Colloque international, dirigé par André Gunthert et Thierry Gervais
Organisé par le Laboratoire d’histoire visuelle contemporaine (Lhivic/Cehta) et la revue Etudes photographiques
Les 20-21 octobre 2006, EHESS, amphithéâtre, 105, bd Raspail, 75006 Paris

Argument: Les usages de la photographie dans la presse et l’édition ont toujours réclamé le bénéfice des qualités d’authenticité et d’immédiateté de l’enregistrement. Peu d’images font pourtant l’objet d’autant de médiations que celles prises dans la trame des pratiques éditoriales. De l’invention du récit de l’actualité aux contraintes de la mise en page, des nécessités économiques aux pouvoirs de l’esthétique, ce colloque interrogera les interactions complexes de l’illustration. Un état des lieux d’un des domaines les plus vivants de la recherche en études visuelles, qui vise à esquisser les points de repère d’une nouvelle histoire.

Vendredi 20 octobre, “La conquête de l’illustration”

Présidence: Pascal Ory (université Paris 1)

9 h – Introduction.
9 h 30 – Stephen Bann (University of Bristol), “Fac-simile et reproduction gravée de l’image dans la presse illustrée des années 1830″.

On sait que le Magasin pittoresque publia dès 1839 les détails pratiques pour refaire l’appareil de Daguerre, en attendant ‘le moyen de convertir les épreuves du Daguerréotype en planches gravées’. Pourtant cette revue de grande diffusion avait cherché depuis 1833 à perfectionner le moyen le plus traditionnel de reproduire les images, voire la gravure de bois. Cette technique, ressuscitée en France par l’intermédiaire de graveurs anglais, gardait toujours comme modèle la ‘haute gravure’ de reproduction, dite ‘à l’eau douce’, pour laquelle l’image était une ‘imitation’ par des moyens graphiques propres. Or, il fallait prendre en compte à partir des années 1820 du prestige d’un tout autre concept de reproduction, le ‘fac-simile’. Dans son essai ‘De l’Imitation’, Quatremère de Quincy avait dénoncé ce procédé qui donnait selon lui ‘des empreintes’ au lieu de ‘la véritable imitation’. Appliqué par exemple à la reproduction de dessins par la lithographie, ou autrement à celle des documents historiques, le fac-simile n’utilisa pas apparemment de codage graphique, et il visa à une transmission directe et non médiatisée. Dans la presse illustrée et l’edition des années 1830, il prit une place de plus en plus importante en assumant la transmission des grandes thématiques de l’époque romantique – comme le fantastique et l’histoire.

Stephen Bann est professeur de l’histoire de l’art à l’université de Bristol (GB), et Fellow du British Academy. En 2001 il publia Parallel Lines: Printmakers, Painters and Photographers in Nineteenth-Century France. Il prépare un symposium sur l’art et les albums photographiques au XIXe qui aura lieu à la National Galleryu of Art de Washington en Printemps 2007.

10 h – Pierre-Lin Renié (musée Goupil), “Nouvelles technologies, nouveaux acteurs, nouveaux réseaux: vers une diffusion globale des images (1850-1880)”.

Au cours des années 1850-1880, la production d’images atteint un niveau industriel. Les inventions successives de la lithographie et de la photographie bouleversent les circuits de distribution. Un réseau informel d’éditeurs et de marchands internationaux s’organise afin d’écouler les flots d’images sortis des ateliers. L’antagonisme bien réel entre estampe (« traditionnelle » et « artistique ») et photographie (« moderne » et « mécanique ») cesse d’être pertinent lorsqu’il s’agit de diffusion. Durant ces trois décennies, les images empruntent un vaste réseau de distribution indifférencié. Un même projet peut rassembler des personnes issues de milieux présumés antagonistes, ou dont on penserait simplement qu’elles s’ignorent – ainsi pour l’édition des photographies de la guerre de Crimée de Roger Fenton. De grands studios bénéficient d’une distribution mondiale : Bonfils, implanté à Beyrouth, passe un contrat en 1872 avec un diffuseur américain. Particulièrement riche, cette période de construction donne lieu à des expérimentations en tous genres, où les hiérarchies établies sont remises en jeu. Dans les années 1880, progrès techniques aidant, les valeurs sont redistribuées et les secteurs s’individualisent à nouveau. Tiraillées entre expérience et rationalisation, ces trois décennies d’organisation du marché mondial restent un moment fondateur de l’histoire contemporaine des images.

