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Lever de rideau

Helen Levitt et l'enfance mouvementée

LEMONDE | 16.10.10 | 14h47  •  Mis à jour le 02.12.10 | 18h00

 

Les sujets d'Helen Levitt (1913-2009) sont tout simples : des enfants qui jouent dans la rue, des graffitis sur le mur, des passants saisis au vol. Et pourtant ses images en noir et blanc, puis en couleurs, sont des énigmes poétiques que l'oeil détaille sans jamais les épuiser. Une belle rétrospective de son oeuvre, accueillie cet été par le festival PhotoEspaña à Madrid, au Museo Colecciones ICO, est à présent reprise au centre d'art Le Point du jour, à Cherbourg. L'occasion d'un rattrapage pour ceux qui auraient raté l'exposition précédente, à la Fondation Henri Cartier-Bresson, à Paris, en 2007.

C'est dans les rues d'Harlem qu'Helen Levitt a trouvé son terrain d'exercice idéal : dans ce quartier populaire, les enfants vivent dans les rues. Ils y courent, rigolent, s'y disputent. Surtout, ils s'inventent un monde à part dont l'appareil photo semble fournir les clés. Accroupi sous un lion en pierre, un petit garçon a l'air de s'en protéger. Une mère plonge la tête dans une poussette d'où surgit un bambin rigolard, et l'ensemble fait naître un étrange sphinx avec des roues, des jambes de femme et une tête de gosse.

L'univers enfantin d'Helen Levitt, jamais mièvre ni attendrissant, semble toujours à la limite du fantastique : son Leica saisit des corps sur le vif, dans des positions inhabituelles et désarticulées qui résistent à l'interprétation. A travers ses photos de masques d'enfants ou ses graffitis, on sent parfois la marque du surréalisme, mouvement qu'elle connaissait sans y appartenir : "Bouton vers un passage secret. Appuyez", indique une mystérieuse inscription associée à un cercle de craie sur le mur.

Ses instantanés virevoltants et graves portent surtout l'influence de deux maîtres, Henri Cartier-Bresson et Walker Evans. Elle rencontre le premier en 1935 à New York, alors qu'il vient préparer sa célèbre exposition chez Lucien Levy avec Walker Evans et Manuel Alvarez Bravo. Elle le suit pendant un an, s'imprègne de son oeuvre et conservera jusqu'à sa mort dans sa cuisine le tirage qu'il lui a offert. Du second, devenu ami proche, elle héritera du goût pour les images sans chichis et pour les signes urbains. Mais Helen Levitt n'a jamais eu la renommée de ses deux collègues : elle était solitaire, ne voyageait guère - à part un voyage au Mexique. Et, contrairement aux photographes de sa génération, elle refusait obstinément les commandes de la presse, niant à ses images toute portée politique ou sociale.

Cette oeuvre forte et cohérente, qui s'étale sur cinquante ans, est marquée par une forte rupture. Pendant sept ans, de 1945 à 1952, Helen Levitt cessera totalement de photographier. Avant de s'y remettre, mais sur un autre mode : elle passe à la couleur, dans des images aussi sobres qu'étranges. La ville est la même qu'en noir et blanc, heurtée, foisonnante, désordonnée, mais cette fois traversée de couleurs violentes. Corps et décors se répondent, comme si les motifs des vêtements et les graffitis des murs formaient une harmonie délibérée. Trois coqs surgissent devant un magasin de chaises lourdement ornées. Une famille entière s'entasse dans une cabine téléphonique, les fleurs de la robe maternelle occupant tout l'espace.

L'exposition du Museo Colecciones ICO rassemblait près de 120 images, pour la plupart des tirages d'époque issus de collections américaines, françaises ou espagnoles. Le Point du jour reprend quasiment la totalité des photos, mais les réunit sur une surface bien plus étroite, en deux salles.

L'oeuvre d'Helen Levitt y est découpée en trois périodes : le travail en noir et blanc sur New York, qui a été réuni dans son livre A Way of Seeing (1965), accompagné ici d'images plus tardives et moins connues ; son voyage au Mexique de 1941, d'une intense mélancolie ; son oeuvre en couleurs, présentée à travers des tirages postérieurs et des diapositives projetées. Le film In the Street (1948), réalisé avec James Agee et Janice Loeb, sera aussi projeté en continu.

La section réservée au voyage mexicain a été malheureusement un peu réduite, car les photos du Musée Reina Sofia n'ont pas été autorisées à voyager. Dommage, car la tonalité de ces images tranche avec le reste de l'oeuvre : on y découvre des paysages désolés, des êtres écrasés sous le soleil, immobiles et perdus dans l'image. Comme si, loin de la ville, les personnages d'Helen Levitt, étaient par le même coup privés de toute énergie.


"Helen Levitt, un lyrisme urbain". Le Point du jour, Centre d'art/éditeur.
107, avenue de Paris, Cherbourg-Octeville, Manche . Tél. : 02-33-22-99-23. Lepointdujour.eu.
Du mercredi au vendredi, de 14 heures à 18 heures, samedi et dimanche de 11 heures à 19 heures. Du 23 octobre au 30 janvier 2011. Entrée libre. Livre 180 p., 110 photographies. 36 €.

Claire Guillot Article paru dans l'édition du 17.10.10
 

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Vos réactions (1)

 

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  • Clet Guilcher 16/10/10 - 15h40

     Claire Guillot, vous êtes vraiment incollable ! Je suis sincèrement admiratif, chaque fois que je peux lire vos papiers consacrés à, ce que j'appellerais, "la photo américaine" : au moins trente années d'avance dans la forme et l'esprit ! Oui, les photographes de New York (pour résumer, ils finissent tous par exposer à NYC...), avec ou sans Leica (je préfère la chambre Speed Graphic !) bénéficient tous de votre très large vocabulaire circonstancié. Où allez-vous chercher tout ça ? Too much !!! Répondre


 

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