est ce que nous écririons si l'on nous demandait
de nous décrire nous-mêmes. Attention : nous n'avons pas
toujours conscience de ce que nous croyions être. La
description que nous ferons consciemment est toujours
incomplète et partiellement déformée.
Ici l'image de soi est présentée comme quelque chose de technique et
précis, de presque visible. En réalité elle est le plus souvent perçue
par les humains sous la forme d'un ensemble d'émotions et d'impressions
subjectives, qu'ils peuvent vivre ou subir de façons différentes
suivant leur caractère et leur culture.
Plutôt que d'essayer de construire une explication de comment
ce phénomène fonctionne, le présent texte est une suite
d'exemples. Au fil de ces exemples, vous pourrez à la fois
juger de l'importance du mécanisme et apprendre à le découvrir
dans d'autres situations.
Le personnel
Des expressions dénotent bien l'importance de l'image de soi :
"Se voir comme ceci ou comme cela.", "Est-ce que tu te vois
marié avec elle ?", "Je me vois mal aller tous les jours
remplacer les plombs.".
L'image de soi reflétant aussi le physique, des personnes qui
perdent un bras cherchent parfois à se suicider. Il y a rupture
grave de leur image de soi. La situation est résolue quand on
réussit à intégrer ce changement de morphologie dans une
nouvelle image de soi, changée, adaptée. Si on n'arrive pas à
intégrer le changement, si on le refuse, le nie, alors on peut
sombrer dans la folie; une réalité parallèle.
Un deuil est le temps nécessaire pour réadapter son image de
soi lorsqu'elle a perdu quelque chose. Il faut un certain temps
à notre cerveau pour se "recaser", se redéfinir. Cette période
doit parfois être ponctuée de cérémonies. La nouvelle image
comportera souvent un "souvenir" de l'ancienne.
Les rites initiatiques sont l'inverse du deuil : ils marquent
l'ajout de quelque chose à l'image d'une personne.
Parfois, une inadaptation de l'image de soi peut traîner pendant des
années, "sans que le deuil ne soit fait". On peut être
inconscient de ce problème. C'est en discutant avec un interlocuteur
compétent que l'on peut mettre à jour cela et enfin commencer le
processus du deuil. Dans certains cas, on peut faire le contraire :
reconquérir ce qui manquait. Si par exemple une personne vous
manquait inconsciemment mais elle est toujours en vie et vous pouvez
prendre l'initiative d'aller la voir, aucun deuil n'est nécessaire. De
même, si vous étiez névrosé parce que vous n'avez pas réalisé une
chose, il est peut être toujours possible de la réaliser, ou de
réaliser quelque chose d'équivalent.
Les ouvriers qui sont choqués lorsqu'ils apprennent qu'ils
vont devoir changer d'emploi (parfois on les voit littéralement
trembler) sont des ouvriers pour qui leur outil occupait une
place pilier dans leur image d'eux-mêmes. Le changement d'outil
est un rupture importante de l'image. Ils s'identifiaient à l'outil,
l'outil faisait partie d'eux-mêmes. Au contraire un ouvrier qui
s'identifie comme étant un ouvrier, aura beaucoup moins de
problèmes. Qu'il soit un ouvrier qui fait ceci ou un ouvrier qui
fait cela, ce sera d'importance secondaire. Si quelqu'un vous
dit "Je suis compagnon du tour de France", vous pouvez être sûr
que changer d'outil ne lui pose pas de problème.
Si un SDF refuse d'aller voir un médecin, c'est parce que dans
son image de lui-même il ne le vaut pas. La société a gravé en
lui le fait qu'il ne vaut rien, ne mérite rien. Il agira en
fonction de cette image, jusqu'à ce que mort s'ensuive.
Toucher quelqu'un est un levier très puissant pour modifier
l'image qu'il a de lui-même. Les récepteurs de la peau sont
connectés directement à des parties fondamentales du cerveau.
C'est pour cela qu'un viol peut être aussi destructeur. C'est
également pour cela que des psychothérapeutes qui touchent
leurs patients peuvent obtenir des résultats très important
dans la reconstruction de leur image.
Les personnes qui tiennent à un objet, un animal, le font
généralement parce qu'ils intègrent cet objet ou cet animal à
l'image d'eux-mêmes. Rares sont les personnes qui aiment réellement
un animal, qui le considèrent comme une image séparée,
différente, avec laquelle ils communiquent.
Un des tests principaux pour les astronautes est "Dites de
vingt façon différentes qui vous êtes.". Ce test est destiné à
éviter que ne se reproduise une histoire comme celle qui suit.
Tout au début de l'histoire de l'astronautique, un professeur
d'université américain a organisé un vol en ballon
stratosphérique. Un de ses assistants était le passager du
ballon. Il y avait un poste de radio à bord, et de nombreuses
expériences à réaliser. Le ballon a décollé. Quand il a atteint
les hautes altitudes, le contact radio a été rompu. Les
personnes au sol ont été très inquiètes. Quand le délais au
bout duquel les expériences auraient du être terminées fut
écoulé, le ballon n'est pas redescendu. Tout le monde était
convaincu qu'un accident grave était arrivé. Au bout de
plusieurs jours le ballon est tout de même redescendu.
L'assistant était vivant. Il a expliqué ceci : "Lorsque je suis
arrivé à haute altitude, j'ai vu le vide, le noir de l'espace.
La terre, ronde avec les nuages, était tout en dessous de moi.
Je n'ai plus pu bouger. Je vous entendais m'appeler à la radio,
mais je ne pouvais réagir. Ce n'est qu'au bout de plusieurs
jours que j'ai réussi à bouger pour actionner le mécanisme de
descente du ballon."
Les sectes nous offrent une image de nous-mêmes plus simple,
plus facile à appréhender.
L'image que nous pouvons construire de nous-mêmes est
fortement influencée par notre culture ; tant par notre type de
culture que par notre niveau culturel. Nous ne pouvons pas
avoir une image de nous-mêmes nous montrant des choses que nous
ne connaissons pas. En d'autres termes : pour pouvoir voir
qu'on est quelque chose, il faut savoir que cette chose existe.
La culture nous pousse autant à remarquer que nous sommes
quelque chose qu'à nous faire fournir les efforts nécessaires
pour devenir de nouvelles choses.
Les valeurs du milieu culturel dans lequel nous vivons
auront une très grande importance pour l'image de nous-mêmes
que nous construirons. Nous jugerons et choisirons cette image
en fonction de ces valeurs. C'est pour cela que certains
parents choisissent les fréquentations de leurs enfants avec
tant de soins.
Les insultes sont blessantes parce qu'elles attaquent ce que
nous avons de plus précieux : l'image de nous-mêmes. Dans
certain pays, les insultes méritent la mort. L'étude de
l'impact des diverses insultes est riche d'enseignement. Par
exemple le fait que les insultes attaquant la mère soient les
plus mal prises indique que pour l'insulté sa mère occupe une
place importante dans l'image qu'il a de lui-même; "je suis le
fils de ma mère".
Les chaînes, ce sont les choses auxquelles on est lié pour
conserver une image se soi
Le remords vient de la volonté de reconstruire une image de
soi acceptable. On est prêt à passer plusieurs années en prison
pourvu que l'on puisse retrouver une bonne estime de soi.
Certains payent très cher pour "aller au bout eux-mêmes".
C'est à dire peaufiner l'image qu'ils ont eux-mêmes, la
développer et la structurer. Affronter la réalité ! Trekking,
saut en parachute... tout est bon. Quand cette démarche touche
à des domaines importants comme la famille ou le travail, on
peut alors utiliser l'expression consacrée "se réaliser". On
peut "se réaliser" en devenant maman, par exemple. On devient
quelque chose de précis, quelque chose de très important.
Les publicitaires nous vendent une image de nous-mêmes. "Si
vous achetez cette voiture, vous êtes intelligent." "Si vous
nous versez 1000 FB, vous êtes gentil." Nous sommes prêts
à dépenser des fortunes. Celui qui n'a pas besoin de cela pour
avoir une image de soi fera de grosses économies.
Les gens ont parfois tendance à n'acheter que des choses
chères. La raison en est que ces choses sont destinées à
rehausser leur image d'eux-mêmes. Dès lors ils préfèrent ajouter
à leur image quelque chose qui a de la valeur. Ils veulent
aussi, plus généralement, se construire une image qui reflète
le fait qu'ils méritent des choses chères. Ceux qui ne tombent
pas dans ce système ont atteint un haut niveau de sagesse.
Certain publicitaires nous vendent des produits en utilisant
des images diamétralement opposées aux effets de leurs
produits. Regardez le physique sain et sportif des mannequins
sur les pubs de cigarettes et de boissons sucrées. Puis
regardez quels sont les effets de ces produits sur leurs
consommateurs : peau détruite, mobilité amoindrie voire très
amoindrie, obésité, fatigue mentale récurrente... pour ne citer
que les séquelles visibles.
La violence des grandes villes est d'abord un affrontement
d'images de soi. La violence physique n'est qu'un moyen de
véhiculer les lutes d'images. Un nain qui a une bonne image de
lui-même triomphera d'un colosse mal dans sa peau. Les
pratiquants d'arts martiaux le savent bien : s'ils apprennent à
se battre, c'est surtout pour être plus sûrs d'eux-mêmes,
savoir s'affirmer, et ainsi savoir éviter le combat. Certaines
écoles n'enseignent quasiment plus de gestes de combat, hormis
quelques réflexes de base, et mettent l'accent sur
l'affirmation de la personnalité. Il en va de même pour les
tags. Ils sont vécus comme une violence par les autorités de la
ville et les propriétaires des biens dégradés. Mais de la part
des tagueurs ils s'agit davantage d'une tentative naïve de
s'affirmer, d'intégrer l'image de la ville à eux-mêmes et
d'imposer leur image à la ville.
Une façon très efficace de permettre à quelqu'un de prendre
conscience du fait qu'il existe est de le toucher. C'est en
caressant adroitement, en faisant vibrer chaque partie du corps
de votre amant, en attestant de son existence, en montrant la
gourmandise qu'il vous inspire, que vous permettrez à son
subconscient de construire une solide image de soi charnelle.
Il en résultera une grande plénitude.
La méditation permet d'harmoniser, simplifier, rationaliser et
généraliser son image de soi. (Un terme décrivant ce processus
est "relaxation", dans le sens que lui donnent les
mathématiciens, physiciens et certains informaticiens.)
Le rire est signe du fait que l'on construit l'image de soi.
Un enfant qui rit est un enfant qui est en train d'intégrer son
environnement à l'image de lui-même. Un nourrisson rit quand sa
mère le cajole parce qu'en le touchant elle construit sa
relation avec lui, elle s'intègre à l'image qu'il a de
lui-même. Le rire peut aussi servir de signal de "trop-plein".
Si sa mère le cajole trop fort et trop longtemps, le rire
deviendra forcé, plaintif, signalera que la mère en fait trop,
qu'elle sature les circuits. Une blague nous fait rire quand
elle touche un point paradoxal, litigieux ou dissimulé de notre
image de nous-mêmes et du monde. La blague nous amène à
travailler sur ce point paradoxal et peut-être nous amène à la
résoudre ou à mieux le classer.
Le fait de pleurer est le signe d'un "effondrement" de l'image
de soi. Quelque chose a disparu de notre image de nous-mêmes.
Les images de lui-même et du monde qu'un individu se fait dans
sa tête correspondent à plusieurs plans différents : plusieurs
"photos" différentes. Ces "plans" ont la particularité d'être
partiellement superposables et interchangeables. Quelque chose
qui est présent dans un plan peut entraîner l'apparition de
quelque chose de correspondant dans un autre plan. Prenons par
exemple le cas d'une vieille dame qui vint en consultation chez
son médecin parce qu'elle avait le bras droit paralysé. Grâce à
quelques tests le médecin détermina que le problème ne venait
pas d'une problème physique. Le système nerveux n'avait subit
aucun dommage. Le problème venait du fait que cette dame avait
perdu son mari quelques mois auparavant. Il comptait beaucoup
pour elle. Il occupait une place importante dans l'image que la
vieille dame avait des personnes qui l'entourent, sa "photo de
famille". Mais elle a aussi une photo "d'elle-même", d'elle
entourée de parties de son corps : ses bras, ses mains, ses
jambes, ses seins, son ventre sa bouche... La disparition de
son mari de la première "photo" s'est répercutée sur la
deuxième "photo" par une disparition de l'image de son bras
droit. Elle n'avait plus de bras droit. Donc elle ne pouvait
plus le sentir ni le faire bouger. Son médecin l'a orientée
vers un psychiatre. (Vous connaissez certainement
l'expression "Les bras m'en tombent". Elle signifie que l'on
ne se sent tout d'un coup plus capable d'intervenir, même s'il
ne s'agit pas d'une intervention manuelle.)
Un de mes amis est un vieux monsieur dépressif. Il juge qu'il a
râté sa vie. Il se fait beaucoup de reproches, il n'a plus
d'espoir. Mais il ne parle presque jamais de lui-même ; il
parle du Monde. Il projette son image de lui-même sur le Monde
entier. Il dit que tout va de plus en plus mal. Il monte en
épingle tous les faits divers tristes. Quand L'ONU ou une autre
organisation prend une initiative, il dit d'une voix cassante
que cela ne sert à rien, que c'est voué à l'échec. Ses rares
moments d'enthousiasme sont quand il prône une politique
fasciste. Il dit alors qu'il faut discipliner les gens, qu'il
faut être très sévère. C'est la politique qu'il aurait voulu
appliquer à lui-même. Il croit inconsciemment que s'il avait su
faire cela il serait arrivé à des résultats.
Nous condamnons ou rejetons des personnes à qui nous attribuons
des défauts ou des fautes que subconsciemment nous nous
reprochons à nous-mêmes. A l'inverse, nous essayerons d'attirer
à nous des personnes auxquelles nous attribuons des qualités
qui en réalités nous sont propres. Tout est une question de
télescopage entre l'image de nous-mêmes et les images que nous
avons des autres.
En thermodynamique, l'énergie que contient un système dépend
de la quantité d'information qu'il contient. Si les molécules
sont ordonnées, on pourra en retirer de l'énergie. Si par
contre elles sont dans le désordre, on ne pourra en retirer
aucune énergie. On peut prendre cela comme image pour
l'effet de l'image de soi sur une personne. Si une
personne a une image de soi simple et précise, ordonnée, elle aura
beaucoup d'énergie pour réaliser ce que cette image de
d'elle-même lui dicte. Si par contre son image de soi est un
mélange touffu d'informations contradictoires, elle se sentira
vide et sans énergie pour faire quoi que ce soit.
Ce qui rend un masochiste heureux quand il reçoit des coups est
peut-être le fait que ces coups "renseignent" son subconscient
sur l'existence des différentes parties de son corps. Cela lui
permet "de prendre conscience de son corps", donc de s'en faire
une image. (D'après certains auteurs, une séance réussie
implique des sévices sur presque toutes les parties du corps.) Dans ce
cadre ci la douleur et le plaisir auraient donc la même
fonction : permettre de sentir que l'on existe.
L'image de soi est plus importante que tout. Lors des
événements de mai 68, qui remettaient en cause la structure de
la société, les sociologues se sont amusés à constater que les
"bourgeois" avaient beaucoup moins peur de perdre de l'argent
que de perdre leur position. S'ils étaient "directeur de
ceci" ou "membre de cela", certains d'entre eux étaient prêts à
tout pour garder ce titre ou cette situation.
Le succès des entreprises américaines tient en partie au fait
qu'en leur sein la position et le rôle de chacun sont mieux
définis et plus fonctionnels. Leur sens de l'organisation a des
répercussions directes sur l'identité de chaque membre de
l'entreprise, lui donne de l'énergie. A l'inverse, les systèmes
qui définissent strictement le rôle de chacun sans tenir compte
des pulsions et des aptitudes réelles des personnes, voient les
personnes s'étioler, s'effondrer comme des pantins.
"Qui sommes-nous, d'où venons-nous, où allons-nous ?" Ce sont
là les préoccupations de sciences comme l'ethnologie,
l'histoire, la philosophie... Elles sont véhiculées par les
arts, la littérature... Toutes ces disciplines sont donc d'une
importance fondamentale.
Image de soi... tout est image. La culture véhicule un grand
nombre d'images. Qu'un héros de roman ou de bande dessinée soit
un pirate, un détective, un pilote d'avion... il est une image,
une représentation qui véhicule certains concepts, certaines
pulsions, certaines émotions.
Les acteurs les plus appréciés du publics ne sont pas
toujours ceux qui jouent le mieux ; ce sont ceux qui
permettent à chaque personne du public de s'identifier au
personnage qu'ils jouent. Ce sont par exemple des acteurs
dont le visage a des traits peu marqués, ou dont le jeu est
sobre.
Les vantards sont généralement des personnes qui ne savent pas
faire grand-chose. Ceci ne veut pas dire que quelqu'un
d'efficace est nécessairement quelqu'un d'effacé. Une enquête a
révélé que les cadres d'entreprise qui se disaient créatifs
l'étaient réellement. Il y a un juste milieu. Celui qui se
vante trop et celui qui se déprécie ont ceci en commun qu'ils
ont un problème avec leur image d'eux-mêmes.
Quand on avale une substance indésirable, si le corps s'en rend
compte il déclenche immédiatement le mécanisme du vomissement.
Il se passe la même chose si nous voyons quelque chose
d'atroce, que nous voulons rejeter à tout pris. Quelqu'un qui
voit un cadavre mutilé, par exemple, s'il n'a pas l'habitude,
vomira quelques minutes plus tard.
Toute Personne a inconsciemment l'impression d'avoir une protection
autour d'elle. Cela fait partie de son image de soi. Un peu comme les
"boucliers d'énergie" dans certains romans de science fiction. C'est
cette "protection" qui nous donne de l'assurance dans la vie, qui fait
que nous allons gaiement de l'avant. Certaines choses améliorent
l'image que nous avons de ce "bouclier". Par exemple la pratique d'un
art martial ou le fait d'avoir une famille unie. Ou un simple gri-gri.
D'autres choses au contraire détériorent cette image. Comme le fait
d'avoir été passé à tabac ou d'avoir été l'objet d'injures. Dans la
Rome Antique, il était interdit de frapper un Citoyen de Rome. Son
"bouclier" était respecté, même dans un interrogatoire de police. Par
contre il était presque recommandé de frapper les esclaves. Il y avait
des circonstances où on les frappait "à tout hasard". Cela faisait
partie de la négation de leur statut d'être humain, pour les conforter
dans le statut d'objet, sans bouclier. Quand deux personnes s'aiment,
elles ouvrent leurs boucliers l'une envers l'autre, pour pouvoir
fusionner. Cela demande du temps et suit une certaine procédure.
Un enfant sera motivé par ce qui le valorise, ce qui lui donne une
bonne image de lui-même, de l'estime de lui-même. S'il obtient de bons
résultats dans une matière à l'école et qu'il est félicité et estimé
pour cela, il sera motivé et travaillera volontiers cette matière. Par
contre s'il obtient de mauvais résultats et est critiqué voire injurié,
il se désintéressera complètement de cette matière, éprouvera toujours
un profond ennui à la travailler. Je connais deux cas de personnes qui
étaient très bonnes en mathématiques et qui un jour ont été
déconsidérées à tort par leur professeur. Dans un cas le professeur a
refusé d'entendre les réponses proposées par l'élève parce qu'il savait
qu'il était très fort et voulait entendre les autres élèves. Dans
l'autre cas l'élève voulait faire un sans-fautes aux interrogations
pour avoir un 100% sur son bulletin, mais le professeur l'a compris et
lui a enlevé un point une fois sur deux à chaque interrogation ou
devoir, pour qu'il tombe à 95%. Dans les deux cas la moyenne des deux
élèves a chuté dramatiquement. (D'autres motivations pour les enfants
sont le jeu, l'envie de faire plaisir, la compréhension de l'utilité de
la matière, la routine, le mimétisme...)
Les mythes fondateurs sont souvent anthropomorphistes. Ils racontent
que les êtres qui ont créé le Monde ressemblent à des personnes ou à
des animaux. Cela permet à celui qui entend ces mythes de ce faire une
image du Monde qui ressemble à une image de photo de famille. Ainsi il
se sent au sein de ce Monde en partie comme au sein de sa famille. Il
intègre le Monde à son image de soi.
L'image de soi peut varier au fil de la journée ou suivant l'endroit où
l'on se trouve. Car des faits, des décors et des souvenirs différents
se présentent à notre esprit. La chimie interne de notre cerveau varie
aussi au fil du temps et nous pousse à des états d'esprit et à des
souvenirs différents. Le cerveau est un ensemble très complexe, capable
de synthétiser des images de soi très différentes.
Si on a l'impression que l'image de soi est cohérente et qu'elle est en
accord avec le monde qui nous entoure, on en éprouvera du bien-être.
Pour acquérir le bien-être, faut-il changer son image de soi ou faut-il
changer le Monde ? Faut-il avoir l'image de soi la plus diverse
possible, pour avoir de nombreuses sources différentes de bien-être ?
Ou faut-il chercher à avoir l'image de soi la plus simple possible,
afin qu'il soit facile de la rendre cohérente au Monde ? Chaque
personne, chaque système culturel y répond à sa façon. Le bonheur naît
de la réalisation de ce qui était déjà dans l'image de soi. Une jeune
fille ressent un immense bonheur de trouver un jeune homme qui lui
permet de réaliser cette image de couple qu'elle avait en elle depuis
toujours. Le rire naît de petits tiraillements de l'image de soi : de
la découverte de petits paradoxes, de raccourcis, de petites choses
cachées... que ce soit une blague qui surprend ou une plume qui
chatouille. La peur naît de choses qui peuvent modifier l'image de soi.
La terreur naît de choses non répertoriées dans l'image de soi. La
nausée naît de modifications de l'image de soi jugées mauvaises. Les
cellules de l'organisme humain contiennent en permanence des molécules
qui causent la nausée quand elles sont libérées dans l'organisme. Si
des cellules sont détruites de façon anormale, brutale, par quelque
bactérie, virus ou poison que ce soit, les molécules de nausées se
déversent des cellules détruite et rendent la personne malade. Ainsi la
personne est obligée de se mettre à l'abri et de s'interroger sur la
cause de la nausée, de se poser des questions sur ce qui a attaqué et
menace de modifier son corps, sur ce qu'elle doit essayer d'éliminer et
d'éviter à l'avenir. Un événement externe, que la personne rejette de
son image, peut aussi causer la nausée. Comme par exemple la vue d'un
cadavre ou une odeur de vomi.
L'Astrologie, qui prétend déduire la personnalité d'une personne à
partir de la position des astres, est considérée par les scientifiques
comme une grosse farce. On a essayé de vérifier si l'Astrologie était
fondée, par exemple en comparant la date de naissance et le métier d'un
grand nombre de personnes. Si les astrologues disaient vrai, alors les
personnes nées à telle ou telle date devraient plutôt exercer tel ou
tel type de métier. Le résultat est qu'il n'y a aucun rapport. Les
astrologues disent des bêtises. En fait on a tout de même trouvé un
rapport, mais uniquement chez les personnes qui croient fermement dans
l'Astrologie. Forcément : elles arrangent leur vie en fonction de ce
que leur dit l'Astrologie. L'Astrologie peut donc influencer les gens.
Mais les astres, eux, n'ont aucune influence sur les gens. Pourtant je
trouve que la lecture d'un livre d'Astrologie est intéressante. Parce
que c'est un catalogue d'un grand nombre de caractères humains. On peut
y apprendre des choses sur ce qu'on peut être ou ce que les autres
peuvent être. Cela permet d'étoffer son image de soi et des autres.
L'image de soi est ce qui entoure l'individu. C'est le paysage autour
et à l'intérieur de lui. C'est aussi les images de soi passées et
futures. La culpabilité est le souvenir d'avoir fait de mauvaises
choses. Ces choses sont du passé mais elles font toujours partie de
l'image de soi. L'inverse est la fierté : le souvenir d'avoir fait de
bonnes choses. Ces souvenirs de honte ou de fierté peuvent même se
transmettre de génération en génération. Certains nobles culpabilisent
encore aujourd'hui du fait qu'il y a huit siècles l'un de leurs
ancêtres a fui lors d'une bataille. L'espoir provient des images de soi
que l'on imagine dans le futur. La peur provient des images de soi que
l'on arrive pas à imaginer.
On a peur de ce qu'on ne comprend pas. On a aussi peur que de ce qui ne
nous comprend pas. Dans les deux cas il y a un danger potentiel. Nous
cherchons donc à avoir une image de ce que nous rencontrons. De même
nous préférons que les personnes que nous rencontrons aient une image
de nous : de nos besoins, de nos préoccupations... Nous ne sommes en
sécurité que si elles développent en elles une image de ce que nous
sommes. Ici le mot "comprendre" prend son deuxième sens : contenir. Une
personne qui nous comprend contient en elle une image de nous-mêmes.
Bien sûr si cette personne est malintentionnée il faut éviter qu'elle
nous comprenne : il faut éviter qu'elle ait des renseignements sur nous
qu'elle pourrait utiliser pour nous nuire. A moins que nous ne soyons
bien armé. Auquel cas la personne malintentionnée comprendra en nous
comprenant qu'il vaut mieux nous laisser en paix. C'est le sens de la
version occidentale des arts martiaux orientaux. En toute généralité,
une personne qui nous comprend réellement est rarement un ennemi.
Pour bien soigner un patient, un médecin doit avoir en lui une image la
plus complète possible du problème du patient. C'est ainsi qu'il peut
appliquer ou inventer une thérapie adéquate, trouver les bons
remèdes... Souvent le simple fait que le médecin ait construit en lui
cette image du problème du patient, suffit pour que le patient se sente
mieux ou même aille réellement mieux. C'est pour ces raisons que les
vrais médecins prennent le temps de parler avec leurs patients. Ils
écoutent et retiennent aussi des choses qui n'ont pas de rapports
directs avec le problème de santé.
Beaucoup ne comprennent pas que l'on puisse s'intéresser à des oeuvres
artistiques qui parlent de violence et de démons. Comment peut-on
écouter un chanteur qui hurle que des marées de démons sanglants vont
déchiqueter l'humanité ? Pire : il dit que ces démons y prennent du
plaisir et qu'il faudrait faire comme eux. Ne vaut-il pas mieux parler
d'amour ? Les petites fleurs ne sont-elles pas de meilleures sources
d'inspiration ? La réponse est que dans notre image de nous-mêmes il y
a toutes ces choses en même temps : les monstruosités autant que les
douceurs, les nôtres comme celles des autres. L'Art de l'horreur est
tout aussi nécessaire que l'Art de la douceur. l'Horreur apporte
beaucoup de choses à ses auditeurs. Tout d'abord une consolation, un
réconfort. L'horreur, nous la vivons au quotidien. Même quand il n'y a
ni coups ni sang il peut y avoir beaucoup de violence dans nos
relations avec les autres, avec nous-mêmes et avec nos souvenirs. En
évoquant ces symboles de l'immonde l'artiste reconnaît l'existence de
nos problèmes. Ils nous permet de les faire bouger, de les penser avec
plus de communication. Il apaise nos tensions et nous rends plus
sereins. Ensuite, l'artiste nous permet de sentir les pulsions de
destruction qu'il y a en nous. Ces pulsions ne sont pas mauvaises en
elles-mêmes. Dans la vie il faut savoir détruire, parfois. Ces pulsions
sont dangereuses. Il faut donc apprendre à les connaître. Il faut les
vivre de façon virtuelle grâce à l'artiste. Ainsi le jour où nous
serons face à une situation réelle nous serons en terrain connu, nous
aurons la possibilité de moins nous laisser dominer par nos pulsions.
Nous serons une personne plus saine, qui ne cède à ses pulsions qu'avec
mesure, après un débat intérieur entre toutes les pulsions. Cela nous
rends efficaces et constructifs. En réalité les pulsions de douceur
peuvent être dangereuses aussi. Une mère qui couve trop ses enfants ou
un homme qui court trop les femmes peuvent causer des désastres.
L'important est de maintenir un équilibre entre les symboles. Il faut
apprendre et développer de concert toutes les pulsions et les
sentiments. Dans notre société certains ne voudraient plus avoir que
des symboles de douceur : un Dieu bon et sage, des personnages de
dessin animé sympathiques... Les méchants sont présentés comme
attendrissants ou pas réellement dangereux. C'est une propagande qui
cause des malheurs effroyables. Si on ne parle que de douceur, on la
banalise et on réfute l'existence de l'horreur. Donc les deux notions
deviennent floues. Cela vide les individus de leur substance, les rend
manipulables et dangereux. C'est une des causes des guerres
interminables que nous connaissons. Un chanteur punk qui prône
l'ultra-violence et le meurtre généralisé est un contrepoison à cette
propagande. Il contribue à rétablir la sanité. Le Gouvernement Belge
aurait-il retiré ses paras du Rwanda s'il avait eu une bonne culture de
l'Horreur humaine ? Quelques tableaux de violence sanglante accrochés
dans les couloirs du Parlement Belge auraient peut-être évité le
Génocide de 800.000 Rwandais.
L'image que nous nous faisons d'une chose peut grandement influencer la
façon dont nous allons vivre cette chose. Si nous sommes convaincu (si
on nous a convaincu) que nous allons sentir un malaise si une personne
nous touche, nous risquons effectivement de ressentir ce malaise si
elle le fait. Mais si nous sommes convaincu que cela va nous faire du
bien, si la même personne nous touche nous pouvons en ressentir
beaucoup de bien-être. Il y a là tout un jeu de persuasion ou
d'endoctrinement. Certaines personnes ont été persuadées pendant toute
leur enfance qu'être touché par une autre personne est mal. Cela
entraîne des conséquences graves. Entre amants il y a tout un jeu pour
persuader l'autre de ce qu'on veut lui faire ressentir avant de faire
de faire le geste qui va effectivement causer cette sensation. Une même
attitude ou un même geste peut aussi bien servir à punir une personne
qu'à lui faire du bien. Tout dépend du contexte. La communication prend
là une grande importance. Une personne peut mal prendre un geste alors
que ce geste était destiné à faire du bien. Il vaut donc mieux
s'expliquer avant de faire le geste, au plus tard après pour s'excuser.
Un geste peut ne pas faire le bien que l'on voulait. On peut se tromper
de bien et cela aussi peut créer des quiproquos.
Un lecteur me demande quelle est la différence entre l'image de soi et
l'estime de soi. A la base, l'image de soi est absolue. Par exemple si
on a un jour volé un pain, ce fait est inscrit dans l'image de soi. Il
n'y a pas à discuter : un vol a eu lieu. Mais cela peut avoir des
interprétations très différentes dans l'estime de soi. On peut penser
qu'on est quelqu'un de bien, parce qu'on a volé ce pain pour donner à
manger à une personne qui avait faim ; on a une bonne estime de soi. Au
contraire, on peut penser qu'on n'aurait jamais dû commettre ce vol, ce
délit inexcusable. Alors on a mauvaise estime de soi, on se sent dans
la peau d'un méprisable voleur. L'estime de soi dépend de
l'interprétation que l'on fait des choses. Elle dépend donc de notre
éducation, de notre système culturel, de notre intelligence... Elle
peut changer au fil du temps : on peut être fier d'avoir fait une chose
et un peu plus tard en ressentir de la honte. L'estime de soi est
subjective. Un gangster peut avoir une haute estime de lui-même parce
que des courtisans lui font sans cesse des compliments. Un honnête
travailleur peut avoir l'impression qu'il ne vaut rien parce que son
patron a décidé de le persécuter. L'estime de soi se construit à partir
de l'image de soi. Mais deux personnes qui ont des images de soi
semblables, peuvent avoir l'une une haute estime de soi, l'autre une
mauvaise estime de soi...
La notion de choix est importante dans l'image de soi. Dans la vie, il
arrive des moment où on peut faire des choix. Par exemple le choix de
faire un certaine type d'études, ou d'émigrer, ou d'épouser une
personne... Faire un choix, c'est accepter de mourir en partie. Avant
de faire le choix, on avait plusieurs voies possibles ; plusieurs
images de soi potentielles. Après le choix, il ne reste plus qu'une
seule image de soi. Si la choix a été fait par une personne consciente
et mature, il sera assumé. Elle pourra accepter sans souffrir les
conséquences pénibles de son choix. Elle fera fructifier ses bons
côtés. Tout lui semblera à sa place. Hélas parfois des choix sont faits
par des personnes qui ne sont pas encore capables de les comprendre. Ou
bien la personne ne fait aucun choix, on le fait pour elle. Dans ces
cas-là, la suite est souvent désastreuse. On voit bien chez ces
personnes qu'elles n'étaient pas prêtes pour faire ce choix. Elles
continuent à explorer les autres voies, à en parler avec regret...
elles ne gèrent pas correctement la voie prétendue choisie. Pour faire
de vrais choix, il faut savoir les choses. Il faut avoir de la culture,
de la maturité. (Certaines personnes prennent cela comme prétexte pour
faire de choses discutables. J'ai par exemple vu le cas d'un homme qui
explique à sa femme qu'il n'est pas prêt pour la vie conjugale, qu'il
doit encore faire des expériences avec d'autres femmes... Il ne sera
jamais prêt pour la vie conjugale. C'est un égoïste, qui ne fait que
s'amuser avec les autres femmes et n'apprend rien.)
Un ami et moi-même ne prenons jamais de photos des paysages ou des
personnes que nous rencontrons. Ce qui nous intéresse, c'est de faire
entrer ces paysages et ces personnes en nous. Nous voulons nous
construire des émotions qu'ils représentent. Si nous prenons une photo,
que nous mettons ensuite dans un album ou dans un cadre au mur,
l'émotion reste en l'air, elle est perdue. Quand nous sommes face au
paysage ou à la personne, nous savons que c'est le moment où nous
devons tout prendre, nous intéresser pleinement. Cela ne veut pas dire
que nous sommes contre la photo. Nous adorons les peintures ou les
photos faites par de petits ou de grands artistes, si ces oeuvres
contiennent des émotions. Il nous arrive aussi de garder un petit objet
qui est lié à un événement ou à une personne. Cet objet n'est pas la
chose, il n'en est pas non plus une image. Il est un lien vers cette
chose et nous seuls le savons. Parfois, nous passons nos petits objets
en revue pour revivre nos émotions.
Le courage est le fait d'accepter un changement ou un risque de
changement de l'image de soi. L'inconscience est le fait de ne pas se
rendre compte que ce changement va avoir lieu ou qu'il pourrait avoir
lieu.
Dans les tribus primitives on croit que toutes choses dans le Monde ont
été créés par des êtres surnaturels. Ils ont des mythes pour expliquer
chaque détail de ce qui les entoure. Par exemple tel amas rocheux est
le résultat de l'affrontement entre tel et tel être surnaturels. Ils
sont morts d'épuisement au combat, se sont effondrés et leurs corps se
sont transformés en rochers. Pour expliquer que les serpents existent,
un mythe peut par exemple raconter qu'en mourant tel être surnaturel a
pondu des oeufs qui ont explosé et ont libéré les serpents qu'ils
contenaient. Les membres d'une tribu peuvent se rendre là où cela a eu
lieu et célébrer des rites pour obtenir qu'il y ait plus de serpents
(ils sont très bons à manger). Ces lieux sont donc très importants pour
ces tribus. En gros, les êtres surnaturels ont libéré des "essences"
dans le Monde. Par exemple l'essence de l'arbre. Cette essence est
contenue dans les graines. La preuve : il suffit de planter une graine
pour qu'un arbre naisse. Pour influencer les essences, il peut parfois
suffire de les invoquer. Répéter sans arrêt le mot "serpent" est sensé
accroître le nombre de serpents. Inversement, un drame en Afrique est
que beaucoup de personnes encore croient qu'en prononçant le mot
"SIDA", le SIDA va venir. Donc ils interdisent de parler du sida, de
faire de la prévention. Ce mode de raisonnement est sans doute encore
présent dans les sociétés modernes, de façon inconsciente. Une photo de
star contient l'essence des émotions que cette star véhicule. A plus
forte raison les objets qu'elle a touchés dans sa vie. C'est peut-être
la raison pour laquelle les objets personnels des stars s'achètent
aussi cher. Si vous possédez un collier de perles ayant appartenu à
Marylin Monroe, vous possédez l'essence de la séduction amoureuse...
Marylin Monroe et un être surnaturel du passé, dont il ne reste que des
graines. Cela explique peut-être aussi les prix élevés des objets d'art
africain authentiques. (Au grand dam des ethnologues, qui ont besoin de
ces objets authentiques pour analyser leurs symboles et tenter de
comprendre les tribus. Les objets faux contiennent aussi des symboles
mais mélangés n'importe comment, sans plus aucune signification.)
Lorsque de jeunes enfants passent à la télévision, le présentateur leur
parle de leur famille et leur pose des questions sur elle. Il fait cela
parce que c'est le centre d'intérêt principal des enfants et de
familles qui regardent l'émission mais aussi pour recomposer l'image de
soi de l'enfant et donc le rassurer. Il le met à l'aise pour qu'ils
puisse par exemple chanter ou présenter quelque chose. Sur le plateau,
sous les projecteurs et devant les gradins remplis de spectateurs,
l'enfant perd ses repères. Le présentateur va donc le faire parler de
sa famille, lui montrer où se trouve sa famille dans la salle, pour
reconstituer son image de soi.
Le social
Celui qui impose leur image d'eux-mêmes aux autres est celui qui
a le pouvoir.
Un encouragement, un compliment, sont des rehaussements de
l'image de soi.
Vouloir imposer par la force une image de lui-même à quelqu'un
est un crime.
Aider quelqu'un, de façon objective et constructive, à
construire une image de lui-même, est certainement une des plus
belles choses qui soit. Il ne suffit pas de donner des
qualificatifs "tu es intelligent", "tu es beau"; il faut donner
des éléments précis, argumenter, apprendre des choses à
l'autre... c'est une activité très riche.
Faire des compliments à autrui est un acte très grave, très
importante. Il ne doit pas être entrepris à la légère : nous
prétendons influencer l'image que l'autre a de lui-même. C'est
un art délicat impliquant une prise de responsabilité non
négligeable.