Pierre-Lin Renié est attaché de conservation au musée Goupil (Ville de Bordeaux), lequel est consacré à l’édition d’art au XIXe siècle. Depuis 1992, il a organisé une quinzaine d’expositions et supervisé leurs catalogues, dont Le Musée des rieurs. Caricatures et scènes de mœurs au XIXe siècle (2007), Une image sur un mur. Images et décoration intérieure au XIXe siècle (2005) et Gérôme & Goupil : art et entreprise (2000). Il a publié de nombreux articles, principalement sur la reproduction des œuvres d’art et la diffusion de masse des images par l’imprimerie, depuis l’apparition de la photographie. Plus récemment, il a écrit sur l’art contemporain, un de ses autres champs d’intérêt. Lauréat de bourses de recherche au Metropolitan Museum of Art (New York, 2004) et au Clark Art Institute (Williamstown, Massachusetts, 2002), il s’est en particulier intéressé lors de ces séjours à l’histoire de l’édition photographique.

10 h 30 – Tom Gretton (University College London), “Le statut subalterne de la photographie dans les hebdomadaires illustrés à Londres et à Paris 1885-1910: la présentation différentielle des images éditoriales (dessins et aquarelles) et des photographies.”

Basé sur l’étude de deux journaux illustrés de Londres (Illustrated London News et The Graphic, et deux d’origine parisienne (L’Illustration et le Monde illustré) cette contribution examine l’introduction et triomphe de la trame dans ces publications prestigieuses, ainsi que le succès limité du cliché-trait et la résistance et éclipse finale de la gravure sur bois de bout. La montée inexorable le la trame comme technologie reproductive fut accompagné par une histoire beaucoup plus complexe et nuancée quant à la reproduction des photographies de personnes, objets et sites. Dans les deux métropoles, une fois passés les moments confuses de l’introduction le la nouvelle technologie reproductive, la trame fut utilisée dans les quatre journaux différentiellement pour les images éditoriales et pour les photographies. Les dessins et aquarelles éditoriales occupaient souvent les demi pages, les pages ou les ‘centrefolds’, tandis qu’aux photographies on octroyait les quarts ou les seizièmes de page. En 1910, les images éditoriales du Graphic avaient en moyen huit fois le superficie de ses photographies. Celles de l’ILN avaient presque quatre fois, celles de L’illustration à peu près deux fois, et mêmes celles du Monde illustré une fois et demi.

Tom Gretton is Senior lecturer and Head of Department in the department of Art History at University College London. He is currently researching in several areas. His major research projects are in two principle areas: ‘popular prints’ in Mexico in the generation before the outbreak of the 1910-1917 revolution in Mexico, particularly the work of J. G. Posada; and the development of general interest weekly illustrated periodicals intended for a bourgeois readership in Europe in the second half of the nineteenth century. He also works on aspects of art after the fall of Napoleon, particularly on the impact of the introduction of Lithography.

11 h – Thierry Gervais (EHESS), “Le magazine moderne: une histoire graphique. Usages de la photographie dans La Vie au grand air (1898-1914)”.

Au début du xxe siècle, l’usage de la photographie et de la similigravure devient massif dans la presse illustrée française. Si L’Illustration attend 1904 pour adopter ce tandem, il est, dès 1898, une condition d’existence pour des hebdomadaires comme La Vie illustrée ou La Vie au grand air qui cherchent à toucher un public élargi. Créé par Pierre Lafitte, l’hebdomadaire La Vie au grand air se consacre à l’actualité sportive dont il fournit une iconographie photographique abondante. Pour gérer et orchestrer les images dans chaque numéro, Pierre Lafitte nomme en 1899 Lucien Faure au poste de « directeur artistique ». Chaque page et chaque double page témoignent en image d’une information sportive, mais révèlent également un travail graphique qui renouvelle les formes traditionnelles du journal illustré. Dans la Vie au grand air, texte et image sont savamment agencés dans la page pour produire du récit et des effets spectaculaires auprès du lecteur. Au-delà de l’avènement de la photographie dans la presse illustrée, La Vie au grand air révèle le passage du journal illustré au magazine moderne.

