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07/02/2008 20:20

La frontière entre école et justice devient perméable



Alors qu'au sein de l'école un nombre croissant de conflits aboutissent à un dépôt de plainte, deux enseignants sur trois souscrivent chaque année une assurance protection juridique


Des journalistes filment l'entrée du collège Gilles-de-Chin, le 31 janvier 2008 à Berlaimont, près de Maubeuge, où un professeur a reconnu avoir giflé en classe un élève de de 6e qui l'avait insulté (photo Huguen/AFP).


Lorsqu’il a entendu parler à la radio de l’enseignant placé en garde à vue et amené à comparaître pour avoir giflé un élève qui l’insultait, Bruno Mounier a senti en lui monter l’écœurement. Dans son esprit, cette affaire fait écho à un incident qui, il y a deux ans, l’a plongé dans un état dépressif.

À l’époque, remplaçant dans une école primaire de Melun (Seine-et-Marne) située en pleine zone d’éducation prioritaire (ZEP), il ne parvient pas, « pour la première fois en vingt-huit ans de carrière », à asseoir son autorité. Ce jour-là, la classe de CE2 s’apprête à visionner un film.

Mais auparavant, les élèves doivent montrer leurs devoirs, commandés la veille. L’un d’eux, « perturbé et perturbateur », s’y refuse et commence à donner des coups de pied à l’enseignant. « Ayant pratiqué des sports de combat, je l’ai immobilisé au sol », se souvient Bruno Mounier. Tout aurait pu en rester là.

Mais, très vite, le professeur a dû « essuyer un nouvel affront » quand de jeunes gens du quartier sont venus à l’école pour en découdre avec lui. Et surtout, la mère de l’enfant a porté plainte contre l’enseignant. Lequel a, en retour, engagé une action en justice pour les coups reçus.

L’ampleur du phénomène relativisé

« Je ne sais toujours pas quand l’affaire sera jugée », déplore Bruno Mounier, qui constate amèrement qu’au fil des ans, « une animosité, une incompréhension et un esprit revanchard » se sont instaurés dans les relations entre les parents et les enseignants, y compris dans les zones rurales.

« Les profs qui n’ont aucune exigence, qui copinent avec les enfants et les parents ne sont jamais inquiétés. Mais faire grandir un enfant, c’est aussi le “bousculer”, au sens figuré du terme », estime-t-il.

Comme le constate Gilles Moindrot, secrétaire général du SNUipp, le principal syndicat enseignant dans le primaire, « les situations de conflits au sein de l’école se déplacent beaucoup plus facilement aujourd’hui vers le terrain de la justice ».

Au ministère de l’éducation, on relativise l’ampleur du phénomène. Sur les 2 666 contentieux traités durant l’année 2006-2007 par les juges administratifs, la plupart concernent des recours engagés par les professeurs mécontents de leur affectation. Pour autant, indique-t-on au sein du service juridique, « on a vu apparaître une augmentation du nombre de recours contre des décisions d’orientation, une pratique qui, il y a vingt ans, n’existait pas. »

Cette évolution, Yves-Jean Thomas, la vit au quotidien. Le président du SNCEEL, le principal syndicat de chefs d’établissement de l’enseignement privé, raconte ainsi qu’« on voit de plus en plus de parents arriver à un conseil de discipline accompagnés de leur avocat ».

«Une judiciarisation qu’ils sont nombreux à déplorer»

Coauteur d’un ouvrage sur la violence à l’école (1), Claude Lelièvre n’hésite pas, lui, à parler de « judiciarisation » de relations au sein des établissements. « En dix ans, les plaintes de parents à l’encontre des profs ont quadruplé pour grimper à environ 1 000 dossiers par an. Dans 25 % des cas, il s’agit d’accusations de pédophilie, accusations infondées dans trois cas sur quatre. Pour le reste, il est surtout question de gifles, de coups de pied ou de violence verbale », note ce spécialiste de l’histoire de l’éducation.

« Pendant ce temps, le nombre de plaintes déposées par les profs à l’encontre des parents ou des enfants a, lui, doublé pour atteindre annuellement les 2 000 cas. Face à l’affaiblissement de l’institution, les enseignants cherchent auprès d’une autre instance, la justice, à renforcer leur position. Et ce faisant, ils contribuent à une judiciarisation qu’ils sont nombreux à déplorer », estime cet ancien professeur à la Sorbonne.

Une chose est sûre, beaucoup, parmi les enseignants, prennent en compte l’éventualité d’un passage devant les juges. « Quand j’ai été nommée en ZEP, mes collègues m’ont conseillé de souscrire une assurance protection juridique, en plus de celle que le ministère accorde, en théorie, à ses fonctionnaires », se souvient Barbara.

Depuis, tous les ans, comme 600 000 autres enseignants (sur les 880 000 que compte l’éducation nationale), ce professeur de Rhône-Alpes renouvelle, moyennant 25 €, son adhésion aux Autonomes de solidarité, une organisation plus que centenaire, qui compte un correspondant dans chaque établissement.

Les différends débouchent assez rarement sur des procédures

« Environ 70 % des incidents déclarés se traitent au niveau de nos associations départementales, qui jouent le rôle de médiateurs et qui, par exemple, arrivent à convaincre des parents ayant insulté un prof devant sa classe de lui présenter des insultes publiques », indique Alain Aymonier, président de la Fédération des autonomes de solidarité (FAS). « La judiciarisation produit souvent des inimitiés irréparables », commente-t-il.

Mais elle est parfois inévitable, quand des coups ont été reçus ou quand les enseignants ont porté plainte un peu hâtivement… L’an dernier, la FAS a ainsi dépêché des avocats pour défendre des professeurs dans des procédures engagées contre des parents (44 % des cas), des élèves (35 %) ou d’autres personnes, telles que des amis ou des frères de l’élève (21 %). « Il s’agit alors de faire reconnaître les faits, et non d’obtenir des dommages et intérêts », souligne Alain Aymonier.

À l’évidence, la frontière entre école et justice est devenue plus perméable. « Nos rapports avec les juges et les policiers ne sont pas fréquents, ils sont permanents », assure ainsi Nicolas Renard, principal du collège André-Malraux, à Asnières (Hauts-de-Seine). Pas plus tard que mercredi, plusieurs de ses élèves ont été interpellés et déférés au parquet à la suite d’une plainte émanant de parents d’un autre élève de l’établissement et qui concernait des faits survenus hors du collège, pendant les vacances d’été.

Fort heureusement, les différends débouchent assez rarement sur de telles procédures. Mais le discours judiciaire est prégnant, jusque dans les conflits les plus anodins. « À deux reprises, un élève avait été griffé par un de ses camarades pendant la récréation », raconte, encore interloquée, une enseignante de maternelle, en région parisienne. « La réaction menaçante de ses parents n’a pas tardé. Encore une griffure, et ce sera le dépôt de plainte à l’encontre de l’enfant fautif ! »

Denis PEIRON

(1) Francis Lec, Claude Lelièvre, Histoire vraie des violences à l’école, Fayard, 322 p., 20 €.

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