Un très beau cadeau est d'apprendre à connaître une personne
et développer en nous une image d'elle. Ainsi, en venant nous
trouver, elle pourra retrouver cette image d'elle-même qu'elle
aura peut-être perdue. Nous l'assurons également ainsi de
survivre à la mort, à l'intérieur de nous. Ce développement
d'une image d'autrui en nous peut aller très loin, surtout si
nous associons l'image de l'autre à notre image. Combien de
personnes ayant perdu un être cher ne se mettent pas à adopter
son comportement, au moins pour un temps. Nous sommes l'autre,
nous voyons au travers de ses yeux. Notre image est son image.
Faites attention à ce que implique ce que vous dites.
Si par exemple vous terminez une lettre par "En vous présentant
mes salutations distinguées et en vous remerciant pour votre
réponse", en première lecture on peut en déduire que vous êtes
très poli. En deuxième lecture on peut aussi déduire que vous
partez du principe que votre correspondant doit
répondre. D'après vous il est donc (en caricaturant) une
machine à répondre dévouée à votre service, ce qui est quelque
part un peu insultant. Bon nombre de conflits sont nés de la
sorte sans même qu'aucune des deux parties ne comprenne
pourquoi. Les couples, notamment, sont spécialisés dans
l'échange de petites phrases anodines mais lourdes
d'implications.
Nous pouvons être très énervants pour des personnes chez qui
nous allons chercher une image de nous-mêmes. Il appartient à
ces personnes de refuser poliment, éventuellement, mais surtout
pas de nous démolir. Nous pouvons être mortellement haineux
envers les personnes qui nous auront renvoyé une mauvaise image
de nous.
La meilleure façon d'obtenir une chose est de la demander.
Ainsi on offre une image de lui-même valorisante à celui qui
donne.
Les amis sont très importants dans la constitution de l'image
de soi. Ils vous aideront à la compléter, la peaufiner. Un
véritable ami ne vous démolira jamais mais cherchera à vous
permettre d'obtenir la meilleure image possible. Un faux ami
vous renverra de vous-même une image trop flatteuse ou fausse.
Un ennemi cherchera à détruire en vous votre image de
vous-même, la déformer dans le mauvais sens.
La séduction est le fait de donner envie à quelqu'un d'ajouter
une image à son image de soi. C'est un art. Par exemple, au
moment ou on propose une image à quelqu'un pour qu'il l'adopte,
il risque de comparer cette image avec sa propre image.
Si cela lui donne l'impression que son image à lui est moins
bien, il peut en souffrir et dès lors rejeter, nier, l'image
qu'on lui propose. La séduction est un levier infiniment
puissant. Dans les écoles, par exemple, si les professeurs
étaient tenus de faire en sorte que la matière séduise les
élèves, qu'ils aient envie de la faire vivre en eux, la face du
monde en serait changée.
Si quelqu'un vous a inclus dans son image de lui-même, en tant
qu'ami par exemple, puis qu'il s'avère que cette image ne
reflétait pas la réalité, il peut s'en trouver extrêmement
blessé. Il a en tête une photo de lui-même, sur cette photo
vous vous trouvez à côté de lui, votre bras sur son épaule.
Puis un jour il découvre que cette image est fausse : il se
rend compte qu'en réalité vous ne faites pas partie de la
photo. Alors, à l'endroit où vous étiez, il n'y a plus qu'un
grand vide béant. Ce vide est une blessure, comme si on avait
arraché un morceau de chair.
Si de quelque façon que ce soit vous venez à compromettre
l'image de soi d'une personne, sa réaction sera de vous
rejeter. Un exemple simple : supposons que vous remarquiez un
automobiliste qui ne semble pas vouloir s'arrêter au moment où
vous vous apprêtez à traverser une rue. Vous décidez alors de
"lui donner une leçon" et vous traversez résolument la rue,
l'obligeant à freiner sec pour ne pas vous écraser. Votre but
est évident : vous voulez lui rappeler que son image de
lui-même doit être "Tu es un automobiliste bienveillant, tu
dois t'arrêter pour les piétons". Certains automobilistes le
comprendront et vous seront reconnaissant de les avoir rappelés
à l'ordre. Mais beaucoup d'autres le ressentiront d'une autre
façon. Leur esprit entendra : "Moi piéton j'ai le pouvoir sur
toi et je vais en profiter joyeusement." "Automobiliste maudit
dont l'emploi du temps n'a pas d'importance." "La loi et la
politesse te donnent l'obligation de t'arrêter et tu ne voulais
pas le faire, beuh que tu es moche." Leur réaction sera de vous
diaboliser. Ils deviendront dans leur tête de nobles chevaliers
des temps moderne, adorateurs éclairés de la technologie et de
la performance. Un seul ennemi : ces piétons sournois, lâches,
qui ne méritent que la transformation en street pizza.
Quand vous rencontrez quelqu'un, il faut vous présenter : lui
donner une image de vous-même qu'il peut assimiler.
Pourquoi brûlait-on les sorcières ? Parce qu'elles jetaient de
mauvais sorts ? Si on approfondit la question on se rend compte
que les "sorcières" étaient des femmes qui rendaient d'immenses
services : elles soignaient les gens, elles les écoutaient, les
conseillaient. Alors pourquoi les brûlait-on ? Et bien
justement, on les brûlait parce que elles s'occupaient
des problèmes des autres. Elles étaient le "réceptacle" de ces
problèmes. Brûler une sorcière, c'est comme écrire ses
problèmes sur un bout de papier et puis le brûler. C'est une
purification de l'image de soi-même, le refus d'associer des
malheurs à l'image de soi-même. Les problèmes étant inhumains,
l'image que les gens ont de la sorcière est donc inhumaine. Lui
faire du mal est une injustice abominable et une grande bêtise,
mais cela ne leur vient pas à l'idée. De plus, faire
disparaître les sorcières servait les intérêt des hommes
d'église. Leur métier consiste à faire accepter leurs malheurs
aux gens en associant leur image à celle de Dieu. Tout en
utilisant des méthodes très différentes, ils sont en
concurrence directe avec les sorcières. Comme elles sont plus
honnêtes, beaucoup plus instruites et plus travailleuses, les
sorcières leur faisaient une concurrence déloyale. Il n'y avait pas de
problèmes entre les "sorcières" et l'Eglise au Moyen-Age, lorsque
l'Eglise dominait tout. C'est à la Renaissance que les problèmes ont
commencé, lorsque le pouvoir de l'Eglise s'est mit à vaciller.
Avoir des amis, c'est avoir une image de soi-même dont ces
amis font partie. Etre seul, c'est avoir une image de soi-même
vide. Le vide est angoissant. Certains sont tellement peu sûrs
d'avoir des amis qu'ils sont obligés d'être en permanence en
leur compagnie pour être rassurés.
Il y a deux sortes de fréquentations. Il y a ceux qui nous
permettent de mieux savoir qui nous sommes. Par l'exemple
qu'ils donnent, par leur culture, par leur affection, ils nous
permettent de mieux nous définir nous-mêmes. Après une
rencontre avec eux nous nous sentons sûrs de nous, pleins
d'énergie pour entreprendre des choses. Et puis il y a ceux qui
brouillent notre image nous-mêmes. Ils ne s'intéressent pas à
nous, leurs questions créent la confusion en nous, ils ne nous
apprennent rien d'utile. Après une rencontre avec eux nous nous
sentons vides, perdus.
"Il me pompe mon énergie" se dit d'une personne qui rend notre
image de nous-mêmes floue, contradictoire. Si en même temps
nous lui avons permis d'avoir une image de soi plus claire,
elle se sentira forte, pleine d'énergie. Si la rencontre a lieu
entre personnes positives, cela permettra à chacun d'améliorer
la qualité de son image de soi. Il y a création d'énergie. "Il
me donne de l'énergie" se dit d'une personne qui nous aide à
mieux nous définir, savoir qui nous sommes. Cela peut même se
dire d'une personne qui ne dit rien, ne fait rien : si le calme
dont elle fait preuve déteint sur nous, cela nous permet de
réfléchir, de méditer, de nous retrouver nous-mêmes, savoir ce
que nous avons à faire. Nous aimons beaucoup les acteurs de
cinéma qui nous permettent de nous identifier à eux. Attention : on
peut avoir une image de soi claire, en retirer
beaucoup d'énergie, alors que cette image de soi est fausse et
néfaste, nous mènera au désastre. Les meneurs d'hommes savent
jouer là-dessus. Ils nous regardent droit dans les yeux, nous
font un grand sourire confiant. Cela nous gonfle d'énergie. Ils
nous disent que nous sommes supérieurs, que nous avons des
droits. Ils nous présentent les choses d'une façon simple et
compréhensible.
Un truc simple pour obtenir un service de quelqu'un est de
lui dire qu'on pourrait demander ce service à quelqu'un autre.
Cela fonctionne sur base de l'image "superman" que chaque
occidental essaye d'avoir de lui-même. Superman règle les
problèmes tout de suite et sans l'aide personne. Afin de
préserver cette image de soi, il sera prêt à faire n'importe
quoi. (Si la victime connaît le truc, on obtiendra l'effet
inverse; ce sera plutôt une douche froide, parce que son image
de soi se trouve ravalée au rang d'objet utilitaire manipulé.)
Les sociétés qui déprécient les individus ou qui les obligent à
se déprécier eux-mêmes sont tout aussi peu performantes que les
sociétés qui exaltent les performances des individus. L'Italie
fasciste ou le communisme soviétique, par exemple, sont
d'adroits mélanges de ces deux extrêmes. Avec les résultats que
l'on sait.
Le libre arbitre consiste à laisser chacun construire son image
de lui-même et le laisser juger par lui-même du résultat.
Dans certaines tribus primitives, l'individu fait totalement
partie de sa tribu. A tel point qu'il n'existe presque pas
lui-même. Son image de soi est strictement basée sur la tribu.
Il n'existe pas, seule existe la tribu. Si par exemple un
individu d'une tribu est grossier avec un individu d'une autre
tribu, ce n'est pas une offense d'individu à individu, mais de
tribu à tribu. Si un individu part travailler à l'extérieur
pour envoyer de l'argent à sa tribu, il n'y a aucun risque
qu'il garde l'argent pour lui-même. Cela n'aurait pas de sens.
Prendre quelqu'un dans ses bras, c'est former un seul corps
avec lui. C'est la façon la plus complète de lui dire "Tu fais
étroitement partie de mon image de moi-même" ou "Nous formons
une seule image".
Il existe depuis peu aux Etats-Unis des associations
de particuliers qui prétendent lutter activement
contre les actes pédophiles en permettant
à chacun de savoir si un pédophile habite dans son
quartier. Parfois ils vont de leur propre
initiative signaler le fait aux habitants. Ces méthodes
simples, brutales et défoulantes sont très critiquées
par les juristes et les psychologues. Le système
correctionnel américain a mis au point un ensemble
de thérapies et d'aides à la réinsertion qui donne des
résultats très importants. Alors qu'avant jusqu'à 80%
des pédophiles récidivaient, il ne s'agit plus maintenant
que de 2 à 3%. Les initiatives des associations privées,
par contre, n'auront virtuellement aucun effet (elles
empêchent tout au plus les pédophiles de récidiver dans
leur propre quartier), elles auront même
l'effet inverse : en rejetant les pédophiles repentis de la
société, elles ne peuvent que contribuer à faire rechuter
certains d'entre eux, par désoeuvrement. Il est une chose qui
doit être méditée : les membres de ces associations se
font les chevaliers défenseurs de la pureté de l'enfance.
Ils prennent leur pied en faisant cela. Mais un pédophile
est également quelqu'un qui est séduit par la pureté de
l'enfance, qui veut se l'approprier et qui en retire une
jouissance. A la base, pédophiles et membres des associations
ont le même moteur, le même maître. Les menaces que
ces associations veulent faire peser sur les pédophiles
sont très semblables à la façon dont un pédophile
persécute sa victime. Tous deux souffrent
d'un cruel manque d'éducation, ce qui les empêche de
se rendre compte de ce qui est bien. Ils font des
raisonnements courts et simplistes et se laissent mener
par leurs pulsions. Les enfants qui
auront grandit dans un monde gouverné par ces associations
seront doublement prédisposés à devenir des pédophiles.
La seule solution pour éradiquer la pédophilie est de créer un monde où
les parents ont les moyens intellectuels et
matériels de donner à leurs enfants tout l'amour qu'ils ont pour eux,
où les enfants reçoivent une éducation riche et
où ils auraient (enfin) le droit de vivre une véritable
enfance, faite de jeux, de rêve et de développement de leurs
capacités. Une personne qui a eu une telle enfance,
dont l'enfance n'a pas été détruite par un système puritain,
autoritaire et
borné, n'a aucune tendance à tomber fou de passion devant un enfant. Il
n'a aucun besoin d'essayer de s'approprier
ce qu'il lui
a pleinement été donné la possibilité d'être. En permettant
aux pédophiles d'évoluer, d'apprendre, de comprendre, de
devenir meilleurs, les psychologues leur donnent une chose
qui leur avait été refusé pendant leur enfance. Les résultats ne
seront jamais aussi bons que s'ils avaient pu le faire étant
enfants, mais c'est dans cette attitude que réside la seule
voie. Les psychologues sont une sorte de bons parents. Les
membres des associations, eux, prétendent lutter contre les
actes des pédophiles en leur infligeant un traitement qui
ressemble très fort à ce qu'ils ont déjà subit étant enfant
et qui est la cause de leur détraquement. C'est pour le moins
surprenant...
Certaines personnes ont une vision très claire et
très forte de ce qu'ils croient qu'est l'image d'eux-mêmes
des autres. Ou de ce qu'ils voudraient que soit
l'image que d'autres personnes ont d'eux-mêmes.
Le simple fait de fréquenter ces personnes fait
que ces images vont effectivement s'imposer à nous.
Notre image de nous-mêmes va devenir ce
que ces personnes rêvent. Nous allons ensuite nous
comporter conformément à ce que dictent ces images.
Cela peut être en bien (un directeur d'école qui
se comporte en bon père de famille) comme en
mal (un chef de secte ou un industriel esclavagiste).
Parfois ce mécanisme a lieu de façon désordonnée,
irresponsable. Par exemple quand le système
judiciaire qualifie une personne de criminel
alors qu'elle n'en est pas encore véritablement
un. C'est à cause de cela qu'elle va le devenir.
Quand vous avez affaire à un groupe de personnes, vous devez tenir
compte du fait que ce groupe forme une image complexe, comme le plan
d'une machine. Chaque personne du groupe occupe une fonction donnée et
a des moyens de communication donnés avec les autres membres. Le groupe
fonctionne comme une machine, un système, et vous devez essayer de
respecter cet ensemble. Chaque membre du groupe tire son image de soi
de la position qu'il occupe au sein du groupe. Si par exemple un membre
se définit comme protecteur des autres membres, vous devrez invoquer sa
protection même quand c'est inutile. Sinon, c'est comme si vous
introduisiez une poutrelle dans les rouages de la machine. Vous subirez
une contre-attaque de ce membre - même si vous n'avez rien fait de mal
par ailleurs - et aussi des autres membres.
Beaucoup de problèmes sociaux résultent du fait qu'une personne ou un
groupe croît instinctivement qu'une autre personne ou un autre groupe
n'apprécie pas ou son image de soi. Beaucoup de prétextes ou de motifs
seront invoqués pour justifier les affrontements, en réalité tout
revient à une appréciation d'image de soi réciproque. Le jeu social
consiste à passer son temps à rassurer les autres sur l'appréciation
que l'on a de leur image. Là aussi des moyens et des méthodes très
diverses existent : inviter, flatter, offrir, parler, se préoccuper...
Dans les systèmes matriarcaux, les dettes n'existent
pas. Car chacun reçoit ou prend les choses suivant ses besoins. Si une
personne prend beaucoup plus de choses qu'une autre, c'est qu'elle en a
besoin. De toute façon chacun est aimé et considéré et cela est bien
plus important que les contingences matérielles. Par les caresses et
les conversations chacun reçoit une bonne image de lui-même au sein de
la tribu. Dans une société patriarcale par contre les dettes jouent un
rôle angulaire. Chacun mémorise avec précision les dettes que d'autres
ont contractés auprès de lui. Par exemple untel m'a emprunté un mouton,
untel m'a emprunté cinq oeufs et à untel j'ai emprunté une hache. Ces
dettes sont une composante très importante de l'image de soi. Une
personne envers qui beaucoup de personnes ont une dette aura une image
de soi ronflante. Dans son image de soi, il possède virtuellement
toutes ces choses qu'on lui doit. Dans beaucoup de ces tribus on crée
une dette implicite de tous les membres envers le chef. Même si le chef
n'a rien prêté à personne, tout le monde à une dette inextinguible
envers lui et doit donc régulièrement lui rendre un service ou lui
donner quelque chose. Le remboursement d'une dette est un acte aussi
important que le jour où elle a été contractée. Parfois le souvenir
d'une dette remonté à plusieurs générations. Mais une dette ne doit pas
forcément être remboursée avec un objet de même nature que l'emprunt.
Le prêteur peut par exemple accepter de se faire rembourser d'un mouton
par cinq poules. La valeur étant considérée comme égale. Ou une
personne qui rembourse un mouton par trois poules ne devra plus que
deux poules. Plus fort encore sont les transferts de dettes ; les
remboursements croisés. Par exemple si une personne A a une dette d'un
mouton envers une personne B, cette personne B peut aller trouver une
personne C et lui proposer : "Donne-moi cinq poules et je transfère sur
toi la dette de la personne A. C'est à toi qu'elle devra un mouton et
plus à moi.". Ce système est très performant. Mais il devient
rapidement très complexe. Les transferts de parts de moutons et de
quartiers de poules finissent par former une comptabilité inextricable.
Alors un des objets qui a cours dans la tribu finit par devenir une
référence de dettes. Par exemple une petite rondelle de métal ou un
coquillage. Au lieu de comparer la valeur de toutes les choses entre
elles on se contente d'exprimer la valeur de chaque chose en fonction
du nombre de rondelles de métal ou de coquillage qu'elle vaut. Cette
référence unique simplifie grandement les choses. Si un mouton vaut dix
coquillages et une poule vaut deux coquillages, alors un mouton vaut
autant que cinq poules. Cela rend aussi beaucoup plus simples les
remboursements croisés. Il n'est plus nécessaire de mémoriser qui doit
quoi à qui et quelles sont les valeurs réciproques des choses. Chacun
se contente d'avoir des rondelles de métal ou des coquillages dans sa
besace. Et de mémoriser combien de rondelles de métal d'autres lui
doivent. Si une personne désire un mouton ou tout autre objet, elle n'a
qu'à l'échanger contre des rondelles de métal, sans se poser plus de
questions. Ou éventuellement elle peut contracter un dette envers le
vendeur de l'objet, mais simplement exprimée en nombre de rondelles de
métal. Cela permet de faire des échanges à beaucoup plus grande échelle
ou avec des inconnus et de garder des comptes précis. C'est donc une
base des civilisations. Dans les civilisations évoluées, l'unité
d'échange n'a même plus de valeur propre. Il n'est pas nécessaire
d'utiliser un morceau de métal ou un coquillage qui ont une valeur en
soi. On se contente de dire des chiffres, que l'on mémorise
électroniquement ou en gardant des feuilles de papier imprimées dans un
portefeuille. Au point de vue de l'image de soi, cet argent a quelque
chose de magique. Car quand on possède des unités d'argent, à priori on
peut les échanger contre n'importe quoi. Donc une personne qui a
beaucoup d'argent peut considérer que virtuellement tout peut lui
appartenir, que tout peut faire partie de son image de soi. Ce pouvoir
immense fait de l'argent une drogue. Plus le chiffre de l'argent que
l'on possède est élevé, mieux on se sent, car plus vaste est son image
de soi potentielle. C'est malheureusement aussi un jeu de dupes. Car
tout ne peut pas s'obtenir avec de l'argent. Et en accumulant de
l'argent-drogue de façon anarchique certains détruisent la vie d'autres
personnes. Comme toutes les drogues, l'argent nécessite un certain
niveau de maturité, de responsabilité, des usages et des lois, un
contrôle mutuel des individus, une prise en charge sociale. Et puis
surtout il faut se rappeler du fait qu'une société moralement riche et
équilibrée n'est ni matriarcale ni patriarcale. Elle est un savant
mélange des deux. Donc il faut qu'existent des règles de transfert ou
d'annulation de dettes qui ne relèvent pas de la comptabilité exacte
mais du coeur, des sentiments humains. L'interaction du matriarcat et
du patriarcat a aussi des aspects discutables. Par exemple l'échange de
caresses matriarcales contre de l'argent patriarcal. Cela ne peut être
évité, mais doit être socialement géré.
Quand vous payez un euro à votre épicier pour une barre chocolatée,
vous attestez ainsi de son rôle dans la communauté. De même si vous
allez demander quelque chose à un élu local ou un conseil à un
vénérable vieillard. Vous permettez à ces personnes de vivre leur image
d'eux-mêmes, d'être eux-mêmes. Parfois, sans le faire exprès, on peut
faire une chose qui compromet ou menace de compromettre l'image de soi
d'une de ces personne. C'est un peu comme si on la menaçait de mort. A
l'inverse, certains escrocs font semblant de jouer le jeu de procurer
leur image de soi à ces personnes, pour mieux les manipuler. Soyez
sincères.
Le matriarcat veut que tous soient égaux, que l'on connaisse chacun,
que l'on ne juge personne ni en bien ni en mal et que l'on fasse ce qui
est bon pour chacun. Le patriarcat veut une hiérarchie bien définie,
que la personnalité de l'individu n'entre pas en compte et que l'on
soit châtié ou récompensé suivant ses actes. Confucius a tenté de faire
un amalgame des deux. D'une part il a crée une hiérarchie stricte,
basée sur l'âge. Les plus vieux commandent aux plus jeunes. La
justification de ce système est la suivante : avant, dans le passé, les
choses allaient mieux. Or, qui est le plus proche du passé, donc du
paradis ? Les personnes âgées... CQFD. Ce système est carcéral pour les
jeunes mais tout le monde est sensé s'y plier. Gouvernées par les
vieux, les sociétés confucianistes n'évoluent pas. D'autre part
Confucius à prôné l'absence de jugement de l'autre. Il faut à tout prix
éviter d'atteindre à l'image de soi des autres. Aucune injure, ni même
aucune critique, ne peut être proférée à l'encontre d'autrui. Il faut
"respecter" à tout prix son prochain. Ainsi la paix sociale est
garantie ; tout le monde est gentil avec tout le monde. Pour cette
deuxième raison les sociétés confucianistes n'évoluent pas. Si personne
ne peut être critiqué, personne ne peut s'améliorer.
Il y a une pulsion en nous qui nous pousse à faire assimiler notre
image de nous-même à un maximum de personne. C'est pour cela
qu'acquérir la célébrité est généralement considéré comme un grand
succès. On mesure l'importance d'une personne au nombre de gens à qui
elle a fait assimiler son image d'elle-même. Une anecdote amusante est
celle d'un homme qui devait défendre un projet devant une assemblée. Au
lieu de parler de son projet il a énuméré les personnes et les
associations qu'il connaît. L'assemblée était captivée. A priori on
essaye de se faire connaître d'autrui pour ses qualités. Mais certaines
personnes qui n'y arrivent changeront de tactique et se feront
connaître par des actions choquantes. C'est le résultat qui compte, le
nombre de personnes qui ont entendu parler de vous.
Les groupes humains ont tendance à former une hiérarchie. Que ce soit
dans une bande de jeune ou dans une entreprise, il y a le chef, les
lieutenants et la valetaille. Il y a souvent beaucoup plus que ces
trois niveaux et les rapports de force peuvent être de natures
différentes entre personnes différentes du même groupe. C'est un
édifice très complexe. Dans les société civilisées on essaye de
rationaliser les choses en définissant clairement la structure de la
hiérarchie. Beaucoup de membres du groupe essayent de monter dans la
hiérarchie. Mais le plus important est de garder la position que l'on
a. La plupart sont prêts à tout pour cela. Leur position est ce qui est
le plus important dans leur image d'eux-mêmes. Menacer de les faire
descendre dans la hiérarchie, cela peut être pire que de les tuer.
Cette importance de la hiérarchie est telle que presque tout, même ce
qui n'a rien à voir, va être mis au service de cette photo que
constitue la hiérarchie. Si vous trouvez que des choses sont absurdes
dans un groupe ou qu'on vous tient des propos bizarres, demandez-vous
si cela ne sert pas tout simplement à marteler la forme de la structure
hiérarchique. Par exemple si on vous demande de faire un travail
inutile, cela peut être juste pour vérifier que vous acceptez votre
place de travailleur ou pour vous le rappeler.
L'opinion de certaines personnes nous est nécessaire pour construire
notre image de nous-mêmes. La vision qu'elles ont de nous, la façon
dont elles nous ressentent, les émotions que nous leur procurons,
coulent vers nous et s'étalent dans notre image de nous-mêmes, comme
par un effet de vases communiquants. Parfois cette image nous est
plutôt imposée par ces personnes, à notre insu ou à notre corps
défendant. En bien ou en mal, ces personnes elles-mêmes font
automatiquement partie de notre image de nous-mêmes. Si nous aimons
cette vision qu'elles ont de nous, nous nous rapprocherons d'elles,
pour que la sensation devienne plus forte. Ce désir de rapprochement
peut être très intense, nous rendre comme fous. Nous aspirons de tout
notre être à cette image qui coule vers nous. Par contre si nous
voulons rejeter cette perception, nous allons rejeter ces personnes
elles-mêmes. Nous allons partir ou les faire partir. Le rejet ne veut
pas nécessairement dire que ces personnes sont néfastes. Cela peut
simplement être dû au fait que nous désirons changer l'image que nous
avons de nous-mêmes, là faire évoluer. La vision de ces personnes
s'impose à nous et nous empêche de le faire.
Les images de soi des personnes et des groupes se modifient au fil du
temps. Une chose importante pour les humains est de "acter" ces
changements et ces nouvelles images. C'est le rôle des cérémonies,
publications de bans, diplômes, déclarations, remerciements, procès...
Pour beaucoup de personnes, l'argent est de l'argent. Il n'a pas
d'odeur. Quelle que soit la source d'une somme d'argent, elle peut
servir à payer n'importe quoi. Ces personnes-là ont souvent des
problèmes d'argent. Des personnes plus organisées considèrent au
contraire que chaque source ou réserve d'argent est différente et est
destinée à un usage différent. Certaines personnes par exemple
considèrent que les revenus de leur emploi de fonctionnaire sert à
payer les frais vitaux comme le loyer et la nourriture. Tandis que les
sources d'argent plus occasionnelles comme des ventes ou des contrats
servent à payer le superflu. Ils n'imagineraient jamais prendre un euro
sur le compte du salaire de fonctionnaire pour s'acheter même un livre
à deux sous. Ainsi, chaque source ou réserve d'argent touche à un
aspect différent de leur image de soi : elle engendre des rêves
différents. Parfois la ventilation est assez folklorique. On décide que
tel argent servira à ceci et tel argent à cela, sur une base
arbitraire. On voit ainsi des personnes riches à millions qui
expliquent en toute sincérité et détresse qu'elles n'ont pas d'argent
pour manger jusqu'à la fin du mois. C'est l'autre extrême. Pour bien
faire, il faut accepter les transferts entre les comptes, mais de façon
structurée : il faut établir des règles sérieuses, en débattre chaque
fois avec toute la famille et considérer cela comme un événement fort.
Considérer que des paquets différents d'argent sont intrinsèquement
différents est une base de l'honnêteté. Pour un vrai employé de banque,
l'argent de la banque n'a aucun rapport avec son propre argent, son
salaire. Alignez devant lui un billet de banque de 5 € et trois de 10
€, tous issus du coffre de la banque. Ajoutez un cinquième billet de
banque de 10 €, tiré de son portefeuille. Demandez-lui quel billet est
l'intrus dans ces cinq billets, il montrera du doigt le billet de 10 €
sorti de son portefeuille. Les tribus africaines ont assimilé ces
distinctions en créant carrément des monnaies différentes. Il y a les
pièces de monnaie pour payer la nourriture et les outils, il y a les
pièces de monnaie pour payer l'achat de femmes et il y a les pièces de
monnaie pour acheter des fonctions sociales. Ce sont des circuits
monétaires indépendants, qui obéissent à des règles différentes.
Les conservateurs sont des personnes qui veulent que leur image de soi
et celle de la Société reste inchangée. Les progressistes cherchent à
améliorer ces images, ce qui implique de les changer. Ni le
conservatisme ni le progressisme ne sont intrinsèquement bons ou
mauvais. Ce qui compte est d'être progressiste ou conservateur quand il
faut l'être. Inversement être conservateur ou progressiste peut nuire,
quand c'est inapproprié.
La volonté d'appartenir à un groupe est un des instincts humains les
plus puissants. C'est variable suivant les individus mais pour certains
l'entièreté de leur emploi du temps et de leurs émotions sont centrés
sur l'appartenance au groupe. Ils veulent séduire ou dominer les
membres du groupe, devenir une figure incontournable du groupe... Ils
sont prêts à des actes extrêmes s'ils devaient être menacés d'être
rejetés du groupe. Le groupe peut ne rien leur rapporter et même leur
coûter très cher, peu importe. Il y a une phase dans l'adolescence où
l'individu se tend vers son groupe "d'amis". Ils apprend la vie en
bande. Ensuite son comportement social est sensé devenir plus mature,
plus équilibré.
Les lois font partie de l'image de soi d'une personne. Ce sont ses
limites, les frontières de son terrain d'action. Il est bon que ces
lois soient bien définies afin que la personne ait une image nette des
frontières. Si les lois sont imprécises ou changent tout le temps,
elles deviennent floues pour la personne et lui causent un stress.
Un enseignant est une personne qui joue un rôle important pour la
construction de l'image d-eux-mêmes des enfants. Certains enseignants
négligent complètement ce rôle, d'autres exagèrent et imposent aux
enfants des images déplacées dont ils mettent des années à se défaire.
Certains enseignants se font respecter en menaçant les enfants de leurs
donner des images négatives. D'autres enseignants se font aimer en
donnant des images positives d'eux-mêmes aux enfants. Il faut avoir de
la culture, de l'expérience et de l'amour pour être capable de jongler
de façon honnête et constructive avec les images des enfants.
Quand on offre quelque chose à une personne, on s'offre aussi soi-même.
Si le cadeau est accepté, on est accepté soi-même. Il y a là tout un
langage. En offrant un objet, on peut s'offrir comme ami, comme
relation, comme partenaire de travail... Si un cadeau est accepté, on
n'est pas sûr de la partie de soi-même qui est acceptée. On peut croire
être accepté comme ami alors qu'on n'est accepté que comme relation
d'affaire... Dans la mafia les cadeaux sont codifiés. Par exemple si on
veut faire affaire avec un parrain de la mafia on peut lui offrir un
panier avec des fruits et une bouteille d'alcool. Si le parrain n'est
pas intéressé par votre proposition il refuse le cadeau poliment. S'il
refuse le cadeau avec violence, le message est clair. Dans ma ville
quelques traiteurs sont spécialisés dans la confection de paniers
cadeaux pour la mafia.
Tout peuple a ses émotions et ses valeurs. Il tend à leur donner une
représentation, sous forme de symboles : des statues, des images, des
mots, des paraboles... Quand deux peuples essayent de s'entendre, ils
vont échanger leurs symboles. C'est une fécondation mutuelle. Chacun
essayera d'expliquer ses symboles à l'autre. Ils se découvriront des
émotions et des valeurs communes et apprendront chacun de nouvelles
choses. Quand un peuple assujettit un autre peuple, il assujettira
aussi ses symboles. Il les détruira, les tournera en ridicule, les
ramènera et les exposera comme un butin... En n'essayera pas de les
comprendre et on expliquera qu'il n'y a même rien à comprendre, que ce
peuple vaincu est sans intérêt. Le vainqueur imposera ses symboles au
vaincu, tout au moins une partie de ses symboles, qu'il juge sans
danger. Parfois, les intellectuels du peuple vainqueur étudient malgré
tout les symboles du vaincu. Eventuellement au départ dans le but de
mieux comprendre le vaincu pour mieux l'exploiter. Il peut alors se
produire une infection du vainqueur par le vaincu : au fur et à mesure
que les intellectuels du vainqueur apprennent à ressentir les symboles
du vaincu, ils vont découvrir combien mieux ils rendent compte de leurs
émotions, à quel point ils sont riches...
Il y a un rapport étrange entre l'argent et les câlins. Tous deux sont
des portes ouvertes sur des infinis. L'argent est une porte ouverte sur
le monde extérieur. Si vous possédez de l'argent, vous êtes supposé
pouvoir acheter n'importe quoi ou pouvoir vous déplacer vers n'importe
quelle destination. Les câlins sont une porte ouverte sur l'infini du
monde intérieur. Ils vous permettent de vous explorer vous-mêmes et de
comprendre les autres. Argent et câlins peuvent être liés. Le roux a
écrit : "L'argent est le nerfs de la guerre et des amours". Une famille
se structure souvent autour d'une source d'argent. Certains parents
donnent des câlins à leurs enfants, d'autres leur donnent de l'argent
de poche. Une différence entre les deux est qu'on est jamais rassasié
par l'argent. Si on n'a que cela, on en voudra toujours plus. Les
câlins, par contre, permettent d'atteindre une plénitude.
Les parents
Les premiers intervenants dans la constitution de l'image de
soi sont nos parents. Ce sont eux qui jettent les bases, qui
nous fournissent les premières briques de construction et "nous
apprennent le métier de maçon". Ce qu'ils nous apportent de plus
important est le concept "tu es notre enfant", avec tout ce que
cela a de sacré et d'intangible. S'ils font mal leur
travail, les conséquences seront désastreuses.
Une des chose les plus importantes dans ce processus est le
fait que l'enfant comprenne qu'il ne se définit pas par ses
qualités mais par son essence. Il n'est pas l'enfant de ses
parents parce qu'il est beau. Il est l'enfant de ses parents,
un point c'est tout. Plus tard, cela se muera partiellement en
"Je suis moi, je n'ai besoin de fournir ni preuves ni épreuves
pour cela". Cela lui permet d'être libre de décider quand
il est bon de fournir un travail, de rendre un service. Il
ne sera l'esclave de personne. Il sera donc un travailleur d'élite.
Les voleurs sont souvent des personnes dont les parents ne se
sont pas occupé. Ils ne s'accordent donc aucune valeur, ils
n'ont pas de dignité.
Un "truc" efficace pour fabriquer des enfants surdoués au jeu
d'échec consiste à leur offrir un jeu d'échec ou un livre
d'échec comme récompenses chaque fois qu'ils en "méritent" une.
Ainsi pour eux le monde des échecs sera ce qu'il y a de plus
élevé. Ils feront tout pour construire une image eux-mêmes
conforme à ces valeurs. Instinctivement, ils réfléchiront tout
le temps, de toutes les façons possibles, à comment s'améliorer
en tant que joueur pour avoir une meilleure image
d'eux-mêmes/joueurs. (Pour la même raison, à mon opinion les
parents qui offrent de l'argent comme récompense à leurs
enfants les préparent à une vie bien pauvre. L'argent de poche
est indispensable, mais la façon de le donner doit être
"absolue"; l'argent doit être un outil, pas une valeur.)
Le supplice de la goutte est bien connu des psychologue : les
parents qui disent tous les jours un petit quelque chose à leur
enfant pour le diminuer. A vingt ans, le résultat est
catastrophique. Plus subtil est le supplice du fil de fer : un
compliment, une critique, un compliment, une critique... la
victime, balançant d'un côté à l'autre, finira par casser,
comme un fil de fer que l'on plie plusieurs fois dans un sens
puis dans l'autre. Autre technique : se faire accepter par
quelqu'un en ouvrant le débat avec un compliment, puis attaquer
avec des critiques.
Les personnes qui gèrent mal l'image qu'ils formaient avec
leurs parents vont avoir tendance à épouser quelqu'un qui
ressemble mentalement à un de leurs parents, pour reformer une
image complète eux-mêmes. Ces problèmes d'images arrivant
souvent quand un des parents avait un problème mental, les
enfants épouseront donc une personne avec le même problème
mental et en subiront les conséquences.
Les parents ne se rendent pas compte à quel point leur image
de soi sera ce que leurs enfants adopterons. Ce serait exagéré,
mais on pourrait presque dire qu'il ne sert à rien d'éduquer,
il suffit d'être éduqué soi-même. Les enfants copieront. Par
exemple : un parent qui se sacrifie trop, qui n'a plus de vie
propre, va montrer à ses enfants une image qu'ils vont hélas
adopter. Devenus adulte ils ne vont pas non plus pouvoir
profiter de la vie; ils seront au service des autres,
considérés comme des monstres envahissants. Il n'y a pas d'enfants mal
élevés, il n'y a que des parents mal élevés.
Il est indispensable qu'un enfant sache mettre la table. C'est
un art qu'il faut lui apprendre. Mais l'obliger à mettre la
table tous les jours, aura pour seul effet que, devenu adulte à
son tour, il obligera aussi ses enfants à mettre la table tous
les jours. Dès lors, pourquoi lui apprendre à mettre la table
puisque de toute façon ce seront ses enfants qui devront la
mettre ?
Parfois, par réaction, les enfants adoptent une image
diamétralement opposée à celle de leurs parents. Cette
opposition n'est souvent qu'une apparence : le fondement de
leur comportement sera tout de même une copie de l'image de
leurs parents. Par exemple je connais un jeune homme qui est
devenu fanatiquement sale et antisocial. Sa mère l'a traumatisé
à force d'être fanatiquement pieuse et conformiste. A priori
ils sont le contraire l'un de l'autre, mais dans le fond ils
font exactement la même chose : rechercher fanatiquement
l'approbation d'autrui.
L'image qu'on a de soi doit correspondre à la réalité.
Il ne faut pas mentir à un enfant en lui affirmant qu'il a des
capacités qu'il n'a pas réellement. Or pour acquérir certaines
capacités, il faut énormément de temps et de travail. C'est à
cela que l'école est sensée servir. En réalité on ne fait souvent que
semblant d'apprendre des choses aux enfants. On leur fait tout un
cinéma avec sons et lumières, mais on ne développe que fort peu
leur esprit. Ensuite on leur discerne des diplômes, on prétend
qu'ils ont acquis de nombreuses capacités, comme le veut la
Constitution. Les jeunes adultes ainsi diplômés sont très
dangereux. Ils sont les complices d'un système qui ferme
volontairement les yeux sur leur incompétence. En contrepartie
ils seront les garants forcés de ce système, prêts à tous les
crimes pour le défendre, pour défendre leur propre image
usurpée de personne instruite. C'est un jeu de dupes.