Thierry Gervais est historien, rédacteur en chef de la revue Études photographiques. Il consacre sa thèse de doctorat à l’usage de la photographie dans la presse française avant la Première guerre mondiale (EHESS).

11 h 30 – Myriam Chermette (université de Saint-Quentin en Yvelines), “Le succès par l’image? Heurs et malheurs des politiques éditoriales de la presse quotidienne (1920-1940)”.

La presse quotidienne de l’entre-deux-guerres connaît des difficultés économiques et une difficile adaptation aux mutations qui touchent les médias. Souvent taxés d’immobilisme, ces journaux tentent pourtant de retrouver la faveur du public. Malgré la méfiance des responsables, lié à leur formation et à leur culture classique, un des moyens privilégiés pour y parvenir fut la photographie, censée séduire un public toujours plus nombreux. Plusieurs journaux se lancèrent dans cette entreprise, avec un succès variable : si Paris-Soir, titre récent dans le paysage français, semble y avoir gagné une position confortable, l’expérience fut rapidement abandonnée au Journal, organe beaucoup plus ancien qui crut trouver dans la photographie un moyen de remobiliser son lectorat émoussé. A travers ces destinées variables, et notamment l’échec du Journal, on s’interrogera sur les différences dans l’usage du média photographique – contenu, mise en page, esthétique – plus ou moins en adéquation avec les attentes et les aspirations des lecteurs vis à vis de cette nouvelle fenêtre ouverte sur le monde.

12 h – Discussion.

Vendredi 20 octobre, “Esthétisation de l’illustration”

Présidence: Arlette Farge (CNRS)

14 h 30 – Olivier Lugon (université de Lausanne), “La photographie des typographes. Allemagne, années 1920″.

Plus que les photographes, ce sont les graphistes et les typographes qui orchestrent la promotion de la Nouvelle Photographie dans l’Allemagne de la fin des années 1920 : mieux structurés et plus actifs dans les organismes culturels comme le Werkbund, ce sont eux qui permettent au médium de conquérir les revues d’art et d’architecture, eux qui organisent et mettent en forme les grandes expositions qui lui sont consacrées (Neue Wege der Fotografie en 1928, Fotografie der Gegenwart ou Film und Foto en 1929). L’avènement tant fêté de la « photographie en soi », une photographie enfin libérée du joug de la peinture, se joue ainsi sous l’emprise d’un nouvel ordre, la communication imprimée, et se soumet à ses codes – l’image assujettie au texte, la cimaise à la mise en page, la contemplation à l’efficacité didactique ou publicitaire. Loin d’être une sous-catégorie marginale de la Nouvelle Photographie, la « typophoto » peut en être considérée comme la condition générique.

Olivier Lugon est professeur d’histoire et esthétique de l’image à l’université de Lausanne (section d’histoire et esthétique du cinéma). Il a notamment publié La Photographie en Allemagne. Anthologie de textes, 1919-1939 (Nîmes, Chambon, 1997) et Le Style documentaire. D’August Sander à Walker Evans, 1920-1945 (Paris, Macula, 2002).

15 h – Gérard Monnier (université Paris 1), “La contribution des photographes à la promotion de l’esthétique contemporaine dans Beautés de la technique, nº spécial de la revue Art présent (nº 7-8, 1948)”.

Dans ce numéro de la revue dont Jacques Viénot (1893-1959) est le directeur, la place des photographes est exceptionnelle : par leur nombre (48), par leur identité (Brassaï, Doisneau, Jahan, Kollar, Schall, Seeberger, entre autres). Leur vision de photographes de l’industrie et de l’architecture inspire le traitement de l’illustration et la mise au point de la maquette ; elle s’étend aux pages publicitaires, où le traitement graphique des images, qui s’en inspire plusieurs fois, est lui-même en régression. Pour cette publication, soutenue par les pouvoirs publics et les industries nationalisées, et qui changera bientôt de nom (elle deviendra Esthétique industrielle, Art présent nouvelle série), la contribution de la photographie semble un apport stylistique de premier plan ; la communication se propose d’en analyser les éléments et de les replacer dans le contexte des débuts de la période historique de la croissance.

