La frontière entre temps privé et temps professionnel a la vie dure

Résumé : on nous dit que la frontière entre les temps personnels et professionnels s’estompe, que les outils désormais ubiquitaires vont rendre cette distinction obsolète. On nous dit également que c’est un bien car nombre de salariés le demandent à corps et à cri, sans parler des jeunes générations pour qui cette séparation est digne d’un autre âge. En fait le problème est plus profond : si tout le monde veut pouvoir agir n’importe quand, personne ne veut être l’objet d’une action dans les moments qu’ils considère comme personnels. Et cela change tout…et peut contribuer à dégrader les rapports humains si on continue  à regarder la chose avec un angélisme béat.

Il est une idée communément répandue selon laquelle la frontière entre le temps dédié à la vie privée et le temps dédié à la vie professionnelle tend à s’estomper, voire à disparaitre. Je parle bien ici du temps, non de la frontière entre le contenu des deux vies qui est encore un autre débat.

La première chose qui est incontestable est que la nature du temps n’est plus liée au lieu : on peut travailler de chez soi, en mobilité voire profiter de sa pause déjeuner pour régler quelques affaires personnelles alors qu’on est au travail.

La seconde est qu’avec la technologie qui est disponible ainsi que l’évolution des outils mobiles, l’environnement de travail devient ubiquitaire. Tout au moins il peut le devenir et, paradoxalement, il semble que les attentes du collaborateur en la matière dépassent encore les réalisations des entreprises.

Ensuite on parle d’une évolution culturelle qui ferait qu’on, enfin surtout certaines générations, considérerait que la frontière entre les deux temps est artificielle et que chacun peut être selon son besoin et ses envies, actif professionnellement sur du temps privé. Qui n’a jamais, en effet, trouvé rassurant de se dire “de toute manière je peux gérer à distance au cas où…” avant de partir en week end ou “allez je rentre, j’enverrai ces deux mails ce soir / demain matin”.

Mais lorsqu’on creuse, c’est un peu moins évident que cela. Disons que si la frontière n’est plus aussi imperméable qu’elle le fut, elle ne s’effondre pas pour autant. En fait l’opération s’opère un peu à sens unique.

Il y a une forme de schizophrénie, finalement compréhensible, entre ce qui est vu comme une facilité (pouvoir faire quelque chose hors de son temps de travail pour être plus flexible ou réagir à une situation de suite plutôt que la laisser se dégrader) et une intrusion dans sa vie privée (recevoir un email ou toute forme de demande alors qu’on est supposé ne pas être au travail). En fait tout le monde veut avoir la possibilité d’envoyer mais pas de recevoir.

Trois cas sont alors à distinguer :

- le fait de terminer ou s’avancer sur un travail : on envoie un mail, on met quelque chose à jour dans l’espace collaboratif interne. C’est fait mais on ne s’attend pas à ce que quiconque en prenne connaissance avant le lendemain ou le retour du week end.

- on fait face à une situation d’urgence : on envoie en attendant une réponse. Deux manières : l’email ou l’instant messaging en se disant que de l’autre coté la personne peut avoir deconnecté ou faire celle qui n’a pas vu, ou le téléphone.

- le malentendu : quelqu’un fait quelque chose un samedi en se disant que personne n’en prendra connaissance avant lundi mais qu’au moins ils s’est avancé ou a rattrapé son retard…et, ailleurs, un autre se sent harcelé et obligé de traiter ce qu’il reçoit alors que ça n’était pas le but de l’opération. Une situation plus commune qu’on ne le croit.

Ca n’est pas le mélange des temps qui pose problème mais l’intrusion et la contrainte. Dès qu’on parle d’outils collaboratifs asynchrones cela va bien, dès qu’il y a émission d’une alerte ou d’un message cela pose problème. Or qui dit échange dit souvent qu’il y a un émetteur et un récepteur.

Quelles conclusions ?

- ne pas prendre pour argent comptant tout ce qu’on peut entendre.