"Il faut tuer le maître", "Il faut tuer son père". Que veut on
dire par là ? Tout simplement que l'enfant, ou le disciple, se
considère "lié" à celui qui lui apprend les choses, à celui qui lui
sert de modèle. Dans son image de lui-même, le maître, ou le
père, est là, derrière lui, à côté de lui, plus grand que lui,
son bras sur ses épaules, qui lui donne des conseils ou des
instructions précises. Dans le cas d'un enfant, c'est une
nécessité vitale. Les parents doivent impérativement "donner"
leur cerveau à leur enfant. L'enfant n'a ni sens critique, ni
mesure, ni références. Il ne comprend pas les dangers. Son
cerveau est matériellement incapable de gérer les problèmes.
Le cerveau du parent se "greffe" virtuellement à celui de
l'enfant pour lui donner ces capacités pour pouvoir rester
en vie et en bonne santé. Cela se fait par le biais de paroles
simples, de gestes précis. Si le parent a de la maturité et
du coeur, l'enfant accepte cela de façon naturelle. Il en ressent le
besoin. Il ne le remettra en question que par jeu,
en réalité pour mieux en profiter encore. Mais un jour l'enfant doit
cesser
d'être enfant, le disciple doit cesser d'être disciple. Alors
il doit effacer le maître ou le parent de son image de
lui-même. Tout au moins il doit le reléguer plus loin, lui
donner une position différente. Dans certaines écoles d'arts
martiaux, pour symboliser ce fait le disciple décapite une
effigie du maître. Et le maître de savourer le plaisir du
travail accompli... Il appartient alors à l'enfant ou au
disciple de découvrir et développer des choses qui lui sont plus
spécifiques et que son éducateur ne connaissait pas. Il part
d'une base commune à lui et à son éducateur, imposée par
son éducateur. Ensuite il devient graduellement lui-même.
(Dans les bonnes écoles ces deux phases sont
interpénétrées. Alors le maître est aussi le disciple de
ses disciples.)
Il est bon de toujours se demander s'il n'y a pas moyen d'avoir
plus. C'est là une des pulsions de base de la nature humaine.
C'est une excellente pulsion, à condition qu'elle soit soumise
à une autre pulsion : celle qui veut que l'on doit chercher à
se satisfaire de ce que l'on a. Il faut savoir être heureux des
choses telles qu'elles sont. Certaines personnes ne savent pas
faire cela. Toute leur vie est une souffrance, une longue
plainte. Rien ne va, rien n'est comme il faudrait. Quelqu'un
qui fonctionne ainsi n'a jamais assez. Avant était toujours
mieux (le confucianisme est un système politique et social
basé sur cette perversion).
Il ne tarit pas de reproches envers nombre de personnes.
Quand on l'écoute attentivement on se rend compte qu'il
raisonne comme un enfant capricieux : il boude, il râle, il
dénonce, il geint... Il n'a pas réussi à sortir de l'enfance.
Il n'a pas encore aimé suffisamment fort pour avoir envie de
devenir adulte, sans doute parce que lui-même n'a pas été aimé
suffisamment lorsqu'il était enfant. Il n'a pas appris ce que
aimer veut dire. A condition de bien l'écouter il est possible
de comprendre comment fonctionnait sa famille quand il était
enfant. Son image de lui-même est intimement liée à l'image
qu'il a de sa famille. Il fait une projection de cette image de
sa famille sur le Monde entier. Les agents de police, les juges
et les conducteurs de bus sont des projections de son père.
S'il avait un père faible, il jouera à tromper les forces de
l'ordre. Si son père était trop sévère il se plaindra de la
"surveillance" que ces personnes exercent sur lui. Parfois il
fera les deux choses en même temps, puisqu'un qu'un père faible
peut se montrer trop sévère par peur ou pour essayer de
compenser. S'il reproche à quelqu'un où à quelque chose de ne
pas lui donner assez, c'est qu'il projette l'image de sa mère.
Quand ses critiques sur quelqu'un deviennent virulentes,
acides, haineuses, c'est qu'il projette sur cette personne
l'image de lui-même. Plus précisément : il projette l'image de
lui-même que ses parents lui ont donnée, lui ont imposée. S'il
vous dit que les choses doivent aller "vite", c'est que ses
parents lui ont souvent dit de faire les choses "vite". S'il
vous dit qu'il faut lui dire exactement ce qu'il doit faire,
c'est que ses parents lui donnaient des instructions précises.
S'il se brouille avec son logeur et se fait expulser, cela veut
dire que ses parents l'ont prié de partir lorsqu'il a eu un
certain âge. Sa vie est un éternel recommencement de son
enfance. Doit on dire que sa relation avec ses parents était
mauvaise ? Ou doit-on dire qu'elle n'a pas suffisamment évolué,
mûrie, au fil du temps pour l'amener à l'âge adulte, à
l'indépendance d'esprit ? Certains parents traitent un
adolescent comme s'il était une nouveau-né, sous prétexte qu'il
n'est pas un adulte... Quel est le remède ? Il n'y en a qu'un
seul : il faut qu'il aime. Il faut qu'il ait une passion, que
ce soit pour une autre personne, pour un métier ou pour une
cause politique. Alors il voudra de toutes ses forces que
l'image de cette personne, de ce métier ou de cette cause fasse
partie de lui. Un clou chasse l'autre, cette nouvelle image
remplacera l'image de sa famille. Il voudra se rendre utile à
sa passion, devenir performant. Il voudra fournir des
résultats. Il sera obligé d'acquérir de la discipline. Il
apprendra à donner, il apprendra à communiquer. Il sera
confronté à la réalité, il ne pourra plus faire semblant. Il
sera forcé de comprendre les choses, forcé de comprendre
pourquoi elles sont là, forcé de comprendre pourquoi elles
sont ainsi. Il apprendra donc à les accepter, à faire avec.
Quand il aura réussi à bien intégrer sa passion à son image de
lui-même, alors il s'aimera lui-même. Il s'aimera en tant que
père de famille, en tant que travailleur ou en tant que citoyen
responsable. (Les extrêmes se touchent. Quelqu'un
qui ne se plaint jamais, qui ne fournit aucun effort pour se
sortir de certaines situations, peut aussi être une personne
restée en enfance.)
La mère sacrificielle s'identifie complètement à son enfant.
Son image d'elle-même n'est constituée que de ce qui concerne
sont enfant. Elle lui donnera tout et exigera tout de lui en
retour. Si l'enfant fait mine de s'écarter des projets que sa
mère a conçus pour lui, elle le remettra dans le droit chemin à
coups de barre à mine. Elle obtient assez facilement la
complicité de son entourage : "Quelle mère dévouée. Comment son
enfant ose-t-il se plaindre ?". Si elle aimait réellement son
enfant, donc si elle s'intéressait à ses vrais besoins, elle
constaterait que pour une grande partie de la journée l'enfant
préfère qu'elle lui "lâche les basquets". Forte de ce temps
libre, elle peut se tourner vers d'autres activités : un amant,
un hobby, un métier...
Nous savons que nous allons vieillir puis mourir. Notre image
de nous-mêmes va disparaître. Une façon de la rendre éternelle
est d'avoir des enfants. Ils font partie de notre image de
nous-même, ils portent en eux une part importante de nous-mêmes.
Quand nous mourrons, eux continueront à exister, puis leurs
enfants, et ainsi de suite. Ce que nous étions se
répartira fil des génération, entre un très grand nombre de
personnes, mais existera toujours.
A la base de l'image de soi d'une personne, il y a les mythes
fondateurs. Ce sont les mythes de la tribu ou de la religion. Par
exemple pour certaines tribus les humains sont les enfants chéris des
dieux, ou sont des dieux eux-mêmes, tout au moins des copies des dieux.
Dans d'autres tribus les humains sont détestés des dieux, ont été punis
par eux ou ont commis des crimes. Cela a une répercussion sur ce que
les enfants à qui l'on impose ces mythes penseront d'eux-mêmes. Un
mythe fondateur plus personnel, privé, est l'histoire des parents,
pourquoi l'enfant est né, dans quelles circonstances. Si les parents
s'entendent bien (fussent-ils divorcés), l'enfant aura une image
harmonieuse de sa genèse. Si les parents se font des coups fourrés et
des trahisons, l'image que l'enfant aura de lui-même sera nettement
moins bonne. Il y interaction entre les mythe de la tribu et le mythe
de la naissance de la personne. Un mauvais mythe personnel peut être
compensé par un bon mythe de tribu. A l'inverse un mauvais mythe de
tribu peut dégrader le mythe personnel. Par exemple dans certaines
religions on enseigne que le père d'un enfant sacré n'était pas le
compagnon de sa mère mais un esprit ou un dieu. Les enfants nés dans
ces tribus auront tendance à mettre en doute la paternité de leur père
et à se méfier de leur mère.
Le prénom donné à un enfant est très important. C'est le nom de la
photo qu'il est. Choisir tel ou tel nom n'a pas grande importance, du
moment que ce nom est socialement approprié. Mais il deviendra le lien
vocal de la définition de soi.
Cela dépend des circonstances et des personnes mais la généalogie peut
être un puissant support de l'image de soi. Savoir qui sont ses
ancêtres. Certains enfants adoptés déploient des efforts énormes pour
au moins savoir qui sont leurs parents directs. C'est un besoin
fondamental. Dans certaines tribus africaines et dans certains milieux
sociaux les ancêtres sont connus sur plusieurs siècles. Parfois plus de
mille ans. Il existe une véritable technologie de la généalogie. En
Afrique on gardait un morceau du crâne des ancêtres sur de nombreuses
générations, dans une réceptacle spécial pour lequel a été construite
une case spéciale. Lors des initiations on expose à chaque adolescent
les morceaux de crânes de ses ancêtres et on les nomme, on dit leurs
exploits. Plus une personne est importante, plus elle tend à connaître
ses ancêtres loin dans le temps. Cette filiation peut aussi se reporter
sur la fonction de la personne. Les papes catholiques par exemple
connaissent leurs ancêtres de fonction jusqu'au Christ, il y a deux
mille ans. Cela fait partie du prestige de l'église, de sa force. Il y
a plusieurs raisons pour lesquelles la généalogie est si importante.
C'est d'abord un réflexe biologique, un moteur instinctif et
irrationnel avec lequel nous sommes nés. Aucune justification logique
n'est nécessaire sur ce point. Ce moteur, cet instinct est là et il
fonctionne. D'autres raisons sont que si les ancêtres sont illustres
une partie de leur prestige rejaillit automatiquement sur nous. Ils
font partie de notre image. Dans certains cas c'est un avantage
objectif, si cela nous inspire et nous pousse à les égaler. Dans
d'autres cas malheureusement cela donne un prestige à des personnes qui
ne le méritent pas. Une troisième raison de l'importance de la
généalogie est qu'instinctivement nous pouvons penser que ces personnes
veillent toujours sur nous. Avoir une armée d'esprits derrière soi,
cela compte. Ou cela peut servir de moyen de pression sur nous. Auquel
cas la généalogie nous est imposée. En Chine par exemple une grave
humiliation que la police peut infliger à une personne est de lui faire
dire qu'elle regrette ce qu'elle a fait et que ses ancêtres ont honte
d'elle. C'est un moyen facile pour les touristes étranger pour être
relâchés par la police. Il vous suffit de dire officiellement que vos
ancêtres ont honte de vous à cause de ce que vous avez fait. Cela a un
grand impact sur la police chinoise. Si vous avez une éducation
occidentale, cela ne vous coûte souvent pas grand-chose. (C'est
peut-être une des raisons pour lesquelles la Chine pense dépasser
l'Occident un jour.)
Une amie m'écrit ceci : " L'enfant détruit (en fait refoule) tout ce
qui en lui d'élans n'est pas ratifié par les parents car seul le regard
parental "officialise" (c'est très fort) la validité selon lui de ces
élans. S'il voit briller leurs yeux, il recommence, insiste jusqu'à
bien cerner ce qui semble les fasciner dans ce qu'il fait. Son
obsession est
d'être DESIRABLE en tout, il évalue ainsi et trie. D'où l'importance de
l'attitude des parents.". C'est par ce mécanisme que l'enfant construit
son image de soi et des choses en fonction de l'image des choses de ses
parents. C'est le mécanisme de transmission. Si les parents sont
matures et bienveillants, tout ira pour un mieux. Même les problèmes et
les malheurs seront un carburant tourné en bien. Un problème que
rencontrent beaucoup d'individus est que ce mécanisme de quête
d'approbation perdure à l'âge adulte. Tout adulte se doit d'être
sensible aux opinions et émotions d'autrui. Mais chez certains c'est
une véritable assuétude. Il ne peuvent vivre que télémanipulés par
l'approbation d'autres personnes, sous peine de douloureuses angoisses.
Ils sont incapables de penser, découvrir, aimer ou décider par
eux-mêmes. Beaucoup de systèmes d'éducation jouent malheureusement là
dessus. Ils créent des individus prétendus libres mais qui sont en
esclavage psychologique.
Quand des parents meurent ils font toujours partie de notre image de
nous-mêmes. Un parent se doit même de donner à son enfant l'image de
lui-même la plus complète possible et la plus expressive d'amour, pour
continuer à être un soutien pour son enfant après la mort. L'image que
l'on emporte de ses parents dépend des systèmes culturels. En Asie les
parents défunts sont souvent présentés comme des âmes qui s'ennuient et
qui jugent leurs enfants avec de la haine, voire leur font des tours
méchants. En Europe l'âme des défunts est sensée être bénéfique :
hormis quelques cas de fantômes dérangeants, les âmes des défunts sont
plutôt des conseillers discrets que l'on peut invoquer en priant. En
Afrique les âmes des défunts restent un temps parmi les vivants et font
des choses qui dépendent essentiellement du caractère que la personne
avait de son vivant. On fait même des "procès" pour déterminer si une
personne était bénéfique ou maléfique de son vivant. Par exemple à fin
de savoir si des problèmes survenus dans la tribu depuis son décès ne
pourraient pas être de son fait. Si le jugement est que oui, les
ossements de la personne seront détruits ou éloignés du village.
Pour constituer son image de soi un enfant se réfère aux personnes qui
l'entourent. Un jeune enfant se réfère essentiellement à ses parents.
Il pense comme eux. Tout au moins il adopte de façon superficielle les
opinion, jugements et valeurs de ses parents. Il est incapable de
comprendre ces choses avec la même profondeur intellectuelle et
culturelle que ses parents. On peut presque dire que ses parents lui
servent de machines à réfléchir et qu'il se contente des conclusions.
Plus tard il tendra à adopter les images de son instituteur ou de son
institutrice. Ces images-là sont assorties d'explications simplifiées
mais fonctionnelles, qu'il peut donc adopter de façon plus
"intelligentes". A l'adolescence commencent les crises d'identité et la
socialisation forcée. L'enfant prêtera alors une très grande importance
à l'opinion de ses "copains". Une jeune fille peut laisser tomber son
petit ami parce que ses copines trouvent qu'il n'est pas sexy. Un
adolescent peut regretter d'avoir les parents qu'il a simplement parce
que ses camarades de classe trouvent que "Ils sont nazes tes parents.".
Parfois l'enfant se référera à un adulte en particulier, un "mentor".
Cela peut être un enseignant, un membre de la famille ou un étranger.
Dans certains cas il peut même tomber dans une secte, où on lui dira
avec une extrême précision ce qu'il doit penser de chaque chose. On ne
devient "adulte" que quand on a appris à juger des choses par soi-même
tout en tenant toujours compte de l'opinion d'autrui. Ce processus
entre la prime enfance et l'âge adulte doit obligatoirement être géré
par la Société. C'est un travail difficile. Il faut que l'enfant ait au
moins des parties de réponses à ses questions avant que ces questions
ne se posent ou ne deviennent des menaces pour lui. En même temps il
faut éviter d'engluer l'esprit de l'enfant trop tôt avec des réponses
et donc des questions qu'il n'est pas encore capable de gérer. Il peut
mal les interpréter, en concevoir des terreurs, bloquer son esprit ou
perdre beaucoup de temps. On ne peut pas non plus savoir quelles
réponses exactement il faut donner à un enfant parce qu'on ne sait pas
comment son esprit fonctionne ni ce qu'il deviendra à l'âge adulte. On
est dans le flou. Il faut donc en toutes chose rester mesuré et laisser
l'enfant déambuler les choses par lui-même. Il ne faut pas essayer
d'accrocher son esprit à un rail, ni le vider sans cesse de son énergie
pour qu'il ne puisse plus rien faire par lui-même, comme on le fait
dans les écoles. Les rails sont parfois utiles mais pour de courts
trajets. Le plus important est de dialoguer avec l'enfant : accepter
ses pensées donc son image de lui-même, ne pas forcément essayer de les
comprendre en tous points, le laisser poser des questions, lui montrer
régulièrement des choses nouvelles et lui proposer de comprendre en
partie les pensées d'autres personnes.
Les très jeunes enfants n'entendent pas les mots que vous dites mais le
ton sur lequel vous les dites. Les jeunes enfants quant à eux n'ont pas
d'humour. Il ne faut pas trop essayer d'être ironique avec eux ou de
faire du second degré. Cela peut les blesser cruellement ou dénaturer
votre relation avec eux. Ils prennent à la lettre toutes les images que
vous évoquez. A partir d'un certain âge ils acquièrent la capacité
d'entendre au-delà des mots et des intonations. Suivant que vous avez
ou non un rapport de confiance avec un enfant il percevra vos remarques
de façon complètement différente. La position que vous occupez dans son
image de lui-même joue un rôle fondamental sur la façon dont son
système nerveux traduit ce que vous dites. Si un enfant a peur de votre
arbitraire, s'ils sent que vous ne vous intéressez pas à ce qu'il est,
tout peut être une cause de malheur pour lui. Supposons qu'il est en
train de faire ses devoirs pour l'école. Une simple remarque sur sa
façon de se tenir pourra le plonger dans un abîme d'inquiétude et lui
enlever tous ses moyens pour continuer à faire ses devoirs. Par contre
si vous avez un bonne relation avec lui, s'il sait que vous savez qu'il
sait que vous savez quelle est son image de lui-même et que vous y
attachez de l'importance, vous pourrez lui faire une remarque d'une
grossièreté extrême, sur un ton qui briserait une roche. Il rigolera et
vous remerciera d'un clin d'oeil parce que cela lui donne un petit coup
de fouet qui lui permet de terminer ses devoirs plus vite.
Dans la plupart des familles on s'extasie quand un petit enfant reçoit
un cadeau. Un quart de seconde fait la différence entre deux sortes de
familles. Dans le premier type de familles on s'extasie avant que
l'enfant ne se réjouisse du cadeau reçu. La famille impose à l'enfant
le fait qu'il faut s'extasier quand on reçoit un cadeau. On lui apprend
les émotions qu'il doit mimer dans telle ou telle circonstance. Devenu
adulte il n'aura aucune connaissance de ses véritables émotions. Il
sera conformé au Système, peu performant, souvent malade et
potentiellement dangereux. Dans le deuxième type de famille on
s'extasie un quart de seconde après que l'enfant ait commencé à se
réjouir du cadeau. On fait cela pour montrer à l'enfant que les joies
sont partagées et reconnues par tous. A l'âge adulte l'enfant sera
riche de ses propres émotions. Il ne fera pas toujours ce qu'on lui dit
mais quand il fait quelque chose il le fait bien. Il aura toujours
tendance à respecter les émotions des autres.
Un problème chez certaines mères est qu'elles rêvent leur enfant comme
étant parfait. Surtout si c'est un garçon. Elles vont imposer cette
perfection au reste du monde. Aucune critique de leur enfant ne sera
acceptée. Il aura de droit de faire ce qu'il veut, en particulier de
déranger autrui. Un bon père essayera de corriger cette situation. S'il
n'est pas à la hauteur, il y a plusieurs dérives possibles. Certains
pères se désolidarisent simplement du problème et ne s'occupent plus de
leur enfant. Ils se contentent de cultiver une rancoeur. Par exemple
une sorte de jalousie stupide pour ce prétendu Paradis que la mère rêve
pour l'enfant. Une autre dérive consiste à avoir une réaction opposée à
celle de la mère : diaboliser l'enfant. Le père fera sentir à tout
instant à l'enfant à quel point il est mauvais. Du regard, des mots...
il écrasera l'enfant. Un extrême consiste à ne plus adresser la parole
à l'enfant (ce qui rejoint la première dérive mais avec beaucoup plus
de violence). Ces situations peuvent évoluer de plusieurs façons. Si
l'enfant ne trouve pas des facteurs régulateurs en dehors de ses
parents, il devient un monstre. Exigeant ou renfermé, il est aliéné à
la société. Quand il commencera à commettre de vrais délits, certaines
mères ont la réaction de rentrer dans leurs souliers. Elles se couvrent
de honte et s'effacent. D'autres mères maintiennent le cap et clament
que la Société entière est le mal, que leur enfant doit être défendu
contre cela envers et contre tout. Le père, lui, souffrira beaucoup de
la mauvaise image que son fils renvoit de lui-même. Pour des personnes
matures, élever un enfant est plus simple. Elles savent que l'enfant
n'est ni bien ni mauvais. C'est juste un petit individu dont le système
nerveux n'est pas encore au point. Alors il faut contenir l'enfant,
l'empêcher de faire n'importe quoi, tout en lui laissant de solides
libertés quand cela ne dérange personne. C'est dans le tissage entre
ces lois que ce construira le système nerveux de l'enfant et qu'il
deviendra lui-même adulte. Une personne adulte sait qu'il ne faut pas
chercher à poser l'acte parental parfait. Il ne faut pas culpabiliser.
Ce n'est pas grave si on est parfois injuste avec l'enfant (à son
avantage ou à son désavantage). Ce qui compte est d'être de bonne
volonté et se poser des questions.
Les enfants sont un miroir effroyable de l'image d'eux-mêmes de leurs
parents :
On peut avoir très mal quand on constate ou croit constater qu'un
enfant fait les mêmes erreurs ou mauvais choix que l'on croit avoir
fait soi-même.
Les enfants ne vivent que par leurs parents et observent tout
d'eux.
Ils arrivent parfois à sentir ce qui fait mal aux parents. Ils
réussissent même à exploiter des peurs de leurs parents qui datent de
leur enfance.
Beaucoup de parents ont un terrible sentiment de responsabilité.
Ce que
leurs enfants deviennent, ce qu'ils font... déteint de façon lacérée
sur l'image d'eux-mêmes des parents.
Une bonne solution à ces problèmes d'image est la Communauté. Il n'est
pas bon que des enfants soient enfermés avec leurs parents. Il faut au
contraire qu'ils soient partagés entre les familles du village ou du
quartier. Si les enfants forment un groupe et qu'un peu tous les
adultes sont responsables de ces enfants, les choses iront beaucoup
mieux. Certains parents redoutent cela parce qu'ils craignent que leurs
enfants soient mal influencés par la Communauté. C'est un problème
concret. J'ai vu plusieurs adolescents mal tourner et il me semble que
leurs fréquentations y ont contribué. On peut diminuer le problème en
s'impliquant soi-même dans l'éducation de l'ensemble du groupe
d'enfants. Si on est connu du groupe d'enfant comme un adulte
intéressant et responsable, qui mérite d'être respecté, le risque que
ses propres partent en dérive décroît.
Un des rôles des parents est d'accompagner les deuils de leurs enfants.
Cela peut être aussi simple que de dire au revoir à un animal de
compagnie quand on part en vacances. L'enfant retrouvera l'animal à son
retour, cela n'empêche que pour un jeune enfant quitter l'animal peut
être un déchirement. Cela fait partie de l'apprentissage de la vie.
Certains parents trouvent des trucs pour éviter que l'enfant ne
comprenne qu'ils partent sans l'animal. Cela évite des adieux
déchirants. Je ne suis pas convaincu que ce soit une bonne idée. Je ne
sais pas si c'est bon pour la confiance de l'enfant en ses parents. Ils
ne faut pas créer le drame en présentant la séparation comme une
catastrophe. Mais au moment du départ il faut tout de même prendre acte
auprès de l'enfant qu'il va y avoir séparation momentanée et lui
laisser un peu de temps pour dire au revoir. Une fois en voyage, on
peut lui faire miroiter les prochaines retrouvailles.
Le couple
Très dangereuse est la personne dont l'image d'elle-même
implique de façon dominante le couple qu'elle forme avec une
autre personne. Elle peut tuer si l'image est rompue : c'est le
crime passionnel.
Une personne équilibrée a une image de soi propre, qui tient
par elle-même, à laquelle elle AJOUTE l'image de ce qu'est le
couple. Si l'image du couple se brise, il restera au moins à
cette personne son image d'elle-même.
Une des techniques pour draguer, utilisée par les filles,
consiste à arriver chez un garçon en pleurs. Elles offrent
ainsi la possibilité au garçon d'obtenir une meilleure image de
lui-même en devenant un consolateur, un protecteur. Le garçon
est aussi rassuré par le fait qu'il n'encourt aucune
obligation; il est là pour donner, pas pour demander ou
s'engager.
Au delà des prétextes, les ruptures sont la conséquence de
conflits d'images. Ce qui est nécessaire à l'image de soi de
l'un n'arrive plus à être concilié avec ce qui est nécessaire
à l'image de soi de l'autre. La situation tourne au dialogue
d'aveugles.
Notre physique, notre look, sont l'expression de l'image que
nous avons de nous-mêmes. C'est pour cela que des fortunes
colossales peuvent être payées pour un vêtement, un bijoux. Un
homme qui offre un bijoux à une femme lui offre par là même une
image d'elle-même. Il lui offre même plusieurs images
d'elle-même : il l'a compare à ce bijoux, il lui attribue une
valeur élevée, il lui permet de montrer à autrui qu'elle a de
la valeur... Pour les mêmes raisons certaines femmes détestent
les bijoux et méprisent ceux qui en offrent. Question de point
de vue. Offrez lui plutôt une image de vous-même ! Par exemple
un Totoro.
Quelqu'un de séduisant est quelqu'un qui a une image de
soi cohérente. Peu importe qu'il soit "beau" ou "laid",
qu'il ait une jambe ou deux jambes, s'il a une image de soi bien
formée dans sa tête; honnête, juste et assumée avec force,
alors il sera quelqu'un qui plaît, qui attire les autres.
Pourquoi ? Sans doute parce qu'il a des choses à apprendre aux
autres, des choses à leur faire découvrir sur eux-mêmes. Il est
un "maître".
Pour qu'un massage soit réussi, le masseur doit être bien dans
sa peau. Il doit avoir l'esprit clair. Il en va de même pour
les caresses. Les caresses de quelqu'un qui a une bonne image de
soi procureront un plaisir intense.
Pourquoi les personnes hautaines sont-elles admirées par
certains ? Un hautain est une personne qui fait semblant de ne
pas chercher l'approbation des autres. Il n'essaye pas de lire
dans leurs regards ce qu'il doit penser de lui-même. Les
faibles d'esprit en déduisent que cette personne doit donc
avoir une très bonne opinion d'elle-même. Une opinion
magiquement bonne. Donc ils sont très attirés par cette
personne. En réalité, une personne hautaine est toujours une
personne creuse. La construction d'une personnalité passe par
l'interaction avec les autres (à condition de ne pas tomber
dans certains pièges).
Une relation est souvent basée sur un "modus vivendi". Chacun
des deux a un certain rôle. Par exemple l'un des deux est celui
qui explique les choses à l'autre, et l'autre est celui qui
pose des questions et écoute les réponses. Si un jour ce modus
vivendi est rompu, cela peut tourner à la catastrophe. Par
exemple si celui qui se faisait tout expliquer se met à trouver
des choses par lui-même. L'autre peut le prendre très mal, se
sentir menacé au plus profond de son image de soi. Il peut
devenir très blessant; "Tu vois, tu t'es trompé.", "Attention,
laisse moi faire, sinon...". Le plus souvent inconsciemment, il
essayera par tous les moyens de retrouver sa place de donneur
d'explications. Certains couples n'ont survécu à ce genre de
mutations qu'en apprenant à tisser leur union sur d'autres
bases.
Une des méthodes de drague les plus efficaces dans les
discothèques consiste à s'approcher d'une fille à quelques
mètres, puis de faire passer son regard sur elle, lentement, de
bas en haut, avec l'air de penser "Waw ce qu'elle est chouette !". La
fille, voyant ce manège, frétillera
instantanément de bonheur et de satisfaction. On lui montre
qu'on a une très bonne image d'elle et donc on lui donne une
très bonne image d'elle-même. Il suffit après de continuer de
s'approcher d'elle et lui adresser la parole. La conversation
démarrera tout de suite sous les meilleures auspices.
On a donné aux hommes une mauvaise image d'eux-mêmes en leur
disant qu'ils étaient des brutes assoiffées de baise. Beaucoup
d'entre eux ont corrigé le tir. Ils se sont fait une obligation
d'apprendre à éviter toute pulsion sexuelle en présence d'une
femme. Du coup certaines femmes s'en trouvent dérangées "J'ai
beau lui montrer le bout de mes seins, lécher mes lèvres, faire
des allusions, il reste de marbre. C'est vraiment une lopette !". Il
est dommage qu'elles arrivent à cette conclusion.
Elles ne se rendent pas compte du fait qu'au contraire elles ont
quelqu'un de bien devant elles. Elles devraient plutôt
apprendre à sortir du schéma excitation-baise traditionnel et
aller à la rencontre de cet homme, communiquer, le comprendre,
le respecter, construire quelque chose avec lui, construire une
image du couple à laquelle on peut se référencer, lui permettre
de se construire une image de lui-même encore plus belle.
L'image que les femmes veulent avoir d'elles-mêmes est à
l'origine de biens des comportements étranges. Cela concerne
tout autant leurs réactions au fil de la journée que leurs
choix de vie. Elles essayent perpétuellement de s'organiser une
image d'elle-même et changent régulièrement d'optique.
Certains disent que "Une femme canalise les énergies pour les
transmettre à son mari. Elle s'habille, se parfume et va se
promener et rencontrer des personnes pour recueillir cette
énergie. Revenue à la maison, elle la donnera à son homme.".
Comment peut-on traduire cela en termes d'image de soi ? Disons
que la femme en se rendant jolie, en étant sociable, s'attire
les sourires, l'approbation des autres personnes. Elle
acquière ainsi une image favorable d'elle-même. Elle sera sûre
d'elle-même, elle aura de l'assurance. Rentrée à la maison elle
partagera cette assurance avec son homme, elle la lui
transmettra. Il se sentira à son tour sûr de lui, aura une
bonne image de lui-même et sera donc fort et résistant contre
les problèmes qu'il rencontre à son travail. (Ceci explique
pourquoi une femme dépense beaucoup d'argent en robes et en
artifices et pourquoi son homme doit considérer cela comme un
investissement rentable.) (Dans certains couples ce mécanisme
est maladif. L'homme pousse la femme à le tromper, à plaire à
d'autres hommes. Chaque fois qu'elle l'a trompé, il la gifle
pour la culpabiliser et la garder près de lui, puis il se montre
très gentil et caressant pendant quelques jours. Il absorbe
toute la séduction qu'elle a recueillie avec l'autre homme. Une
fois le capital écoulé, il la renvoie séduire un autre homme.)
On dit que les femmes aiment les hommes puissants ; hommes
d'affaires ou chefs d'Etat. Une des raisons à cela est que ces
hommes sont sûrs d'eux-mêmes. Ils ont une très bonne image
d'eux-mêmes. Il n'est donc pas nécessaire de sans arrêt les
rassurer et les consoler.
Le coup de foudre est le fait de croire découvrir l'image de
soi chez un autre. Par après, l'image de l'autre devra
réellement apparaître. Certains sont déçus, d'autres s'en
trouvent enrichis.
Aimer, c'est le fait de voir le mieux possible l'image de
l'autre, la comprendre, en avoir une vision claire et
parfaitement acceptée. Aimer procure beaucoup de plaisir,
surtout si l'on se met à agir en fonction de ce que l'on a
perçu de l'image de l'autre, dans l'intérêt de l'autre.
La passion, c'est ressentir le besoin d'ajouter l'autre à
l'image qu'on a de soi-même, vouloir faire en sorte qu'il fasse
partie de notre image de nous-mêmes. La passion peut être
suscitée par l'autre "de façon générale", elle peut aussi être
suscitée par des caractéristiques particulières : son
intelligence, sa volonté, sa sensualité, son assurance, un
trait de caractère... La
passion peut être trompeuse : on peut se tromper dans ce qu'on
croit voir en l'autre. Mais on peut aussi ne pas se tromper; la
passion amoureuse, cela existe. Si on est passionné par une
chose chez quelqu'un, cela veut dire que cette chose existe
aussi en nous-mêmes. Sinon nous n'aurions pas pu la
"reconnaître". Dans un premier temps la passion nous permet de
nous rendre compte de cette chose qui est en nous. Dans un
deuxième temps, elle nous donne la possibilité de développer
cette chose en nous-mêmes et la maîtriser.
La passion a sa réciproque : le rejet. Une personne qui est
dégoûtée par un clochard, qui détourne le regard avec une
expression de dégoût rien qu'en en voyant un, est en réalité
une personne qui se sent sâle à l'intérieur d'elle-même.
La haine, c'est le fait de voir l'image de l'autre, et la
rejeter.
Pourquoi la passion peut-elle être suivie d'une volonté
intense de détruire l'autre ? Peut-être parce que le
subconscient estime ne pas être arrivé à mener la passion à
maturité : il estime ne pas avoir réussi à "prendre" pour
lui-même ces qualités de l'autre qui sont à l'origine de la
passion. Alors il emprunte une deuxième voie : se
mesurer à l'autre. S'il parvient à détruire
l'autre il aura la preuve d'avoir réussi à faire mieux que lui.
Il existe en nous une pulsion qui nous pousse à ajouter une
autre personne à notre image de nous-mêmes. Nous sommes faits
pour vivre en couple, la "place" du conjoint dans notre image
de nous-mêmes est prévue d'origine dans notre cerveau.
"N'importe qui", à la limite, peut convenir pour prendre cette
place. Au besoin, le subconscient inventera des justifications
pour convaincre le conscient de prendre la personne qui se
présente.
Pour ajouter l'image de l'autre à son image de soi, encore faut-t-il
savoir quelle est l'image de l'autre. C'est pour
cette raison que des personnes qui commencent une histoire
sentimentale se parlent longuement. Chacun explique à l'autre qui il
est, quels sont les éléments qui constituent
son identité. Ils se posent des questions et se répondent.
Ils disent spontanément tous les éléments qui pourraient avoir une
importance. Certaines personnes ont "compris" ce
mécanisme et, hélas, le pervertissent ou le manipulent. Certains par
exemple constituent une image d'eux-mêmes "prête à emporter", bien
ficelée, qu'ils proposent telle quelle à chaque "amoureux" potentiel.
Parfois
même assortie d'une photo réalisée à cette effet.
Certains considèrent l'homosexualité comme une chose naturelle alors
que d'autres la considèrent comme une dégoûtante ignominie. Un élément
parmi d'autres qui permet de comprendre cette différence de perception
est la nuance entre "l'amour d'image" et "l'amour réel". En amour
d'image, on se contente de réaliser l'image de soi que la société nous
propose. Un homme épousera une femme simplement parce que son milieu
lui a inculqué qu'à partir d'un certain âge il faut former un couple.
Il se sent bien dès l'instant où il est marié avec une femme, il a
réalisé l'image demandée. Peu importe la personnalité de cette femme du
moment que son comportement cadre globalement avec l'image. Dans cette
image, il est profondément marqué qu'un couple est constitué d'un homme
et d'une femme. Cela commence avec Adam et Eve, en passant par Marie et
Josef, puis Ginger Rogers et Fred Astaire ou Jean Gabin et Michèle
Morgan. Pour des personnes de ces milieux, un couple constitué d'une
femme et d'une femme ou d'un homme et d'un homme sera une grave
anomalie, une rupture de l'image, qui engendre un profond malaise, un
dégoût. Par contre en amour réel la situation est différente. En amour
réel on s'intéresse à la personne, on apprend à la connaître, à
l'aider, à la soigner, à connaître ses particularités... L'amour réel
est un puissant travail intellectuel qui se passe entre deux personnes.
Dans ce cas, que l'autre soit un homme ou une femme est d'importance
secondaire. Le principal, c'est que c'est une personne, avec ses
besoins, ses faiblesses, ses dons, ses manies, le parfum de son âme...
Pour les personnes capables d'amour réel, l'homosexualité n'a rien de
choquant. Ce qui compte, c'est de s'occuper d'une autre personne. C'est
ce qui procure le bonheur le plus intense dans la vie d'un être humain.
Parce qu'on ajoute à son image de soi l'immense image qu'est l'autre
personne. Que cette personne soit un homme ou une femme est un détail.
On pourrait croire que dans les milieux où prime l'amour d'image il y a
moins de relations homosexuelles. C'est souvent le contraire. Parce que
l'amour d'image empêche l'amour réel et que toute personne aspire à
l'amour réel. En amour d'image vous ne pouvez pas réellement prendre
l'autre dans vos bras et le câliner. Car un véritable contact physique
briserait l'image, vous imposerait ce que l'autre est réellement. Vous
percevriez que c'est une personne complexe, qui ne correspond pas à
l'image, en bien comme en mal. C'est quelque chose d'effrayant. Seul
l'amour réel permet de supporter cela. Dans un monde où l'amour d'image
règne, seul un amour homosexuel peut vous permettre d'accéder à l'amour
réel. Parce qu'une personne du même sexe sera un peu plus simple à
comprendre et surtout parce qu'il n'y a pas d'image qui s'interpose
entre vous et elle. Ainsi, même pour des personnes qui n'avaient pas de
penchant naturel à cela, l'homosexualité devient la seule façon de
connaître l'amour, de se rapprocher de Dieu. C'est bien sur aussi la
raison pour laquelle les couples homosexuels sont souvent de meilleurs
parents. L'amour d'image détruit les enfants. L'amour réel les
construit. (Le raisonnement tenu dans ce texte peut lui-même être
perverti. Dans certains milieux homosexuels sectaires on endoctrine les
gens au fait que seul l'amour homosexuel a un sens. On retombe bien
évidemment là dans l'amour d'image.) En amour d'image on peut se
suicider ou tuer, quand l'image ne convient pas. En amour réel c'est
presque impossible puisque l'on ressent l'importance que l'on a et la
douleur que l'on pourrait causer aux autres. En amour d'image un
divorce se déroule souvent dans l'indifférence ou dans la haine. En
amour réel un divorce se déroule avec amour. Car même si l'on ne vit
plus ensemble il est impossible de ne pas continuer à se préoccuper de
l'autre, de ses intérêts.