Gérard Monnier, professeur émérite d’histoire de l’architecture à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne, a étudié “Les photographies de l’agence Perret”, dans l’Encyclopédie Perret, Editions du Patrimoine/Le Moniteur, Paris, 2002, p.173-180. Il prépare un ouvrage Architecture, Photographie, Edition, en France, en Belgique et en Suisse, à paraître aux Editions Picard, Paris.

15h30 – Pause.
16 h – Michel Poivert (université Paris 1), “Esthétisation du photojournalisme. De l’image imprimée et du monde de l’art depuis les années 1950″.

Vouée à l’impression dans la presse, la production des photojournalistes possède toutefois une histoire parallèle qui lui fait rejoindre le monde de l’art de façon accrue depuis le milieu du XXe siècle. Ce que l’on peut appeler « l’esthétisation du photojournalisme » nécessite aujourd’hui l’analyse de différents phénomènes qui permettront d’en faire un jour l’histoire. Comment et à partir de quels faits marquants la photographie de presse s’est-elle vue attribuée une valeur en dehors de son usage ? Pour répondre à cette question, on tentera de relier certains faits appartenant aussi bien à l’histoire des institutions muséales qu’à celles des expérimentations artistiques. En croisant l’activité des responsables d’institutions du Museum of Modern Art de New York, comme les choix effectuées par certaines structures en France comme la Fondation nationale de la photographie dans les années 1970, on tentera de faire apparaître certains ressorts de la valorisation culturelle d’images qui quittent la page imprimées pour venir s’accrocher aux cimaises des musées, alors même que le climat intellectuel résonne du son de la critique des médias.

Parallèlement à ces discours, il sera utile d’observer l’importance des démarches artistiques mobilisant l’image de presse. Des noms aussi célèbres que ceux de Warhol, Rauschenberg, Richter ou bien encore Wostell, montrent à quel point l’appropriation de ces images permet d’élaborer des langages plastiques innovants. L’artiste conçoit-il l’image des journaux dans sa condition d’iconographie vernaculaire (et s’inscrit-il dans la filiation de ceux – Dada et les Surréalistes – qui ont montré la voie), les détourne-t-il à des fins politique ou bien réagit-il à leur statut grandissant d’objet culturel ? Que le musée et l’artiste s’intéressent pour des raisons opposées à la photographie de presse, l’un pour célébrer les « grands documents », l’autre pour les transformer au profit de l’expérience plastique, tous les deux proposent néanmoins à l’image de presse un au-delà de son usage qui ressemble aujourd’hui à un second destin historique.

Michel Poivert est professeur en histoire de l’art contemporain/histoire de la photographie à l’université Paris I-Panthéon-Sorbonne et président de la Société française de photographie. Outre ses travaux d’enseignant, de chercheur et d’éditeur, il déploie une activité nourrie de commissariat dans le domaine de la photographie contemporaine. Il a notamment publié La Photographie pictorialiste en France, Bibliothèque nationale-Hoëbeke, Paris, 1992, La photographie contemporaine, Flammarion, Paris, 2002, L’Image au service de la révolution. Photographie, surréalisme, politique, Le Point du Jour, Cherbourg, 2006.

16 h 30 – Gaëlle Morel (Société française de photographie), “Esthétique de l’auteur. Les signes de la subjectivité dans les images de l’actualité”.

Caractérisé par la circulation des images, passant des pages de la presse aux murs des institutions culturelles, le photoreportage d’auteur apparaît dans les années 1970 pour connaître une véritable apogée au cours de ces dernières années. Cette production implique une esthétique particulière qui repose sur une stylisation prononcée des images : jeu sur les paramètres techniques, excès ou défauts de lumière volontaires, décadrages exacerbés, gros plans prononcés, flous de bougé, etc.

Souvent réunis dans des agences culturelles, (Magnum, Vu) ou plus récemment en collectifs (L’œil Public), quelques uns de ces photoreporters accèdent à une renommée internationale. Mais si certains s’attachent à un répertoire esthétique propre à l’auteurisme qui les inscrit dans une dynamique culturelle, d’autres aspirent à une reconnaissance artistique et tendent à modifier pour cela le mode opératoire et les qualités plastiques de leurs images. Apparaît ainsi un phénomène paradoxal où les clichés publiés dans la presse par ces photographes sont empreints de signes subjectifs visibles alors que les images qu’ils exposent se caractérisent par une forme de retrait et de distanciation. Le renversement opéré est ici essentiel et bouleverse les définitions traditionnelles : aux pages des journaux, des clichés aux marques personnelles apparentes et aux cimaises, des photographies au style sec, précis et volontairement impersonnel.

