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Au-delà de l’illustration. Texte et image au Moyen Âge, approches méthodologiques et pratiques, éd. René Wetzel et Fabrice Flückiger

Max Lejbowicz
Référence(s) :

Au-delà de l’illustration. Texte et image au Moyen Âge, approches méthodologiques et pratiques, éd. René Wetzel et Fabrice Flückiger, Zurich, Chronos, 2009, 198p.

ISBN 978-3-0340-0935-5.

Texte intégral

1Le volume réunit huit communications présentées lors d’une journée d’études organisée en 2007 par l’équipe du projet de recherche « Mündlichkeit – Bildlichkeit – Schriftlichkeit  / Oralité – Visualité – Écriture » piloté par l’Université de Zurich ; René Wetzel et Fabrice Flückiger sont eux-mêmes les responsables de cette équipe.

2Le recueil s’ouvre par une introduction qui, signée par les deux éditeurs, précise notamment que le projet en question « s’inscrit dans une vaste entreprise de reconstitution des conditions socio-historiques d’apparition et de transformation de la ‘médialité médiévale’ (p. 16) » - étant entendu que par ‘médialité’ il faut entendre le « réseau de significations, de présences et d’échanges (p. 10) » que forment les images et le texte oral ou écrit. Ce cadre très général étant posé, chacun des huit contributeurs a conduit son analyse selon un point de vue et une méthode qui lui est propre. Les uns pensent et écrivent en historien de l’art (Jean Wirth) ou en anthropologue de l’image et de la parole (Jean-Claude Schmitt) ou en épigraphistes (Fabienne L. Michelet et Nicolas Bock). Les autres sont plutôt des historiens de la littérature, successivement anglaise avec Michelet, française avec Colette van Coolput-Storms et Jean-Claude Mühlethaler, allemande avec Wetzel ou encore un historien de la rhétorique avec Dominique Kunz Westerhoff. L’un parcourt un ensemble d’œuvres (Wirth). D’autres s’en tiennent à une seule œuvre écrite et / ou figurée (Michelet avec la Croix de Ruthwell et le Dream of the Rood, Bock avec le tombeau de l’amiral Aldomoresco, Wetzel avec le Welscher Gast de Thomasin von Zerclaere, Mühlethaler avec le Roman de Fauvel de Gervès de Bus et Chaillou de Pesstain) ; ou encore à différentes versions d’un même thème (Schmitt avec trois processions, van Coolput-Storms avec la version du Roman d’Alexandre de Thomas Kent et celle d’Alexandre Paris). Deux d’entre eux ont besoin de vingt-sept pages pour développer leur propos (Bock et Kunz Westerhoff), un autre se contente de quatre fois moins (Mühlethaler) ; le reste oscille entre dix-sept et vingt-quatre pages. C’est dire combien, passant d’une contribution à l’autre, le lecteur doit s’adapter à des univers et à des modes d’analyse différents, en dépit d’un thème commun : les rapports que le texte et l’image entretiennent à l’époque médiévale. Or il peut s’agir de rapport d’identité (le texte et l’image visent à tenir le même propos), de complémentarité (le texte et l’image éclairent des aspects différents d’un même sujet), de contraste (le texte et l’image ne s’intéressent pas au même sujet), voire d’opposition (le texte et l’image se contredisent). Enfin l’image peut s’installer au cœur du texte en étant comprise comme une figure de style, ce qui n’est pas allé sans poser des problèmes à ces spécialistes des textes que sont les rhétoriciens (Kunz Westerhoff). Cette diversité réduit à la portion congrue les visées interdisciplinaires mises en avant dans l’Introduction, p. 15. À tirer les leçons de ces actes, l’interdisciplinarité se réduit à ce que chaque représentant des disciplines universitaires présentes reste fidèle à sa formation tout en mêlant ses travaux aux représentants d’autres disciplines…  

3Le titre retenu, Au-delà de l’illustration, est significatif des difficultés rencontrées dans le traitement du thème retenu. Il reprend sciemment et en partie (p. 16) celui de la contribution de Wirth, « Au-delà de l’illustration. Réflexions sur le rapport texte / image dans l’art médiéval ». Wirth définit clairement son objectif : montrer que si L’art religieux du XIIIe siècle en France d’Émile Mâle a marqué un tournant décisif dans la compréhension de l’iconographie religieuse médiévale grâce à la réduction de l’image à l’illustration d’un savoir écrit qu’il était nécessaire de restaurer dans sa singularité, il n’est plus possible aujourd’hui de maintenir cette relation univoque si l’on veut  progresser dans l’intelligence de l’image médiévale. De fait, l’auteur montre la pluralité des rapports qui s’établissent entre l’image et les différents textes qui lui sont associés : consignes données à l’enlumineur, répertoire des sujets figurés, commentaire du texte par l’image, ambivalence des mots utilisés qui favorise les contresens, traduction plus poétique que théologique des sujets imposés, qui bascule parfois dans l’hétérodoxie (Trône de Grâce, Couronnement de la Vierge, Sein d’Abraham...). Bref, il arrive un moment où l’image doit être analysée en elle-même et il est abusif de voir nécessairement en elle la simple illustration d’un texte. Est-il pour autant légitime d’étendre cet au-delà de l’illustration quand l’historien pose dans toute leur généralité les rapports du texte et de l’image ? Si j’en crois le Trésor de la langue française, « illustrer » consiste à : « mettre en relation de manière non causale quelque chose (un thème, une opinion, un fait) avec quelque chose qu'on présente à la fois comme de nature différente et comme liée de manière pertinente (en tant que mise en valeur, exemplification) à ce thème, cette opinion, ce fait. » Instaurer un rapport non causal, c’est entrouvrir la porte à l’invention, même si l’attitude de l’illustrateur varie depuis la soumission plus ou moins consentie aux consignes données jusqu’à l’expression plus ou moins contenue de sa créativité. Quant à la pertinence qui doit caractériser la liaison des deux termes ainsi mis en relation, elle est elle-même sujette à interprétation. Les conditions de réalisation de l’image, qu’il est utile, sinon nécessaire, de connaître, ne se confondent pas avec l’acte de la perception de l’image ni avec les richesses que celui-ci fait peu à peu découvrir. Si un historien de l’art peut parler de l’au-delà de l’illustration pour montrer la liberté de l’imagier par rapport à un texte, quel qu’en soit le type, il n’est pas sûr que cet au-delà convienne au théoricien de la médialité. L’image impose sa propre réalité et, au final, elle est irréductible à rien d’autre qu’à elle-même, en étant sa propre illustration. Schmitt le dit très bien en conclusion de sa contribution, même s’il applique cette détermination à l’ensemble des trois ensembles dont il parle, texte et image conjoints : l’œuvre n’est pas un document mais un monument ; elle a valeur performative. En somme, en contenant son propre au-delà, l’image nie qu’il y en ait d’autres.

Pour citer cet article

Référence électronique

Max Lejbowicz, « Au-delà de l’illustration. Texte et image au Moyen Âge, approches méthodologiques et pratiques, éd. René Wetzel et Fabrice Flückiger », Cahiers de recherches médiévales et humanistes [En ligne], 2009, mis en ligne le 25 août 2009, consulté le 03 février 2012. URL : http://crm.revues.org/11631

Auteur

Max Lejbowicz

Droits d’auteur

© Cahiers de recherches médiévales et humanistes