Une autre tentative d'explication de l'homosexualité sont que l'on
cherche à reconstituer le lien que l'on avait avec le parent de même
sexe. On veut instinctivement reconstituer cette image et les
perceptions qui y étaient associées. C'est peut-être plus souvent vrai
pour les femmes, dont les relations homosexuelles sont parfois
dévorantes, passionnées, comme la relation exclusive d'un enfant à ses
parents. Encore une explication est que l'on recherche en l'autre une
image de soi-même, un miroir narcissique. Forcément cela fonctionne
mieux avec une personne du même sexe. Ces phénomènes ont peut-être une
influence mais il est actuellement admis que l'homosexualité est une
question de nature. On naît ainsi, prédisposé à l'homosexualité. Une
personne née franchement homosexuelle n'aura jamais d'émotions pour une
personne de l'autre sexe. Bien sûr des éléments du vécu peuvent
influencer. On considère qu'une personne n'est jamais tout à fait
hétérosexuelle ou tout à fait homosexuelle. Une personne qui est entre
les deux peut se croire homosexuelle parce que le premier partenaire à
vraiment lui donner du plaisir et un sentiment passionnel est par
hasard une personne du même sexe. C'est alors un peu superficiel comme
conclusion. De même une personne plutôt homosexuelle peut se croire
hétérosexuelle parce qu'elle a rencontré une personne de l'autre sexe
vraiment géniale. Il existe aussi par exemple le cas de femmes qui ont
été à ce point dégoûtée par le comportement de certains hommes que la
seule pensée d'un organe masculin les rend malade. Cela leur inspire
une telle répugnance que l'homosexualité devient la seule façon d'avoir
une vie de couple.
Un petit enfant est complètement dépendant de l'approbation de ses
parents. Son univers, son image de soi, n'existe qu'au travers de ses
parents. Une dépendance semblable existe entre les conjoints. Mais elle
est sensée être plus mature. Chacun doit être capable d'exister par
lui-même. Il doit être capable de survivre indépendamment de l'autre.
Il se donne à l'autre, requiert sont approbation, pour être en
communion avec lui, pour former quelque chose de meilleur encore.
Les relations affective à la façon des occidentaux sont fausses en ce
sens que chacun des partenaires imagine l'autre comme étant idéal. Il
s'invente une image de l'autre. Cette déviance est alimentée par la
culture de masse occidentale. Quand on rencontre une personne et qu'un
sentiment se crée, le cerveau produit des hormones qui donnent des
sensations de bonheur ou de jouissance. Les occidentaux profitent
simplement de cet état, sans rien donner en échange. Ils se comportent
comme des toxicomanes, ils pervertissent l'amour en essayant de
profiter des hormones de bien-être. Au fil du temps le cerveau produit
moins d'hormones et l'anesthésie cesse. Chacun commence à se rendre
compte de la personne qu'il a en face de lui et ne comprend pas cette
personne. C'est rapidement la guerre. Chaque défaut de l'autre devient
une arme pour l'écraser, on l'utilise pour l'humilier et pour justifier
des exactions. Certains arrivent à s'arranger à l'amiable mais le plus
souvent c'est la ruine mutuelle. D'autres cultures voient les choses de
façon totalement différente. Dans l'amour tantrique, par exemple, avant
de se faire des gros câlins on peut commencer par se faire des
reproches. On dit à l'autre toutes les frustrations qu'il a pu causer
au fil de la journée, ce en quoi on le trouve minable... Le but n'est
pas d'écraser l'autre mais de lui permettre de se justifier. La plupart
des reproches sont en effet infondés. Pour le reste, on montre à
l'autre qu'on accepte ses particularités, que l'on apprend à vivre avec
on qu'on l'aide à s'améliorer s'il le désire. Les hormones de bien-être
servent à favoriser cette attitude d'amour. Comme les hormones sont
cette fois-ci bien utilisés, leurs effets sont beaucoup plus forts. Ce
n'est plus du bricolage, c'est du véritable bonheur. Si ensuite on
passe à de gros câlins, ce qui se passera peut dépasser l'entendement.
Ce qu'un autre est, est toujours un peu insupportable. Ses manies, sa
bêtise naturelle, ses odeurs, ses bruits... Quand on tombe amoureux
d'une personne, des glandes dans notre cerveau se mettent à produire
des endomorphines, qui nous rendent explosés et broyés du bonheur le
plus chaud, le plus goûtu qui soit. Cela nous permet de supporter la
personne. Tout ce qui concerne cette personne fera pouet pouet sur les
petites glandes. Nous serons complètement accros à cette personne. Tout
particulièrement les détails les plus nuisibles de cette personne nous
rendront fous de bonheur, ou deviendront invisibles. Le problème est
que système des glandes ne fonctionne pas éternellement. Donc un jour
on se retrouve privé d'anesthésie, comme un patient qui se réveillerait
sur la table d'opération avec le ventre grand ouvert et les tripes à
l'air. Il s'ensuit des hurlements et des expressions de dégoût sans nom
contre la personne précédemment adorée. Je me demande si on ne remue
pas le couteau dans la plaie justement parce que ce sont les détails
les plus répugants de la personne qui nous causaient le plus de
bonheur. Un drogué en manque est prêt aux pires horreurs pour tenter de
retrouver quelques parcelles de bien-être. Quand un couple fonctionne,
il survit à la fermeture des glandes. Il trouve un autre bonheur, plus
profond et plus spirituel à être ensemble. Pour réussir cela il y a
tout un travail. Il faut s'adapter l'un à l'autre, apprendre à se
comprendre l'un-l'autre... Il faut apprendre à goûterle plaisir que
l'on a à s'occuper de l'autre et à le comprendre... C'est par exemple
la raison pour laquelle les vrais couples ont parfois des éclats de
voix et des scènes. Ce sont autant de petits procès qui permettent à
chacun de poser des questions difficiles, de tester l'autre, d'obtenir
justice... De fil en aiguille les liens se tissent. Les petits procès
peuvent aussi dégénérer et on voit alors des couples qui s'aiment
éclater dans un fracas.
Quand on est en couple avec quelqu'un, l'imprégnation de l'image de soi
qui se crée peut devenir malsaine. Elle peut être à la fois trop forte
et mal placée. Il en résulte une peur très dure d'être abandonné. J'ai
vu des lâcheté grave commise à cause de cela. Par exemple laisser le
conjoint maltraiter un enfant ou en abuser. Bien des crimes sont commis
uniquement pour cette raison. Parfois, l'attachement se fait à une
communauté plutôt qu'à une personne en particulier.
Les pathologies
Orgueil, vanité, arrogance, névrose, nationalisme... sont des
pathologies de l'image de soi. D'où l'expression populaire
utilisée parfois à l'égard de personnes qui en souffrent :
"Pour qui se prend-il ?".
Une priorité est d'avoir une vue d'ensemble de soi, une vue
générale. Les personnes dont l'image de soi est morcelée ont de
gros problèmes.
Ce qui fait de l'héroïne une drogue aussi forte est qu'elle
donne l'illusion d'avoir une image de soi et du monde cohérente
et idéale. Elle impose le message "Tout va bien". En
particulier elle dit : "Tout fonctionne comme il faut", "Il n'y
a plus de problèmes", "Il n'y a plus de barrières". Pour
quelqu'un qui souffre d'avoir une image de soi mal ficelée,
c'est une aubaine. Un mot d'argot désignant une prise d'héroïne
est d'ailleurs "fix". Le verbe anglais "to fix" signifie
"réparer". Les effets de l'héroïne peuvent sembler
contradictoires : elle peut rendre très actif tout comme elle
peut rendre apathique. Ces deux extrêmes s'expliquent par le
même phénomène sous-jacent. En disant "Tout va bien, tout est
comme il faut" elle permet de se relaxer. On n'est plus obligé
d'être vigilant, on peut se reposer. En disant "Il n'y a plus
de barrières, il n'y a plus d'obstacles" elle permet de passer
à l'acte. Celui qui était persuadé de ne rien pouvoir faire se
lèvera et entreprendra ce qu'il veut sans avoir d'appréhensions.
(Un ami me demandait pourquoi je ne consommais pas d'héroïne,
je lui répondis ceci : "Quand je vais bien, je n'éprouve pas le
besoin qu'on me dise que je vais bien. Quand je vais mal, je
n'aime pas qu'on me mente. C'est une question d'honnêteté
intellectuelle.")
La douleur est le fait que l'image de soi est rompue, remise
en cause. Pour se protéger de la douleur, il existe deux
méthodes :
L'anesthésie. Il existe plusieurs types d'anesthésies :
L'anesthésie chirurgicale. Si l'on endort votre bras avant
de couper dedans, votre cerveau ne peut plus recevoir l'influx
nerveux l'informant de l'intrusion du scalpel. Donc il n'est
pas au courant du fait que l'image physique du corps est
atteinte. Donc il ne souffre pas. (C'est pour cette même raison
qu'à l'aide d'un drap l'on cache l'intervention au yeux du
patient.)
L'anesthésie mentale. Quelqu'un qui a été correctement
endoctriné a une image de lui-même inébranlable. Insensible à
la réalité, quoi qu'il arrive cette personne ne souffrira pas,
parce que son image de soi ne peut être atteinte. Cette méthode
à bien sûr ses limites ; on ne peut pas résister à n'importe
quoi.
La souplesse. Si votre image de vous-même est par exemple
"je suis un travailleur qui rentre chez lui le soir et doit
trouver un foyer accueillant", il est évident que vous allez
beaucoup souffrir. Il suffira d'un visiteur inopportun, d'un
quelconque changement de programme, pour que votre image soit
perturbée. Par contre, si votre image de vous-même est par
exemple "je suis quelqu'un dont le rôle est d'adapter son image
de soi en fonction des événements", rien ne pourra vous
blesser. Quoi qu'il arrive, vous aurez toujours une image de
vous-même cohérente.
Un mythomane est quelqu'un qui a une image de lui qui ne
correspond pas à la réalité. C'est une sorte de drogue, un
paradis artificiel naturel.
Les racistes sont des personnes qui plaquent sur les
étrangers (les différents) une mauvaise image qu'ils ont en
fait eux-mêmes, inconsciemment. Je n'ai jamais rencontré
personne plus haineuse envers "ces étrangers qui profitent de
notre système social" qu'une amie qui est au chômage et est une
fainéante notoire. En réalité, les étrangers sont pour la
majorité des personnes organisées et travailleuses dont nous
avons tout à apprendre. (L'inverse du racisme existe aussi.
Certains n'hésitent pas à conférer des qualités
fantasmagoriques aux habitants de contrées éloignées.)
Les grands dictateur comme Staline sont des personnes qui
associent l'image du pays à eux-mêmes. Il ne forment plus
qu'un, sont la même chose. Ce qui menace le pays le menace, ce
qui le menace menace le pays. Certains fonctionnaires font
cette identification entre eux-mêmes et leur administration.
Pour eux, toute personne qui semble nier l'ineffable divinité
de l'administration les offense personnellement et devra
être détruite.
Les personnes qui ont une image d'eux-mêmes qui n'est pas
satisfaisante au vu de la réalité, essayeront parfois de
redessiner la réalité dans leur tête pour qu'elle correspondent
mieux à ce qu'il faut pour qu'une meilleure image eux-mêmes en
découle. En d'autres termes; comme nous voulons avoir une image
de nous-mêmes la mieux possible, nous changerons notre vision
du monde et des valeurs pour que notre image de nous-mêmes y
trouve une position plus valorisante.
Le travail d'un psychologue consiste parfois simplement à
faire remarquer à son patient que son image de soi est tout à
fait acceptable, qu'il n'a pas besoin de la nier ou de déformer
sa vision du monde.
Il faut faire attention aux liens de cause à effet.
Des manquements dans l'établissement de l'image de
soi peuvent occasionner beaucoup de problèmes différents :
boulimie, fainéantise, irritabilité, associabilité,
malhonnêteté, timidité, exubérance... Or, il arrive qu'une
personne ayant des manquements à l'image d'elle-même présente
plusieurs problèmes en même temps. Boulimie et fainéantise, par
exemple. Les gens ont tendance à réagir face à cela en disant
par exemple "Il est fainéant parce que il est
boulimique.". C'est faux et dangereux. Faux parce que les deux
problèmes ne découlent pas l'un de l'autre mais au contraire
découlent chacun de son côté d'un même manquement à l'image de
soi. Dangereux parce que agresser ces personnes en leur disant
"Tu ferais bien de te remuer un peu.", va leur confirmer qu'ils
sont nuls, donc détériorer davantage leur image eux-mêmes,
donc les rendre encore plus fainéants et boulimiques (et donc
"justifier" encore plus l'opprobre de leurs agresseurs). Si on
veut réellement aider quelqu'un, cela demande un travail
autrement plus compliqué que bêtement lui passer un savon.
Quelqu'un qui n'arrive pas développer une certaine image de
lui-même peut être tenté de vouloir développer son image dans
un autre domaine. Par exemple, quelqu'un qui n'arrive pas à se
réaliser en tant que père de famille sera parfois amené, sans
s'en rendre compte, à se réaliser en tant que bête de travail.
D'où un cercle vicieux, puisque le fait de se consacrer
entièrement à son métier l'éloignera encore plus de sa famille.
Il faut éviter cela. Il faut faire un équilibre entre les deux
mondes, ils s'en trouveront alors tous les deux renforcés. (En
réalité il ne faudrait même pas que les deux mondes soient
séparés.)
Le suicide est une idée souvent idiote pour effacer une image de soi
qui ne
convient pas. (Seule l'euthanasie, pratiquée dans des cas extrêmes de
souffrances incurables, sous contrôle médical, peut parfois se
justifier.)
La dépression est le fait d'essayer en vain de recomposer une
image de soi. On essaye de progresser, de réaliser quelque
chose, mais cela ne marche pas. On se heurte la tête contre un
obstacle, on se ronge à essayer de faire quelque chose. On
constate qu'on est capable de rien. Notre image de soi se
lézarde, se fissure, tombe en poussière. La souffrance peut en être
extrême. On se détruit peu à
peu, on devient une loque. Un dépressif peut être très jovial
et généreux avec des inconnus (qui ne font pas partie de son
image de lui-même) et une heure après être totalement
apathique, indifférent voire agressif avec des personnes qu'il
connaît bien (qui font partie de son image de lui-même). (Cette
approche psychologique de la dépression est utile pour comprendre et
aider un dépressif. Mais une médicalisation est le plus souvent
nécessaire aussi. La dépression passe par de graves troubles
neurochimiques dans le cerveau. Le cerveau est par exemple à court des
neurostransmetteurs chimiques qui lui permettraient de fonctionner et
donc de gérer les problèmes. Dans beaucoup de cas la médicalisation
peut se limiter à soigner son alimentation, prendre du ginseng et faire
une cure de millepertuis. Si en plus on prend du temps pour parler de
ses problèmes, apprendre de nouvelles attitudes mentales, apprendre à
mieux vivre avec les autres... On peut résoudre le problème de la
dépression sans utiliser de médicaments "lourds". Ces médicaments
lourds restent nécessaires dans beaucoup de cas, au moins pour passer
le cap le plus difficile.
La plupart des serial killers et les violeurs ont un problème
avec la notion de féminité. Tuer une femme, la violer,
est pour eux à chaque
fois une façon de réaliser une "victoire" sur la féminité. Soit ils
croient se
l'approprier, soit ils croient s'en libérer.
C'est en détruisant l'obstacle ou en le possédant, qu'on se
montre plus fort que lui. Chaque fois qu'ils posent un acte ils
éprouvent une petite jouissance. Evidemment, cette façon de
faire ne résout par leur problème. Cela ne leur apprend rien,
ne les fait pas évoluer, ne leur fait pas découvrir ce qui est
en eux. Ils n'apprennent pas à être comme une femme, ils ne
développent pas la femme qui est en eux, ils ne l'ajoutent pas
à l'image d'eux-mêmes. Quant un serial killer tue, il veut tuer
l'image de sa mère possessive qui reste collée, engluée à sa
personnalité, à son image de lui-même. Il peut brièvement ressentir une
jouissance d'y être arrivé. Mais en réalité il n'a fait que confirmer
la place que prend sa mère. Ces personnes ne peuvent donc pas
améliorer leurs relations avec les femmes. C'est pour cela
qu'ils recommencent sans arrêt. Ils sont comme un disque rayé
qui rejoue sans arrêt le même sillon. Beaucoup d'entre eux ont
eu pendant l'enfance ou pendant l'adolescence un problème grave
avec une ou plusieurs femmes. Chaque fois qu'ils tuent une
femme ou qu'ils la violent, ils transfèrent sur elle
l'image de la femme avec laquelle ils n'ont pas pu avoir
une relation constructive. Ils n'arrivent pas à inclure la
féminité à leur image d'eux-même, alors ils la plient,
ils la détruisent, ils
remportent une victoire sur elle. Les pouvoirs publics
réagissent face à cela par exemple en autorisant la
pornographie. Si un viol ou un meurtre doit avoir lieu, autant que ce
soit
avec une femme en papier ! Posséder quelques feuilles de
papier ne fait de mal à personne. Mieux vaut une photo sur papier
que des acteurs live. Mieux vaut se défouler en piquant des aiguilles
dans une poupée de cire qu'en poignardant un être vivant. Cela permet
de se
faire la même photo dans la tête, sinon meilleure.
La pornographie n'est qu'un
palliatif au problème de ces personnes, mais un palliatif
socialement acceptable. Le court terme étant
ainsi réglé, les vraies solutions, à long terme, passent par
l'éducation, la culture, la communication, la découverte...
faire évoluer les gens, leur donner les moyens de changer.
Dans les milieux intégristes le problème est aigu : les hommes
sont fous de terreur face aux femmes. Ils cultivent des
superstitions qui alimentent cette terreur. "Les femmes qui
travaillent sont des salopes, elles aiment être harcelées
sexuellement par leur patron." "Derrière chaque guerre, il y a
une femme." Les autorités intégristes règlent le problème de
deux façons. Primo, ils préservent les apparences, en
interdisant sévèrement la pornographie et les coureurs de
jupons et en tolérant les viols à conditions qu'ils soient fait
discrètement, que seules des femmes viennent se plaindre et
qu'il suffise de leur ordonner de se taire, de les
culpabiliser. Secundo, en permettant à chaque homme de devenir
"propriétaire" d'une femme. Ainsi chaque homme est satisfait :
la féminité fait partie de son image de lui-même, certifié par
contrat.
Une différence entre la pornographie et la réalité est que sur
une image pornographique la personne photographiée se montre sûre
d'elle-même. Elle manifeste avoir une bonne image de soi. C'est
une composante très importante de l'image, cela
joue un grand rôle dans l'excitation. Dans la réalité, au
contraire, les personnes que l'on rencontre ne sont pas sûres
d'elles-mêmes. Elles doivent être rassurées, il faut leur offrir,
de plusieurs façons différentes, une amélioration de leur image
de soi. (Si on a développé quelque chose en soi, il faut savoir
l'offrir à l'autre. Il faut communiquer un talent, une pulsion,
une vision des choses. Il faut aller à la découverte des
particularités de l'autre. Il faut s'offrir en présent à l'autre
pour qu'il considère que nous faisons partie de son image de soi.)
On se pose souvent une excellente question : pourquoi
Hitler condamnait-il les individus petits et bruns aux
yeux sombres alors qu'il est lui-même petit et brun
aux yeux sombres ? La réponse est relativement simple :
c'est parce qu'il était petit et brun aux yeux sombres.
Quand il était jeune il a été très impressionné par des
pseudo-intellectuels antisémites qui échafaudaient
des théories virulentes. Ces "messieurs qui ont fait
des études" lui ont exposé avec force des
théories qu'il a pu comprendre (forcément, elles sont
peut-être exprimées avec conviction et des mots
prestigieux, mais elles sont plates, simplistes et très bêtes).
Ces théories condamnaient les petits bruns aux
yeux sombres.
Il s'est alors senti chargé de cette énergie de
conviction, il s'est sentit vivre. Il lui fallait
accomplir l'idéal que ces personnes énonçaient.
Problème : il pouvait à la rigueur se teindre les
cheveux en blond, mais pour la taille et les yeux,
c'est pô possible. Serait-il donc un traître ? Qu'à cela
ne tienne, il a alors inconsciemment décidé d'imposer
à toute l'humanité d'être
grand et blond aux yeux bleus. Ainsi on ne peut pas
lui reprocher de ne pas avoir fait de son mieux.
Le jour où il comparaîtra devant ce qu'il
croît être ses juges, il veut qu'on lui dise :
"Tu n'es pas grand, tu n'es pas blond, tu n'as
pas les yeux bleus. Mais il faut reconnaître
que tu as bien fait la promotion des grands
blonds aux yeux bleus. Allez, ça va, on te le laisse
passer au paradis." Pendant tout
le temps qu'a duré son travail, grâce à
l'énergie et à la conviction qu'il a déployé lui-même il a trouvé un
grand nombre de personnes aussi bêtes que lui
pour le rejoindre dans sa démarche. Il a été très heureux, entouré de
beaucoup d'amis,
comme au paradis.
Supposons qu'une sangsue s'accroche à nous. Elle
fusionne avec nous et tente ainsi de s'imposer à notre image
de nous-même. La réaction normale d'un être humain
est d'avoir une réaction de rejet vis-à-vis de la
sangsue, de vouloir la retirer à tout prix. Elle
ne fait pas partie de notre image de nous-même,
elle est "incompatible". Sauf
peut-être si nous sommes un biologiste "amoureux"
des sangsues, qui les étudie, les comprends et peut se laisser pomper
le sang pour les nourrir sans que cela ne lui pose de problème, comme
une mère allaite son enfant. Les sangsues font partie de l'image de
soi du biologiste tout comme un enfant peut faire
partie de l'image de soi de sa mère.
Il existe une affection mentale rare chez
les êtres humains qui consiste à rejeter un membre
de son corps. Par exemple les jambes. Certaines
personnes ont un rejet vis-à-vis de leurs jambes,
comme d'autres pourraient avoir un rejet vis-à-vis
d'une paire de sangsues. Leur cerveau considère
que les jambes ne font pas partie de leur corps.
Ces personnes sont prêtes à payer pour qu'on les
opère et qu'on leur enlève les jambes, tout comme
d'autres seraient prêtes à payer pour se faire enlever des sangsues
fermement implantées.
Les opiacés permettent d'anesthésier les douleurs à l'intérieur du
cerveau. On peut donc les utiliser par exemple quand on veut opérer une
personne. Elle ne souffrira pas des incisions pratiquées dans son
corps, de ce qu'on y introduit et de ce qu'on en enlève. On peut les
utiliser pour calmer les douleurs d'une personne qui a perdu un membre.
On peut aussi les utiliser pour greffer ou retrancher des parties de
l'image de soi d'une personne. C'est pourquoi ils sont utilisés dans
certaines sectes et associations criminelles. Par exemple dans la
prostitution. Les héroïnomanes, en particulier, sont des personnes qui
s'amènent elles-même à croire des choses délirantes et à oublier des
choses essentielles de la vie.
Il y a deux sortes de personnes. Il y a ceux qui se construisent en
construisant les autres. Il y a ceux qui croient se construire en
détruisant les autres.
Chacun se construit une image de soi, plus ou moins artificielle.
"Connais-toi toi-même !". Ceux qui ne se connaissent pas, qui croient
se connaître, sont potentiellement dangereux. Ils vont entreprendre,
promettre ou imposer des choses irréalisables. Ou ne pas faire des
choses qu'ils pourraient faire. Les gens qui les entourent, les parents
et les éducateurs en particulier, jouent un rôle important dans ce
fait. Celui qui croit être quelque chose mais qui ne l'est pas en
réalité, dans le meilleur des cas s'en rendra compte et adaptera son
image de soi. Mais il peut aussi persister et vouloir coller
artificiellement à son image de soi. Cela peut lui causer de lourdes
pertes en temps, en argent, en crédibilité, cela peut à terme ruiner
son image de soi entière. Certains font une névrose : ils savent plus
ou ou moins ce qu'ils pensent être mais souffrent de ne pas l'être
réellement. Alors qu'ils pourraient être très heureux, à condition
d'intégrer une image d'eux-mêmes plus proche de la réalité. Certains
éducateurs vont tenter naïvement d'empêcher la névrose en critiquant
sans cesse l'image de soi de la personne. Cela crée à son tour d'autres
problèmes. La seule solution est d'apprendre à la personne à être
honnête, en lui donnant le bon exemple, et la laisser elle-même décider
de ce qu'elle est et de ce qu'elle n'est pas, en l'aidant à l'occasion
à se mettre elle-même à l'épreuve.
Un individu a besoin que ce qu'il est, et qui pour lui ne se définit
fondamentalement que par une émotion, soit reconnu par les autres.
Tomber amoureux est une reconnaissance mutuelle intense des émotions.
Mais certaines personnes ou certains organismes abusent de ce phénomène
pour duper, capturer des personnes. Par exemple ils font passer des
pseudo-tests psychologiques qui "révèlent" ou promettent de révéler des
choses sur la personne. "Nous vous comprenons ! Vous êtes génial !" Ou
ils font des analyses exaltées du prénom ou du signe astrologique de la
victime. Ou encore ils donnent une position, un grade à la personne,
qui n'a peu ou rien à voir avec ses capacités réelles. La personne se
croit reconnue et en retire une intense jouissance. Alors qu'elle n'a
fait que s'engluer dans les pétales d'une fleur carnivore.
Les sectes racontent à leurs membres des mythes fondateurs bien
calculés. L'image de soi au sein du Monde que les membres vont se créer
sera favorable aux intérêts de la secte. D'une façon générale les
humains sont très sensibles à ce qu'on leur raconte, leur explique et
leur impose pour se faire une image des choses et pour y trouver leur
place. Un dogme répété un nombre suffisant de fois s'imposera à une
personne même s'il est contraire à toute logique objective. Les
dictateurs et les publicitaires en usent et en abusent. Il est assez
difficile de former des gens pour qu'ils soient capables de s'abstraire
de ce piège.
Chez certaines personnes, l'image de soi peut varier de façon
totalement erratique au fil de la journée, passer d'un extrême à
l'autre. Une voie possible pour résorber ces délires consiste à établir
un dialogue entre les images de soi. Par exemple quand on est exalté on
s'adresse à soi-même pour quand on était ou sera dépressif. Et quand on
est dépressif on essaye de parler un peu avec la personne que l'on a
été et que l'on sera quand on est exalté. Ainsi on établit des liens,
on fait communiquer les vases entre eux et on résorbe l'amplitude des
oscillations.
Certaines personnes vous félicitent et vous louent quand elles vous
rencontrent. Elles vous expriment une image de vous-même flamboyante.
Puis quelques temps après elles vous critiquent amèrement et vous
reprochent de ne pas faire des choses comme il faut. Elles ont des
idées très précises de comment les choses doivent être faites. Parfois
ces idées sont réalistes, parfois totalement démentes. Ces personnes
ont aussi parfois leur façon propre de s'exprimer, leur propre
vocabulaire et considèrent que tout le monde doit comprendre et adopter
ce mode d'expression. Instinctivement ces personnes essayent de vous
dominer. Les compliments au début puis les reproches visent à orienter
votre image de vous-même pour que vous deveniez une machine à leur
rendre des services, pour que vos émotions vous portent à les servir.
Ces personnes rêvent les choses et vous considèrent comme l'interface
qui a le privilège de les réaliser. Si vous ne le faites pas, ou si
vous ne comprenez pas ce que ces personnes vous expliquent, ou même
simplement si vous ne faites pas spontanément les choses comme elles
l'entendent, elles vous attaqueront verbalement ou physiquement avec
plus ou moins d'agressivité. Le raisonnement est simple : si vous
subissez de la douleur ou un stress chaque fois que vous ne faites pas
les choses comme il faut, vous finirez bien par les faire comme il
faut. C'est une recette très simple, qui donne de très mauvais
résultats ou des résultats contraires. Mais des personnes peu cultivées
peuvent adopter naturellement ce comportement. Certains systèmes
d'éducation sont hélas basés sur ce mécanisme. On distribue des bons et
des mauvais points aux élèves, des titres de premier et des étiquettes
de raté... sur base des valeurs et des objectifs exigus des enseignants
ou de la Société. Une tactique face à ces personnes consiste à refuser
les compliments au départ, avec autorité.
On se demande souvent comment et pourquoi des organisations criminelles
ou terroristes sont apparues. On recherche des influences de puissances
étrangères, des systèmes idéologiques, des intérêts communautaires...
Mais il peut arriver que la seule motivation sérieuse soit le fait que
la création de l'organisation a permis à quelques personnes d'acquérir
un statut. Vous étiez un simple commerçant de quartier ou un petit
fonctionnaire. D'un coup vous voilà commandant en chef d'un groupe
armé. Votre image de vous-mêmes devient flamboyante, magique. Les
femmes veulent de vous et des sympathisants vous supplient d'accepter
leur argent ou leurs services.
Un avare est une personne qui ne comprend pas son rôle dans la société.
Elle ne voit pas le fait qu'elle est la pour gérer l'argent, pour en
assurer un bon flux. Une personne équilibrée se doit d'éviter de
gaspiller l'argent et les ressources que l'on peut acheter avec. Mais
elle se doit en même temps d'investir l'argent pour le bien de son
entourage, quitte parfois à en perdre ou à ne pas être sûr qu'il y a
bien eu un gain. Un avare ne voit donc pas ce système sanguin des flux
d'argent autour de lui, ni la position de régulateur intelligent qu'il
se devrait d'occuper. Un avare a une image pauvre de lui-même. C'est
peut-être pour cette raison qu'il dépensera un jour soudainement tout
son argent pour une grosse chose inutile. Parce qu'il aura eu
l'illusion fulgurante de pouvoir enfin devenir quelque chose en
achetant cette chose. Le remède est l'éducation, la Culture. Quand on
sait, comprend et sent comment gérer l'argent, on le fait.
Le mal-être provient de désaccords dans l'image de soi.
Un exemple simple est le mal de mer, qui provient d'un
désaccord entre l'oreille interne et les yeux. L'oreille interne
dit au cerveau que l'on oscille tandis que les yeux disent que l'on
ne bouge pas. C'est pour cette raison que l'on recommande de fixer
le regard sur l'horizon. Car en regardant l'horizon les yeux
concluent à un mouvement du corps conforme à ce que rapportent les
oreilles internes. De même, un psychologue ou un gourou de secte,
en bien ou en mal, en construisant l'individu ou en le détruisant,
travailleront à donner à leurs clients une image cohérente d'eux-mêmes.
Les superstitions font partie de notre image de nous-mêmes au sein du
monde. Par exemple le fait de croire que si l'on fait le bien on sera
automatiquement récompensé (cette superstitions inclut une autre
superstition : celle qu'il est possible de déterminer ce qui est le
bien). Ou le fait de croire que si une personne vous critique c'est
qu'elle ne vous aime pas. Ces superstitions en fonction desquelles ont
vit peuvent nous détruire ou causer beaucoup de problèmes à notre
entourage. Mais elles sont souvent adoptées faute de mieux, parce
qu'elles sont imposées par des chefs spirituels abuseurs ou parce
qu'elles offrent un confort mental primaire. En réalité tout le monde
vit en fonction de superstitions. Mais les superstitions des personnes
sages ou efficaces sont plus construites.
Pour certaines personnes les choses sont très simples : vous êtes pour
eux ou vous êtes contre eux. En d'autre termes : vous rejetez leur
image d'eux-mêmes ou vous l'acceptez. Si vous l'acceptez, alors en
permanence vous êtes sensé être gentils et souriants avec eux. Ne
jamais critiquer bien sûr, puisque si vous critiquez c'est que vous
n'aimez pas ce qu'ils sont donc vous êtes contre eux. Si vous critiquez
ce sera pris pour une déclaration de guerre. Vous recevrez donc en
retour un déluge de haine et de reproches. Votre image de vous-mêmes
sera dégradée et rejetée par tous les moyens, même les plus absurdes.
Tout ce qui a trait à vous sera détruit.
Certaines personnes tentent d'obtenir une bonne image d'elles-mêmes en
éliminant tout ce qu'elles considèrent comme "impur". Les sectes
adorent jouer là-dessus pour faire se départir leurs adeptes de leur
argent, leurs biens...
Certains essayent de devenir "bien" en possédant quelque chose de
grand, de cher. J'ai une fois été dans un magasin avec une personne qui
raisonne ainsi. Elle tâtait les objets d'un geste et d'une expression
méprisante. Quand je lui ai montré l'étalage des objets pour lesquels
on était venus, d'un mouvement gras de la bouche elle a dit "Je veux la
meilleure." Le prix n'avait pas d'importance. Cette personne ne peut
arriver à rien dans le vie et c'est bien ce qui se passe. Elle est
obligée de travailler dans la prostitution pour à peine survivre.
Tout le monde veut inclure à son image de soi des choses qui sont
fondées, vraies. Une technique très simple pour faire accepter une
chose fausse à une personne est de lui raconter de nombreuses petites
choses vraies. La lourde et grave chose fausse entrera en même temps
que la nuée de petites choses vraies. Un de mes amis, chaque fois que
je menace de réussir à lui expliquer qu'une chose qu'il pense est
fausse, me lance automatiquement à la figure une chose qu'il pense
vraie et qui n'a que peu de rapport avec ce dont nous discutons. Quand
une personne honnête et une personne malhonnête luttent pour emporter
le suffrage de la foule présente, le malhonnête peut vaincre rien qu'en
appliquant cette technique : rebondir d'une ébauche de vérité à
l'autre. Il faut un homme honnête très capable - ou une foule cultivée
- pour lutter contre cette stratégie.
Un moyen simple pour détruire une personnalité est de se moquer
régulièrement de ce qui est important pour elle. Toute chose peut être
tournée en ridicule ou être relativisée. C'est même nécessaire dans une
certaine mesure. Mais on peut en abuser et ainsi détruire l'image de
soi d'une personne en se moquant de ce qui ne sont que des qualités,
des avantages potentiels ou des particularisme nécessaires.
Inversement, on peut louer et flatter à outrance des aspects d'une
personne et la gonfler de fierté comme une baudruche.
Dans la vie, il faut faire des choix. On ne peut pas tout faire en même
temps, on ne peut pas épouser toutes les femmes. Ces choix sont un
travail, qu'il faut apprendre à faire. Il faut être capable de sentir
quels choix peuvent nous apporter un chemin de constructions, de
satisfactions, de réussites et de travail gratifiant. Il y aura
toujours des embûches, le hasard peut même tout détruire, mais choisir
un chemin cela a un sens. Le propre des démocraties est de tendre à
ouvrir un maximum de chemins aux gens et de leur donner les moyens de
choisir ce qui leur conviendra, ce qui leur permettra d'apporter le
plus de choses aux autres. Dans les dictatures les chemins sont
imposés, par la force ou par la ruse. Ils ne correspondent alors que
rarement aux moteurs des gens, le rendement sera faible. Apprendre à
faire les choix est un travail difficile, jamais parfait. Certaines
personnes n'arrivent pas à faire de choix. Elles vivent en ayant un peu
choisi pour tout et opté pour rien. Elles ont une vie faite d'ébauches,
de commencements, de rêves avortés. Elles sont entourées de demi
cadavres et des souffrances des personnes victimes de ces indécisions.
Leurs images d'elles-mêmes est entaillée de coups de ciseaux inachevés,
ce sont des dentelles chaotiques et douloureuses. Prendre des décisions
fermes est pour elles une souffrance. Car elles devraient abandonner
les autres choses, comme un enfant qui ne pourrait garder qu'un ou deux
jouets. Pour des personnes adultes au contraire prendre une décision
peut être une grande joie. Car c'est le début d'une construction ferme.
Les personne indécises fantasment des dictatures, où on leur imposerait
enfin un choix.
Un problème peut être très grave s'il est à la fois source de plaisir
et de nausée. C'est un des aspects les plus destructeurs de la
pédophilie. D'une part l'enfant rejette le contact du pédophile, il en
éprouve un malaise. D'autre part il en ressent du plaisir car ce sont
des caresses. Ou bien il tient au pédophile parce que c'est un parent
ou une personne qui invoque ses bons sentiments. Cela engendre des
paradoxes dans les pensées de l'enfant, des contradictions qui
dégénèrent et le détruisent. Un adulte est plus ou moins capable de
répondre point pour point à ces paradoxes, de les résoudre, de trancher
les petits noeuds gordiens et de reformer lentement une image de soi
acceptable. Il y arrivera certainement s'il est aidé par un bon
psychologue. Mais pour un enfant l'effondrement psychologique est
souvent inévitable. Le poids est trop lourd de cette charpente de
contradictions, de culpabilités, des éléments imaginaires délirants nés
des interrogations. Seul un dialogue rapide et prolongé de l'enfant
avec un très bon psychologue, un adulte sage qui s'investit, peut
espérer le sauver avant l'effondrement.
La "résilience" est un phénomène qui veut que même après les
traumatismes les plus graves un esprit humain peut espérer retrouver
une image de soi acceptable. Comme une feuille pliée qui reprend
lentement sa forme, comme par magie.
L'exigence est une des pires maladies de l'image de soi. Si on dit et
on explique à un enfant qu'une terre lui appartient, devenu adulte il
concevra une grande frustration si soudain on lui dit le contraire. Il
sera prêt à se battre et peut-être à tuer pour reconquérir "sa" terre.
Si on ne lui avait rien dit, si on n'avait pas implanté cette terre
dans son image de lui-même, il n'y aurait pas eu de problème. De même
beaucoup de bandits n'attaquent une banque qu'après avoir longtemps
rêvé de tout ce qu'il allaient faire avec cet argent. Ils ont inclus
cet argent à leur image d'eux-mêmes, il leur appartient. Si une
personne s'oppose au hold-up, c'est avec l'indignation du bon père de
famille défendant son bien qu'ils abattront le gêneur.