Gaëlle Morel est docteur en histoire de l’art et secrétaire générale de la Société française de photographie. Elle a récemment publié Le Photoreportage d’auteur. L’institution culturelle de la photographie en France depuis les années 1970, Paris, CNRS, 2006.

17 h – Discussion.

Samedi 21 octobre. “L’illustration à l’épreuve de l’événement”

Présidence: Eric Michaud (EHESS).

9 h 30 – Joëlle Beurier (Institut universitaire de Florence), “Le Miroir, de la tradition à la modernité. 1912-1920″.

Le Miroir naît en 1912 et propose, pour la première fois, une information hebdomadaire de qualité, exclusivement photographique. En 1920, lorsqu’il devient Le Miroir des sports, il tire à plus d’un million d’exemplaires, ayant porté à leur apogée les rapports entre photographie et événement. Entre ces deux dates, la Grande Guerre vient bouleverser tous les contextes de productions : de la censure à l’approvisionnement photographique, des attentes du lectorat à la l’exceptionnalité de l’événement, tout change. Comment l’hebdomadaire adapte-t-il sa politique de l’image à ces multiples mutations ? En s’appuyant sur tradition fortement enracinée du concours photographique, il tire profit de la pratique amateur répandue sur le front, et pose les jalons d’une information photographique moderne.

Agrégée d’histoire, Joëlle Beurier achève une thèse de doctorat sur “Les images de la Grande Guerre. La presse illustrée en France, Allemagne, Grande-Bretagne, 1914-1918″ à l’Institut Universitaire Européen de Florence. Elle a co-dirigé pour la revue Memoria e Ricerca un numéro sur Photographie et Violence. Regards sur la brutalité de la Grande Guerre à nos jours (décembre 2005).

10 h – Vincent Lavoie (Université du Québec à Montréal), “Le fardeau des mots, le choc des photos: critique de la distinction photojournalistique”.

Le grand prix du World Press Photo, l’une des plus importantes distinctions accordées dans le domaine du photojournalisme, est décerné annuellement depuis 1955 à l’auteur de l’image la plus exemplaire d’un fait d’actualité récent. Véritables icônes de l’histoire contemporaine, ces images font l’objet d’expositions annuelles présentées simultanément dans plusieurs importantes capitales du monde. Ces « chefs-d’œuvre » de l’actualité médiatique constituent des symboles de mérite et d’accomplissement artistique, des objets de récompense et de reconnaissance. De même que l’Académie et son Prix de Rome honoraient la peinture d’histoire, le World Press Photo célèbre les représentations photographiques de l’actualité. Or les rhétoriques de l’excellence et du couronnement, outre de pallier le déficit symbolique d’un photojournalisme en crise, occultent à dessein l’environnement éditorial d’origine des images lauréates. Cette communication propose d’interroger cette négation du texte et de l’imprimé comme procédure de valorisation du photojournalisme d’actualité.

Vincent Lavoie est professeur au département d’histoire de l’art de l’Université du Québec à Montréal. Titulaire d’un doctorat en esthétique de l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne, il a publié en 2001 L’instant-monument, du fait divers à l’humanitaire (Montréal, Dazibao). Commissaire général du Mois de la photo à Montréal, il propose en 2003, sous le thème Maintenant. Images du temps présent, un état des lieux sur les représentations artistiques de l’actualité historique. Il prépare actuellement un ouvrage portant sur le photojournalisme à paraître aux éditions Hazan.

10 h 30 – Matthias Tronqual (EPHE), “Quels rôles jouent les images dans les manuels scolaires?”