- favoriser les espaces collaboratifs asynchrones pour que la liberté des uns n’empiète pas sur la vie privée des autres

- régler la chose collectivement, voire mettre en place des règles au sein d’une équipe car il ne s’agit pas d’une somme de préférences individuelles mais qu’un mécanisme global. Dès que l’un commence, peu à peu d’autres suivent en se sentant obligés alors qu’ils ne le sont pas et n’en n’ont aucune envie.

En tout cas il importe de clarifier les choses car ici malentendus et incompréhensions risquent rapidement de tendre l’ambiance et impacter négativement l’équilibre de certains.

DeliciousDiigoLinkedInViadeoEvernoteDiggGoogle BuzzFriendFeedInstapaperPosterousGoogle BookmarksTumblrPingShare
Tags: , , , , ,

Articles sur le même sujet

  • http://topsy.com/www.duperrin.com/2010/09/09/la-frontiere-entre-temps-prive-et-temps-professionnel-a-la-vie-dure/?utm_source=pingback&utm_campaign=L2 Tweets that mention La frontière entre temps privé et temps professionnel a la vie dure | Bloc-Notes de Bertrand Duperrin — Topsy.com

    [...] This post was mentioned on Twitter by Bertrand Duperrin, Camille Jourdain, Via Entreprise, transmissionpme, Jean-Philippe Dubosc and others. Jean-Philippe Dubosc said: RT @bduperrin: Nouveau post [fr] : La frontière entre temps privé et temps professionnel a la vie dure http://bit.ly/9TiPgB [...]

  • http://twitter.com/gmaubon Gru00e9gory MAUBON

    Bonjour et merci pour cet article sur un sujet qui continu u00e0 faire couler beaucoup d’encre. Il est vrai que la distinction entre les deux temps s’affaiblit de plus en plus, souvent u00e0 la demande des personnes multi-connectu00e9es mais pas multi-disponibles.nnJe reviens sur ton conseil de mise en place d’outils asynchrones. N’est pas un peu compliquu00e9 aujourd’hui ou00f9 le monde web fait l’apologie des outils synchrones, le fameux real time web ? Est-ce que les gens ne veulent pas u00eatre au courant “en live” de ce qui se passe ? Comme tu l’indiques, il y a une bonne dose de schizophru00e9nie la dedans.nnJe prend le pari que l’essor de la gu00e9olocalisation ne va pas arranger les choses ;) nnGru00e9gory

  • http://www.duperrin.com/english Bertrand Duperrin

    Le temps ru00e9el est une nu00e9cessitu00e9 et un plus pour certaines choses mais est inadaptu00e9 u00e0 de nombreuses autres. C’est le genre de tarte u00e0 la cru00eame qu’on veut mettre u00e0 toutes les sauces parce que c’est la mode du moment en mu00e9connaissant les contraintes liu00e9es u00e0 l’organisation et aux modes de travail.nnD’abord parce que tout n’a pas u00e0 u00eatre en temps ru00e9el. Ensuite parce que u00e7a n’est pas un format qui se pru00eate u00e0 tous les types d’information. Enfin parce qui a travaillu00e9 en mu00eame temps sur des projets multiples avec, cas extru00eame, des interlocuteurs situu00e9s parfois sur un autre fuseau horaire sait bien qu’on ne peut travailler efficacement que par roulement, le besoin de temps ru00e9el devenant alors un facteur limitant u00e0 la productivitu00e9.nnCela me rappelle un vieux billet…. http://www.duperrin.com/2009/07/10/le-web-temps-reel-nest-pas-une-panacee-et-twitter-ne-tuera-pas-les-blogs/

  • http://philippe.scoffoni.net/economie-savoir-faire-piratage-social-debian/ Economie du savoir faire / Piratage social / Debian toujours là – Philippe Scoffoni

    [...] La frontière entre temps privé et temps professionnel a la vie dure [...]

blog comments powered by Disqus

You prefer an english version ?

View Bertrand DUPERRIN's profile on LinkedIn

Follow bduperrin on Twitter

Pour me contacter, cliquez ici

A lire…

Twittercount

Ils sont venus…