Toute personne désire que son image soit approuvée par les autres, que
ce qu'elle est soit jugé bien. En disant à une personne que son image
est bien, on peut la combler de ravissement. Cela fonctionne comme une
drogue. Cela demande aussi un certain talent. Si vous allez trouver une
jeune fille et lui dites de but en blanc qu'elle est géniale, elle vous
prendra pour un fou. Il faut d'abord vous faire accepter par elle, lui
donner au moins l'impression que vous vous intéressez à elle et que
vous avez une capacité d'appréciation objective, que vous êtes une
autorité. Alors vous pouvez commencer à lui faire des compliments. Les
escrocs, sectes et autres abuseurs jouent à fond de ce mécanisme. Ils
vous rendent heureux compliment après compliment. Caresse après
caresse, ils vous font entrer dans leur système tout chaud. Si vous
passez quelques mois dans les feutres de l'abuseur, il devient votre
seule référence, votre seule source d'approbation. Puis il vous dit que
pour continuer à être approuvé il vous faudra faire ceci ou cela. Si
vous êtes soudainement privé de l'approbation de l'abuseur, vous allez
vous retrouver dans un gouffre d'angoisses, d'inquiétudes. Vous vous
sentirez, moche, sale, défait, inadéquat, incomplet... Vous reviendrez
vers l'abuseur en rampant, pour quémander un regard, une petite
caresse.
Les examens, les concours, les mises à l'épreuve... sont partie
intégrantes de l'Humanité. Je m'imagine mal confier ma vie à un médecin
ou un pilote qui n'auraient pas passés de nombreux examens pour
certifier leurs compétences. Le plus important dans un examen est la
certification de son image d'elle-même que reçoit la personne examinée.
Ensuite vient l'image d'elle-même de la société, fière des diplômés
qu'elle recèle. Mais à mon sens les examens sont actuellement galvaudés
:
On confie la conception et l'exécution d'un examen au professeur
qui a donné ou supervisé le cours qui permet de passer ce examen.
On force les étudiants à avoir suivi les cours ou avoir passé les
examens précédents pour pouvoir passer un examen.
On oblige les étudiants à passer des ensembles fermés d'examens.
Etre mauvais dans une seule discipline implique de rater l'ensemble des
examens.
Les examens sont de simples séances pour vérifier que l'étudiant
a pu apprendre la théorie et les procédures par coeur, avec un minimum
de capacité d'adaptation. Il n'y a pas ou peu de vérification d'usage
intelligent de la matière. La capacité la plus intelligente demandée
aux étudiants est d'avoir pu un peu organiser les mots et les phrases
de la matière. Ils doivent en faire de schémas structurés, qui
permettent de ne pas en faire un apprentissage par coeur strictement
linéaire.
Souvent, la seule chose qu'un professeur demande à un étudiant à
l'examen, c'est d'être capable de faire semblant de passer l'examen.
Certains professeurs voient de façon très claire qu'un étudiant est
totalement incompétent et récite la matière comme si c'était des vers
dans une langue étrangère. Mais il donnera ses points à l'étudiant,
parce qu'une personne de la rue qui aurait été présente à l'examen,
aurait eu l'impression que l'étudiant est compétent. A l'inverse, des
étudiants brillants, même s'ils ont une bonne connaissance de la
matière, peuvent rater l'examen. Parce que le professeur les ressent
comme une menace. Il existe toute une panoplie de trucs et astuces pour
buser un étudiant compétent et même le persuader lui-même qu'il est
incompétent.
Souvent, les questions d'examen sont même carrément disponibles à
l'avance. L'étudiant se contente de bloquer par coeur les réponses à
une trentaine ou une centaine de questions, en sachant que les
questions d'examen seront trois d'entre elles. Certains professeurs
vendent pour 10 € une disquette avec ces questions.
La raison principale de cette situation est que la société veut
disposer d'une caste de gens prestigieux : les diplômés. Peu importe
qu'ils soient compétents. Ce qui compte est qu'ils en imposent au
peuple. Il faut faire semblant. Bien sûr il faut tout de même que
certains membres de la caste soient compétents. Mais il suffit que
quelques individus le soient. Les autres les suivront ou les
exploiteront. Le système d'étude tel qu'il est, est même carrément un
frein à la vraie compétence. Je connais quelques personnes très douées
et diplômées. Mais elle n'ont pas acquit leurs compétences aux études.
L'obligation de préparer les examens et de faire les travaux
académiques les ont même plutôt empêché d'apprendre davantage de
choses. Le système n'hésite pas à les utiliser en disant : "Regardez
comme nos diplômés sont compétents !...". Pour arriver à faire semblant
d'être compétents, certains professeurs n'hésitent pas à aller à
l'encontre de la démarche scientifique : en faisant des cours
volontairement incompréhensibles ou en retirant des bibliothèques les
ouvrages contraires à leurs théories. La raison pour laquelle les
examens sont organisés de la façon décrite ci-dessus, est que les
professeurs eux-mêmes sont trop souvent des incompétents ou des
personnes qui ne se soucient pas d'enseigner. Cette façon d'organiser
les examens leur permet d'avoir un pouvoir immense sur les étudiants.
Sans cela ils ne pourraient pas survivre, puisqu'il n'ont rien de
concret à proposer. Les étudiants eux-mêmes prennent le moule de ce
système. Si un professeur essaye de faire passer un examen intelligent,
il se fera rabrouer par la masse des étudiants puis sera désavoué par
ses collègues. Il a intérêt à rentrer dans le rang. Certains
professeurs donnent même les points à leur examen en fonction des
points obtenus aux autres examens. Ce système est une vaste hypocrisie,
de la Haute Trahison institutionnalisée. Il entraîne des pertes
colossales à l'échelle du pays et des individus. Mais presque tout le
monde semble ne pas voir où est le problème. Le moule est pris. La
meilleure défense des tenants de ce système, est que dans les pays où
il n'existe pas, la situation économique et politique est souvent
mauvaise. Il faut admettre que ce système n'est pas strictement négatif
: les étudiants apprennent malgré tout deux-trois choses, ils se font
des relations, certains professeurs sont réellement compétents et
capables de rendre des services à la Nation... Et puis le peuple joue
le jeu. Cela, c'est très important. Avec le système précédent, celui de
la noblesse, chaque individu était condamné à vie à un niveau social.
C'était une des causes des révoltes. Avec le système des études et des
examens, toute personne, au moins ses enfants, peut espérer acquérir un
statut. Avant, certains nobles recevaient ou achetaient de très hautes
fonctions alors qu'ils étaient radicalement incompétents. Actuellement,
il faut au moins être capable de faire semblant d'être compétant. C'est
beaucoup. Cela en force plus d'un à être réellement un peu compétant.
Si un jour la Société prend conscience du problème, à mon sens la seule
solution est que les examens soient organisés par l'Etat. Le rôle des
enseignants doit se limiter à préparer les étudiants à passer les
examens. Le prestige des professeurs et des établissements doit
découler de leur aptitude à préparer les étudiants à passer de vrais
examens.
On peut s'étonner de voir des pays qui réussissent brillamment alors
qu'ils ont une politique rudimentaire. D'autres pays, avec une
politique pourtant exemplaire, se traînent douloureusement. Un
éclairage sur la question est que l'être humain est fondamentalement un
être familial. Une famille est une structure complexe. Un individu est
fait pour vivre, penser et ressentir au sein de cette structure. Un
pays ou une nation, c'est une sur-famille. On doit y retrouver les
mêmes mécanismes que dans une famille : solidarité entre les membres,
communication, défense du groupe, autorité et références communes,
prestige partagé, respect de chacun, soin des petits... Beaucoup de
théoriciens imaginent des structures de société qui devraient donner
des rendements mirifiques. Mais si ces structures ne collent pas au
schéma de la famille, cela ne donnera rien dans les faits. Parce que
les moteurs des individus ne les feront pas vivre dans ces structures.
Dans certains pays, comme la Belgique, presque chaque personne a au
moins une expérience au cours de laquelle elle a ostensiblement été
traité par le Système d'une façon contraire à l'esprit de famille. Dans
ces pays là, cela devient le chacun pour soi, les arrangements et les
petites corruptions... comme dans les mauvaises familles. Parce que
dans l'image d'eux-mêmes les ressortissants de ces pays ne se sentent
pas membres de la famille. Ils se défient de la famille. Cela fait
perdre beaucoup de ressources au pays et crée un mal de vivre. Souvent,
les gens sont maltraités par des fonctionnaires qui adhèrent à ces
théories mirifiques énoncées par de brillants théoriciens. Prenons par
exemple l'idée selon laquelle une personne qui n'a pas de travail doit
être persécutée. Dans une vraie famille, on ne félicité pas celui qui
n'a pas de travail, mais il reste un membre à part entière de la
famille. Certains membres de la famille sont mêmes très appréciés alors
qu'ils n'ont pas de travail, parce qu'ils rendent des services qui ne
sont pas chiffrables en terme de salaire. L'esprit d'une bonne famille,
ce serait par exemple d'adopter le système de l'Allocation Universelle.
Actuellement, en Belgique pour reprendre cet exemple, on est soit
travailleur et membre de la famille, soit chômeur et en marge de la
famille. Des efforts ont été accomplis pour faire comprendre aux gens
qu'un chômeur n'est pas forcément une engeance. Mais le clivage entre
les deux mondes subsiste. Instaurer l'Allocation Universelle
consisterait à considérer que tout le monde est à la fois chômeur et
travailleur. On donnerait une allocation de "chômeur" à tout le monde,
d'une valeur fixe. Le travail quant à lui serait imposé à un taux fixe,
qui ne dépend pas du revenus annuel. Si on fait le calcul sur papier,
le résultat financier est le même qu'actuellement : une personne qui a
une activité donnée paye au final autant d'impôts qu'avant et dispose
d'autant d'argent qu'avant. Mais l'image de soi que le pays donne à
chacun de ses membres change radicalement. Chacun devient aimé et
protégé à vie. En conséquence il y aura une plus grande loyauté des
membres du pays envers le pays. Cela simplifiera également et
radicalement le Droit du Travail. Actuellement le travail est presque
criminalisé. Je connais nombre de personnes qui n'oseraient jamais
travailler, de peur des ennuis que l'Etat va automatiquement et
gratuitement leur inventer. Il faut légaliser le travail. Que penser de
ces travailleurs qui manifestent pour maintenir une activité
industrielle qui n'est plus rentable ? Ils exigent de devenir des
sortes de chômeurs qui conservent le prestige du travailleur.
Officiellement ils travaillent, en réalité ils sont chômeurs puisque
leur travail est inutile et subsidié par l'Etat. Avec l'allocation
universelle, chacun peut travailler dès qu'un travail se présente,
librement. Il y aura une beaucoup plus grande mobilité des
travailleurs, donc une plus grande souplesse du tissu industriel et un
meilleur rendement. Un autre exemple, périphérique, est celui du
système de pensions. Dans une vraie famille, les jeunes sont fiers de
veiller aux besoins des ainés. Mais dans beaucoup de pays ce n'est pas
ce qui se passe, ce n'est pas ainsi que les choses sont présentées. Que
ce soit au travers d'épargnes privées ou de pensions d'état, chacun
cotise pour sa propre pension. Une fois pensionné, il reçoit en retour
l'argent qu'il a lui-même cotisé. Donc il n'a besoin de personne, il ne
doit rien ni autres ni à la société. Cela a par ailleurs une lourde
conséquence sur l'économie mondiale. Cet argent épargné par les
travailleurs constitue ce qu'on appelle les Fonds de Pension. C'est une
masse d'argent colossale, qui est généralement utilisée à des fins de
prédation financière. Cela participe dans les problèmes économiques
actuels et dans la ruine de pays pauvres. Il faut changer la
philosophie du système. Il faut que les pensions des personnes âgées
soient payées directement par les impôts des personnes plus jeunes.
Eventuellement au prorata de ce que la personne âgée elle-même avait
payé comme impôts du temps de sa jeunesse. Une fois de plus, on ne
change pas vraiment les montants des pensions. Le résultat final est le
même sur papier. Mais on change la vision que les membres de la société
ont d'eux-mêmes. Le jeune est fier de payer la pension du vieux, dont
il reconnaît l'importance. Le vieux se dit qu'il a peut-être encore un
rôle à jouer dans la société, pour aider les jeunes. On peut supprimer
les Fonds de Pension et leurs effets dévastateurs. Il faut composer
avec les instincts avec lesquels les humains naissent. Alors on obtient
une société plus performante, où chacun peut développer une meilleure
image de soi, vivre mieux. Ces instincts sont irrémédiablement en nous.
Pourquoi vouloir aller à leur encontre ? Ils ont été forgés par des
millions d'années d'Evolution. Ils véhiculent des mécanismes qui ont
fait leurs preuves et qui nous dépassent. Acceptons leur grandeur. On
parle souvent des problèmes causés par les instincts. Pour moi ces
problèmes étaient causés par l'ignorance d'autres instincts ou par une
mauvaise harmonisation des instincts entre eux. On cherche des
justifications économiques, politiques ou scientifiques à toutes
choses. Par exemple pour aller sur Mars. Ne peut-on pas simplement
accepter le fait que l'humain a l'instinct d'aller partout où il peut,
d'explorer. C'est grâce à cela qu'il a survécu jusqu'à nos jours.
Allons sur Mars et établissons-nous y, simplement parce que tel est
notre instinct.
Certains systèmes sociaux se soucient peu de rendre la justice aux
individus et ne s'occupent que de la paix sociale. En d'autres termes :
pas de remous dans le peuple. Si un problème apparaît, on "tuera" les
personnes qu'il faut pour que la situation se calme et que tout rentre
dans l'ordre. Peu importe que l'on tue le coupable ou un innocent. Un
des trucs utilisés dans ces systèmes est de faire croire aux gens
qu'inconsciemment ils ont eux-mêmes choisi les problèmes qui leur
arrivent. Par exemple à une personne qui se plaint des exactions
commises par ses parents, on expliquera que son "âme" a elle-même
choisi ces parents-là avant la naissance. On donnera même toute une
argumentation. Par exemple que dans une autre vie son âme à causé des
torts à ce qu'étaient les âmes de ses parents. Donc on a choisi ces
parents-là pour expier ses fautes. Donc on n'a aucunement à se plaindre
et même on se doit de courber l'échine avec reconnaissance. Cette
argumentation est une escroquerie et une démission de la Société. Mais
elle peut fonctionner de façon redoutablement efficace. Parce que même
dans le subconscient d'un enfant maltraité les parents occupent une
place très importante. Surtout dans les souvenirs diffus de la petite
enfance, dont l'image de soi est impalpable mais profondément enfouie.
A cause de ce lien fort qui existait, la personne sentira qu'il y a
bien quelque part quelque chose en rapport avec ce qu'on lui explique.
Les implications de cette vision du Monde sont également dévastatrices
: les parents qui ont le droit, le devoir congénital, de se venger de
leurs enfants. Les enfants eux, ont une faute à expier, une dette.
Une façon simple de corrompre une personne consiste à lui donner un
grade élevé. Par exemple Directeur Général Adjoint. Elle tiendra
beaucoup à cette nouvelle et superbe image d'elle-même. Elle se rend
aussi compte du fait que cette image n'existe que grâce à la personne
ou l'organisme qui le la lui donnée. Donc elle veillera scrupuleusement
à protéger cette personne ou cet organisme. Car elle pourrait perdre
cet image. Elle n'aurait aucune chance de la retrouver ailleurs
puisqu'elle n'a pas les compétences requises. On peut s'étonner que
l'on nomme ainsi une personne incompétente à un poste. Cela a des
conséquences fâcheuses sur les rendements ou même sur la viabilité de
l'organisme. Les humains sont ainsi faits qu'ils s'attachent parfois
plus d'importance aux jeux de pouvoir à court terme qu'à l'efficacité à
long terme.
Un chef peut avoir très peur de donner une image de soi trop forte à un
de ses administrés. Un de mes amis était cadre dans une vieille
entreprise. Les techniques étaient obsolètes, l'entreprise allait mal.
Une restructuration a été décidée. Tout naturellement c'est mon ami qui
s'est chargé de l'essentiel du travail : choix d'un nouveau système de
comptabilité informatisé, nouvelles machines, nouveau système de
gestion du personnel, locaux réaménagés... Quand la direction s'est
installée dans les nouveaux locaux, une des premières décisions a été
de nommer mon ami à un poste subalterne à l'autre bout de l'entreprise.
Participer au conseil d'entreprise lui a été interdit. Pourtant sa
présence aurait été précieuse, puisqu'il est la personne qui connaît le
mieux la nouvelle structure. Mais tout le monde avait peur de lui. Il
était trop fort, il menaçait leurs places, même celle du directeur.
Actuellement il s'estime heureux de ne pas avoir été simplement mis à
la porte.
Chacun essaye d'avoir l'image de soi la plus belle et la plus complète
possible. C'est un moteur qui est en nous, avec lequel nous naissons.
Globalement c'est positif. Il est bon pour un individu et pour la
société qui le contient de chercher à être plus efficace, mieux
équipé... Mais ce moteur peut aussi avoir des effets secondaires
négatifs. Prenons par exemple une personne qui n'arrive pas à faire
quelque chose. L'idéal serait qu'elle admette qu'elle n'en est pas
capable. Ensuite de quoi elle peut trouver le moyen de devenir capable
ou de composer avec son incapacité. Sommes toutes, être capable demande
parfois des années de travail, de préparation. On peut devenir capable
dans des choses qu'on aurait jamais imaginées auparavant. Et personne
n'est fait pour être capable en toutes choses. Il n'y a pas de honte à
être incapable. L'important est d'essayer d'admettre les choses telles
qu'elles sont. Ensuite de quoi on peut éventuellement essayer de les
changer. Malheureusement la réaction sera souvent d'inventer une autre
explication au problème. De préférence une explication qui n'égratigne
pas son image de soi, tout au moins une explication qui l'égratigne
moins. La motivation peut même juste être de trouver une explication,
n'importe laquelle. Parce qu'on préfère avoir une explication farfelue
que pas d'explication du tout. Mieux vaut un sparadrap sur l'image de
soi qu'un trou béant. Ces sparadraps impliquent trop souvent des
blocages, qui empêchent les individus d'évoluer.
Un comportement fréquent consiste à cacher les choses. Par exemple on
ne dit pas à un enfant que le médecin lui fera mal. Voire on lui
affirme qu'il ne lui fera rien du tout. On espère ainsi, très
logiquement, que l'enfant ne s'inquiétera pas. Un autre exemple : on ne
lui dit pas que rouler en voiture est dangereux, que sa vie est en
danger. Ces mensonges dégradent la qualité de vie de l'enfant. Au
contraire il faut lui dire la vérité. Le médecin va lui faire mal et
rouler en voiture présente en risque sérieux d'accident grave. Il faut
lui expliquer aussi que le médecin fait cela par amour pour lui, pour
sa santé. Rouler en voiture est un risque qu'il faut accepter, parce
qu'on est obligé de se déplacer. Il y a moyen de créer un réseau de
transport sans danger mais cela n'a pas été fait. Il faut expliquer à
l'enfant qu'on sera là pendant que le médecin lui fait mal et qu'il
aura un câlin après, que la voiture lui permet de retrouver sa famille
et ses amis. Ainsi l'enfant a une image des chose complète, cohérente
et objective : il va souffrir chez le médecin et la voiture est
dangereuse. Sa famille est avec lui et gère les choses pour un mieux.
Alors l'enfant ne ressent pas d'angoisses et accepte les choses. La
douleur infligée par le médecin sera ressentie comme bénigne. Ce n'est
pas la douleur ou la mort qui font peur, c'est l'inconnu et le mensonge
: l'absence d'image des choses et des images faussées par ceux en qui
vous devriez pouvoir avoir confiance.
La Thérapie Brève est une branche de la psychologie qui peut s'occuper
des personnes qui ont des troubles de l'image de soi. Par exemple une
personne qui panique dans un ascenseur, parce qu'elle ne réalise pas sa
place dans ce petit milieu fermé. Le psychologue en Thérapie Brève va
essayer de comprendre comment la personne se perçoit dans l'ascenseur.
Ensuite il lui proposera de travailler la question, de diverses façons
"actives, introspectives et prospectives". Un sujet de prédilection de
la Thérapie Brève sont les personnes qui se sont enfermées dans un
système. Par exemple une personne qui se dit victime d'une situation et
qui prétend s'y être résignée. En faisant cela, elle entraîne les
personnes autour d'elle dans son système. Le travail du psychologue en
Thérapie Brève sera de comprendre ce système, de l'expliquer et
d'expliquer comment en sortir, de proposer un travail pour changer
l'image de ce système que chacun des protagonistes a en lui. Il peut
paraître étonnant qu'une personne choisisse de construire un système
autour d'elle où elle prend le rôle de victime. C'est peut-être parce
que dans notre système culturel la victime est une personne
privilégiée, qui mérite des égards. C'est une image de soi qui n'est
pas la plus enviable, mais qui n'est pas inintéressante. Elle offre des
facilités, des possibilités, des moyens d'action. Dans d'autres
cultures les victimes sont considérées comme des déchets ou des
fautifs. Là les systèmes sont donc sans doute bâtis autour d'autres
sortes d'images de soi.
Il y a un moyen très efficace pour imposer quelque chose à quelqu'un :
c'est de dénoncer cette chose. J'ai été très étonné de voir que dans
des familles où on maltraite les enfants... on parle souvent des
familles où on maltraite les enfants. Les parents pointent du doigt les
autres familles. Ils dénoncent avec indignation et sous-entendus les
mauvais traitements que les enfants y subissent. Leurs enfants écoutent
attentivement. Ce truc fonctionne très bien. D'une part les enfants ne
peuvent mentalement pas imaginer qu'ils sont eux-mêmes maltraités.
Leurs parents dénoncent cela si bien... D'autre part ils croient sans
s'en rendre compte que ce qu'on fait aux enfants dans les autres
familles est vraiment atroce, puisque que c'est pire que chez eux. Donc
ils n'iront jamais demander l'aide d'autrui, ils ne dénonceront jamais
leurs parents. Ils sont bien enfermés. En général ce truc n'est pas
utilisé de façon consciente par les parents maltraitants. En tout cas
pas au début. Ce n'est que l'expression de leur paranoïa, qui prend
forme et se structure en fonction de l'impact sur les enfants.
Supposons que vous voulez conseiller une chose à une personne. Par
exemple le système Linux. Vous lui donnez de très nombreuses
explications techniques et morales sur les raisons pour lesquelles elle
a grand intérêt à prendre ce système et pas le système Windows. Vous
lui parlez même de l'avenir de la planète, des flux d'argent mondiaux
et de leurs conséquences... Elle semble avoir compris. Elle peut vous
répéter vos explications de façon intelligente et structurée. Elle a
également compris qu'elle n'a aucune raison pratique importante
d'acheter le système Windows. Pourtant elle achètera le système
Windows. Pourquoi ? Vous avez fait une grave erreur. Quand une personne
imagine adopter ou acheter quelque chose, il faut qu'elle ait une image
de cette chose. Dans son subconscient, il faut que cette image de cette
chose puisse se greffer à son image de soi de façon enthousiasmante. La
publicité de Microsoft montre simplement un chipendale en col-cravate
qui est très content d'avoir en face de lui un ordinateur avec Windows.
Ca, c'est une image qu'on assimile très bien. Donc on sent bien le
produit Windows. Le produit Linux, par contre, on ne le sent pas du
tout. Que voulez-vous que cette personne fasse avec la moralité et les
flux d'argent mondiaux dans son ordinateur ? C'est insensé et bien trop
lourd à porter. Avec tout ce que vous lui avez expliqué vous lui avez
causé une défiance et même un rejet du système Linux. Vous me répondrez
que, si, cela a un sens d'utiliser un système plus sain, plus efficace
et conçu par des gens biens. Je vous donne raison. Mais essayez de
comprendre que ce lien n'est pas direct. Il faut avoir un certain
niveau intellectuel pour être capable d'apprécier ce que le système
Linux représente, pour faire la traduction entre les flux d'argent
mondiaux et la joie de faire bouger sa souris à l'écran. Beaucoup
d'utilisateurs de Linux n'ont pas ce niveau non plus. Ils ont adopté
Linux pour s'intégrer à un groupe. En somme pour la même raison que
d'autres adoptent Windows. Si vous voulez faire du prosélytisme,
répandre la bonne parole, apprenez au moins à parler à chacun dans son
langage. Faites en sorte que votre interlocuteur puisse faire le lien
entre son image de soi et les images que vous soulevez. Un bon critère
pour voir si une personne a intégré un système à son image de soi,
c'est si elle est prête à faire un effort pour cela. C'est à dire à
payer de l'argent pour cette chose ou à la demander. Avant j'avais
l'habitude d'installer systématiquement Linux à des amis utilisateurs
de Windows. Cela me semblait une politique saine et démocratique. Mais
les résultats sont nuls. Ils n'utilisent pas Linux et ne le montrent
pas à leurs amis. Ce n'est pas parce que j'ai installé Linux sur leur
ordinateur que dès lors cela fait partie d'eux-mêmes. Ce n'est qu'une
sorte de sac à dos que j'ai déposé chez eux. Ils m'aiment bien alors
ils supportent sans problème la présence de ce sac à dos. Mais ils ne
s'en servent pas. Les rares fois où ils ont démarré Linux, ils ont
simplement constaté qu'il y a une souris, un menu et des fenêtres,
comme sous Windows. Quand ils essayent de l'utiliser, ils constatent
que le mode d'emploi n'est pas exactement le même, qu'ils n'arrivent
pas à faire tout de suite tout ce qu'ils ont l'habitude de faire sous
Windows. Pourquoi se fatiguer à apprendre quelque chose de neuf qui est
semblable à ce qu'on a déjà ? Linux représente et permet beaucoup plus
de choses que Windows. Mais cela ils ne le voient pas. J'ai arrêté les
installations sauvages de Linux. Je me contente d'en parler et de
montrer que je l'utilise. Je dénonce les superstitions anti-Linux et
j'apaise les craintes de l'inconnu. Je fais travailler les
imaginations, je fais comprendre que c'est une marche vers un
au-dessus.
Il est parfois amusant d'entendre des personnes discuter sans cesse de
choses diverses et ne jamais pouvoir se mettre d'accord. Une raison à
cela est que par définition le jeu de la conversation peut consister à
prendre chacun un postulat différent et à essayer de le défendre. Le
postulat le mieux défendable l'emportera, peu importe qui l'ait
défendu. Une autre raison que je crois remarquer est que chacun tend à
défendre des idées qui sont une projection de son image de lui-même.
Que l'on parle champignons ou Politique Etrangère, on calque son propre
mode de pensée sur le sujet et on le défend bec et ongles. En réalité
on se défend soi-même. C'est une façon de faire qui est très
discutable. Elle a un avantage, qui consiste à pouvoir soumettre son
identité à autrui sans en avoir l'air. En recueillant les réactions des
autres sur le sujet qu'on défend, on obtient par la bande des
renseignements sur soi-même. C'est en général inconscient. On ne se
rend pas soi-même compte qu'on est en train de faire cela. C'est une
version sophistiquée du "Monsieur le psychologue, j'ai un ami qui a un
problème...". Je crois malgré tout qu'il faut dénoncer cette pratique
et encourager à aller droit au but. Des guerres de religions sanglantes
ont eu lieu parce que chacun défendait sa vision de la Religion et des
Mythes. C'est un jeu de masques parfois nécessaire mais qui est
globalement peu rentable et sujet à bien des confusions. Sachons
admettre ce que nous avons en nous et osons le dire explicitement aux
autres. N'y mêlons pas les champignons ou la Vierge Marie. Fi de ceux
qui se moquerons de nous. Ainsi on peut évoluer beaucoup plus vite et
plus loin. Et devenir bien plus compétents dans les champignons ou la
météo, débarrassés de l'empreinte de notre ego.
Le Destin est une notion qui me semble souvent mal utilisée. Chacun a
une histoire, qui fait partie de son image de soi. Cette histoire
remonte plus ou moins loin dans le passé. Pour certains elle remonte
bien avant leur naissance, parfois jusqu'à l'époque mérovingienne.
L'usage que l'on fait de ce passé est très divers. Certains s'y
attachent trop et en font des extrapolations abusives. D'autres la
négligent où la transforment suivant leur humeur... Peu importe : cette
histoire a eu lieu et ses séquelles sont en nous. Même les
transformations que nous rêvons à notre histoire font partie de cette
histoire. Par contre ce qui est nettement moins tracé, c'est notre
futur. Pour moi le destin a un sens, en ce sens qu'il y a des choses en
nous (ou autour de nous) qui nous imposent des choix et des événements.
Par exemple le cerveau de beaucoup de personnes est matériellement
incapable de faire des mathématiques sophistiquées. Donc elles ont à la
base le destin de ne pas devenir de brillants mathématiciens. Il faut
bien faire comprendre cet aspect des choses, parce qu'il y a beaucoup
d'abus. Certains groupes prétendent que l'aptitude aux Mathématiques
est uniquement une question d'éducation, de scolarité. Cela cause
beaucoup de malheurs, parce que les enfants croient que s'ils n'y
arrivent pas c'est à cause d'eux-mêmes ou à cause de leurs parents.
Pire : on se sert de ces enfants qui n'y arrivent pas, qui sont "en
échec" pour faire peur aux autres enfants, pour les menacer. On se sert
d'un principe d'Egalité qui semble noble pour imposer une petite
dictature méchante. Dans ces groupes, les Mathématiques sont en plus
assez limitées. Ils n'enseignent pas des choses complexes et
importantes, que seule une petite minorité des enfants est capable de
comprendre. Donc ces enfants n'en feront pas bénéficier la Communauté.
Souvent, même les choses qui sont enseignées ne le sont pas vraiment.
On fait semblant, on ne fait que des choses superficielles, pour que la
majorité des enfants ait l'impression de suivre et de faire des
Mathématiques. C'est une arnaque. Une autre conséquence est qu'on
laisse facilement tomber des enfants en cour de route. Beaucoup
d'enfants ont des aptitudes très riches en Mathématiques mais ils ont
une "tare" juste dans un domaine des Mathématiques. Dans ces cas là,
cela vaut la peine de s'investir pour permettre à l'enfant de passer le
cap. Il faut le traiter comme un handicapé, juste pour ce domaine là.
Cela forme une passerelle qui lui permet de déployer une brillante
carrière de mathématicien par la suite. On doit avoir le droit de faire
des mathématiques comme on doit avoir le droit de ne pas en faire. Les
deux sont liés. Revenons à la notion de destin. Certains croient que
notre futur est en nous exactement comme notre passé. Il est tout tracé
et on n'y changera rien. Par exemple ils fument la cigarette en se
disant que de toute façon le jour de leur mort est fixé.
Comprenons-nous bien : une part du destin d'un fumeur est écrit, en ce
sens que chacun a une sensibilité différente aux effets du tabac.
Certaines personnes ont des muqueuses épaisses dans les poumons et un
bagage génétique résistant au cancer. Elles ont donc un risque vraiment
faible de développer un cancer ou de faire de l'emphysème. D'autres
personnes au contraire sont très sensibles au polluants. Pour elles les
risques sont très élevés : fumer ou vivre avec des fumeurs est un
suicide. Cette résistance ou cette fragilité que l'on a au départ, cela
pèse lourd sur notre histoire, cela va fortement contribuer à
l'orienter dans certaines directions. Cela ne veut pas pour autant dire
que le jour de notre mort est fixé. Si nous décidons de ne pas fumer,
nous avons une forte chance de mourir à un âge avance et dans de bonnes
conditions. Nous partirons en quelques jours, comme un rêve qui
s'efface. Si nous fumons ou vivons avec des fumeurs, nous risquons fort
de passer plus tard des dizaines d'années avec un emphysème aux
poumons, perpétuellement en train d'étouffer. Nous allons mourir à un
âge encore jeune, longuement et douloureusement. Le destin, c'est une
chose que l'on peut influencer. On ne peut pas tout changer et on ne
peut pas décider avec exactitude de ce qu'on change. Mais on peut
mâcher du chewing-gum sans sucre au lieu de fumer. On peut aller chez
un psychologue, pour résoudre les angoisses qui nous obligent à fumer
pour se calmer (dans certains cas, arrêter de fumer sans avoir appris à
gérer son stress peut augmenter le risque de cancer...). Pour certains,
l'idée de prendre ainsi en charge leur destin, au moins partiellement,
est source d'une profonde angoisse. C'est pour cela qu'ils la rejettent
et affirment leur conviction du Destin absolu : tout est écrit, ils
n'ont aucune responsabilité, réfléchir n'est pas nécessaire. Un destin
ouvert, même partiellement, c'est l'inconnu, l'étranger, l'obscur, la
source de toutes les terreurs... Il faut de l'amour et de la sagesse
pour oser affronter cela, une forme de confiance en Dieu.
Les superstitions sont parfois presque des contrats que certaines
personnes croient avoir passés avec l'Univers. Par exemple la
superstition que s'ils sont gentils et généreux la Vie sera bonne et
douce avec eux. Quelques années après on les retrouve tristes et
meurtris : la Vie n'a pas respecté le contrat. Dans leur image
d'eux-mêmes, l'Univers est une sorte de personne diffuse qui les
entoure, qui les observe et fait des choses. C'est une attitude
infantile qui coûte très cher. J'ai vu des personnes commettre des
choses moches toute leur vie et pourtant être riche, respectées et
avoir une mort douce. On peut se gagner une belle vie. Etre honnête et
généreux est une bonne base. Mais c'est surtout une question de travail
et de bon sens opiniâtre.
Changer ce que l'on est cause de la douleur. Ce que l'on est ne
convient et cela cause de la douleur. On changera donc si la douleur de
ce qu'on est devient supérieure à la douleur de changer. Un bon
psychologue permet de réduire la douleur de changer et d'obtenir des
changements plus intéressants.
Lors de l'adolescence on change profondément son image de soi. D'un
petit enfant couvé par ses parents on devient un adulte part entière.
Cela passe par de nombreuses remises en question, des drames
intérieurs... Le piercing par exemple, très pratiqué les adolescent,
sert à manifester le fait que leur corps leur appartient à eux et non à
leur parents. Les adolescents ont besoin des accessoires propres à leur
âge (vêtements, accessoires de loisirs...). C'est leur identité-même
qui en dépend. Certains deviennent presque des assassins psychopathes
pour arriver à mettre la main sur ces choses. Ils sont prêts à faire du
piratage informatique, certaines filles se prostituent plus ou moins...
Ils peuvent aussi avoir des réactions de rejet très fortes contre les
personnes qui ne jouent pas leur jeu, qui ne les traitent pas en
"élégant adultes". Dans leur esprit il peut y avoir l'horreur de
l'infantilisme violent le plus obtus, dans les faits ils sont dépendant
de leurs parents et ils seraient incapables d'assumer des
responsabilités, pourtant ils veulent être traités en égaux par les
adultes. Pour éviter que ce processus ne dégénère, il est de la
responsabilité des adultes de faire des choses. Il faut qu'avant que le
processus ne commence ont l'ait expliqué à l'enfant, pour qu'il
comprenne ce qui lui arrive. C'est peut-être le plus important. Ensuite
il faut prévoir un budget pour les accessoires dont l'adolescent a
besoin. Ce besoin est réel et propre à la nature humaine. On peut
éventuellement discuter pour réduire certains coûts, mais on n'y
coupera pas. Enfin il ne faut peut-être pas traiter l'adolescent comme
un adulte puisqu'il n'en est pas un, mais il ne faut pas non plus le
prendre pour idiot. Beaucoup de parents ou de personnes ayant
l'autorité sur un adolescent utilisent des combines pour essayer de
manipuler l'adolescent : des enjeux impossibles à tenir, un
endoctrinement, une autorité colérique, refuser des petits détails et
accepter des grandes horreurs, garder une façade à tout prix, faire des
chantages avec des choses qui sont vitales pour l'enfant... Il faut
dépasser tout cela et aller droit au but : accompagner l'adolescent au
fil de son développement, discuter de certaines choses de façon
objective, refuser ce qui doit être refusé... Pas à pas les parents
doivent accepter qu'ils perdent le contrôle, qu'ils n'auront plus de
renseignements, que le petit s'en va...
Certaines personnes essayent de dominer les autres par tous les moyens.
Dans leur image de soi inconsciente elles se voient tout en haut de la
pyramide des personnes. Elles grimpent le long de cette pyramide de
façon effrénée, tout le temps, jour et nuit. Elles collectionnent les
moyens d'influencer les gens. Elles utilisent une personne pour en
manipuler une autre. Si elle ne peuvent être le patron d'une personne
elle lui proposeront d'être son esclave. Parce qu'un esclave peut
influencer son maître. Si vous leur signalez une opportunité, elles
vous donneront des ordres. Si vous avez le malheur de leur rendre un
service, vous devenez leur propriété. Si vous expliquez ce qu'elle
font, elles seront rabrouée quelques minutes ou quelques heures, puis
la machine à escalader reprendra son mouvement, en utilisant d'autres
méthodes s'il le faut. Ces personnes ne veulent pas le mal d'autrui.
Elles veulent même en général le bien. Mais elles n'ont pas les
compétences nécessaires alors elles font le mal, elles font des plans
foireux. Certaines entreprises ou administrations adorent ce type de
personnes parce qu'elles sont très faciles à manipuler. Il suffit de
leur faire miroiter la possibilité de monter dans la pyramide. On leur
explique qu'il faut être très travailleur et très fidèle. On peut ainsi
faire travailler ces personnes au point que leur famille est en
détruite ou qu'elles finissent par se suicider, vidées de leur énergie.
La possibilité de réellement monter dans la pyramide est en fait
rarement accordée. Les places intéressantes sont déjà attribuées, à des
personnes moins faciles à manipuler, plus fiables.
Un moyen facile de gonfler son image de soi de nouvelles choses
impressionnantes et flamboyantes, c'est de prendre des obligations. On
accepte un travail, on prend un engagement, on se fait élire à une
fonction... pour se sentir plus important. Le résultat est un
overbooking létal. On se retrouve pétri d'angoisses, on développe des
maladies somatiques, on manque de sommeil, on fait mal chaque chose et
en prenant beaucoup plus de temps que nécessaire, on perd ses amis...