Depuis la fin des années 1970, l’apparition croissante des images dans les manuels scolaires d’histoire et l’intérêt grandissant des éditeurs pour leur maquette ont transformé radicalement leur contenu. Désormais, le texte de l’auteur n’est plus le seul à répondre à la mission pédagogique du manuel. Comment, dans ce contexte, la répartition des tâches s’effectue entre l’image, la maquette et le texte? Quel(s) rôle(s) les manuels scolaires attribuent-ils à l’image? A travers l’exemple des photographies de l’extermination des Juifs durant la Seconde guerre mondiale, nous essaierons de voir comment l’image, en lien avec la maquette du livre, évoque cette histoire d’une façon différente ou similaire de celle racontée par le texte. Nous tenterons en somme de voir si l’image joue un rôle spécifique par rapport au texte dans les manuels scolaires.

Matthias Tronqual prépare une thèse en sciences des religions à l’École Pratique des Hautes Études. Il étudie la représentation photographique de la Shoah dans les manuels scolaires français et américains depuis la fin des années 1970 et a réalisé un mémoire de DEA sur « la diffusion des photographies de la Shoah dans la revue L’Histoire ». Il fut reçu en 2006 au United States Holocaust Memorial Museum de Washington comme étudiant chercheur. Associé au Lhivic, M. Tronqual codirige avec Thierry Gervais un séminaire fermé à l’EHESS depuis 2004 sur l’Illustration photographique. Il fut également iconographe de presse et a travaillé pour divers maisons d’éditions.

11h – Clément Chéroux (université de Lausanne), “Déjà vu. La représentation photographique des attentats du 11 septembre 2001 à travers la presse américaine”.

À propos des images des attentats du 11 septembre 2001, nombre de commentateurs ont exprimé un sentiment de “déjà-vu”. Les photographies des nuages de fumée noire s’élevant au-dessus de Manhattan, rappèlent les images d’un autre temps, d’une autre guerre. La photographie de Thomas Franklin représentant trois pompiers hissant le drapeau américain dans les décombres du World Trade Center apparaît également – selon le témoignage du photographe lui-même – comme une citation directe de la célèbre icône de Joe Rosenthal montrant six Marines dressant le Stars and Stripes sur le sommet du Mont Suribachi, après la prise de l’île d’Iwo Jima, le 19 février 1945. À travers une analyse des journaux américains et plus spécifiquement de leurs unes, il s’agira de comprendre quel est le sens de ce recours au passé et ce qu’il traduit du rapport que la presse entretient aujourd’hui avec l’histoire.

Clément Chéroux est historien de la photographie, docteur en histoire de l’art, maître-assistant à l’université de Lausanne. Il a été visiting research fellow à l’université de Princeton puis pensionnaire à l’Académie de France à Rome et a enseigné à l’université de Paris I, Paris VIII et à l’École nationale supérieure de la photographie d’Arles. Il a publié L’Expérience photographique d’August Strindberg (1994), Fautographie, petite histoire de l’erreur photographique (2003), Fotografie und Geschichte (2004). Il a dirigé et codirigé les catalogues des expositions Mémoire des camps. Photographies des camps de concentration et d’extermination nazis, 1933-1999 (2001) et Le Troisième oeil. La photographie et l’occulte (2004), dont il était également commissaire.

11h30 – André Gunthert (EHESS), “La désacralisation de l’image publique. Internet et les nouvelles conditions de l’illustration”.

La période récente a permis d’assister à la rencontre de deux technologies indépendantes: la photographie digitale et internet. Cette association imprévue a bouleversé en peu de temps le paysage de la circulation de l’information. L’analyse du cas français de l’auto-production alternative d’images d’information à l’occasion du mouvement social contre le CPE en mars 2006 permet de montrer comment cette rencontre a rebattu les cartes de la détention du pouvoir d’informer. La multiplicité des canaux et le caractère fugitif de l’édition électronique ont déplacé la frontière régissant la légitimité des contenus publics vers l’expérimentation de formes semi-privées. En substituant au modèle du journal illustré celui de l’album, l’édition électronique achève le processus historique de renversement de la subordination de l’illustration au texte.

André Gunthert est chercheur et maître de conférences en histoire visuelle à l’EHESS, où il a créé le Laboratoire d’histoire visuelle contemporaine (Lhivic). Fondateur et directeur de la revue Études photographiques, il a publié de nombreux articles et plusieurs ouvrages consacrés à l’histoire des pratiques de l’image.

12h – Discussion