Le cerveau de certaines personnes est équipé d'un mécanisme de
protection qui consiste à oublier toutes les promesses faites. Cela
peut sauver la personne mais cela n'arrange pas les autres. Il faut
apprendre à gérer son emploi du temps et à ne pas prendre un engagement
à la légère. Il faut prendre le temps de réfléchir, demander conseil,
savoir retourner à l'école, prendre des marges de sécurité... Le plus
important est d'apprendre à ressentir ce qu'il y a réellement au fond
de soi. Si on a vraiment un enthousiasme pour faire une chose donnée,
si on y trouve un rêve ou un sport, un rythme ou un plaisir, alors il
peut être adéquat de prendre l'engagement de la faire. On aura chaque
jour plein d'énergie pour la faire. En fin de journée on sera fatigué
mais heureux. Il faut apprendre à déjouer toutes les mauvaises raisons
de se coller un engagement : s'attirer l'estime d'autrui, obéir à un
endoctrinement... Un bon engagement peut bien sûr un jour devenir moins
bon. Dans ce cas à priori il faut tout de même continuer, au moins un
temps. Par exemple le temps de former un remplaçant enthousiaste.
Parfois la meilleure chose à faire est d'arrêter tout de suite,
platement, sans même s'excuser.
Un enfant peut être dressé pour vivre dans le monde de l'illusion. Sa
maman lui répète sans cesse qu'il est merveilleux et adorable, sans
qu'il ait le moindre effort à fournir pour cela. Il doit juste bien se
laver, sentir bon et porter les vêtements chics qu'on lui achète. Son
papa rêve qu'il apprend à faire des tas de choses. Par exemple qu'il
apprend à fabriquer des cerf-volants. Alors le papa achète des pièces
de bois et de tissu et assemble des cerfs-volants. Tout en répétant
sans cesse que c'est son enfant qui les construit et que regardez comme
il fait ça bien. Tout le monde admire l'enfant pour les beaux
cerf-volants qu'il fabrique. C'est surtout l'enfant lui-même qui
s'admire pour cela. Dans les séries télévisées et les magasins, on lui
propose des personnages ou des figurines colorées, dont on lui montre
et lui dit qu'elles ont des pouvoirs magiques, de la force, des
propriétés extraordinaires... Il bave pour les posséder et bien entendu
on les lui offre. Il se gonfle du prestige et du merveilleux de ces
petites choses. Il rêve qu'il est fort, honnête, doué de multiples
talents... alors que pas la moindre connexion ne se fait en ce sens
dans son cerveau. Il n'a pas de réflexe d'honnêteté. Aucune créativité
ni habileté ne se développe en lui. On lui achète des boîtes
d'assemblage chères et prestigieuses, qui permettent de fabriquer des
petites machines de rêve, motorisées voire informatisées. Mais aucune
imagination, invention ni adresse n'est nécessaire pour les assembler.
Il suffit de clipser les pièces ensemble, suivant des plans détaillés.
Il n'est même pas nécessaire de peindre l'objet ensuite. Il faut juste
faire un peu attention à ce qu'on fait au moment du montage. Mais
l'enfant se sent très fier de ce qu'il croit être sa Réalisation. A un
moment donné il peut être confronté à des livres ou à des personnes qui
expliquent la théorie des choses et les techniques, c'est à dire ce qui
permet d'inventer des objets et de les construire. Au début il va se
ruer dessus, il va les revendiquer. Puis il a un choc. Il a beau
retourner le livre dans ses mains, aucune chose colorée ni prestigieuse
n'en sort. Il ne peut rien tirer de ce livre puisque son cerveau n'a
jamais été préparé au puissant effort et aux longues démarches
nécessaires pour être capable de créer, encore moins au patient travail
pour fabriquer une chose nouvelle de toutes pièces. Il sent confusément
qu'il y a une arnaque quelque part mais il est sûr que cela ne peut pas
venir de lui. Son rapport avec les gens créatifs, ceux capables de
réaliser un objet ou une oeuvre d'art, est très ambigu. Il leur donne
des ordres. Il leur dit qu'ils doivent créer des choses plus belles que
tout, plus puissantes que tout ce qui existe. Il est très fier de ce
qu'ils vont produire, de ce qu'il considère qu'il aura lui-même ainsi
réalisé. Mais les créatifs n'obtempèrent pas. Au contraire ils se
moquent de lui. Il en déduit que les créatifs sont une sale race qu'il
faut écraser. Ils sont l'obstacle entre lui et le bonheur. Il n'en
souffre pas vraiment, puisqu'il lui suffit d'aller chez sa maman. Elle
le reconvaincra en peu de temps de son infinie grandeur, de son mérite
ineffable. Elle lui parlera de toutes les bêtises, de toutes les
erreurs que font ces créatifs. Ce sont des vilains, de pauvres gens, il
ne faut pas les écouter. Lui par contre est chaud comme le Soleil,
génialement parfait comme ses rêves. Un jour un de ces créatifs lui
explique qu'il pourrait acheter une petite planche de bois fin et de la
colle, pour fabriquer un petit avion qui vole vraiment. Le créatif
essaye de lui expliquer qu'il peut construire son petit avion comme il
veut à condition de respecter quelques règles d'aérodynamique. Il lui
dit qu'il l'aidera quand il aura fait des erreurs, qu'il lui
expliquera, pour qu'il apprenne, pour qu'il devienne libre de réaliser
les avions qu'il rêvera. Il tente de lui montrer des techniques pour
bien découper, sculpter et assembler des pièces. L'enfant le regarde
d'un air narquois : "Bien essayé mon toto ! Tu as cru m'avoir, hein ?
Si tu crois que je vais dépenser 5 € pour ta saloperie de petit avion
terne.".
Un savant se fait souvent remarquer par le fait qu'il connaît beaucoup
de choses. Qu'il ait autant de savoir en tête est normal. Au cours de
ses recherches il est passé par de nombreux chemins. Il a été amené à
lire beaucoup de textes et à parler avec un grand nombre de personnes.
Il a longuement utilisé toutes ces données, il s'est en partie appuyé
dessus pour créer de nouvelles choses. Il est normal qu'il ait gardé
une partie de cela en tête. Mais ce savoir est secondaire. Ce qui est
important, c'est que le savant est capable d'invention, de réflexes
intuitifs, d'extrapolation, d'imagination, de raisonnement, de
recoupement... Son cerveau est une prodigieuse architecture.
L'Enseignement prétend transformer chaque étudiant en un petit savant.
Il est écrit dans la Constitution que les Universités doivent former
des personnes ayant des capacités de Chercheurs. En réalité on se
contente presque exclusivement d'obliger les étudiants à apprendre des
monceaux de données. Cela leur demande beaucoup de travail et tous n'en
sont pas capables. On fait cela dans des cadres prestigieux, dans de
grands amphithéâtres avec Son et Lumière. Celui qui ne se montre pas à
la hauteur sera jeté au bas du talus. C'est très impressionnant. On se
contente de faire en sorte que les étudiants soient capables de singer
un savant. Il faut qu'ils ressemblent à des savants, en n'utilisant
comme critère que le fait très superficiel que le savant connaît
beaucoup de choses. Le travail des étudiants est dur. Mais
l'architecture de leur cerveau ne dépasse pas les méthodes et réflexes
de base, le minimum élémentaire. Une conséquence de cela est qu'ils ne
retiennent même pas le savoir qu'on les a forcés à faire semblant de
maîtriser. Dans beaucoup de cas, si vous interrogez une personne sortie
depuis peu des études, elle ne se souvient presque de rien. Vous pouvez
chercher un moyen de montrer "que cela a tout de même servi à quelque
chose pour son cerveau", vous n'en trouverez pas. Vous êtes en face
d'un édifice vide et improductif. Vous pourrez tirer beaucoup plus
d'une personne qui n'a pas fait d'études mais qui a eu de la curiosité
et de l'enthousiasme pour quelque chose. En prétendant former des
savants sans prendre en compte la nature humaine, on ne forme pas des
savants et on handicape la formation des quelques vrais savants.
Certaines lois existent non pour la raison qu'elles énoncent mais parce
qu'elles permettent d'enfermer une partie de la population dans une
certaine image. C'est une forme de propagande insidieuse. Par exemple
les lois qui limitent les droits des femmes. Ces lois sont très
difficiles à faire disparaître, parce que le changement d'image que
cela implique terrorise proprement les "bénéficiaires" de la loi. Il
existe un moyen assez simple pour leur faire accepter la disparation de
la loi. Il faut leur fournir temporairement un autre moyen d'écraser
leurs victimes. Supposons par exemple que l'on veuille abolir la loi
qui interdit à une femme de posséder un compte en banque. Alors il faut
par exemple proposer qu'une femme pourra disposer d'un compte en banque
à condition de passer devant une commission d'hommes, qui décidera.
Ainsi la loi a une chance d'être acceptée. Parce qu'un moyen est
maintenu pour humilier les femmes et leur montrer qu'elles sont
inféodées aux hommes. Quelques années plus tard, cette commission
paraîtra à beaucoup de personnes comme étant une chose ignoble. Alors
on pourra faire voter sa disparition et les choses rentreront
définitivement dans l'ordre. Cette commission était en réalité bien
moins ignoble que la situation qui précédait. Mais elle est plus
visible, on ressent mieux ses effets. C'est pour cela que les
oppresseurs des femmes l'ont acceptée et c'est pour cela que les
humanistes la rejettent ensuite. C'est un tout de passe-passe entre les
semblants et les non-dits, un détour pour arriver à la Justice.
On agit en fonction de l'image de soi qu'on a. Mais, même si l'image de
soi qu'on a est à la base positive et utile à la Société, ce qu'on fait
dans la pratique peut être mal. Il y a là un paradoxe. Malheureusement
certains résolvent ce paradoxe en forçant sur le mauvais comportement.
Il croient qu'ainsi ils affirment et même prouvent que ce comportement
est bon. Par exemple un enseignant peut ressentir du remords parce
qu'il a brutalisé un élève. Il l'a fait parce qu'il voulait mieux
l'enseigner. Mais c'était une erreur. Pour se persuader qu'il a tout de
même bien fait et qu'il est bien un bon enseignant, il va recommencer.
Il va même développer toute une argumentation pour se justifier. Il
doit continuer à brutaliser des élèves, pour "prouver" qu'il n'a pas eu
tort de brutaliser le premier. Cette dérive peut être très difficile à
arrêter.
Plus d'un croit que parce qu'il a une image d'une chose il maîtrise
cette chose. Par exemple un jour j'ai proposé à un jeune informaticien
de lui donner un CD avec un petit système "Linux" dessus. Il m'a
répondu : "Non non pas besoin, je connais. Linux c'est un système avec
une gestion "partitionnée" de la mémoire". Je connais...". Pour
commencer sa définition est fausse en ce sens que tous les systèmes
modernes gèrent leur mémoire de cette façon. Ce n'est pas une
particularité de Linux. Ensuite, Linux c'est tout un Univers. Il y a
des monceaux de choses géniales que l'on peut faire et qu'il faut donc
apprendre à faire avec Linux. Tout cela, cet immense champ de
découvertes, de compétence et d'efficacité, il l'a balayé par une
simple définition qui tient en un petit paragraphe. Il sait ce qui est
marqué dans le dictionnaire à la rubrique Linux donc il n'a pas besoin
de s'intéresser à Linux... J'ai expérimenté la même chose en médecine.
J'essaye régulièrement des tas de choses et je (re)découvre des effets
peu connus et forts intéressants. Que ce soient les épices ou
l'aspirine, il y a tout un monde de possibilités peu connues. Parfois
j'en parle à des médecins, parce que cela peut résoudre des problèmes
de certains de leurs patients ou même des problèmes que le médecin
lui-même a. Assez systématiquement le médecin me débite de mémoire ce
qui était marqué dans son cours sur ce chapitre et puis change de
sujet. Il se souvient de la définition académique du produit ou de ses
effets, donc je n'ai rien à lui apprendre. Deux ans plus tard il a
toujours ses problèmes de santé. Il n'a même pas essayé ce que je lui
expliquais alors que cela ne présente pas le moindre danger ni même de
perte de temps.
On
dit que les héros de romans et de films servent d'exemples à la
jeunesse. J'ai vu un cas où cela me paraît douteux. Les films préférés
d'un jeune adolescent de mes amis sont des opus héroïques comme
"Gladiateur" ou "Le Dernier Samouraï". Dans ces deux films le héros est
à la fois un brillant stratège militaire et un homme rompu au combat
corps à corps. Quand on regarde cet adolescent, il a à peine assez de
muscle pour se tenir debout. Pourtant il a une ossature qui ne demande
qu'à se muscler. Il a une phobie de tout ce qui implique de la
stratégie. Il ne joue qu'à des jeux vidéo pour lesquels une souris
aurait assez d'intelligence : saute d'obstacles, conduite, baston...
Chaque fois que j'ai essayé de lui montrer des jeux qui impliquent un
peu de stratégie, par exemple des petits puzzles ou des commandes
informatiques, quelque chose dans sa tête décide que ce n'est pas pour
lui. Il refuse toute réflexion. Pourtant il en est parfaitement
capable. C'est un enfant très intelligent. Physiquement et mentalement
il est le contraire exact de ses héros préférés. J'ai un peu essayé de
comprendre la situation. Ses parents ne "voient" rien. Pour sa mère il
est un merveilleux gentil petit garçon absolument parfait. Ses amis à
l'école sont comme lui. Il vit dans un milieu où aucun exercice
physique ou intellectuel n'est jamais pratiqué. Les jeux vidéos et les
séries télévisées servent à remplir le hangar vide qui lui sert
d'esprit. Cela fonctionne comme une drogue. Il en va de même pour les
films d'aventure. C'est une drogue hallucinogène pour compenser les
choses qu'ils serait bien incapable de vivre. Ni les films ni les jeux
vidéos ne sont mauvais en soi. Tout le problème est dans l'usage qu'on
en fait. Dans d'autres familles les mêmes films servent de stimulants
pour faire du sport ou des jeux d'esprit. J'en ai discuté avec
l'adolescent. Le dialogue est possible avec lui, ce qui est déjà
beaucoup. Il m'a répondu que c'est une question d'entraînement. Donc
dans son esprit il y a : "Je peux être fort, adroit, cultivé et bon
stratège", ce n'est qu'une question d'entraînement". En d'autres termes
: "Je peux le faire quand je veux, c'est presque comme si je l'étais
déjà, disons même que je le suis.". Grâce à ce bricolage de son image
de soi, il ne sent pas qu'il y a un gros problème. Il a trouvé un
stratagème pour s'anesthésier. J'essaye maintenant de lui expliquer que
a) ce n'est pas une question d'entraînement mais d'apprentissage, b)
l'apprentissage demande beaucoup de temps et il faut apprendre beaucoup
de choses pour être capable d'apprendre, c) l'apprentissage n'est
possible que quand on est enfant. Une fois qu'on est adulte on ne peut
que mettre à profit et mûrir ce qu'on a appris étant enfant.
L'entraînement est nécessaire pour parfaire et peaufiner ce qu'on a
appris, voire pour apprendre de nouvelles choses. Mais c'est secondaire
par rapport à l'apprentissage. Il va donc arriver à l'âge adulte en
ayant appris peu de chose, comme la majorité des adultes hélas. La
seule chose qu'il pourra développer sont ses muscles. Il pourra par
exemple faire du bodybuilding. Il deviendra une armoire à glace mais
totalement incapable de faire des gestes adroits ou par exemple de se
défendre. Un gringalet qui aurait fait du karaté étant enfant pourra
l'étaler en trois secondes. Ce qui peut sembler paradoxal est qu'il va
dans une relativement bonne école. En théorie, l'école est précisément
le lieu où on fait apprendre les enfants. Ses professeurs lui font
faire de petits travaux manuels. Mais il n'en retire rien ou pas grand
chose. Parce que l'école l'ennuie. Il expédie les travaux scolaires
comme des corvées et se contente des notes qu'on lui donne. Pour qu'un
apprentissage soit effectif il doit y avoir un enthousiasme de la part
de l'enfant, un projet personnel dans lequel il s'investit ; une chose
quelconque qu'il a décidé de construire. Alors il devient un aspirateur
à apprentissages. En quelques années il peut atteindre des sommets. Les
parents de cet adolescent sont en partie responsables de son manque
d'intérêt pour l'Ecole. Ils se contentent de hurler quand il ramène de
mauvaises notes. Ils n'ont aucun intérêt pour la matière elle-même ni
pour les points de vue des professeurs. L'Enseignement et la
Collectivité sont aussi responsables. Parce qu'ils se contentent de
faire jouer aux enfants une comédie d'apprentissage. L'Enseignement
belge est une grande pièce de théâtre où l'on se convainc les uns les
autres que l'on fait de grandes choses. Une des pires crises de comédie
a été "l'Enseignement Rénové" : on a forcé les enseignants et les
enfants à faire semblant de mener de sympathiques et grandioses
activités collectives. Tout était écrit mais il fallait faire semblant
de découvrir les choses, de les classer avec passion dans un cahier et
de partager son enthousiasme avec le reste de la tablée. Il faut aller
dans les dictatures communistes pour trouver pire. Il faut des cours
obligatoires. Par exemple pour apprendre à lire et à écrire ou pour
apprendre les notions de base de la Loi. Mais cela ne doit prendre que
quelques heures par semaines. Le reste du temps il faut laisser les
enfants libres de leurs activités. Il faut des adultes autour deux,
pour leur apprendre ce dont ils ont besoin pour mener à bien leurs
activités, pour leur montrer de nouvelles choses, pour les surveiller
et les empêcher de se mettre en danger... Les enfants ont un besoin
vital de la présence des adultes. Il leur faut tout un panel d'adultes
cultivés, habiles, adroits, fins psychologues, qui ont le don de
l'enseignement, qui ont des choses à raconter, capables de structurer
des projets collectifs des enfants... Mais c'est dans la tête des
enfants que cela se passe, pas sur le tableau noir, ni dans les cahiers
et encore moins dans la tête des adultes. Si on laissait les enfants
ainsi vaguer à leurs passionnantes occupations, les talents et la
souplesse d'esprit qu'ils développeraient leurs permettraient de suivre
les cours obligatoire avec beaucoup plus d'acuité. Actuellement, avec
huit heures par jour de cours obligatoires, à dix-huit ans les enfants
sont juste capables d'écrire de façon lisible et de comprendre des
textes pas trop compliqués. Si on réduisait à huit heures par semaine
de cours obligatoires et si on fournissait les écoles en matériel de
bricolage, en fauteuils, en livres, en pinceaux, en papier et en encre
de chine, à dix huit ans on aurait des armées de calligraphes versés en
philosophie et en hautes mathématiques ou capables de prouesses
physiques hors du commun. En deux générations il n'y aurait plus de
problèmes de guerres ou de pollution sur la Planète. Ces enfants
devenus adultes seraient capables de produire beaucoup plus de biens
tout en ayant beaucoup moins de besoins.
Dans la majorité des pays "modernes" il y a une hiérarchie. En haut de
l'édifice il y a les ceux qui ont appris les Sciences Intellectuelles.
En bas de la hiérarchie il y a ceux qui ont appris les travaux manuels.
Cette image de société semble aller de soi. Pourtant quand on y regarde
de plus près il y a des choses absurdes. Par exemple les intellectuels
sont en général tout à fait incapables de faire ce que font les
manuels. Ils ne sont donc pas "mieux" que les manuels. Il existe même
des entreprises où les activités intellectuelles sont menées par les
ouvriers. Les "intellectuels" ne sont là que pour le décors et sont
même un handicap pour les ouvriers. Ce n'est pas la règle générale mais
cela existe et cela montre que la structure de la société est
artificielle. Plus amusant est le fait qu'il a existé et existe encore
des collectivités où les manuels dominent les intellectuels. Les
intellectuels y sont considérés comme utiles mais ne sont pas plus
valorisés qu'un porteur d'eau. Un peu toutes les combinaisons sont
possibles pour structurer une Société. Ce qui compte sont les
"manipulateurs". C'est à dire les politiciens et les religieux. Ce sont
eux qui créent les images de soi du peuple et engendrent ainsi les
hiérarchies. Ils ont hélas souvent tendance à faire cela de la façon
qui est la plus intéressante pour leurs intérêts personnels. C'est pour
cela que les politiciens et les religieux sont au sommet de la
hiérarchie de la plupart des pays. Mais ce n'est pas toujours le cas.
Dans les pays où le peuple a un niveau spirituel élevé, beaucoup de
culture et d'éducation, les politiciens et les religieux ont un pouvoir
nettement moindre. Ils sont au service de la collectivité comme tout le
monde. Dans ces pays aussi le salaire et les responsabilités d'un
ouvrier sont beaucoup plus comparables à ceux d'un intellectuel.
Réciproquement les intellectuels ont fait de la pâte à modeler et de la
tapisserie quand ils étaient enfants et sont relativement habiles de
leurs mains. En gros on peut scinder les manipulateurs en deux camps.
Le camp de droite "n'a pas confiance en Dieu" et veille à maintenir une
hiérarchie dans le pays. Donc de façon directe ou détournée ils vont
limiter ce que les enfants apprennent à l'école. Le camp de gauche a
confiance et essaye de d'augmenter au maximum le niveau de toute la
population du pays. Ils savent que cela va limiter leur pouvoir sur le
peuple mais ils se disent que si tout le pays s'élève, tout le monde
s'élèvera y compris les manipulateurs.
Dans certaines dictatures la propagande d'Etat veille à ce que les
jeunes se focalisent sur certaines activités. Par exemple le sport. Le
dictateur va ainsi obtenir de meilleurs soldats, plus rapides et
endurants sur le terrain. Si la propagande est bien faite, les jeunes
considèrent le sport comme une "évidence" et toutes leurs
préoccupations intellectuelles vont au sport. Leur vie sociale tournera
autour du sport. Ils parleront entre eux des performances d'un tel et
des problèmes de tibia d'un autre. Dans les démocraties on laisse les
gens décider par eux-mêmes du monde d'activités dans lesquelles leurs
enfants vivront. Dans les familles "culturellement développées" ces
activités sont un véritable foisonnement : le grand-frère taille à la
main les pièces en bois de son avion télécommandé pendant que la mère
fait de l'horticulture, une tante de la littérature anglaise du 17ème
siècle et un oncle de la balle-pelote. Cinq clubs de sport dans le
quartier offrent des activités de groupe diverses. A dix-huit ans un
enfant aura développé de nombreuses facultés d'habileté manuelle, de
souplesse intellectuelle, de sens des responsabilités, d'endurance
physique... Devenu adulte il se focalisera sans doute sur quelques
activités précises mais en bénéficiant des dons qu'ils aura acquis dans
toutes les disciplines pratiquées étant enfant. Cette liberté offerte
par la démocratie connaît dans certains cas des dérives. Par exemple
des parents décident que leur enfant sera champion de moto-cross, de
violon ou d'échecs. Ils emmènent leur enfant dans un club ou chez un
professeur dès l'âge de quatre ans. Ils ne lui offrent que des
"cadeaux" en rapport avec le but recherché. Ils décorent sa chambre de
posters orientés. C'est une situation de dictature à l'échelle
familiale. Parfois l'enfant devient réellement bon dans la discipline
visée et remporte au moins de petits succès. Il aura une personnalité
déformée mais ne sera pas malheureux pour autant. Dans la majorité des
cas c'est un échec. L'enfant se retrouve à l'âge adulte sans don
particulier et estropié de tout ce qui n'avait pas de rapport direct
avec le fantasme de ses parents. Certains commerçant aussi abusent de
la situation. Ils proposent des jeux de cartes colorés ou des jeux
vidéo, qui n'impliquent aucune activité intellectuelle véritable et un
infime minimum d'aptitudes physique. J'ai de bonnes relations avec une
souris sauvage qui vit dans mon grenier. Elle serait capable d'aller au
bout d'une partie de ces jeux vidéo si on trouvait un moyen de l'y
faire jouer en vrai. Son cerveau ne doit pas peser plus de quelques
dizaines de milligrammes. Ces jeux sont tellement vides qu'ils
devraient ennuyer les enfants en quelques dizaines de minutes. Les
commerçants ont contourné le problème en les rendant hypnotiques :
musiques répétitives, flashes, jolie couleurs, situations simples...
Une partie des instincts et des réflexes humains sont détournés pour
créer une passion pour ces jeux. Cela fonctionne comme une drogue, dans
laquelle l'enfant se plonge corps et âme. Il évite ainsi les problèmes
de la vie réelle. Ses relations sociales avec les autres enfants se
bornent à échanger des jeux et à parler avec enthousiasme des
personnages de ces jeux. On entend des phrases comme : "Ah oui Galactor
il a dix-huit queues vertes sur sa tête il est génial !". J'ai vu un
adolescent en arrêt devant une affiche publicitaire qui montrait un
nouveau personnage de jeu. Il s'adressait à un ami : "Ah putain. Tu as
vu son épée ?! Elle a un oeil. Ah putain !". Il était dans un état
rare. Cette fascination est celle que les tribus sauvages ont pour les
symboles et les divinités. C'est un réflexe humain, qui devrait
d'ailleurs être davantage pris en compte dans le monde moderne. Dans
les tribus, ces symboles et ces divinités accompagnent la structure de
la tribu et l'apprentissage scolaire des individus. Il n'y a qu'à lire
la Mythologie Grecquo-romaine pour se rendre compte de l'importance de
ces symboles et de leur mythes. C'est ce qui permet à un individu de se
comprendre et de comprendre les autres. C'est la culture. Dans les
tribus africaines, des concepts mathématiques ou philosophiques avancés
sont véhiculés par des symboles. Il est naturel et nécessaire que ces
symboles exercent une fascination. Mais dans les jeux commerciaux il
n'y a ni mythes ni apprentissages, encore moins de mathématiques ou de
philosophie. Ou alors réduits à leur plus simple expression. Cela
fonctionne comme un piège. On place un appas, quelque chose qui attire
ou fascine. L'animal piégé ne trouve que la mort ou la servitude. Autre
point commun avec les drogues : ces jeux sont vendus cent à mille fois
le prix qu'ils ont coûtés pour leur création et leur fabrication. Il
existe des jeux de cartes et des jeux vidéo extraordinaires. Mais ils
n'intéressent que les familles "culturellement développées", où les
enfants sont initiés pas à pas, de façon naturelle. Présentés aux
enfants des autres familles, ils engendrent de la peur et un rejet.
L'intelligence leur fait mal, exactement comme la perspective de
responsabilités est ce qui fait le plus souffrir un toxicomane. A qui
profite le crime ? La question doit être posée. Au Moyen Age il y avait
deux sortes de gens de peuple : ceux qui avaient un métier et ceux qui
n'en avaient pas. Si on était forgeron, maçon, tisserand... c'était
parce qu'on l'avait appris dans sa famille. On avait vécu dans la
profession depuis l'enfance. Ceux qui n'avaient pas de profession
n'avaient rien appris dans l'enfance. C'étaient les traînes-misère, qui
se contentaient de petites tâches voire versaient dans les petits
délits. Cette situation du Moyen Age est critiquable : seuls les
enfants des artisans avaient la possibilité d'apprendre un métier et
ils ne pouvaient souvent pas choisir ce métier. Mais elle avait un
avantage : les puissants étaient en partie soumis aux artisans. Si les
artisans d'une ville refusaient de fournir un seigneur en matériel de
guerre, celui-ci était bloqué. Les artisans sont des gens fiers de leur
métier et conscients de leurs responsabilités. Au début de l'Ere
Industrielle sont apparus le travail à la chaîne et la fabrication
standardisée. C'étaient des révolutions, parce que cela permettait à
des groupes d'ouvriers sans formation de produire en grande quantité
des objets de qualité équivalente à ceux des artisans. Ainsi la société
est devenue beaucoup plus riche et tout le monde avait un travail. Ce
fut un miracle. Le hic, c'est que ces usines où l'on travaille à la
chaîne sont gouvernées par les seigneurs des temps modernes : les
industriels. Les "seigneurs" ont donc réussi à contourner le pouvoir
des artisans. Ces seigneurs n'ont aucune envie que le temps des
artisans revienne. C'est peut-être une des raisons pour lesquelles on
apprend si peu de choses véritables dans les écoles. On ne veut pas
former des artisans. On veut des ouvriers, c'est à dire des personnes
qui ont des capacités réduites et qui sont obligées de se plier au
système pour avoir un niveau de vie acceptable. C'est vrai même pour
les universitaires. C'est une situation dangereuse, parce que tous les
seigneurs ne sont pas de bons maîtres. L'industrialisation sauvage nous
a amené deux guerres mondiales, la pollution atmosphérique, le
capitalisme sauvage, les délocalisations... Ce qu'il nous faudrait
maintenant, c'est essayer de combiner le meilleur de deux mondes :
l'artisanat et l'industrialisation. Il est évident que le travail à la
chaîne est une atout. Parce qu'il peut être fait par des robots, parce
qu'il donne la possibilité à tout le monde d'avoir un travail et parce
qu'il permet de produire une même quantité de biens de façon plus
écologique. Mais l'artisanat doit être réintroduit et partagé entre
tous. Parce que l'artisanat est un puissant facteur de démocratie. Le
système informatique Linux, par exemple, est la réaction des artisans
contre le monopole des mauvais systèmes informatiques de Microsoft. Si
nous étions tous des artisans, nous obligerions les industriels à
produire des appareils un peu plus cher mais dont les pièces seraient
plus solides et standardisées. Quand une télévision tomberait en panne,
on se contenterait de changer ou de réparer soi-même la partie qui ne
fonctionne plus. Si on désire améliorer sa télévision, on peut se
contenter de changer soi-même la partie que l'on désire améliorer.
Ainsi les objets vivraient beaucoup plus longtemps. Il faudrait donc en
produire moins et il y aurait moins de déchets. Si l'humanité n'est
faite que d'ouvriers, ils vivront dans la peur de l'inconnu et soumis
aux puissants. Les artisans sont conscients de leur image d'eux-même et
savent prendre les choses en main. Pour que l'artisanat se répande, il
faudrait que les familles "culturellement développées" soient un peu
plus militantes.
Des études scientifiques ont montré que la structures neurologique du
cerveau d'un enfant porte les conséquences de ce que cet enfant a vécu.
S'il a vécu dans un environnement sain, il aura un cerveau qui a une
certaine composition. Si par contre il a vécu dans un environnement de
guerre ou dans une famille détraquée, dans l'angoisse, ses neurones
seront en parties atrophiés. Devenus adultes, ces enfants de la guerre
sont beaucoup plus sensibles aux problèmes de stress et d'angoisse. Ils
sont plus ou moins handicapés. En discutant avec des personnes qui ont
de tels problèmes je me suis rendu compte qu'on peut aussi en parler
d'une façon plus globale, en terme d'image de soi. Les enfants qui ont
eu de bons parents ont quelque part en eux toujours cette image du
bien-être et de la sécurité de l'enfance. On leur montrait et on leur
expliquait les problèmes de la vie, tout en leur disant et en leur
prouvant qu'ils en étaient protégés, qu'ils n'avaient pas à les
affronter tout de suite. On leur donne des vrais câlins au moindre
problème et à titre préventif aussi. C'est une formule équilibrée.
D'autres parents vont vers un extrême ou vers un autre. Certains
surprotègent leurs enfants, les isolent du monde. Une fois adultes, ces
enfants sont obligés de rester chez leurs parents ou de consommer des
drogues, pour continuer à vivre le bien-être et le confort de
l'enfance. L'image du monde tel qu'il est, est trop atroce pour leurs
cerveaux. Ils n'y ont pas été préparés. L'autre extrême consiste à
importer dans la famille les problèmes du monde extérieur. Certains
parents recréent dans la cellule familiale une atmosphère de guerre et
de danger permanent. Devenus adultes ces enfants n'auront aucun
souvenir d'enfance dans lesquels se réfugier. Ils seront des bêtes
sauvages, obligés d'attaquer ou de fuir devant les problèmes. Ils se
suicideront, de façon rapide ou en se détruisant lentement. Pourquoi
certains parents font-ils cela ? Par bêtise, par insensibilité, par
manque de culture, pour faire le contraire de ce qu'ils ont subi dans
leur propre enfance... Parfois leurs intentions sont tout à fait
structurées. Certains parents décident de faire sentir à leurs enfants
qu'ils n'ont aucun droit, que toutes les méthodes de torture pourront
être utilisées contre eux : coups, privations de nourriture,
humiliations... Cela leur permet, pensent-ils, d'obtenir ce qu'ils
veulent de leurs enfants. "On est bien obligés de sévir, sinon il n'en
fait qu'à sa tête..." Certaines sectes organisent cela à plus grande
échelle.
Tout le monde a en tête une image de la famille heureuse. On rêve à
comment devrait être le papa, la maman et les enfants. On y rêve
d'autant plus si on a soi-même eu une enfance douloureuse. Dans les
familles réellement heureuse, ce qui permet le bonheur est la
communication. Peu ou prou, tout le monde comprend tout le monde et
attache de l'importance aux sentiments et aux besoin des autres. Ce que
la famille est, l'image qu'elle forme, est le résultat de prise en
compte des besoins de chacun. Mais une personne qui a eu une enfance
dure n'a en général pas appris à communiquer. Elle se retrouve donc
avec en tête une image très précise de la famille idéale mais peu ou
pas d'aptitude à la communication. Si elle trouve un partenaire, elle
va essayer de lui imposer son rêve tout en étant insensible aux besoin
de l'autre. Cela mène a des situations cataclysmiques, à la rupture,
parfois jusqu'au meurtre ou au suicide. En général les deux partenaires
ont le même problème. Qui se ressemble s'assemble. Car une personne qui
a appris à communiquer rejettera presque toujours une personne qui ne
fait que rêver. Chacun des deux partenaires oscillera entre des
tentatives pour imposer son rêve à l'autre et des tentatives gauches de
se plier au rêve de l'autre. Les sentiments iront de la colère extrême
à la culpabilité extrême. Chacun est réellement et sincèrement amoureux
de l'autre. Ce qu'il fait, il le fait pour le couple, il le fait pour
l'autre. Pour réaliser le rêve de ce qu'il croit être la source du
bonheur. C'est en désespoir de cause qu'il se voit obliger de faire
plier l'autre, de la casser pour le mettre dans le "bon" moule. A
condition d'être pris en charge par des professionnels, certains de ces
couples arrivent à surmonter cette situation de guerre. Ils réussissent
à apprendre à communiquer. Parfois par des méthodes très détournées
mais cela fonctionne. D'autres cas sont désespérés. Certains individus
passent leur vie à créer des couples destructeurs. Ce problème se
retrouve aussi dans les communautés, les entreprises, les
gouvernements... ou concentré dans l'esprit d'une seule personne.
Une erreur que l'on pratique dans beaucoup de systèmes d'éducation est
de croire que l'image de soi d'une personne est statique, comme les
pages mortes d'un livre. Donc on apprend des centaines de milliers de
choses aux enfants, des données et des procédures, comme si on
supposait que chaque chose allait se loger à la bonne place dans
l'esprit/classeur de chaque enfant. On se permet même de décider du
futur de l'enfant en fonction de son aptitude et sa bonne volonté à
retenir ces informations stériles. Cela nie les sentiments et
l'intelligence de l'enfant. Les sentiments sont quelque chose qui ne
s'apprend pas mais qui se développe. On naît avec mais il faut
apprendre à vivre avec : à les connaître, les gérer, les combiner à
d'autres sentiments... Une personne dont les sentiments sont mal gérés
ou atrophiés est une enveloppe vide ou un danger. Nos sentiments sont
le fondement de notre image de nous-mêmes. L'intelligence quant à elle
sert à produire des images. Le cerveau d'un humain est capable de
produire des images qu'il ne contenait pas la minute d'avant. Ce sont
les inventions, les stratégies, les poèmes (qu'ils soient littéraires,
musicaux ou picturaux)... Développer l'intelligence d'un enfant est un
travail autrement plus ambitieux que ce que l'on fait actuellement dans
les écoles. C'est une machine divine qu'il faut faire pousser, qu'il
faut mettre en route. Elle se nourrit d'images, de procédures, de
sentiments... Elle se nourrit de tout mais surtout elle apprend
lentement à produire. Pour cela elle ne classe pas les images : elle
les résorbe entre elles, elle les digère. Le cerveau d'une personne
intelligente contient en réalité beaucoup moins de choses qu'on en a
l'impression. Mais ces choses sont tissées entre elles, recoupées et
associées. Elles sont à disposition de l'intelligence de la personne
pour être associées et recoupée avec toute nouvelle donnée qui se
présenterait. Ce développement exceptionnel du cerveau, cette image de
soi vivante, ne s'obtient pas par la contrainte. C'est un enthousiasme
que chaque enfant a et qu'il faut se contenter de nourrir. Certes il
faut utiliser de brefs moments de contrainte, à l'occasion, pour
cristalliser certaines choses dans l'esprit des enfants et leur faire
faire certains progrès. Si c'est fait dans l'intention de laisser les
enfants développer leur intelligence, ils s'y prêteront de bonne grâce.
Les données et les contraintes sont donc nécessaires pour le
développement de l'intelligence des enfants. Comme ce sont deux choses
faciles à faire, l'Enseignement se contente de ne faire que cela, avec
un résultat catastrophique. C'est comme si on enterrait une plante sous
du fumier. Le fumier est très bon pour la pousse des plantes mais en
petites quantités. Si on enterre une plante sous le fumier elle meurt
en quelque jours. Elaguer un arbre fruitier est nécessaire pour qu'il
donne de beaux fruits. Mais si on passe son temps à l'élaguer il
restera petit et ne donnera qu'un ou deux petits fruits par an. Voire
il mourra. Les Ministres se plaisent à dire que les enseignants sont
libres d'enseigner aux enfants. On m'a proposé d'enseigner et j'ai reçu
les documents du "Programme". Ma conclusion au terme de la lecture de
ces documents est qu'il m'était interdit d'enseigner. D'autres
personnes m'ont rapporté la même impression. Le système mis en place
par l'Etat favorise les enseignants "moutons" qui se contentent
d'ânonner les matières. Si un enseignant a des ambitions, soit il se
plie au système soit il quitte l'Enseignement. Il existe des
enseignants ou même des écoles qui font de la Résistance. Mais c'est
très difficile. Il n'y a pas de menace de mort contre eux mais leur
travail ressemble par bien des points à celui d'un groupe de Résistants
contre une puissance d'occupation. On veut empêcher les enfants les
enfants d'apprendre à réfléchir tout comme jadis on voulait empêcher
les bretons de parler breton. On empêche au cerveau d'apprendre à se
parler dans sa propre langue. Tout en faisant croire aux parents qu'on
s'occupe super-bien des enfants et qu'on assure leur avenir. La seule
partie de l'Enseignement où le développement des enfants semble
officiellement accepté est la maternelle. Dans les bonnes écoles
maternelles on fait de vrais efforts pour stimuler les enfants. Les
enseignants ont le droit de réellement s'occuper des enfants. Comme par
hasard les enseignants de maternelle sont les plus mal payés de la
profession... Il m'arrive de tans à autres d'expliquer à un étudiant
une chose qu'il n'a pas comprise aux cours. En une demi-heure je lui
fais comprendre ce qui lui était resté radicalement obscur après 200
heures de cours. Ils en sont tout abasourdis. La recette est pourtant
simple : même s'ils ont 20 ans je leur parle comme un enseignant de
maternelle à un enfant. Je m'occupe d'eux. Au lieu de jouer une pièce
de théâtre sur une estrade.
Dans la Nature certains insectes sont toxiques. Ils se parent de
couleurs vives, pour se signaler aux prédateurs : "Youhou ! C'est moi
l'insecte toxique ! Comme celui que vous avez essayé de manger il y a
deux mois et que vous avez recraché !". Il existe des insectes non
toxiques mais qui se parent pourtant aussi de couleurs vives. Ils
jouent sur la réputation des insectes toxiques. Cela en coûte pour les
insectes toxiques. Parce que comme il existe des insectes colorés non
toxiques, il faut plus de temps aux prédateurs pour apprendre à se
méfier des insectes toxiques. Donc ils tuent plus d'insectes toxiques
avant de comprendre. D'une certaine façon il en va de même dans les
administrations. Les administrations sont nécessaires pour la bonne
marche d'un pays. Mais on crée en parallèle des administrations
inutiles. Elles se trouvent dans des bâtiments, elles ont des statuts,
elles contiennent des fonctionnaires qui touchent un salaire, elles
remplissent des tâches... elles ressemblent tout à fait à des
administrations. Mais ce ne sont pas des administrations, puisqu'elles
sont inutiles à la population et à la bonne marche du pays. Pire : pour
se rendre importante et par incompétence elles créent beaucoup de
problèmes et de rancoeurs au sein de la population. On ne démantèle pas
ces administrations parce que certains puissants y trouvent leur compte
: elles forment une masse mobilisable pour les syndicats, elles offrent
des emplois dont les élus peuvent se vanter en campagne électorale,
elles justifient des mouvements de fonds que l'ont peut écrémer, elles
permettent de donner des promotions à des relations... Un ami à qui
j'en parlais me disait que l'on appelle une telle administration une
"sinécure". C'est à dire un endroit où les personnes un peu sensées se
rendent compte qu'on ne fait rien de réellement utile, on s'ennuie,
mais on est prié de ne pas le dire et il faut que les choses
continuent...
Certains parents n'apprennent pas de limites à leurs enfants. Cela
arrive plus fréquemment quand c'est un enfant unique. Cela donne des
enfants qui ne répondent pas quand on leur pose une question, qui
prennent n'importe quel objet pour jouer avec, qui font du désordre
n'importe quand... Ces parents ont une image bien précise de ce que
deviendra leur enfant. Par exemple ils le destinent à succéder à la
tête de l'usine familiale. Ils s'occupent beaucoup de l'enfant et le
traitent presque comme un adulte. Il est l'animal familier de leurs
rêves les plus profonds. Le principe est que tant que l'enfant ne fait
rien qui aille à l'encontre des rêves de ses parents, il fait ce qu'il
veut. Ces enfants sont peu sociabilisés et on appris peu de choses,
parce qu'ils n'ont pas eu d'enfance. Quand ils grandissent ils
deviennent des catastrophes ambulantes. C'est à ce moment que les
parents se rendent compte que l'enfant ne peut matériellement pas
réaliser leurs rêves. Alors ils deviennent d'une extrême cruauté avec
lui.
Il est assez désagréable pour un éducateur d'expliquer des choses à des
enfants et de les voir bailler d'ennui. C'est encore plus désagréable
quand ces enfants sont venus trouver l'éducateur parce qu'ils veulent
faire quelque chose et l'éducateur ne fait que leur expliquer ce dont
ils ont besoin. Le problème est que les enfants ne perçoivent pas la
connexion entre leurs rêves et ce qu'on leur explique. Ou pire : ils
n'ont pas de rêves. Un enfant s'intéresse réellement à une matière
quand il perçoit ce qu'il pourra faire avec. Certains se préoccupent de
ce qu'ils pourront faire dans l'immédiat, d'autres pensent à plus long
terme. Cela dépend des personnes. Le problème dans notre Société est
qu'on veut éviter que les enfants aient des rêves. Parce qu'on veut
qu'ils réalisent les rêves des puissants : les industriels, les chefs
religieux, les politiques... Il est donc difficile de leur apprendre
des choses. On utilise des palliatifs : menaces de punitions,
promesses, chantages, chagrin des parents... Le rêve de l'enfant
devient très simple : éviter les coups et/ou recevoir un nouveau jeu
vidéo. Pour cela il ne lui sert à rien de comprendre ce qu'on lui
enseigne. Il ne sert à rien de voir les liens de ce qu'on lui enseigne
avec d'autres matières. Il ne sert à rien de devenir un inventeur ou un
artiste. Il ne sert à rien de devenir compétent dans un métier. Il faut
seulement mettre un peu d'ordre dans la matière qu'on lui enseigne,
apprendre des mots et des procédures par coeur et retaper cela aux
interrogations et aux examens. Au mieux, à la fin de ses études, il
sera capable de mettre de l'ordre dans des idées simples et de
comprendre des textes techniques pas trop compliqués. Tout élève ou
étudiant qui sort de ce schéma sera éliminé.
Une personne qui a compris des choses, qui en a des images claires en
tête, ne peut parfois pas comprendre que les autres ne les comprennent
pas. Si les autres refusent ces idées elle croit que c'est par
méchanceté. Elle ne comprend pas que pour eux ces idées sont du
charabia, une langue incompréhensible. On n'achète pas un chat dans un
sac. Le quiproquo est d'autant plus inévitable qu'ils font semblant de
comprendre, pour ne pas perdre leur prestige. Dans certaines
entreprises on met à la porte tout spécialement ces personnes qui ont
des idées et qui dérangent. Le pire, aux yeux des dirigeants, est
qu'ils savent que ces idées pourraient être bonnes. Si cela venait à
être prouvé ils perdraient une part de leur prestige. Les personnes qui
ont proposé ces idées pourraient leur monter dessus et prendre leurs
places. C'est un dialogue de sourd entre les créatifs et les établis.
A priori chacun cherche à avoir la meilleure image possible de soi.
Mais le plus important est d'avoir une image de soi. Si les seules
personnes disponibles autour de vous vous donnent une mauvaise image de
vous, vous allez pourtant rester auprès d'elles. Parce qu'elles vous
donnent une image, quelle qu'elle soit.
Un enfant qui est négligé par ses parents ou maltraité peut avoir
tendance à laisser traîner ses jouets partout dans la maison. Il fait
cela pour signaler sa présence. Au travers de ses jouets, qui font
partie de son image de lui-même, c'est lui-même qu'il étale dans la
maison, pour tenter d'exister.
Un chirurgien sait que pendant une opération le patient ne doit surtout
pas voir l'intérieur de son corps ni même en entendre parler. Il
pourrait en résulter des problèmes psychologiques graves. Les
informaticiens rencontrent le même problème avec leurs clients. Quand
on répare ou aménage le matériel ou les logiciels d'un ordinateur, il
vaut mieux ne pas commenter ce qu'on est en train de faire. Il faut
dire au client que tout se passe bien et l'ordinateur fonctionne de
mieux en mieux. L'idéal est que le client ne soit pas présent. Un
client auquel on explique ce qu'on est en train de faire, les problèmes
temporaires qu'on rencontre, peut devenir fou d'angoisse. Il ne
supporte pas ce qui se passe. Ce problème que rencontrent les
chirurgiens et les informaticiens tient peut-être à un manque
d'éducation des patients et des clients : ils n'ont pas appris à vivre
ces situations, à assumer les réalités.
Une certaine image de la famille veut que les membres de la familles
sont liés entre eux. Ils s'entraident, travaillent ensemble, se
comprennent, mangent ensemble... La Société de Consommation tend à
briser ce nid. Par la publicité et diverses manipulations, les
entreprises s'ingénient à devenir l'interlocuteur privilégié de chaque
membre de la famille. On n'écoute plus ses grand-parents, on écoute la
télé. On ne cuisine plus amoureusement de soupe pour ses enfants, on
achète de la soupe en boîte. On ne s'occupe pas des enfants, on les
envoie en parking à l'école où on leur apprend le minimum nécessaire
pour être des rouages des entreprises. On ne se parle plus ni se prend
dans les bras les uns des autres pour déstresser et être en bonne
santé, on consomme les anxiolytiques vendus par les entreprises. On ne
n'essaye plus de comprendre ses voisins, on se contente de gagner leur
intérêt en leur prêtant un film DVD acheté au magasin. Tous les axes de
communication entre humains se brisent pour se tourner et s'établir
vers le Système.
Un scénario fréquent dans les familles où on maltraite les enfants est
que les parents montrent en public qu'ils adorent les enfants. A leurs
amis, ils racontent avec force détails combien ils aiment leurs enfants
et sont prêts à faire des choses pour eux. Ils racontent les cadeaux
qu'ils ont l'intention de leur faire, les assurances qu'ils vont
souscrire pour eux... Parfois ils étalent une grande culture en matière
de pédagogie. Ils ont lu des livres et on voit que cela les a
passionnés. Les gens qui écoutent ces images d'amour parental sont très
émus. Le soin d'un parent pour son enfant n'est-il pas la plus belle
chose au Monde ? Quand un de ces enfants vient raconter qu'il n'a pas
reçu à manger depuis une semaine et qu'il ne sent plus son pied droit
depuis la dernière fois que ses parents ont utilisé des électrodes pour
le torturer, les gens éprouvent de la haine pour lui. Comment peut-il
dire de pareilles horreurs sur des parents aussi géniaux, aussi aimants
? Ce gosse est crapuleux ! Peut-être a-t-il été puni mais vraiment il
le mérite. Ainsi certains enfants se font abuser et maltraiter toute
leur enfance, virtuellement au vu et au su de tout le monde.
L'entourage se joint aux parents pour rabrouer ces enfants, au nom de
l'Amour. On peut se demander ce qui se passe dans la tête de ce type de
parents. En gros il y a deux extrêmes. A un extrême il y a des parents
qui ont parfaitement conscience de ce qu'ils font. Ils se défoulent sur
leurs enfants en toute connaissance de cause et racontent des bobards
aux voisins pour éviter les problèmes. Ces parents-là ont le sentiment
d'avoir pleinement le droit de faire ce qu'ils font, ils le considèrent
comme naturel. Ils peuvent même avoir des théories très construites
pour tout justifier. A l'autre extrême on trouve des parents qui aiment
réellement leurs enfants mais qui ne les voient pas. Ils rêvent
sincèrement et profondément de bâtir une famille heureuse, où chaque
enfant trouvera son épanouissement. C'est cette envie sincère qu'ils
expriment devant les amis et la famille. Le problème, c'est que les
enfants ne font pas exactement ce que les parents rêvent. Pire : comme
on ne s'occupe pas vraiment d'eux, les enfants finissent par vivre de
leur côté, avec leurs propres lois et préoccupations. Les parents se
sentent alors obligés de "corriger" ces enfants, de les ramener dans le
droit chemin de leur beau rêve. Mais ils ne savent même pas ce que le
mot dialogue veut dire. Tout ce qu'ils arrivent à faire, c'est punir
l'enfant, le frapper d'une façon où d'une autre jusqu'à ce qu'il se
comporte "comme il faut" ou au moins qu'il ne fasse rien d'autre. Ces
parents-là ressentent qu'ils n'ont pas le choix, que c'est l'enfant qui
les force à faire cela. Alors ils construisent des théories, pour
expliquer la particularité de leur enfant, pour justifier qu'il est est
nécessaire de le torturer. C'est ainsi qu'ils dérivent vers l'autre
extrême énoncé ci-dessus.
Un problème est que l'on peut se croire doué de talents que l'on a pas.
On rêve à des choses extraordinaires qui sont pourtant inaccessibles.
Le contraire existe aussi. Certaines personnes sont persuadées qu'elles
sont incapables de faire certaines choses. On a beau leur expliquer que
ces choses sont faciles, qu'on va les aider à y arriver, que ce n'est
pas grave si cela rate au début... Elles répondent de façon obstinée
qu'elles ne peuvent pas le faire. Il y a quelque chose en elle qui a
décidé que c'est impossible. C'est un mur plus infranchissable que
celui d'une prison. Ces deux comportement extrêmes ; les rêves exaltés
et le mur de la bêtise, se retrouvent souvent en même temps chez les
personnes qui en souffrent. Ces personnes sont en rupture avec la
réalité. Elles ne savent pas se confronter à la réalité ou n'osent plus
le faire. Elles rêvent qu'elles vont faire une chose extraordinaire qui
va leur attirer l'amour de tous, tout en étant incapables ou refusant
de donner de simples gestes d'affection aux autres. Elles se réfugient
souvent dans la drogue, les sectes ou les jeux vidéos.
On est ce qu'on fait. La personne qui présente la météo devient
"Monsieur Météo" ou "Madame Météo". Toute notre vie nous cherchons à
recevoir ce type d'étiquettes. Nous en avons un besoin irrépressible.
Un enfant a une grande valeur pour nous s'il nous appelle "papa",
"maman", "tonton", "tata", "mamie", "papy", "parrain", "marraine"...
Certaines personnes acquièrent le niveau nécessaire pour ne pas essayer
d'obtenir ces étiquettes par la force. Elles résistent à la tentation
ou lui deviennent transparente. Elles ne cherchent à avoir que les
étiquettes qu'il est justifié qu'elles aient. Pour d'autres personnes
hélas tous les moyens sont bons : manipuler un enfant, tricher aux
examens, faire jouer des relations, pirater des banques de données, se
doper... Dans une société, un certain pourcentage de personnes méritent
raisonnablement leurs étiquettes et un certains pourcentage les
usurpent totalement. Cette part d'usurpation est généralement tolérée.
Par exemple aux examens universitaires les professeurs savent
parfaitement que beaucoup d'étudiants n'ont pas les qualifications
nécessaires pour leur vie professionnelle future. Tant que ces
étudiants arrivent à faire semblant d'être qualifiés, on les laisse
passer. Inversement il y a parfois des personnes qui remplissent une
tâche sans en avoir l'étiquette. Un ami me racontait le cas d'une
vénérable multinationale basée en France. Les directeurs de cette
multinationale se réunissaient au dernier étage et débattaient des
décisions à prendre. Ensuite les documents signés étaient transmis à la
secrétaire qui travaillait l'étage au-dessous. C'était une vieille dame
à permanente et lunettes. Tranquillement, elle faisait le tri dans les
documents. Elle modifiait tout ce qui ne lui convenait pas et ajoutait
ce qu'elle voulait. En fait c'est elle qui dirigeait la multinationale.
Elle le faisait à merveille et de main de maître. Elle avait travaillé
pour feu le fondateur de la multinationale et perpétuait son esprit.
Elle était son clone. Les directeurs prenaient leur travail très au
sérieux. Ils ne savaient pas qu'ils n'avaient d'autre importance que de
faire croire au reste du monde que la multinationale est dirigée par un
groupe d'hommes respectables. Dans le cas de cette multinationale il y
avait une symbiose parfaite entre la tête pensante et le groupe des
directeurs. En général les figurants ne supportent pas les têtes
pensantes. Cela commence dès les études, où on élimine les fortes
têtes. Si une personne qui a le sens des choses est obligée de
s'entourer de figurants, il y aura un affrontement perpétuel. Elle
devra sans cesse remettre les figurants à leur place. Dans un pays,
tout revient presque à se demander quelle est la proportion entre les
gens qui méritent leur étiquette, ceux qui la mériteraient et ceux qui
l'usurpent. Si la proportion de personnes qui méritent leur étiquette
est élevée, le pays se portera bien et sera résistant aux problèmes.
Les quelques frimeurs présents ne dérangeront pas. On fera le travail à
leur place et tout ira bien. Si la proportion de frimeurs augmente, les
problèmes commencent. Les frimeurs passent leur temps à se battre et à
se faire des relations pour obtenir des postes plus élevés ; des
étiquettes plus ronflantes. Ils s'agglutineront aux postes clés pour
faire partir les personnes capables et faire nommer plus de frimeurs
encore. Qui se ressemble s'assemble.
J'ai rencontré un problème chez deux adolescents. Ce sont tout deux de
petits intellos, fascinés par la Recherche Scientifique. Il y a en eux
une angoisse profonde : "Que ce passera -t-il quand on aura tout trouvé
?". Pour eux, il arrivera un jour où on comprendra enfin totalement les
lois physiques de l'Univers. Leur terreur est que ce jour marque la fin
de la Recherche Scientifique et par extension la fin de la raison
d'être de l'Humanité. C'est la fin du Monde. L'un des deux pensait
presque au suicide pour ce jour fatidique. Je les ai rassurés en leur
expliquant plusieurs choses. D'abord qu'il y a autre chose dans la vie
que la Recherche Scientifique. Il y a aussi le fait de s'occuper des
autres, de les comprendre. C'est une Recherche permanente. Ensuite,
même si on comprenait enfin parfaitement l'Univers, ce qui n'est pas
pour bientôt, il y aurait un travail sans fin pour mettre à profit ce
qu'on aurait compris. Il y a une infinité virtuelle d'inventions à
faire, de machines à dessiner et de nouvelles théories mathématiques à
construire. Il y a du pain sur la planche pour jusqu'à la fin des
temps.
Le pouvoir corromps. Une mère de famille de mes amis a décidé que le
téléphone ne devait plus être utilisé. Elle a pris cette décision suite
à la réception d'une très grosse facture de téléphone. Cette facture
est due au fait qu'elle et son fils passent des heures au téléphone
pour ne rien dire. Pour expliquer qu'elle a acheté un pain, elle
commence par décrire la cravate d'un passant qui passait au moment où
elle garait sa voiture pour faire un achat avant de se diriger vers la
boucherie qui se trouve pas loin de la maison où habite la belle-fille
du boulanger. Son fils ne peut même plus téléphoner à sa famille.
Pourtant ce n'est pas cela qui a fait la facture. Et les coups de
téléphone à la famille, c'est important. Elle est passée d'un extrême à
l'autre : d'une logorhée de coups de fils inutiles à un interdit absolu
même pour l'essentiel. Le montant élevé, effrayant, de la facture de
téléphone, lui a donné le pouvoir, le poids nécessaire pour ordonner
cela. Elle a maintenant l'image d'une autorité confirmée. La
catastrophe de la facture puis l'interdit sont nécessaires pour
affirmer sa stature. Le drame et le sacrifice confirment le pouvoir.
Son fils a compris qu'il y a un jeu de pouvoir. Cela le stimule comme
un prédateur qui flaire l'odeur du sang. Il donne des coups de fils
éclairs pour dire à son interlocuteur : "Retéléphone-moi vite j'ai des
choses très importantes pour toi !". Il se sert de l'interdit du
téléphone pour essayer de plier ses interlocuteurs à son jeu. Coupée du
monde, cette famille se replie sur elle-même. Cela confirmera encore le
pouvoir de la mère sur le fils et du fils sur la mère. Il existe des
abonnements de téléphone qui permettent de téléphoner gratuitement en
heures creuses. Pour une somme ridicule de 12 € par mois on peut
téléphoner à volonté. Techniquement, ce que font cette mère et son
enfant est donc radicalement idiot. Ce qu'ils veulent, ce sont les jeux
de pouvoir. Tous les prétextes sont bons, jusqu'au ridicule. Humilier
leurs interlocuteurs ne les dérange pas, que du contraire. C'est une
caractéristique des dictatures. Tous les prétextes sont bons pour
permettre à la police de perquisitionner chez les gens et leur imposer
des charges. Les individus eux-mêmes se sentent gonflés de prestige
quand la police leur demande d'espionner leur famille. Le pouvoir
détruit la famille.
Parfois, pour un individu déséquilibré, tuer une chose est la seule
façon de la garder vivante. Tout au moins de la garder vivante comme il
la rêve. Si la réalité s'éloigne trop de ses rêves il en souffre. Alors
il préfère tuer, détruire la chose réelle pour n'en garder que ce qu'il
rêve dans son image de lui-même.
Un ami et moi jouions avec un petit garçon. Sans faire exprès nous lui
disons une chose qui lui fait peur et il se met à pleurer. Nous
arrêtons tout de suite le jeu et essayons de comprendre le problème et
de le rassurer. La question est vite réglée mais le petit garçon est
toujours triste et part dans un coin. Je le laisse faire. Mais mon ami
le rejoint et commence tout un cinéma pour le mettre de bonne humeur,
le faire rire, lui proposer que son problème est fini... C'est une
erreur. Il demande à l'enfant de jouer une comédie sociale, la comédie
du bonheur. Je sais que l'enfant a une blessure et qu'il faut lui
laisser le temps de cicatriser. Cela ne dure que quelques dizaines de
minutes. C'est beaucoup plus rapide qu'une blessure au bras. Mais il
faut tout de même laisser le temps. Ce temps écoulé, l'enfant est
redevenu joyeux. C'est vers moi qu'il est venu, pas vers mon ami.
Dans certaines familles un enfant peut faire des efforts considérables
pour être aimé sans jamais y parvenir. Alors qu'un autre enfant est
adoré sans fournir le moindre effort. Il y a plusieurs raisons
possibles à cela. Une des explications est que l'enfant mal aimé fait
des choses que les parents ne comprennent pas, des choses auxquelles
ils ne sont pas sensibles, qui ne peuvent pas être casées dans leur
image d'eux-mêmes. L'autre enfant par contre fait des choses auxquelles
les parents sont très sensibles. Comme simplement leur sourire par
exemple. Ou être un garçon.
Quand il se trouve dans son groupe d'amis ou de lieutenants, un
adolescent à problèmes ou un dictateur est obligé de s'en tenir à
l'image qu'il veut avoir au sein de ce groupe. Donc il se montrera
violent, narquois ou toute autre attitude négative. Pour discuter
raisonnablement avec l'adolescent ou le dictateur il faut essayer de le
prendre à part. Une fois qu'il n'est plus visible de son groupe il y a
plus de chances de pouvoir discuter avec et se mettre d'accord sur des
choses sensées. Beaucoup de crises se résolvent ainsi. Une bonne option
est de prendre chaque membre du groupe à part, l'un après l'autre.
Ainsi on arrive parfois à changer l'orientation du groupe en bloc.
Certaines personnes, en particulier des adolescents, sont en famine de
recevoir des marques de considération. Leur rêve, c'est que la voiture
d'une vedette s'arrête devant leur porte et qu'ils soient invités à
embarquer. S'ils voient qu'une personne rend un service à un de leurs
amis et qu'ils trouvent que c'est chic, les manipuleront et ramperont
pour que ce service leur soit rendu aussi. Peu importe si ce service
leur est inutile. C'est le geste qui compte, la marque d'attention
associée au service rendu. Si une personnalité locale leur téléphone un
jour, ils en ressentiront un kick qui approche l'orgasme. Ils n'auront
de cesse de faire recommencer cette expérience éblouissante. Ils
geindront et arrangeront pendant des mois dans l'espoir de recevoir un
deuxième coup de fil. Les vendeurs par correspondance ou certains
marchands de jeux vidéo connaissent bien le phénomène et jouent dessus.
Ils leur envoient des lettres "personnalisées", leur parlent des
privilèges "exceptionnels" qu'ils leur accordent... Cela fonctionne
très bien et les conforte dans leur maladie mentale. Ils sentent que
certains reconnaissent leurs grand mérite et haute importance. Cela
vaut bien d'acheter les produits proposés par le vendeur... Pour qu'il
y ait un tel appel d'air il faut bien entendu qu'il y ait un grand vide
à l'intérieur de ces personnes. Elles ont un solide complexe
d'infériorité, elles se sentent mal dans leur peau tout en le niant en
permanence. Les frasques que font ces personnes les détournent de ce
qui pourrait réellement les rendre importantes. Par exemple un ado va
s'adonner à fond aux jeux vidéo en ligne, qui lui pompent son temps et
l'argent de ses parents. Il n'aura plus de temps pour l'école, il fera
le strict minimum pour expédier ses devoirs et ses leçons au jour le
jour. Pourtant l'école est la seule voie solide à sa disposition pour
obtenir un diplôme élevé et un statut social important. Il vit les
rêves de gloire qu'on lui vend et laisse pourrir tout ce qui peut
donner un vrai prestige. Peut-être parce que cela demande du travail et
d'apprendre à travailler. Une mère de famille va se consacrer à ses
achats par correspondance au lieu de s'occuper de sa famille. Elle est
charmée par les compliments que lui font les vendeurs. Elle se vante
auprès de ses voisines. Elle ne voit pas que ses enfants sont sa seule
voie pour être réellement importante, être une personne qui compte et
que l'on estime. Hélas, pour s'occuper des enfants il faut faire des
efforts, il faut les aimer. Elle n'en est pas capable. Les
organisateurs d'attentats suicides au Proche Orient comptent beaucoup
sur ce phénomène. Le processus d'occupation israélien a détruit le
tissu économique palestinien. Nombre de jeunes palestiniens n'ont plus
d'avenir, ils ne sont plus rien. Le Hamas leur offre la possibilité de
devenir en un éclair une personnalité de premier plan, qui aura joué un
rôle important dans l'histoire du pays. Ils jouent aussi sur le fait
que ces jeunes désespèrent de ne pas pouvoir aider leur famille. Le
Hamas propose de payer une forte somme d'argent à leur famille après
l'attentat.
Un problème est quand une personne ne sait pas ce que représente une
chose qui fait partie de son image de soi. Par exemple un chef
d'entreprise peut ne pas avoir conscience du travail qui a été
nécessaire pour créer un logiciel utilisé dans son entreprise. Si un
escroc lui en demande une copie gratuite, il donnera l'ordre à ses
informaticiens de la lui donner. Il veut se montrer grand prince avec
l'escroc, s'attirer son estime. L'escroc n'a d'estime pour personne. Il
se contentera de revendre le logiciel à la concurrence. Les
informaticiens peuvent développer un profond ressentiment de voir leur
travail ainsi jeté en pâture. Inversement un autre autre chef
d'entreprise peut croire qu'un logiciel de son entreprise est la
quatorzième merveille du monde et la jalouser jusqu'au morbide. Ce
logiciel est par exemple un petit machin recopié dans une revue,
quelque chose de tout à fait standard et de bon sens. Il n'a aucune
valeur et n'a demandé aucun travail. Mais le chef d'entreprise va
acheter deux ordinateurs sécurisés et quatre portes blindées pour le
protéger. Il va rendre la vie impossible à tout le monde, se montrer
très désagréable.
Un de mes amis chef d'entreprise fait une sorte de blanchiment
d'argent. Ce que sont entreprise lui rapporte, il le joue au jeu.
Simplement dans les machines à sous des cafés. Il y perd ainsi au moins
la moitié. Ce que lui rapporte son entreprise semble ne pas être de
l'argent pour lui. C'est de l'argent sans valeur. Le peu que lui
rendent les machines à sous, ça par contre c'est du bel et bon argent,
qui lui permet d'acheter avec délice ce qui lui plaît. Cela devient
vraiment "son" argent. A cause de cela il ne paye pas très bien ses
employés. Tout part dans les machines à sous. Certains de ses employés
savent cela et en conçoivent une certaine aigreur, ce qui baisse
d'autant leur rendement. Tout le monde y perd, sauf les propriétaires
de machines à sous. Une explication possible est que cet homme a été
très pauvre quand il était jeune adulte. Il a rêvé de gagner sa vie au
jeu. C'est un des mythes qui circulaient dans son milieu social : le
jeune homme prodigue qui gagne sa vie au jeu, sans effort, parce qu'il
a la "baraca". Il a rêvé de cela à en devenir malade. Il a essayé des
martingales au casino, sans succès bien sûr. Il a fini par trouver un
travail et est devenu patron d'une petite entreprise, avec des rentrées
d'argent honnêtes. Cela lui a en quelque sorte permis de réaliser son
rêve : gagner sa vie au jeu... Tout est faux et honteux mais il a
l'abstraction d'esprit nécessaire pour vivre des moments enchantés
devant ses machines à sous. Quand il fait un gros gain, il en frétille
de joie rentrée. "Hi hi, je les pille littéralement ! Peut-être
vont-ils me demander de partir mais il faut au moins d'abord qu'ils me
payent mon gain !". Le tenancier du café n'a certainement aucune envie
de lui demander de partir puisqu'en un an de jeu mon ami lui a
peut-être payé de quoi refaire la décoration du café... Mon ami ne fait
rien d'illégal et il n'est pas le mauvais bougre avec ses employés. A
une autre échelle, un problème planétaire sont les chefs d'entreprise
et directeurs de multinationales qui jouent l'argent de leur entreprise
en Bourse. Ils investissent l'argent de leurs employés dans la
concurrence. Ils ont des rêves mirobolants de gains fabuleux et ne se
soucient pas de leurs employés, de leurs familles... Un très petits
nombre de groupes ou de personnes s'enrichissent démesurément dans ce
système. Toujours les mêmes. Ils font beaucoup de publicité pour leur
gagne-caviar. Ils font rêver les plus petits qu'eux, les poussent à
perdre plus d'argent. Globalement tout le monde y perd. Dans ces jeux
de Bourse, une bonne part des ressources en matières premières et en
nourriture sont virtuellement jetées à la poubelle. Des entreprises
rentables sont dynamitées. Dans la sphère familiale aussi ce
comportement peut se retrouver. Par exemple chez ces parents qui
amassent une petite fortune en banque pour leurs enfants mais qui ne
leur achètent pas de livres, leur donnent de la nourriture bon-marché
et ne leurs permettent pas de voyager.
Une illusion est que tous les outils se valent. Certaines personnes
croient qu'il suffit d'apprendre à se servir d'un outil pour en tirer
le meilleur parti. Si un outil permet de faire une chose, il suffit
d'apprendre à s'en servir et on pourra faire ce qu'on veut avec. Rien
n'est plus faux. En informatique par exemple, si on compare deux
systèmes logiciels, on peut constater que sur papier qu'ils permettent
en gros de faire la même chose. A l'usage ils peuvent pourtant être
complètement différents. L'un demandera des mois d'apprentissage et ne
permettra jamais de travailler proprement. Il faudra des semaines de
travail pour vaguement ficeler quelque chose avec. L'autre s'apprend en
deux semaines et de là on peut produire d'excellentes choses à la
chaîne. Certains chefs d'entreprise sont obtus à la chose. Ils imposent
à leurs employés d'utiliser un mauvais système. Ils leur disent : "Oui
ou non y a-t-il moyen de votre travail avec cet outil ? Alors apprenez
à l'utiliser et mettez-vous au travail !". J'ai vu le cas sordide d'un
chef d'entreprise à qui ses employés essayaient désespérément de faire
comprendre que leur outil était inutilisable. Il se faisait conseiller
par un professeur d'informatique, qui lui disait avec ostentation que
c'est l'outil approprié. L'entreprise a fait faillite... A l'autre
extrême il y a les personnes à la recherche de "l'outil ultime". S'ils
n'arrivent pas à produire des résultats, c'est parce qu'ils n'ont pas
encore trouvé le bon outil... Ils en ont déjà achetés ou empruntés
plusieurs, chaque fois en prétendant que ce serait le bon. Quand ils
ont dépensé tout leur argent à acheter des outils, ils certifient que
le bon outil est cette merveille qu'ils voient en vitrine, hélas trop
chère pour eux... J'ai déjà vu une personne compétente débarquer chez
un tel rêveur, lui demander à pouvoir utiliser un de ces "mauvais"
outils et en tirer en quelques minutes des choses merveilleuses. Cela
ne touche pas le rêveur. Il persiste à dire que tous les problèmes
viennent du fait qu'il lui manque le bon outil. La bonne attitude est
d'apprendre à se servir des outils. Alors on devient capable de juger
un outil pour ce qu'il vaut et d'utiliser chaque outil pour ce à quoi
il est bon. Un bon artisan sait scier avec une lime et limer avec une
scie mais il préférera utiliser une scie pour scier et une lime pour
limer. Il écartera d'emblée les mauvaises limes et les mauvaises scies.
Un travers qui apparaît chez certains groupes de personnes peu
cultivées est de croire que le chef doit être infaillible. Le chef
lui-même le croît et en conçoit une profonde angoisse. Il s'ensuit tout
un jeu de réécriture de l'histoire, d'assassinats réels ou virtuels...
En particulier dans ces groupes ont tend à ne plus rien faire, à rendre
les choses immuables. Le chef n'ayant plus de décisions à prendre, il
ne peut donc plus non plus se tromper. Il ne reste alors que des jeux
de domination et de hiérarchie. C'est par exemple ainsi que des
facultés universitaires entières se vident de sens. Il n'y circule
presque plus aucun savoir et les étudiants se font maltraiter. Un
étudiant ne réussira que dans la mesure où il assure la position des
professeurs dominants, donc qu'il croit ou fait semblant de croire à
leur infaillibilité.
Il y a beaucoup de raisons pour lesquelles un enfant peut bien
travailler à l'école. Il y a des matières qui conviennent naturellement
à la façon dont son cerveau travaille, il les retient donc sans faire
d'efforts. Certains enfants prennent l'école comme un jeu et obtiennent
des points par amusement. Dans ce cas ils peuvent même préférer les
matières dans lesquelles ils ont plus de difficultés, parce qu'elles
permettent un jeu plus intense. Certains enfants ont des rêves, des
objectifs. Ils considèrent l'école comme un moyen de les réaliser et
s'en trouvent motivés pour bien travailler. D'une façon générale, les
enfants à qui on a appris à travailler pour l'école obtiennent de
meilleurs résultats, parce que leurs cerveaux ont les leviers en main
et voient ce qu'il y a à voir. Ils évitent les efforts inutiles. Le
cerveau s'applique toujours mieux quand il à l'impression de comprendre
les règles du jeu et qu'il sent qu'il fournit des efforts ordonnés et
rentables. Un des moteurs principaux pour les enfants reste l'idée de
faire plaisir à leurs parents. Quand des parents sont câlins et
s'occupent de leurs enfants, les enfants acceptent très bien les ordres
et la discipline des parents. Surtout, ils ont une forte envie de leur
ramener de bons points de l'école, pour leur faire plaisir. J'ai vu des
enfants étudier avec passion, à la simple idée de la joie qu'une bonne
note allait bientôt procurer à leurs parents. On n'a pas besoin de dire
à ces enfants-là qu'ils doivent travailler pour l'école. Il faut juste
les consoler quand ils ont une mauvaise note. Un adolescents de mes
amis a hélas des parents qui se contentent de crier et de menacer. Ils
ne lui donnent pas de temps, aucun câlin. Ils se montrent même
offusqués à cette idée. Ils lui donnent beaucoup d'argent de poche.
J'ai demandé à cet adolescents s'il préférerait moins d'argent de poche
et plus de tendresse, il est inutile que je donne sa réponse. Il a de
mauvais points à l'école. Il est pourtant très intelligent. Il a
développé un blocage à l'idée d'avoir de bons points. Son problème est
que s'il a de bons points, ses parents diront que c'est grâce à leurs
méthodes autoritaires. C'est une image de lui-même qu'il ne peut
accepter, qu'il n'acceptera jamais. Pour lui, c'est une question de
dignité que d'avoir de mauvais points. Je lui ai expliqué qu'il se
mettait dans un cercle vicieux : plus il a de mauvais points, plus il
permet à ses parents de justifier des punitions et des mauvais
traitements à son égard. Rien n'y a fait. Il avait un dégoût à l'idée
d'avoir de bons points. Je lui ai alors proposé la stratégie suivante,
qui semble l'avoir intéressé. Je lui ai proposé de simplement expliquer
aux personnes autour de lui sa situation, la façon dont ses parents le
traitent. Ainsi, ces personnes sauront que s'il a de bons points ce
n'est pas grâce à ses parents. Cela résout son problème... Je lui ai
même proposé de dédier ses points aux personnes qui lui donnent de
l'affection, de leur dire qu'il a eu un bonne note en Français ou en
Mathématiques pour elles et pas pour ses parents. Plus tard, quand il
sera plus fort et capable d'affronter ses parents, il pourra leur dire
cela en face...
Dans une vraie famille, les enfants reçoivent tout le temps des câlins.
Il y a le câlin s'asseoir l'un contre l'autre pour lire une histoire
ensemble, le câlin mettre les têtes à la même hauteur et passer la main
dans le cheveux pour écouter l'enfant, le câlin prendre sur les genoux
pour expliquer qu'une chose n'est pas bien, le câlin sandwich entre les
deux parents pour fusionner, le câlin serrer très fort et faire une
grosse poutoune pour exprimer son enthousiasme, le câlin dormir
ensemble quand il y a de l'orage et du tonnerre dehors, le câlin va
méditer cinq minutes... Ces câlins
sont primordiaux pour le développement de l'enfant, en particulier dans
la petite enfance. Il permettent à l'enfant de sentir qu'il existe et
qui il est. Cela lui permet d'accepter sa place dans la société, de
réclamer ce qui lui est dû et de donner ce qu'il est bon qu'il donne.
Cela lui permet d'accepter les injonctions à faire des efforts et le
respect des règles. Il pourra avoir une vie heureuse. Dans certaines
familles les enfants ne reçoivent
pas de câlins, ou très peu, ou des câlins de façade. A la place ils
reçoivent des leçons de morale, des punitions méchantes ou beaucoup
d'argent de poche. Souvent, dans ces familles, on apprend aux enfants à
mépriser leur prochain. En grandissant, ces enfants vont aller vers un
extrême ou l'autre. Un extrême est une fermeture sur soi. Cela donne
des personnes égoïstes, insensibles, très imbues de leurs privilèges.
Elles votent typiquement pour l'extrême droite. L'autre extrême sont
des personnes qui ont l'impression de n'avoir aucune valeur. Elles
feront des efforts démesurés, souvent totalement creux, pour amener les
autres à les aimer. Elles sont incapables de voir comment pensent les
autres. Elles ne peuvent pas simplement s'asseoir et aimer et se
laisser aimer. La société occidentale est construite sur l'interaction
entre ces deux extrêmes. Les personnes égoïstes prennent le pouvoir et
essayent de drainer un maximum d'argent et de moyens vers elles. Les
personnes qui croient n'avoir aucune valeur, quant à elles, travaillent
comme des bêtes en espérant recevoir un peu d'affection des personnes
égoïstes. Schématiquement, c'est le rapport entre un maquereau et une
prostituée. Le maquereau ne voit que son bénéfice en fin de journée. La
prostituée, elle, est folle amoureuse de son maquereau, au point
d'avoir accepté de se prostituer pour lui. C'est ce couple infernal qui
est parti à la conquête du monde et a ravagé toutes les civilisations
rencontrées. La quantité de travail et de sacrifices que les européens
ont consentis pour coloniser la Planète sont gigantesques. Les
bénéfices engrangés ont été colossaux mais aussitôt dépensés et
gaspillés par les égoïstes.
Jouer avec les images d'autrui est un art. Dans ma ville il y a des
centres de formation pour chômeurs. La majorité des personnes qui y
travaillent font très bien leur travail. Mais un professeur est une
vraie calamité. Ses cours consistent à s'asseoir négligemment sur une
table et raconter ses mérites. Il fascine les trois quarts de
l'auditoire et désespère les autres. Il a instauré un examen d'entrée
pour sélectionner les personnes qui seront autorisées à son cours. J'ai
lu ces questions. Bien que je sois expert dans cette matière j'aurais
été incapable de répondre. Elles portaient sur des détails techniques
très précis et totalement inutiles. Ce professeur donne les réponses
aux questions à l'avance, aux personnes qui lui plaisent... Il a tout
organisé pour avoir la vie facile et se faire vénérer. Vous obtenez
votre diplôme si vous avez joué son jeu. Une autre technique,
rencontrée à l'université, consiste à donner un très grand nombre
d'exercices à faire aux examens. Les étudiants n'ont que deux heures
pour faire une dizaine d'exercices alors qu'il me faudrait ces mêmes
deux heures pour résoudre un seul de ces exercices. A priori, il est
évident qu'une personne capable de résoudre dix pareils exercices en
deux petites heures n'est pas n'importe qui. Les professeurs jouent
là-dessus pour impressionner les étudiants. "Comment, vous n'avez pas
été capable de résoudre ces dix petits exercices ? Mais untel et untel,
eux, ils y sont arrivés...". Les étudiants qui réussissent bien ces
examens sont vénéres par les autres. Tout cela est un montage. Dans ma
vie professionnelle je n'ai jamais rencontré un seul cas où un
ingénieur, un physicien ou un chimiste ait été tenu de résoudre un
aussi grand nombre de problèmes en aussi peu de temps. Ou de résoudre
un seul problème en cinq minutes. Cela arrive peut-être à l'armée ou
dans certaines industries où il y a des activités dangereuses. Mais
pour 99% des universitaires cela ne sert à rien. Je serais très
favorable à ce qu'on fasse des concours de rapidité dans les
universités et que l'on donne une mention spéciale aux étudiants qui en
sont capables. Mais empêcher de réussir ceux qui n'y arrivent pas,
c'est absurde. Le rôle d'un universitaire est de comprendre les choses,
pas d'abattre dix exercices en deux heures. De surcroît ces exercices
sont téléphonés. Ils sont simplement des réarrangements des exercices
vus aux cours. Etre capable de faire ces exercices rapidement ne prouve
en rien que vous serez capable de trouver et de calculer rapidement la
solution à un problème inattendu dans une usine en alerte. Ce système
d'examens a trois avantages : il demande peu de travail aux professeurs
et à leurs assistants, il impressionne les petits étudiants et il
sélectionne les étudiants qui se consacrent aveuglément aux cours. Il
force les étudiants à s'entraîner à faire des exercices toute la
journée. Si vous êtes un étudiant qui s'intéresse aux choses, qui
cherche d'abord à comprendre les cours, à les situer par rapport aux
autres cours, qui lit des livres et des publications, qui fait des
expériences de physique ou de chimie par lui-même, qui discute de
Science avec d'autres... vous serez fortement désavantagé aux examens.
Les professeurs cherchent à éliminer ce type d'étudiant. Ils veulent
des étudiants qui savent frimer, qui savent faire semblant d'être des
scientifiques. Ils ont très peur des étudiants qui sont de vrais
scientifiques. J'ai beaucoup d'amis qui sont des professionnels
capables et qui ont poussé leurs études universitaires jusqu'au bout.
Tous affirment que la quasi totalité des professeurs ont un
niveau très bas. Certains le disent avec diplomatie, d'autres les
traitent expressément de "minables". Les professeurs ont très peur de
cela et cherchent dès le début des études à éliminer un maximum de ces
étudiants compétents. D'un autre côté ils ne veulent pas non plus des
étudiants qui auraient l'air trop mauvais. Ils mettent en place des
mécanismes qui sélectionnent leur modèle d'étudiant favoris : des
étudiants qui plaisent en public et qui sont capables d'abattre des
travaux simples.
Quand on désire quelque chose, que ce soit un objet ou une personne, il
faut se demander si on désire cette chose elle-même ou si on désire ce
qu'on croit qu'elle représente. Par exemple on peut se marier avec une
personne parce qu'on croit qu'elle représente l'amour ou le bonheur.
C'est voué à l'échec. L'amour ou le bonheur sont des choses qu'il faut
développer en soi. On se marie avec une personne parce qu'on a appris à
connaître cette personne et qu'on a des sentiments forts pour elle.
Cela peut donner du bonheur mais ce n'est pas le bonheur en soi. De
même, une personne jalouse est une personne à laquelle il manque
quelque chose à son image d'elle-même. Réussir à obtenir l'objet de sa
convoitise ne la satisfera pas. Elle voudra immédiatement un deuxième
ou un troisième objet. Elle ne sera apaisée que quand elle aura réussi
à développer en elle-même ce que ces objets représentent pour elle. La
Société de Consommation joue là-dessus : les personnes qui ont un
niveau spirituel faible seront promptes à sans cesse acquérir des
objets. Elles ont une soif insatiable, alors qu'un moine qui ne possède
rien de matériel peut se trouver trop riche de milles choses.
Nous préférons parfois être confronté à l'image d'une chose qu'à cette
chose elle-même. Par exemple une souris sauvage mise en cage peut être
amicale avec votre main si elle est placée contre la cage, à
l'extérieur. Elle se sentira particulièrement à l'aise si la parois de
la cage est une vitre en plastique. Eventuellement elle aimera avoir de
petits trous dans la vitre pour sentir l'odeur. Elle viendra dire
bonjour à votre main, fera des risettes... Par contre si vous plongez
la main dans sa cage, la souris sera paniquée ou agressive. De même,
les jeunes hommes préfèrent parfois voir des filles en images plutôt
que d'être confrontés à de vraies filles.
Un ami m'a raconté un conflit d'image dans son entreprise. Les cadres
de l'entreprise ont décidé de sous-traiter une partie d'un travail à
une firme réputée. Problème : cette firme fait tout de travers et de
surcroît livre en retard.
Résultat : les techniciens de l'entreprise ont dû tout faire eux-mêmes,
en heures supplémentaires. Les cadres de l'entreprise décident pourtant
de payer la firme, sans discuter. Il s'agit d'une très grosse somme.
Mieux : ils ont signé un deuxième contrat avec la firme. D'après mon
ami, son entreprise jette ainsi son argent par les fenêtres pour donner
une bonne image d'elle-même : elle sous-traite à des firmes de luxe,
elle paye rubis sur l'ongle et il n'y a jamais de problèmes... Le gros
problème là-dedans, c'est qu'en même temps l'entreprise vient de
décider une baisse du salaire de ses techniciens. On jette l'argent par
les fenêtres et on demande aux techniciens de se serrer la ceinture...
avec des heures supplémentaires en sus. D'après mon ami les techniciens
le prennent très mal. Il sent qu'ils vont "moins prendre à coeur les
inétrêts de l'entreprise".
Dans une grande usine
sidérurgique un travail d'envergure a été confié à une équipe
d'ouvriers. Il sagissait de construire un arbre de transmission pour un
navire géant. C'est un travail difficile, qui demande beaucoup
d'expertise. Les ouvriers ont vraiment dû "s'y mettre". Ils ont réussi
leur mission et dans les temps. Des représentants du client ont
débarqué et ont fait des mesures sur l'arbre, pour vérifier s'il était
conforme au cahier des charges. Il l'était, et même très bien. Les
ouvriers avaient fait un travail remarquable. L'arbre a été payé. Puis
un ordre simple est venu : "découpez l'arbre en tranches et revendez
les morceaux au prix du kilo de ferraille". Pourquoi ? Parce que le
client avait demandé à trois usines sidérurgiques différentes de
construire le même arbre. Ils avaient pris le meilleur des trois. Le
problème, c'est qu'on a fait découper l'arbre en morceaux par les
ouvriers-mêmes qui l'avaient construit. C'est inhumain. Il fallait soit
refuser de le détruire et le revendre à un autre client, soit au moins
le faire détruire par une autre équipe d'ouvriers, dans une usine
différente...
Les occidentaux croient que pour être heureux, donc pour avoir une
bonne image de soi, il faut être beau et en pleine forme. Ils croient
également qu'il faut réunir autour de soi de telles personnes belles et
en pleine forme. C'est une réflexe infantile, qu'on leur a inculqué
pour mieux les manipuler. Pourquoi ressentons-nous du bonheur ? Plus
précisément : pourquoi la Nature nous a-t-elle ainsi conçus que nous
puissions ressentir du bonheur ? Le bonheur est une sorte de salaire
qui nous est versé pour accepter des choses. Par exemple une lionne
ressent du bonheur à l'idée de s'occuper de ses lionceaux, plus de
bonheur qu'à l'idée de les manger pour se nourrir. C'est ce qui assure
que cette lionne aura une descendance. De même, nous ressentons du
bonheur si nous acceptons quelqu'un qui a un handicap ou une tare
quelconque. Si nous n'acceptions que des personnes parfaites, nous ne
pourrions pas constituer de groupe et nous ne nous accepterions même
pas nous-mêmes. La nature nous rend donc heureux d'accepter des
personnes imparfaites, ce qui nous permet de constituer un groupe
capable de défendre chaque membre du groupe. On se moque parfois des
personnes qui sont fascinées par les handicaps ou les malformations,
qui éprouvent une attirance ou de l'amour pour cela. On les qualifie
même de pervers. En réalité c'est le contraire : ce sont ces personnes
qui sont normales, naturelles. Evidemment il ne faut tomber dans
l'excès contraire. Ce n'est pas en recherchant spécifiquement les
personnes estropiées que l'on deviendra heureux. Il faut garder en tête
le but premier de la Nature : constituer un groupe ou une famille
capable de défendre chacun de ses membres. Si on s'estropie en espérant
être aimé, on risque fort d'être rejetté. Par contre une personne même
gravement malade ou handicapée peut être acceptée. Soit parce qu'elle
peut guérir et redevenir utile, soit parce même diminuée elle peut
rendre des services, quels qu'ils soient. Il ne faut pas chercher de
raisonnement ou de structure précise derrière cela. Simplement, nous
sommes génétiquement programmés pour ressentir du bonheur si nous
acceptons une personne telle qu'elle est, avec ses particularités et
ses handicaps.
Certaines personnes considèrent qu'acheter un objet leur donne des
droits. Par exemple si elles achètent un 4x4, elles considèrent
que cela leur donne le droit de défoncer les sentiers protégés dans la
nature. Il
s'agit réellement d'un sentiment de droit, comme la redevance
que l'on paye à un club et qui donne le droit d'utiliser les tables
de billard du club. Si on veut faire respecter les règlement et leur
interdire le passage dans les sentiers protégés, ces personnes se
fâcheront et
feront par exemple valoir le prix que leur a couté le 4x4. Elles font
un
amalgamme entre la Société de Consommation et la Protection de la
Nature.
J'ai vu ce problème se poser dans un cas aussi simple qu'un ballon
avec lequel un enfant joue. L'enfant invente une façon de jouer
particulièrement dérangeante pour des voisins. Les voisins se sont
plaints.
La mère de l'enfant leur a répondu qu'elle avait payé ce ballon
5 € et qu'elle comptait bien en avoir pour son argent...
Quand elle avait cinq ans, une amie rêvait d'aller à l'école. Sa mère
lui a laissé croire qu'elle y irait à la rentrée prochaine. Le jour de
la rentrée, quand les aînés de la famille se sont mis dans les rangs à
l'école, elle les a suivis, convaincue qu'elle rentrait à l'école avec
eux. Sa mère à rigolé et l'a tirée par le bras pour la ramener à la
maison. A trente ans elle vivait encore ce souvenir comme un
traumatisme. Sa mère lui avait laissé miroiter une certaine image
d'elle-même et l'avait brisée d'un éclat de rire. Cette amie a su toute
son enfance qu'elle ne pouvait pas faire confiance à sa mère. Ladite
mère n'a pas manqué de le lui confirmer au fil des ans. C'était une
personne immature, très irritée pour ses petits avantages mais
insensible à la douleur d'autrui.
Des bibelots sont chargés de souvenirs. En général ils ont une forme
qui rappelle ce dont quoi ils sont le souvenir. Un objet peut aussi
être chargé de souvenirs sans avoir aucun rapport avec eux. De la
musique également. J'ai appris à jouer à un jeu vidéo assez dur en
écoutant très souvent le même CD de musique. Plusieurs années après, en
réécoutant ce CD j'éprouve à nouveau les tensions et l'état d'esprit
particulier que j'avais en jouant à ce jeu. Une autre anecdote est plus
intéressante encore : quand j'emprunte un film sur DVD j'en fais une
copie dans mon disque dur. Cela me permet de rendre le DVD
immédiatement. J'efface bien entendu le film de mon disque dur après
quelques jours, au plus tard quelques semaines, sans en faire de copie.
A un moment donné j'ai eu de graves problèmes de voisinage, qui m'ont
plongé dans un stress et des angoisses assez douloureux. Un palliatif
que j'avais trouvé était de regarder quelques films. Je me les
repassais presque en boucle. Quand les problèmes se sont résolus, je me
suis rendu compte que regarder ces films me rappelait les angoisses de
la mauvaise période. Au point que les regarder était franchement
désagréable. Ces films étaient devenus chargés de mes angoisses. En les
effaçant de mon disque dur j'ai éprouvé un véritable soulagement. On
peut transférer des problèmes ou des angoisses dans un objet puis les
détruire en détruisant cet objet. Je suppose que la destruction
efficace de l'objet ne peut se faire que quand le problème a évolué et
atteint le degré de mûrissement nécessaire.
C'est curieux : une connaissance (ce ne peut être un ami) vous propose
quelque chose. Vous n'en avez pas besoin et vous refusez donc poliment.
Elle insiste, elle veut absolument vous donner cette chose. Elle vous
en vante les mérites, elle vous supplierait presque d'en avoir besoin.
Le lendemain, il se passe quelque chose d'inattendu qui vous donne
besoin de la chose. Vous allez donc trouver la personne et vous la lui
demandez. Elle refuse. Pourquoi cette attitude exactement contraire
d'un jour à l'autre. En réalité il s'agit de la même attitude : le
besoin de représenter quelque chose, d'avoir une utilité. Le premier
jour, la personne vous supplie d'accepter son bidule, pour pouvoir se
sentir utile. Le deuxième jour, c'est en vous refusant le bidule
qu'elle sent le mieux combien vous avez besoin d'elle.
Dans les vrais couples, chacun des deux s'intéresse à ce que l'autre
pense, à ce qu'il voudrait, à sa façon de voir les choses. Cela ne veut
pas dire qu'il y adhère ni qu'il va le réaliser. Mais il en tient
compte. Dans ces couples, un désaccord complet n'est souvent pas un
problème. La seule chose que chacun demande est que l'autre ait compris
son point de vue. Qu'il agisse ou non en fonction est secondaire. Un
acte d'amour consiste à demander à l'autre d'exposer son point de vue
en détail même si on sait qu'on ne pourra pas en tenir compte. Dans les
faux couple, chacun se bat pour imposer son point de vue à l'autre.
Cela va jusqu'à choisir exprès un point de vue opposé. Ce chacun veut
dans un faux couple est amener l'autre à lui, au lieu d'aller vers lui.
Un ami vivait avec sa petite amie depuis de nombreuses années. Ils sont
étudiants et pauvres. C'est la galère. Il leur faut parfois chercher
des heures entières pour trouver de quoi payer un ticket de bus. Mais
dans quelques mois mon ami terminait ses études. Il avait déjà une
place qui l'attendait, très bien payée. Il était heureux d'en parler
avec son amie. Surprise : elle devient aigrie. Elle se fâche, elle
menace de le quitter. Certes elle a de bonne raisons d'être mal dans sa
peau. Outre leur pauvreté et leur vie difficile, il passe beaucoup de
temps loin d'elle. Il est obligé de faire des stages de fin d'études.
Mais il ne comprend pas : c'est le bout du tunnel... Encore quelques
mois à attendre... Il faut tenir jusque là... Pourquoi choisit-elle ce
moment-là pour menacer de tout casser et partir ? Alors qu'elle avait
tout supporté pendant des années ? Je lui ai proposé l'explication
suivante, qui après coup semble être la bonne. Son amie se rend compte
qu'il va devenir un homme respecté. Il va fréquenter des gens
importants. Par rapport à ces gens, elle n'est rien du tout. Elle est
une petite souris. Cela la met très mal à l'aise. J'ai donc suggéré à
mon ami de donner une image d'elle-même plus concrète à son amie. En un
mot : lui faire des déclarations. Il faut qu'il lui dise qu'il a
travaillé toutes ces années pour elle et que cela ne l'intéresse pas de
profiter des avantages s'il ne peut pas en profiter avec elle. Il n'est
rien si elle n'est pas avec lui... C'est bien ainsi qu'il ressent les
choses, mais il ne le lui avait jamais dit... Maintenant qu'il le lui a
dit, elle sait qu'elle est quelqu'un. Quand elle rencontrera les
nouvelles relations de son homme, certes elle n'aura pas leur
intelligence, leur conversation et leurs diplômes, mais elle aura une
chose qu'ils ne peuvent pas avoir : lui. Elle est sa femme, ce qui la
place à une position enviable. Ainsi dotée de cette image valorisante,
elle se sent bien dans sa peau et il n'y a plus eu de problèmes.
Une amie a de gros problèmes avec son ami. Il passe son temps à répéter
autour de lui tout ce qu'il sait d'elle. En plus il déforme les choses.
Il cause de gros dégâts. Beaucoup de personnes sont maintenant fâchée
contre mon amie, à cause de ce qu'ils ont entendu. Parfois à raison, le
plus souvent à tort. Cet ami est un gros nul. Chaque fois qu'il faut
prendre des responsabilités il recule et il s'en vante. Il devient
agressif et méprisant. Le reste du temps, il se construit un personnage
en "prouvant" à tout le monde qu'il est bien l'ami de mon amie. En
racontant tout de la vie de mon amie aux autres, même des détails
intimes, il "prouve" qu'elle lui appartient. Il construit son identité
"d'ami". A cause de lui beaucoup de personnes se sont éloignées de mon
amie. Elle est donc d'autant plus à lui. Il tourne autour d'elle pour
l'enlacer de ses fils de soie tout en faisant fuir tout le monde par la
puanteur qui se dégage maintenant d'eux. Cette personne a un problème
psychiatrique grave. Un âge mental de six ans, une absence froide de
morale ou de scrupules, une bêtise empreinte de petits traits de génie
aveugles et malfaisants... J'ai vu un tel comportement chez plusieurs
parents aussi, qui dénigrent leurs enfants, racontent tout d'eux y
compris des détails intimes, à leurs camarades, au reste de la
famille... Ils obtiennent ainsi que leurs enfants perdent le statut
d'êtres humains. On se moque d'eux, on éclate de rire s'ils demandent
de l'aide... Chez un couple de tels parents j'ai même compris qu'ils
considèrent cela comme de la légitime défense. Leur enfant est un
gentil garçon qui ne demande qu'à être aimé. Mais dans la tête de ses
parents il est une menace, une chose insoutenable, tout en étant leur
propriété. Ils estiment avoir le droit de faire de lui ce qu'ils
veulent.
La sagesse
Comparaison n'est pas raison. Le sage ne compare pas son image
à celle d'un autre pour en déduire une hiérarchie. Il n'est
jaloux de personne. S'il contemple l'image d'un autre, c'est
pour des raisons utilitaires constructives.
Il faut des garde-fous, des protections, des tampons. Une
image de soi solide ne peut changer que lentement. Faites
attention à cela quand vous dites quelque chose à quelqu'un :
il est normal qu'il évolue lentement, votre remarque ne peut pas
porter immédiatement ses fruits. (Les maîtres peuvent
comprendre tout de suite en quoi leur image va changer, puis
intègrent ce changement sur une période assez courte.)
Celui qui est libre est celui qui a les moyens de décider/sculpter
lui-même son image de soi. Il a besoin des
autres pour le faire, du monde entier, mais il reste seul décideur.
Le sage tend à avoir une image de soi appropriée aux circonstances. Il
s'adapte. Mais il a aussi une image de soi unique, synthèse abstraite
de toutes les images de soi, qui le définit en tout temps, à tout
endroit et face à toute autre personne. Cette sur-image prime sur
toutes les images de circonstance. Elle n'est sensée être teintée
d'aucune idéologie, d'aucun drapeau, d'aucune appartenance.
Le sage est prêt à redéfinir son image de soi. Quelle que soit l'image
de soi que l'on ait, donc les choses que l'on fait dans la vie, il peut
toujours arriver un moment où cela devient inadéquat. Ou bien cela a
toujours été inadéquat, et on s'en rend compte. Prenons par exemple le
cas de quelqu'un qui a pris sous son aile une personne faible et
fragile. Après quelques temps, peut-être grâce à la protection reçue,
cette personne a acquit de la force et du savoir. Il n'est donc plus
nécessaire de la protéger. Au contraire, il vaut maintenant mieux
l'encourager à aller de l'avant. Il faut donc cesser d'être un
protecteur et devenir un support. Tout le monde n'est pas capable de
faire cela. Beaucoup de protecteurs immatures, quand l'oisillon menace
de grandir, vont le casser psychologiquement ou compromettre ses
chances de succès. Pour qu'il reste un oisillon, pour que le protecteur
garde son statut de protecteur. Une personne aimante acceptera au
contraire la modification de statut et la favorisera. Il peut sembler
naturel de faire cela, en pratique c'est souvent très dur, associé à
une souffrance. Car cesser d'avoir une image de soi de protecteur,
c'est tuer ce qu'on est, c'est renoncer à le faire vivre. Le sage
accepte ce sacrifice, par amour. Et puis aussi il sait que souvent il
renaîtra, différent, sans doute meilleur encore. Par exemple avec une
image de soi d'encourageur, de promoteur, de supporter... Il y a un
très grand nombre de cas où l'on peut ou doit accepter de mourir et de
renaître. On peut être un bandit qui se croyait Robin des Bois,
comprendre qu'on a causé beaucoup de malheurs et désirer renaître
honnête travailleur... La Passion du Christ est un symbole de ce
processus de mort et de Résurrection. Dans la philosophie Alchimiste,
héritée de la Chine Antique, le processus est décrit très en
profondeur. Les longues phases traversées par la personne en mutation
sont minutieusement décrites, de façon symbolique. Parfois ce processus
peut prendre des années.
L'ami du sage est celui qui le critique.
Le sage sait que rien n'est intrinsèquement impur et que tout peut être
nécessaire à toutes choses. Il amène donc toutes choses à lui, mais
travaille longuement à en tisser des ensembles cohérents, efficaces,
utiles. Une des phases les plus importantes est le choix judicieux de
la quantité de chaque chose : la pondération. Un sage est une grande
bibliothèque parsemée de machines qui ronronnent doucement.
L'efficacité de cet ensemble dans le vie pratique est sensée être
extraordinaire. Le sage est capable de faire des choses.
Il n'y a plus de problèmes dès l'instant où les images ont été
énoncées, qu'elles ont été officialisées et perçues par tous. Prenons
par exemple une personne qui a un handicap et qui parle difficilement.
Ou une personne surdouée qui s'exprime dans des termes que personne ne
comprend. Tous deux ont un problème de communication. Tous deux vont
énerver leurs interlocuteurs, peut-être les fâcher. Si on explique à
ces interlocuteurs la raison du problème, si on leur dit ce que ces
deux personnes sont, alors ils ne s'énerveront plus. Ils prendront le
temps d'écouter la personne handicapée et diront au surdoué de se
calmer un peu. On pense parfois qu'il ne faut pas dire qu'une personne
est handicapée, parce que c'est humiliant. Ou qu'il ne faut pas dire
qu'une personne est surdouée, parce qu'elle sera rejetée ou vénérée ce
qui revient au même. C'est idiot. Bien sûr ces problèmes existent, mais
uniquement avec les personnes qui ont des problèmes d'éducation. De
toute façon, tout le monde finira bien par se rendre compte que le
handicapé est handicapé et le surdoué est surdoué. Mais si cela n'a pas
été dit, énoncé, il subsistera toujours un problème, un inconfort. Que
l'on soit handicapé ou surdoué n'est pas la question. Ce qui compte,
c'est d'être un personne et avoir l'affection des autres personnes
parmi les autres personnes. Le vrai privilège est là. Cela implique
d'être reconnu pour ce que l'on est et de recevoir ce dont on a besoin.
Alors on est ni mieux ni moins bien qu'un autre. On est. On fait ce
qu'on a à faire.
On agit suivant l'image qu'on est. Améliorer et connaître cette image
est donc primordial. Mais trop de personnes restent prisonnières de
cette image. Elles sont comme piégées à l'intérieur. Elles vivent cette
image mais elles ne la voient pas. Elles souffrent si quelqu'un
critique une partie de cette image, comme une personne dont on a heurté
une partie du corps. Le sage, lui, est capable de contempler son image
de soi. Il peut devenir comme une personne externe, qui regarde
calmement cette image, qui en voit les parties et les liens. Il peut
donc gérer cette image avec beaucoup plus d'intelligence. Il souffre
aussi beaucoup moins quand cette image est attaquée. Par exemple, le
sage est capable de plaisanter sur ce qu'il est, il est capable d'en
rire. On se moque parfois d'un nouveau venu. C'est souvent uniquement
pour voir si c'est un sage ou non. Si c'est un sage, il surenchérira
sur la plaisanterie, il en rira plus fort encore. Si ce n'est pas un
sage, il sera vexé et blessé.
Que ce soient deux individus ou deux ethnies, chacun a son image de soi
et des choses. Cela pose des problèmes quand ces deux individus ou ces
deux ethnies sont obligés de vivre sur le même territoire. Comment
concilier les actes et les ambitions de chacun dès lors que chacun
pense les choses suivant des images différentes ? Il y a en gros trois
gradations dans la confrontation. Au stade le plus bas il y a la
guerre. On ne supporte pas le point de vue de l'autre. Alors on le
force à partir ou on le détruit. On peut aussi le réduire en esclavage
ce qui est une façon plus productive de le détruire. Au deuxième stade
il y a les marchandages. On essaye de négocier, de s'arranger, de
partager les ressources de façon plus ou moins équilibrée. Chacun
présente ses arguments et dit ses priorités. On essaye de trouver le
terrain d'entente le moins mauvais possible. C'est le travail des
commerçants, des diplomates et des parlementaires. Pour que ce deuxième
stade soit possible, il faut un pays avec un bon enseignement, où l'on
apprend à parler et à calculer. Au troisième stade chacun essaye de
comprendre et surtout de ressentir quelles sont les rêves et les
émotions de l'autre. Chacun essaye de satisfaire au mieux les besoins
et les espoirs de l'autre. Ce troisième stade demande un niveau
culturel et spirituel très élevé.
On est parfois étonné de voir un sage imposer quelque chose de très dur
à une personne et cette personne l'accepter. Alors que venant d'autrui
elle ne l'aurait pas accepté. Une première raison est bien sûr que l'on
peut supposer que le sage sait ce qu'il fait. Soit il est juste de
faire ce qu'il fait, soit il y a un bénéfice à en escompter plus tard.
Il y a une autre raison à laquelle on pense moins : le sage sait et
ressent ce qu'il inflige à la personne. Il sait quelle sera la douleur
de la personne ou ses angoisses. La personne le sait et c'est pour
cette raison qu'elle l'accepte. Le sage a en lui l'image de ce que la
personne ressent. Autrui n'aurait pas eu cette image et aurait imposé
ses décisions sans tenir compte de ce que ressent le personne.
Les personnes pour lesquelles nous avons le plus de dépendance
affective sont celles qui nous comprennent, qui ont en elles une image
de nous-mêmes. Par exemple des parents peuvent avoir passé des années à
s'occuper d'un enfant. Si à l'adolescence ils cessent de comprendre
leur enfant, celui-ci considérera ses parents comme inintéressants voir
comme des ennemis, des personnes à éviter. Par contre il suivra sans
hésiter une personne qui ne lui donne rien mais qui le comprend. Le
Dalaï Lama est très aimé des tibétains alors qu'il ne leur donne rien.
Parce qu'ils savent qu'il les comprends, qu'il pense à eux et qu'il se
tient au courant de ce qui leur arrive. Un poète qui révèle des choses
que les gens sentent en eux, sera vénéré comme aucun chef d'état ne
pourrait l'être. Un chef d'armées qui sait parler à ses hommes et
réveiller en eux la pulsion du guerrier, pourra être aimé peut-être
autant qu'un poète.
Ce qui est inconnu attire. Cela recèle des choses que nous pourrions
ajouter à notre image de nous-mêmes. Cette attirance peut autant se
manifester par de la fascination et une envie irrépressible que par de
la peur et de la répugnance. L'inconnu engendre des sentiments
extrêmes. Le sage n'a pas ces sentiments extrêmes. Il a visité
l'inconnu, en personne ou par une poésie créée par un autre sage. Pour
lui ce n'est plus l'inconnu. Il comprend et ressent cet inconnu, il est
capable de dialoguer avec lui et de le vivre. Un sport national dans
beaucoup de milieux consiste à essayer de se faire passer pour un sage.
On dit de l'inconnu : "Oui oui je connais !". On croit savoir ce qu'est
l'inconnu. A cause de cela on engendre le mal. On prend des décisions
pour des choses que l'on ne connaît pas.
Le sage est prêt à la mort de toute chose. Il l'accepte. Cela lui
permet de vivre, de faire vivre et de laisser vivre. Si on n'accepte
pas la mort possible des choses, on passe son temps à trembler, on
commet des lâchetés. Si un époux n'accepte pas la mort possible de son
couple, c'est à dire la possibilité du divorce, la vie de ce couple
sera un enfer. Il y aura des tensions, des doutes, des menaces... Il
n'y aura pas de vraie vie de couple, le couple n'est pas vivant. Si la
possibilité du divorce est acceptée cela veut dire que l'on reconnaît
l'autre comme un individu à part entière, qui pourrait vivre seul.
Alors on peut vraiment s'intéresser à lui, on peut réellement l'aimer,
lui donner ce dont il a besoin, vivre une vraie vie de couple. On est
libre de ses idées et on offre cette liberté à l'autre. Si un parent
n'accepte pas la mort possible de son enfant il va enfermer cet enfant.
Cela causera de graves problèmes à l'enfant, qui peuvent le mener à la
maladie ou au suicide. Si le parent accepte la mort possible de
l'enfant, l'enfant pourra vivre. Le sage ne souhaite pas la mort. Il
fera tout pour éviter les morts que l'on ne désire pas. Mais il les
accepte. Il ne laissera pas un enfant faire des choses trop dangereuses
mais il respectera le besoin d'exploration de l'enfant. Accepter la
mort possible d'une chose et apprendre à aimer cette chose sont des
démarches liées. On apprend à la connaître pour l'aider à vivre. Si
elle meurt, on gardera des souvenirs. Ainsi elle ne disparaît pas
vraiment de notre image de nous-mêmes, elle reste vivante en nous. On
dit que les femmes recherchent des hommes qui n'ont plus peur de la
mort. Ce sont des hommes qui n'ont pas peur de vivre, qui ne
pleurnichent pas pour des bêtises. Devenir une personne qui craint
moins la mort n'est pas simple. Il y a des pièges. Certains en meurent.
Une femme peut être attirée par un rêveur ou par un drogué. Ils donnent
l'impression de ne pas avoir peur de la mort alors qu'au fond
d'eux-mêmes ils sont terrifiés.
Le sage est entraîné au mordant. "Entraîne au mordant" est un terme
qu'utilisent les éleveurs de chiens. Ils expliquent qu'il faut
apprendre à un chien à mordre. Quand le chien est petit il faut jouer
avec lui avec des objets qu'il peut mordre. Par exemple une vieille
serviette ou un anneau en plastique. Le chien mord dans l'objet d'un
côté et vous tirez de l'autre côté. Vous jouez ainsi avec le chien à
vous battre pour tirer l'objet. Plus tard il faut apprendre au chien à
attaquer, à se servir de sa gueule pour tenir un ennemi en respect. On
peut avoir l'impression que les éleveurs fabriquent ainsi des chiens
monstrueux, prêts à attaquer le premier enfant qui passe. C'est tout le
contraire. Ces chiens entraînés sont extrêmement fiables. Un enfant est
bien plus en sécurité à côté d'un tel chien que si le chien n'était pas
là. Un chien est génétiquement programmé pour protéger les personnes
autour de lui, en particulier les enfants. Mordre un enfant n'aurait
pas plus de sens pour lui que pour un garde du corps sortir son arme et
abattre son client. Par contre il s'imagine bien donner sa vie pour
sauver celle de son client. Ces chiens entraînés sont bien dans leur
peau parce qu'ils ont une image précise en tête de leur gueule et de
leurs dents. Ils savent que leur gueule est dangereuse et ils savent
l'utiliser avec mesure. Les chiens dangereux, ce sont ceux qui n'ont
pas d'image de leur gueule, qui n'ont pas appris à l'utiliser. Ces
chiens-là se sentent en danger, ils ne comprennent pas ce qui se passe
autour d'eux. Ils se sentent menacés et paniquent pour un rien. S'ils
mordent, ce sera de toutes leurs forces. Attention : certains chiens,
tout comme certains humains, ont des problèmes nerveux d'ordre médical.
Dans ces quelques rares cas, apprendre le mordant peut empirer la
situation. Mais ce sont des exceptions.
Un sage a en général un point de vue assez équilibré sur les choses. Il
comprend les rouages du monde et les contemple de façon placide. Les
autres personnes par contre voient le sage souvent de façons
extrémistes. Certains adorent le sage, parce qu'ils savent que lui seul
les comprend. D'autres au contraire sont effrayés par le fait que le
sage les comprends et le détestent.
Il est parfois étonnant de voir la facilité avec laquelle un sage
obtient des choses d'autrui. Il ne manipule pas, ne menace pas ni
n'essaye de corrompre... pourtant il obtient tout ce dont il a besoin
et avec le sourire. Une raison importante à cela est que le sage
demande en général des choses raisonnables et qui sont bonnes pour tout
le monde. Mais il faut chercher plus loin. Quand le sage s'adresse à
une personne, il a en lui un sourire pour cette personne. Il connaît,
au moins un peu, l'image de soi de son interlocuteur. Même
inconsciemment, la personne sent que le sage la comprend et la
respecte.
Conclusion
J'espère avoir réussi à montrer en quoi la construction de
l'image de soi est un mécanisme de base du cerveau. Il
sous-tend les événements les plus anodins de la vie tout comme
les plus importants. Nous agissons en fonction de l'image que
nous avons de nous-mêmes et nous essayons perpétuellement de
modifier cette image. Parfois nous la modifions avec sagesse,
parfois nous faisons n'importe quoi. Parfois nous négligeons
des choses qui auraient été très intéressantes.
Une compréhension des mécanismes de l'image de soi devrait
vous permettre d'éviter certains pièges et de comprendre des
situations apparemment illogiques.
Les images ont bon dos. Méfiez-vous des images que l'on vous donne ou
que vous vous donnez pour tel ou tel fait ou problème. Pour un même
fait concret peuvent être proposées des images très différentes.
Parfois certaines de ces images reviennent in fine au même. Parfois
elles sont complémentaires. Souvent elles sont fausses et induisent des
culpabilités ou des remèdes tout à fait déplacés. Essayez de trouver
des images qui collent réellement aux situations. Peu importe que ces
images soient poétiques, techniques, académiques, libres, répertoriées,
relatives ou sensitives. Ce qui compte est qu'elles aient un rapport au
moins indirect avec la réalité. Acceptez le fait que parfois on ne
trouve pas de bonnes images. Même si des images correspondent
raisonnablement bien à des faits, les conclusions que l'on peut en
tirer ne sont pas forcément bonnes. Parce que si l'on tient compte
d'images supplémentaires, plus larges, cela peut complètement changer
la perspective. Comparez les images que donnent des livres de physique,
chimie, médecine, psychologie, religion ou poésie, de lieux ou
d'époques différents, pour des faits identiques. Cela ne veut pas dire
qu'un seul de ces livres a raison. Ou pire qu'aucun de ces livres n'a
raison. Cela veut juste dire que vous devez être prudent. Les images
sont le support de notre intelligence. Elles sont notre bien le plus
précieux. Mais sans esprit critique elles ne valent pas grand chose.
Note : ce texte contient des remarques acides contre le système
Universitaire. Des amis qui sont passé par là m'ont dit qu'elles
n'étaient pas exagérées. Mais il s'agit d'une Université belge en
particulier. Des amis qui l'ont quittée et qui sont allés poursuivre
leurs études dans une autre université belge m'ont dit que c'était le
jour et la nuit, radicalement différent : des professeurs compétents,
un respect des étudiants, une bonne atmosphère, un environnement de
travail performant, des choses utiles à faire...